La grammaire est une chanson douce. E. Orsenna de l ... - Oasisfle
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sous les os <strong>de</strong> mon crâne, les morceaux <strong>de</strong> mon<br />
cerveau se mélangeaient...<br />
Rien n'<strong>est</strong> plus contagieux que la peur. Depuis<br />
longtemps, le si joyeux steward n'avait pas souri,<br />
ni mon futur fiancé, le lieutenant blondinet,<br />
encore moins le cuisinier noir que notre appétit<br />
d'ogre d'habitu<strong>de</strong> réjouissait tant. Ils sursautaient<br />
à la moindre embardée du bateau, ils fermaient<br />
les yeux, comme si les coups que la mer<br />
lui portait étaient reçus par eux, ils se cramponnaient<br />
les uns aux autres, ils grimaçaient ou peutêtre<br />
priaient-ils, je voyais trembler leurs lèvres.<br />
Une étrange faiblesse s'emparait <strong>de</strong> moi :<br />
j'étais même prête à pardonner à Thomas tout le<br />
mal qu'il m'avait fait. Quand vient votre <strong>de</strong>rnière<br />
heure, vous abandonnez toute fierté.<br />
Mais tant qu'à mourir, je voulais du bon air.<br />
Par la main, je saisis mon frère et, profitant<br />
d'un beau coup <strong>de</strong> tangage, nous atteignîmes la<br />
porte qui donnait sur le pont.<br />
- Interdit ! hurla le lieutenant. Vous allez vous<br />
faire emporter !<br />
Ils tentèrent bien <strong>de</strong> nous retenir, mais trop<br />
tard, le paquebot <strong>de</strong> nouveau piquait du nez vers<br />
le ciel. Pauvre équipage, c'<strong>est</strong> la <strong>de</strong>rnière vision<br />
que je gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> lui, un trio qui crie et gigote, plaqué<br />
contre <strong>une</strong> paroi blanche...<br />
Dehors, impossible <strong>de</strong> respirer, le vent soufflait<br />
trop fort, j'étouffais. Comme un coup <strong>de</strong><br />
poing, il écrasait mes narines. Je croyais avoir<br />
trouvé la métho<strong>de</strong> dans les rafales : tourner la<br />
tête. Mais le vent avait compris ma misérable<br />
manœuvre, il s'engouffrait en moi par les tympans;<br />
je sentais sous mes cheveux comme un<br />
grand nettoyage, tout ce que je savais, le vent me<br />
l'arrachait, ça ressortait par l'autre oreille, mes<br />
leçons d'histoire, les dates que j'avais eu tant <strong>de</strong><br />
mal à apprendre, les verbes irréguliers anglais...<br />
Bientôt je serais tout à fait creuse. Et vi<strong>de</strong>.<br />
Thomas, comme moi, tentait <strong>de</strong> se protéger,<br />
les yeux affolés et les <strong>de</strong>ux mains plaquées sur ses<br />
oreilles.<br />
Un long coup <strong>de</strong> sirène retentit : l'ordre <strong>de</strong><br />
gagner au plus vite un canot <strong>de</strong> sauvetage.<br />
«Bon, ma petite Jeanne, il faut voir les choses<br />
en face, cette fois c'<strong>est</strong> la fin. Trop tard pour aller<br />
chercher <strong>une</strong> bouée. Si nous coulons, à qui vastu<br />
bien pouvoir t'accrocher ? »<br />
J'ai cherché, cherché <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> dans mon cerveau<br />
désert. Un petit mot m'<strong>est</strong> apparu, le <strong>de</strong>r-<br />
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