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dimanche 2 octobre

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LE 2 OCTOBRE 1927 >iHiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii4iiiiiuui 5 iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiuiiiiiiiiiiiiiiniiiiiiiiiiiHiiiiimuiiiiiiiiiminiKii DIMANCHE-ILLUSTRÉ<br />

LES ROMANS DE LA VIE<br />

LOUIS-ANGE PITOU, CHANTEUR DES RUES SOUS LA RÉVOLUTION<br />

MOUS n apprendrons rien à personne,<br />

en disant que la chanson est née<br />

en France, et que " cette vivante et<br />

mobile expression de l'opinion<br />

publique " ne pouvait naître<br />

ailleurs.<br />

On chantait déjà dans les Gaules, on chansonna<br />

sous Philippe Auguste. Troubadours<br />

normands ou trouvères provençaux, dans le<br />

Nord et dans le Midi, se répandirent, en tous<br />

lieux, des chansonniers.<br />

Puis la chanson est mêlée aux événements<br />

politiques : la Fronde, Mazarin, sont l'objet de<br />

maints couplets, plus ou moins satiriques.<br />

Les ambassadeurs de Siam, M me de Maintenon<br />

eurent leur tour. La favorite du roi<br />

Louis XV ne fut pas épargnée.<br />

Du Pont-Neuf, où les chanteurs des rues<br />

avaient élu domicile, la chanson se répandit<br />

dans les rues ; et l'on railla, tour à tour, les<br />

Etats généraux, la prise de la Bastille, la mort<br />

de " Capet " et celle de Marie-Antoinette.<br />

On chansonna l'abbé Maury, qui répondait<br />

ai fièrement à ceux qui voulaient l'envoyer à la<br />

lanterne : " Y verrez-vous plus clair ? " On<br />

chansonna la Montagne, le salpêtre républicain,<br />

le divorce.<br />

La Terreur survient, les chanteurs sont<br />

devenus muets, et pour cause ! La chute de<br />

Robespierre leur déliera la langue. C'est alors<br />

qu'apparaît Ange Pitou, qui va conquérir une<br />

notoriété que consacreront définitivement les<br />

auteurs de la Fille de Madame Angot.<br />

Ange Pitou séduit tout de suite le public par<br />

sa crânerie, dans un temps où il y allait de la<br />

tête à se montrer trop téméraire.<br />

Son premier libelle est un journal, mêlé de<br />

prose et de vers, qu'il intitule : Tableau de Paris,<br />

et dont l'épigraphe mérite d'être rappelé :<br />

" Je veux chanter ou satirer les coquins, les<br />

septembriseurs, les filous, les badauds, les<br />

espions et toute la bande à Cartouche. Je veux<br />

dire que Barère a présidé les Feuillants et les<br />

Jacobins, que Carrier a noyé les Nantais, que<br />

Fouquier-Tinville se moque de nous et que<br />

l'on veut le sauver et le remettre en place.<br />

f\Vl était, d'où venait cet audacieux pam-<br />

V/ phlétaire ? Esquissons, en quelques lignes,<br />

la oiographie du citoyen.<br />

Celui que l'on appelait le " Garât des carrefours<br />

" '— Garât était un des plus célèbres<br />

chanteurs de l'époque — était originaire de<br />

Valainville, paroisse de Moléans-Molitard,<br />

ci-devant marquisat de Prunelay, comté de<br />

Dunois, à deux heures de Châteaudun ; ainsi<br />

le constate son acte de baptême, qui porte, en<br />

outre, qu'il est né, l'an 1767, le 2 avril, du<br />

légitime mariage de Louis Pitou, tailleur, et<br />

Jeanne Collet, ses père et mère.<br />

Son parrain était régisseur de la terre de<br />

Mémillon, et intendant du château de M. de<br />

Laborde. Ange perdit ce parrain de bonne<br />

heure, de même que son propre père ; et, à<br />

dix ans, il restait seul au monde avec sa mère,<br />

" sans fortune ni défense ", et avec sa tante,<br />

bien autrement avisée que sasœur et qui entendait<br />

se charger seule de l'éducation de son<br />

neveu. Elle voulait faire de l'enfant un prêtre<br />

et elle travailla, dès ses premières années, à<br />

l'orienter dans cette voie ; mais l'adolescent ne<br />

se sentait aucune vocation pour l'état ecclésiastique<br />

et affirmait sa prédilection pour le<br />

droit. Sa tante l'envoya, pour lui changer les<br />

idées, à Chartres, pour y suivre les cours du<br />

séminaire de Beaulieu. Durant les vacances de<br />

1784, ayant pénétré, un jour, dans la bibliothèque<br />

de son oncle, il se mit à lire avec passion<br />

tous les livres dont elle était composée ; il<br />

dévora de la sorte les œuvres de Voltaire,<br />

Rousseau, Fénelon, Montesquieu, Bayle, Spinoza<br />

Aussi, quand il quitta Châteaudun, pour<br />

aller à Chartres recevoir les ordres, Ange<br />

Pitou abandonnant brusquement sescamarades,<br />

prenait la route de Paris, n'ayant pour tout<br />

viatique que huit louis en poche et, sur 1 épaule,<br />

une petite valise contenait un frac violet, deux<br />

cravates, sept chemises et le manuscrit d un<br />

poème de sa composition, la Voix de la Nature.<br />

Il fit son entrée dans la capitale, le ZU <strong>octobre</strong><br />

1789, à 6 heures du matin, sans fortune,<br />

sans connaissances, livré à tous les hasards<br />

Paris était, ce jour-la en rumeurLouis XVI<br />

venait d'être ramené de Versailles sous la<br />

conduite d'une escorte qui n avait rien de<br />

rassurant pour 1 avenir de la amille royale.<br />

Le boulanger, la boulangère et le petit mitron<br />

sentaient une hostilité sourde gronder audessus<br />

de leurs têtes. Notre jeune provincial<br />

croisa le sinistre cortège et, dès ce moment,<br />

sa résolution fut prise .: il se dévouerait corps<br />

et âme, à la royauté, ainsi avilie et persécutée.<br />

Tandis qu'il faisait ces reflexions, la taim<br />

r le D r CASÂMES<br />

Ce fut une bien curieuse figure que celle d'Ange Pitou, témoin<br />

de la Révolution et chanteur des rues sous le Directoire. Le<br />

D T Cabanes nous fait assister à la vie fort mouvementée du<br />

chansonnier, que les chansonniers chansonnèrent eux aussi.<br />

commençait à lui tenailler l'estomac. Où iraitil<br />

chercher un gîte, où prendrait-il pension ?<br />

Dans son incertitude, il eut recours à un moyen<br />

plaisant pour se déterminer : " Je perche, dit-il,<br />

mon chapeau au bout de ma canne; je le fais<br />

tourner, attachant ma destinée à la direction de<br />

la corne droite, qui se fixe à l'est-sud-est. "<br />

C'est donc au Quartier Latin qu'il ira chercher<br />

asile, la flèche de Saint-Séverin lui a indiqué<br />

la direction qu'il doit suivre. Il descend rue<br />

Saint-Jacques, à l'hôtel Henri IV, où il s'inscrit<br />

comme étudiant en théologie. Il se contente<br />

d'un petit cabinet " près des faubourgs du<br />

Paradis ", dîne de très bon appétit et, après le<br />

souper, se rend au Théâtre-Français, où il<br />

est enthousiasmé par la manière dont jouent<br />

Molé et M lle Contât, parfaits à leur ordinaire.<br />

Cette première soirée fut malheureusement<br />

gâtée par un fâcheux incident : d'adroits filous<br />

subtilisèrent au spectateur naïf et " emballé<br />

trois louis, pendant qu'il applaudissait à<br />

outrance les acteurs dont le jeu le transportait.<br />

Le besoin de se créer une situation devenait<br />

pressant. C'est alors que Pitou rencontre une<br />

vieille dame de Chartres, qui s'intéresse à son<br />

jeune compatriote ; elle lui remet des lettres de<br />

ANGE PlTOU, d'après une gravure ancienne.<br />

recommandation pour Fabre d'Eglantine et<br />

iour Brune, le futur général, qui dirigeait alors<br />

Ïe Journal général de la Cour et de la Ville. Il<br />

reçoit, de ces personnages, l'accueil le plus<br />

encourageant, mais rien autre chose que des<br />

promesses ; un peu plus tard, il obtiendra d être<br />

chargé de la rédaction des échos à la feuille<br />

qui, par maie aventure, n'eut qu'une vie éphémère.<br />

Il n'y touchait, semble-t-il, qu'une maigre<br />

rétribution, mais il avait le pied à l'étrier;<br />

désormais, il était journaliste 1 En cette qualité,<br />

il aura son entrée dans les clubs, à l'Assemblée<br />

nationale, aux Jacobins, récoltera un<br />

trésor d'observations et fortifiera sa haine<br />

contre les puissants du jour.<br />

Son dévouement eut bientôt sa récompense.<br />

Certain jour, vint aux bureaux du journal dont<br />

Pitou était un des plus modestes collaborateurs,<br />

l'abbé Lenfant, confesseur du roi.<br />

L'illustre personnage demande à voir l imprimeur<br />

et, mis en présence de celui-ci, lui<br />

exprime le désir de connaître le publiciste qui<br />

a pris si courageusement la défense de la<br />

J<br />

royauté. Ange Pitou se présente ; l'abbé Lenfant<br />

lui marque le désir de la reine de le féliciter<br />

elle-même pour son attitude. Le prêtre<br />

et le journaliste prennent de conserve le<br />

chemin des Tuileries, où Marie-Antoinette<br />

s'empresse de les accueillir. La reine donne<br />

son portrait en miniature à l'héroïque champion<br />

de la monarchie, en même temps qu'elle lui<br />

remet une bourse de 1.500 livres, premier<br />

trimestre d'un traitement annuel de 6.000 livres,<br />

que le roi accordait au jeune libelliste. Ange<br />

Pitou croyait sortir d'un rêve ; désormais, son<br />

dévouement, sa vie furent acquis plus que<br />

jamais à ses protecteurs.<br />

Grâce à son double métier de journaliste<br />

et d'agent royal, il lui sera donné de voir bien<br />

des choses, qu'il notera curieusement sur ses<br />

tablettes.<br />

Il assiste aux événements du 20 juin 1792,<br />

où la populace avait coiffé le Dauphin d'un<br />

bonnet rouge. Il est témoin des événements<br />

du 10 août, où les Suisses sont massacrés.<br />

Ange Pitou était également présent à la<br />

séance de la Convention où fut décidé si on<br />

donnerait un conseil à Louis XVI. Quand<br />

défilèrent à la tribune les députés d'Eureet-Loir,<br />

ses compatriotes, Ange Pitou entendit<br />

l'un d'eux opiner négativement, en s'écriant<br />

avec violence que les Bourbons étaient des<br />

tigres. Celui qui s'exprimait de la sorte était<br />

son ancien professeur de rhétorique du séminaire<br />

de Chartres, celui-là même qui qualifiait<br />

l'orthographe de Voltaire d'orthographe<br />

des impies 1<br />

Le 25 décembre, la Convention décrétait<br />

que Louis XVI paraîtrait le lendemain à sa barre<br />

pour produire ses moyens de défense ; Ange<br />

Pitou assistait à cette fameuse séance ; pour y<br />

avoir place, il s'était rendu à l'Assemblée dès<br />

la veille, à six heures du soir. " A cinq heures<br />

du matin, on était si pressé dans les tribunes et<br />

dans les avenues de 1 Assemblée, que personne<br />

ne pouvait sortir...<br />

En quelques traits, notre reporter croque<br />

l'attitude de Louis XVI devant ses juges :<br />

" Le monarque est revêtu d'une redingote de<br />

drap gris moucheté ; ses cheveux sont négligés,<br />

mais il est calme ; la sérénité a de l'éclat sur<br />

un visage sans fard. "<br />

Peu de jours après la comparution de<br />

Louis XVI devant ses juges, Ange Pitou était<br />

arrêté, pour avoir, au cours d'un dîner chez un<br />

de ses amis, improvisé des couplets contre-révolutionnaires.<br />

A ce dîner, chez un lieutenant de<br />

gendarmerie de l'armée du Rhin, se trouvaient<br />

un déserteur allemand et une ancienne marchande<br />

de Lyon, ruinée par ses prodigalités,<br />

qui s'était réfugiée à Parts avec sa fille et y<br />

avait pris un atelier de broderie. La conversation<br />

ayant roulé sur les faits du jour, on<br />

s égaya sur la Convention, sur les Tuileries.<br />

Pitou, pressé de composer une chanson, lança<br />

ces strophes vengeresses, dont la première<br />

suffit à donner le ton :<br />

Je voudrais bien voir le repaire<br />

Où tous ces brigands font des lois.<br />

Ils occupent le sanctuaire<br />

Et de nos dieux et de nos rois.<br />

Aujourd'hui tout change de place.<br />

Au gré du sort tout est soumis;<br />

Et je ne fais plus la grimace<br />

De voir l'enfer en paradis.<br />

Ces vers n'étaient pas bien méchants ; il<br />

f<br />

n empêche que ceux qu'ils visaient en prirent<br />

ombrage arrêté dans son logement de la rue<br />

Percée-André-des-Arts, n° 22, conduit d'abord<br />

à la prison Marat le 31 décembre 1793, à la<br />

Conciergerie le 8 janvier 1794, à Bicêtre, dans<br />

un cabanon, Pitou ne comparut que le 24 mai<br />

1794 devant le Tribunal révolutionnaire. Au<br />

bout de dix minutes de délibération, le jury<br />

déclarait qu'il avait été " conspiré contre la<br />

République, la liberté et la sûreté du triomphe<br />

français, en tenant des propos tendant à la<br />

dissolution de la représentation nationale,<br />

l'avilissement des autorités constituées et le<br />

rétablissement du despotisme ", mais que<br />

Louis-Ange Pitou n'était pas convaincu d'être<br />

j'auteur de cette conspiration. En conséquence,<br />

il fut mis en liberté, et les jurés, dont cinq sur<br />

onze s'étaient prononcés pour la peine de<br />

mort, l'emmenaient dîner avec eux ! A la fin<br />

du repas, l'incorrigible partisan faillit se compromettre<br />

à nouveau par des propos imprudents,<br />

et en refusant de boire aux institutions<br />

républicaines. Il ne dut son salut qu'à la présence<br />

d'esprit d'un des jurés, qui le fit reconduire<br />

chez lui par un agent, auquel il le recommanda<br />

comme n'ayant pas toute sa raison.<br />

Deux mois après, Thermidor arrivait :<br />

c'était, pour notre héros, l'aurore d'une vie<br />

nouvelle. Mais, de nouveau, se posait à lui le<br />

problème de l'existence. L'agiotage du papier<br />

faisait monter son traitement de journaliste<br />

à un sol par jour ! C'est alors que, pour vivre,<br />

l'idée lui vint de descendre dans la rue et de se<br />

faire chanteur populaire. Le 1er juillet 1795,<br />

à cinq heures du matin, il inaugurait sa carrière<br />

d'artiste en plein vent. A six heures, il avait<br />

déjà gagné cent écus (en assignats) ; il s'en<br />

retournait chez lui, et, à dix heures, il était à<br />

sa table de travail, rédigeant la séance du jour<br />

à la Convention. Tous les jours, de 1795 à<br />

1797, Ange Pitou s'installait devant le portail<br />

de Saint-Germain-1'Auxerrois, chantant et parlant<br />

tour à tour, assaisonnant d'épigrammes et<br />

de lazzis ses couplets railleurs, criblant la<br />

République de sarcasmes et de brocards. Il<br />

faisait, raconte-t-il, plus de cinquante francs<br />

de recette par jour, et, au moment où le numéraire<br />

ne commençait qu'à reparaître, il nageait<br />

" dans l'abondance, au milieu de la disette. "<br />

Seize incarcérations, le retrait de sa patente,"<br />

loin de servir de leçon au chanteur royaliste,<br />

ne firent qu'accroître sa hardiesse. Mais celleci<br />

devait finalement lui coûter cher. Condamné<br />

à la déportation perpétuelle, Ange Pitou fut<br />

mis en route le 26 janvier 1798.<br />

I L a publié le récit de sa transportation et de<br />

son séjour à Cayenne, en compagnie de<br />

Billaud-Varennes et de Collot d'Herbois. Il<br />

passa trois années sous le ciel meurtrier de la<br />

Guyane, qu'il parvint à quitter le 7 prairial<br />

an IX, pour rentrer en France, où la révolution<br />

du 18 brumaire avait opéré maintes transformations.<br />

Mais il n'était pas au terme de ses<br />

tribulations. Détenu, dès son arrivée, à la<br />

prison Sainte-Pélagie, il y resta dix-huit mois,<br />

écrivant à toutes les autorités pour réclamer<br />

sa mise en liberté, sans que nul ne daignât<br />

prêter l'oreille à ses plaintes. Ce n'est que<br />

lorsqu'il eut l'idée de s'adresser au Premier<br />

Consul en personne, que Bonaparte fit droit à<br />

sa requête, et donna 1 ordre de le relâcher.<br />

Pitou, qui demeurait alors rue des Vieux-<br />

Augustins, n° 57, s'établit libraire rue Croixdes-Petits-Champs,<br />

21 ; du seuil de sa porte,<br />

il pouvait voir l'ancien théâtre de ses audaces<br />

et de ses succès. Que de réflexions devait lui<br />

suggérer ce retour en arrière, vers un passé qui,<br />

s'il n'avait pas été sans péril, n'avait pas été<br />

sans gloire 1 D r CABANES.

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