Edition de juin 2012 (N° 364) - Societe de Lecture Geneve
Edition de juin 2012 (N° 364) - Societe de Lecture Geneve
Edition de juin 2012 (N° 364) - Societe de Lecture Geneve
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Le choix <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> <strong>Lecture</strong> – mai 2oo9 roMANS, LITTérATurE 3<br />
d’une ville chinoise, on ne sait où, et on<br />
doute que leurs lettres atteignent jamais<br />
leur <strong>de</strong>stinataire respectif. Tant d’inconnues<br />
donnent à cet échange un caractère<br />
intemporel qu’accentuent encore leurs<br />
commentaires sur la vie en général, sur la<br />
mort, sur l’enfance, les parents, les générations.<br />
Le quotidien plutôt glauque – dans<br />
la russie d’aujourd’hui ? – d’Alexandra est<br />
illuminé par <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> poésie, <strong>de</strong><br />
belles images <strong>de</strong> la neige qui tombe. une<br />
scène saisissante d’audace, <strong>de</strong> bonté et <strong>de</strong><br />
tendresse est celle où elle s’allonge auprès<br />
d’une petite fille plongée dans un coma<br />
prolongé et profond pour lui dire doucement<br />
qu’elle ne doit pas avoir peur <strong>de</strong> la<br />
mort et qu’elle fera du bien à tous ceux qui<br />
l’aiment en cessant <strong>de</strong> s’accrocher à un<br />
corps qui lui est <strong>de</strong>venu inutile. un moment<br />
fort qui attache à ce livre qu’on referme<br />
avec le sentiment troublant d’avoir côtoyé<br />
une œuvre puissante dont l’essentiel vous<br />
aurait échappé. LHF 534<br />
Valérie COSSY<br />
Isabelle <strong>de</strong> Charrière,<br />
écrire pour<br />
vivre autrement<br />
Lausanne, PPUR, <strong>2012</strong>, 131 p.<br />
Par cet essai très bien documenté, Valérie<br />
Cossy retrace la trajectoire, l’œuvre et les<br />
idées d’Isabelle <strong>de</strong> Charrière. Hollandaise<br />
d’origine, aristocrate <strong>de</strong> naissance,<br />
Isabelle <strong>de</strong> Charrière s’installa à Neuchâtel<br />
à la faveur d’un mariage <strong>de</strong> convenance et<br />
s’adonna à l’écriture et à la philosophie, sa<br />
véritable vocation. Esprit libre mais tourmenté,<br />
Isabelle <strong>de</strong> Charrière s’est assurément<br />
cherchée toute sa vie. Extrêmement<br />
intelligente et cultivée, elle a pourtant toujours<br />
semblé décalée et se sentait entravée<br />
par les usages <strong>de</strong> sa classe sociale et<br />
<strong>de</strong> sa condition féminine même si elle se<br />
montra courageuse et novatrice. Isabelle<br />
<strong>de</strong> Charrière fut prolixe à une époque où<br />
l’on écrivait beaucoup. Elle entretint une<br />
large correspondance, notamment avec<br />
l’oncle <strong>de</strong> Benjamin Constant. Elle vécut<br />
une liaison amoureuse et intellectuelle<br />
avec ce même Benjamin Constant jusqu’à<br />
ce qu’il lui préfère Germaine <strong>de</strong> Staël à qui<br />
elle ne pardonna jamais vraiment d’avoir<br />
réussi, brillante et plus jeune… Très tôt,<br />
peut-on enfin ajouter, Isabelle <strong>de</strong> Charrière<br />
sut reconnaître le génie <strong>de</strong> Jean-Jacques<br />
rousseau. Et, pour commémorer cette<br />
fraternité en philosophie, rappelons qu’un<br />
colloque Regards croisés sera organisé<br />
cet été à Neuchâtel à leur sujet. Le livre<br />
<strong>de</strong> Valérie Cossy est un essai qui met en<br />
exergue une femme curieuse d’esprit et<br />
talentueuse, personnifiant bien le siècle<br />
<strong>de</strong>s Lumières. LCD 486<br />
Philippe DELERM<br />
Ecrire est une enfance<br />
Paris, Albin Michel, 2011, 191 p.<br />
Il est impossible d’écrire, si l’on n’est<br />
pas lecteur, nous dit Philippe Delerm.<br />
L’influence <strong>de</strong>s premiers livres aimés est<br />
immense, et ce ne sont pas forcément <strong>de</strong><br />
grands livres. Bien sûr, L’île aux trésors ou<br />
Crin Blanc sont importants, mais un enfant<br />
est aussi marqué par les romancières <strong>de</strong> la<br />
Semaine <strong>de</strong> Suzette, les Mickeys et toutes<br />
les Bibliothèques vertes qui sentaient la<br />
toile aci<strong>de</strong> et le papier friable. Le succès<br />
<strong>de</strong> la Première gorgée <strong>de</strong> bière ( LM 2551 )<br />
fut stupéfiant pour l’auteur. Pivot l’invita à<br />
l’émission Bouillon <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong>puis les<br />
plaisirs minuscules se sont succédés avec<br />
allégresse. Les critiques ont été sévères :<br />
il écrit petit car il ne sait pas voir grand,<br />
c’est un nain <strong>de</strong> jardin dans son écriture.<br />
Mais Delerm se sent investi d’un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong><br />
bonheur – qui <strong>de</strong>vient source <strong>de</strong> création.<br />
Pour lui, l’écriture est une enfance à regagner,<br />
et c’est ce goût d’enfance qui nous<br />
touche et nous retient. LM 1066<br />
Marc DUGAIN<br />
Avenue <strong>de</strong>s géants<br />
Paris, Gallimard, <strong>2012</strong>, 360 p.<br />
Alors qu’il envisageait d’écrire un autre<br />
livre, Marc Dugain dont le succès ne s’est<br />
jamais démenti <strong>de</strong>puis son premier roman,<br />
La chambre <strong>de</strong>s officiers ( LHA 10284 ),<br />
TRANSPHERE SA ’12<br />
tombe sur un documentaire retraçant<br />
l’histoire d’Edmund Kemper, mythique<br />
tueur en série américain <strong>de</strong>s années<br />
soixante. L’auteur sent qu’il a trouvé son<br />
sujet et part sillonner les routes américaines<br />
sur les traces <strong>de</strong> son personnage<br />
<strong>de</strong>venu Al Kenner. Au fil <strong>de</strong> son inspiration,<br />
il s’impose la première personne<br />
pour décrire la jeunesse d’un tueur, ne<br />
le justifie pourtant jamais mais montre<br />
magnifiquement combien une intelligence,<br />
même supérieure, ne peut rien face aux<br />
blessures <strong>de</strong> l’enfance. Gamin traumatisé<br />
par le divorce <strong>de</strong> ses parents, empêtré<br />
dans ses <strong>de</strong>ux mètres vingt, marqué par<br />
les mauvais traitements <strong>de</strong> sa mère, Al a<br />
pris l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> décapiter les animaux<br />
et a connu son premier orgasme en voyant<br />
une jeune fille se faire faussement décapiter<br />
dans une fête foraine. Après le meurtre<br />
<strong>de</strong> ses grands-parents paternels perpétré<br />
dans sa quinzième année, il passe 5 ans<br />
en asile psychiatrique où son intelligence<br />
lui permet <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir l’assistant <strong>de</strong> son<br />
mé<strong>de</strong>cin en l’aidant à faire passer <strong>de</strong>s<br />
tests aux paranoïaques et aux pervers. A<br />
sa sortie, il est déclaré « guéri » et entame<br />
une secon<strong>de</strong> existence… Il aurait à son<br />
passif au moins huit meurtres… Avec ce<br />
livre, Marc Dugain renoue avec les thèmes<br />
récurrents <strong>de</strong> son œuvre : l’enfermement,<br />
la fascination pour les Etats-unis où il a<br />
longtemps vécu, la reconstitution d’une<br />
époque historique en mélangeant réel<br />
et imaginaire. Dans Avenue <strong>de</strong>s Géants,<br />
il s’empare en effet d’une époque et<br />
d’un espace : l’Amérique <strong>de</strong>s sixties, <strong>de</strong>s<br />
hippies et <strong>de</strong> la liberté, mais aussi du<br />
désastre vietnamien ; il nous la restitue à<br />
travers son personnage principal qui file<br />
sur sa moto dans <strong>de</strong>s paysages époustouflants,<br />
très cinématographiques, tout en<br />
espérant être enfermé pour ses méfaits. Il<br />
plonge avec un réalisme stupéfiant dans<br />
les méandres <strong>de</strong> la pensée d’un homme né<br />
au mauvais moment dans une mauvaise<br />
famille. Enfermé dans la cave, la tête<br />
contre la chaudière, Al sentait <strong>de</strong>puis sa<br />
petite enfance que le mon<strong>de</strong> serait trop<br />
grand pour lui… Ce brillant roman est<br />
l’histoire d’un homme mort-né racontée<br />
par un auteur qui, décidément, a le chic<br />
pour trouver <strong>de</strong>s sujets chocs qui en disent<br />
bien long sur leur époque. LHA 5628<br />
Lawrence DURRELL<br />
Petite musique<br />
pour amoureux<br />
4 Saveurs:4 Saveurs 30.6.2009 9:51 Page 1<br />
Traduit <strong>de</strong> l’anglais par Annick Le Goyat<br />
Paris, Buchet/Chastel, <strong>2012</strong>, 400 p.<br />
Le roman s’ouvre sur le personnage du<br />
Dr Mc Lean, en compagnie duquel il se<br />
refermera. Aux premiers jours <strong>de</strong> la mousson,<br />
celle-ci assiste à la venue au mon<strong>de</strong><br />
du petit Walsh Clifton. un événement<br />
quelque part heureux, tournant cependant<br />
au drame, car la mère perdra la vie<br />
en couches. Walsh sera élevé par son père,<br />
John, un ingénieur anglais qui travaille<br />
sur la construction d’une ligne <strong>de</strong> chemin<br />
<strong>de</strong> fer aux pieds <strong>de</strong> l’Himalaya. Enfant<br />
<strong>de</strong>s grands espaces, Walsh sera malheureusement<br />
contraint <strong>de</strong> s’en détacher à<br />
l’âge <strong>de</strong> quatorze ans pour se rendre en<br />
Angleterre. L’arrivée à Londres le projette<br />
dans un mon<strong>de</strong> irrationnel à ses yeux. une<br />
fois inscrit au collège, cet « enfant sauvage<br />
par acci<strong>de</strong>nt et par environnement »<br />
se résout servilement à <strong>de</strong>venir un Anglais.<br />
S’inspirant <strong>de</strong> sa propre expérience, Durrell<br />
décrit l’univers <strong>de</strong>s pensionnats anglais et<br />
pointe du doigt « la sinistre bêtise <strong>de</strong> l’esprit<br />
d’équipe ». Qualifié <strong>de</strong> rebelle par ses<br />
maîtres car « incapable <strong>de</strong> faire ce qui ne<br />
l’intéresse pas », Walsh déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> quitter le<br />
collège. Il se rend à Londres pour s’établir<br />
dans le quartier <strong>de</strong> Bloomsbury. Commence<br />
alors une vie <strong>de</strong> bohème jusqu’au moment<br />
où, après s’être aventuré à passer le pas<br />
<strong>de</strong> la bibliothèque, il tombe sur ruth, son<br />
amour <strong>de</strong> jeunesse. Ce premier roman<br />
par l’auteur du Quatuor d’Alexandrie ( LLB<br />
483/1 ) fut publié en 1935. Il est traduit<br />
pour la première fois en français à<br />
l’occasion du centenaire <strong>de</strong> la naissance<br />
<strong>de</strong> Lawrence Durrell, avec une préface <strong>de</strong><br />
Michel Déon. LLB 483/24