La grammaire est une chanson douce. E. Orsenna de l ... - Oasisfle
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autant <strong>de</strong> violence cachée et plus <strong>de</strong> fantaisie<br />
joyeuse.<br />
Thomas avait eu sa dose <strong>de</strong> <strong>grammaire</strong>. Il<br />
fixait, hypnotisé, les doigts du neveu sublime qui<br />
se promenaient sur les cor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sa guitare avec<br />
<strong>une</strong> légèreté <strong>de</strong> chat.<br />
- On dirait que la musique te passionne plus<br />
que les paroles. Un jour, je t'emmènerai dans<br />
<strong>une</strong> autre ville où les notes, comme les mots ici,<br />
vivent entre elles. Tu en entendras <strong>de</strong> belles !<br />
Comme les yeux <strong>de</strong> mon frère brillaient (on<br />
aurait dit <strong>de</strong>ux braises prêtes à jaillir hors <strong>de</strong>s<br />
orbites), le neveu lui glissa la guitare dans les bras.<br />
- Attention, si tu commences avec la musique,<br />
c'<strong>est</strong> pour la vie, tu ne pourras plus t'en passer.<br />
Mon frère hocha la tête, grave comme je ne<br />
l'avais jamais vu. <strong>La</strong> femme n'<strong>est</strong> pas encore née<br />
à qui il offrira un «oui» pareil.<br />
- Parfait. Alors montre-moi ta main gauche.<br />
J'entendis à mon oreille la voix <strong>de</strong> Monsieur<br />
Henri.<br />
-Je crois qu'il vaut mieux laisser ensemble les<br />
virtuoses. Ne t'en fais pas, Jeanne, tu ne vas rien<br />
perdre au change. Suis-moi, en silence. Les mots<br />
sont comme nous. <strong>La</strong> nuit, ils tremblent <strong>de</strong> peur.<br />
Ils s'enfuient au moindre bruit suspect.<br />
XIII<br />
Les mots dormaient.<br />
Ils s'étaient posés sur les branches <strong>de</strong>s arbres<br />
et ne bougeaient plus. Nous marchions <strong>douce</strong>ment<br />
sur le sable pour ne pas les réveiller.<br />
Bêtement, je tendais l'oreille : j'aurais tant voulu<br />
surprendre leurs rêves. J'aimerais tellement<br />
savoir ce qui se passe dans la tête <strong>de</strong>s mots. Bien<br />
sûr, je n'entendais rien. Rien que le gron<strong>de</strong>ment<br />
sourd du ressac, là-bas, <strong>de</strong>rrière la colline. Et un<br />
vent léger. Peut-être seulement le souffle <strong>de</strong> la<br />
planète Terre avançant dans la nuit.<br />
Nous approchions d'un bâtiment qu'éclairait<br />
mal <strong>une</strong> croix rouge tremblotante.<br />
- Voici l'hôpital, murmura Monsieur Henri.<br />
Je frissonnai.<br />
L'hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n'arrivais<br />
pas à y croire. <strong>La</strong> honte m'envahit.<br />
Quelque chose me disait que, leurs souffrances<br />
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