Sommaire Metin Arditi, Le Turquetto 3 Véronique Bizot, Un ... - Index of
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Son corps extrême (extrait)<br />
de l’armoire, ils sont la tache de moisi sur la toile de Jouy qui, dans<br />
la presque obscurité, avait l’air d’une tête de mort, ils sont des âmes<br />
en peine et des spectres condamnés à une course désordonnée et<br />
éternelle.<br />
On ne s’éveillera plus jamais vierge. <strong>Le</strong>s plis sont marqués partout.<br />
La preuve, c’est qu’on n’a pas toute la vie à retraverser quand on rouvre<br />
les yeux, un beau matin, dans un lit surélevé et muni de manivelles<br />
commodes. On n’a pas grand-chose à passer en revue, excepté ses<br />
abattis peut-être. Mais le fait d’être femme, le fait d’être mère, le fait<br />
de se demander si on est folle ou saine, tout revient aussitôt, le fardeau,<br />
le fagot, le paquet de souvenirs mouillés comme du linge lourd lui<br />
reviennent en pleine poire. Alice sait déjà tout, les scandales sont<br />
restés des scandales, les bonheurs sont toujours lumineux. Rien de<br />
changé. Rouvrir les yeux sur un matelas à eau de quarante centimètres<br />
d’épaisseur n’a créé aucun court-circuit déroutant. Et bien que son<br />
existence ait été largement éventrée et retournée par l’événement,<br />
Alice appartient toujours au même règne, à l’embranchement souhaité,<br />
pointe dans la classe idoine, évolue dans l’ordre, la famille, le<br />
genre et l’espèce ad hoc. Elle n’a pas eu droit à du neuf. Elle a remis<br />
sa vieille vie, d’occase, et replantera ses pieds dans les mêmes ornières.<br />
Rien n’a fait surgir de son être psychique des combinaisons fantastiques<br />
ou subtiles, elle se retrouve comme devant, déjà bouleversée, déjà<br />
infi niment angoissée, avec la peur et la rage au ventre, qui déploient<br />
leurs fastes et hissent leurs drapeaux.<br />
Elle s’éveille donc seule, David a disparu. Pour les diff érends, du<br />
moins, ils se sont toujours bien entendus et Alice ne perd rien à<br />
émerger dans cette réalité-là, avec pour seul nuage une poche de<br />
glucose au-dessus de sa tête et pour tout roulement de tonnerre le<br />
rire bête et bienfaisant de la famille banale qui visite sa voisine de<br />
chambre. Elle a la tête eff royablement lourde, gourde, elle est toujours<br />
en retard d’une réplique et son intelligence traîne derrière elle, égarée<br />
quelque part dans l’épave de la voiture ou sous le lit ou dans le tiroir<br />
de la table de chevet avec les protège-slips, un miroir inutile et des<br />
sucrettes. Elle somnole dans ce monde complet, ouaté et glougloutant.<br />
Ses pensées forment une matière légère, alvéolée. Et le vide apparent<br />
dans son crâne tient à l’allongement inouï des temps de pose entre<br />
deux réfl exions, si bien que chacune de ses journées se love dans une<br />
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