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L’exception-expression culturelle bretonne<br />

(Diversité culturelle contre diversité linguistique ?)<br />

Samuel Julien<br />

Création de l’association DIZALE en 1998. A l‘origine un groupe de réfléxion sur l’avenir du<br />

paysage audiovisuel breton (lobby) : Audiovisuel (sens large)-Langue bretonne.<br />

La création de TV Breizh (TVB) a bouleversé la situation.<br />

Rappel historique :<br />

- L’exemple gallois : la création du doublage en langue bretonne répond à l’origine à un<br />

besoin précis. Inspiré par l’exemple gallois, Rozenn Milin, la directrice de TV Breizh voulait<br />

développer une industrie du doublage pour rendre sa chaîne bilingue. Le grand modèle : S4C.<br />

- Un financement problématique : le doublage en langue minoritaire en Europe est assuré<br />

partout en Europe par 100 pour cent d’argent public. Il n’est pas rentable. En breton, étant<br />

donné le faible nombre de locuteurs, encore moins. De plus, la collectivité <strong>«</strong> Pays de Galles <strong>»</strong><br />

bénéficie d’une certaine autonomie et de moyens financiers élevés. Ce n’est pas le cas de la<br />

région Bretagne (Le budget culture de la ville de Rennes est supérieur à celui de la région<br />

Bretagne). Elle ne peut intervenir qu’en appoint. Le modèle gallois ne peut s’appliquer en<br />

l’état actuel en Bretagne sauf à réformer les institutions. Un autre modèle, breton : l’initiative<br />

privée pour la création d’un service public (local).<br />

- Le fonctionnement initial : Filière du doublage crée avec le soutien du Conseil régional (staj<br />

Karaez) mais financé à l’origine par 100 pour cent de fonds privés (groupe TF1 dirigé par<br />

Patrick Le Lay). A l’époque, il existe alors deux studios privés, construits pour les besoins de<br />

la chaîne à Quimper et à Lorient. Mais rapidement, pour des problèmes d’audience, les<br />

moyens de la chaîne sont revus à la baisse pour aboutir à un unique studio (Lorient) consacré<br />

exclusivement au doublage breton et une quinzaine de personnes composant la filière<br />

(comédiens, ingénieurs-son,…). Rapidement (deux ans après sa création), la chaîne fait savoir<br />

qu’elle ne pourra plus assurer seule les coûts de ce doublage si les pouvoirs publics ne<br />

prennent pas le relais.<br />

- Un fonctionnement original : Etude juridique d’un an qui conclut à la viabilité d’un projet<br />

original : Ce secteur est confié à une structure indépendante (Ofis ar Brezhoneg puis<br />

DIZALE). TV Breizh transfert son activité de doublage contre la possibilité d’obtenir 50 pour<br />

cent de subvention pour tout projet de doublage. Le doublage est alors géré par une structure<br />

indépendante, donc ouverte : tout producteur ou diffuseur qui fait une demande peut obtenir<br />

via l’association Dizale 50 pour cent du financement d’un doublage breton par l’obtention de<br />

subvention du Conseil régional. L’association DIZALE est donc mandatée par la région<br />

Bretagne pour assurer un service publique régional. TVB reste cependant, eu égard à son<br />

mode de diffusion, le principal client mais d’autres chaînes se montrent intéressées (F3 Ouest,<br />

TV Rennes,…) et cela n’est pas sans peser sur les politiques linguistiques et culturelles en<br />

breton.


1 Doublage et sous-titrage breton : un outil de communication au service d’une<br />

expression culturelle ?<br />

Le doublage et le sous-titrage d’œuvres audiovisuelles répondent à l’origine à un<br />

besoin précis : comprendre une œuvre produite dans une autre langue que la sienne. C’est un<br />

besoin de communication de l’œuvre. Le doublage breton géré désormais par l’association<br />

DIZALE, ne répond pas uniquement à ce souhait.<br />

La compréhension des œuvres est en effet acquise puisque celles-ci, particulièrement sur TV<br />

Breizh, sont simultanément diffusées en français et en breton par le truchement de deux<br />

canaux son. De plus, l’ensemble des bretonnants est également francophone, d’où l’inutilité<br />

en terme de compréhension de l’œuvre du doublage breton.<br />

Il s’agit donc dans le cas d’un tel doublage de permettre à la langue bretonne de s’exprimer<br />

dans les médias, de la rendre <strong>«</strong> visible <strong>»</strong> tant pour ses locuteurs que par des non-locuteurs.<br />

L’objet principal du doublage breton comparé à celui de langue française se transforme. Alors<br />

que le doublage français s’intéresse exclusivement à la qualité d’une œuvre (jeux d’acteurs,<br />

images,…), le doublage breton se préoccuppe plus spécifiquement de la qualité linguistique.<br />

Le doublage en langue bretonne a donc un objectif différent. Atteindre le plus large public<br />

bretonnant ou potentiellement bretonnant possible et cela en doublant des œuvres<br />

audiovisuelles les plus diverses y compris des œuvres qui ne font pas l’unanimité au niveau de<br />

leurs qualités audiovisuelles : animations pour enfants, téléfilms, films mais aussi séries<br />

américaines. Le but essentiel est d’atteindre son public et de lui montrer que sa langue est<br />

parfaitement compatible avec des œuvres audiovisuelles modernes et contemporaines. Cette<br />

politique doit donc permettre au breton de sortir d’un cadre purement patrimonial pour lui<br />

assurer un avenir.<br />

Ce choix de politique de doublage d’œuvres les plus diverses connaît deux orientations<br />

radicalement différentes :<br />

- Le doublage que l’on peut qualifier d’<strong>«</strong> expression culturelle <strong>»</strong> : Il s’agit de doubler<br />

des œuvres qui ont un lien direct ou particulièrement évident avec la Bretagne. Dans<br />

cette catégorie entrent le doublage de téléfilms comme Marion du Faouët, L’affaire<br />

Seznec (ie, la matière de Bretagne). Ce sont des œuvres qui auraient dues être<br />

produites naturellement en breton (Marion) mais le poids de la langue majoritaire l’a<br />

empêché. Le doublage est dans ce cas un retour à l’expression culturelle normale<br />

d’une œuvre audiovisuelle.<br />

Entre aussi dans cette catégorie, le doublage de certaines animations puisqu’il<br />

s’agit de répondre à une demande précise des enfants scolarisés en classes bilingues ou<br />

Diwan. A cet égard, Dizale a mis en place, en partenariat avec de nombreuses<br />

associations locales et écoles bretonnes, une série de diffusions culturelles sur toute la<br />

Bretagne. Il s’agit d’inviter les enfants au cinéma pour organiser une séance de<br />

projection d’animation en breton (40 lieux de projections ; 5000 enfants sur 10000<br />

scolarisés). L’objectif affiché étant de faire découvrir aux enfants l’existence d’un<br />

audiovisuel breton de qualité (qualité de l’œuvre d’où le titre de diffusion


<strong>«</strong> culturelle <strong>»</strong> et qualité du doublage), de les faire se rencontrer (entre écoles et filières<br />

bilingues public et catholique) et de sortir le breton du cadre scolaire où il se trouve<br />

malheureusement trop souvent cantonné.<br />

Ces diffusions connaissent un bon succès et le Conseil régional appuyant notre<br />

initiative devrait financer à 100 pour cent le doublage d’animations dans ce cadre.<br />

Elles représentent aussi une tentative d’installer la langue bretonne dans des espaces<br />

publics où elles n’avaient jamais eu place. Parallèlement à ces diffusions pédagogiques<br />

ont également commencé à voir le jour des diffusions culturelles pour adultes dans<br />

quelques villes en Bretagne.<br />

Le doublage représente dans ce cadre global un moyen d’opposition à ce qu’il convient<br />

d’appeler la culture <strong>«</strong> globale <strong>»</strong>. Le choix de ces programmes dans le cadre de diffusions<br />

culturelles se fait soit en fonction de la pertinence du lien avec la culture bretonne (Seznec,…)<br />

soit par des critères culturels et pédagogiques autres mais en ayant toujours le souci de<br />

promouvoir un aspect plus original d’une œuvre audiovisuelle et le plus éloigné possible de la<br />

<strong>«</strong> global culture <strong>»</strong>.<br />

- Le doublage <strong>«</strong> attractif <strong>»</strong> : Il s’agit de doubler sciemment des œuvres de la <strong>«</strong> culture<br />

globale <strong>»</strong>. Entre dans cette catégorie le doublage de séries de fiction comme Perry<br />

Mason ou Colombo. Dans ce cas, peu importe la qualité de l’œuvre pourvu qu’elle soit<br />

attractive en elle-même. Le meilleur score d’audience de TVB était la série Arabesque<br />

(en français). Le public regardait cette émission sans se soucier de la langue. Le choix<br />

de diffuser Perry Mason en français et breton répond à cet objectif. Ce choix<br />

controversé répond pourtant à une logique implacable, celle du public. Il permet aussi<br />

de banaliser la présence de la langue bretonne dans les médias, ce qui en Bretagne<br />

n’est pas encore acquis : des séries américaines sont doublées en français, en breton<br />

aussi ! Ce type de doublage peut aussi permettre d’attirer de nouvelles personnes vers<br />

la langue bretonne (ex : Les mystérieuses Cités d’Or).<br />

Le doublage a été obligé de suivre le chemin choisi par TV Breizh (qui représente 90 pour<br />

cent de son activité) et s’est adapté à la nouvelle grille de diffusion. De l’animation, Dizale a<br />

dû s’adapter au doublage de fictions ce qui représente une mutation assez importante dans la<br />

production. Ce choix avant tout économique n’a pas été sans réaction : réactions du milieu<br />

culturel (breton et autres), réactions du pouvoir politique vis-à-vis de sa politique culturelle<br />

globale (financements culturels pour du non-culturel).


2 La spécificité du doublage breton : l’exception à l’exception culturelle française ?<br />

Ce choix du principal diffuseur d’œuvres audiovisuelles en langue bretonne, de diffuser en<br />

breton des œuvres de <strong>«</strong> culture globale <strong>»</strong> que sont des séries comme Perry Mason a engendré<br />

des réactions très vives lors de ce printemps 2005 à tel point que l’on a parlé de l’affaire Perry<br />

Mason. Cette polémique tourne autour de 3 mots clés : diversité culturelle – linguistique.<br />

A la suite du vote par le Conseil régional de Bretagne d’une subvention pour le doublage<br />

d’une partie de la série Perry Mason, quelques élus et professionnels de l’audiovisuel ont fait<br />

part de leur mécontentement. Ils ont opposé à ce <strong>«</strong> choix d’une série américaine la défense<br />

d’une exception culturelle européenne <strong>»</strong> 1 . Certains ont été jusqu’à affirmer que la région<br />

Bretagne était en <strong>«</strong> totale contradiction avec ses orientations politiques <strong>»</strong> arguant du fait que<br />

cette série était cofinancée par des <strong>«</strong> fonds culturels bretons au moment où l’exception<br />

culturelle reste un combat essentiel<strong>»</strong> 2 .<br />

Quelques professionnels de l’audiovisuel ont aussi voulu opposé les œuvres audiovisuelles<br />

(dont le doublage serait subventionnable) aux produits industriels audiovisuels (dont le<br />

doublage ne saurait être subventionable, donc interdit au doublage breton). Cela revient à faire<br />

prévaloir l’exception culturelle européenne (française) contre la langue bretonne.<br />

Cette exception a en effet pour objectif la protection de la création spécifique et locale<br />

(théorie) contre le modèle culturel global (américain). Son but : favoriser la création<br />

européenne et diversifiée par des aides à la création. Or, le doublage poursuit un autre<br />

objectif : promouvoir la langue bretonne (via l’audiovisuel) : défense d’une langue au nom de<br />

la Diversité linguistique (qui est aussi une orientation européenne). D’où le conflit apparent<br />

entre la défense de ces deux diversités européennes.<br />

Cette opposition est apparente, ou plutôt inexistente. On peut, dans une politique culturelle<br />

générale, défendre la création originale et la diversité linguistique et le soutien du Conseil<br />

régional au doublage d’une œuvre, quelle qu’elle soit, n’est qu’un soutien à une version<br />

linguistique, pas à l’œuvre. Inversement, le soutien à une création audiovisuelle ne vaut pas<br />

un soutien à une version linguistique précise.<br />

Au-delà de certaines caricatures ou malentendus concernant le doublage (production<br />

américaine <strong>«</strong> cofinancée <strong>»</strong> par des fonds bretons), ce débat a révélé une véritable césure entre<br />

les bretonnants qui sont en attente de tels programmes contemporains doublés, programmes<br />

considérés comme <strong>«</strong> global culture <strong>»</strong> et les non-bretonnants qui appréhendent la langue de<br />

manière patrimoniale et en font un objet exclusif de ce patrimoine breton. Ils ne considèrent<br />

pas ou peu l’intérêt linguistique du doublage, l’aspect promotion de la langue, et se contentent<br />

de l’aspect de <strong>«</strong> communication <strong>»</strong> de la qualité de l’œuvre produite. En d’autres termes, ils<br />

n’appréhendent pas la spécificité du doublage en langue minoritaire et opposent l’exception<br />

culturelle française face à <strong>«</strong> l’expression culturelle bretonne <strong>»</strong>.<br />

Ce débat révèle aussi la complexité du problème linguistique en France. Patrick le Lay,<br />

président de TVB et du groupe TF1 l’affirme clairement dans une interview au magazine<br />

breton 3 :


Il n’y a pas un (homme politique) qui se pose un problème parce que France<br />

Télévisions (ensemble de chaînes contrôlées à 100 pour cent par l’Etat français)<br />

traduit en français toutes les séries américaines. France Télévisions, c’est un<br />

déversoir de films et de séries américaines. Ils sont traduits en français, langue<br />

nationale. Ça ne choque personne. En breton, ça choque tout le monde.<br />

La région Bretagne s’est alors montrée hésitante et a accepté l’idée d’un débat public. Cette<br />

hésitation a par ailleurs provoqué une crise dans la filière du doublage (trois mois d’arrêt)<br />

mais a abouti à un véritable changement de mentalité du Conseil régional sur la langue<br />

bretonne. Les politiques ont en effet appréhendé l’idée qu’il peut y avoir une politique<br />

linguistique en dehors de toute considération de politique culturelle. Le doublage ne relèvera<br />

donc bientôt plus de la politique culturelle mais plutôt de la politique linguistique.<br />

Reste un problème crucial, certainement commun à l’ensemble des langues minoritaires, du<br />

moins celles dont la survie comme le breton dépend des financements publics. La source de<br />

financement étant principalement publique, le choix des programmes à traduire ou même à<br />

produire passe obligatoirement par la volonté du pouvoir politique. Certains genres se<br />

trouvent donc condamnés (doublage de films X,…) à ne plus exister en langue minoritaire.<br />

C’est ainsi que A-Live, série trash pour jeunes, a été jugé <strong>«</strong> trop vulgaire <strong>»</strong> par des élus. Cette<br />

situation revient à ne produire / traduire que du <strong>«</strong> politiquement correct <strong>»</strong> (variables selon les<br />

lieux, hommes politiques,…).<br />

L’auteur est Directeur Général de DIZALE<br />

(1) lettre de Films en Bretagne au Président du Conseil régional de Bretagne<br />

(2) La lettre de Films en Bretagne Avril 2005<br />

(3) <strong>«</strong> Bretons <strong>»</strong> septembre 2005, p 18.

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