Télécharger le numéro au format PDF. - Centre Régional des Lettres ...
Télécharger le numéro au format PDF. - Centre Régional des Lettres ...
Télécharger le numéro au format PDF. - Centre Régional des Lettres ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
P<strong>au</strong>l et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres - Isoète<br />
P<strong>au</strong>l, la vie, La Hague et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres<br />
Sand et Ségur - Les Cahiers du temps<br />
mars 2009 - livre / échange 13<br />
/ Livres<br />
Rémi M<strong>au</strong>ger est retourné à La Hague, son «pays», voir P<strong>au</strong>l mais <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres : voisins, amis, parents...<br />
Ce livre vibre d’humanité. Une bel<strong>le</strong> et<br />
<strong>au</strong>thentique humanité. Pas cel<strong>le</strong> qu’il sied d’afficher.<br />
Pas cel<strong>le</strong> que souligne un slogan de publicité. Non.<br />
P<strong>au</strong>l et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres, c’est la vie point. Cel<strong>le</strong> d’une<br />
poignée de discrets, <strong>des</strong> anonymes, qui ont pour<br />
point commun la terre qui <strong>le</strong>s a vus naître, qui <strong>le</strong>s<br />
nourrit : la Hague. Rémi M<strong>au</strong>ger, l’enfant du pays, est<br />
retourné chez lui, écrire « du dedans », l’histoire de<br />
ces paysans, quelques années après <strong>le</strong> fort succès de<br />
son film, P<strong>au</strong>l dans sa vie. Mais ce livre, ce n’est ni la<br />
suite du film –c’eût été maladroit–, ni son commentaire<br />
encore moins un succédané. Pas <strong>le</strong> même filon mais<br />
<strong>le</strong> même sillon, plus loin, plus profond. Rémi M<strong>au</strong>ger<br />
et son complice, <strong>le</strong> photographe Philippe Truquin (un<br />
horsain !) sont partis à la rencontre de ces paysans<br />
du bout du monde. Avec dans <strong>le</strong>ur dos, l’ombre de la<br />
grande usine. La voisine à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s fatalistes et <strong>le</strong>s<br />
rationalistes se résignent. De la fourche à l’atome…<br />
Comment coexistent-ils d’ail<strong>le</strong>urs ces deux mon<strong>des</strong> ?<br />
Rémi M<strong>au</strong>ger <strong>le</strong> dit lui-même : c’est « l’antienne de ce<br />
récit : l’opposition entre l’ancien et <strong>le</strong> moderne, ou<br />
<strong>le</strong>ur possib<strong>le</strong> existence. »<br />
Plus intime, plus discret, un fil ténu, peut-être, soustend<br />
ce livre : celui <strong>des</strong> retrouvail<strong>le</strong>s de l’<strong>au</strong>teur avec<br />
son pays. « Que venais-je chercher chez <strong>le</strong>s Bedel<br />
et qu’y ai-je trouvé <strong>au</strong>-delà de mes intentions ? »<br />
Qui mieux que Rémi M<strong>au</strong>ger pouvait porter cette<br />
histoire, si justement, si adroitement écrite ? Lui, fils<br />
d’agriculteurs dont <strong>le</strong> père fut emb<strong>au</strong>ché à l’usine.<br />
D’ail<strong>le</strong>urs, M<strong>au</strong>rice et Hélène M<strong>au</strong>ger figurent <strong>au</strong>ssi<br />
dans l’ouvrage. Comme <strong>le</strong> frère, <strong>des</strong> amis, <strong>des</strong><br />
Aurore et Sophie, femmes de <strong>le</strong>ttres et de tête<br />
Sand et Ségur. Ségur et Sand. Dominique<br />
Bussil<strong>le</strong>t <strong>le</strong>s connait bien ces deux grands noms de la<br />
littérature française. Enfant, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s a lues. Adulte, el<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>s relit. El<strong>le</strong> connaît par cœur ces textes <strong>au</strong> cœur de nos<br />
premières <strong>le</strong>ctures à tous : La Petite Fadette, François<br />
Le Champi, Les Petites Fil<strong>le</strong>s Modè<strong>le</strong>s, Les Malheurs<br />
de Sophie… C’est sans doute pour cela, parce que<br />
ces récits et <strong>le</strong>urs <strong>au</strong>teures touchent à son enfance,<br />
que Sand et Ségur est à ce jour l’essai littéraire <strong>le</strong><br />
plus personnel de Dominique Bussil<strong>le</strong>t. « Je <strong>le</strong>ur dois<br />
tout un monde de véritab<strong>le</strong> « apprentissage » et de<br />
découvertes, <strong>des</strong> heures et <strong>des</strong> heures d’évasion,<br />
d’oubli, de réf<strong>le</strong>xion, un apaisement et un refuge. »<br />
Par<strong>le</strong>z-moi <strong>des</strong> écrivains que vous aimez, je vous dirai<br />
qui vous êtes…<br />
Pourtant, l’exercice était risqué. Il eut<br />
été faci<strong>le</strong> de réutiliser <strong>le</strong>s bons vieux<br />
clichés : Sand, scanda<strong>le</strong>use derrière<br />
son patronyme masculin ; Ségur, grandmaman<br />
modè<strong>le</strong>, entourée d’enfants…<br />
Dominique Bussil<strong>le</strong>t portait ce texte en<br />
el<strong>le</strong> depuis longtemps, c’est évident.<br />
Mais si l’on devine l’empressement de<br />
son <strong>au</strong>teur à l’écrire, toute sa tendresse<br />
pour ses deux « héroïnes » –tout <strong>au</strong><br />
long de son texte, Dominique Bussil<strong>le</strong>t<br />
<strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> par <strong>le</strong>urs prénoms, Aurore et<br />
© Philippe Truquin<br />
Augustine Morel, à Herquevil<strong>le</strong> : « Fous <strong>le</strong> camp,<br />
je suis affreuse en photo. »<br />
connaissances, <strong>des</strong> voisins. La Hague est un petit<br />
pays. Tous n’ont pas <strong>le</strong> même parcours : <strong>au</strong>tochtones<br />
ou horsains, en coup<strong>le</strong> ou célibataires endurcis,<br />
quadragénaires ou retraités. Des travail<strong>le</strong>urs, droits<br />
dans <strong>le</strong>urs bottes, confiants dans <strong>le</strong>urs convictions et<br />
<strong>le</strong>urs jugements. « Ils demandent à la terre ce qu’el<strong>le</strong><br />
peut <strong>le</strong>ur donner en échange de <strong>le</strong>ur travail. » Courbés<br />
sur la terre à la manière <strong>des</strong> anciens, ou droit comme<br />
un « i » sur <strong>le</strong>ur tracteur dernier cri, ils n’ont qu’un seul<br />
point commun : ils travail<strong>le</strong>nt la même terre, hormis<br />
une poignée d’ « exilés ». « Sûrs d’eux-mêmes et de<br />
<strong>le</strong>urs choix, de <strong>le</strong>ur juste et bonne compréhension<br />
du monde. »<br />
Sophie, presque comme deux amies– ,<br />
cet essai n’en demeure pas moins<br />
extrêmement maîtrisé. Cela s’explique<br />
par <strong>le</strong> travail rigoureux de la biographe<br />
(chaque in<strong>format</strong>ion est contextualisée,<br />
chaque source précisée) et par la langue<br />
élégante et précise de l’écrivain.<br />
Sand et Ségur, sujets d’un même<br />
ouvrage ? Qu’avaient-el<strong>le</strong>s en commun ?<br />
L’amour et <strong>le</strong> plaisir d’écrire oui même<br />
si el<strong>le</strong>s ne connaissent pas <strong>le</strong> succès<br />
<strong>au</strong> même âge. L’attachement à un<br />
lieu, microcosme, « phalanstère » fédérateur et<br />
rassemb<strong>le</strong>ur. Nohant pour Aurore-George Sand et<br />
Les Nouettes (dans l’Orne, à Aube) pour Sophie,<br />
Comtesse de Ségur. Toutes deux furent<br />
indépendantes : Aurore obtiendra la<br />
séparation et la garde de ses enfants.<br />
Sophie sera « émancipée par son mari<br />
afin qu’el<strong>le</strong> garde tous ses droits sur<br />
sa production littéraire ». Et <strong>le</strong>urs<br />
domaines respectifs furent <strong>des</strong> lieux<br />
d’émancipation et d’<strong>au</strong>tonomie.<br />
« Chaque livre est une amélioration<br />
pour Nohant, un embellissement pour<br />
<strong>le</strong>s Nouettes. Aurore et Sophie ont<br />
<strong>au</strong>ssi en commun <strong>le</strong>ur liberté de ton,<br />
Les photographies de Philippe<br />
Truquin –toutes en noir et<br />
blanc, idéal pour donner à voir<br />
cette terre de contrastes– vont<br />
<strong>au</strong>-delà <strong>des</strong> apparences. El<strong>le</strong>s<br />
montrent ces gens dans <strong>le</strong>ur<br />
quotidien. Dans <strong>le</strong>s champs<br />
ou à la tab<strong>le</strong> familia<strong>le</strong>. Visages<br />
parcheminés de ceux qui ont<br />
vu deux sièc<strong>le</strong>s se suivre en se<br />
cabossant. Visages juvéni<strong>le</strong>s de<br />
ceux qui aspirent à reprendre<br />
l’exploitation familia<strong>le</strong>, faire<br />
coexister l’héritage <strong>des</strong><br />
anciens et l’emprunt <strong>au</strong>x<br />
nouvel<strong>le</strong>s technologies. Mais<br />
jamais ce livre ne se fait<br />
intrusif ou voyeur. Non. Il n’est<br />
pas non plus <strong>le</strong> m<strong>au</strong>solée d’un<br />
monde révolu. Il n’est pas <strong>le</strong> réceptac<strong>le</strong> d’une paro<strong>le</strong><br />
figée, muséifiée. Depuis ce bout du bout du monde,<br />
P<strong>au</strong>l et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres porte jusqu’à nous une paro<strong>le</strong> bel<br />
et bien vivante. À nous de savoir qu’en faire à l’<strong>au</strong>be<br />
de ce nouve<strong>au</strong> millénaire. P<strong>au</strong>l Bedel l’a confié à Rémi<br />
M<strong>au</strong>ger : « Je croyais que ma vie n’avait servi qu’à<br />
nous faire vivre et maintenant… je vois… qu’el<strong>le</strong> par<strong>le</strong><br />
<strong>au</strong> monde. »<br />
Nathalie Col<strong>le</strong>vil<strong>le</strong><br />
ù<br />
P<strong>au</strong>l et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres, Rémi M<strong>au</strong>ger et Philippe Truquin (Isoète, 2008)<br />
Sand et Ségur ont bien plus en commun qu’on ne l’imagine.<br />
El<strong>le</strong>s sont <strong>au</strong>ssi « indissociab<strong>le</strong>s dans [<strong>le</strong>] cœur » de Dominique Bussil<strong>le</strong>t, <strong>au</strong>teure résidant dans <strong>le</strong> Bessin.<br />
<strong>le</strong>ur révolte contre toute injustice, <strong>le</strong>ur<br />
souci de préserver <strong>le</strong>ur entourage, <strong>le</strong>ur<br />
<strong>au</strong>toritarisme débonnaire, <strong>le</strong>ur faculté<br />
de jouer et de rire avec <strong>le</strong>s enfants, et…<br />
<strong>le</strong>ur “métier d’écrivain “, “<strong>le</strong>urs rêves<br />
de vie” <strong>au</strong>ssi ! »<br />
Sans compter <strong>le</strong>ur amour pour la<br />
Normandie. Les Nouettes pour Sophie.<br />
Ce domaine qui ressemb<strong>le</strong> étrangement<br />
<strong>au</strong> Châte<strong>au</strong> de F<strong>le</strong>urvil<strong>le</strong> <strong>des</strong> Petites<br />
fil<strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s. La Normandie est<br />
souvent présente dans <strong>le</strong>s récits de<br />
Sophie : ses traditions paysannes, son mode de vie,<br />
<strong>le</strong> quotidien <strong>des</strong> manufactures loca<strong>le</strong>s ou la vie <strong>au</strong>x<br />
champs. Pour Aurore, la Normandie est indissociab<strong>le</strong><br />
de son amitié pour Fl<strong>au</strong>bert : « J’entraîne Gustave, qui<br />
est héroïque. Il s’habil<strong>le</strong> et il me conduit à Cante<strong>le</strong>u ;<br />
c’est à deux pas, en h<strong>au</strong>t de la côté. Quel adorab<strong>le</strong><br />
pays, quel<strong>le</strong> douce, large et bel<strong>le</strong> vue ! »<br />
Dominique Bussil<strong>le</strong>t ne compare pas. El<strong>le</strong> rassemb<strong>le</strong>.<br />
Conviant à sa tab<strong>le</strong>, pour un repas qu’el<strong>le</strong> a sans<br />
doute déjà rêvé, ses <strong>au</strong>teures préférées, ses amies,<br />
Aurore et Sophie.<br />
Nathalie Col<strong>le</strong>vil<strong>le</strong><br />
Sand et Ségur, Dominique Bussil<strong>le</strong>t (Les Cahiers du temps, 2009).<br />
ù Ouvrage publié avec <strong>le</strong> soutien du CRL.