Sialocèle géante posttraumatique du canal de Sténon

353 - Fr ORL - 2007 ; 93
CAS CLINIQUE
Sialocèle géante posttraumatique du canal
de Sténon
Laurent Laccourreye 1 , David Malinvaud 2 , Pierre Bonfils 2 , Ollivier Laccourreye 2
1 Service d’Oto-rhino-laryngologie et de Chirurgie Cervico-faciale, CHU d’Angers - Angers
2 Université René Descartes - Paris V, Service d’Oto-rhino-laryngologie et de Chirurgie Cervico-faciale,
HEGP, APHP - Paris
RÉSUMÉ ABSTRACT
A partir d’un cas clinique de sialocèle chez une pat i e n t e
de 24 ans, les auteurs font une revue de la littérature,
une analyse et une discussion des diverses approches
thérapeutiques à la disposition du chirurgien cervicofacial
dans les complications à type de fistules et de
sialocèles des sections complètes ou non du canal parotidien
à la suite de traumatismes pénétrants ou non de
la joue, de sialofi b ro s c o p i e, d’exérèse per orale de
l i t h i a s e, de lithotripsie saliva i re et ou d’exérèse de
tumeurs de la joue ou de la muqueuse buccale.
(Fr ORL - 2007 ; 93 : 353-357)
Mots clés : Sialocèle, Parotide, Glande salivaire.
Beginning with a clinical case of sialocele in a 24 year
old patient, the authors performed a literature review,
an analysis and discussion of diffe rent medical
approaches available to the cervico-facial surgeon for
complications of fistulas and sialoceles due to: complete
or incomplete section of the parotid canal after
penetrating or non-penetrating trauma of the cheek,
after sialofibroscopy, peroral excision of lithiasis,
after salivary lithotripsy or excision of tumors of the
cheek or buccal mucosa.
Key words: Sialocele, Parotid, Salivary gland.
Date de soumission : Juin 2007
Date d’acceptation : Novembre 2007
Auteur correspondant : Ollivier Laccourreye
S e rvice d’Oto-rhino-lary n go l ogie et de ch i ru rgie cerv i c o - fa c i a l e, Hôpital Européen Georges Po m p i d o u ,
U n ive rsité René Descartes Pa ris V, 20-40 rue Lebl a n c, 75015, Pa ris, Fra n c e
e-mail : olliv i e r. l a c c o u rreye @ h o p . eg p . ap h p . f r

INTRODUCTION
La section complète ou non du canal parotidien (aussi
appelé canal de Stenon ou canal de Stensen) a été rapportée
dans la littérature médicale à la suite de traumatismes
pénétrants ou non de la joue, de sialofibroscopie,
d’exérèse per orale de lithiase, de lithotripsie
salivaire et ou d’exérèse de tumeurs de la joue ou de
la muqueuse buccale. La méconnaissance de cette
section conduit à l’apparition retardée de complications
à type de fistules et de sialocèles. A partir d’un
cas clinique et d’une revue de la littérature nous analysons
et discutons les diverses approches thérapeutiques
à la disposition du chirurgien cervico-facial
OBSERVATION CLINIQUE
Une patiente de 24 ans a consulté pour une tuméfaction
de la joue gauche augmentant de volume lors des
repas. L’interrogatoire notait l’exérèse, dans un autre
centre, dans l’enfance, d’un tératome de la région buccale
gauche étendu à la fosse ptérygo-maxillaire réalisée
par un abord externe au travers de la joue avec des
soins locaux prolongés devant l’apparition d’une fistule
salivaire post-opératoire. Une radiothérapie post
opératoire (dose totale inconnue) avait été réalisée.
La patiente signalait par ailleurs que la tuméfaction
actuelle
1) était apparue dans les suites immédiates de la cicatrisation
de la fistule et avait progressivement augmenté
de taille au fil des ans
2) augmentait de volume lors des repas
3) pouvait être partiellement réduite par le massage et
la pression de la joue gauche avec alors issue de salive
claire au niveau de l’orifice du canal de Sténon
gauche.
L’ examen clinique notait une cicat rice à peine perc ept
i ble de 1 centimètre de long au niveau de la joue
ga u ch e. L’ o ri fice du canal de Sténon était sain, laissant
s o u rd re une salive norm a l e. La palpation bimanu e l l e
ne notait pas de lithiase mais une masse molle, indolore.
Après dilat ation de l’ori fice de Sténon la sialendoscopie
notait, après 1 cm de canal en ap p a rence normal,
une cavité re c o u ve rte de muqueuse sans qu’il soit
p o s s i ble de découvrir l’extrémité proximale du canal.
Le reste de l’examen clinique oto-rhino-lary n go l ogique
était sans part i c u l a rité. Une sialographie (Fi g u re
1) et une image rie par résonance magnétique nu cl é a ire
(Fi g u res 2-3) notaient la présence d’une cavité de 5
Sialocèle
Figure 1 : Sialographie mettant en évidence
la sialocèle et la dilatation de la partie
proximale du canal de Sténon.
Fi g u re 2 : Vue de la sialocèle en T1 en image
rie par résonnance magnétique nu cl é a i re.
c e n t i m è t res de diamètre intercalée entre les seg m e n t s
distaux et proximaux du canal de Sténon et dont le
pôle inférieur se développait largement sous le segment
distal du canal de Sténon (Fi g u res 1-4) ex p l iquant
les difficultés de vidange spontanée de la cav i t é .
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Fi g u re 3 : Vue de la sialocèle en T2 en ima -
ge rie par résonnance magnétique nu cl é a i re.
Figure 4 : Reconstruction tridimensionnele
de la sialocèle (flèche discontinue noire) avec
la partie proximale du canal de Sténon (flèche
pleine noire) et la partie distale du canal de
Sténon (flèche blanche).
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Sialocèle
A partir de ces données, le diagnostic de sialocèle
p o s t - t ra u m atique était re t e nu. Les diff é rentes at t i t u d e s
t h é rapeutiques ainsi que leurs risques respectifs fure n t
présentés à la patiente qui refusa tout tra i t e m e n t .
DISCUSSION
Dans la littérature médicale, les termes utilisés pour
désigner le développement d’une cavité le long du trajet
du canal de drainage d’une glande salivaire suite à
un traumatisme sont multiples et variés en fonction
des époques. Le terme de « pseudokyste » semble
avoir été le premier utilisé [1-3]. Ce n’est que secondairement
qu’à la fin des années 70, qu’apparut et se
popularisa celui de « sialocèle » [4-7]. Ainsi que l’ont
bien écrit Van der Goten et al. [8], la différence principale
entre un pseudokyste et une sialocèle est la présence
ou l’absence de recouvrement épithélial de la
cavité. Si la salive s’accumule dans les tissus mous
par extravasation et reste confinée par des tissus de
granulation ou de la fibrose alors on doit parler de
pseudokyste, en revanche si cette accumulation se fait
au sein d’une cavité recouverte d’un épithélium il
s’agit alors d’une sialocèle [8]. Cependant, il persiste
toujours une certaine confusion quant à la désignation
exacte de ces lésions. Ainsi certains auteurs [4,7,8]
parlent de « sialocèle parotidien post traumatique »
alors que le traumatisme déclenchant ne concernait
jamais la parotide en elle-même mais plutôt son canal
excréteur. Aussi pour notre part il nous semble que la
définition appropriée pour une sialocèle devrait simplement
correspondre au « développement d’une cavité
épithélialisée survenue dans les suites du traumatisme
d’une glande ou de son canal », l’adjonction des
termes parotidien ou sub-mandibulaire étant réservée
à l’atteinte de la glande elle-même alors que l’atteinte
de leur canal sera différenciée par l’accolement de
leur nom propre (Sténon ou Wharton).
Bien que la littérat u re médicale rego rge d’art i cles sur
le diagnostic et la prise en ch a rge de pseudokystes et
de sialocèles de la glande paro t i d e, à notre connaissance
seule moins d’une dizaine d’entre eux rap p o rt e n t ,
d epuis les années cinquante, l’existence de telles
atteintes au niveau du canal de Sténon (Tableau I).
L’ a n a lyse des strat é gies thérapeutiques utilisées
( Tableau I) sugg è re que le délai de prise en ch a rge
initial et l’importance du délab rement lié au tra u m at i sme
sont les deux principaux fa c t e u rs qui influencent le

p ronostic fonctionnel : l’allongement de ce délai et la
gravité croissante du délab rement grevant les résultat s
t h é rapeutiques. Plusieurs art i cles ont souligné que,
quel que soit le délai de prise en ch a rge ou l’import a nce
du tra u m at i s m e, la ponction éva c u at rice suivie de
pansements compressifs est une ap p ro che ineffi c a c e
qui conduit immanquablement à la récidive [1-3]. En
présence d'un tra u m atisme limité du canal ex c r é t e u r, à
condition que le diagnostic soit précoce, la diminu t i o n
du flux saliva i re obtenu soit par la ligat u re de la part i e
p roximale du canal de Sténon telle que rap p o rtée par
L a n d ry [1] soit par des injections intra parotidienne de
t oxine botulique comme l'ont récemment souligné
d ive rs auteurs [7,9,10] ap p a raît comme ex t r ê m e m e n t
e ffi c a c e. Dans le cas d’un tra u m atisme grave du canal
de Sténon cette option thérapeutique mérite aussi, au
vu de sa très fa i ble comorbidité, d’être utilisée en prem
i è re intention en sachant que toute récidive pourra
t o u j o u rs être traitée avec succès soit par cat h é t é ri s at i o n
du kyste et du canal telle que rap p o rtée par Meyer et
al.[2] soit par mars u p i a l i s ation dans la cavité bu c c a l e
comme l'a décrit Singh [4].
Dans le cas de notre patiente l'importance du délai
avant le diagnostic (20 ans), l’antécédent de ra d i o t h érap
i e, l’impossibilité de mettre en évidence le seg m e n t
p roximal du canal de Sténon lors de la sialendoscopie
et l'étude de l'iconographie (Fi g u res 1-4), qui révélait
une section complète du canal avec une cavité de 5
c e n t i m è t res de diamètre, nous a conduit à ne pas re t enir
l'option de la toxine botulique car nous pensons que
Sialocèle
Tableau I : Revue de la littérature consacrée aux pseudokystes et sialocèles du canal de Sténon
Auteurs Année Nb Délai depuis Traitement Suites
traumatisme
initial
Landry [1] 1958 1 2 mois Ligature du canal Guéri à 4 ans
M eye r &G o rd o n[ 2 ] 1969 1 1 mois Catheterisation du sialocèle Guéri à 2 mois
Singh et al. [3] 1979 1 1 mois Marsupialisation par voie endobuccale Guéri à 12 mois
D i e rk s &G ra n i t e[ 4 ] 1977 2 18 jours Traitement anticholinergique Guéri à 1 mois
Gombos et al. [5] 1983 1 15 jours Excision fistule + marsupialisation
par voie endobuccale Guéri sans recul précisé
C a n o s a &C o h e n [ 6 ] 1999 2 14 jours Drainage + marsupialisation
par voie endobuccale Guéris à 18 et 36 mois
Capaccio et al. [7] 2004 1 6 mois Injection (50 UI)
intraparotidienne de Botox ® Guéri à 26 mois
(Nb : nombre, j : jours, m : mois, a : années, T : traumatisme initial, S : suivi, U.I : unités internationales).
ce traitement n'aurait permis qu'une amélioration tra ns
i t o i re des symptômes, par la réduction du flux saliva ire,
sans perm e t t re un affaissement définitif du kyste et
un retour à la normale de la fo rme du canal. L’ o p t i o n
de la mars u p i a l i s ation par voie endobuccale associée à
une injection intra - p a rotidienne de toxine botulique a
été écartée en raison de l’antécédent de ra d i o t h é rap i e
et du cara c t è re re l at ivement pro fond de la sialocèle
( Fi g u res 2 et 3). De même, la micro ch i ru rgie de
re c o n s t ruction du canal par interposition d'un gre ffo n
veineux nous a semblé aléat o i re et extrêmement difficile
sur ce terrain déjà opéré et irradié. Enfin, ch e z
cette jeune pat i e n t e, l'irra d i ation à fa i ble dose, afi n
d'obtenir une xéro s t o m i e, ainsi que cela a été pro p o s é
dans les années 50, n'a pas été env i s agée en rega rd des
risques de néoplasie secondaire radio-induite et de
l ’ existence d’un antécédent de ra d i o t h é rap i e. La taille
m a j e u re de la sialocèle associée à sa localisation profonde
dans la joue (Fi g u res 2 et 3) nous ont conduits à
penser que la parotidectomie associée à la mars u p i a l is
ation de la cavité représentaient la meilleure des
options thérapeutiques en vue d'obtenir une guéri s o n
d é fi n i t ive. Notre pat i e n t e, une fois info rmée des
risques et séquelles possibles liés à la dissection du
nerf facial a malheureusement refusé tout tra i t e m e n t .
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