Dissection rétrograde du nerf récurrent dans la chirurgie thryoidienne

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:33 Page 203
ARTICLE ORIGINAL
Dissection rétrograde du nerf récurrent
dans la chirurgie thryoidienne
Marc Makeieff, Bernard Guerrier
Service ORL Chirurgie Cervico-Faciale - Hôpital Gui de Chauliac, CHU Montpellier
RÉSUMÉ
Introduction/hypothèses : La chirurgie des goitres
cervico-thoraciques et des récidives de goitre présente
des particularités techniques. La technique habituelle
de repérage du nerf récurrent n'est pas toujours
possible. Nous décrivons une technique de dissection
rétrograde du nerf récurrent à partir de son point de
pénétration laryngée.
Patients et méthodes : Il s’agit d’une étude prospective
concernant 133 cas de chirurgie thyroïdienne difficile
(64 goitres cervico-thoraciques et 69 récidives)
avec dissection rétrograde du nerf récurr ent. Les
résultats postopératoires sont appréciés par le taux de
paralysie récurentielle.
Résultats : Le taux de division précoce du nerf récurrent
est de 25,5 % (32 cas). Une branche de division
postérieure de l’artère thyroïdienne inférieure accompagnant
le nerf récurrent a été observée dans 84 % des
cas. Le taux de parésie récurrentielle en cas de division
précoce est de 6,2%. Le taux de paralysie récurrentielle
transitoire et permanente est respectivement
4,6% et 1,5% (goitres cervico-thoraciques) et 5,2% et
2,9% (reprises chirurgicales).
Conclusion : Cette technique de dissection du nerf
récurrent appliquée à la chirurgie des goitres cervicothoraciques
et des récidives permet une bonne exposition
et limite le risque de lésions récurrentielles dans
ces conditions techniques difficiles.
(Fr ORL - 2006 ; 90 : 203-209)
Mots clés : Thyroïde, Goitres cervico-thoraciques,
Chirurgie cervicale.
Date de soumission : octobre 2004
Date d’acceptation : février 2006
Auteur correspondant : Marc Makeieff
Service ORL Chirurgie Cervico-Faciale,
Hôpital Gui de Chauliac
34295 Montpellier Cedex 5
e-mail : m-makeieff@chu-montpellier.fr
ABSTRACT
I n t ro d u c t i o n / hy p o t h e s e s : S u rge ry for cerv i c o t h oracic
goiter or re c u rrent goiter raises specific technical
ch a l l e n ges. The usual technique for identifying
the re c u rrent lary n geal nerve (RLN) is not
a lways fe a s i bl e. We rep o rt a technique for re t rograde
RLN dissection starting at the site of entry into
the lary n x .
Patients and methods: We prospectively studied 133
patients who underwent surgery for cervicothoracic
goiter (n=64) or recurrent goiter (n=69) with retrograde
RLN dissection. The rate of postoperative RLN
palsy was determined.
Results: Extralaryngeal RLN branches were noted in
32 (25.5%) patients. A posterior branch from the thyroid
artery traveled with the RLN in 112 (84%) cases.
Of the 32 patients with extralaryngeal RLN division,
2 (6.2%) experienced postoperative RLN palsy. The
rates of transient and permanent RLN palsy were
4.6% and 1.5%, respectively, in patients with cervicothoracic
goiter and 5.2% and 2.9%, respectively, in
those with recurrent goiter.
Conclusion: In patients undergoing surgery for cervicothoracic
goiter or recurrent goiter, our technique for
retrograde RLN dissection ensures good exposure of
the nerve and reduces the risk of RLN palsy, which is
high in these technically difficult cases.
Keywords: Thyroid, Cervicothoracic goiter, Neck
surgery.
Fr ORL - 2006 ; 90 : 203

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 204
INTRODUCTION
Le repérage du nerf récurrent est un temps essentiel au
cours de la chirurgie thyroïdienne. Sa découverte est
le garant de sa conservation dans toute chirurgie pour
lésion bénigne [1-2]. Dans la majorité des interventions,
la mise en évidence du nerf est aisée avec la
technique habituelle de repérage au pôle postéro-inférieur
du lobe, lors de la pénétration du nerf dans la
loge thyroïdienne. Cependant tout opérateur peut rencontrer
des situations où ce repérage est plus difficile
et où cette technique devient hasardeuse voire impossible.
Dans certaines situations, il est préférable de
rechercher le nerf récurrent avant d’entreprendre la
dissection de la face latérale et postérieure du lobe.
La pénétration du nerf récurrent dans le larynx
constitue un point fixe insensible aux modifications
morphologiques induites par la pathologie thyroïdienne.
La recherche du nerf récurrent à son point de pénétration
dans le larynx impose la connaissance des différents
repères anatomiques qui sont tout à faits différents
de ceux de la technique classique. Ceux-ci doivent
être parfaitement connus des chirurgiens qui pratiquent
cette chirurgie et les résultats de cette technique
de dissection doivent être évalués.
En effet, dans la technique courante, le repérage
s'effectue après avoir disséqué les faces latérales et
postérieures du lobe puis l’avoir extériorisé pour le
refouler vers la ligne médiane. L'artère thyroïdienne
inférieure constitue habituellement à droite le repère
de sa découverte, le nerf la précroisant le plus souvent
alors qu’à gauche, le nerf, en situation plus profonde,
est découvert dans l'angle trachéo-oesophagien. La
découverte du nerf récurrent selon cette méthode
impose souvent l’extériorisation pour bien récliner le
lobe vers la ligne médiane. Certains goitres, en particulier
les goitres à développement thoracique important,
et les récidives lorsqu’il y a eu déjà une dissection
du nerf récurrent peuvent ne pas permettre cette
manœuvre.
Pour réaliser l’identification du nerf récurrent à son
point de pénétration dans le larynx il est indispensable
d’en connaître son environnement anatomique. Celuici
est constitué par le ligament suspenseur postérieur
de la thyroïde et le muscle crico-pharyngien. Le ligament
suspenseur médian (ligament de Grüber), situé
de chaque coté de la trachée, amarre le lobe thyroïdien
par sa face médiale et postérieure au premier et
deuxième anneau trachéal [3]. Il est très court et peu
individualisable de la thyroïde. Ce ligament est donc
au contact du point de pénétration du nerf récurrent
204 - Fr ORL - 2006 ; 90
Dissection rétrograde du nerf récurrent
qui se situe immédiatement en arrière ou entre les
deux feuillets du ligament. D’autre part, à l'union
crico-trachéale de petites branches artérielles et veineuses,
branches de l’artère thyroïdienne inférieure ou
de l’arcade anastomotique entre les deux branches
postérieures des deux artères thyroïdiennes, le traversent.
Les faisceaux inféri e u rs du mu s cle constricteur inférieur
ou mu s cle cri c o - p h a ry n gien contournent le cart il
age cricoïde pour s’insérer en avant de part et d'autre
de la ligne médiane. Ces fi b res inféri e u res ne dépassent
pas le bord inférieur du cart i l age cricoïde et enveloppent
la petite corne du cart i l age thy roïde
( Fi g u re 1). Le nerf pénètre dans le larynx sous les fa i sceaux
inféri e u rs du mu s cle cri c o - p h a ry n gien ou au trave
rs d’eux à leur partie inféri e u re (30% des cas) [2,4].
Il chemine en arri è re de l'art i c u l ation cri c o - t hy ro ï d i e nne
et de la petite corne du cart i l age thy roïde [4].
L’objectif de notre étude est de décrire une technique
de repérage du nerf récurrent et de dissection
rétrograde, effectuée à partir de la pénétration du nerf
dans le larynx. L’évaluation de cette technique sera
faite à partir du taux de paralysie récurrentielle postopératoire.
Si cette technique peut être employée dans
toutes les chirurgies thyroïdiennes, il est préférable de
la réserver aux cas de chirurgie thyroïdienne difficile
où l’extériorisation première du lobe n’est pas possible,
rendant la technique classique irréalisable.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Une série de 133 thyroïdectomies avec dissection
rétrograde du nerf récurrent a été étudiée de manière
Figure 1 : Rapports du nerf récurrent au point
de pénétration dans le larynx (coté gauche).

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 205
prospective à partir des données recueillies sur une
fiche de donnée de 1990 à 2003.
La population d’étude est constituée de 121 femmes
(91%) et de 12 hommes, l’age moyen était de 42 ans
(27- 79 ans).
Cette technique a été réservée à l’exérèse de certains
goitres cervico-thoraciques (64 cas) et lors de totalisation
complexe pour récidives de goitre multihétéronodulaire
(69 cas). Cette technique est loin d’être systématique
puisque durant la même période 4977 thyroïdectomies
ont été effectuées dont 257 goitres cervicothoraciques
et 145 interventions pour récidives nodulaires.
Les critères d’inclusion dans l’étude comprenaient :
- les goitres plongeants dont au moins un lobe s’insinue
dans le défilé cervico-thoracique et atteint le
niveau de la crosse aortique. Tous ces cas correspondaient
à des goitres de gros volume avec une extension
inféri e u re import a n t e, posant des pro bl è m e s
d’extériorisation.
- Les thyroïdectomies secondaires pour récidive de
goitre multihétéronodulaire survenant sur des loges
t hy roïdiennes précédemment opérées, où la zo n e
récurentielle avait déjà été disséquée. Ces récidives
occupaient toute la loge thyroïdienne, parfois avec
extension intrathoracique (8 cas).
Aucun cancer thyroïdien n’a été retenu pour cette
étude car seules les conséquences de la technique chirurgicale
étaient à prendre en compte,. Même si la
technique est tout à fait utilisable, le nerf récurrent
dans cette circonstance peut être sacrifié pour des raisons
oncologiques et non techniques. Aucun patient
ne présentait de paralysie récurentielle préopératoire.
Lors du recueil des données, la présence ou non d’une
division extralaryngée du nerf et la survenue ou non
d’un saignement dans la zone de dissection du nerf
avant sa mise en évidence étaient précisées. Ces particularités
sont intéressantes à noter car elles influencent
les difficultés d’identification du nerf, de sa dissection
et peuvent favoriser la survenue de complications.
D’autres données morphologiques du goitre:
taille, longueur du prolongement thoracique étaient
également précisées.
Les résultats de la technique ont été analysés sur
l’existence ou non d’une paralysie récurrentielle postopératoire.
Depuis 2002, le monitoring continu peropératoire
du nerf récurrent est utilisé systématiquement
(Nim 2, © Medtronic, Inc, Minneapolis, USA).
Dix-neuf patients ont pu être opérés avec ce dispositif
à la date de point.
Tous les patients ont été évalués en période post-opé-
Dissection rétrograde du nerf récurrent
ratoire. Un examen laryngé en fibroscopie était systématique
à 48 heures en cas de dysphonie et une autre
de principe au 8 éme jour postopératoire lors de l’ablation
du surjet.
Nous avons considéré qu’une paralysie récurrentielle
était définitive au bout d’un an. Une rééducation
orthophonique a été prescrite en cas de trouble de
mobilité cordale post-opératoire.
Technique chirurgicale
Le principe de cette technique de repérage du nerf
récurrent est de découvrir le nerf au niveau de son
point de pénétration dans le larynx [1, 5].
Ce point constitue un rep è re constant non modifié par
le développement du go i t re. Cette technique ne nécessite
pas un ab o rd préalable de la face lat é rale et postéri
e u re du lobe. On procède donc ainsi lorsqu’il n'est pas
p o s s i ble de mobiliser le lobe ve rs la ligne médiane.
Les différents temps opératoires se déroulent de la
façon suivante:
En cas de chirurgie unilatérale, une isthmectomie est
effectuée dans un premier temps et un fil tracteur est
placé sur la tranche de section de l’isthme.
En cas de chirurgie bilatérale, la première lobectomie
est effectuée du coté le moins difficile. Le lobe posant
problème est abordé dans un second temps après dissection
des attaches trachéales antérieures.
Le cartilage cricoïde est ensuite repéré au toucher audessus
de l'isthme thyroïdien, afin de repérer la hauteur
approximative du point de pénétration du nerf.
Le pédicule vasculaire supérieur est alors ligaturé, mis
sur pince et la dissection du pôle supérieur du lobe
commence au contact de la capsule, progressant de
haut en bas, permettant de libérer les parties latérale et
interne et de repérer le muscle crico-pharyngien.
Le bord inférieur de ce muscle disposé en écharpe
autours du cartilage cricoïde est en regard du point de
pénétration du nerf. Après avoir placé un fil tracteur
sur le pôle supérieur, le lobe est écarté en bas et en
dedans, pour procéder à une dissection prudente dans
une zone limitée par, en haut le bord inférieur du
constricteur inférieur, en dedans la trachée et en profondeur
la musculeuse oesophagienne. La palpation
de la petite corne du cartilage thyroïde est un repère
constant mais parfois difficile à identifier tactilement.
Le nerf récurrent pénètre dans le constricteur inférieur
juste en arrière [2]. La dissection s'effectue en dessous
du bord inférieur du constricteur inférieur, elle est
menée dans l'axe supposé du trajet du nerf, de façon
prudente compte tenu de la proximité de la branche
Fr ORL - 2006 ; 90 : 205

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 206
p o s t é ri e u re de l'art è re thy roïdienne inféri e u re qui
accompagne le nerf, et de vaisseaux artériels ou veineux
qui croisent son trajet. Ce temps de dissection,
effectué très près du nerf sans que celui-ci ait été identifié,
doit être très prudent car une hémostase à ce
niveau risque d'occasionner des dommages nerveux.
Le nerf est découvert plaqué en profondeur du ligament
suspenseur (Figures 2 et 3). Il peut être alors
suivi de haut en bas sans risque. La section de la totalité
des attaches trachéales du lobe est alors rapidement
effectuée ce qui permet de mobiliser considérablement
le lobe thyroïdien.
RÉSULTATS
La longueur moyenne du prolongement thoracique
des goitres plongeants est de 8.3 cm (6 à 15 cm) et le
poids moyen de 165 g.
Figure 2 : Repérage premier du nerf récurrent
(position opératoire, coté droit).
Visualisation du bord inférieur du muscle cricopharyngien
et lobe thyroïdien récliné vers le bas.
Figure 3 : Découverte du nerf récurrent au
point de pénétration laryngée (coté droit).
206 - Fr ORL - 2006 ; 90
Dissection rétrograde du nerf récurrent
Les pièces opérat o i res se sont toutes révélées
bénignes à l’analyse histologique définitive.
Le taux de division précoce du nerf récurrent est de
25,5 % (32 cas). Trois cas de trifurcation du nerf
récurrent ont été notés.
Une branche de division postérieure de l’artère thyroïdienne
inférieure accompagnant le nerf récurrent a
été observée dans 112 cas (84,2%). Un saignement
gênant à proximité de la zone de découverte du nerf et
avant sa mise en évidence est noté dans 27 cas
(20,3%).
Il n’y a eu aucun cas de section accidentelle du nerf
r é c u rrent. Les résultats concernant les para ly s i e s
récurrentielles sont rapportés dans le Tableau I. Huit
cas de paralysies récurrentielles transitoires ont été
notés (6 %). On observe 3 cas de paralysies persistantes
après 1 an (2,2%). Dans 2 cas une division
extralaryngée du nerf récurrent est rapportée. Le taux
de parésie récurrentielle en cas de division précoce du
nerf récurrent est alors de 6.2%. Aucun cas de parésie
persistante du nerf récurrent n'est survenu parmi les
19 patients opérés sous monitoring nerveux.
DISCUSSION
Dans la plupart des interventions, le repérage du nerf
peut être effectué de façon classique. Il faut pour cela
réaliser les ligatures veineuses latérales et inférieures
puis extérioriser le lobe en le refoulant vers la ligne
médiane pour avoir accès aux rapports postérieurs du
corps thyroïde et plus particulièrement à l’artère thyroïdienne
inférieure à droit et à l’angle trachéo-oesophagien
à gauche. Certaines situations ne permettent
Figure 4 : Tomodensitométrie.
Prolongement cervico-thoracique nécessitant une
exérèse avec dissection rétrograde du nerf récur -
rent.

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 207
Tableau I : Paralysie récurrentielle après repérage
premier du nerf récurrent.
Tableau II: Pourcentage de parésie récurrentielle
dans la chirurgie des goitres plongeants.
pas cette manœuvre parce que le goitre est trop volumineux
et non extériorisable. C'est en particulier le
cas pour les goitres plongeants lorsque leur expansion
intrathoracique ne permet pas de les mobiliser et de
découvrir le plan profond (Figure 4). On peut alors
tenter de les extérioriser au doigt sans avoir au préalable
repéré le nerf, mais on s'expose à le léser par étirement
ou lors des ligat u res veineuses. Cette
manœuvre d’extériorisation du lobe thyroïdien n'est
d'ailleurs pas toujours possible sans avoir au préalable
sectionné les attaches trachéales du lobe. Pour effectuer
ce temps sans risque, le repérage du nerf doit être
Dissection rétrograde du nerf récurrent
Année % PR
Allo [8] 1983 5,7 %
Katlic [18] 1985 6,2 %
Michel [19] 1988 20,0 %
Shaha [20] 1989 19 %
Notre série 2006 1,5 %
PR : Paralysie récurentielle
Tableau III : Paralysie récurrentielle après
thyroïdectomie seconde sur loge thyroïdienne
précédemment disséquée.
n PR immédiate PR
définitive
Cougard [13] 30 13,0% 6,0%
Reeve [14] 123 1,6%
Peix [21] 65 10,5% 10,5%
Wagner [22] 148 3,8%
PR : Paralysie récurentielle
Goitres Récidives
cervico- de goitres
thoraciques
PR transitoires 3 cas (4,6 %) 5 cas (5,2% )
PR persistantes 1 cas (1,5 %) 2 cas (2,9% )
PR : Paralysie récurrentielle
fait au niveau du point de pénétration intralaryngée du
nerf [6]. Une fois le nerf repéré, il est alors disséqué
de façon rétrograde en sectionnant complètement les
attaches trachéales du lobe et en le suivant sur la face
postérieure du lobe. Cette manœuvre de libération
complète des attaches cervicales du goitre permet de
considérablement améliorer la mobilisation de la partie
thoracique du lobe et d’en faciliter l’ascension progressive,
favorisée par ailleurs par la traction sur les
deux fils précédemment placés sur l’isthme et le pôle
supérieur. Cette extériorisation progressive va donner
accès aux veines thyroïdiennes inférieures qui peuvent
alors être liées sans risque pour le nerf [7]. Les
manœuvres digitales d’extraction du prolongement
thoracique du lobe se font alors après avoir repéré et
disséqué tout le trajet du nerf récurrent. Ceci limite
les risques de traumatisme direct ou d’étirement du
nerf.
Le risque récurrentiel dans la ch i ru rgie des
go i t res plongeants, compris entre 2 et 10% ap p a ra î t
s u p é rieur à celui de la ch i ru rgie thy roïdienne cerv i c ale
[6, 8-11]. Les conditions d’inclusion et les disparités
entre les patients inclus dans les diff é rents art i cl e s
cités ne permettent pas une comparaison dire c t e, néanmoins
avec la dissection pre m i è re du nerf récurrent, le
taux de para lysie récurrentielle de 1,5% dans notre
s é rie de patients ap p a raît assez limité (Tableau II).
Dans notre expérience le repérage initial et la dissection
rétrograde du nerf récurrent dans le cas précis du
goitre plongeant est un facteur de réussite et de sécurité
lors de l’extraction du prolongement thoracique.
Dans les reprises chirurgicales pour récidive nodulaire
après énucléation ou lobectomie partielle, si la face
postérieure du lobe n'a pas été disséquée et le nerf précédemment
exposé, sa recherche est aisée et menée de
façon classique. Dans le cas contraire, la dissection
des tissus cicatriciels s'effectue sans repère fiable dans
une zone fibreuse. Le nerf peut être adhérent au lobe,
superficiel, noyé dans ce tissu ou latéralisé en position
externe. Sa recherche est rendue difficile par les
conditions locales. Dans ces cas, il est recommandé de
localiser rapidement le nerf avant la dissection de la
loge [1, 12-14]. Le pôle supérieur peut être abordé audessus
du bord inférieur du muscle crico-pharyngien
et le pôle postérieur de la thy roïde exposé. On
recherche rapidement le nerf dès que la limite inférieure
du muscle crico-pharyngien est identifiée. Cette
manœuvre permet de limiter le risque récurrentiel à
moins de 3% des cas dans une chirurgie où ce taux
peut atteindre 6 à 10% (Tableau III) [13, 15].
H o rmis ces situations part i c u l i è res (go i t re s
Fr ORL - 2006 ; 90 : 207

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 208
plongeants et reprises) où cette technique s’est avérée
utile, il n’y a aucune contre-indication à utiliser cette
technique. Elle peut être employée avec ou sans section
de l’isthme thyroïdien et les goitres à développement
supérieur n’empêchent pas de recourir à cette
technique. La technique nous semble également intéressante
dans les cas de goitre plurinodulaire, volumineux
avec de multiples nodules appendus à la thyroïde.
Dans ces cas, le trajet du nerf peut être considérablement
modifié et difficile à retrouver dans son
trajet habituel. Le nerf peut être dévié latéralement ou
rendu plus superficiel par les nodules. Il peut circonscrire
les différents nodules ou s'insinuer entre eux rendant
sa recherche laborieuse et aléatoire.
La limitation du recours à cette technique provient
de sa réalisation plus délicate et plus longue.
Nous la réservons en général aux cas où la technique
classique ne peut être pratiquée. Les difficultés principales
lors de son exécution proviennent d’une part
du risque de saignement avant d’avoir pu localiser le
nerf, d’autre part de la division extra-laryngée du nerf.
En profondeur du ligament suspenseur ou au contact
de son bord postérieur se trouvent une branche postérieure
de division de l'artère thyroïdienne inférieure et
des veines thyroïdiennes qui accompagnent le nerf
jusqu'à sa pénétration sous le mu s cle [2-3]. La
branche postérieure de l'artère thyroïdienne inférieure
parcourt la région postéro-interne du lobe et peut
s'anastomoser avec une branche de division de l'artère
thyroïdienne supérieure. Au point de pénétration, ces
branches se divisent et donnent des vaisseaux situés
en dedans et en avant du nerf [3]. Il peut être difficile
d’identifier le nerf dans ce maillage vasculaire et le
risque pour l’opérateur est d’être considérablement
gêné par un saignement survenant avant d’avoir identifié
le nerf. Ce saignement est assez fréquent, rapporté
dans 20% des cas et oblige à des coagulations à la
pince bipolaire délicates. A ce point de la recherche
du nerf, le monitoring peropératoire continu du nerf
récurrent est maintenant utilisé. La stimulation du nerf
récurrent est effectuée rapidement dès sa mise en évidence
et les réactions nerveuses enregistrées peuvent
i n fo rmer l’opérateur dans ses manipulations. Le
monitoring du nerf doit permettre de limiter les
manœuvres instrumentales de dissection, et d’éviter
des coag u l ations intempestives avant le rep é rage
effectif du nerf. Les résultats concernant l'apport du
m o n i t o ring du nerf récurrent font encore l'objet
d'études, mais aucune parésie persistante n'a été
observée chez les patients opérés avec ce dispositif
technique.
208 - Fr ORL - 2006 ; 90
Dissection rétrograde du nerf récurrent
Un autre risque de cette technique de dissection du
nerf récurrent est la division précoce ou extralaryngée
du nerf récurrent. Elle est assez fréquente, décrite
dans environ 40% des cas [16]. Elle est le plus souvent
double avec une branche antéro-interne et une
branche postéro-externe. Ces branches peuvent être
de diamètre égal mais la branche antérieure est souvent
la plus volumineuse Cette division se fait au
niveau de l'artère thyroïdienne inférieure ou en dessous,
dans la plupart des cas à une distance du cartilage
thyroïde variant de 0,6 à 3,5 cm [17]. Les branches
de division passent en avant, en arrière ou entre les
branches de l'artère thyroïdienne inférieure et pénètrent
dans le larynx. La trifurcation des branches est
plus rare et n'est retrouvée que dans 6,2 % des cas de
division basse [16]. La division extra laryngée du nerf
récurrent a des implications importantes en chirurgie
car la branche postérieure, souvent plus grêle peut ne
pas être identifiée si le nerf est découvert au-dessus de
l'artère thyroïdienne inférieure. Le taux de paralysie
récurrentielle postopératoire est plus important quand
le nerf présente une division extralaryngée, il est de
6,2% dans notre série de patients.
CONCLUSION
Cette technique de rep é rage premier du nerf récurre n t
est une aide importante dans les situations ch i ru rgicales
délicates, lorsque les conditions de localisat i o n
classique du nerf récurrent ne sont pas réunies. Dans
n o t re ex p é ri e n c e, cette technique est plus part i c u l i è rement
utile dans les cas de go i t res thy roïdiens plongeants
lorsque la taille du pro l o n gement thoracique ne
p e rmet pas une ex t raction pre m i è re du lobe ou dans la
ch i ru rgie des rep rises ch i ru rgicales lorsque les loge s
t hy roïdiennes ont déjà été disséquées. Dans ces deux
cas en part i c u l i e r, cette tech n i q u e, plus longue et délic
ate que la méthode classique doit perm e t t re de limiter
le taux de para lysies récurrentielles post-opérat o i re s .
RÉFÉRENCES
1. G u e rrier B. Les go i t res plongeants: aspects
techniques. Lettre ORL Chir Cervico-Fac. 1994;
174: 27-28.
2. Wang C. The use of the inferior cornu of the thyroid
cartilage in identifying the recurrent laryngeal
nerve. Surg Gynecol Obst. 1975; 140: 91-94.

mp ORL 90 ok 20/07/06 16:34 Page 209
3. Thompson NW, Olsen WR, Hoffman GL. The
continuing developpement of the technique of
thyroidectomy. Surgery 1973; 73: 913-927.
4. Wafae N, Vieira MC, Vorobieff A. The recurrent
l a ry n geal nerve in re l ation to the infe rior constri c t o r
mu s cle of the pharynx. Lary n goscope 1991;
101: 1091-1093.
5. Cho HT, Cohen JP, Som ML. Management of
substernal and intrathoracic goiters. Otolaryngol
Head Neck Surg. 1986 ; 94: 282-287.
6. Proye C, Gregoire M, Lagache G. Les goitres
plongeants, considérations anatomo-cliniques et
chirurgicales. A propos de 105 observations. Lyon
Chir. 1982; 78: 19-25.
7. Hsu B, Reeve TS, Guinea AI, Robinson B,
D e l b ri d ge L. Recurrent substernal goiter: incidence
and management. Surgery 1996; 120: 1072-1075.
8. Allo MT, Thompson NW. Rationale for the
o p e rat ive management of substernal go i t e rs.
Surgery 1983 ; 94: 967-977.
9. Dubost C, Roche JY, Celerier M. Goitres
p l o n geants endothoraciques: à propos de 50
observations. Ann Chir. 1973; 27: 555-566.
10. S a n d e rs LE, Rossi RL, Shahian DM,
Williamson WA. Mediastinal goiters-The need for
an aggre s s ive ap p ro a ch. Arch Surg. 1992;
127: 609-613.
11 . M a ke i e ff M, Rubinstein P, Youssef B, Crampette L,
Guerrier B. La chirurgie des récidives nodulaires
thyroïdiennes (cancers et hyperthyroïdie exclus).
Ann Chir. 1998 ; 52: 970-977.
1 2 . M a ke i e ff M, Marlier F, Khudjadze M, Crampette L,
Guerrier B. Les goitres plongeants. A propos de
212 cas. Ann Chir. 2000 ; 125 : 18-25.
Dissection rétrograde du nerf récurrent
13. Peix JL, Van Box Som P, Olagne E, Mancini F,
Bourdaix O. Résultats des réinterventions pour
goitre. Ann Chir. 1998; 51: 217-221.
14. Reeve TS, Delbridge L, Brady P, Crummer P,
Smyth Ch. Secondary thyroidectomy: a twentyyear
ex p e ri e n c e. Wo rld J Surg. 1988 ; 12: 449-453.
15. Le Clec'h G, Bourdinière J, Bourguet J, Varene A,
Le Gall G, Cadre B. Pat h o l ogie nodulaire
récidivante de la glande thyroïde. Rev Laryngol.
(Bord) 1988; 109: 35-38.
16. Nemiroff PH, Katz AD. Extralaryngeal divisions
of the re c u rrent lary n geal nerve. Surgical
and clinical signifi c a n c e. Am J Surg. 1982;
144: 466-469.
17. Lore JM, Kim DJ, Elias S. Preservation of the
laryngeal nerves during total thyroid surgery. Ann
Otol. 1977; 86: 777-788.
18. Michel LA, Bradpiece HA. Surgical management
of substernal goiter. Br J Surg. 1988; 75: 565-569.
19. Shaha AR, Alfonso AE, Ja ffe BM. O p e rat ive
treatment of substernal goiters. Head Neck 1989;
11: 325-330.
20. Katlic MR, Grillo HC, Wang CC. Substernal
goiter. Analysis of 80 patients from Massachusset
General Hospital Am J Surg. 1985; 149: 283-287.
21. Wagner HE, Seiler ChA. Recurrent laryngeal
nerve palsy after thyroid gland surgery. Br J Surg.
1994 ; 81: 226-228.
22. Cougard P, Barry P, Melnick W, Rat P, Lalloue C,
Ferry C. Les risques fonctionnels des thyroïdectomies
itérat ives pour go i t res bénins. Rev Fr
Endocrinol. 1985; 26: 523-529.
Fr ORL - 2006 ; 90 : 209