Les reprises chirurgicales en pathologie thyroïdienne

Les reprises chirurgicales en pathologie
thyroïdienne
Guy Renou 1 , Katia Diore 1 , Moura Radulescu 1 , Jacques Chardain 1 , Christian Debry 2 ,
Jean Christophe Pages 1
1 Hôpital de Poissy - Service d'ORL et de chiru rgie cervico faciale - 10, rue du Champ Gaillard, 78303 Poissy Cedex
2 Hôpitaux universitaires de Strasbourg, service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, Avenue Molière,
67098 Strasbourg Cedex
RÉSUMÉ
C o n t exte : La tendance actuelle du traitement de la
dy s t rophie thy ro ï d i e n n e, ou go i t re mu l t i - n o d u l a i re,
s ’ o riente ve rs la thy roïdectomie totale, en raison des
risques de ré-intervention en cas de récidive nodulaire
But de l’étude : A n a lyser les complications d’une rep ri s e
de thy roïdectomie dans les go i t res mu l t i - n o d u l a i re s
(GMN) lors d’une étude rétro s p e c t ive chez 91 patients.
Matériels et méthodes : Le geste initial a été unilatéral
dans 77 cas et bilatéral dans 9 cas. Pour 5 patients
le geste initial n’a pu être déterminé. La réintervention
ch i ru rgicale pour récidive nodulaire, 18 ans en moye n n e
après le premier geste, a consisté en un abord unilatéral
(n=68) ou bilatéral (n=23). L’évaluation post-opérat
o i re a porté sur l’examen anat o m o p at h o l ogique (EA)
de la pièce d’exérèse, l’étude des cordes vocales et la
calcémie effectuée à J1-J2.
Résultats : En éliminant les hyperthyroïdies pré-opératoires
(n=5), 39,6 % des patients n’ont eu aucun traitement
entre les 2 interventions. L’EA de la pièce de
résection a conclu à un GMN dans 86 cas. Nous avons
c o n s t até d’une part, 2 para lysies récurrentielles (PR)
transitoires (2,2%) et une PR définitive (1,1%) d’autre
part, 4 hypocalcémies transitoires (4,5%), et 1 hypocalcémie
définitive (1,1%).
Conclusion : La prise en charge de la dystrophie thyroïdienne
repose pour notre équipe essentiellement sur
la thy roïdectomie totale. Cette étude montre que les
rep rises de thy roïdectomies ne comportent pas de morbidité
plus élevée. La prise d’un traitement hormonal
ne semble pas modifier l’évolution des GMN.
321 - Fr ORL - 2007 ; 93
(Fr ORL - 2007 ; 93 : 321-324)
Mots clés : Thy ro ï d e, Goitre, Chiru rgie de rep ri s e,
Paralysie récurrentielle, Hypoparathyroidie.
ARTICLE ORIGINAL
ABSTRACT
B a ck gro u n d : The current tendency in tre atment of the
t hy roid dy s t ro p hy or multinodular goiter is leaning
t owa rds total thy ro i d e c t o my due to the risks of re - i n t e rvention
in the case of nodular relapse.
Aim of the study : To analy ze the complications of
repeat thyroidectomy in multinodular goiters (MNG)
as part of a retrospective study in 91 patients.
M at e rials and methods: The initial pro c e d u re was unil
at e ral in 77 cases and bilat e ral in 9 cases. In 5 patients the
initial pro c e d u re could not be determ i n e d. Surgical re - i n t e rvention
for nodular re l ap s e, wh i ch occurred on ave rage 18
ye a rs after the fi rst pro c e d u re, consisted of a unilat e ra l
(n=68) or a bilat e ral (n=23) ap p ro a ch. The postoperat ive
eva l u ation was focused on the anat o m o - p at h o l ogical ex am
i n ation (AE) of the resected tissue, the ex a m i n ation of
vocal cords and the calcium level perfo rmed on days 1 to 2.
R e s u l t s : E l i m i n ating pre o p e rat ive hy p e rt hy ro i d i s m
(n=5), 39.6 % of patients did not have any tre atment between
the 2 interventions. The AE of the resected tissue
pointed to a MNG in 86 cases. We have observed
2 transitional re c u rrent lary n geal para lyses (PR) (2.2%)
and one defi n i t ive PR (1.1%), also 4 cases of tra n s itional
hypocalcemia (4.5%) and one of defi n i t ive hy p ocalcemia
(1.1%).
C o n cl u s i o n : The management of thy roid dy s t ro p hy by
our team is based essentially on total thyroidectomy.
This study shows that repeated thyroidectomies do not
i nvo l ve higher morbidity. Hormonal tre atment does not
appear to modify evolution of MNG.
Key wo rd s : Thy ro i d, Goiter, Rep e ated surge ry,
Recurrent laryngeal paralysis, Hypoparathyroidism.
Date de soumission : Novembre 2006
Date d’acceptation : Novembre 2007
Auteur correspondant : Guy Renou
Hôpital de Poissy - Service d'ORL et de ch i ru rgie cervico faciale10, rue du Champ Gaillard - 78303 Poissy Cedex
e-mail : guyrenou@wanadoo.fr

INTRODUCTION
Le traitement de la dystrophie thyroïdienne, ou goitre
multinodulaire (GMN) comporte un volet médical et
un volet chirurgical [1,2]. Le traitement médical, à
visée frénatrice par hormonothérapie, est contesté
quant à son efficacité. La tendance actuelle, sous la
pression des endocrinologues, s’oriente vers la thyroïdectomie
totale, en raison des risques de réintervention
en cas de récidive nodulaire [3]. Cette opinion
s’appuie sur l’analyse des publications rapportant un
risque majoré de complications récurrentielles et
parathyroïdiennes dans les reprises opératoires en chirurgie
thyroïdienne.
Le but de cette étude a été de décrire les complications
après reprise de thyroïdectomie, et de comparer nos
résultats à ceux obtenus dans les interventions de première
intention dans notre service et dans la littérature.
Ces résultats constituent pour notre équipe une
référence concernant les indications chirurgicales des
goitres multinodulaires (GMN), permettant en particulier
de préciser la place des lobectomies totales unilatérales
dans cette pathologie.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Les reprises chirurgicales en pathologie thyroïdienne
Nous présentons une étude rétro s p e c t ive de 91
patients opérés d’une reprise de thyroïdectomie, dans
le service ORL du Centre Hospitalier de Poissy-Saint
Germain-en-Laye entre Janvier 1983 et Janvier 2006.
Nous avons exclu de l’étude les reprises précoces
(inférieures à 2 ans) pour cancer thyroïdien et les
reprises après isthmectomie initiale. Nous n’abordons,
dans ce travail, que les 91 cas où la réintervention
a été indiquée et réalisée pour traiter une lésion
supposée bénigne.
Notre série est composée de 80 femmes et de 11
hommes, d’un âge moyen de 54 ans (26-85). Dans 90
cas, l’intervention correspondait à une deuxième
intervention portant sur la glande thyroïde et dans un
cas, il s’agissait de la troisième intervention thyroïdienne.
La pathologie thyroïdienne initiale n’a pas pu être précisée
dans 72 cas. Pour les 19 autres cas, les pathologies
suivantes ont été retrouvées : nodules multiples
bilatéraux (n= 9), nodules uniques (n=5), maladie de
Basedow (n=2), cancers thyroïdiens (n=3) dont deux
micro-cancers (récidives réopérées au delà de 2 ans,
donc inclues dans l’étude, pour lesquelles ont été
confirmés des lésions bénignes nodulaires à l’examen
définitif). Le geste initial pratiqué lors de la première
intervention a été un geste unilatéral dans 77 cas (68
lobectomies totales, 5 lobectomies partielles, 4 énucléations)
et un geste bilatéral dans 9 cas. Pour 5
patients le geste initial n’a pu être déterminé avec précision.
Le délai entre la première intervention et la reprise a
été en moyenne de 18 ans avec des extrêmes variant
de 1 à 58 ans. Pour 62 patients (68% des cas), le délai
a été supérieur ou égal à 10 ans.
Pour l’ensemble des patients, l’indication de reprise
chirurgicale était liée à une récidive nodulaire unie ou
bilatérale.
Les patients ayant bénéficié d’un traitement horm o n a l
e n t re les 2 interventions ont bénéficié de doses très
va ri ables, parfois même de façon discontinue chez un
même patient, rendant l’analyse de cette va ri able difficile
en raison de l’hétérogénéité des groupes considérés.
Avant la réintervention ch i ru rgi c a l e, un contrôle des
c o rdes vocales par lary n goscopie directe ou indirecte a
été réalisé pour tous les patients. Cet examen a mis en
évidence 5 para lysies récurrentielles (PR) pers i s t a n t e s
(soit 5,5%), dont 1 patient avec une PR unilat é ra l e
s é q u e l l a i re de la pre m i è re intervention et déve l o p p a n t
une parésie contro l at é rale par compression d’un go i t re,
c o n fi rmée par électro myographie lary n g é e.
Aucune complication parathyroïdienne après le geste
initial n’a été relevée, mais il s’agissait essentiellement
de chirurgie thyroïdienne partielle.
Pour l’ensemble des patients de l’étude, la réintervention
chirurgicale a été réalisée sous anesthésie général
e, en rep renant la même incision cutanée type
Kocher. Elle a consisté en un abord unilatéral (n=68
patients), sans exploration de la loge thyroïdienne initialement
opérée, ou bilatéral (n=23 patients). Il n’a
pas été utilisé de monitorage per-opératoire sauf pour
le patient développant une parésie sur le lobe devant
être opéré.
L’ é va l u ation post-opérat o i re a porté sur les ex a m e n s
a n at o m o - p at h o l ogiques de la pièce d’exérèse et l’étude
Fr ORL - 2007 ; 93 : 322

des cordes vocales en laryngoscopie indirecte. Le
contrôle de la calcémie a été effectué systématiquement
à J1 et J2. En cas d’hypocalcémie persistante, un
ou des controles ultérieurs ont été effectués jusqu’à
normalisation des taux.
RÉSULTATS
Le délai d’hospitalisation a été en moyenne de 2,6
jours (1-11). En éliminant les hyperthyroïdies préopératoires
(n=5), 39,6 % des patients (n=36/91)
n’ont eu aucun traitement dans l’intervalle séparant
les 2 interventions (délai moyen de 19 ans). Le délai
moyen dans le groupe traité est de 18 ans. L’examen
anatomopathologique de la pièce de résection thyroïdienne
a permis de conclure à un GMN dans 86 cas.
Cliniquement en peropératoire, 14 GMN (16% des
cas) étaient plongeants (goitre débordant de plus de 2
travers de doigt sous la clavicule ou le manubrium
sternal), susceptibles d’accentuer les risques potentiels
opératoires.
Pour les autres patients, il a été mis en évidence un
cancer papillaire isolé (n=3), un cancer papillaire au
sein d’une hyperplasie plurinodulaire (n=1) et un
micro-cancer papillaire (n=1).
La mortalité opératoire a été nulle. La morbidité a été
de 2 PR transitoires (2,2% des cas) qui ont régressé
dans un délai de 15 jours et de 2 mois et une PR définitive
(1,1% des cas). Le patient présentant une paralysie
récurrentielle gauche débutante, a intégralement
récupéré en postopératoire immédiat. Parmi les 91
patients, nous avons noté 4 hypocalcémies transitoires
(4,5%) dont une récupérée en 15 jours et 1 hypocalcémie
définitive (1,1%), définie par un taux inférieur
à 2 mmol/l à 6 mois.
DISCUSSION
La plupart des auteurs de la littérature [4-7] décrivent
un risque récurrentiel et parathyroïdien plus élevé en
cas de ré-intervention thyroïdienne (Tableau I). Dans
son étude portant sur 30 reprises, Cougard [5] en 1985
a noté 13% de PR transitoires et 6% de PR définitives.
Beahrs [6] en 1963 mettait en évidence, sur 548
patients, 17 % de paralysies récurrentielles transitoires
et 11 % de PR définitives. Nous avons noté un
taux de complications récurrentielles moins important
avec 2,25% de PR transitoires et 1,1% de paralysies
récurrentielles définitives. Ce résultat se rapproche
des études de Reeve et al. [8] et de Levin et al. [9] ou
323 - Fr ORL - 2007 ; 93
Les reprises chirurgicales en pathologie thyroïdienne
le taux de PR transitoires et définitives reste inférieur
à 2%. Le taux d’hypoparathyroïdie transitoire varie
entre 16,6% pour Cougard et al. [5] et 4,5% dans notre
série. Afin de réduire cette morbidité, tous les auteurs
s’accordent pour privilégier une technique chirurgicale
rigoureuse avec dissection thyroidienne intra-capsulaire.
D’après ces résultats, il apparaît que les
reprises thyroïdiennes sont plus difficiles sur le plan
technique essentiellement du fait de la fibrose liée à
l’intervention précédente. Le taux de morbidité n’est
pas plus élevé dans notre série que pour d’autres
auteurs [8,9]. Ainsi par comparaison dans une étude
récemment publiée, concernant 588 thyroïdectomies
initiales réalisées dans notre serv i c e, nous avo n s
observé 0,3% de PR définitives et 1,4% d’hypoparathyroïdie
chroniques [10].
A cet égard, il apparaît important, lors des interventions
thyroïdiennes initiales de s’abstenir d’explorer le
lobe controlatéral quand une lobectomie simple est
indiquée afin de limiter la fibrose à la partie isthmique
médiane. Nos constatations nous ont conduits ainsi à
ne plus préconiser l’énucléation, la lobectomie partielle
et la thyroïdectomie subtotale en raison des difficultés
et des risques lors des reprises opératoires.
Dans les différentes études de la littérature [7-11],
comme dans notre service, le délai moyen de ré-intervention
est supérieur à dix ans. Même si la thyroïdectomie
totale conserve une place prépondérante dans le
traitement des goitres, compte-tenu de la longueur de
ce délai, il apparaît possible de ne réaliser qu’une
lobectomie thyroïdienne isolée sans crainte de majorer
les complications en cas de récidive, eu égard à la
faible morbidité de ces réinterventions. Ainsi, devant
des goitres multinodulaires ne comportant qu’un ou
quelques micro-nodules controlatéraux, ou chez des
patients réticents à un traitement hormonal substitutif
Tableau I : Analyse comparative des PR
post-opératoires après reprise chirurgicale.
Auteurs PR transitoires PR définitives
en % en %
Beahrs 17 11
Cougar 13 6
Reeve < 2
Levin

permanent et définitif, ou devant des patients susceptibles
d’un séjour prolongé dans un pays peu médicalisé,
il apparaît raisonnable de réaliser une lobectomie
thyroidienne unilatérale.
CONCLUSION
Cette étude montre que contrairement à certaines données
de la littérature, les reprises de thyroïdectomies
ne comportent pas de morbidité plus élevée que pour
une chirurgie de première intention. Le délai entre les
deux interventions est souvent très long (18 ans en
moyenne) et la prise d’un traitement hormonal ne
modifie pas l’évolution des goitres.
La prise en charge chirurgicale du goitre thyroïdien
repose classiquement sur la thyroïdectomie totale.
Cependant, dans l’hypothèse d’un goitre très asymétrique,
ne comportant que des micronodules d’un
côté, il paraît légitime de se limiter à une lobectomie
après explications complètes fournies au patient sur
les différentes possibilités évolutives de sa maladie,
certains sujets étant réticents à l’idée d’un traitement
substitutif définitif.
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