La grammaire est une chanson douce. E. Orsenna de l ... - Oasisfle
La grammaire est une chanson douce. E. Orsenna de l ... - Oasisfle
La grammaire est une chanson douce. E. Orsenna de l ... - Oasisfle
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
plutôt, il écoutait, passionné, leur discussion. Le<br />
félin tacheté se trouvait beau et le singe malin.<br />
Que valait-il mieux sur cette terre, l'apparence<br />
physique ou l'intelligence ?<br />
J'attendis poliment la fin <strong>de</strong> ce vieux débat.<br />
-Pardon monsieur, je m'appelle Jeanne. Un<br />
écrivain a-t-il toujours besoin d'animaux autour<br />
<strong>de</strong> lui ?<br />
- Un écrivain a pour métier la vérité. <strong>La</strong>quelle<br />
a pour meilleure amie la liberté. L'animal par<br />
nature étant plus libre que l'humain, nul ne prête<br />
plus attention à ses propos que l'écrivain.<br />
Je n'étais pas sûre d'avoir tout compris.<br />
J'entendais juste que, comme Monsieur Henri,<br />
cet homme-là avait la passion <strong>de</strong>s rimes. Je n'en<br />
menais pas large. Si le singe me souriait, le léopard<br />
grondait. Avant <strong>de</strong> fuir, je <strong>de</strong>vais pourtant achever<br />
mon enquête. Je pris mon courage à <strong>de</strong>ux mains.<br />
-Pardon, monsieur, vous pourriez me montrer<br />
<strong>une</strong> <strong>de</strong> vos phrases ? J'en fais collection. (Je<br />
savais que, pour apprivoiser un auteur, rien ne<br />
vaut la flatterie.)<br />
-Ah, chère Jeanne, si les je<strong>une</strong>s d'aujourd'hui<br />
avaient ton intelligence... À propos, je m'appelle<br />
Jean.<br />
Et, ronronnant, il m'ouvrit son carnet.<br />
-Celle-ci, avouons-le, j'en suis satisfait. Elle<br />
144<br />
<strong>de</strong>vrait me valoir un peu <strong>de</strong> gloire : « Cette leçon<br />
vaut bien un fromage sans doute. »<br />
Je m'apprêtais à l'applaudir (vive votre brièveté,<br />
vive votre précision, vous avez le génie du<br />
résumé, vous !), quand <strong>de</strong>s doigts crochus agrippèrent<br />
mon épaule.<br />
- Qu'<strong>est</strong>-ce que tu fais là ?<br />
<strong>La</strong> girafe, folle <strong>de</strong> colère, me secouait<br />
méchamment.<br />
-Je t'avais interdit cette partie <strong>de</strong> l'usine.<br />
Antoine, Marcel et Jean, mes trois nouveaux<br />
amis, vinrent à mon secours.<br />
- Cette Jeanne <strong>est</strong> notre invitée permanente.<br />
<strong>La</strong> girafe se radoucit :<br />
- Tu as vu l'heure ? Va vite dormir. Tes parents<br />
arrivent <strong>de</strong>main, je te le rappelle. Tu dois être en<br />
forme pour les accueillir.<br />
Avant <strong>de</strong> rejoindre mon lit, je lui posai à voix<br />
basse la qu<strong>est</strong>ion qui me démangeait <strong>de</strong>puis que<br />
j'avais poussé la fameuse porte :<br />
-Les trois, je ne comprends pas, ils sont<br />
morts ou vivants ?<br />
- Quand la mort s'approche d'un grand écrivain<br />
ses amis les mots, au <strong>de</strong>rnier moment, l'enlèvent<br />
et le déposent ici. Pour qu'il continue son<br />
travail.<br />
- Qu'<strong>est</strong>-ce qu'un grand écrivain ?<br />
145