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Thème: «Liberté d’information et droit de savoir»<br />
Céremonie d’hommage à<br />
Ernst IWIY’A <strong>KALA</strong> <strong>LOBE</strong><br />
MINCOM<br />
MINCULTURE
2<br />
POST FACE DU PRINCE BELL<br />
27
POST FACE DU PRINCE BELL<br />
26<br />
PREFACE DU MINCOM<br />
3
BIOGRAPHIE D’IWIY’A <strong>KALA</strong> <strong>LOBE</strong><br />
Ernest Iwiy’a Yèsco <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong>, est<br />
né le 15 Novembre 1917, à Douala,<br />
Cameroun, de Ndumbè et Maria <strong>KALA</strong>-<br />
<strong>LOBE</strong>, qui venaient juste de perdre un<br />
fi ls en bas âge, en 1916. Un malheur<br />
n’arrivant jamais seul, son père décède<br />
l’année suivante.Ndumbè était le fi ls d’<br />
Eless Kala-Lobè, un Njako n’ Ebellè, de<br />
Bona Njoh, canton Bell, et de Gnake<br />
Dikumé, une Bona Mbulè d’Aboo.<br />
Nous sommes en 1918, Iwiy’a a un an<br />
à peine. Sa mère Maria, ( qu’il appelait<br />
Inyii ), née Mandessi-Bell, se remarie<br />
plus tard, à Douala toujours, avec W.<br />
Diop, Tirailleur Sénégalais de son état.<br />
Naissent Suzanne et Christianne. C’est<br />
alors qu’Inyii-Maria, suivant son mari,<br />
embarque pour Dakar avec les fi lles.<br />
Elle laisse Iwiy’a avec son grand-père,<br />
David Mandessi Bell, qui fi nira par l’envoyer<br />
rejoindre sa mère, excédé par le<br />
refus de son petit-fi ls (son premier petit<br />
enfant ! né de son premier enfant à lui<br />
David !) de faire des études de médecine<br />
à Ayos ! Et devenir médecin africain.<br />
Le motif de ce refus? «Ma vocation,<br />
c’est d’être journaliste! «dira le jeune<br />
Iwiy’a au directeur de l’Université de<br />
Médecine, qui, interloqué, lui demanda<br />
s’il savait bien ce que signifi ait « vocation<br />
« !<br />
En ces temps, les trois premiers de<br />
l’École Supérieure de Yaoundé, déjà<br />
boursiers, étaient prioritairement admis<br />
à Ayos. Son grand-père dut rembourser<br />
sa bourse...<br />
David Mandessi Bell, procheami de<br />
Njoya, le sultan des Bamoun, avait été<br />
recueilli, à Aboo, par Ndumb’a Loba (<br />
le grand-père de Rudolph Duala Manga<br />
Bell), qui en fi t son fi ls adoptif.<br />
C’est pour cela qu’à la mort de Ru-<br />
4<br />
dolph DMB ( exécuté par<br />
les Allemands, en 1917), David MB<br />
s’occupera de payer les études<br />
d’Alexandre , le fi ls de Rudolph, héritier<br />
au trône. Mandessi, en dwala, ça veut<br />
dire caprice.<br />
David avait pour épouse, Mounjonguè,<br />
gente dame de Bona Bèdi, sur l’autre<br />
rive du Wouri, où se trouvait l’arbre<br />
rituel - mukala njoo - de la mantique<br />
sawa.<br />
Richissime planteur, David Mandessi-<br />
Bell était le plus gros exportateur de bananes<br />
de son temps. On retrouve quelques<br />
ambiance et atmosphère de ses<br />
vastes plantations dans le roman (inédit),<br />
de son petit-fi ls Iwiy’a Kala-Lobè, «<br />
Muna Moto «( le Fils de l’Homme).<br />
Iwiy’a embarque pour Dakar, en 1936,<br />
où la famille s’est agrandie des naissances<br />
de David ( le poète disparu dans<br />
un accident d’avion, en 1960, avec son<br />
épouse Yvette ), Thérèse et Adrien.<br />
Iwiy’a passe jeunesse et scolarité entre<br />
Douala et Dakar, et trouve le temps de<br />
jouer au foot-ball tant à l’Oryx Club de<br />
Doula qu’à la Jeanne d’Arc de Dakar.<br />
1939, il rencontre MISYLA, gente dame<br />
de Sao Tomé et Principe, vivant à Dakar.<br />
Naissent, de leur libre union, Victor,<br />
Augusta et David ( 1941-1943).<br />
Iwiy’a part ensuite pour la France, en<br />
1946. Coïncidence, il embarque sur le<br />
même bateau, «le Cap Tourane», qui<br />
venait de débarquer, en provenance<br />
de Douala, une certaine Sarah Béboï<br />
Kutta qui entrait à l’École Normale des<br />
Institutrices, de Rufi sque.<br />
1946 donne aussi le coup d’envoi de<br />
sa période Quartier Latin, avec les<br />
Gontran-Damas, Dadié, Césaire, Senghor<br />
et autres François Amorin, Jac-<br />
CHRONIQUEUR DE PERE A FILLE<br />
25
CHRONIQUEUR DE PERE A FILLE<br />
24<br />
BIOGRAPHIE D’IWIY’A <strong>KALA</strong> <strong>LOBE</strong><br />
ques Rabemanjara et Alioune Diop,<br />
son beau-frère (qui a épousé sa sœur<br />
Christianne-Yandé).<br />
Son diplôme de journaliste obtenu, à<br />
Paris, en 1948, voici Iwiy’a à Douala,<br />
où il convole en premières noces, en<br />
mars 1949, avec Sarah Béboï. Aînée<br />
de sa famille, Sarah est la fi lle du prince<br />
Malimba, Dipanda Kutta. Sa mère,<br />
Béma, née Duala Manga Bell, est la<br />
soeur ( même père ) du roi Rudolph<br />
Duala Manga Bell. Et la mère de Béma,<br />
Ma Titty, est d’ Aboo, comme la grandmère<br />
d’Iwiy’a..<br />
Sarah Béboï lui donne : Maria Engomè<br />
(1949-1999), Ndumbè Frédéric, Suzanne<br />
Béma, Thérèse Mbango, Adrien<br />
( 1955-1955), Henri-David Lobè, Marlène<br />
et Georgette( les jumelles ), et Max-<br />
Christian Manga, tous nés à Douala,<br />
sauf ce dernier, né à Neuilly-sur-Seine,<br />
la famille s’étant envolé pour l’Ile-de-<br />
France, fi n juillet 1963.<br />
Journaliste, Iwiy’a - ou plutôt IKA, car<br />
tel était son surnom - devient le chroniqueur<br />
acidulé ( acide, lucide et adulé<br />
) de la diaspora afronègre. Ainsi sa fameuse<br />
chronique « King fo’ tolly «, en<br />
pidgin, tandis que les caricaturistes<br />
d’alors lui tiraient le portrait avec sa<br />
coupe plateau et son éternelle cigarette.<br />
Après avoir accompagné, en France<br />
entre autre, le Prince Alexandre Duala<br />
Manga-Bell (dont il était le Secrétaire),<br />
de retour au Pays, en 1952, il fonde<br />
« le Petit Camerounais « et collabore<br />
à « l’Eveil du Cameroun «, de 1953 à<br />
1960. Participe deux ans au Ministère<br />
de l’information et de la Communication,<br />
à Yaoundé, en 1961-1962, avant<br />
5<br />
de refuser d’être le premier directeur<br />
de l’École Supérieure de Journalisme<br />
de Yaoundé, fraîchement créée, fi n 60début<br />
70’.<br />
Mais ses fonctions d’Administrative Manager,<br />
à la Société Africaine de Culture,<br />
dè1957à 1991, l’accaparent de plus en<br />
plus. Tout en continuant de participer<br />
au comité de lecture de Présence Africaine<br />
éditions, ainsi qu’à la rédaction<br />
de la revue Présence Africaine.<br />
Ika écrit, en 1981, un livre sur l’historique<br />
roi martyr Sawa, « Rudolph Duala<br />
Manga Bell « ( éd. NEA-Présence Africaine),<br />
ayant été le Secrétaire d’Alexandre,<br />
le fi ls de Rudolph .<br />
Décédé le 7 Octobre 1991, à Colombes,<br />
en Île de France, Ernst Iwiy’a KA-<br />
LA-<strong>LOBE</strong>, Vice Doyen des journalistes<br />
africains, sera enterré au cimetière de<br />
Njôh Njôh, à Douala.<br />
IKA nous laisse bien évidemment quelques<br />
écrits et moult articles.<br />
Mais c’est surtout son extraordinaire<br />
simplicité de vivre sa si enrichissante<br />
humanité qui restera son legs le plus<br />
signifi catif.
UNE ARAIGNEE M’A DIT<br />
Par Iwiy’a <strong>KALA</strong>-Lobé<br />
«DIBOBE-LA-NGAMBI», l’Araignée divinatoire,<br />
m’a dit : « les amulettes de<br />
la sagesse africaine sont malades ! Un<br />
mal terrible les ronge. Avec mes yeux<br />
occultes j’ai essayé de le dépister, mais<br />
il s’échappe encore… Car c’est un mal<br />
spécial, importé, pernicieux, insaisissable…<br />
J’ai consulté les quatre Cauris de<br />
mes points cardinaux ont refusé de se<br />
retourner pour me livrer leur secret !...<br />
j’ai interrogé « Ngalo », mon confrère en<br />
divination, mais « Ngalo », l’Oracle infaillible,<br />
a baissé la tête et s’est enfermé<br />
dans un mutisme impénétrable !... Cependant<br />
je crois deviner les causes du<br />
mal qui tue doucement les Amulettes de<br />
la Sagesse africaine…<br />
«UNE SEULE MAIN N’ATTACHE PAS UN<br />
PAQUET»<br />
« Le sceptre de commandement laissé intact<br />
par vos ancêtres et qui servait de régulateur<br />
de l’équilibre communautaire, a été souillé<br />
par des mains expertes et non initiées !... Les<br />
nouveaux ayants droit ont voulu se le partager…<br />
Ils veulent commander, mais ils n’ont<br />
pas appris à obéir… Ils veulent commander<br />
et ne savent pas qu’ « une seule main n’attache<br />
pas le paquet »…Ils veulent commander<br />
et ils ignorent les bienfaits de la palabre communautaire…<br />
Ils veulent commander, mais<br />
ils n’ont pas appris à pagayer, ils n’ont pas<br />
appris à tenir le gouvernail de la « pirogue<br />
communautaire » qui assurait le ravitaillement<br />
des populations… Ils veulent commander<br />
et ne savent pas se faire obéir… Ils<br />
veulent commander et ne savent pas se faire<br />
aimer, ne savent pas convaincre, ne savent<br />
articles SIGNES D’IKA<br />
6<br />
pas se rendre populaires…<br />
UNE SINISTRE TRILOGIE : LADELATION,<br />
LA PRISON, LA POTENCE !...<br />
« Alors, pour se faire aimer, pour convaincre,<br />
pour devenir »populaires », ils croient devoir<br />
employer la délation, la prison et… la potence<br />
!... Le mouchardage s’institutionnalise.<br />
La prison envahit les villages. La potence<br />
plane sur l’Arbre-à-palabres. Jamais de mémoire<br />
de « Ngambi », je n’ai vu ni compté sur<br />
mes doigts autant d’abus de pouvoir !... Les<br />
vents des quatre points cardinaux, qui viennent<br />
me consulter, ne m’ont jamais raconté,<br />
autrefois, autant d’histoires incroyables que<br />
celles qu’ils me confi ent depuis qu’on a brisé<br />
le sceptre traditionnel pour le remplacer par<br />
des gris-gris importés…<br />
EMPRISONNER N’EST PAS CONVAINCRE<br />
« On emprisonne les mères des familles<br />
sans tenir compte de l’avenir de leurs enfants<br />
!... On emprisonne pour le plaisir d’emprisonner<br />
!... On emprisonne les jeunes fi lles<br />
par ce que c’est la seule manière de venir à<br />
bout de leur résistance !... On emprisonne de<br />
vieilles femmes par ce qu’on a peur de leur<br />
témoignage, par ce qu’on a peur d’elles !...<br />
On emprisonne pour le plaisir d’emprisonner<br />
!... On emprisonne des hommes innocents<br />
et humbles, par ce que leur innocence, leur<br />
humilité deviennent gênantes dans un univers<br />
ou ces mots non plus de signifi cation !...<br />
On emprisonne pour le plaisir d’emprisonner<br />
!... On emprisonne des rivaux heureux dans<br />
des histoires galantes pour se débarrasser<br />
d’eux !... On emprisonne par complexe de<br />
médiocrité !... Mais comme la peur est omniprésente<br />
dans la conscience tourmentée de<br />
ceux qui n’ont pas appris à obéir avant de<br />
prétendre commander, ceux qui prétendent<br />
commander continuent d’emprisonner pour<br />
libérer de la peur…<br />
De reconnaissance. Plutôt une disgrâce.<br />
Ni le tintamarre. Il aimait sa philosophie ointe<br />
Du sacré jusqu’à s’en pourlécher la fi ne moustache.<br />
Ainsi, vivait le dernier roi d’Afrique,<br />
Iwiyé Kala-Lobe soi-même, monstre sacré aux yeux<br />
De biche apeurée du mont Cameroun,<br />
Qui avait des vapeurs d’encens dans les narines<br />
Et des cierges allumés dans le regard, pour faire<br />
Détaler d’un train d’enfer, les anges pervers.<br />
Au pas lent d’antan, plénipotentiaire,<br />
Il faisait, cependant, dans la simplicité,<br />
Jamais dans l’envie, l’ambition obsédante,<br />
Sans talent pour l’entregent.<br />
Kala, comme les marins, je te salue<br />
D’un triple hourra, là-haut! J’observe<br />
Ton regard de silence au loin<br />
Qui Protège la sieste des fl amants roses,<br />
Des frais cormorans dans la mangrove,<br />
Sur les bords du géant Niger des légendes d’enfance !<br />
Dans ses derniers jours sur terre,<br />
Il avait des perles de sanglots à peine<br />
Perceptibles, des gestes brusques de lassitude,<br />
D’abandon, comme un désespoir qui ne voulait pas dire<br />
Son nom, jusqu’au bout discret, pudique.<br />
Dans une lucidité tragique, qu’il cachait du mieux<br />
Du soleil, il semblait signifi er<br />
Que tout feu retombe en cendres. Alors, il se levait,<br />
Arborait du gris sombre et se perdait<br />
Dans le clair obscur lunaire, vers Censier,<br />
Vers une sœur au nom de Providence, une incarnation<br />
Du dévouement qui l’accompagnera jusqu’au bout.<br />
La vie ne l’avait pas ménagé. Des coups d’éclat<br />
Avaient ponctué son parcours de pionnier<br />
Dans «ECLAIRS D’EBENE ET DE DIAMANT»<br />
PAUL JOACHIM<br />
PRESENCE AFRICAINE<br />
23
Oscillait toujours entre l’angoisse métaphysique<br />
Et la dérision parodique,<br />
Entre l’Ecclésiaste et le Bouddha,<br />
Ses garçons d’honneur.<br />
Mais il n’avait l’âme ni pompeuse,<br />
Ni, grand Dieu, déclamatoire,<br />
Sauf, parfois, tard dans la nuit féconde.<br />
Il aimait entretenir le fl ou artistique<br />
Pour exciter le chaland, sur le zinc,<br />
Pour tester les vertus sonores de son organe.<br />
Dans les mastroquets de Saint-Lazare,<br />
Où nous improvisions, parfois, des oasis<br />
De palabres, combien de fois rai-je entendu<br />
Stigmatiser la revendication raciale<br />
Comme un folklore dérisoire<br />
Et pourfendre ses frères d’une verve iconoclaste?<br />
Au vrai, en dépit de tout le respect,<br />
De toute la fervente affection<br />
Dont il entourait Senghor, Césaire et Damas,<br />
Ses frères, ses amis, ses compagnons de route<br />
Et de subtile complicité,<br />
Kala n’aimait guère cette négritude larmoyante<br />
Par tous les bassins du monde,<br />
Qui s’encalminait, pour fi nir,<br />
Dans les méandres d’un racisme à rebours.<br />
Pour ce vieux marin, c’était un port d’escale<br />
Et rien d’autre, pour laver l’inacceptable<br />
Souillure séculaire.<br />
Tel était l’homme. Amarré à l’enfance,<br />
Il ne prenait jamais complètement le large,<br />
Lui qui fuyait les idées, surtout reçues,<br />
Comme la peste,<br />
Le virtuose de la transgression, qui aimait,<br />
Parfois, se laisser emporter par un vent délictueux<br />
De passage, Ulysse éperdu sans boussole.<br />
Solitaire, ancré dans son destin, prisonnier<br />
Des mailles de ses songes et des soleils révolus,<br />
Il aura vécu, fi nalement, pour son seul lustre.<br />
Obsédé par Alioune Diop, son seul-plus-que-lui-même<br />
Admis ici-bas, il se drapait tous les sens<br />
De sa parole ciselée et habitait sa souveraine<br />
Discrétion partout où il le suivait.<br />
Le galop d’enfer n’était pas son signe<br />
22<br />
ON A PROFANE L’ARBRE GENEALOGI-<br />
QUE COMMUNAUTAIRE…<br />
«Oui, les Amulettes de sagesse africaine sont<br />
bien malades !... Les nouveaux ayants droit<br />
ont craché sur l’Arbre généalogique communautaire.<br />
Ils ont desséché ses branches en y<br />
accrochant des cordes à nœud coulant pour<br />
pendaisons publiques. Sur la place publique<br />
du grand village-prétexte se dressent lugubrement<br />
des dizaines de potences liberticides.<br />
N°175 juillet 1966<br />
«MENTALITE MAGIQUE» :<br />
« FREIN PSYCHOLOGIQUE AU DEVE-<br />
LOPPEMENT »(1)…<br />
Par Iwiy’a <strong>KALA</strong> Lobé<br />
JAMAIS, au cours de leur histoire, l’Afrique et<br />
les Africains n’ont été autant examinés, analysés,<br />
interprétés, auscultés, psychanalysés,<br />
fouillés, explorés, mesurés, pesés soupesés,<br />
chronométrés, balisés, sondés, codifi és, stéréotypés,<br />
planifi és, disséqués, « perforés »,<br />
fi chés, fi ltrés, indexés… que depuis l’avènement<br />
des indépendances !...<br />
A peine « convalescents » encore durement<br />
éprouvés par le traumatisme colonial,<br />
dangereusement menacés par les subtilités<br />
du néocolonialisme, inlassablement sollicités<br />
par des idéologies néo-impérialistes, ils ont<br />
vu des commandos d’ « experts » s’acharner<br />
à poser sur eux toutes sortes de diagnostics,<br />
pessimistes ou optimistes, mais toujours péremptoires.<br />
DES JUGEMENTS HATIFS DEFORMES ET<br />
DEFORMANTS<br />
De tels desseins ne peuvent mener, il nous<br />
semble, qu’à des jugements hâtifs, déformés<br />
articles SIGNES D’IKA<br />
7<br />
et déformants. Car s’il est admis que l’héritage<br />
de la civilisation occidentale permet aux<br />
« tètes froides » occidentales de se prendre<br />
pour les seuls maitre à penser de notre planète<br />
et d’imposer au reste de l’univers leur<br />
façon de voir et de considère les choses et<br />
les êtres, il n’est pas moins évident que, ce<br />
faisant, ils poussent trop loin leur cartésianisme.<br />
(1) « L’Afrique se Développe-t-elle ? » in « la<br />
Table Ronde », n° 231, avril 1967<br />
Nkrumah et le rôle du journalisme<br />
dans la libération de l’Afrique<br />
Dans son Autobiographie (1), Kwame<br />
Nkrumah raconte comment dès sa prime<br />
jeunesse, alors qu’il venait de terminer<br />
la première phase de ses études à Achimota<br />
et qu’il exerçait les fonctions de «<br />
moniteur de l’enseignement» dans un<br />
séminaire catholique d’Amissano, son<br />
nationalisme fut mis en éveil par les articles<br />
que Nnamdi Azikiwe (« Zik ») publiait<br />
dans l’African. Morning Post et qui<br />
dénonçaient les atrocités commises par<br />
les Italiens en Abyssinie ... C’était pendant<br />
les années trente.<br />
II raconte également (2) comment pendant<br />
ses années d’études aux US.A.,<br />
à l’Université de Lincoln, après y avoir<br />
obtenu en 1939 ses grades de «Bachelor<br />
of Arts », il eut l’intention d’entrer à<br />
l’Ecole de Journalisme de l’Université de<br />
Columbia...<br />
Pourquoi cette vocation - qui n’eut<br />
d’ailleurs pas de suites professionnelles<br />
( pionnières» semblables à celles tracées<br />
par Azikiwe avec le West African<br />
Pilot ? Il faut rappeler ici qu’au moment<br />
où Kwame Nkrumah sort d’Achimota, la
Gold-Coast, la Sierra-Leone et surtout le<br />
Nigeria possèdent depuis<br />
Longtemps une presse militante dont<br />
l’histoire et l’action inlassable et Courageuse<br />
ont servi et continuent de servir<br />
de’ levain à la prise de conscience de<br />
l’opinion publique des aborigènes de ces<br />
pays dans la lutte pour la conquête de<br />
certaines libertés fondamentales face à<br />
l’administration coloniale de la « fi ère et<br />
périme Albion ».<br />
KING FO TOLY !<br />
«Sapak» don fullôp aguen fo<br />
Nkong…<br />
Tam don kesh aguen ! Hao Yiar de daï<br />
smoll tam, éney woman de traï nao say<br />
mek hi get mony fo baï clothss and dam<br />
oll smol smol ting weh dem de yous am<br />
fo big day…<br />
Hao oll woman jall no fi tt satisfaï to Diwala,<br />
plemty don bigin djomp go waka, and<br />
all de go dasso fo Nkongsamba, nyiou «<br />
paradis » fo « sapak »…<br />
Foss time na Mbanga bin po’po « paradis<br />
» fo « sapak », di tam weh docta<br />
Pensy bin work dey.<br />
Di po’po ting weh meck « sapak » woman<br />
rôn Diwala dis tam plenty, na fossekop<br />
dis plaba fo carnet weh Police<br />
don bigin’am aguen. Eney naït pass 8’o-clock,<br />
matoa fo « monter sans payer »<br />
de waka oll pless fo kesh woman.<br />
Bôt fo Nkong dem di coll skin smoll,<br />
po’po wan sep. Dem no get no hambôg<br />
fo kesh’am leckey fo Diwala.<br />
Dam day, a mitt Marie Claire fo Nkong<br />
market, hi di kam teck biff (bikoss sapak<br />
no de baï noting dem di get’am dassol<br />
fry…) and mi na yi put smoll faïn toly.<br />
articles SIGNES D’IKA<br />
8<br />
Di woman say : A kam dassol teck small<br />
briss fo Nkong nôba pass wan wick. A<br />
don left Diwala wity nyi hambôg. So-so<br />
kesh woman fo naït, wi no get tchénss<br />
sép or fo go dancing, and you saby say<br />
na fo dam canna pless wi yon djôp de<br />
waka…<br />
« Fo Nkong smoll betta lép.Plenty man<br />
pickin di pay faïn and wi now plenty fo<br />
yia lecke fo Diwala… »<br />
- You say wunna no plenty fo<br />
Nkong ? Bôt a don si’am today pass ten<br />
sapak-woman…<br />
- Oh no ! Dan oll sapak weh you<br />
si’am so, som lép fo Manjo, som fo Nlohe,<br />
som fo Loum, soteeh fo Penja.Dem<br />
di waka dassol fo san tam, fo baï smollsmoll<br />
ting and fo naït éney wan di fo nyi<br />
yon quata.<br />
- Dat min say wuna di spuél plenty<br />
mony fo waka wity matoa so ?<br />
- Spuél wuss mony ? You mind<br />
say « sapak-woman » de pay matoa leckey<br />
oll oda possin ? You no saby say oll<br />
cauffeur na wi « contract » ?<br />
Na soh lép ! Oll sapak weh rôn fo Diwala<br />
go dassol fo Nkong !...<br />
«Bobolo» and «Mingondo» bin<br />
get plaba…<br />
You saby say Nyawondey pipil de tchop<br />
dassol « Atangana Bred » (dat bi say «<br />
Bobolo »), and Diwala pipil leck « Mingondo<br />
» pass mak. Wan day, Bobolo and<br />
Mingondo bin gét plaba…<br />
Bobolo tell Mingondo say, « louk hao you<br />
smoll ! You tann leckey wayan ! Na soso<br />
mop you get fo tock kongossa leckey<br />
dan doty woman weh de taï you… You<br />
de coss mi say makom fo nating… Na<br />
Sur l’îlot mal peigné du Quartier latin.<br />
:\1ajestueux, plénipotentiaire,<br />
Au pas lent d’antan et s’ornant les lèvres<br />
D’un murmure optimiste, sans doute, l’hymne<br />
De son cru d’une Afrique au sourire d’orifl amme,<br />
Il s’installait au milieu de sa cour,<br />
Gourmand de cérémonial, dans un bistrot italien<br />
De la rue des Écoles et n’en bougeant plus<br />
Jusqu’à la tombée du jour,<br />
Sidérant de sa voix d’oracle,<br />
Étincelant des fulgurances de la langue.<br />
Des volutes de fumée<br />
Lui sortaient des pores comme d’une ville humaine<br />
Surplombant la baie d’Afrique.<br />
Une poudre subtile livrée<br />
Par un féal sénégalais de vieux compagnonnage,<br />
Lui servait, entre autres, d’excitant supplémentaire<br />
Et la fête s’enfl ait d’accès d’humour,<br />
Montait jusqu’aux lisières<br />
Du périmètre d’une vigilante sœur<br />
Qui surgissait comme un proviseur de vie saine,<br />
Galant homme et de bonnes manières,<br />
Qui savait silence imposé d’un quart de soupir.<br />
C’était Kala-Lobé d’une bonne raquette du jour,<br />
Bien calé au fond du court,<br />
Au bord d’une fureur subite, une croisade entrevue<br />
Que les rafales de vent emportaient.<br />
Il n’était jamais l’homme<br />
De la fraternité impromptue<br />
Ou de la connivence crapule, malsaine,<br />
Il savait où rencontrer l’expression protégée<br />
Et les familles d’esprit<br />
Offertes à ses songes.<br />
Il avait, parfois, le langage cru,<br />
Mais toujours tiré à quatre épingles,<br />
Il aimait tirer à boulets pointus<br />
Sur les mœurs contemporaines<br />
Et il convient d’être de mèche<br />
Pour saisir le noyau dur de son humour.<br />
Sa tête de médaille commémorative,<br />
Gardienne de l’ordre et de la paix<br />
Partout où il passait,<br />
21
BOUQUET POUR IWIY’A <strong>KALA</strong>-LOBÉ,<br />
DERNIER ROI D’AFRIQUE<br />
TI avait horreur de l’horrible, des tocsins,<br />
Des adieux, des masques,<br />
TI était un mythe vivant, notre icône morale.<br />
TI était le verbe éveillé,<br />
Celui qui n’a jamais cru<br />
A l’insomnie des légendes,<br />
~ i rêvé d’une histoire inversée<br />
Pour ses petits-enfants, bien calé<br />
Dans ses vieilles croyances<br />
Et dans ses superstitions.<br />
Il était l’homme d’origine qui comptait double<br />
Avec l’ombre portée de la tradition<br />
Il était la parole éprise de ses charmes<br />
Et de ses prérogatives.<br />
Il aimait les clichés anciens bien jaunis,<br />
Caresser l’odeur de la patine<br />
Et se défaire de la trame de son identité<br />
Dans le tramway de Liège,<br />
À la vue d’un sourire de La Havane.<br />
Ses pieds pris dans l’écheveau des cultures,<br />
Il aimait la tendresse du ciel,<br />
Ravel et son boléro nostalgique.<br />
Il aimait parler par-dessus<br />
La tête des hommes. Ainsi parlait-il<br />
Aux squares, aux rues, aux places,<br />
Aux foules qui tournent sur les manèges.<br />
Il aimait les femmes, les océans à découvrir.<br />
Ainsi avait-il une sainte horreur<br />
De mouiller l’ancre dans une rade<br />
Où les marins ont la même préoccupation.<br />
Capitaine au long cours brûlé d’embruns<br />
Sous le casque blanc, il n’a jamais joint<br />
Sa voix aux chants des équipages.<br />
il aimait surtout son désir d’Afrique,<br />
Qui le portait à peupler de totems sanguins,<br />
Le crépuscule du matin.<br />
il apparaissait massif et propre,<br />
Tard le matin, tombé d’un paquebot de luxe<br />
20<br />
articles SIGNES D’IKA<br />
yousép you bi makôm fossekopsay you<br />
no get trong…»<br />
When Mingondo hiya so, hi bigin laff, laff<br />
soteeh hi piss fo nyi trossis … Bobolo<br />
vex wan tam, and hold Mingondo fo his<br />
neck : fo watt you laff mi ?... A de coss<br />
you, you tou you moss coss mi, bôt you<br />
de laff bicoss you want say pipil memba<br />
say you get sens pass mi… Louk you<br />
wowoh smoll skin !... »<br />
Mingondo hask Bobolo say ! « Ma mblola<br />
na true say a smoll bôt a smoll na smoly.<br />
A no tan leckey halfant weh de waka-waka<br />
fo bush and brock oll wety hi de mit fo<br />
nyi rod… » -<br />
« What ! You de coss mi naoh say<br />
mi na alfant and waka-waka ? »<br />
- « Hao ! You ïa you ném ? A de tock ma<br />
yon tock, a no coll Bobolo ném fe dey,<br />
and you bigin halla mi ? »<br />
Wan tam Bobolo nack Mingondo fo nyi<br />
féss. Dis wan fo say hi craï, hi bigin laff<br />
eguen. Bobolo wanda and say : « Hekieh<br />
! You full ? Mi a de bitt you and you<br />
de laff dassol ?... You no bi man pikin,<br />
bébélé Zamba !... »<br />
Na so Mingondo tell Bobolo say : You<br />
fi t trong leckey alfant, you fi t bit mi and<br />
coss mi hao you want, bôt di day weh<br />
you go smolly leckey mi, dan day a go<br />
teck you leck someting… Soteeh naoh,<br />
you na dassol big Bobolo, you no get<br />
test leckey mi… !<br />
Wuscanna man go kott dis plaba mindro<br />
Bobolo and Mingondo ?...<br />
Politik no gud!<br />
Tri-fi nga fo up, Politik no goud no smoll.<br />
Na som plaba weh de tchakala contry<br />
9<br />
b a d -<br />
wan !...<br />
Wan day<br />
you de<br />
si wan<br />
big Massa<br />
jomp<br />
soteeh fo<br />
ôp-ôp. Nyisép<br />
de bigin<br />
memba say nyi<br />
mamy bôn’am<br />
dassol fo say<br />
hi sidôn ôp-ôp.<br />
Dem canna tam<br />
dis possin no de<br />
memba daï… hi no<br />
de memba sép seh<br />
hi foll-dawn.<br />
Bôt dis tam weh<br />
big-Massa fo politik<br />
de sidôn fo nyi deck<br />
tchia, nyi comby<br />
de cott’am grass fo<br />
dawn-fout… When<br />
dem si him, dem de<br />
show dem titt leckey<br />
possin weh de laff,<br />
bôt na po’po laï. If<br />
dem shék nyi hand,<br />
na hand-cop dem<br />
de put’am so…<br />
When you yia<br />
say wan politik-Massa<br />
get comby<br />
or frénd,<br />
no go fo<br />
Malam<br />
eguen<br />
: na<br />
dassol<br />
cony
frénd. Wan de tchop<br />
anoda- wan… Na<br />
fossekop dat politikpipil<br />
dem no fi tt slipp<br />
kwaïett leckey you<br />
and mi : dem de drim<br />
all naït say Satan wan<br />
ttchop dem.<br />
Yes brôda !... politik laïf<br />
na leckey smol daï. Bôt,<br />
hao fo dou ? If you don<br />
gib you-sép dey, you no<br />
fi tt comott eguen : na leckey<br />
fan-fan jal weh man<br />
leck’am…Hi de si’am leckey<br />
sôn weh de meck hi<br />
cress fo di jal…And di tam<br />
weh hi saby dotty weh dis<br />
kuna-kuna jal de meck, hi<br />
go want kill nyi-sép !...<br />
Na so wi Politik big-big<br />
Massa dém lép. When tam<br />
fo foll dawn came, you di ïa<br />
noïss leckey mashin-gônn<br />
: « boum-hooum ! … » Hi<br />
don foll.<br />
Na dis oll ting mek wi leck<br />
sport pass mark.You bitt<br />
dis equip today, tomorrow<br />
dem equip’tou de bitt you<br />
di-sém,so-so and so,<br />
tey-baï-tey, man no de<br />
vex po’po vex bicoss<br />
na sport…<br />
Politik no gud!<br />
Tri-fi nga fo up, Politik<br />
no goud no<br />
smoll.Na som plaba<br />
weh de tcha-<br />
articles SIGNES D’IKA<br />
10<br />
kala contry bad-wan !...<br />
Wan day you de si wan big Massa jomp<br />
soteeh fo ôp-ôp. Nyi-sép de bigin memba<br />
say nyi mamy bôn’am dassol fo say hi<br />
sidôn ôp-ôp. Dem canna tam dis possin<br />
no de memba daï… hi no de memba sép<br />
seh hi foll-dawn.<br />
Bôt dis tam weh big-Massa fo politik<br />
de sidôn fo nyi deck tchia, nyi comby<br />
de cott’am grass fo dawn-fout… When<br />
dem si him, dem de show dem titt leckey<br />
possin weh de laff, bôt na po’po laï. If<br />
dem shék nyi hand, na hand-cop dem de<br />
put’am so…<br />
When you yia say wan politik-Massa get<br />
comby or frénd, no go fo Malam eguen<br />
: na dassol cony-frénd. Wan de tchop<br />
anoda- wan… Na fossekop dat politikpipil<br />
dem no fi tt slipp kwaïett leckey you<br />
and mi : dem de drim all naït say Satan<br />
wan ttchop dem.<br />
Yes brôda !... politik laïf na leckey smol<br />
daï. Bôt, hao fo dou ? If you don gib yousép<br />
dey, you no fi tt comott eguen : na<br />
leckey fan-fan jal weh man leck’am…<br />
Hi de si’am leckey sôn weh de meck hi<br />
cress fo di jal…And di tam weh hi saby<br />
dotty weh dis kuna-kuna jal de meck, hi<br />
go want kill nyi-sép !...<br />
Na so wi Politik big-big Massa dém lép.<br />
When tam fo foll dawn came, you di ïa<br />
noïss leckey mashin-gônn : « boumhooum<br />
! … » Hi don foll.<br />
Na dis oll ting mek wi leck sport pass<br />
mark.You bitt dis equip today, tomorrow<br />
dem equip’tou de bitt you di-sém,so-so<br />
and so, tey-baï-tey, man no de vex po’po<br />
vex bicoss na sport…<br />
une fi gure mémorable de notre histoire<br />
et de notre culture.<br />
III. CONCLUSION: HÉRITAGE ET MÉ-<br />
THODE<br />
L’auteur du présent témoignage conçu<br />
comme une simple esquisse d’une histoire<br />
vécue, aura tiré, par ses attaches à<br />
l’amplitude de la vie et de l’écriture de la<br />
responsabilité de P’a lka, une leçon de<br />
méthode, visant, entre autres, à pouvoir<br />
et savoir toujours rechercher dans sa<br />
culture, un point d’appui sur ce qui peut,<br />
sur ce qui doit constituer une sphère<br />
d’attache et d’émergence requise en ce<br />
procès collectif de «construction» de nos<br />
sociétés et de notre monde ouvert aux<br />
appels et aux sollicitations de notre village<br />
planétaire.<br />
Aussi, dans un récent ouvrage éditée<br />
cette année même chez l’Harmattan et<br />
intitulé « Amplitudes du logos comme<br />
verbe fait chair»*, avons-nous tenté d’interpeller,<br />
sur l’axe d’une vie partagée,<br />
certains auteurs à partir de leur philosophie<br />
de la langue, de leur comportement<br />
par rapport à la langue en tant qu’élément<br />
primordial de leur culture: élement<br />
qui, au lieu de conduire à une errance ou<br />
aventure de sens, peut plutôt contribuer<br />
à renforcer à la fois l’autonomie et la<br />
compréhension mutuelle d’un sens de la<br />
vie ouvert au monde et à même de s’enrichir<br />
dans cette ouverture à une pensée<br />
de plus en plus élargie.<br />
TEMOIGNAGES<br />
Finalement, ne serait-ce pas ici comme<br />
il en est de l’amitié qui est une vie mutuelle<br />
fécondante dans la différence, dans la<br />
communication et la communion intime,<br />
et qu’il y a lieu d’intégrer dans notre ex-<br />
19<br />
périence comme méthode la plus merveilleuse<br />
pour la<br />
construction d’un monde plus humain?<br />
Et c’est là une des leçons magistrales<br />
de l’héritage<br />
social et culturel laissé par P’a Ika.<br />
Guillaume Bwele<br />
Professeur Agrégé<br />
*«AMPLITUDES DU LOGOS COMME<br />
VERBE FAIT CHAIR - ESSAI SUR<br />
L’EXTANCE DE L’ALTÉRITÉ ET DE LA VIE<br />
PARTAGÉE», Editions l’Harmattan, 2009.
nécessairement conjuguées dans une<br />
communauté où il interpelle précisément<br />
l’écriture «ikaienne», laquelle ne relève<br />
pas simplement d’un univers<br />
allégorique de type kafkaïen.<br />
Avec P’a Ika , le récit interpelle l’écriture<br />
là où, arrimé à la vie, il ne saurait être<br />
nullement question de biaiser ou de jouer<br />
avec les exigences de la responsabilité,<br />
faisant alors de la plume cette arme silencieuse<br />
de combat qui appelle la paix<br />
et la conciliation dans toutes les sphères<br />
sociales et qui fait reposer l’approche du<br />
politique elle-même loin des<br />
fanfaronnades de ceux qui en fait ne<br />
font point de politique si ce n’est à partir<br />
des voies de la corruption et de la superstition<br />
et sans égards aux conduites<br />
assises sur l’autonomie, la dignité et la<br />
conciliation.<br />
D’où le sens d’une responsabilité élargie<br />
sur les divers champs sociaux que décrypte<br />
la plume de P’a Ika, et qui évite la<br />
sorte de monopolisation plutôt puérile du<br />
politique dans une société agitée en profondeur<br />
par plusieurs autres maux inavoués<br />
et qui sont également à éradiquer.<br />
D’où l’amplitude du « scanner» de l’écriture<br />
de la responsabilité de P’a Ika qui<br />
entend balayer ces multiples champs en<br />
ces récits portant à titre d’exemple sur:<br />
- les cancans de la ville et du village référés<br />
à ces « week-ends d’une pongolaise<br />
» en visite chez son amant en prétextant<br />
être allée chez sa mère jusqu’au jour où<br />
le piège est démonté par l’époux;<br />
- les perversions sociales référés à ces<br />
«cancans de la ville de Bafang» où des<br />
prisonniers dits «de luxe», affectés à la<br />
TEMOIGNAGES<br />
18<br />
confection des cartes d’identité, s’adonnent<br />
plutôt à un rançonnement dont le<br />
produit conduit à une conquête facile<br />
des épouses des autres;<br />
le diagnostic d’un mal estimé radical pour<br />
le développement de l’Afrique et contre<br />
lequel est lancé « un cri de guerre: la superstition,<br />
voilà l’ennemi! »;<br />
- le récit du politique vécu au niveau des<br />
grands chefs comme des grands hommes<br />
du terroir, tel ce sultan Seidou Ndjoya,<br />
fi gure emblématique de la quête de<br />
l’autonomie, de la dignité et de la responsabilité,<br />
et qui osa faire revivre les<br />
traditions bamoun par-delà la violence<br />
des maîtres coloniaux.<br />
Il ne s’agit pas ici d’un simple listing,<br />
mais chez P’a Ika, de ces récits partagés<br />
et conçus comme « vie », comme «<br />
action» et qui n’entendent pas se passer<br />
du ciblage primordial de la responsabilité<br />
en donnant lieu ici à une leçon morale<br />
magistralement affi rmée et écrite au<br />
besoin en italique au terme du récit.<br />
L’on pourrait aller jusqu’à dire que des<br />
idéologies, P’a Ika se moque! Car le<br />
texte ou le récit doit, en son autonomie,<br />
se faire lui-même « croustillant et<br />
vivant» lorsque l’histoire au besoin tatillone,<br />
s’enroule autour du mal concret<br />
ciblé, autour de l’immoralité épinglée et<br />
vécue comme partagée face à une responsabilité<br />
à partager elle aussi et dont<br />
les conséquences peuvent se retourner<br />
contre lka lui-même, et alors « tant pis!<br />
», affi rme-t-il au début des « Cancans de<br />
Douala sur la pongolaise». Et c’est cette<br />
écriture de la responsabilité qui fait de<br />
P’a Ika, selon nous, un combattant silencieux<br />
quasi invincible,<br />
TEMOIGNAGES<br />
Extrait du témoignage de MOUDOUTÉ Thomson Michel<br />
Mesdames et Messieurs<br />
Je remercie la famille <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong><br />
qui m’a offert la parole pour témoigner<br />
d’un ami, ami d’enfance de<br />
mon frère aîné MANGA et mari de<br />
Madame Sarah <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong> (fi lle de<br />
madame KUTTA BEMA MANGA qui<br />
a été élevée par ma mère, dans ma<br />
maison - comme Sarah elle-même).<br />
Ne soyez donc point surpris, si par<br />
moments, une certaine intimité me<br />
permettra quelques libertés de langage.<br />
IWIYE <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong> était un<br />
homme pacifi que, sérieux et social,<br />
à la fois réservé et jovial, blagueur,<br />
austère et formaliste. Sa formation<br />
familiale de base et ses études<br />
avaient fait de lui un homme bine<br />
élevé et correct, un citoyen remarquable<br />
et apprécié, et un homme<br />
de culture reconnu, ce qui lui valu<br />
d’avoir beaucoup d’amis et de relations<br />
sérieuses, aussi bien au Cameroun<br />
qu’en Afrique et à l’extérieur du<br />
continent.<br />
Élève et étudiant très brillant,<br />
après avoir abandonné les études<br />
de médecine à Ayos au Cameroun,<br />
auxquelles il avait préféré celles de<br />
journalisme, il était donc devenu un<br />
journaliste de métier et de vocation,<br />
et non un amateur d’occasion, comme<br />
on en rencontre beaucoup en ce<br />
moment. Intelligent et perspicace, de<br />
formation professionnelle et technique<br />
adéquate de haut niveau, il avait<br />
la faculté d’exploiter à fond ses interlocuteurs,<br />
pour en tirer le maximum<br />
et les meilleurs des renseignements<br />
et des éléments qui lui étaient indispensables<br />
pour être effi caces dans<br />
11<br />
son travail.<br />
C’est ainsi que ceux qui l’ont connu<br />
et qui ont lu ses articles dans l’Éveil<br />
du Cameroun, l’Effort Camerounais,<br />
le Courrier Sportif du Bénin, et autres<br />
journaux, s’en souviennent toujours<br />
avec plaisir et admiration.<br />
De sa longue collaboration avec des<br />
hommes de haute culture, comme<br />
son beau-frère, le grand Professeur<br />
ALLIOUNE DIOP, et autres Léopold<br />
SENGHOR, Aimé Césaire, de la revue<br />
Présence Africaine, il avait énormément<br />
puisé, ce qui avait fait de lui<br />
un Professionnel de renom.<br />
Homme d’esprit critique et pointilleux,<br />
il avait énormément puisé, ce<br />
qui avait fait de lui, un professionnel<br />
de renom. Homme d’esprit critique et<br />
pointilleux, il avait, à l’occasion, tantôt<br />
agréable, tantôt agressif et accrocheur,<br />
tantôt moqueur, mais toujours<br />
objectif. C’était l’homme qui, par déformation<br />
professionnelle, et comme<br />
par principe, s’opposait d’abord à tout<br />
ce qu’on lui racontait, même dans les<br />
sujets les plus simples et banals, ce<br />
qui le faisait passer parfois pour un<br />
esprit diffi cile. Et c’est quand il vous<br />
avait pressuré jusqu’à la dernière<br />
goutte qu’il pouvait approuver, mais<br />
jamais avec condescendance.
BONDOM<br />
A l K A<br />
Je t’ai cherché<br />
mais en vain<br />
Jusqu’à la lisière<br />
De ma folle folie:<br />
TUER LA MORT<br />
Et chaque fois<br />
Que je vois un défunt<br />
Sans souffl e vital<br />
Le corps vidé de tout rythme<br />
Je fi xe ce masque mortuaire<br />
Pour essayer de pénétrer<br />
Dans les moindres fi ssures<br />
De sa dignité altière<br />
A l’instar des ancêtres Baoulé ou yoruba<br />
Impénétrables dans leurs<br />
Formes de cire fondue<br />
Ou de terre cuite<br />
Ce masque mortuaire qui est là<br />
Splendide dans sa solitude<br />
Son indifférence à nos insultes<br />
A nos médisances<br />
A nos louanges posthumes<br />
Tout comme à nos larmes de crocodile<br />
Le visage droit et fi er<br />
Comme un sexe de victoire<br />
Tu es là devant nous<br />
Loin des pleurs des rumeurs<br />
Et des murmures susurrés<br />
Tu avances SEUL<br />
Dans la nuit armée d’ombres et de<br />
mystère<br />
I K A<br />
J’ai essayé de farfouillé (au<br />
Fond de ta libido<br />
Pour déceler tes mille et<br />
TEMOIGNAGES<br />
BONDOM - par Elolongué EPANYA YONDO<br />
12<br />
Un trésor<br />
Dans les recoins de tes secrets les<br />
mieux gardés<br />
Les plus préservés<br />
Mais je me suis heurté au<br />
BON DOM<br />
En essayant de toucher avec mes<br />
doigts<br />
Le fond d’une calebasse comme le<br />
tien<br />
Nul n’a pu jauger l’autre<br />
avec certitude<br />
I K A Tu laisses un vide<br />
Que seuls<br />
Nos petits enfants rempliront<br />
De leur clameur pour saluer<br />
Le jour que nous sommons<br />
De se Lever<br />
Paris le 23/07/1996<br />
Elolongue Epanya Yondo<br />
semble «grand» comme le suggèrent les<br />
noms des lycées environnants de mes<br />
classes préparatoires: Louis-Le- Grand,<br />
Henri IV...<br />
Et pourtant, des hauteurs de ces sommets<br />
de la culture et en profondeur de<br />
ce «halo», j’allais pour ainsi dire être<br />
assigné ce jour-là à une leçon d’écriture<br />
et de lecture quasi- méthodiquement<br />
préparée par P’a Ika comme un retour à<br />
l’école d’une autre amplitude.<br />
Et, ici, la table du repas avec son menu<br />
quotidien judicieusement choisi et apprêté<br />
avec son vin blanc, allait un moment<br />
se muer en une solennelle et pourtant<br />
discrète table d’écriture et de lecture.<br />
Car P’a Ika aura décidé de m’offrir, avant<br />
le repas et pour célébrer l’évènement,<br />
le livre de Cheikh Anta Diop: « Nations<br />
Nègres et Cultures». Et la leçon de P’a<br />
Ika, à la suite d’Anta Diop, n’est pas tout<br />
à fait consommée: il faut aller au plus<br />
profond.<br />
Alors vint le moment de l’écriture et de<br />
lecture: P’a Ika prit le plaisir de déployer,<br />
avec son stylo, une dédicace qu’il écrivit<br />
et énonça méthodiquement à l’intention<br />
de son jeune ami : et cela, en une langue<br />
bantoue, en une langue duala pure, ma<br />
langue maternelle, une des langues nationales<br />
du Cameroun. Nous fûmes ainsi<br />
conduits au cœur d’une intimité culturelle<br />
et, à travers le « format» d’un proverbe<br />
duala, comme au sens édicté par les ancêtres<br />
qui interpellent pour ainsi dire les<br />
générations futures et qui placent les «<br />
pères» sous le soleil divin de l’expérience,<br />
et les «fi ls» sous celui non<br />
moins divin de la nouveauté, de la<br />
connaissance et de la science, et cela<br />
TEMOIGNAGES<br />
17<br />
non en termes de contradiction mais de<br />
fécondation et d’engendrement réciproques<br />
et continus.<br />
Notre repas fut ainsi d’abord servi sur<br />
une table d’initiation aux nouvelles belles<br />
lettres et à la musique de la langue<br />
maternelle. Et cela, pour le jeune agrégé<br />
des lettres françaises<br />
désormais placé non plus au sommet<br />
comme au terme d’une messe de couronnement<br />
des connaissances préparant<br />
à un crépuscule des acquis, mais à<br />
l’aube des grandes<br />
commencements en tant qu’écoles de<br />
l’humilité, de l’autonomie et de la responsabilité<br />
que doivent assurer le bain<br />
et l’enracinement dans le dialogue des<br />
générations et des cultures<br />
perpétuellement ouvertes au «halo» de<br />
l’universel et à la complémentarité requise<br />
de l’expérience. C’est «une génération<br />
dans le beau et l’immortalité» pour<br />
reprendre ici les<br />
propos de Platon dans son dialogue «Le<br />
Banquet».<br />
Et la suite de notre repas fut un vrai banquet<br />
déployé en échanges de connaissances<br />
en même temps qu’une école de<br />
la responsabilité ouverte dans la société<br />
et la culture.<br />
II. P’A IKA ET LES AMPLITUDES DE<br />
L’ÉCRITURE ET DE LA RESPONSABI-<br />
LITÉ<br />
Si, comme l’affi rme Roland Barthes cité<br />
par Christian Salmon (p.15), «le récit est<br />
là comme la vie», il faut pourtant savoir<br />
et pouvoir le monter, le nouer, le vivre<br />
et le faire s’irradier à sa manière en des<br />
instances topologiques spécifi ques car il<br />
s’agit de le monter en ces lieux d’actions
1. P’A IKA, UNE DYNAMIQUE VÉCUE<br />
ET AVANCÉE DU STORYTELLING<br />
Il s’agit de livrer ici l’esquisse d’un témoignage<br />
sur P’a Iwiye Kala-lobe et mes attaches<br />
intimes à la vie familiale et à la<br />
culture du terroir, renforcées du reste par<br />
l’infl uence de cet homme, m’amènent à<br />
assortir d’emblée mon souvenir du terme<br />
« P’a » qui veut dire « Papa », et qui précisément<br />
attache l’homme en quelque<br />
sorte et pour l’éternité, à la classe d’âge<br />
de mes autres oncles et pères du village<br />
et du pays, comme il en est en Afrique.<br />
Et il s’agit, en fait, d’un « Père» tout spécial<br />
qui s’était donné concomitamment et<br />
délibérément la dimension d’un ami, que<br />
dire? D’un frère, ce qu’il était devenu<br />
pour beaucoup d’autres jeunes de ma<br />
génération.<br />
Et pour présenter l’esquisse de cette<br />
parenté plutôt multidimensionnelle, je<br />
souhaiterais la placer d’emblée sous<br />
l’éclairage d’une dynamique devenue<br />
multiculturelle, multi médiatique: dynamique<br />
à mon sens déployée dans la vie et<br />
l’écriture de p’a Ika et dont les éléments<br />
m’auront été confi rmés en quelque sorte<br />
au cours de la lecture toute récente du<br />
livre de Christian Salmon portant le titre<br />
« Storytelling, la machine à fabriquer des<br />
histoires et<br />
à formater les esprits» (Editions la Découverte,<br />
Paris 2008).<br />
Le «storytelling» savamment exploité de<br />
nos jours par les hommes politiques des<br />
grandes puissances de notre planète<br />
TEMOIGNAGES<br />
IWIYE <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong><br />
ou la vie de l’amitié et de l’écriture de la responsabilité.<br />
Par Guillaume BWELE, Professeur Agrégé<br />
16<br />
est, en fait, une dynamique «chargée de<br />
mobiliser les émotions par la pratique<br />
des récits partagés» (p.19 de l’ouvrage),<br />
par la mise en branle « des valeurs<br />
d’autonomie et de responsabilité, de leadership<br />
et d’innovation, de fl exibilité et<br />
d’adaptabilité» (ibid). À telle enseigne<br />
qu’en s’aventurant à « créer notre propre<br />
réalité», le récit, selon les dires de<br />
Roland Barthes ici cité (p.15), peut être<br />
affi rmé<br />
«là comme la vie» ! Et pour P’a Ika, si le<br />
récit crée une réalité, il peut être « monté»<br />
en amplitude et dans la profondeur<br />
d’une expérience et la responsabilité<br />
d’une écriture déployée dans l’intimité<br />
même de la vie vécue.<br />
Nous sommes en 1966. Je venais d’être<br />
admis, du «premier coup» comme l’on<br />
dit, au concours d’agrégation de philosophie<br />
préparé à l’Ecole Normale Supérieure<br />
de la rue d’Ulm à Paris. P’a Ika<br />
tint à célébrer cet événement - en dehors<br />
des repas souvent pris en famille<br />
- conçu comme une sorte de messe de<br />
couronnement des connaissances en<br />
invitant son neveu, son jeune ami à un<br />
repas tout spécial, arrosé du vin blanc<br />
qu’il préférait. C’était dans un restaurant<br />
parisien du quartier latin et en ce lieu de<br />
nos<br />
rencontres habituelles, lieu habité en<br />
quelque sorte par le « halo» des symboles<br />
de la culture et de la science avec<br />
les grandes écoles, la Sorbonne, le Panthéon,<br />
Présence Africaine. Car au croisement<br />
de la rue des Ecoles à Paris, tout<br />
Il n'acceptait d'ordre de quiconque, ne<br />
savait pas se servir de la brosse à reluire<br />
et tenait à distance les courtisans et<br />
les menteurs. C'était un homme libre.<br />
Ika a donné la mesure de son talent<br />
dans nombre de publications. Dans la<br />
« Presse du Cameroun », ses billets<br />
d'humeur étaient impatiemment attendus<br />
et dévorés avec gourmandise par<br />
les lecteurs de tous bords.<br />
Il y eut aussi « WOURI-EZ» *, éphémère<br />
journal satirique dont le mot d'ordre,<br />
- «le seul journal qui a pris le parti de<br />
n'avoir aucun parti pris» -, était à lui seul<br />
tout un programme. Ika y fera montre<br />
d'un humour peu commun, caustique<br />
sans être graveleux. Car cet homme<br />
qui n'appartenait à aucune coterie était<br />
respectueux de la ligne jaune qu'il ne<br />
fallait pas franchir. Lorsqu'il lui arrivait<br />
de traiter de sujets graves, ou qu'il devait<br />
dire sa colère ou sa rage, il savait<br />
toujours introduire un mot, une formule<br />
pour faire la tension.<br />
L'hommage à son ami le docteur Charles<br />
Delangue, sauvagement assassiné<br />
sur la route de Douala, en pays bassa,<br />
lors des événements qui ensanglantèrent<br />
une partie du sud du baisser Cameroun.<br />
cours des années précédant l'indépendance,<br />
restera un modèle du genre. Le<br />
ton sera tour à touraustère, sarcastique,<br />
enjoué parfois. « Pardonne-moi si<br />
je n'ai pas été pathétique », écrira-t-il<br />
comme pour s'en excuser, en guise de<br />
conclusion.<br />
L'indépendance venue, les autorités invitent<br />
Ika à faire partie de la première<br />
équipe de la toute jeune Agence Camerounaise<br />
de Presse (ACAP), lui qui<br />
TEMOIGNAGES<br />
L’HOMME DE PERSONNE<br />
Par Daniel AMIOT-PRISO<br />
13<br />
n'était pas homme de cour.<br />
Comment a-t-on pu l'imaginer à l'intérieur<br />
d'une structure qui ne pouvait que<br />
le corseter, en train de rédiger des dépêches<br />
neutres par nature, ne portant<br />
pas sa griffe, lui habitué à écrire des articles<br />
d'un autre genre, imités mais jamais<br />
égalés. L'expérience ne fera pas<br />
long feu. Avec l'accord des autorités,<br />
Ika plie armes et bagages pour retrouver<br />
le Quartier latin de sa jeunesse où,<br />
à côté de son beau-frère Alioune Diop,<br />
il rejoindra la rédaction de Présence<br />
africaine.<br />
Je me souviens de la parution à la même<br />
époque de «L'Afrique noire est mal partie<br />
», un brûlot ravageur de l'agronome<br />
français René Dumont, livre néo-colonialiste<br />
selon certains, «pamphlet inutile<br />
», selon Ika, pour qui « l'Afrique noire<br />
n'est pas encore partie».<br />
Un matin d'Octobre 1991, on m'appelle<br />
de Paris pour m'annoncer qu’Ika ne<br />
s'est pas réveillé, qu'il a quitté ce monde<br />
sans crier gare. «Tu sais, me confi ait-il<br />
un jour avec un sourire; goguenard, je<br />
ne rentrerai au Cameroun que les pieds<br />
en avant ». Parole tenue.<br />
C'était lui, mon ami Ika, l'homme libre<br />
que j'ai connu.<br />
Jeu de mots: le Wouri est le nom du fl euve<br />
sur les bords duquel est bâtie la ville de<br />
Douala et qui a donné son nom au département<br />
dont Douala est le chef-lieu.
Extrait du témoignage de CARLO<br />
ESPOSITO Du Café Pizza Roma à<br />
Paris Rue des écoles<br />
Iwiyé Kala Lobé était un monsieur très<br />
gentil avec tout le monde, c’est mon<br />
frère Antonio qui l’a bien connu. C’était<br />
un super monsieur qui aimait bien la<br />
pizza Roma et la dernière fois qu’il est<br />
passé ici au mois d’Août, moi même<br />
je l’ai servi parce que mon frère n’était<br />
pas là. Il aimait des mêlons et la cuisine<br />
Italienne, il variait aussi des repas<br />
avec des brochettes des spaghettis...<br />
La place précise où il aimait s’assoir<br />
était soit au début de la salle soit à la<br />
fi n de la salle. Bref au bout de la salle.<br />
Chez nous il était considéré comme<br />
quelqu’un de la famille. C’était un personnage<br />
qui avait beaucoup de respect.<br />
Extrait du témoignage d’Olympe<br />
Bhêly Quénum Doyen de la littérature<br />
Africaine<br />
Je suis très ému d’entendre parler<br />
d’Iwiyé Kala Lobé qui était notre frère. Il<br />
était journaliste et aimait parler de son<br />
pays notamment de Douala.<br />
Chaque fois que je venais à présence<br />
Africaine, notre discussion concernait la<br />
liberté de la presse.<br />
C’était un fonceur et il avait une belle<br />
plume! Car c’était un homme intelligent<br />
et avions une sorte de complicité.<br />
Extrait du témoignage vidéo d’Henri<br />
Lopez grand écrivain africain et Ambassadeur<br />
en France<br />
Kala Lobe était une personnalité que je<br />
voyais souvent à Présence Africaine, je<br />
l’ai connu dans les années 50 lorsque<br />
j’étais étudiant à Paris.<br />
Présence Africaine était un foyer Cultu-<br />
EXTRAITS TEMOIGNAGES<br />
14<br />
rel Vivant ou on rencontrait des personnalités<br />
du monde noir.<br />
Deux fois il me prenait par le bras et on<br />
allait au bistro de l’autre coté de la rue<br />
pour continuer nos discussions sur l’Afrique.<br />
On refaisait le monde, on construisait<br />
la vie culturelle de l’Afrique. On parlait<br />
du premier festival des arts nègres.<br />
Kala Lobé était une espèce d’inspirateur,<br />
de conseiller qui était là, extrêmement<br />
disponible avec un langage plus franc<br />
et plus Direct contrairement à Alioune<br />
Diop.<br />
Extrait du témoignage vidéo de<br />
TIDJANI NOUREINI SERPOS Sous<br />
Directeur Général de l’UNESCO<br />
Département d’Afrique.<br />
IKA est un jalon important dans la pensée<br />
Africaine et qui est du point de vue<br />
journalistique un grand monsieur, le<br />
Doyen de la presse en Afrique.<br />
J’ai eu à travailler avec monsieur Iwiyé<br />
Kala Lobé sous la direction d’Alioune<br />
Diop.<br />
Lors de nos discussions il me disait<br />
écoute petit ce n’est pas comme çà<br />
l’Afrique elle est plus complexe. Il parlait<br />
entre autre de la naissance de la presse<br />
en Afrique.<br />
J’ai pu découvrir en lui un homme qui<br />
connaissait très bien l’Afrique. Il avait<br />
une déontologie à mettre en place pour<br />
que notre journalisme soit de qualité,<br />
il m’inspirait beaucoup. Je crois que<br />
la presse Africaine aujourd’hui lui doit<br />
beaucoup. C’est pourquoi il est important<br />
de célébrer ce parcours parce qu’en<br />
Afrique nous n’avons pas l’habitude de<br />
voir le chemin parcouru, voir le chemin<br />
qui nous reste à parcourir, voir nos repères,<br />
c’est important c’est important que<br />
les jeunes puissent savoir.<br />
Toutes ces tentatives qu’il faisait dans<br />
les langues nationales se résumaient en<br />
une chose:<br />
Pour qui et pour quel public le journaliste<br />
écrit parce que pour moi le journaliste<br />
est un ferment qui doit inciter à la prise<br />
de conscience.<br />
Son utilisation des langues servait à les<br />
revaloriser et atteindre les humbles.<br />
Donc toutes les tentatives d’IKA dans ce<br />
sens sont à prendre très sérieusement,<br />
sont à revisiter et je suis sûr que nos<br />
autorités, nos ministres de l’éducation<br />
et de la culture devraient pouvoir mettre<br />
sur pied une commission pour étudier<br />
les leçons à tirer du travail fait par <strong>KALA</strong><br />
<strong>LOBE</strong>.<br />
Comme détecteur de talents, personne<br />
n’allait à la librairie sans passer par le<br />
bureau de Kala Lobe c’était un réceptacle<br />
et la plaque tournante. C’est là que<br />
quand les intellectuels faisaient leur pèlerinage<br />
à paris en début d’été, c’est le<br />
moment ou tout le monde venait et si on<br />
ne fait pas escale chez Kala Lobé, on<br />
n’est pas encore arrivé à présence Africaine.<br />
Il les invitait toujours à déjeuner. Et puis<br />
toutes les nouvelles qu’il recevait il les<br />
rependaient à nouveau.<br />
EXTRAITS TEMOIGNAGES<br />
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