26.06.2013 Views

Ka'arang - www-user

Ka'arang - www-user

Ka'arang - www-user

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

K A ARANG<br />

Trimestriel<br />

Organe d'information du Cercle de Réflexion sur la Culture Tpuri<br />

(CRCT)<br />

N o<br />

035 ISSN 1431 - 5823 Avril 2002<br />

LE LELE ET LEURS CHANTEUSES<br />

ETRE TPURI ET VIVRE A DOUALA<br />

LE BILI-BILI ET LA FEMME TPURI<br />

A LA RECHERCHE D’UN BEBE !<br />

page 4<br />

page 11<br />

pages 14-26<br />

page 37


2<br />

Sommaire<br />

Editorial<br />

Une incitation à la désobéissance 3<br />

Essence de la culture Tpuri<br />

Le Lele et leurs chanteuses : par Kolyang Dina Taiwé 4<br />

Pour que vive <strong>Ka'arang</strong><br />

La maîtrise de l’information comme stratégie de lutte contre la pauvreté chez la femme<br />

par Dr. Elisabeth Ngo Bum 8<br />

Au Cœur du débat<br />

Comment vivent-ils ici à Douala, nos frères qui ont quitté le village par MôôRaiwé-Temga<br />

et Phil Peldjao 11<br />

Techniques et Technologies<br />

Le Bili-bili et la libération de la femme Tpuri par Koulandi Jean 14<br />

Tumne Mairabne<br />

A la recherche d’un bébé par Danwé Lebon Justin 36<br />

Impressum<br />

<strong>Ka'arang</strong> ISSN 1431 - 5823 04.2002<br />

paraît régulièrement à Ngaoundéré. Les articles nommément désignés ne rendent pas<br />

automatiquement l'opinion de la rédaction. Nous ne sommes pas responsables des manuscrits non<br />

requis. Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.<br />

Responsable de la rédaction<br />

Dr.Kolyang, Université de Ngaoundéré, Faculté des Sciences, B.P. 454 Ngaoundéré, Cameroun<br />

CDE-SAARE B.P. 67 Guider<br />

Ka’arang : Editions et Média : B.P. 558 Ngaoundéré, Cameroun Tel/Fax: +237 225 25 38<br />

Dayang Paul, Vahrer str. 249/Zi 28, D- 28359 Bremen, Allemagne, Tel: ++49 421 4266663<br />

Promotion et abonnements: Kolyang<br />

Ont collaboré à ce numéro:, Kolyang Dina Taïwé, MôôRaiwé-Temga, Phil Peldjao, Ngo Bum<br />

Elisabeth, Danwe Lebon Justin et Jean Koulandi


Ka’arang<br />

Organe de liaison du Cercle de Réflexion sur la Culture Tpuri<br />

N o 034 ISSN 1431 - 5823 janvier 2002<br />

Editorial : Une incitation à la désobéissance<br />

Je vous adresse cette petite lettre comme étant la réponse à vos appels incessants pour un changement<br />

radical et sans accrochage. Je vous adresse cette lettre à vous tous que j' aime et que je veux bien aider.<br />

Je l'adresse à vous jeunes gens et jeunes filles vers lesquels l'école tend sa main vers lesquels l' avenir<br />

tend ses bras.<br />

Je l'adresse à vous jeunes femmes à qui on a toujours dit que votre travail est de produire des enfants<br />

pour enrichir les familles.<br />

Je l'adresse à vous mères qui ne connaissez que vos devoirs et qui vivez sans droits.<br />

A vous filles,<br />

N'est-il pas temps que vous releviez le défi que vous lance le monde dans lequel vous vivez? L'échelle<br />

est l'instruction. L'échelle est l'école du blanc. N'est-il pas temps que vous refusiez qu'on vous vende<br />

comme des objets? N'est-il pas temps que vous réfléchissiez à la situation où vous vous trouverez après<br />

votre mariage. Vous appartenez à un monde qui est clos dans un autre monde en plein mouvement. Votre<br />

monde s'ouvre-t-il, vous vous trouvez dans un autre repère où vous ne pouvez plus vous orientez. Vous<br />

êtes perdues, vous êtes vieilles sans espérance et dans la souffrance. N'est-il pas temps, vous naïves<br />

jeunes filles que vous acquerriez la connaissance sur votre la défense de vos droits?<br />

Vous jeunes filles, belles comme des colombes, n'est-il pas assez pour épée la raison? N'avez vous pas<br />

honte d'être vendues? Combien plus misérables êtes vous donc après votre mariage à des vieillards juste<br />

parce que ces derniers ont des bovins! Etes vous Ancrées dans un passé qui ne vous libère plus. Serez<br />

vous des modèles pour vos enfants? N'avez-vous pas honte de devenir la possession de quelqu'un comme<br />

un boulon? N'avez vous pas assez de force de raisonnement? J'ai honte à votre place que vous ne serviez<br />

qu'à la satisfaction des désirs sexuels. Vous êtres traitées comme des objets utiles à une nécessité<br />

déterminée.<br />

Allez à l'école!<br />

Apprenez que le monde est compliqué et que la terre est une sphère. Le monde ne s'arrête pas à Kaélé,<br />

le monde est plus large que vous ne le pensez. Le monde est gros, gras, huileux, sec, rigide et fragile. Le<br />

monde est formé de vous tous et il est à vous.<br />

Apprenez que vous avez des droits.<br />

Apprenez que vous pouvez dire non à des décisions, à l'arbitraire.<br />

Apprenez que votre père est ignorant comme avant que vous n'alliez à l'école.<br />

Apprenez que l'œuf a une chambre à air.<br />

Apprenez à dominer sur vos maris. Apprenez sans cesse.<br />

Maquillez vous!<br />

Faites ce que l'école vous demande.<br />

Révoltez-vous!<br />

Ayez des maris raisonnables et partisans de la liberté. Telle est la vie que l'école du blanc vous offre.<br />

Ayez des maris qui préparent pour vous pendant que vous mettez le rouge aux lèvres!<br />

Devenez des parentes citadines!<br />

Kolyang Dina Taïwé, Lettre aux Tpuri, 1989.<br />

3


Essence de la culture Tpuri<br />

Les lele et leurs chanteuses<br />

Kolyang Dina Taïwé<br />

Ce que nous sommes et ce que nous avons, nous le devons une fois à notre père et<br />

deux fois à notre mère’ dit un proverbe bambara. Car la femme sahélienne en gésine est<br />

le site où la musique divine susurrante agit en silence. Les femmes sont les conservatrices<br />

de l'identité sociale. Autour d'elles se développe, se forme et s'épanouit la transmission<br />

des valeurs d'une génération à une autre. Mais elles sont aussi les moins comprises, les<br />

moins acceptées. Maltraitées, vendues, battues, aimées, gâtées, respectées et défiées, nos<br />

mères sont aujourd'hui tiraillées entre la haine et l'amour, entre le respect et le mépris. Un<br />

retour à des valeurs purement traditionnelles nous aiderait peut-être à avoir plus en estime<br />

celles qui, en silence, acceptent de souffrir pour la société. Un exemple est ici le lele .<br />

Les lele sont des ballets chantés et animés par les femmes lors des funérailles.<br />

Aujourd'hui, les funérailles sont trop controversées. Beaucoup y voient un gaspillage<br />

insensé. Quand on pense aux vertigineuses sommes d'argent et des dettes contractées, on<br />

est enclin à croire à ‘une mauvaise gestion de la mort’, comme écrivait Célestin Monga.<br />

Mais quand on réfléchit aux valeurs que les funérailles ressuscitent en nous, Africains, il<br />

faut les prendre à leur juste valeur. En effet, les rites, les danses, les prières, les psaumes<br />

et les cérémonies qui s'y rapportent témoignent du fait que nous ne sommes pas encore<br />

totalement aliénés par ce simulacre de culture européenne qui connaît le prix de toute<br />

chose mais jamais sa valeur. Le lele constitue donc une de ces fenêtres qui nous permet<br />

de regarder vers le passé embrumé et menacé de disparition de nos mémoires.<br />

Le lele est constitué uniquement de femmes. La danse est dirigée par une cheftaine,<br />

qui est une poète sans pareil, témoignant d'une intelligence et d'une créativité qui<br />

cherchent encore leur semblable. C'est elle qui dit les mots, les vers, qui mène le chant.<br />

Ce chant est composé d'un refrain que les danseuses reprennent à chaque couplet de la<br />

cheftaine. Parfois, il y a aussi un petit tam-tam qui rythme le chant. Ce tam-tam peut-être<br />

battu par un homme. Les femmes dansent en cercle. La cheftaine, la meneuse du chant, se<br />

tient souvent sur le tombeau fraîchement recouvert. Et les danseuses tournent en cercle<br />

autour d'elle, dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre.<br />

Les chants de lele sont souvent une critique sociale très profonde. Et la cheftaine<br />

essaie toujours de créer ad-hoc, d'impliquer les situations présentes dans son chant. On<br />

pourrait dire que le lele est un chant dynamique. Chaque couplet est suivi d'un refrain<br />

susurrant repris par les femmes. A la fin de la strophe, des triples couplets, le refrain est<br />

repris.<br />

Ce qui suit traite principalement du larme, qui était une culotte dure. Apparue à la fin<br />

des années 70, elle était prisée par les danseurs de gourna. Multicolore, elle avait des<br />

couleurs soit bleues, soit rouges. Puisque tout le monde vint à l'acheter, elle devint un<br />

habit vulgaire, sans valeur: un gonjo.<br />

4


Yaage: Yee larmen go ɓuy pa lay<br />

Larmen kol go gonjo lay<br />

Suse' ɓay so<br />

Ndi jon gete' ne nday gela<br />

Naare Dugla wo,<br />

Naare ma ti diŋwale<br />

Naare ma re goro<br />

Naaren wo ɓuy gen ta' la<br />

Wur sen so<br />

Naare ma ti ɓaŋ wo no<br />

Naare yegre<br />

Naare ma ti ɓaŋ wo no<br />

Naare ma Dugla<br />

Ndi 'wa go la ma jag roo mo<br />

Car gete' wa<br />

Way hun go ɗew ɗew<br />

Car gete' wa<br />

Way hun go ɗew ɗew<br />

Naare yegre wora<br />

Naare ma ti no nduu we<br />

Jon gete' we<br />

Naare Dugla nen hon la<br />

Naare ma re nay no<br />

Naare ma ti ɓaŋ sasu<br />

Suse' ɓay so<br />

Ndi suu de may ni Yaawaa go lay<br />

Ileeee ee<br />

Ileee ee<br />

Suse' ɓay so<br />

Ndi caa gete' nen day ɗa so la<br />

May jar Logro<br />

Ndi ca gete' ne nday laa ga<br />

Suse' ɓay so<br />

Naare ma ti jen buwal<br />

Suse' ɓay so<br />

Naare mati dingwale<br />

Soore joŋ wa na<br />

Nday joŋ go ti no ta' ɗa<br />

....<br />

Larmen yaŋ le<br />

Larme bay ti ngel po wa so<br />

Larmen yaŋ le<br />

Larme bay ti ngel po wa so<br />

Naare ma Dugla wo<br />

Larmen yaŋ ti ngel po pa ge<br />

5<br />

Refrain: Puisqu'on a acheté tous les larme<br />

Le larme est devenu un gonjo<br />

Du courage à vous<br />

Je vous fais un mensonge<br />

Femmes de Doukoula<br />

femmes piliers<br />

Mangeuses de cola<br />

Où est l'assemblée des femmes?<br />

Ce jour-là<br />

Les femmes de ce coté-là<br />

Les crieuses de youyou<br />

Ces femmes de ce coté-là<br />

Les femmes de Doukoula<br />

Je chante pour tes pleurs<br />

Ne mentez pas<br />

La jalouse se promène<br />

Ne mentez pas<br />

La jalouse se promène<br />

Les femmes crieuses de youyou<br />

Les femmes remarquées sont arrivées<br />

(Je) vous fais du mensonge<br />

Femmes de Doukoula, lesquelles?<br />

Consommatrices de viande<br />

Les femmes de sasu<br />

Du courage à vous<br />

Je coucherai avec la fille de chez Yaawa<br />

Heeeee ee<br />

Heee ee<br />

Du courage à vous<br />

Je vous mentirai à l'instant<br />

Fille des gens de Logro<br />

Je mens et vous n'écoutez pas<br />

Du courage à vous<br />

Femmes à la lisière de la route<br />

Du courage à vous<br />

Femmes piliers<br />

Que la honte ne prenne pas<br />

Manifestez vous ostentatoirement<br />

...<br />

Le larme arrive<br />

Il n'y a de larme nulle part maintenant<br />

Le larme arrive<br />

Il n'y a de larme nulle part maintenant<br />

Femmes de Doukoula<br />

Y a-t-il de larme encore quelque part?


Suse' ɓo so<br />

Way diŋ go ɗew ɗew<br />

Suse' ɓo so<br />

Way diŋ go ɗew ɗew<br />

Suse' ɓo so<br />

May go ni way Yanda<br />

Suse' ɓo so<br />

May ni way Garwa<br />

Suse' ɓo so<br />

May ni way Nile<br />

Naare yegre wora<br />

Ndi hoo naare yegre do ɓi.<br />

Kaŋ ra debaŋ wa<br />

Naare sasu ma dugla<br />

Kaŋra debaŋ wa<br />

Naare sasu ma dugla<br />

Naare Dugla wo<br />

Naare ma re wo nduu we<br />

'War la way so<br />

Ndi jon gete' ne nday ge la<br />

Caa we nay no<br />

Ndi ca gete' ne nday so la<br />

Laale way erenga....<br />

Na man ɓil go se joo ɗa so go<br />

Soore joŋ we na<br />

Na joŋ ɓil jonge la<br />

Soore joŋ we na<br />

Na joŋ ɓil joo re la<br />

Suse' way ni so<br />

May ni Wayglon<br />

Je ni Wayswaare<br />

May yan ni Wayglon<br />

Tagla way so<br />

May yan ni Wayglon<br />

Suse' ɓo may yam go<br />

Ndi jon la ma jag jin may<br />

Naare way bay ga<br />

Naare wo la gen ta' la?<br />

Naare way bay ga<br />

Naare wo la gen ta' la?<br />

Naare way bay ga<br />

Naare wo la gen ta' la?<br />

6<br />

Du courage à toi<br />

Femme qui se presse<br />

Du courage à toi<br />

Femme qui se presse<br />

Du courage à toi<br />

La fille de la femme de Yanda<br />

Du courage à toi<br />

Fille de la femme de Garoua<br />

Du courage à toi<br />

Fille de la femme de Nile<br />

Femme-crieuses de youyou<br />

Je prendrai de crieuses de youyou avec moi<br />

Ne les épousez pas beaucoup<br />

Les femmes sasu de Doukoula<br />

Ne les épousez pas beaucoup<br />

Les femmes sasu de Doukoula<br />

Les femmes de Doukoula<br />

Les femmes à problèmes sont arrivées<br />

On a tué un chien<br />

Je ne vous fais pas des mensonges<br />

Coupez la viande<br />

Je vous mens alors<br />

Le lale de la femme erenga<br />

Élargissons le cercle de danse<br />

Si la honte fait<br />

Que ferons nous donc?<br />

Si la honte fait<br />

Que ferons nous de la danse<br />

Du courage à la femme<br />

La fille de Wayglong<br />

Fils de Wayswaare<br />

Il y a une fille chez Wayglong<br />

La femme de cette année<br />

Il y a une fille chez Wayglong<br />

Du courage à toi fille<br />

Je le fais pour le poteau-fétiche<br />

Pas les femmes des beaux frères<br />

Où sont toutes ces femmes?<br />

Pas les femmes des beaux frères<br />

Où sont toutes ces femmes?<br />

Pas les femmes des beaux frères<br />

Où sont toutes ces femmes?


Jan ne debaŋ wa<br />

Nen jon go la gen so la<br />

Jon Suse' Dugla<br />

Way may go la gen ta' la?<br />

Diŋ Waŋ Dugla<br />

Wan go ti nen ni lay<br />

Jar Dugla tem wo<br />

Jar Dugla ɓuy wo mo no<br />

Feere joŋ mo no<br />

Jar ni Jonmo ma honla<br />

Suse' ɓo so<br />

... ...go ni je Mangala<br />

....<br />

Kommanda yaŋ le<br />

Hee we jag ne waŋ na ɗa<br />

Kommanda yaŋ le<br />

Hee we jag ne sef ɗa so la<br />

Waare ma roo no<br />

hee we jag ne waŋ ɓen ɗa<br />

Yee--<br />

Naare ma Dugla<br />

Jon jam ga<br />

Naare ma ti ɓaŋ Dugla<br />

Naare yegre<br />

Ndi hoo la naare ma Bigmo<br />

Yaa we joo de eele<br />

Way big go ti no<br />

Yaa we joo de'ele<br />

Way big go ti no<br />

Yoo we joo de'ele<br />

Jar ɓi man we wuu do<br />

7<br />

Ne trottez pas trop<br />

Comment sont devenus les yeux<br />

Souhaitez du courage, Doukoula<br />

Où sont les femmes -filles?<br />

C'est le chef de Doukoula<br />

Le chef y jette un regard<br />

Les gens de Doukoula se pressent<br />

Toutes ces populations de Doukoula<br />

Les choses se font<br />

Les personnes de chez quel Djongmo<br />

Du courage à toi<br />

.... de Mangala<br />

....<br />

Le commandant arrive<br />

Saluez notre chef<br />

Le commandant arrive<br />

Saluez alors notre chef<br />

La parole causant les pleurs<br />

Saluez son maître<br />

Hee e<br />

Les femmes de Doukoula<br />

Ne fait pas de paix<br />

Les femmes du côté de Doukoula<br />

Les crieuses de youyou<br />

Je prendrai les femmes de Bigmo<br />

Reprenez bien le chant<br />

Le chien aboie à découvert<br />

Reprenez bien le chant<br />

Le chien aboie à découvert<br />

Reprenez bien le chant<br />

Prenez un bout de feu avec vous<br />

.


Pour que vive Ka’arang<br />

La femme demain et Demain la femme !<br />

La maîtrise de l’information comme stratégie de lutte contre la pauvreté<br />

chez la femme<br />

Dr. Elisabeth Ngo Bum<br />

Université de Ngaoundéré<br />

Introduction<br />

« Femme Noire, Femme Africaine, Ô toi ma<br />

mère, je pense à toi.» * Ce texte de Camara Laye<br />

montre bien que chaque Africain a un respect pour<br />

sa mère et qu’elle représente une grande valeur<br />

dans la société africaine. Depuis quelques jours<br />

nous rendons hommage à la femme par des<br />

conférences, des discussions, des méditations.<br />

Aujourd’hui nous allons ensemble réfléchir aux<br />

diverses stratégies à mener pour que la femme sorte<br />

du cercle vicieux de la pauvreté, de la maladie, des<br />

disettes etc..<br />

Les difficultés majeures auxquelles font face<br />

les Africains aujourd’hui se résument en un seul<br />

mot : la famine. Les enfants ont faim. Les femmes<br />

ont faim, les hommes ont faim.<br />

Dans le Nord Cameroun, les difficultés les plus<br />

graves sont la pauvreté et la misère qui sont<br />

incubatrices des autres problèmes tels<br />

l’analphabétisme, la précarité sanitaire, les disettes<br />

récurrentes, le chômage galopant des jeunes, les<br />

déperditions scolaires et universitaires, la<br />

prostitution et la montée irrésistible de la<br />

monoparentalité, le manque d’accès à la formation<br />

et à l’emploi, la marginalisation des couches<br />

sociales tous azimuts etc...<br />

Mais il est nécessaire de comprendre les<br />

mécanismes de cette pauvreté foudroyante afin<br />

d’en conjurer les méfaits. Et pour exorciser ce<br />

phénomène, il faut bien que toutes les forces vives<br />

réfléchissent ensemble en commençant par la<br />

femme, car c’est elle qui est au centre du<br />

changement social. Un homme politique américain<br />

disait : « Eduquez les femmes et mettez de l’eau<br />

potable à la disposition de la population, et le<br />

développement suivra tout seul » ou l’UNICEF ne<br />

dit-elle pas «Eduquez une fille c’est éduquez une<br />

nation ? »<br />

* Camara Laye, L’enfant noir, Plon, Paris 1954<br />

8<br />

Après avoir défini les notions tels information,<br />

pauvreté, lutte, stratégie et stratégie de lutte, nous<br />

parlerons<br />

(1) du rôle de la communication dans la prise de<br />

conscience féminine.<br />

(2) du rôle des Nouvelles Technologies de<br />

l’Information et de la Communication et<br />

(3) enfin nous essayerons de proposer des pistes<br />

de formation pour les femmes afin qu’elles<br />

jouent véritablement leur rôle de motrices du<br />

développement social.<br />

Quelques définitions<br />

L’information<br />

Le Larousse Bordas 1998 propose sous l’entrée<br />

Information les explications suivantes<br />

« 1. Action d'informer, de s'informer<br />

2. Renseignement.<br />

3. Nouvelle communiquée par une agence<br />

de presse, un journal, la radio, la télévision. »<br />

En droit, l’information est « l’ensemble des<br />

actes d'instruction qui ont pour objet de faire la<br />

preuve d'une infraction et d'en connaître les<br />

auteurs. »<br />

Comme l’on parle aujourd’hui d’informatique,<br />

et nous parlerons aussi des Nouvelles Technologies<br />

ici, le Larousse dit qu’en informatique, une<br />

information est un «élément de connaissance<br />

susceptible d'être codé pour être conservé, traité ou<br />

communiqué. »<br />

A côté de la matière et de l’énergie,<br />

l’information constitue le troisième pilier de la<br />

science et du développement. Il est donc<br />

absolument nécessaire pour la compétitivité et un<br />

moteur pour chaque entreprise. Sans les matières<br />

premières, aucun pays ne saurait véritablement se<br />

développer et sans l’énergie, il est impossible de<br />

pouvoir maîtriser le développement. Aujourd’hui<br />

ne pas être informé signifie aussi le suicide dans le<br />

développement et la science.


Pauvreté<br />

La Banque Mondiale pense que « La pauvreté<br />

est la faim, la pauvreté est l‘absence d‘abri. La<br />

pauvreté est le fait d‘être malade et de ne pas avoir<br />

la possibilité de consulter un médecin. La pauvreté<br />

est le fait de ne pas être en mesure de parler<br />

correctement. La pauvreté c’est ne pas avoir du<br />

travail, c’est la peur du futur, ne vivre que pour le<br />

jour présent. La pauvreté c’est le fait de perdre un<br />

enfant pour maladie à cause de l‘eau impropre à la<br />

consommation. La pauvreté est l‘absence de<br />

pouvoir, le manque de représentation et de paix » 1<br />

Il faut dire tout de suite que la pauvreté est plus<br />

vécue par les femmes qui sont celles qui vivent au<br />

quotidien la perte de leurs enfants, le manque d’eau<br />

potable, le chômage etc.<br />

Mais il est plus grave encore, ce phénomène de<br />

la pauvreté. Car le Canadian International Agency<br />

stipule que la pauvreté est « une privation et une<br />

absence de pouvoir. C‘est l‘absence des biens et<br />

revenus pour satisfaire les besoins humains<br />

élémentaires : nourriture, eau, abri et vêtement.<br />

C‘est le manque d‘éducation, des capacités et des<br />

outils pour acquérir biens et revenus. C‘est aussi<br />

l‘absence de compétences et de pouvoirs pour<br />

changer la situation. » 2<br />

La stratégie quant à elle est définie comme<br />

l’« art de coordonner des actions, de manœuvrer<br />

habilement pour atteindre un but » Il s’agira donc<br />

de manœuvrer habilement les efforts pour sortir la<br />

femme de la pauvreté par une maîtrise adéquate de<br />

l’information.<br />

Il reste encore la dernière notion qui est la<br />

lutte. Elle est l’« ensemble d'actions menées pour<br />

vaincre un mal, des difficultés ». Enfin la Stratégie<br />

de lutte est donc en résumé la manière de<br />

coordonner un ensemble d’actions pour résoudre<br />

un problème. Ici il s’agit de la pauvreté.<br />

En d’autres termes « la maîtrise de<br />

l’information comme stratégie de lutte contre la<br />

pauvreté chez la femme » signifie que l’action à<br />

mener est ici la quête de l’information, son<br />

contrôle, son utilisation consciente et profonde<br />

dans le but de vaincre les difficultés du manque<br />

d’accès à l’éducation, aux soins sanitaires, à l’eau<br />

potable, mais aussi à la décision.<br />

1 voir Understanding<br />

poverty:<strong>www</strong>.woldbank.org/poverty/mission/up1.htm<br />

2 Canadian International Agency in: SAUTTER Hermann,<br />

SERRIES Christoph: Inhalt und Methodik von<br />

Armutsanalysen, Weltforum Verlag, London, 1993, p.16<br />

9<br />

Maintenant nous allons parler du rôle de la<br />

communication comme facteur essentiel dans le<br />

réveil de la femme.<br />

Le rôle de la communication dans la prise de<br />

conscience de la femme<br />

Il est reconnu aujourd’hui que la majeure prise<br />

de conscience passe par la culture de groupe. En<br />

fait, c’est dans la communication, dans le partage,<br />

dans la communion que se retrouve et se forge<br />

l’amélioration des conditions de la vie. Nul ne peut<br />

véritablement se développer s’il s’isole, reste à<br />

l’écart et ne pense qu’à soi uniquement.<br />

Les femmes, généralement plus sociables,<br />

doivent donc cultiver la notion de collectif et<br />

communiquer dans le cadre des rencontres de<br />

quartier, des associations diverses, des cotisations,<br />

de l’informel afin de créer une synergie commune.<br />

Elles doivent discuter sur les difficultés sociales et<br />

les problèmes majeurs qui tracassent la vie de tous<br />

les jours. Le commun et le collectif sont parfois le<br />

fondement du bonheur ensemble, le début de<br />

l’amélioration des conditions de vie.<br />

Les NTIC et la lutte contre la pauvreté<br />

On s’accorde généralement pour dire par NTIC<br />

qu’il s’agit de l’utilisation d’un équipement<br />

électronique pour aider dans la conception,<br />

l’échange et la gestion de l’information afin de<br />

consolider le savoir. Les Technologies de la<br />

Communication sont anciennes et se présentent<br />

sous la forme du téléphone, de la télécopie ou du<br />

télex etc…<br />

Celles de l’information sont assez récentes mais<br />

suffisamment éprouvées pour constituer une<br />

discipline importante, l’informatique.<br />

Le mariage entre le traitement de l’information<br />

par un ordinateur par exemple et sa transmission<br />

par une ligne téléphonique constitue le point de<br />

départ d’une nouvelle expérience scientifique : les<br />

Technologies de l’Information et de la<br />

Communication (TIC). Aujourd’hui l’on peut<br />

transmettre l’image, le son, le texte. Le mot<br />

Internet n’est qu’un aspect de cette technologie.<br />

Etre informé étant important pour la prise de<br />

conscience collective, les NTIC peuvent être un<br />

outil très important pour la lutte contre la pauvreté.<br />

Elles peuvent aider dans la création des entreprises<br />

(comme pendant le salon de création de<br />

l’entreprise), elles peuvent aussi aider à faire du<br />

commerce (commerce électronique). ‘Par exemple<br />

une vendeuse de miel à Meiganga, si elle a un site<br />

Internet à Yaoundé, pourrait proposer son produit<br />

au monde entier.


Mais, il faut dire que la base est d’abord une<br />

formation adéquate et profonde, soutenable et<br />

continuelle. Il ne faut pas surestimer le rôle de ces<br />

technologies, car elles ne sont pas moins chères.<br />

Besoins de formation spécifiques pour les<br />

femmes<br />

Dans le Nord-Cameroun, les femmes sont<br />

confrontées à divers problèmes entre autres celui<br />

de l'énergie (déboisement pour l'utilisation dans la<br />

cuisine, accès difficile à l'électricité qui est trop<br />

chère), les problèmes d’analphabétisation, les<br />

problèmes environnementaux (eau potable<br />

inaccessible), un manque de coordination dans le<br />

secteur informel (femmes et filles n'ont aucune<br />

chance, incapacité de création des réseaux avec des<br />

groupements isolés et marchés d'écoulement de<br />

produit inaccessibles)<br />

Pour essayer de juguler ces problèmes, il est<br />

donc nécessaire de réfléchir à des actions qui<br />

s’insèrent dans un cadre de soutenabilité et de<br />

durabilité requises par l’Agenda 21 de Rio. Nous<br />

sommes convaincus que l’éducation de la femme et<br />

la mise à sa disposition d’un certain nombre de<br />

mécanismes de décisions auront un impact très<br />

positif sur la famille et la société. De ce fait,<br />

l’amélioration de la situation de la femme passe par<br />

deux niveaux :<br />

1. l’éducation élémentaire (lire et écrire)<br />

2. Management (notions élémentaires de<br />

gestion)<br />

Education<br />

Savoir lire et écrire est aujourd’hui un passage<br />

obligatoire pour le développement. Ceci concerne<br />

toutes les femmes désireuses d’apprendre à lire et à<br />

écrire, à s’exprimer en français ou dans une langue<br />

locale. Il faudrait donc renforcer les capacités de<br />

ces groupes avec du matériel didactique et des<br />

concepts de la pédagogie des adultes. Aussi des<br />

femmes peuvent ainsi s’exprimer quand elles vont<br />

à l’hôpital, aider les enfants dans les devoirs à faire<br />

à la maison etc.<br />

Management<br />

Généralement, les femmes qui se regroupent<br />

ont un but précis. Soient elles s’exercent dans le<br />

commerce ou dans une autre activité. Comment ces<br />

femmes, ayant contacté des micro-crédits dans des<br />

ONG, peuvent-elles gérer leurs affaires, sans avoir<br />

des difficultés de remboursement? Comment<br />

peuvent-elles accéder à d’autres financements? Ces<br />

interrogations constituent la base pour la création<br />

10<br />

d’un réseau qui permette aux femmes de s’affirmer.<br />

La formation doit surtout mettre l’accent sur les<br />

mesures soutenables et durables.<br />

Les besoins de formation les plus en vue<br />

concernent donc l’éducation de base, le<br />

management des petites unités de production des<br />

femmes, la sensibilisation pour une santé<br />

communautaire dans la lutte contre le VIH/SIDA.<br />

Conclusion<br />

La pauvreté n‘est pas une notion isolée, elle est<br />

toujours combinée avec le développement qui est<br />

son opposé et qui est défini comme « une<br />

combinaison des changements mentaux et sociaux<br />

d‘une population qui la rendent apte à faire croître<br />

cumulativement et durablement son produit réel<br />

global. » 3 Cela signifie qu’au niveau individuel il y<br />

a l’idée d‘augmentation des possibilités, des<br />

capacités plus générales, la créativité,<br />

l‘autodiscipline, le bien être matériel. Et sur le plan<br />

du groupe social, il existe l‘augmentation de la<br />

capacité de réguler les relations internes et externes<br />

car, la satisfaction des aspects du développement<br />

personnel est très liée à l‘état de la société globale.<br />

L'heure n'est plus aux confrontations futiles où<br />

chacun cherche à consolider sa victoire. Il nous<br />

faut nous organiser autour des groupes d’entraide,<br />

apprendre à lire et à écrire, former des<br />

communautés solides. Le temps ne nous le répétera<br />

pas assez : Le développement passe par la femme<br />

et par son engagement.<br />

3 PERROUX François in: Economie du Développement: les théories, les<br />

expériences, les perspectives, Hachette, Paris 1995, p. 17


Au cœur du débat<br />

Comment vivent-ils ici a Douala, nos frères qui ont<br />

quitté le village ?<br />

Pris en flagrant délit, certains ont choisi de<br />

fuir la honte ou déception amoureuse, conflit<br />

parental, poursuite judiciaire justifient la présence<br />

des uns ici à Douala. D´autres par contre ont cru<br />

que le paradis se trouve justement là où la houe est<br />

loin de soi, là où les ânes sont des voitures.<br />

D´autres encore, les plus respectables sont cru<br />

qu´ils allaient se faire des pognons en quelques<br />

années pour rentrer au village. Ils ont vu tel autre<br />

venu de Douala et qui semblait vivre bien et ils ont<br />

11<br />

Phil Peldjao et Môô Raïwé Temga<br />

Club CDE-SAARE-DOUALA<br />

Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Les semaines ne peuvent en être autrement et il<br />

va de soi que les mois et les années ne se ressemblent point. Une année peut arriver où on décide de tout<br />

abandonner, de tout gâcher, de partir en mésaventure, non en aventure tout simplement. C´est comme<br />

cela qu´il est arrivé à nombre de nos frères, un jour, un moment où ils ont décidé de partir, les pour telles<br />

raisons, les autres pour rien, juste pour partir, pour partir voir. Et ils sont là depuis quelques mois,<br />

quelques années, quelques décennies, mariés ou non. Ils vivent au jour le jour. Où à chaque jour suffit sa<br />

peine tandis qu´au village, parents, épouses ou enfants attendent, attendent et attendent vraiment... le<br />

retour.<br />

Qui sont-ils ?<br />

Ils sont des hommes comme les autres<br />

hommes, des jeunes comme les autres, nés de<br />

parents pauvres, fils d´anciens combattants<br />

retraités au village. Ils sont bacheliers, brevetés,<br />

certifiés mais aussi et surtout ils sont sans papiers.<br />

Rien du tout, même l´acte de naissance. Ils parlent<br />

français mais ne parlent pas de langue de molière.<br />

Certains ne peuvent pas placer le point sur déjà<br />

écrit. Ce sont nos frères, nos cousins, nos enfants,<br />

nos maris, nos oncles ou nos neveux.<br />

Pourquoi sont-ils partis ?<br />

Les raisons d´une bonne action, on les<br />

chante mais les raisons d´une mauvaise action ne<br />

se disent pas aisément. Combien sont ceux qui<br />

peuvent vous dire réellement pourquoi ils ont<br />

quitté le village ? Néanmoins, on en connaît. Ils<br />

vivent dans la même ville mais ils n´ont pas quitté<br />

le même village et les raisons ne sont nullement<br />

pas les mêmes.<br />

aussi décidé de partir. Les autres en fin sont partis<br />

pour rien.<br />

Que font-ils alors ?<br />

Jardiniers, marmitons, fossoyeurs,<br />

colporteurs, vendeurs des beignets, boutiquiers,<br />

taximen... et bien sûr G.N (Shut!) On dit V.N et<br />

non G.N ou veilleur de nuit et non voleur de nuit.<br />

Il est pertinent d´insister sur cela puisque c´est<br />

notoirement leur travail. C´est au soleil couchant<br />

qu´on les voit sur les routes toujours pressés pour<br />

se rendre au "bureau". Assis dehors près de<br />

l´entrée d´une usine ou d´un domicile, ou couchés<br />

à la véranda pour les chanceux, on y passe ainsi les<br />

nuits, toutes les nuits pour veiller sur le sommeil<br />

des autres. Les autres qui sont nés de la terre<br />

comme nous. On trouve cela bien parce qu´on ne<br />

fait rien, on s’assied et on attend tout simplement<br />

que le bon soleil se lève.<br />

Quand ils ne sont pas au travail, ils sont dans les<br />

cabarets s’enivrant de bil-bil ou de fôfô comme ça<br />

se dit ici. Et tout le monde sait qui sont les<br />

compagnons de l´ivrognerie : dépense inutile,<br />

prostitution. Quand ils ne sont pas aux cabarets, ils<br />

sont entrain de fomenter un coup de vol au port ou<br />

entrain de méditer, de prier sur l´arrivée des<br />

chevaux du PMUC.<br />

Où vivent-ils ?<br />

Partout. Presque partout mais certains<br />

quartiers connaissent des concentrations<br />

particulières : les quartiers sales, inondables sans


outes bitumées et où les habitations nous<br />

rappellent les tandis dans lesquels les israéliens<br />

vivaient en Egypte sous Pharaon. Ils sont À nylon,<br />

à New-Bell, à Bonabéri.<br />

Généralement le lien de travail est loi, très loin<br />

même et ils s´y rendent on foot tous les soirs et<br />

rentrent tous les matins, 30 km en moyennes<br />

parcourus par jour. Les lieux de travail sont<br />

généralement à Bassa, Bonamoussadi, Akwa ou à<br />

Bonandjo (le quartier administratif). Toutes ces<br />

souffrances, cette promiscuité, l´insalubrité.<br />

l´insécurité, la marche à pied pour 15.000 F,<br />

20.000 F ou au plus 35.000 F CFA . Leur orgueil<br />

ne leur permet pas de dire le montant et il faut<br />

beaucoup d´astuces pour les amener À vous cette<br />

vanter cette vie. Attention Attention !! l´honneur<br />

revient aux seigneurs et pour les hommes de cette<br />

classe, tout ce qu´on peut leur donner, c´est le<br />

mépris, l´écrasement de leurs droits et libertés,<br />

licenciement sans raisons valables, escroqueries<br />

par ci et par là. Mariés ou pas, beaucoup d´eux ci<br />

nourrissent de vieilles femmes Bassa, Douala,<br />

Bami ou anglophones qui passent pour être leurs<br />

"maîtresses". Combien sont-ils morts de SIDA ?<br />

combien portent le Virus ? Combien attraperont<br />

encore le VIH demain ou ce soir même ?<br />

Pourquoi ne rentrent-ils pas ?<br />

Souvenez -vous des raisons pour lesquelles<br />

ils avaient quitté Golonpui, Golonghini, Golondere<br />

? Il faut tout juste ajouter que les moyens ne sont<br />

pas évidents et surtout que la honte est une prison<br />

dans laquelle les cœurs sont enfermés.<br />

Et quand certains rentrent souvent, c´est<br />

qu´ils sont physiquement ou moralement obligés<br />

de rentrer. Le cas le plus fréquent est celui des<br />

maladies graves incurables dans les hôpitaux. C´est<br />

en ce moment qu´on pense au vieux marabout, à la<br />

vieille sorcière et parfois le malade rend l´âme en<br />

route alors que la famille attendait. D´aucuns<br />

rentrent seulement lorsqu´on leur annonce le décès<br />

du père ou de la mère. D´autres, recherchés par la<br />

police ou par leur patron qu´ils ont volé reprennent<br />

le chemin du village pour y trouver refuge.<br />

D´autres encore se sont retrouvés au village à<br />

contre cœur : c´est le cousin ou les parents qui ont<br />

usé de leur force, de leurs moyens pour les faire<br />

rentrer. La dernière vague, c´est bien celle de ceux<br />

qui sont rentrés chercher les épouses. Valises<br />

volées au patron, lunettes, lecteur de cassettes et<br />

avec des cassettes de musique traditionnelle<br />

(YINWE, BOUYAM) sont les moyens<br />

12<br />

incontournables pour séduire la fille du village et<br />

ses parents.<br />

Le club CDE SAARE de Douala soucieux<br />

du sort amer de ses enfants en ville, a eu à<br />

rencontrer quelques uns dans les rues, les lieux de<br />

travail, les cabarets et leur pose des questions<br />

estimées affectives. Il a fallu tu temps, de la ruse<br />

de la sympathie pour savoir beaucoup de chose sur<br />

leur vie. Pour les raisons d´intimité, nous avons<br />

changé les noms. Toute coïncidence avec des<br />

personnes vivant ici à Douala ne sera que pur<br />

hasard.<br />

Ka’arang : Monsieur bonjour ! le plaisir de vous<br />

connaître de nom me préoccupe<br />

Wouanday ; on m´appelle, âgé de 30 ans et marié.<br />

Ka’arang : pouvez-vous me dire pourquoi vous<br />

avez abandonné le village au profit de la ville ?<br />

Wouanday : tu sais mon frère, la raison n´est pas<br />

claire. Je peux te dire que c´est parce que quand<br />

j´avais 18 ans en 1990, mon père a refusé que je<br />

me marie de la jolie Woyang, celle que j´ai<br />

beaucoup aimé. Il voulait plutôt de Maïtabaï, fille<br />

de son ami Waïdou. Or cette Maïtabaï cherche<br />

ainsi à se remarier pour la 3 e fois. Mon père a<br />

refusé et décidé de ne plus me doter ma femme ;<br />

raison pour laquelle je suis à Douala-New-Bell.<br />

Ka’arang : Et maintenant j´espère que vous êtes là<br />

pour chercher le moyen de vous marier. Qu´est-ce<br />

que vous faites exactement ?<br />

Wouanday : Depuis que je suis ici, je travaille<br />

comme veilleur de nuit chez un médecin à<br />

Bonandjo pour un salaire mensuel de 28.000 F<br />

CFA. Là dedans, je loue ma maison à 8.000 F, le<br />

taxi me prend (400 f / jour fois 28) = 10800F et<br />

vous comprenez que j´ai de la peine pour me<br />

nourrir .<br />

Ka’arang : Et si tel est le cas, ne sera-t-il pas<br />

préférable de rentrer et aller vers les travaux<br />

champêtres ?<br />

Wouanday : j´avais justement pensé rentrer mais<br />

j´ai honte d´y aller bredouille. D´ailleurs je n´ai<br />

même pas l´argent de transport. Mais quand même,<br />

j´écris de fois de lettres à ceux qui sont au village.<br />

Celui-ci s´appelle Naga, un Pmuciste de<br />

talent, Ka’arang l´a rencontré sortant du kiosque au<br />

coin de l´usine CCC vers le côté du carrefour<br />

Ndokoti, journal à la main.<br />

Ka’arang : Naga bonjour, je vous connais en tant<br />

que cousin de ma mère. Vos parents sont à Ndué<br />

"au village". Mais qu´y a-t-il à venir dés 6 H 30 à


l´usine tandis que vous êtes veilleur de nuit à<br />

Bonamoussadi ?<br />

Naga : Non, ce que j´avais joué hier, j’ai raté 2<br />

numéros sur quatre. je vais aujourd´hui réussir,<br />

j´en suis sûr. Quand je vais gagner ne serait-ce que<br />

3.000000f cfa, je vais payer les 5 mois de loyer et<br />

soigner ma maladie, rembourser mes diverses<br />

dettes d´environ 950.000 et espérer me rassasier de<br />

fortes boissons cette fois ci.<br />

Ka’arang : Merci, qu´il est bien pensé :<br />

rembourser les dettes et payer le loyer. Mais votre<br />

espoir sur le PMUC qui vous a déjà pris si<br />

énormément de l´argent est-il fondé ?<br />

Naga : Mais toi aussi ! Quand on joue au PMUC,<br />

on ne doit compter que sur la chance ; 1 numéro<br />

hier, 2 aujourd´hui 4 sur 4 demain. N´est-ce pas je<br />

vais les avoir ?<br />

Ka’arang : En tous cas, que cette chance te soit<br />

accordée. Merci d´avoir perdu du temps avec moi,<br />

je vais à l´église à Bonandjo, à la prochaine.<br />

Voilà Ndoumga avec Siouna, tous deux de<br />

Dziguilao rentrent du marché de Fôfô ici à<br />

Bonabéri.<br />

Ka’arang : Mes amis bon après midi !<br />

Ndoumga : (étant ivre) ta mère, bonsoir aussi. Estce<br />

que toi médecin pour de santé des gens ici à<br />

Bonabéri ? Le vin est fini au marché, tu pars où à<br />

17 h ?<br />

Ka’arang : Je suis juste du passage pour vous<br />

saluer, rendant ainsi visite à mes frères que vous<br />

êtes surtout que nous sommes du même<br />

arrondissement Taïbong.<br />

Ndoumga : ça c´est bien mais seulement que je<br />

n´ai plus rien à te donner. Comme tu le sais, je suis<br />

veilleur de nuit ici à Bonandjo pour un salaire de<br />

satisfaisant de 31.000 f CFA par mois. Là dedans,<br />

le fôfô me prend en moyen 17.000 à 19.000 f, le<br />

loyer 8.000 f et le reste pour ce qui reste. Là<br />

13<br />

maintenant, il ne me reste que 325 F que voici. On<br />

fait comment ?<br />

Ka’arang : Non, merci déjà, le plaisir c´est de<br />

vous voir en santé et de savoir si tu peux aller au<br />

village d´ici peu. Je voudrais vous commissionner<br />

chez les parents de Nguelna afin qu´il puissent<br />

venir chercher leur fils qui est ici, atteint de la<br />

maladie là, sinon ils ne risqueront de ne plus<br />

jamais le voir.<br />

Naga : La ilal la ... tu dis vrai ? Comme ça, il doit<br />

rentrer sinon il va mourir ici. S´il en est ainsi, il<br />

faut aller prêter l´argent chez les policier Baowé,<br />

fils de son village ; parce que moi, je ne vais pas<br />

rentrer mains bredouilles alors que je suis ici<br />

depuis 15 ans.<br />

Ka’arang : Merci je vais voir s´il faut que je<br />

prenne cette responsabilité de l´amener au village.<br />

Je vous laisse.<br />

Après cette séparation, CDE SAARE<br />

continue ses recherches d´information. Ainsi, sur<br />

son passage, Ka’arang rencontre Danra, Ndawa<br />

laurent titulaire d´un baccalauréat série A, du<br />

village Saoringwa.<br />

Ka’arang : cher Laurent, bonjour. Avec votre<br />

permission, je voudrais savoir pourquoi vous êtes<br />

ici à Douala et surtout quand ? Parce qu´étant<br />

nouveau dans la ville , il me faut entrer en<br />

connaissance des véritables problèmes d´ici,<br />

expliqués par un ancien que vous pouvez être.<br />

- Laurent : Bien, les explications de votre question<br />

à premier abord difficile à répondre, me disposent<br />

à vous répondre surtout que je me trouve bien sûr<br />

pas obligé, mais moralement contraint par ma<br />

disponibilité et le sens même du devoir à l´autre.<br />

Eh bien je suis ici depuis 1991, un an après<br />

l´obtention de mon Bac...<br />

.


Techniques et Technologies<br />

Le Bili-Bili et la “Libération” de la Femme Tupuri<br />

Jean Koulandi<br />

Idées et réflexions pour un débat constructif sur l'avenir de la Communauté Tpuri du<br />

Tchad et du Cameroun<br />

INTRODUCTION<br />

Il y a quelques années, la femme Tupuri était<br />

considérée comme une bonne gardienne du foyer.<br />

Elle avait la liberté d'entreprendre dans l'élevage et<br />

l'agriculture. Elle savait préparer la bière du mil,<br />

mais seulement pour les sacrifices, les travaux<br />

champêtres et à la demande de l'homme. Elle ne<br />

consommait aucun alcool, mais occasionnellement<br />

buvait du lait réservé à la jeunesse. Ses produits<br />

commerciaux étaient ceux provenant de son<br />

élevage (volaille et petits ruminants) et de<br />

l'agriculture (mil et légumes). Elle aidait l'homme<br />

dans tous les travaux, même les plus durs. Elle<br />

n'était pas une esclave, mais une personne soumise<br />

à l'homme. Mais vers les années l950, elle va<br />

progressivement s'emparer de la bière du mil<br />

d'abord pour en faire un produit du commerce, et<br />

finalement pour la consommer elle-même. Aussitôt<br />

et comme toutes les boissons alcoolisées, le bilibili<br />

lui a donné la sensation d'être "libérée" de<br />

l'homme en réalité, le bili-bili l'a enchaînée, et<br />

derrière elle, c'est toute la communauté Tupuri<br />

aujourd'hui prisonnière et esclave de cette boisson<br />

et autres alcools très dangereux, le arki pour les<br />

pauvres, le whisky pour les riches. Si l'on doit<br />

reconnaître son mérite d'être à l'avant garde de la<br />

débrouillardise, on doit en même temps<br />

questionner les deux produits qu'elle s'est choisis,<br />

le bili-bili et le arki, susceptibles de lui procurer<br />

une ressource financière mais qui n'en sont pas<br />

une.<br />

Aujourd'hui, tous les hommes de bonne volonté<br />

sont interpellés pour le combat de la vraie<br />

libération de la femme Tupuri et partant, de toute<br />

la communauté des alcools, véritables obstacles au<br />

développement économique et social de notre<br />

région.<br />

14<br />

Essai d'une définition du mot bili-bili.<br />

Le mot bili-bili désigne aujourd'hui toutes les<br />

bières locales fabriquées à partir du sorgho rouge,<br />

blanc ou de maïs, et consommées principalement<br />

dans les cabarets des grandes villes du Nord-<br />

Cameroun. Dans les zones rurales, il garde encore<br />

le nom donné par les différentes tribus.<br />

Le mot serait un néologisme créé à partir du<br />

mot «bile». Il serait une invention des cabarets des<br />

villes de deux provinces du Nord-Cameroun, Nord<br />

et Extrême-Nord, et peut-être aussi du Sud du<br />

Tchad. Le mot ferait son apparition entre les<br />

années 60 et 70. Ses promoteurs seraient soit la<br />

jeunesse des collèges et lycées de l'époque, soit les<br />

fonctionnaires Camerounais, originaires du Sud du<br />

pays et exerçant dans la région, ou des Tchadiens<br />

de la partie méridionale.<br />

Hypothèse des circonstances de son invention.<br />

De même que la jeunesse du Nord-Cameroun en<br />

général, et celle des Tupuri en particulier, était<br />

tenue à l'écart des boissons alcoolisées, les<br />

fonctionnaires originaires du Sud-Cameroun et<br />

majoritaires au Nord-Cameroun, à cette époque,<br />

l'étaient aussi par manque du développement des<br />

débits des boissons dites hygiéniques, car entre<br />

1968 et 1970, la ville de Maroua avait seulement<br />

deux débits de boissons : Bossou-Bar à Founangué<br />

près du marché central, et Akam-Bar à DOMAYO,<br />

près de l'Hôpital CNPS. Yagoua avait aussi deux<br />

débits de boissons - Bossou-Bar au marché et le<br />

Campement Kaélé un seul débit -. le Campement<br />

et Garoua un seul quartier, Yelwa.<br />

Par contre, cette période correspondait à un fort<br />

développement de la bière du mil dans certains<br />

quartiers de ces mêmes villes Pont et Domayo à<br />

Maroua, Soari à Yagoua, Roumdé-Adjia et Yelwa<br />

à Garoua et Kani à Kaélé. Pour se divertir, ces<br />

deux catégories des personnes, élèves et<br />

fonctionnaires étaient cependant obligées de


fréquenter les cabarets des boissons locales. Parmi<br />

elles, beaucoup ont pris goût à ces boissons, et en<br />

ont même exagéré les doses. Il en est résulté des<br />

malaises : violents maux de tête, diarrhées et<br />

vomissements, où la bière et la bile étaient rendues<br />

à la fois. Pour dire que l'on a vomi de la bière<br />

mélangée à la bile, on disait parfois ceci "j'ai<br />

bilibilisé ». Puis on disait aussi ceci, pour inviter<br />

un ami à cette bière locale, «allons bibibiliser ».<br />

Petit à petit, le mot a évolué et a pris le genre<br />

masculin, le bil comme pour ne pas le confondre<br />

avec la bile, liquide sécrété par le foie : le bili-bili a<br />

l'avantage d'être unificateur pour les nombreux<br />

groupes ethniques du Nord-Cameroun, et dont<br />

chacun a un nom pour le désigner. En voici<br />

quelques exemples:<br />

langue dénomination<br />

Tupuri Yii<br />

Mundang Yimi<br />

Massa Dolày<br />

Mofu, Guiziga Mbuzum, Vlaowa<br />

Koma Vumé<br />

Duupa Buma<br />

Fali Mbolo<br />

Mafa Zum<br />

Guidar Bia<br />

Sara Kido<br />

Fufuldé Mbal<br />

I. Evolution de la bière du mil du vin de<br />

sacrifice au produit "commercial".<br />

1.1. De la légende de l'origine de la bière du mil chez<br />

les Tupuri et différentes fêtes traditionnelles<br />

religieuses dans lesquelles elle entre.<br />

Une légende Tupuri, expliquant l'origine du Chef<br />

spirituel de la communauté, le Wang Dore, indique<br />

qu'un étranger d'origine Mundang, venant de Péfé<br />

(Pala) chassé par les siens, s'introduisit chez les<br />

Tupuri au niveau de la chefferie, la chefferie de<br />

Dore. Cet étranger, connaissant la technologie de<br />

la bière du mil, fut considéré comme un magicien 4<br />

, d'abord par- la chefferie elle-même, et plus tard<br />

par toute la communauté. A la mort du chef qui<br />

l'avait recueilli, on l'intronisa comme chef des<br />

Tupuri. Il enseigna à tous, la technologie de la<br />

bière du mil pour les sacrifices annuels et les<br />

funérailles. C'est donc l'homme qui le premier<br />

4 MENSALA, Fitouin Amoulsala (1986): le Pouvoir Spirituel de OUANG<br />

DORE sur le pays Toupouri au Tchad. (Université de Paris VIII, Mémoire de<br />

DEA, Département Anthropologie et Sociologie Critique)<br />

15<br />

maîtrisa la fabrication de la bière du mil. C'est<br />

donc au départ un produit masculin et consommé<br />

par les hommes, à l'occasion des fêtes religieuses.<br />

Quelques fêtes religieuses chez les Tupuri.<br />

Les Tupuri ont un ensemble de fêtes<br />

traditionnelles et religieuses et dont la bière du mil,<br />

appelée Yii, constitue un élément fondamental du<br />

cérémonial. Ces fêtes, par ordre chronologique,<br />

sont :<br />

• Féo kâgé. Féo est le mot en TupLiri pour<br />

désigner soit la lune, soit la fête (féo = lune,<br />

fête) kag, kagé signifie poulet, Féo-kagé est<br />

donc la fête des poulets ou le Nouvel An chez<br />

les Tupuri. Il a lieu tous les ans, au mois<br />

d'octobre, exceptionnellement en Novembre<br />

lorsque la saison pluvieuse se prolonge, comme<br />

c'est le cas en 1998 (la fête est intervenue le 18<br />

Novembre). C'est une fête au cours de laquelle<br />

beaucoup de poulets sont égorgés par le grand<br />

clan DORE. La bière du mil, Yii kage, est<br />

préparée à cet effet et abondamment<br />

consommée, surtout par les personnes âgées.<br />

Les jeunes sont aussi autorisés à en prendre,<br />

mais sans excès.<br />

• Féo Baâré. Féo Baàré a lieu deux mois après<br />

Féo kâgé. C'est la fête des Tupuri d'origine<br />

Massa et des forgerons (on peut dire aussi Féo<br />

Mu-nguri ; je mu-nguri = le forgeron). On la<br />

célèbre entre Décembre et Janvier.<br />

• Féo Kàa-ràv ou Féo mené. C'est la fête des<br />

esprits ou totems de deux principaux clans<br />

Tupuri .- Méné pour les Doré, Kaàraŋ pour les<br />

Goua. Elle a lieu tous les ans, entre Mars et<br />

Avril. Elle s'accompagne de la bière du mil.<br />

• Yii Bàah. Bàah est le mot en Tupuri pour<br />

désigner Dieu. A l'arrivée des premières pluies,<br />

les villages Tupuri choisissent des dates qui<br />

leur conviennent et préparent ce vin à Dieu.<br />

C'est un vin de remerciement. De gros béliers<br />

sont égorgés ce jour là. C'est le seul vin où les<br />

enfants sont publiquement autorisés à en<br />

consommer.<br />

A côté de ces quatre fêtes institutionnalisées, il<br />

y a une multitude de sacrifices traditionnels plus ou<br />

moins privés qui s'accompagnent d'une préparation<br />

de la bière du mil. On peut citer les exemples<br />

suivants : yii sooh (vin pour les esprits,<br />

généralement maléfiques) yii géré (vin pour le<br />

sacrifice des jumeaux) ; Yii Yoôh (vin pour réparer<br />

la souillure ou vin de purification) Yii huuli (vin<br />

pour les morts, les funérailles) Yii pay (vin pour


les travaux champêtres) Yii bàrgé (vin de l'amitié)<br />

etc...<br />

1.2. Du vin pour les travaux champêtres,<br />

l'entraide.<br />

Après le sacrifice, la bière du mil s'est révélée<br />

comme un excellent stimulant pour les travaux<br />

champêtres. Dans les zones rurales, la main<br />

d’œuvre salariale a toujours fait défaut. C'est plutôt<br />

l'entraide communautaire qui en est la forme la<br />

plus répandue. Auparavant, c'était un grand repas<br />

qui était préparé pour le groupe de jeunes qui<br />

venaient aider. Mais on s'est rendu compte que la<br />

nourriture ne permettait plus de travailler une fois<br />

le repas pris. Le champ défriché ne reflétant pas le<br />

repas offert. Au contraire, la bière du mil, une fois<br />

consommée, redonne vigueur aux travailleurs. lis<br />

labourent des vastes superficies sans éprouver la<br />

moindre fatigue. Petit à petit, la bière du mil s'est<br />

substituée à la plupart des formes d'entraide, le<br />

repas restant pour les jeunes et les groupes très<br />

restreints.<br />

1.3. Du produit d'amitié entre un homme marié<br />

ou non et une femme (Yii barge)<br />

Il a existé chez les Tupuri, (chez les Massa<br />

aussi) une forme d'amitié entre une femme mariée<br />

et un homme marié ou non, appelée Maàn né<br />

hoôlé. Mot à mot, cela veut dire : belle-mèrenourriture.<br />

C'est la belle-mère chez laquelle on n'a<br />

pas pris épouse, mais chez qui l'on peut manger<br />

(on verra plus loin que les beaux-parents ne<br />

mangent ni ensemble, ni chez l'un l'autre). Dans la<br />

pratique de cette amitié, l'homme aide la femme<br />

dans divers travaux champêtres, réparation des<br />

toitures, fabrication des nattes (higi). En retour, la<br />

femme lui présente de temps en temps un repas, lui<br />

vient en aide en lui donnant poulets ou chèvres<br />

lorsque ce dernier reçoit des visites inattendues.<br />

Les relations intimes (sexuelles) étaient interdites,<br />

de même que l'adultère était une faute très grave.<br />

Pour marquer cette grande amitié qui souvent, se<br />

terminait par le mariage des enfants (ou la fille de<br />

la femme et l'homme lui-même), la femme invitait<br />

au moins une fois l'homme, durant le temps de leur<br />

amitié, en préparant un grand vin. L'homme venait<br />

boire avec ses amis. Cette forme d'amitié a<br />

pratiquement disparu de nos jours, car elle a été à<br />

la base de beaucoup de cas d'adultère dans le<br />

processus de la "libération" de la femme.<br />

16<br />

Remarque importante.<br />

La préparation de la bière du mil, à cause de ses<br />

nombreuses opérations (qui seront étudiées plus<br />

loin) a été très tôt abandonnée par l'homme. C'est<br />

la femme qui se charge de tout, jusqu'au produit<br />

fini. Mais elle s'était jusque-là réservée et ne<br />

consommait pas la partie fermentée et alcoolisée,<br />

le màlinga. Elle se contentait du droob-ɓé, la partie<br />

lourde, non filtrée et non fermentée, très sucrée. La<br />

jeunesse, quant à elle, fortement, très encadrée par<br />

le Gurna, fuyait tout ce qui était alcool. Elle adorait<br />

le lait qui, en plus de sa valeur nutritive, était<br />

symbole de noblesse. D'ailleurs, les jeunes qui se<br />

laissaient tenter par le vin en dehors des fêtes<br />

autorisées, étaient sévèrement sanctionnés par le<br />

règlement du Gurna.<br />

1.4. Du produit de "commerce"<br />

La bière du mil comme produit du commerce<br />

est d'une grande actualité et son évolution est<br />

connue de la plupart des adultes Tupuri,<br />

d'aujourd'hui (45 ans et plus). Elle est étroitement<br />

liée à l'introduction de l'économie monétaire en<br />

pays Tupuri, elle-mêrne favorisée par le<br />

développement des cultures de rente, arachide et<br />

coton 5 . C'est aussi vers la même époque (1920-<br />

1940) que certains grands marchés hebdomadaires<br />

(ou luumo) se développèrent en pays Tupuri (le<br />

mot luumo est d'origine Peul) - Datchega Sud dans<br />

le canton de Doukoula (Mercredi) -, Touloum<br />

(Mardi) et Djiglao (Jeudi) dans le canton de<br />

Doubane.<br />

Les produits échangés dans ces marchés étaient<br />

du côté des populations gros et petits bétails,<br />

volailles et produits agricoles. Du côté des<br />

commerçants, c'étaient les produits manufacturés<br />

de première nécessité -. allumettes, sucre, savon,<br />

bonbons, chaussures, pagnes etc.... Les boissons<br />

vendues étaient l'eau et des sucreries à base d'eau,<br />

du citron, du sucre brûlé (caramel) et parfois du<br />

mil - ardef, kunu, et autres. En dehors de l'eau<br />

vendue par les jeunes filles Tupurii, les sucreries<br />

étaient vendues par les femmes Peuls. Mais petit à<br />

petit, la bière du mil va faire son apparition sur la<br />

place du marché. C'est en quelque sorte un second<br />

marché (luumo yii) à l'écart du marché central,<br />

sous de grands arbres très ombragés. Comment un<br />

produit essentiellement destiné aux sacrifices, est-il<br />

devenu un produit de vente ?<br />

5 C'est en 1928 que fut décrétée la culture obligatoire du coton ... au Tchad<br />

... avec l'obligation de payer l'impôt et les denrées européennes en argent<br />

liquide (OUSMANE GNAAKO) cité par Mensala, op. cit. P. 18.


Hypothèse de l'abandon du produit par<br />

l'homme et de son appropriation par la femme.<br />

Il existe encore au Cameroun de nombreuses<br />

sociétés dans lesquelles l'homme garde encore la<br />

maîtrise de la préparation de la bière du mil. C'est<br />

le cas chez les Koma du Mont Alantika (Faro), les<br />

Duupa des montagnes de Poli.<br />

Mais aussi, dans la plupart des sociétés, l'homme<br />

en a abandonné la fabrication et la femme s'en est<br />

approprié. C'est le cas chez les Tupuri et les<br />

Mundang.<br />

Comment l'homme abandonna t-il la<br />

fabrication de la bière du mil<br />

Il est permis de dire que l'homme abandonna la<br />

fabrication de la bière du mil à cause de ses<br />

multiples opérations. Ces opérations mobilisent<br />

temps et travaux très minutieux, très exigeants que<br />

seule la femme peut supporter.<br />

Première opération<br />

La première opération consiste en la mesure de<br />

la quantité du mil devant servir à préparer la<br />

quantité souhaitée du vin. Par exemple deux<br />

grandes jarres de terre cuite appelées caà-gé, bien<br />

remplies du vin soit l'équivalent d'environ 1.000<br />

litres nécessitent deux sacs de mil. Une fois le mil<br />

mesuré, il faut procéder au mouillage. Le<br />

mouillage a pour but de ramollir les grains et de<br />

faciliter la germination. Le lendemain, les grains<br />

gonflent et sont légèrement gluants , on dit ngribgi.<br />

Il faut maintenant les laver et bien les rincer.<br />

Puis on balaie un ou trois endroits, bien protégés<br />

des chèvres et poulets - on y étale les quantités<br />

pouvant faciliter une bonne germination, le tout est<br />

recouvert de la paille fine bien choisie, devant<br />

permettre à la fois un bon arrosage et une bonne<br />

respiration des grains. Le temps de la germination<br />

dure trois à quatre jours. Chaque soir, lorsque les<br />

bêtes sont dans leur enclos, la paille fine est<br />

enlevée pour permettre une pleine respiration des<br />

grains.<br />

Deuxième opération.<br />

Le mil en germination s'appelle poôré. Une fois<br />

germé, il est enlevé et étalé au soleil. Ce premier<br />

coup de soleil a une grande importance : le poôré<br />

est ramassé et mis dans les caàgé (aujourd'hui dans<br />

des sacs bien attachés) hermétiquement fermés.<br />

Cette action a Pour but de déclencher la<br />

fermentation du mil germé (põõré). La<br />

fermentation dure un à deux jours, le poôré est de<br />

17<br />

nouveau étalé au soleil pour un séchage définitif.<br />

Puis on attend le jour de la préparation du vin.<br />

Troisième opération<br />

Lorsque je jour de la préparation arrive, le<br />

põõré est légèrement écrasé par les femmes au levé<br />

du soleil. On dit hàrgè poôré. Puis vers 10 heures,<br />

elles puisent une grande quantité d'eau. La farine<br />

du põõré est mélangée à l'eau dans une ou deux<br />

caàgè. D'autres jarres appelées tùbuùlu, plus<br />

nombreuses (au moins 6), contenant chacune au<br />

moins 200 litres, sont apprêtées pour la cuisson.<br />

Elles sont disposées deux à deux sur une fosse<br />

creusée pour la circonstance, pour permettre de<br />

mettre le bois de chauffe, allumer le feu et<br />

permettre la circulation de l'air. Le põõré mis dans<br />

l'eau depuis la journée et fortement malaxé s'est<br />

décanté. La partie légère au-dessus, appelée dwîl<br />

ou duwil yii ne sera pas cuite. C'est la partie lourde<br />

au fond de la jarre appelée côoyîi qui subira une<br />

haute cuisson. Vers 17 heures, la première cuisson<br />

peut commencer. Elle durera entre 3 et 4 heures.<br />

Autrefois, c'était l'occasion d'une grande veillée,<br />

les hommes aux côtés des femmes pour contrôler<br />

les différentes températures de la cuisson, car la<br />

première cuisson détermine généralement la<br />

qualité qui sera bue au troisième jour.<br />

La première cuisson donne un produit appelé ker<br />

yii ce qui veut dire "la bouillie du vin". Le ker yii<br />

est versé sur le duwil yii. Le tout est laissé pour la<br />

nuit. Au petit matin, il faudra le goûter pour voir si<br />

la deuxième cuisson peut commencer. Le goût<br />

avant la deuxième cuisson doit être mi-acide, misucré.<br />

C'est un test très délicat, car c'est la langue<br />

qui détermine tout. Quand le goût convient à la<br />

langue, on dit que le. vin est "tombé" (yii lée wè).<br />

Deuxième cuisson. C'est l'opération inverse qui se<br />

produit c'est la partie légère qui est recueillie et<br />

envoyée à la cuisson. La partie lourde subira un<br />

rapide filtrage en y ajoutant de l'eau. Le tout sera<br />

fortement cuit, toujours sous l'oeil de l'homme.<br />

L'opération s'appelle "sàrgè yil" (sàrgè = bouillir).<br />

A la fin de la journée, il y aura trois produits<br />

séparés la partie cuite, rouge et sucrée, la drêche et<br />

une autre partie mi-l'eau, non cuite, provenant du<br />

filtrage et laissée aux enfants. C'est le GISIDGI,<br />

autour duquel s'agglutinent les enfants.<br />

La partie cuite a une couleur rouge vif. Elle est<br />

laissée pour refroidissement et autodécantation.<br />

Lorsque la décantation, pour une raison ou une<br />

autre, rate, on procède à un filtrage forcé, appelé<br />

haàgè yii (pressing). Reste la dernière opération, la<br />

fermentation.


Quatrième opération.<br />

La fermentation se compose de deux sous<br />

opérations la partie rouge-sang s'appelle bùr yii.<br />

Une quantité de 5 à 10 litres est prélevée dans le<br />

bùr yii.<br />

Elle est bien refroidie, puis mise dans une petite<br />

jarre appelée daŋ. Vers 18 heures, la levure de<br />

bière est mise dans le liquide. On dit : "Boge dé<br />

fôorè né yii". Autrefois, cette opération était<br />

entourée de beaucoup de mythe. Par exemple, la<br />

femme devait avoir un bon cache-sexe pour ne pas<br />

souiller la boisson ; ou encore, elle devait s'en<br />

éloigner au moment de l'opération.<br />

Lorsque le contenu de la gargoulette (dàŋ) est<br />

bien fermentée, il est versé dans le reste, bien<br />

refroidi et mis dans le càagè (la grande jarre) Une<br />

partie de bùr ɓé peut être gardée et subir une<br />

fermentation le lendemain. La grande fermentation<br />

se passe vers 4 heures du matin. Au petit matin, on<br />

a deux produit : le màlingà ou la partie filtrée et<br />

fermentée, et le droob-yii ou la partie bouillie,<br />

couleur chocolat qui, autrefois, était consommée<br />

par les femmes et les enfants.<br />

De la décision de la préparation du vin au<br />

produit fini, prêt à être consommé, c'est une<br />

mobilisation d'au moins 1 0 jours de travail<br />

minutieux et soutenu. Dans ce travail, il faut aussi<br />

inclure la recherche du bois de chauffe pour la<br />

cuisson. Ce travail était aussi réservé à l'homme. Il<br />

se faisait aider par la femme. Petit à petit, la femme<br />

s'impliqua et s'appliqua davantage que l'homme<br />

dans la fabrication du produit. Pour finir, l'homme<br />

se désengagea et lui laissa toute la responsabilité<br />

de la préparation du vin, sauf le partage et la<br />

consommation.<br />

L'appropriation du produit par la femme.<br />

Au début des années 50, la culture cotonnière se<br />

généralise, l'usine dégraissage du coton de la<br />

CFDT est construite à Kaélé. L'argent commence à<br />

circuler dans le pays Tupuri du Tchad et du<br />

Cameroun. Au Tchad précisément, l'argent circule<br />

d'autant plus que les militaires Tupuri, ayant servi<br />

dans l'armée Française pendant la deuxième<br />

Guerre Mondiale (1939-1945) prennent leur<br />

retraite. Le « Commandement » du pays Tupuri du<br />

Tchad leur est confié, afin qu'ils y propagent<br />

partout la « modernité » - interdiction aux jeunes<br />

filles de ne plus percer les lèvres qui enlaidissent<br />

les femmes les femmes doivent abandonner leur<br />

cache-sexe en file de coton assemblé et les<br />

hommes leur peau de cabris, au profit du tissu<br />

européen. En mot, il est interdit de marcher «nu».<br />

18<br />

Le développement de la Culture cotonnière<br />

s'accélère. L'intégration régionale (Sud du Tchad et<br />

Nord-Cameroun) s'intensifie et s'accompagne de<br />

nouvelles moeurs et de nouveaux besoins.<br />

Les femmes ayant évolué dans les centres<br />

urbains, : Maroua, Fianga, Moundou, Kaélé,<br />

excellent vecteur des modes, introduisent des<br />

nouvelles habitudes de vie dans le monde rural,<br />

généralement en violation des lois et de la morale<br />

traditionnelles : la fabrication de la bière du mil à<br />

de fin commerciale, la consommation des boissons<br />

alcoolisées en général et enfin, la prostitution.<br />

Elles sont encouragées dans leurs actions par des<br />

hommes ayant aussi vécu «ailleurs» en ville, et<br />

maintenant fixés au village. Ces hommes<br />

détiennent un pouvoir financier (retraité) ou<br />

politique (membre de la chefferie), ou jouissant<br />

tout simplement d'un prestige social (ancien<br />

militaire, ancien artiste, etc...<br />

C'est donc la femme «évoluée» qui s'est<br />

approprié la bière du mil pour faire un produit<br />

commercial, et qui a commencé à en consommer<br />

elle-même. C'est enfin la femme «évoluée» qui audelà<br />

de la bière, a progressivement introduit dans<br />

le pays Tupuri le phénomène de la prostitution,<br />

masquée par le « commerce » de bili-bili. Le mot<br />

bili-bili, invention des cabarets, donc de la ville,<br />

vint enrichir le vocabulaire du Yii et de màlinga<br />

tupuri et devint dominant.<br />

1.5.Les premiers grands centres du bili-bili en<br />

pays Tupuri<br />

Djiglao, Touloum, Datchega-Sud désormais<br />

Doukoula Centre sont incontestablement les<br />

premiers grands centres du développement du bilibili<br />

en pays Tupuri. C'est aussi dans ces centres<br />

que naissent et se propagent les idées nouvelles de<br />

la « modernité ». Les premières brasseuses<br />

commerçantes, ex-épouses des militaires (terme<br />

désignant tous les hommes en tenue), deviennent<br />

très vite minoritaires, et sont vite déclassées par<br />

des villageoises entreprenantes et aussi belles et<br />

attractives que celles ayant « fait leur stage au Sud-<br />

Cameroun », exemple de la modernité. Cette<br />

catégorie est apparue en trois groupes.<br />

• Les femmes avant une ou plusieurs jeunes<br />

filles à marier.<br />

Dans la tradition Tupuri, les relations entre<br />

garçons et filles sont autorisées, malgré le côté<br />

moral très surveillé. Cela veut dire que garçons et<br />

filles pouvaient vivre ensemble sans ou très peu de<br />

relations sexuelles. (nao may ou nàge may, cf. I -


KOULANDI ; le Mariage chez les Tupuri). En<br />

réussir y en dehors des normes établies était<br />

considéré comme de véritables prouesses surtout<br />

pour le garçon. Ainsi, une fille de 16 ans pouvait<br />

avoir un ou plusieurs amis (ndérè, plur. de nday),<br />

sans que cela crée des préjudices moraux. Le<br />

marché étant devenu le lieu des rencontres entre<br />

ces jeunes, les mères des jeunes filles se sont donc<br />

mises à brasser du vin pour un double objectif -.<br />

bien recevoir leurs nombreux beaux-fils qui<br />

inondent leurs concessions le jour du marché local,<br />

en offrant gratuitement une partie du vin,et aussi,<br />

emmener ces jeunes garçons à faire des recettes en<br />

achetant le reste du vin. Leur bili-bili était appelé<br />

yii màn maïré (le vin de mère de fille), ou yii màn<br />

ndèré (vin des beaux fils).<br />

• Les femmes n'avant pas eu d'enfants<br />

Dans la tradition, ces femmes étaient pitoyables<br />

parce que n'ayant pas eu des progénitures pour les<br />

délivrer des travaux agricoles et non agricoles.<br />

Pour combler ce manque, elles pouvaient lier<br />

d'amitié avec de jeunes garçons, voire avec des<br />

adultes mariés comme on a vu au précédent<br />

paragraphe, les deux parties échangeaient des<br />

services et des biens (le garçon les services et la<br />

femme les biens). Au moment où la bière du mil<br />

devint un produit commercial, elle est du même<br />

coup devenue un produit de réception et de relation<br />

sociales. Ces femmes se sont mises à en brasser<br />

pour recevoir leurs amis, ce que nous avons appelé<br />

Yii bàrgè.<br />

• Des jeunes femmes tendance adultère.<br />

Cette dernière catégorie des femmes est celles<br />

dont les époux sont doux, moins brutaux et très<br />

tolérants. Elles ont vite fait de profiter de<br />

l'ouverture née du commerce de bili-bili pour<br />

s'exprimer pleinement. Pour elles, le commerce de<br />

bili-bili permet de créer davantage de relations,<br />

davantage des contacts, d'ouverture...<br />

Les leçons que l'on peut tirer de ce premier<br />

chapitre sont les suivantes:<br />

• les premiers vulgarisateurs du commerce de<br />

bili-bili étaient des jeunes gens, alors que la<br />

jeunesse traditionnelle dans son ensemble fuyait<br />

l'alcool, étant fortement encadrée par<br />

l'institution traditionnelle du Gurna.<br />

• C'étaient des jeunes gens (hommes et femmes)<br />

ayant connu une rupture volontaire ou non avec<br />

la société de base pour cause de voyage<br />

prolongé - service militaire, ouvrier agricole<br />

dans les plantations industrielles du Sud-<br />

19<br />

Cameroun, séjour sans but dans les centres<br />

urbains.<br />

• C'étaient enfin des jeunes gens (hommes)<br />

possédant un pouvoir d'argent, ou un semblant<br />

de pouvoir d'argent.<br />

• C'est en quelque sorte le début du pouvoir de la<br />

jeunesse dans la communauté qui,<br />

malheureusement, se sert d'un produit de<br />

déperdition physique, morale et psychologique.<br />

II - Développement spectaculaire du phénomène<br />

bili-bili.<br />

Trois éléments de la modernité ont<br />

fortement contribué au développement<br />

spectaculaire du phénomène bili-bili. Il s'agit - de<br />

la culture cotonnière, du développement de la<br />

scolarisation et de la naissance d'un salariat<br />

permanent en pays Tupuri.<br />

2.1. Le développement de la culture cotonnière.<br />

Entre 1954 et 1974, la culture cotonnière<br />

connaît un grand développement en pays Tupuri.<br />

Elle s'accompagne d'un déboisement rapide du<br />

pays et de la dégradation de l'environnement. Les<br />

marchés du coton se créent partout dans les gros<br />

villages ou grands secteurs de productions, entre<br />

les mois de Décembre et Mars. C'est aussi la<br />

période de grands chaleurs. Auparavant, les jeunes<br />

filles suivaient ces marchés pour y vendre de l'eau,<br />

et autres boissons locales non alcoolisées. C'est à<br />

ce moment que certaines femmes parmi les<br />

premières brasseuses eurent l'idée d'y vendre aussi<br />

le bili-bili. Le succès fut tel que beaucoup de<br />

femmes, implicitement ou explicitement furent<br />

autorisées par leurs maris, à préparer le bili-bili<br />

durant la campagne de commercialisation du<br />

coton.<br />

• Evolution des brasseuses.<br />

Plus haut, nous avons vu que les premières<br />

brasseuses étaient des « évoluées», divorcées et<br />

installées comme prostituées. Les femmes mariées<br />

se mirent elles aussi à brasser du bili-bili. Au<br />

départ, c'était des femmes ayant moins de charges<br />

familiales (sans enfants ou pas d'enfants mineurs)<br />

ou ayant des filles à marier. Comme la prostitution<br />

s'est masquée dès le départ derrière le phénomène<br />

bili-bili, ces femmes étaient soupçonnées à tort ou<br />

à raison d'avoir une tendance à l'adultère jusque-là<br />

sévèrement sanctionné chez les Tupuri. De plus,<br />

elles ne manquaient pas de charme et rivalisaient<br />

avec les évoluées. Enfin, on doit noter le fait que<br />

l'argent provenant de la vente du coton


commençait à circuler durablement dans le pays.<br />

De jeunes gens ayant gagné beaucoup d'argent sont<br />

allées rejoindre la clientèle du bili-bili, en violation<br />

flagrante des règlements du Gurna et en accédant<br />

du même coup au produit encore rare en pays<br />

Tupuri, le sexe. C'est aussi le début de la naissance<br />

d'un certain pouvoir d'argent chez les Tupuri.<br />

2.2. Le développement de la scolarisation.<br />

Les premières écoles sont créées en pays Tupuri en<br />

1950-1954 (Doukoula et Touloum). Au départ, la<br />

résistance à l'école des blancs était forte, d'autant<br />

plus que la jeunesse était elle aussi fortement<br />

encadrée dans deux institutions, le Lébé ou Goni,<br />

initiation intervenant tous les 10 ans et le Gurna,<br />

institution semi-permanente, recrutant les jeunes de<br />

18 ans et plus. Lorsque dès 1959, le recrutement<br />

dans le service militaire est conditionné par la<br />

possession du certificat d'études primaires<br />

élémentaires, et connaissant l'engouement des<br />

Tupuri pour le service militaire, une partie de la<br />

jeunesse bascule dans les écoles. Dix ans plus tard<br />

le simple désir de l'uniforme militaire est<br />

largement dépassé. Collèges et Lycées ouvrent<br />

leurs portes au Nord-Cameroun et la jeunesse voit<br />

de nouvelles perspectives à moyen et long termes.<br />

Seulement le bili-bili fait aussi des « progrès »<br />

remarquables dans le recrutement de nouveaux<br />

consommateurs, et plus particulièrement parmi la<br />

jeunesse :<br />

• La jeunesse rurale.<br />

Elle est de plus en plus scolarisée. Les<br />

déperditions scolaires et. l'insuffisance des écoles<br />

débouchent sur une autre école, celle de bili-bili.<br />

• La jeunesse scolarisée.<br />

Elle ne trouve plus le Gurna comme le seul centre<br />

traditionnel d'éducation et des loisirs, mais les<br />

marchés hebdomadaires, de plus en plus fréquentés<br />

par les jeunes femmes et même les jeunes filles,<br />

vendeuses de bili-bili. En effet, le Gurna connaît<br />

aussi sa première crise au fur et à mesure que la<br />

scolarisation s'accélère. Même les jeunes qui y<br />

vont après leur échec scolaire n'y ont plus ni la foi,<br />

ni la conviction ; au Gurna même, les partisans<br />

acharnés et, authentique les suspectent d'introduire<br />

des comportements scolaires (indisciplines) dans<br />

l'institution. Quant au Lébé, il n'a plus<br />

correctement fonctionné après la 10e promotion, la<br />

promotion DEBSIA (DEBSIKREO) qui a eu lieu<br />

en 1955. 1965 qui devrait connaître la 11e<br />

promotion n'a pas eu lieu. Il a fallu attendre 1975,<br />

20<br />

où , sous l'impulsion d'un mouvement<br />

d'authenticité africaine né au Tchad avec l'appui de<br />

l'ancien Président NGARTA TOMBOLBAYE, la<br />

11e promotion dite DOLE DISDANDI (forcée) se<br />

déroula sous la répression du Gouvernement<br />

Camerounais. En 1985 et 1995, personne n'en a<br />

plus parlé en pays Tupuri.<br />

• Enfin la jeunesse des collèges et Lycées a<br />

brusquement augmenté à partir de 1970 et jusqu'à<br />

nos jours.<br />

Pendant les grandes vacances, elle rentre et<br />

anime à sa manière les gros villages. Certaines<br />

danses traditionnelle comme le Dilna (la guitare)<br />

sont captées et « modernisées ». Forte de son<br />

pouvoir intellectuel, elle va populariser la<br />

consommation du bili-bili, et déplacer<br />

définitivement le centre traditionnel des loisirs, le<br />

GURNA, vers les marchés devenus les nouveaux<br />

centres. Désormais les rencontres jeunes filles et<br />

jeunes garçons se font davantage au marché et<br />

autour du bili-bili, accompagné du arki son second.<br />

2.3. Naissance d'un salariat permanent en pays<br />

Tupuri.<br />

Depuis 1975, les enseignants des écoles<br />

primaires sont le premier groupe important des<br />

salariés permanents, et sont estimés à 75 % fils du<br />

terroir. Ils déclassent ainsi les retraités qui, pendant<br />

longtemps, sont restés les principaux animateurs de<br />

nos villages. Viennent ensuite agents et<br />

fonctionnaires, issus des services classiques de<br />

l'Etat chargés du développement rural : santé,<br />

agriculture, élevage, SODECOTON. Enfin, les<br />

ONG forment le dernier groupe, sans oublier un<br />

embryon d'un commerce local ( les Tupuri restent<br />

les plus inaptes au commerce parmi les ethnies du<br />

Nord-Cameroun).<br />

Ce que l'on peut retenir de cette deuxième partie<br />

est que l'argent circule effectivement en pays<br />

Tupuri, depuis quatre décennies. Cela correspond<br />

aussi à l'âge du bili-bili et du arki comme boissons<br />

locales alcoolisées du commerce. Seulement, la<br />

question que tous les Tupuri de bonne foi se posent<br />

aujourd'hui est de savoir si ces boissons ont pu<br />

capter et canaliser cet argent qui circule et en faire<br />

une épargne locale, ou même individuel.<br />

Autrement dit, peut-on les considérer<br />

objectivement comme des produits économiques,<br />

ou alors, sont-elles restées des boissons d'évasion<br />

psychologique aussi bien pour les brasseuses que<br />

pour les consommateurs ?


III. Analyse des problèmes nés du développement<br />

du bili-bili et du arki en Pays Tupuri.<br />

Le développement du bili-bili et du arki ont créé de<br />

nombreux problèmes en pays Tupuri, difficilement<br />

maîtrisables de nos jours la multiplication des<br />

marchés de bili-bili et du arki, de leur « commerce<br />

à domicile, de l'intention commercial à un produit<br />

de toutes les réceptions sociales, de l'augmentation<br />

de la malnutrition posant du même coup un<br />

problème de santé publique, du développement, de<br />

la sorcellerie (sà à), du sous-emploi du temps rural,<br />

de la dégradation de l'environnement due à la<br />

coupe du bois de chauffe...<br />

3.1. La multiplication des marchés de blil-blli.<br />

• Les marchés régionaux.<br />

Par marchés régionaux, il faut entendre ceux<br />

qui étaient hors et dans le pays Tupuri où ils<br />

échangeaient leurs produits. Ce sont les marchés de<br />

Bogo où ils achetaient bœufs et petits bétails de<br />

race Peul, Guldiguis et Doumrou (le Lundi) où ils<br />

achetaient boeufs et produits manufacturés.<br />

Touloum (Mardi) pour le petit bétail,<br />

DOUKOULA (Mercredi) petit bétail, DJIGLAO<br />

(Jeudi) gros et petit bétail, et MOULVOUDAYE<br />

(vendredi) pour le gros et petit bétail. Si Bogo reste<br />

encore hors du pays Tupuri, Guidiguis, Doumrou<br />

et Mouloudaye sont aujourd'hui au coeur du monde<br />

Tupuri.<br />

• Les marchés cantonaux (avant 1960).<br />

La plupart des cantons Tupuri du Cameroun<br />

avaient peu de marchés avant 1960. Pour tous les 6<br />

cantons, il y avait au total 12 marchés dont 4 dans<br />

le canton de Touloum, 2 pour celui de Doubané, 3<br />

pour Bizili, 4 pour Doukoula, 1 pour Tchatibali et<br />

1 pour Golonguini.<br />

Marché de<br />

Canton de Touloum<br />

Jour du marché<br />

Touloum-Biséo,<br />

centre en 1965 (?)<br />

transféré au (Mardi)<br />

Djernigé (Mercredi)<br />

Saotsay (Vendredi)<br />

Kofîdé (Dimanche)<br />

Canton de Doubané<br />

Marché de Jour du marché<br />

Djiglao (Jeudi)<br />

Dongrossé ou Balané (Vendredi)<br />

Canton de Bizili<br />

Marché de Jour du marché<br />

Kaoya (Samedi)<br />

Dana (Mercredi)<br />

21<br />

Nenbakri Faléfouli (Dimanche)<br />

Marché de<br />

Canton de Doukoula<br />

jour du marché<br />

Datchéga-Sud transféré à (Mercredi)<br />

Doukoula-Centre en 1958 ou<br />

1959<br />

Mogom (jeudi)<br />

Souaye ou Zouaye (Vendredi)<br />

Ourlarego (Mardi)<br />

Canton de Tchatibali<br />

Marché de jour du marché<br />

Saoringwa (Dimanche)<br />

Canton de Golonguini<br />

Marché de jour du marché<br />

Golonguini-Centre (Dimanche, mort et remplacé<br />

par le Samedi)<br />

• les marchés cantonaux en pays Tupuri du<br />

Cameroun en 1999.<br />

Il sont très nombreux. Chaque jour de la<br />

semaine en compte un ou plusieurs par canton. Les<br />

produits échangés dans ces marchés, à l'exception<br />

de ceux connus pour leur importance régionale<br />

(Doukoula, Zouaye, Djiglao, Touloum, Guidiguis)<br />

sont, par ordre d'importance - le bili-bili et le àrgè,<br />

les produits manufacturés de première nécessité<br />

(savon, allumettes, sel), le mil, les légumes, le petit<br />

bétail et la volaille. pour montrer la multiplicité de<br />

ces marchés, nous prendrons l'exemple de trois<br />

cantons : Touloum, Boubané et Biziii.<br />

Canton de Touloum<br />

Les 7 Jours de Villages dans lesquels se trouvent les marchés<br />

la semaine<br />

Lundi Sigéoré, Dandébale<br />

Mardi Touloum-Centre, Lalépaagé, Kaya<br />

Mercredi Salmaye Faléklara, Nenbakri, Dandéwa<br />

Jeudi Fadéré (Toktidin), Gooh<br />

Vendredi Saotsay, Ndéré, Golongréo<br />

Samedi Rouvyané,<br />

Dimanche Kofidé, Biséo, Golondag-gri, Saotsay<br />

Total: 18 marchés en 1999 contre 4 avant 1960<br />

Ce tableau ne prétend pas avoir tout recensé. Il<br />

reste certainement d'autres petits marchés. Au<br />

total, le canton compte 18 marchés en 1999, contre<br />

4 seulement avant 1960.<br />

Canton de Doubané<br />

Les 7 Jours de la semaine Villages dans lesquels se<br />

trouvent les marchés<br />

Lundi Glonday (à Salmaye Doubané),<br />

Barlang<br />

Mardi Wer Tchouri (quartier Doubané-<br />

Centre)<br />

Mercredi Doubané-Centre, Maïmaanak<br />

Jeudi Waïba (Salmaye-Doubané,<br />

Djiglao, Paàde...


Vendredi Banané (Dongrossé),<br />

Tchouwaibé<br />

Samedi Glongdéré (dit Gloumga)<br />

Dimanche Ngorhoh, Werbaqe<br />

Total : 13 marchés en 1999 contre 2 avant 1960<br />

Les 7 jours de la<br />

Canton de Bizili<br />

Villages dans lesquels se trouvent les<br />

semaine<br />

marchés<br />

Lundi Kdam ou Kanam et Liudé<br />

Mardi Bihooré ou Bitu et Titenéo Lolandi<br />

Mercredi Dana, Laï, Bardugi , Géglégè<br />

Jeudi Dargala, Tchiura, Kambragè<br />

Vendredi Bizili Baba<br />

Samedi Kaoya<br />

Dimanche Nenbakri Faléfouli, Kabla<br />

Total: 14 marchés en 1999 au lieu de 3 avant 1960<br />

3.2. Un commerce de la place publique au<br />

domicile privé.<br />

Au commencement, le bili-bili se vendait au<br />

marché, sur la place publique. Les vendeuses<br />

choisissaient un grand arbre ombragé à l'écart du<br />

principal marché. Elles déposaient les grandes jarres<br />

pleines sur le sol, coupaient les feuilles tendres des<br />

arbustes sur lesquelles elles s'asseyaient. Les clients<br />

eux aussi s'asseyaient à même le sol, sur les feuilles<br />

tendres des arbustes, en cercle autour de la jarre<br />

achetée. Les personnes âgées s'étaient vite associées<br />

aux premiers clients considérés comme délinquants<br />

sociaux.<br />

Vers les années 60, une nouvelle catégorie des<br />

clients apparaît. Cette catégorie ne manque aucun<br />

marché hebdomadaire parce que devenu un lieu des<br />

rendez-vous. Tout en prisant le bili-bili, elle feint de<br />

ne pas s'exposer sur la place publique. Elle ne veut<br />

plus s'asseoir à même le sol, à cause d'un habillement<br />

qui ne s'y prête plus : pantalons et chemises serrés,<br />

chaussures fermées, chemises cintrées, ou gandouras<br />

etc... Ce sont des fonctionnaires (enseignants,<br />

agriculteurs, éleveurs, SODECOTON), des retraités<br />

encore jeunes et enfin des collégiens vacanciers qui,<br />

n'étant plus canalisés ni dans le Gurna, ni dans<br />

l'Eglise, se tournent vers les marchés. Pendant trois<br />

mois de vacances, cette jeunesse vit intensément.<br />

Le jour d'un marché hebdomadaire est toujours<br />

considéré comme un jour de fête. Le jeune vacancier<br />

ou le fonctionnaire fait sa toilette. Au moment ou le<br />

marché bat son plein (11 h - 12 h), il s'y porte<br />

élégamment, y fait un tour, s'assure que tout le<br />

marché l'a regardé et puis ressort du marché. Il va<br />

ensuite rendre visite à un ami local, et du même coup<br />

se constitue en visite , en « étranger ». L'ami local,<br />

très ému, s'évertue à l'installer ; toute la famille,<br />

femmes et jeunes filles, s'agitent car elles sont<br />

22<br />

honorées d'une visite très « importante ». La seule<br />

poule de la maison en train de couver est égorgée et<br />

déplumée en hâte pendant que une s'active à la<br />

cuisine, des jeunes filles ou femmes du quartier sont<br />

mobilisées pour aller au marché de bili-bili, goûter le<br />

meilleur vin. Puis des mots de passe sont donnés à la<br />

brasseuse du meilleur vin pour qu'elle s'amène avec<br />

son produit. Une heure après, le repas est apprêté. Le<br />

visiteur non-désiré mange gloutonnement, en<br />

violation des mœurs traditionnelles qui stipulent<br />

qu'un étranger doit avoir une conduite très sobre<br />

devant la nourriture. Aucun morceau du poulet élevé<br />

avec patience n'est laissé ni à son ami, ni même à la<br />

femme qui a fait la cuisine sous le soleil. puis il<br />

s'installe de nouveau devant le bili-bili. Vers 17<br />

heures, le domicile se transforme en un mini-marché.<br />

poursuivant d'autres buts autres que le bili-bili, notre<br />

visiteur n'est pas du tout pressé de partir. Il faudra<br />

trouver un prétexte pour le faire partir, ou partir soimême<br />

et lui laisser la maison. La brasseuse, qui n'est<br />

pas forcément du quartier, ni même du village, elle,<br />

attend toujours le paiement et la libération de sa jarre,<br />

observant avec anxiété le soleil qui tombe à l'Ouest.<br />

Elle est dans un dilemme : Attendre (sans certitude)<br />

son argent et encourir la colère de son mari, ou partir<br />

sans sa jarre avec aucun espoir de le récupérer un<br />

jour. Petit à petit, les brasseuses ont cessé de<br />

transporter leur produit sur la place du marché,<br />

puisque certains clients vont les obliger à le ramener<br />

à la maison.<br />

Remarque :<br />

Les nouveaux maires du pays Tupuri, élus et<br />

installés en 1996/1997 ont engagé une action<br />

vigoureuse pour ramener le bili-bili sur la place du<br />

marché, afin de pouvoir percevoir les taxes.<br />

L'expérience est en cours.<br />

3.3.De l'intention commerciale à un produit de<br />

toutes les réceptions sociales.<br />

Le bili-bili est donc devenu et très rapidement un<br />

produit de toutes les réceptions sociales, remplaçant<br />

du même coup la bonne nourriture au poulet, à la<br />

chèvre et surtout au lait.<br />

• Réceptions entre beaux-parents.<br />

Chez les Tupuri, les beaux-parents ne mangent ni à la<br />

« même table » (ensemble), ni dans les domiciles des<br />

uns des autres. Autrefois, quand un beau-fils visitait<br />

ses beaux-parents, il était reçu à deux endroits<br />

différents -. d'abord dans la belle-famille, ensuite<br />

chez le JETAOGI (le témoin, l'intermédiaire du<br />

mariage). Là un copieux repas lui était offert.<br />

De nos jours, cette bonne manière a été<br />

abandonnée. Parier du repas est archaïque. Au


contraire, il faut s'empresser chacun de son côté,<br />

d'offrir à l'assistance les grandes jarres de bili-bili<br />

appelées DJIGLAO, parce que c'est dans ce gros<br />

village que se sont développées ces nouvelles<br />

habitudes.<br />

Pour montrer l'importance de la réception, il faut «<br />

tuer » la journée entière autour de ces jarres. Les<br />

commandes sont régulièrement renouvelées. Dès<br />

qu'une jarre est vide, il faut tout de suite la remplacer<br />

par une autre toujours plus grande avec un meilleur<br />

vin. Parfois, on ignore l'identité de ceux qui<br />

renouvellent les commandes. Les uns se réclament<br />

proches du beau-fils, les autres proches du beau-père,<br />

de la belle-mère, ou même d'un tout autre lien proche<br />

ou éloigné de ces derniers La journée s'écoule dans<br />

l'insouciance totale.<br />

• Visite d'amitié.<br />

Autrefois, une visite d'amitié était longuement<br />

préparée. Le visiteur était entouré d'une affection<br />

particulière Cette affection apparaissait dans la<br />

qualité du repas : lait, poulet, ou poissons pour les<br />

gens du fleuve En tout cas le plus bel animal de la<br />

maison lui était destiné (bouc castré, canard, coq)<br />

Aujourd'hui, l'ami visiteur a à peine le temps de<br />

s'asseoir Les salutations échangées se font parfois<br />

avec l'alcool Le repas est oublié et programmé à la<br />

fin de la visite Evidemment, le visiteur n'a plus ni<br />

goût, ni appétit. Il est parfois malade, violemment<br />

secoué, par les doses insurgées d'alcool la veille.<br />

• Deuils, visites de condoléances.<br />

Autrefois, le processus d'un enterrement étaient<br />

subdivisés en deux grands parties - dès la matinée,<br />

les femmes étaient chargées de puiser une grande<br />

quantité d'eau pour les foules qui convergeaient dès 8<br />

heures au domicile du défunt, et les hommes<br />

s'attaquaient au creusement de la tombe et autres rites<br />

funèbres.<br />

Aujourd'hui, les femmes gardent le même rôle de<br />

même que les hommes, mais c'est le bili-bili qui<br />

remplace l'eau. Tout le bili-bili environnant est<br />

collecté, mais au frais de la personne endeuillée et<br />

parfois sans son avis. Au moment où le cadavre<br />

rentre sous terre, tout le monde est presque sous, cela<br />

dénature la mort...<br />

Après l'enterrement et durant 6 à 12 mois, les<br />

visites de condoléances se succèdent, programmées<br />

exclusivement le jour du marché local. A chacun des<br />

visiteurs, ils faut offrir du bili-bili. Bien que les<br />

visiteurs ne viennent pas tous les mains vides ; ceux<br />

qui amènent quelque chose le reprennent aussitôt,<br />

converti en bili-bili.<br />

23<br />

3.4. Sous emploi du temps6 et malnutrition.<br />

Si le bili-bili, crée un gros volume de travail<br />

souvent non rentable pour la brasseuse, il crée un<br />

sous-emploi du temps pour l'ensemble de la<br />

population consommatrice.<br />

La consommation du bili-bili crée un véritable<br />

sous emploi du temps. Le jour d'un marché local est<br />

considéré par la plupart des consommateurs (trices)<br />

comme un jour de fête. Dès 8 heures du matin, les<br />

spécialistes du bili-bili font le tour du village pour<br />

goûter presque tous les vins préparés. Cette<br />

promenade est accompagnée d'une publicité gratuite,<br />

canalisant au fur et à mesure, les nombreux<br />

demandeurs du bon bili-bili qui convergent vers le<br />

marché. De 12 h à 13 h, le marché de bili-bili<br />

s'installe. Un brouhaha monte de la place des<br />

ca<strong>user</strong>ies plates, des discussions sans sujets, des<br />

interpellations à tue-tête, se développent autour des<br />

jarres toujours pleines. La journée passe, l'après-midi<br />

surprend tout le monde, assis à même le sol, les yeux<br />

imbibés d'alcool, la bouche bavant de salive et de<br />

débris de cola rouge. La soirée se poursuivra dans les<br />

domiciles, des brasseuses. Là, nourriture, bétail et<br />

autres biens de la maison sont relégués au second<br />

plan. Les enfants sont priés de se débrouiller euxmêmes,<br />

s'ils veulent manger. Pour beaucoup de<br />

consommateurs et consommatrices, la journée se<br />

terminera dans l'inconscience totale et le lendemain<br />

difficile à démarrer. Comme chaque jour est un jour<br />

d'un ou plusieurs marchés de bili-bili, la sensation de<br />

récupération physique se fera de nouveau devant le<br />

bili-bili.<br />

3.5. De la santé publique et du développement de<br />

la sorcellerie.<br />

Nous avons évoqué plus haut que le<br />

développement des alcools a entraîné un grave<br />

problème de malnutrition dans la communauté. Or,<br />

l'on sait aujourd'hui que la malnutrition est le premier<br />

facteur des maladies aussi bien des enfants que des<br />

adultes. En 1993, nous écrivons ceci -. « la<br />

consommation de l'arki donne les effets suivants :<br />

refus de la nourriture, troubles nerveux, grande<br />

consommation d'eau et sensation des poumons qui<br />

brûlent. Au bout de cinq années de consommation<br />

excessive, on atteint une phase critique. Cinq autres<br />

années encore sans modération conduisent<br />

inéluctablement à la mort « (J.K. op. cit p. 440). En<br />

1999, ce constat reste malheureusement vrai.<br />

Certains diront qu'il a même empiré. Ne dit-on pas<br />

qu'un esprit saint ne peut se trouver que dans un<br />

corps saint ? C'est pour cela qu'en pays Tupuri, les<br />

6 Problème déjà souligné par Guillard(1955-1957) et repris par nous-mêmes<br />

en 1993 in« Bien manger et bien vivre » Anthropologie Alimentaire (pp. 433<br />

- 442)


troubles nerveux sont de plus en plus fréquents, tels<br />

le hoina, le sèonà, le sooh, le sàà...<br />

Le phénomène de sàa est le plus préoccupant<br />

parce qu'il est la somme de plusieurs manifestations<br />

de sorcelleries. Durant les trente dernières années, il<br />

a pris des proportions inquiétantes dans tout le pays<br />

Tupuri, voire dans la diaspora des zones rurales<br />

(Maga, Vallée de la Bénoué) et des centres urbains :<br />

Yagoua, Maroua, Garoua, Yaoundé et Douala.<br />

Seulement, personne ne sait exactement ce que c'est,<br />

et d'où il vient. Dans les pages qui suivent nous<br />

tentons une description de ses manifestations.<br />

Des sources concordantes, le saà viendrait du pays<br />

Mundang du Tchad (Léré, Pala). En Mundang, le<br />

mot sàh veut dire cendre. En Tupuri, cendre veut dire<br />

sàagé. La magie du sàà serait-elle le pouvoir de<br />

rendre une personne en cendres ? ou tout simplement<br />

invisible ? C'est un autre sujet d'investigation. Le<br />

principe de sàà reste le rêve. Une personne peut rêver<br />

qu'elle est chez x autre personne, qu'elle est battue<br />

par cette personne ou qu'elle est dans son champs<br />

etc...<br />

Le saà apparaît donc dans la société Tupuri vers<br />

les années 50, en provenance du pays Kéra, Musei et<br />

Mundang du Tchad, sur les rives gauches du Mayo-<br />

Kébi. En pays Tupuri du Cameroun, il a suivi<br />

plusieurs évolutions. Au début, le sàa était le pouvoir<br />

mystique par lequel un homme possédant le sàà, (jé<br />

saà) prenait l'âme de la récolte d'une autre personne.<br />

Il faut rappeler que l'ensemble de la récolte d'un bloc<br />

des champs était (est toujours) stocké dans une aire<br />

de battage, où le mil y reste un à deux mois. Chacun<br />

peut donc faire ses propres estimations et celles des<br />

autres. Avant le battage, on sait que x sera le premier<br />

et pourra avoir x quantités de calebasses ou paniers<br />

(c'étaient les instruments de mesure). Au moment de<br />

mesure après battage, si la récolte de x personne ne<br />

reflétait pas ses estimations, et si celle de x autre<br />

dépassait les estimations de tous, cette personne était<br />

soupçonnée avoir « pris le mil » des autres. Puis le<br />

sàà changé de manifestations : au moment des<br />

travaux agricoles, l'âme de la personne envoûtée était<br />

supposée être en captivité chez le Je sâà pour y<br />

travailler. Privée de son âme, la personne restait<br />

malade ou maladive durant la période des labours.<br />

Elle ne mourrait pas, elle recouvrait la santé en fin<br />

des travaux. Puis le sàa encore évolué. L'âme était<br />

prise en captivité, puis mort s'en suivait. Deux jours<br />

après l'enterrement, on pouvait voir un trou sur la<br />

tombe semblable à celui creusé par les grosses souris<br />

de la brousse. Ce trou était celui par lequel le cadavre<br />

aurait été exhumé. Au moment de l'exhumation par le<br />

je sàà, le cadavre, dit-on, redevenait invisible. Si le je<br />

sàà réussissait à le ramener chez lui, il lui rendait son<br />

âme. Il avait donc un travailleur à la maison,<br />

invisible des communs des mortels, mais visible à<br />

24<br />

deux personnes, lui et sa première épouse qui, au<br />

préalable, devait également subir les rites d'initiation<br />

au sàà. Son rôle était de « préparer » la nourriture » à<br />

ces cadavres ranimés mais inoffensifs et invisibles.<br />

Cette forme de sàà a animé des discussions<br />

passionnelles dans les années 60. Des gens ont<br />

surveillé plusieurs jours la tombe d'un des leurs,<br />

supposé mort de sàà, car il est dit qu'au moment de<br />

l'exhumation du cadavre par le je sàà, on pouvait lui<br />

arracher ce cadavre vivant . Si l'opération réussissait,<br />

le cadavre vivant était ramené à la maison, mais sans<br />

âme, par conséquent amorphe. Il fallait des exercices<br />

d'initiation particulière pour ramener son âme. De<br />

même, le je sàà restait avec une âme sans corps.<br />

Celle-ci se volatilisait aussi. Enfin, la dernière forme<br />

de sàà aujourd'hui consiste à « capturer » l'âme d'une<br />

personne et à aller la « vendre » au marché de<br />

Djiglao à d'autres personnes possédant elles aussi le<br />

sàà. Quelques jours après, la personne dont l'âme a<br />

été « capturée » tombe malade, et avant de mourir,<br />

prononce le nom de son maître. Parfois avant ou<br />

après sa mort, elle fait une apparition mystérieuse à<br />

une personne connue, dans le marché, au moment où<br />

elle est livrée pour la vente.<br />

Le rêve, plus que les apparitions, reste le principe<br />

fondamental du saà. En fait, on doit admettre que les<br />

individus physiquement atteints par la fatigue, la<br />

faim, la maladie et les alcools font beaucoup de<br />

rêves. Aux corps non saints correspondent des esprits<br />

également troubles, se promenant partout quand les<br />

corps sont au repos, se livrant par-ci, par-là, à des<br />

combats imaginaires sans merci. Il est curieux de<br />

constater que ces phénomènes se soient développés<br />

en même temps que le développement des alcools, le<br />

bili-bili et singulièrement le arki.<br />

3.6.Mauvais utilisation du surplus de la<br />

production agricole des recettes cotonnières, et<br />

des salaires<br />

On doit affirmer avec force que le grand<br />

développement du bili-bili est responsable de la<br />

mauvaise gestion des surplus agricoles, et même des<br />

recettes cotonnières. Chez les Tupuri, il y a deux<br />

sortes de surplus agricoles<br />

• Le surplus du sorgho rouge(Gàrà). Il était autrefois<br />

utilisé pour trois objectifs : la nourriture de gùrnà<br />

ánco, qui allait de Novembre à Janvier, le vin pour<br />

l'entraide (yii pay) et le vin pour les funérailles (yii<br />

huli)<br />

• Le surplus du sorgho blanc (donglong ou muskuri).<br />

Ce surplus servait aussi trois choses : la nourriture<br />

de gùrnà Tobé qui allait de Mai à Juillet, l'achat des<br />

boeufs comme principale épargne, et le yii Bàh<br />

(vin de Dieu) auquel sont associées quelques<br />

funérailles.


Aujourd'hui, les funérailles commencent en Janvier<br />

et s'étalent jusqu'en Mai, Le bili-bili qui inonde le<br />

pays Tupuri durant cette période de 5 Mois absorbe<br />

le surplus du sorgho rouge, le surplus du sorgho<br />

blanc, et plus grave les recettes du coton qui avaient<br />

suppléé au surplus du sorgho blanc. En plus du rôle<br />

d'épargne, ces recettes étaient aussi investies dans les<br />

cérémonies (matrimoniales). Enfin et c'est une réalité<br />

poignante, le salaire du fonctionnaire Tupuri<br />

d'aujourd'hui est aussi, à 50 près, « investi » dans les<br />

boissons de toute sorte et principalement le bili-bili.<br />

En fait, l'homme Tupuri épargne de moins en<br />

moins, investit peu et, par conséquent, créé peu de<br />

richesses. D'où la situation de famine et de pauvreté<br />

endémiques chez nous et ailleurs au Nord Cameroun,<br />

où les alcools locaux sont exagérément brassés et<br />

consommés.<br />

3.7. Dégradation de l'environnement due à la<br />

coupe du bois.<br />

Les villes du Nord-Cameroun prospèrent en<br />

commerce de bois de chauffe. Parmi les activités qui<br />

consomment beaucoup du bois, on peut citer le<br />

travail de la viande grillée appelée « Soya » et<br />

naturellement la fabrication du bili-bili et du arki.<br />

Dans les campagnes qui restent encore boisées, la<br />

coupe de bois de chauffe progresse à une vitesse<br />

inquiétante. Si dans le pays Tupuri, il existe peu de<br />

centre urbains développés, le pays tout entier par<br />

contre est soumis à une fabrication généralisée du<br />

bili-bili et du arki. La coupe du bois s'est donc<br />

accélérée durant les trente dernières années et les<br />

grandoncz réserves du bois ont presque disparu.<br />

Quelques exemples montrent l'ampleur du problème :<br />

la réserve de Dousgoum (ou Doufgoum) entre le<br />

canton de Tchatibali et les villages Tupuri du Tchad<br />

de la rive droite du Mayo-kébî a presque disparu de<br />

même la grande brousse entre Djiglao, Gounday et<br />

Guidiguis, la brousse entre Doubané ; Manday-<br />

Ngoum et Dêfê, la brousse entre Kolara,<br />

Moulvoudaye et Kodifé, entre Moulvoudaye, Kalfou<br />

et Yagoua, Kalfou, Bougay et Doukoula, Kalfou et<br />

Biziii, etc... Certes, il serait inexact d'attribuer aux<br />

seuls bili-bili et arki la cause de ce déboisement<br />

généralisé. Le développement de la culture<br />

cotonnière est de loin le premier facteur; vient<br />

ensuite la culture de sorgho Mouskouari qui occupe<br />

les bas-fonds. Mais la permanence du bili-bili et du<br />

arki et leur abondance, en font un facteur également<br />

très déterminant.<br />

CONLUSION<br />

En guise de conclusion, on doit affirmer que le bili-bili<br />

Tupuri et tous les autres alcools annexes, au stade<br />

actuel de leur développement ne sont, ou ne sont pas<br />

25<br />

encore des produits économiques, c'est-à-dire des<br />

produits qui rapportent de l'argent, font vivre des<br />

familles, améliorent le cadre de vie (l'habitat) et ouvrent<br />

des perspectives nouvelles. Cette affirmation peut être<br />

étayée par de' nombreux exemples : d'abord le pays<br />

Tupuri tout entier n'est-il pas un échec économique, un<br />

pays qui connaît régulièrement de grandes famines,<br />

alors que les Tupuri sont reconnus au Cameroun<br />

comme les meilleurs agriculteurs et éleveurs ? Si un<br />

étranger visite le pays un jour ordinaire (sans un<br />

rassemblement), il a l'impression de traverser une<br />

immense plaine plate, parsemée des boukarous.<br />

L'habitat, premier signe d'une amélioration de cadre de<br />

vie, ressemble à une vaste zone en délabrement. Certes,<br />

quelques élites, vivant pour la plupart à l'extérîeur, font<br />

quelques aménagements de l'habitat traditionnel. Mais<br />

leur effort reste, minime. De plus, ce qu'ils<br />

entreprennent n'est ni conservé ni suivi d'exemples par<br />

l'immense majorité de la population.<br />

Si l'on descend au niveau de gros villages où le bilibili<br />

et les autres alcools ont connu et connaissent<br />

toujours un fort développement : Touloum, Djiglao,<br />

Doukoula etc..., on cherchera longtemps les signes du<br />

développement dûs à ces boissons. On peut même aller<br />

plus loin en observant les grands quartiers des centres<br />

urbains du Nord-Cameroun. Soari à Yagoua, Pont et<br />

Domayo à Maroua, Roumdé Adjia, Yelwa et Camp<br />

Karao à Garoua etc... Quels indices de développement<br />

présentent ces quartiers, qui seraient attribués au bilibili<br />

et les autres alcools ? Enfin, on peut enquêter sur<br />

les brasseuses, et surtout celles qui sont dans le métier<br />

depuis au moins trente ans. La plupart vivent dans un<br />

dénuement triste pour ne pas dire complet. Au fur et à<br />

mesure qu'elles sont gagnées par l'âge, elles perdent<br />

leur clientèle. Pour maintenir celle-ci, certaines<br />

deviennent un centre d'accueil et de transit pour des<br />

jeunes filles et femmes à la recherche d'une «meilleure<br />

vie ». Le commerce de bili-bili et des autres alcools, à<br />

cause de ses multiples travaux harassants et non<br />

rentables, a de façon inconsciente, conduit ces braves<br />

femmes dans un appauvrissement matériel parfois<br />

irrémédiable, à un vieillissement physique pitoyable, et<br />

à un appauvrissement général du pays Tupuri.<br />

Toutefois, le mérite de la femme Tupuri (et peut-être de<br />

beaucoup de femmes du Nord-Cameroun), est d'être à<br />

l'avant garde de la débrouillardise familiale. Seulement,<br />

on doit admettre que son premier pas dans cette<br />

bataille, avec deux produits d'évasion psychologique, le<br />

bili-bili et le arki, est une erreur, voire un échec. En<br />

revanche, peut-on améliorer ces deux produits (en y<br />

impliquant l'homme), destructeurs de la communauté ?<br />

A défaut de cela, peut-on enseigner aux femmes<br />

d'autres activités féminines plus rentables et qui<br />

protègent la morale sociale, en un mot les valeurs de la<br />

communauté ?


Quelques propositions (à développer plus tard).<br />

Le bili-bili et le arki peuvent et doivent devenir des<br />

produits économiques et à quelles conditions :<br />

1. .l'intention commerciale du départ doit revenir ; cela<br />

veut dire que toutes les opérations de fabrication de<br />

ces produits doivent être minutieusement<br />

comptabilisées, afin que la femme arrive à mesurer<br />

exactement ce queue y investit et ce qu'elle y gagne<br />

en retour.<br />

2. Un travail sur la qualité de deux produits doit être<br />

engagé. Les deux produits doivent pouvoir se<br />

conserver au moins deux jours lorsque l'on n'a pas pu<br />

les consommer entièrement le premier jour et être<br />

moins toxique en ce qui concerne le arki.<br />

3. La qualité entraînant toujours la concurrence, on<br />

devra arriver à réduire et les quantités et le nombre<br />

des brasseuses. Car, un produit économique ne peut<br />

pas se trouver ni partout, ni même aux mains d'une<br />

seule catégorie de la communauté, le sexe féminin, tel<br />

que c'est le cas du bili-bili et du arki aujourd'hui en<br />

pays Tupuri.<br />

4. La réduction du nombre de brasseuses devra<br />

s'accompagner d'un important programme d'éducation<br />

de la jeune fille Tupuri sur les multiples métiers et<br />

activités féminins, susceptibles de générer des gains<br />

plus sûrs et plus stables.<br />

5. Ce programme d'éducation et de formation (qui reste<br />

à élaborer, sera prioritairement confié aux églises.<br />

Elles-mêmes secondées par les ONG. Il devra être<br />

supporté par des moyens financiers, conséquents. Le<br />

moyen et long terme devra être privilégié.<br />

6. Enfin, les services traditionnels d'encadrement et de<br />

développement de l'Etat : les collectivités locales<br />

(mairies), agricultures, élevage et santé devront être<br />

étroitement associés à la réalisation de ce vaste<br />

programme. Les alcools Tupuri peuvent eux aussi<br />

devenir des produits économiques à condition<br />

• qu'ils soient améliorés<br />

• qu'ils rapportent de l'argent à celles (et pourquoi<br />

pas aussi aux hommes) qui les préparent<br />

• qu'ils n'accaparent pas les temps des autres activités<br />

• qu'ils ne nuissent pas à la santé physique, morale et<br />

psychologique<br />

• qu'ils ne détruisent pas notre environnement.<br />

Les alcools sont entrés dans notre communauté à<br />

travers la jeunesse ; seule la jeunesse peut les stopper et<br />

les faire partir, ou tout au moins les ramener à leur juste<br />

valeur : sacrifices, travaux champêtres et réceptions<br />

sociales ponctuelles. La jeunesse Tupuri est face à ses<br />

responsabilités historiques, la jeunesse féminine en<br />

première ligne.<br />

26<br />

Bibliographie sélective<br />

DE GARINE (1), 1964. Les Massa du Cameroun Vie Economique<br />

et sociale (Institut International Africain, PUF, Paris)<br />

DE GARINE, 1973. « Contribution à l'histoire du Mayo-Danaye<br />

(Massa, Toupouri, Moussey et Mousgoum) » in Contribution<br />

de la Recherche Ethnologique à l'histoire des civilisations du<br />

Cameroun. Colloques Internationaux du CNRS N˚ 551 (PP 171<br />

- 186)<br />

DJONKAMLA (Fr) 1975. Les Mutations de la Société<br />

Traditionnelle Tupuri. Arrondissement de Kaélé (Mémoire<br />

pour l'obtention du Brevet Supérieur de Capacité à vocation<br />

rurale (BSCVR), Yaoundé, mai 1975, IPAR.<br />

FECKOUA (Laurent LAOUKISSAM), 1977. Les hommes et leurs<br />

activités en pays Tupuri du Tchad. Thèse de Doctorat du 3è<br />

cycle (géographie) Université de Paris VII, Vincennes, faculté<br />

des Lettres et Sciences Humaines.<br />

GUILLARD (J), 1965. Golonpoui - Analyse des conditions de<br />

modernisation d'un village du N'ord-Carieroun. (Mouton, Paris,<br />

La Haye)<br />

KOULANDI (J), 1996 « Augmentation du sous-emploi du temps,<br />

Régime alimentaire dégradant et Problématique du<br />

Développement en pays Toupouri » in Bien Manger et Bien<br />

vivre - Anthropologie Alimentaire et Développement en<br />

Afrique Tropicale : du biologique au Social (PP. 433 - 443)<br />

Acte du Colloque tenue à Yaoundé du 27 au 30 Avril 1993.<br />

L'Harmattan - ORSTOM, Paris.<br />

MENSALA (F.A.), 1986, Le pouvoir Spirituel de Wanci DORE sur<br />

le pays Tupuri du Tchad (Mémoire de DEA), Anthropologie et<br />

Sociologie du Politique, Université de Paris VIII.<br />

Mots Clés<br />

Bili-bili: mot désignant la bière locale du Nord-<br />

Cameroun fabriquée à partir du sorgho rouge,<br />

blanc ou du maïs.<br />

Tupuri: ethnie du Nord-Cameroun, habitant<br />

originellement l'Est de la Province de<br />

l'Extrême Nord appelé le « Bec de Canard »,<br />

aujourd'hui dans la vallée de la Bénoué,<br />

Wang Doré: Chef spirituel des Tupuri vivant à Doré<br />

(Tchad).<br />

Arki, argé: alcool local très toxique<br />

Je Baàre: le Massa ou clan Tupuri d'origine Massa.<br />

Je Mbarhay: le Mundang ou clan Tupuri d'origine Mundang.<br />

Yii: bière en Tupuri<br />

Mené, kaaran: esprits, totem<br />

Baàh: Dieu<br />

Soôh: esprit maléfique<br />

Géré: jumeau<br />

Yoôh: souillure<br />

Pay: champ (≠ pay = un initié)<br />

Barge: amitié<br />

Manné: belle-mère ou beau-fils<br />

Hoôlé: nourriture, boule de mil<br />

Hiigi: natte sur laquelle l'on se couche<br />

Malingà : vin fermenté<br />

Bur yii: vin non fermenté<br />

Lumo: marché (en fufuldé)<br />

caage: grande jarre en terre cuite<br />

Poôre: mil germé<br />

Duwil yii: liquide non cuit de vin<br />

Ker-yii : bouillie du vin<br />

Défoôre : levure de bière<br />

Day, deere: boeuf, boeufs<br />

Saa: puissance maléfique, capable de capter l'âme<br />

humaine, des récoltes et des animaux


Il était environ dix-huit heures trente. En<br />

rentrant du travail ce jour-là, Fouloumou, le jeune<br />

ingénieur agronome, fut surpris par le silence qui<br />

régnait dans sa demeure. Aucune trace humaine. Aucun<br />

signe de vie. Aucun éclairage. Ayant garé sa moto, il<br />

héla trois fois sa femme. Aucune réponse. Où était-elle<br />

passée ? Que se passait-il ? Il ne comprenait pas sa tête.<br />

De nouveau, il appela : „ Hélène ! Hélène ! Où es-tu ?<br />

Réponds-moi ! “. Cette fois, ses cris se perdirent<br />

désespérément dans la bise du soir qui soufflait<br />

légèrement, faisant bouger les feuilles des arbres. Sans<br />

doute Hélène avait-elle souvent l’habitude de se cacher<br />

derrière les battants pour faire croire à son mari qu’elle<br />

était absente, mais tel ne fut pas le cas aujourd’hui. Car<br />

en entrant dans le vaste salon, Fouloumou en examina<br />

minutieusement tous les coins et recoins. Personne. La<br />

pièce était sombre, silencieuse, lugubre. En revanche,<br />

rien n’y avait été touché : le canapé, les fauteuils en<br />

cuir, le buffet, le téléviseur, le poste,..., tous étaient à<br />

leur place. Seul posé sur la table, un papier de format<br />

A4 portait cette inscription „ Je suis partie consulter un<br />

marabout “. En scrutant de près le message, l’ingénieur<br />

comprit que c’était bel et bien l’écriture de son épouse.<br />

Cependant il ne put s’empêcher de s’interroger : Qui<br />

était ce marabout ?Où habitait-il ? Pourquoi sa femme<br />

était-elle partie le consulter ? Toutes ces questions<br />

décuplèrent son inquiétude ; d’autant que sa femme ne<br />

lui avait jamais parlé d’un marabout. Elle qui détestait<br />

naturellement les marabouts qu’elle prenait pour des<br />

escrocs professionnels avait-elle subitement changé<br />

d’avis ? En passant dans la salle à manger, il constata<br />

que la table était servie. Aussi se mit-il à se restaurer un<br />

car de poulet. Après quoi il revint s’étendre le long du<br />

canapé, las d’avoir parcouru plusieurs dizaines de<br />

kilomètres et expliqué toute la journée aux villageois<br />

ignorants les nouvelles techniques culturales. Des idées<br />

sombres s’enchevêtraient dans sa tête. Par des efforts<br />

incessants, il essayait de chasser tous ces souvenirs de<br />

son esprit, mais ceux-ci, têtus, revenaient l’assaillir,<br />

faisant de lui une pauvre victime. Subjugué, il se laissa<br />

finalement emporté par le film de son passé qui se<br />

déroulait et défilait, étapes par étapes, dans son esprit,<br />

comme dans un écran.<br />

*<br />

Fouloumou était né dans une pauvre famille dont il était<br />

l’unique enfant. Son père, borgne, cultivait une petite<br />

parcelle de terrain. Il cultivait, dès son bas âge, initié à<br />

l’agriculture qui devint plus tard sa passion. Sa mère,<br />

27<br />

Tumne Mairabne<br />

A LA RECHERCHE D’UN BEBE<br />

Danwé Lebon Justin<br />

manchote, s’occupait du petit ménage. En outre, elle<br />

vendait les légumes au marché - activité qui ne lui<br />

rapporte guère beaucoup d’argent, car toutes les<br />

femmes du village en vendaient. Elle se entait<br />

malheureuse, n’ayant pas ses deux bras, étant épouse<br />

d’un infirme et mère d’un beau garçon dont elle ne<br />

parvenait jamais, en dépit de ses efforts – à satisfaire les<br />

besoins les plus élémentaires. Son mari éprouvait le<br />

même sentiment d’indignation : il se croyait inférieur<br />

aux hommes qui étaient pourvus de tous leurs organes.<br />

Son état l’attristait. Quand il passait près d’eux, les<br />

enfants le raillait en disant qu’il sera un jour „ roi au<br />

pays des aveugles. “ Quoi ? Quelle plaisanterie ? Y<br />

aura-t-il un jour au monde un pays dont tous les<br />

habitants sont aveugles ? En attendant que cette<br />

prophétie ne se réalisât - ce à quoi il ne croyait point –<br />

il se lançait à la poursuite de ces gamins impolis qui,<br />

tels des lapins poursuivis par des prédateurs, couraient<br />

rapidement, changeant sans cesse de direction. Dès<br />

qu’il avait attrapé l’un d’eux (ce qui était rare), il le<br />

battait longuement, cruellement jusqu’à ce qu’il jurât<br />

trois fois qu’il ne recommencerait plus. Alertés, les<br />

parents de l’enfant en question accouraient, armés de<br />

gourdins et de sagaies. Sans s’enquérir des causes du<br />

litige, ils s’en prenaient au borgne qu’ils rossaient<br />

copieusement, parfois la bagarre devenait générale ; car<br />

informés, les proches de ce dernier ainsi que tous les<br />

membres de son clan déclaraient la guerre à ceux du<br />

clan opposé qui réagissaient pareillement. Ainsi tout le<br />

village se battait tant et si bien qu’à la fin on<br />

enregistrait plusieurs dizaines de victimes. Un jour, au<br />

cours d’une de ces batailles meurtrières, le borgne<br />

trouva la mort, ayant reçu une flèche empoisonnée en<br />

pleine poitrine. Le lendemain, on inhuma le pauvre<br />

homme sans linceul et sans cérémonie, comme<br />

l’exigeait la coutume en de pareilles circonstances.<br />

Quelques mois plus tard, sa femme le suivit au pays des<br />

morts. Ce jour-là, Fouloumou pleura à chaude larmes,<br />

sachant désormais qu’il était orphelin de père et de<br />

mère.<br />

Après les funérailles, Fouloumou, alors âgé<br />

d’environ dix ans, fut confié à son oncle paternel -<br />

appelé l’Oncle Bihina - qui était un riche fonctionnaire<br />

habitant en ville. Ils y arrivèrent un après-midi à bord<br />

d’un taxi-brousse conduit par un chauffeur stylé. C’était<br />

une ville fort coquette avec ses rues larges asphaltées,<br />

ses belles villas multicolores, ses innombrables<br />

magasins aux articles variés, ses pittoresques sites


touristiques fréquemment par des milliers d’étrangers<br />

venus des quatre coins du monde, son environnement<br />

sain, son climat doux qui était favorable à tous les êtres<br />

vivants de la planète, ses habitants affables qui ne se<br />

querellaient presque jamais...Embarrassé, Fouloumou,<br />

qui venait pour la première fois en ville, regardait à<br />

droite, jetait un cou d’œil à gauche, dévorant tout ce qui<br />

s’offrait à sa vue, courant à chaque fois le risque de se<br />

faire écraser par une voiture dont la route sans trottoir<br />

était remplie. Son oncle dut l’arrêter par le bras comme<br />

s’il eût été un aveugle. Ceux qui les rencontraient les<br />

saluaient cordialement en demandant les nouvelles du<br />

village. L’oncle Bihina se pressait alors de répondre<br />

que tout allait pour le mieux au village, excepté ce<br />

grand malheur qui venait de frapper sa famille. Et il<br />

ajoutait : „ Voici mon neveu Fouloumou dont les<br />

parents viennent de trépasser. Je vais l’inscrire à<br />

l’école... “ Ainsi, il entretenait tous ceux qui prêtaient<br />

oreille à ses discours prolixes.<br />

Comme ils avaient bifurqué à droite, ils<br />

s’arrêtèrent devant une villa beige qui se dressait<br />

majestueusement au milieu d’une clôture, tel un palais<br />

royal. „ Nous y sommes, fils “ dit l’oncle Bihina en<br />

appuyant sur le bouton de la sonnerie qui se trouvait<br />

juste à côté du portail. Aussitôt, trois mignons enfants,<br />

dont une fille et deux garçons, tous richement habillés,<br />

vinrent ouvrir le grand portail peint en vert. Ayant<br />

reconnu leur père, ils lui sautèrent au cou en disant :<br />

- Te voilà enfin, papa ! Nous nous sommes languis<br />

de toi...Qui est-il celui-là ?<br />

- C’est votre cousin Fouloumou dont j’ai été célébrer<br />

les funérailles des défunts parents.<br />

Dorénavant, il vivra chez nous...<br />

- Non, non et non ! ripostèrent en chœur les enfants.<br />

Il est très laid et très maigre pour être<br />

notre cousin ! Nous ne voulons pas de lui ! Qu’il rentre<br />

immédiatement !<br />

Depuis lors, ces enfants n’avaient jamais<br />

considérer Fouloumou comme leur „ frère “. Méchants<br />

et sadiques, ils le battaient pour le plaisir de le voir<br />

pleurer. Ils aimaient écouter ses pleurs qui étaient<br />

devenues comme leurs chansons. Quand ils étaient<br />

lassés, leur mère, qui était un peu obèse, prenait la<br />

relève et corrigeait sans ménagement le pauvre<br />

orphelin. Lorsque son mari essayait d’intervenir, elle<br />

menaçait de divorcer ; car, estimait-elle, celui-ci<br />

accordait plus d’importance à ce rejeton qu’à ses<br />

propres enfants. Craignant de provoquer un scandale,<br />

l’oncle Bihina se taisait, se contentant de voir peiner<br />

son neveu. Sans protecteur, Fouloumou – dont le corps<br />

sans cesse soumis aux coups de bâtons était devenu<br />

rugueux comme la peau d’un pachyderme – maigrissait<br />

à vue d’œil. Il ne mangeait jamais à sa faim et faisait<br />

les corvées les plus pénibles.<br />

Pourtant, à l’école, l’orphelin se montra d’une<br />

intelligence incomparable. Travailleur, il sortait<br />

toujours premier de sa classe. Ses matières de<br />

prédilection étaient le calcul, le français, la géographie,<br />

l’histoire et la science. Le sérieux et l’assiduité avec<br />

28<br />

lesquels il menait ses études le prédisposait à un bel<br />

avenir. Ce qui rendait ses cousins très jaloux ; eux qui<br />

n’avaient jamais ramené de bonnes notes à la maison en<br />

dépit des livres et de l’encadrement que leur<br />

procuraient leurs parents. Fouloumou, lui, n’avait pour<br />

seules fournitures que ses vieux cahiers qu’il avait<br />

achetés grâce à la sueur de son front et dont il ne se<br />

séparait jamais. Mais cela ne l’empêchait pas pour<br />

autant d’être très brillant, de brûler des étapes. Ainsi, au<br />

bout de quelques années seulement, il obtint son<br />

C.E.P.E, lequel lui ouvrit les portes du collège où il fut<br />

aimé de tous ses enseignants qui voyaient en lui un<br />

génie.<br />

Lorsque Fouloumou arriva en Terminale,<br />

Hélène, cette année-là, entra nouvellement en<br />

Troisième. C’était une grande fille timide qui ne<br />

supportait pas le regard curieux des garçons. Elle avait<br />

une bouche sensuelle et une poitrine voluptueusement<br />

garnie. Cependant ses grosses fesses et son buste la<br />

rendaient quelque peu difforme. Nonobstant cette<br />

laideur apparente, Fouloumou l’aimait par dessus tout ;<br />

car pensait-il, elle était bien éduquée, étant originaire de<br />

campagne. La jeune fille lui rendait le même amour<br />

chaste. Chaque seconde qui passait épanouissait<br />

davantage l’inclination qu’ils avaient l’un pour l’autre.<br />

Finalement, ils se promirent de se marier au terme de<br />

leurs études.<br />

Après l’obtention du Baccalauréat (mention<br />

bien), Fouloumou fut reçu premier au concours d’entrée<br />

à l’Ecole Nationale Supérieur d’Agronomie. La<br />

formation dura trois ans. Et puisqu’il était encore major<br />

de sa promotion, il fut affecté comme le Chef de Poste<br />

Agricole de Bimi, petite ville arrondissementale située<br />

à une cinquantaine de kilomètres de Garoua. La même<br />

année, il se maria avec Hélène qui, entre temps était<br />

devenue infirmière. Le jeune couple s’installa dans une<br />

belle villa qu’il équipa progressivement de meubles,<br />

d’ustensiles et d’autres appareils électroménagers<br />

coûteux.<br />

Au début, le jeune ingénieur eut toutes les<br />

peines du monde pour convaincre les villageois à qui il<br />

était sensé inculquer les méthodes scientifiques<br />

relatives au développement et à la modernisation de<br />

l’agriculture. Ceux-ci en effet n’écoutaient pas ses<br />

conseils, disant qu’il n’était qu’un prétentieux, qu’il ne<br />

savait rien de l’agriculture. Comment un enfant, un<br />

„ fœtus “ comme ils disaient, pouvait-il prétendre leur<br />

enseigner les techniques culturales ? Eux qui avaient<br />

appris l’art de manier la houe depuis leur tendre<br />

jeunesse et qui connaissaient tous les secrets de la<br />

terre ? Oui, ils savaient que l’abondance des récoltes ne<br />

dépendait que de la bonne volonté des dieux ; que s’ils<br />

étaient fâchés, il fallait au plus vite leur offrir des<br />

sacrifices, sinon un grand malheur frappait toute<br />

l’humanité ; qu’enfin la sécheresse qui sévissait tant ces<br />

dernières années était indubitablement due à la<br />

négligence dont faisaient preuve certains individus à<br />

l’égard du „ dieu des pluies. “ Pour changer et dissuader<br />

toutes ces vielles mentalités rétrogrades, Fouloumou


créa sa propre plantation qu’il entretenait<br />

précieusement et protégeait des agressions des insectes<br />

parasites en usant des insecticides et autres produits<br />

chimiques. Pour une meilleure croissances des plants, il<br />

sélectionnait rigoureusement les semences et utilisait,<br />

selon les types de sols, l’engrais contenant le<br />

phosphate, l’azote ou la potasse qui fertilisait la terre<br />

avec une efficacité indéniable. Résultat, il obtint les<br />

meilleurs rendements de l’arrondissement. Cet<br />

exemple, qui fut copié par tous les habitants de Bémi et<br />

ses environs, rendirent le jeune ingénieur très célèbre.<br />

Des journaux en parlèrent, de même qu’il reçut des<br />

félicitations du Ministre de l’Agriculture dont il devint<br />

un ami personnel.<br />

En réalité, Fouloumou n’était pas aussi<br />

populaire que sa femme Hélène. A l’hôpital, elle se<br />

montrait d’une compétence exceptionnelle. De ce fait,<br />

elle était appréciée de tous ses supérieurs. La<br />

conscience professionnelle avec laquelle elle exerçait<br />

son métier faisait croire à ses collègues qu’elle était née<br />

infirmière. Infatigable, elle offrait généreusement ses<br />

services à tous ceux qui venaient la consulter. Elle<br />

aimait particulièrement s’occuper des démunis à qui<br />

elle prodiguait des soins gratuits. Ainsi, à cause de sa<br />

bonté, elle fût surnommée „ la mère des bénis. “<br />

Cependant le couple n’avait pas eu d’enfant.<br />

Après sept ans de mariage. Ce qui avait rendu les<br />

conjoints tout malheureux en dépit de l’opulence<br />

extrême dans laquelle ils vivaient. Ils avaient cherché<br />

partout un bébé. Ils avaient même consulté les plus<br />

grands gynécologues du pays. Mais en vain.<br />

Désespérés, ils s’imaginaient comme condamnés<br />

d’avance à la perdition par cette maudite stérilité dont<br />

les causes échappaient aux spécialistes les plus<br />

renommés.<br />

*<br />

A vingt-deux heures, Fouloumou qui était<br />

toujours préoccupé à suivre le film de sa vie, entendit<br />

quelqu’un tambouriner à la porte. Il se leva aussitôt et<br />

alla ouvrir la porte. Voilée, Hélène apparut dans le noir,<br />

les deux bras croisés à la poitrine, fortement transie.<br />

- J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, mon ami, ditelle<br />

en entrant.<br />

- Laquelle, c’est ? fit Fouloumou en refermant la<br />

porte.<br />

- Nous allons avoir un enfant dans dix mois. La<br />

marabout m’en a donné la certitude.<br />

- Enfin Hélène, qu’est-ce que cette histoire de<br />

marabout ? Tu aurais dû m’aviser avant de<br />

partir, non !<br />

- Je m’excuse, ce marabout est vraiment un grand<br />

homme. Une collègue m’en a donné<br />

l’adresse et j’y ai filé comme une flèche...Sais-tu ce qui<br />

s’est passé ?<br />

- Non, explique-le moi.<br />

- A mon arrivée, j’ai été chaleureusement accueillie<br />

par le marabout dans une case exiguë<br />

qui lui sert de salle de consultation. C’est un<br />

octogénaire qui a les cheveux tout blancs dont les<br />

29<br />

mèches portent des cauris et autres gris-gris effrayants.<br />

Ayant attentivement écouté l’objet de ma visite, il m’a<br />

fait boire une tasse de tisane amère et a conclu que je<br />

suis à jamais guérie de ma stérilité. Enfin, il a dit que<br />

dans dix mois exactement, nous aurons un enfant de<br />

sexe masculin...En reconnaissance profonde de tous ses<br />

services, je lui ai donné une modique somme cinq mille<br />

francs.<br />

- Et tu as cru tout cela ? dit Fouloumou qui demeurait<br />

à la prédiction du marabout.<br />

- Bien sûr que j’ai cru. Faisons confiance à ce grand<br />

marabout qui a déjà guéri tant de<br />

femmes stériles.<br />

- Oui, oui, faisons confiance. A propos tu sembles<br />

très fatiguée. Allons-nous coucher. Nous<br />

reparlerons de tout cela demain matin. Ils se<br />

mirent au lit et s’endormirent, harassés de fatigue.<br />

Trois semaines plus tard, Hélène eut les<br />

premiers symptômes d’une grossesse dont elle avait<br />

tant rêvé. Folle de joie, elle disait à tous ceux qu’elle<br />

rencontrait qu’elle était enceinte, qu’elle allait avoir un<br />

enfant. Son mari, qui n’en revenait pas de surprise, fut<br />

finalement convaincu de la puissance de ce marabout<br />

qu’il n’avait jamais souhaité voir, tant il lui<br />

apparaissait, après son portrait, barbare et exécrable, ne<br />

méritant ni considération ni récompense pour ses<br />

prétendus services. Sans plus attendre, il acheta la<br />

layette ainsi que tous les nécessaires pour<br />

l’accouchement. En attendant le jour fatidique, il était<br />

aux anges, essayant d’imaginer la forme physique du<br />

bébé. Comment sera-t-il ? Et quel nom lui donner ?<br />

Faudra-t-il le nommer comme son grand-père ? Non,<br />

car il risquera d’être belliqueux comme ce dernier.<br />

Après plusieurs hésitations, il décida de donner à son<br />

fils le nom de BAYANG. Ce qui veut dire „ Dieu<br />

existe. “<br />

Dix mois s’étaient écoulés et Hélène accoucha<br />

d’un bel enfant de sexe masculin comme le marabout<br />

l’avait si bien prédit. Ce jour-là, ce fut une grande<br />

allégresse chez les Fouloumou. De partout, hommes,<br />

femmes et enfants accoururent pour voir le nouveau-né<br />

qui pesait environ quatre kilos. „ Quel gros bébé ! “<br />

s’exclamait-on de part et d’autre. L’heureuse nouvelle<br />

se répandit avec la rapidité du vent. Ainsi toute la petite<br />

ville se trouva-t-elle rassemblée dans la concession du<br />

chef de poste agricole qui, en cette circonstance<br />

joyeuse, offrit généreusement vin et kola à tout le<br />

monde. Un jeune homme battit le tam-tam. Aussitôt,<br />

toute la foule esquissa des pas de danse. On chanta,<br />

dansa et but à la bonne santé du bébé et de sa mère.<br />

Tard dans la nuit, les festivités se poursuivirent dans les<br />

familles, lesquelles firent cadeau, dès le lendemain, de<br />

beaucoup d’objets de valeur à Hélène dont le grand<br />

rêve – celui d’avoir un enfant – venait enfin de se<br />

réaliser.<br />

Lorsque le bébé eut deux mois, Fouloumou et<br />

sa femme décidèrent le présenter au marabout -<br />

bienfaiteur. Ils achetèrent à cet effet plusieurs cartons<br />

d’huile, de sucre et de savon. Ils prirent également dans


leur troupeau deux gros boucs ainsi que deux coqs<br />

blancs. Une somme de deux cent mille francs,<br />

soigneusement enveloppée, qu’Hélène avait<br />

économisée et qu’elle s’était proposée d’offrir à celui<br />

qui avait fait d’elle une mère, fut cachée dans les<br />

vêtements du bébé, question de la protéger du regard<br />

des coupeurs de route en cas d’une éventuelle<br />

agression. Lorsque tout fut prêt, les époux se mirent en<br />

route, embarqués dans un car dans lequel avait déjà pris<br />

place une quinzaine de voyageurs. Il était neuf heures.<br />

Un soleil radieux inondait partout la nature de ses<br />

rayons dorés. Au fait des arbres, des oiseaux,<br />

nombreux, piaillaient en s’appelant mutuellement.<br />

Parfois, c’étaient des margouillats qui pourchassaient<br />

leurs proies en traversant précipitamment la route<br />

malgré les Klaxons répétés du car. Dérangé, freinait en<br />

se demandant pourquoi Dieu n’avait pas doté ces<br />

créatures d’une lueur de raison qui les rendrait moins<br />

imprudentes. Loin là-bas dans la brousse, l’on entendait<br />

caqueter des perdrix et des pintades qui, en cette heure<br />

matinale, picoraient les grains par petits groupes<br />

hétérogènes. Toute la nature, par cette journée<br />

resplendissante, semblait heureuse, sans danger.<br />

Pourtant, quelques kilomètres plus loin, les<br />

voyageurs tombèrent dans un guet-apens tendu par<br />

quelque quarante-cinq coupeurs de routes. Armés<br />

d’armes puissantes, ils firent coucher leurs victimes à<br />

même le sol avant de les dépouiller de tous leurs biens.<br />

Ceux des voyageurs qui n’avaient rien furent<br />

cruellement bottés. Dans le tumulte, le bébé que portait<br />

Hélène au dos fut piétiné. Aussi poussa-t-il un long<br />

vagissement qui eut fait frémir un troupeau de cent<br />

éléphants. Un gangster s’approcha et dit sèchement :<br />

„ Pour l’amour du ciel que ce diablotin cesse de<br />

pleure ! “ mais le pauvre bébé, ne comprenant rien à ce<br />

qui était arrivé, continuait de hurler de plus belle,<br />

cherchant désespérément le sein de sa mère qu’il ne<br />

parviendra jamais à sucer, car arraché et jeté<br />

brutalement par le gangster aux yeux injectés de sang.<br />

„ Rendez-moi mon enfant, bande d’assassins ! “ cria<br />

Hélène en se relevant. Accourus, deux hommes,<br />

pistolets aux poings, la renversèrent et se mirent à la<br />

violer à tour de rôle. Fouloumou, qui n’était pas loin de<br />

là, cria vengeance en assistant à ce spectacle horrible. Il<br />

voulu se relever brusquement, mais il reçut en pleine<br />

tête trois balles qui firent sauter sa cervelle. Le pauvre<br />

homme mourut comme un chien, sans faire ses derniers<br />

adieux à sa femme ni à son enfant qui étaient pour lui<br />

les deux êtres les plus chers au monde. Juste à côté,<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

30<br />

Hélène continuait d’assouvir malgré elle les appétits<br />

sexuels de ces „ hommes sans cœur “qui, après cet acte<br />

honteux, lui jetèrent son bébé barbouillé de poussière<br />

dans les bras. Avant qu’elle n’eut fini de le consoler et<br />

de se rhabiller, elle entendit un autre brigand, plus<br />

colosse que ces violeurs, qui criait en lui tendant la<br />

main :<br />

- L’argent, l’argent ! Donnez vite votre argent,<br />

madame !<br />

Larmoyante, Hélène réussit à articuler :<br />

- Je n’ai rien...<br />

- Comment ? Vous n’avez rien ? Faites vite ou je<br />

vous tue !<br />

- Puisque je vous dis que je n’ai pas d’argent.<br />

- Vous mentez, je sais que vous autres femmes avez<br />

toujours beaucoup d’argent. Tant pis<br />

pour vous si en vous fouillant j’en trouve. Je sais<br />

comment traiter les menteuses, hein !<br />

Sur ce il se mit à fouiller dans les beaux pagnes<br />

avec lesquels la jeune femme s’était parée. Rien.<br />

Bredouille, l’agresseur réfléchit un instant et ordonna :<br />

- Déshabillez votre bébé, on ne sait jamais !<br />

- Mais...fit Hélène en tremblant de tous ses membres.<br />

- Allez-y ! Vite !<br />

Apeurée, ruisselante de sueur, pâle, Hélène se mit à<br />

enlever l’un après l’autre les vêtements qui<br />

enveloppaient le doux corps, le corps bruns et sans<br />

tâche du bébé qui, à peine venu au monde, commence à<br />

regretter sa naissance, tant ce monde était pourri.<br />

Lorsque toute cette layette fut enlevée, l’enveloppe<br />

contenant l’importante somme de deux cent mille<br />

francs tomba. Le bandit s’en saisit et tonna : „ ce bébé,<br />

madame, qui vous a aidé à cacher votre argent et par<br />

conséquent à nous perdre le temps, n’est plus à vous.<br />

Vous ne le reverrez plus jamais ! “ A l’aide d’un long<br />

couteau, il transperça de part en part le bébé le bébé<br />

innocent à même les bras de sa suppliante et criarde<br />

mère.<br />

Lorsque le car demeura quelques instants plus tard<br />

après ce crime inqualifiable, il était environ douze<br />

heures. Le long de la route, tout semblait mort. Seules<br />

quelques cigales, accouplées ou non, chantaient<br />

inlassablement. Eplorés, dépossédés de tous leurs biens,<br />

les pauvres voyageurs n’osèrent prêter la moindre<br />

oreille aux chants de ces insectes téméraires. Quant à<br />

Hélène, elle demeurait immobile sur son siège, raide, la<br />

tête tournée d’un côté, la langue pendante, les yeux<br />

ouverts : elle était morte depuis longtemps, excédée par<br />

ce qu’elle venait de subir.


Nous sur nous-mêmes:<br />

Cercle de Réflexion sur la Culture Tpuri (CRCT)<br />

Nous sommes un groupe de Tpuri et de<br />

personnes intéressées par la culture Tpuri. Nous<br />

avons tous des orientations professionnelles et<br />

des intérêts personnels différents. Nous œuvrons<br />

cependant tous dans le domaine d'une identité<br />

culturelle bien comprise et exprimée. Plutôt donc<br />

que de se limiter, il nous a semblé plus profitable<br />

pour tous de laisser la liberté à chacun de<br />

réfléchir sur le thème qu'il trouve principal dans<br />

le milieu Tpuri. Mais, ici encore, une souplesse<br />

s'impose. En effet, peut-être que deux ou trois<br />

personnes souhaitent réfléchir sur un même<br />

thème. Le groupe est ouvert à de telles<br />

initiatives. Un travail collectif est toujours plus<br />

riche.<br />

Quelle forme a le Cercle de Réflexion? Ce<br />

groupe n'est pas une réunion de super-savants.<br />

Les articles peuvent être très longs, fouillés,<br />

truffés de détails, si l'auteur s'est investi<br />

longuement dans sa recherche, ou brefs s'il s'agit<br />

de rendre compte d'une expérience personnelle<br />

vécue mais significative au sein de la culture<br />

Tpuri. Le groupe est une Communauté, sans<br />

hiérarchie, et surtout sans compétition. Son but<br />

est de Témoigner afin que la culture Tpuri ne<br />

soit pas à jamais perdue.<br />

<strong>Ka'arang</strong>,<br />

ce sont des débats houleux<br />

le répertoire Tpuri<br />

la culture palpable<br />

des techniques ressuscitées<br />

des recherches minutieuses<br />

C´est pourquoi <strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

31<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong>!<br />

<strong>Ka'arang</strong> est un trimestriel. Il paraît le 1 er<br />

janvier, le 1 er avril, le 1 er juillet et le 1 er octobre<br />

de chaque année.<br />

Il est l'organe d'information et de liaison du<br />

cercle de Réflexion sur la Culture Tpuri. Il<br />

contient des récits, des interviews, des poèmes,<br />

des biographies, des nouvelles, des<br />

commentaires, des informations se rapportant à<br />

la culture Tpuri.<br />

<strong>Ka'arang</strong> vit principalement des recherches,<br />

de la fantaisie, de la créativité et de l'engagement<br />

de ses lecteurs et des membres du Cercle.<br />

Ce périodique est le produit de la coopération<br />

de plusieurs personnes.<br />

Ainsi <strong>Ka'arang</strong> sert de porte-parole<br />

Les contributions sont une documentation de<br />

notre travail. Elles créent une base de discussion.<br />

Elles revalorisent ainsi notre culture et sert de<br />

planche d'appui pour que nous ne soyons pas des<br />

naufragés de la culture, de notre propre identité.<br />

Dans ce sens nous soutenons l'échange et la<br />

communication entre nous et contribuons ainsi<br />

au réveil de la conscience pour notre culture et<br />

participons à sa survie.


Ka’arang<br />

est votre trimestriel.<br />

Envoyez nous vos contributions dès<br />

maintenant !<br />

<strong>Ka'arang</strong><br />

est un organe de réflexion et de débat. Sauvons notre culture de l’oubli et de l’aliénation. C’est<br />

maintenant le temps de le faire. Nous sommes responsables devant l’histoire !<br />

Faisons vivre Ka’arang par nos contributions. Il s’agit ici de notre<br />

honneur, de notre culture. N’oubliez pas que ce sont les écrits qui<br />

restent et que les paroles s’envolent !<br />

<strong>Ka'arang</strong>:<br />

Editions et Média<br />

B.P. 558 Ngaoundéré<br />

Nord Cameroun<br />

Dayang Paul<br />

Vahrer Str. 249/28<br />

28329 Bremen<br />

Allemagne

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!