PDF complet, en mémoire de l'ami Vincent - maelstrÖm
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SFUMATO<br />
Vinc<strong>en</strong>t Watelet<br />
À Maria,
Un dwiche<br />
Huit heures du mat Je revi<strong>en</strong>s du “Septième jour”,<br />
Endroit qui veille sur nos matins à coups <strong>de</strong> mayonnaise J’y<br />
Ai pris un sandwich que j’ai <strong>en</strong>vie d’arrêter <strong>de</strong> bouffer vu<br />
Que me pr<strong>en</strong>ds l’<strong>en</strong>vie d’écrire Alors<br />
Je remballe l’<strong>en</strong>gin, me cure une d<strong>en</strong>t creuse d’un air replet, g<strong>en</strong>re<br />
“Alors bébé, heureuse ?” et m’<strong>en</strong> retourne chez moi<br />
me remettre à mon couplet<br />
Y a pas <strong>de</strong> sot métier Soit !<br />
Puis sur le trottoir j’avise un vieil homme armé d’une<br />
Béquille qui me bouche le passage <strong>de</strong><br />
Sa l<strong>en</strong>teur fragile De sa vieillesse au<br />
Parfum inutile Je<br />
Me dis d’abord Mais tires-toi, vieux con ! Puis j’eus<br />
l’impression que <strong>de</strong> sa béquille il pompait dans le sol<br />
De quoi subsister Que c’était un peu comme une prise<br />
De courant <strong>de</strong> laquelle il puisait le courage <strong>de</strong> vivre<br />
Et d’avancer <strong>en</strong>core - et dieu sait s’il <strong>en</strong> faut ! Puis<br />
Le suivant toujours sans parv<strong>en</strong>ir à le dépasser j’<strong>en</strong><br />
Fus à réfléchir à ma poésie, travaillée sans cesse par<br />
La rime interne Ma<br />
Béquille à moi, le son dont j’ai besoin pour que ma volonté<br />
D’écrire ne meure pas dans l’indig<strong>en</strong>ce Pour<br />
Qu’elle conserve cette faculté d’abs<strong>en</strong>ce, qu’elle<br />
Continue elle aussi à arp<strong>en</strong>ter les trottoirs <strong>de</strong> Bruxelles Je<br />
Me s<strong>en</strong>tis, moi aussi “infusé d’astres et lactesc<strong>en</strong>t”, <strong>en</strong><br />
Suivant ce vieillard et sa canne, métaphore œdipi<strong>en</strong>ne j’<strong>en</strong><br />
Convi<strong>en</strong>s - Ti<strong>en</strong>s ! Quelqu’un a-t-il déjà parlé<br />
[2]
Du complexe du Sphinx ? Peut-<br />
Être quelque obscur Autrichi<strong>en</strong> Bref je suivais ce vieillard Et<br />
Je s<strong>en</strong>tis émaner <strong>de</strong> lui - comme <strong>de</strong> mon père - cette force<br />
Inamovible qui émane <strong>de</strong>s vieux, comme si, se transformant peu à peu<br />
En vidanges, ils se voyai<strong>en</strong>t reversée leur propre caution<br />
Sans ri<strong>en</strong> perdre au change Et<br />
Mes p<strong>en</strong>sées allai<strong>en</strong>t et v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t et allai<strong>en</strong>t, comme ça<br />
Sans but précis que d’effacer dans mon esprit<br />
Les brouillards <strong>de</strong> la coke De manger mon sandwich - thon portugais -<br />
Puis d’aller regagner mon lit La<br />
RTBF passe juste Chet Baker (your love is <strong>en</strong>ough from me)<br />
Dans trois heures<br />
Je dois aller pointer J’ai fini par dépasser le vieillard <strong>en</strong><br />
Lui <strong>de</strong>mandant bi<strong>en</strong> sûr Pardon - on m’a inculqué une bonne éducation - Il<br />
M’a jeté un regard vitreux Nous<br />
Sommes restés un instant les yeux dans les yeux, chacun<br />
Semblant pomper chez l’autre quelque chose<br />
Qui lui faisait défaut Puis nous reprîmes<br />
Nos parcours respectifs, lui s’aidant <strong>de</strong> sa canne et<br />
Moi m’aidant du Verbe, n’ayant<br />
Même plus le courage <strong>de</strong> trouver la rime mais juste celui <strong>de</strong> manger<br />
mon sandwich - au thon - et celui <strong>de</strong> t’écrire - mais comm<strong>en</strong>t te dire que<br />
Sur un trottoir <strong>de</strong> Saint-Gilles, dépasser un vieillard, c’est dépasser le temps,<br />
Passons<br />
J’<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>s à mes vieilles apories, je te laisse à tes propres tourm<strong>en</strong>ts,<br />
essayant d’y poser une main malhabile Te souhaitant<br />
Tout le bi<strong>en</strong> du mon<strong>de</strong><br />
Et restant ton<br />
Vinc<strong>en</strong>t<br />
***<br />
[3]
Coke+assonances<br />
Cette cuisine est vraim<strong>en</strong>t innommable, pour peu,<br />
On croirait l’officine du diable Mais non ! Il s’agit simplem<strong>en</strong>t<br />
De la cuisine à Cheveux Bon ! En y mettant du mi<strong>en</strong>, je<br />
Pourrais r<strong>en</strong>dre le lieu acceptable<br />
Le décor : un néon poussiéreux atteste quelque vaisselle<br />
Pourrissant dans l’évier De celles que l’on craindrait d’off<strong>en</strong>ser <strong>en</strong><br />
Les nettoyant -raison pour laquelle je m’absti<strong>en</strong>s respectueusem<strong>en</strong>t<br />
De les nettoyer<br />
Le sac-poubelle arrive au terme <strong>de</strong> sa grossesse et<br />
Semble vouloir cracher ses <strong>en</strong>trailles -Il faudra bi<strong>en</strong> que, <strong>de</strong> Trep ou moi,<br />
L’un <strong>de</strong> nous aille, sur le trottoir, dégorger le résidu <strong>de</strong> nos ripailles,<br />
Les vidanges <strong>de</strong> nos bassesses, les reliefs <strong>de</strong> nos repas<br />
La caution <strong>de</strong> nos turpitu<strong>de</strong>s - Ah ! solitaires ivresses -<br />
Bah ! On comm<strong>en</strong>ce à <strong>en</strong> avoir<br />
L’habitu<strong>de</strong> ! L’humain carcan nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> r<strong>en</strong>tabiliser nos<br />
solitu<strong>de</strong>s Non, sans blague ! Faudrait transformer <strong>de</strong>main<br />
En un long dimanche, <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>mains où passe la<br />
Torna<strong>de</strong> blanche, qui passe par trois heures <strong>de</strong> vaisselle,<br />
Trois litres d’eau <strong>de</strong> Javel, <strong>de</strong>ux sacs-poubelles et<br />
Une heure d’<strong>en</strong>gueula<strong>de</strong><br />
Quant à la juste répartition <strong>de</strong>s tâches - le circonflexe acc<strong>en</strong>t ayant<br />
Ici une double importance ! Qu’importe ! Faut qu’on avance ! Sans<br />
relâche, Briquons parquet, balatum ou vinyle ! Effaçons <strong>de</strong> la surface les<br />
Complexes aveux <strong>de</strong> nos orgies stériles ! Enfournons dans <strong>de</strong>s caisses<br />
Des livres parfois même pas ouverts Fourrons dans <strong>de</strong>s sacs <strong>de</strong>s vêtem<strong>en</strong>ts<br />
Parfois jamais portés Trouvons le temps <strong>de</strong> corriger pour Labor, trouvons<br />
Le temps, <strong>en</strong>core, <strong>de</strong> regretter les lieux, d’ouvrir les yeux<br />
Sur leur <strong>en</strong>vers Et dire<br />
[4]
Que tout serait à refaire dans neuf mois si la propriétaire, ouvrant<br />
Les yeux sur le subterfuge, ne voulait pas <strong>de</strong> moi Alors, ressaisi par la force<br />
C<strong>en</strong>trifuge qui, bi<strong>en</strong> malgré moi, m’empêche <strong>de</strong> déposer mon sac<br />
Quelque part, chassé par le ressac,<br />
Je m’<strong>en</strong> irais ailleurs, à Saint-Josse, à Schaerbeek - Saint-Gilles <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t<br />
Vraim<strong>en</strong>t trop cher - trouver une étable où déposer mes vers à la<br />
gomme -mes seuls <strong>en</strong>fants à ce jour -, mon puéril besoin d’amour et<br />
Mes désirs qui n’att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t qu’une amorce pour exploser Bref<br />
J’<strong>en</strong> ai ras-le-cul <strong>de</strong> déménager, <strong>de</strong> me s<strong>en</strong>tir agi par une force qui<br />
Sans cesse me pousse au <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ce que j’ai tant <strong>de</strong> peine<br />
À habiter, alors j’essaie d’<strong>en</strong> rire - un canapé Empire est plus facile<br />
à <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre d’un étage quand l’œsophage s’est souv<strong>en</strong>u<br />
Des saintes vertus du rire. Sans blaguer maint<strong>en</strong>ant, je vais bi<strong>en</strong>tôt<br />
Habiter dans un quartier qui ne me plaît qu’à moitié - pas <strong>de</strong> night-shop, pas<br />
De café, nulle part à proximité pour aller vi<strong>de</strong>r une chope<br />
Après minuit sonné Trep<br />
T<strong>en</strong>te <strong>de</strong> me consoler <strong>en</strong> me disant que<br />
Ça me servira <strong>de</strong> thérapie - Ouais… Je suis pas convaincu, converti<br />
que je suis, dans mon très personnel idiome, à l’axiome<br />
“Qui boira est bu” - je le chanterai pas à mes mômes<br />
Quand ils auront le malheur <strong>de</strong> m’avoir eu<br />
Comme père ! Ils n’avai<strong>en</strong>t qu’à naître au Kosovo, pays où l’on rit<br />
Désormais sans dieu ni maître, mais avec le rire dans la peau<br />
Et la peau sur les os - Qu’est-ce qui me pr<strong>en</strong>d<br />
De parler politique ? Sont-ce là les inconvéni<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s drogues chimiques<br />
- Dont Marcus vi<strong>en</strong>t, pour la première fois, <strong>de</strong> goûter les vertus - ?<br />
(M’étonnerais qu’il y repique. Mais je sais aussi que, toujours,<br />
On dit qu’on <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dra plus Je sais aussi<br />
[5]
Que la rime fut facile ! Quand tu dois boucler un quatrain ta<br />
Musique intérieure te fais soudain<br />
Face Te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> brusquem<strong>en</strong>t un mot <strong>de</strong> passe pour<br />
Te laisser continuer ton petit chemin Il<br />
N’y a plus <strong>de</strong> cocaïne Tant pis ! Il fait <strong>en</strong>fin propre<br />
Dans la cuisine Tant mieux Je quitterai donc ces lieux avec<br />
Le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne m’y être finalem<strong>en</strong>t pas trop mal conduit,<br />
D’avoir manié le crédit avant le cont<strong>en</strong>tieux Mais<br />
Ceci est une autre histoire, une <strong>de</strong> celles qui vous nécessite, vous<br />
Toi, David, Johanna, une table et quelque chose à boire,<br />
La faculté d’oublier qu’on a une <strong>mémoire</strong>, le désir <strong>de</strong> se dire Nous,<br />
Et celui <strong>de</strong> r<strong>en</strong>trer chez chacun comme dans un lieu où l’on habite,<br />
Ou <strong>de</strong> trouver, sans coke, sous <strong>de</strong>s cieux incroyables, dans une<br />
Bethléem qui t’évite<br />
La paille d’une étable<br />
À Maria, David, Johanna, 13/12/2001. Love Cheveux<br />
***<br />
[6]
Les eaux du port<br />
L’eau me troue<br />
Les eaux me trou<strong>en</strong>t<br />
Les eaux du port me trou<strong>en</strong>t<br />
Les reflets <strong>de</strong>s eaux du port me trou<strong>en</strong>t<br />
Je r<strong>en</strong>tre<br />
Je r<strong>en</strong>tre chez moi<br />
Je n’ai plus ri<strong>en</strong> à voir<br />
Je n’ai ri<strong>en</strong> à voir avec tout ça<br />
Je suis troué<br />
Je suis dans l’eau<br />
Je suis dans les eaux du port<br />
Je perds mon sang<br />
Je vais<br />
Je vais m’approcher <strong>de</strong> lui<br />
Je vais m’approcher <strong>de</strong> moi<br />
Je vais m’<strong>en</strong> aller<br />
Je vi<strong>en</strong>s<br />
Je vi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> trouver<br />
Je vi<strong>en</strong>s <strong>de</strong> trouver un cadavre<br />
Je suis plusieurs<br />
Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si<br />
Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis combi<strong>en</strong><br />
Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> car personne ne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra<br />
Personne ne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra<br />
Personne ne voudra savoir pourquoi j’étais si tard<br />
[7]
Pourquoi j’étais si fort si tard sous l’éclairage blafard du port<br />
Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi tous ces formulaires que personne ne lira<br />
Quelqu’un m’éclaire avec une torche électrique<br />
Quelqu’un à qui je dis Y a un cadavre là-bas Faut aller voir<br />
Quelqu’un qui se retourne c<strong>en</strong>t mètres après mon Salut Au revoir<br />
Quelqu’un qui glisse vers les eaux du port et digère un quelconque repas<br />
Quelqu’un <strong>de</strong> bi<strong>en</strong><br />
Quelqu’un qui aime les chi<strong>en</strong>s<br />
Quelqu’un qui ti<strong>en</strong>t une torche sous son bras<br />
Tandis que plus bas<br />
Luis<strong>en</strong>t les eaux mortes<br />
Luis<strong>en</strong>t les eaux qui me transport<strong>en</strong>t<br />
Luis<strong>en</strong>t les eaux qui me trou<strong>en</strong>t<br />
Dis<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s choses<br />
Me font dire <strong>de</strong>s choses<br />
Me font parler d’un noyé que j’aurais vu<br />
Là, juste sous le bord du quai<br />
Il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t impossible<br />
Il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t imp<strong>en</strong>sable <strong>de</strong> r<strong>en</strong>trer chez moi<br />
Ils n’ont pas l’air <strong>de</strong> vouloir me laisser partir<br />
Ils donn<strong>en</strong>t l’impression <strong>de</strong> pouvoir toujours me retrouver<br />
J’étais v<strong>en</strong>u<br />
J’étais pourtant v<strong>en</strong>u<br />
J’étais v<strong>en</strong>u pour pas grand-chose<br />
J’ai été trompé par cette lumière rose<br />
J’ai rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t perdu<br />
J’ai rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t perdu mon chemin<br />
J’ai perdu jusqu’au chemin <strong>de</strong> la prochaine chose<br />
[8]
J’irai mieux <strong>de</strong>main<br />
J’irai jusqu’au bout<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> ma cause<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai pour savoir ce qu’on a fait <strong>de</strong> ce corps<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai pour savoir ce que l’on peut faire d’un corps humain<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai voir<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai voir ce que l’on peut savoir<br />
Demain je vi<strong>en</strong>drai voir ce que l’on peut savoir quand on sait observer<br />
Je m<strong>en</strong>s : <strong>de</strong>main, j’y serai<br />
Je m<strong>en</strong>s : <strong>de</strong>main, il faudra que je paie mon loyer<br />
Je m<strong>en</strong>s : <strong>de</strong>main je rep<strong>en</strong>serai à ce noyé<br />
Je p<strong>en</strong>se : <strong>de</strong>main c’est quand Je dis la vérité<br />
Une distance infinie<br />
Une distance infinie me sépare <strong>de</strong> chez moi<br />
Une distance infinie me sépare <strong>de</strong> ce qui doit être moi<br />
Une distance infinie sépare mon visage <strong>de</strong> celui qui aboie<br />
Je leur ai dit : j’ai vu un noyé<br />
Je leur ai dit : je ne connais pas ce noyé<br />
Je leur ai dit : vous non plus, vous ne connaissez pas ce noyé<br />
Je leur ai dit : je connais mes droits<br />
Ils m’ont dit : r<strong>en</strong>trer chez toi<br />
Ils m’ont dit : Tu veux r<strong>en</strong>trer chez toi ?<br />
Ils m’ont dit : Ça ne dép<strong>en</strong>d vraim<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> toi<br />
Ils m’ont dit : On peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au noyé et Ils ont tous rigolé<br />
Dans le fond<br />
Je leur ai dit Dans le fond<br />
[9]
Dans le fond <strong>de</strong> l’écluse<br />
Dans le fond il y avait si je ne m’abuse<br />
Il a<br />
Il est<br />
Il est rond<br />
Ron<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t je suis au violon<br />
Les eaux<br />
Les eaux ternes <strong>de</strong> bas-fond<br />
Les cerceaux avant l’axe du bassin<br />
Je veux r<strong>en</strong>trer chez moi Il n’<strong>en</strong> est pas question<br />
Je passe<br />
Je passe ma vie<br />
Je passe ma vie à ri<strong>en</strong><br />
Je passe ma vie <strong>en</strong>roulé autour <strong>de</strong> mes reins<br />
Le fer rouille<br />
Le fer rouille dans l’eau<br />
Le fer rouille dans le dos<br />
Je vois dans l’eau grouiller les vers<br />
Ils m’ont dit<br />
Ils m’ont dit On<br />
Ils m’ont dit On n’<strong>en</strong> a ri<strong>en</strong><br />
On ne m’a jamais frappé sans raison<br />
Les <strong>de</strong>rnières déf<strong>en</strong>ses<br />
Les ultimes cad<strong>en</strong>ces du port<br />
Les flaques huileuses qui nous intim<strong>en</strong>t<br />
La plus extrême prud<strong>en</strong>ce<br />
[10]
R<strong>en</strong>trez chez vous<br />
R<strong>en</strong>tré chez moi j’ai regardé<br />
R<strong>en</strong>tré chez moi je me suis vu sourire<br />
R<strong>en</strong>tré chez moi j’ai vu mon sourire <strong>de</strong> noyé<br />
Je le trouve<br />
Je le troue<br />
Il saigne comme sait saigner un porc<br />
Il saigne dans les eaux du port<br />
Il y a<br />
Il n’y a que <strong>de</strong>main<br />
Il n’y a que la tête du lapin Vaillant<br />
Il n’y a que le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main<br />
Je fous<br />
Je fous le camp<br />
Je fous le camp tant qu’il est <strong>en</strong>core temps<br />
Il n’y a pas <strong>de</strong> rapport Il n’y a ri<strong>en</strong><br />
Il n’y a que les eaux du port<br />
Je cherchais<br />
Je cherchais simplem<strong>en</strong>t Elle<br />
J’ai vu la lumière rose<br />
Je n’ai pas pas p<strong>en</strong>sé à autre chose<br />
J’ai cru que c’était un bor<strong>de</strong>l<br />
D’où est-ce v<strong>en</strong>u<br />
D’où v<strong>en</strong>ais-je<br />
D’où v<strong>en</strong>ait tout ce sang<br />
Comme un cœur d’<strong>en</strong>fant saignant sur la neige<br />
Ils m’ont jeté<br />
Ils m’ont jeté <strong>de</strong>hors<br />
Ils m’ont jeté <strong>de</strong> la lumière sur la rétine<br />
Je les vois <strong>en</strong>core, je les tuerai<br />
[11]
Je leur ai dit<br />
Je leur ai dit Je vois un chemin <strong>de</strong> halage<br />
Je vois<br />
Les doigts leucémiques <strong>de</strong>s usines<br />
Je s<strong>en</strong>s soudain mon corps que <strong>de</strong> grands chi<strong>en</strong>s se partag<strong>en</strong>t<br />
Au bout<br />
Tout au bout <strong>de</strong> cette duperie<br />
Il y avait cette lumière rose<br />
Il y avait cette lumière rose diaprée par la pluie<br />
Ils tir<strong>en</strong>t<br />
Ils retir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’eau<br />
Ils retir<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’eau sans âge un cadavre sans nom<br />
Ils me <strong>de</strong>mand<strong>en</strong>t pourquoi j’étais là<br />
Ils n’insist<strong>en</strong>t pas davantage<br />
Leurs doigts<br />
Leurs doigts sont mangés<br />
Leurs doigts sont mangés d’<strong>en</strong>vies<br />
Leurs doigts sont mangés par leurs ceinturons<br />
La lumière rose<br />
La lumière rose me promettait du miel<br />
La lumière rose, <strong>en</strong>fin, s’offrait comme s’ouvre un vagin<br />
Face aux vaines promesses du ciel<br />
Puis il y a eu ce corps<br />
Il y a eu ce corps sans exist<strong>en</strong>ce<br />
Il y a eu tous ces efforts pour que j’avance<br />
Que j’avance <strong>en</strong>core<br />
Alors je suis r<strong>en</strong>tré<br />
Je suis r<strong>en</strong>tré directem<strong>en</strong>t chez moi<br />
J’ai rep<strong>en</strong>sé à la lumière rose et à tous ces événem<strong>en</strong>ts<br />
J’y ai rep<strong>en</strong>sé avec l’ai<strong>de</strong> du lapin Vaillant<br />
[12]
On ne parlait que <strong>de</strong> ça<br />
On parlait même <strong>de</strong> moi<br />
On ne parlait même que <strong>de</strong> moi<br />
Dieu sait que je n’aime pas ça<br />
Moi j’aime<br />
Moi j’aime les lumières roses<br />
Moi j’aime les lumières roses, leur hospitalité délétère<br />
J’aime quand les eaux du port me trou<strong>en</strong>t comme <strong>de</strong> l’éther<br />
Ce soir j’ai eu ma dose<br />
Forest, neuf <strong>de</strong> janvier <strong>de</strong>ux mille <strong>de</strong>ux, il est quatre heures du mat<br />
***<br />
[13]
Ou bi<strong>en</strong><br />
Pour Isabelle<br />
Au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>s peurs<br />
Des peurs terribles, vacillant comme <strong>de</strong>s statues sans<br />
Socle Puis l’apparition flasque d’astres sans vigueur<br />
Aucune la<br />
Matière déjà ne semblait plus être une elle résonnait<br />
D’étranges conflits Au sein d’un cont<strong>en</strong>ant que son cont<strong>en</strong>u laissait<br />
Parfaitem<strong>en</strong>t<br />
Indiffér<strong>en</strong>t le contraire fut<br />
Mu uniquem<strong>en</strong>t par le très vieux désir, déjà,<br />
<strong>de</strong> la v<strong>en</strong>geance<br />
Faire r<strong>en</strong>dre gorge<br />
À ce qui s’est permis <strong>de</strong> nous donner naissance<br />
À notre place Moteur sans combustible <strong>de</strong> toute<br />
Théodicée Moteur premier<br />
De la moindre <strong>de</strong> nos odyssées fossiles, sédim<strong>en</strong>tées<br />
Ecartées l’une <strong>de</strong> l’autre par l’incompréh<strong>en</strong>sion du vertical et le<br />
Vertigineux péril<br />
De bi<strong>en</strong> trop subtiles sujétions brandies par <strong>de</strong>s homuncules vers<br />
Ceux dont ils prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ne pas être les rejetons<br />
Ludions montant et <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant dans le lumineux tube empli<br />
Du sperme initial<br />
Nouménal<br />
Celui qui s’élança dans un vi<strong>de</strong> qualifiable seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
Vaginal<br />
Par le simple plaisir <strong>de</strong> sa propre volition<br />
Mais il était déjà trop tard<br />
Désireux <strong>de</strong> s’étreindre les êtres étranges d’Aristophane s’étai<strong>en</strong>t<br />
Déchiré les chairs dans le seul but<br />
Dévorant<br />
D’étreindre leur <strong>en</strong>vers mais<br />
[14]
Ils n’étreignir<strong>en</strong>t qu’eux-mêmes placés forcés <strong>de</strong>vant<br />
L’éternelle dubitation La duplication <strong>de</strong> leurs miroirs Ils<br />
Fir<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> semblant d’y croire que cette fable<br />
Dure <strong>en</strong>core Sour<strong>de</strong> à l’oreille <strong>de</strong>s morts et <strong>de</strong>s vivants R<strong>en</strong>contrer<br />
Son double est terrible, dit Rilke Il<br />
Ne dit ri<strong>en</strong> <strong>en</strong> revanche du péril qu’il y a ou non<br />
À ne jamais le trouver Peut-être la clef<br />
Se trouve-t-elle dans la volupté du “côtoyer” incarnée par<br />
L’anonymat <strong>de</strong>s villes où le seul critère <strong>de</strong> beauté est la capacité<br />
À disparaître<br />
Fugace et hautain, disparaissant <strong>de</strong> la morne surface, soudain<br />
Vers les <strong>en</strong>trailles les intestins du Métropolitain Alors<br />
Tu restes un mom<strong>en</strong>t sur place Avec tes yeux tu joues<br />
À mouiller un peu tes mains sur l’amour <strong>en</strong>trevu Tu<br />
Agites vainem<strong>en</strong>t les silex du rêve pour apporter l’étincelle<br />
à ton <strong>de</strong>stin Mais<br />
Il semblerait bi<strong>en</strong> que ta capacité à souffrir pour ri<strong>en</strong><br />
Se soit perdue au large Fort bi<strong>en</strong> !<br />
Alors ouvre, <strong>en</strong>fin les yeux et permets-toi<br />
De t’étonner <strong>en</strong>core<br />
Nul besoin <strong>de</strong> musique, nul<br />
Besoin <strong>de</strong> longs plans-séqu<strong>en</strong>ces viscontinus pour<br />
Réinsérer le tragique dans le quotidi<strong>en</strong> Formulations à peu près<br />
Id<strong>en</strong>tiques<br />
À bi<strong>en</strong> y regar<strong>de</strong>r, si l’on y songe mieux - mais<br />
L’on songe toujours un petit peu à côté <strong>de</strong> nos songes, dans<br />
La contrée limitrophe <strong>de</strong> nos yeux, éponges qui aval<strong>en</strong>t<br />
Plus qu’elles ne peuv<strong>en</strong>t cont<strong>en</strong>ir et conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
Cep<strong>en</strong>dant davantage que ce qu’elles peuv<strong>en</strong>t avaler (dommage !) - il<br />
Semblerait bi<strong>en</strong> que nous soyons placés sous le signe éminemm<strong>en</strong>t<br />
démiurgique <strong>de</strong> l’aporie,<br />
Seule représ<strong>en</strong>tation qui fasse <strong>de</strong> l’ignoble ficelle que serait sans elle<br />
Chacune <strong>de</strong> nos vies<br />
Un très intéressant sac <strong>de</strong> nœuds Tant pis ?<br />
[15]
Tant mieux ! Autant poser les mêmes vieux problèmes à<br />
La mer et à son éternel ressac Tant mieux ?<br />
Tant pis ! Tout est déjà trop vieux mais<br />
Peut-être tout<br />
apparti<strong>en</strong>t-il à un projet pour lequel subsiste cette pierre à feu<br />
Ce silex, ce doute au fond <strong>de</strong> l’être Non bi<strong>en</strong> sûr pour la peu<br />
Sotériologique vertu du brasier qui rassemble, non<br />
Davantage pour la christique étincelle qui ressemblerait<br />
Au clin d’œil d’un dieu totalem<strong>en</strong>t défoncé Non<br />
Elle subsisterait, sexe, silex, pour la seule sauvegar<strong>de</strong> d’une autonomie<br />
Que,<br />
Par mégar<strong>de</strong>, ce dieu sous aci<strong>de</strong>s a placé <strong>en</strong>tre les mains avi<strong>de</strong>s<br />
d’une vie<br />
Qui veut exister et dont il n’avait probablem<strong>en</strong>t nul souci<br />
D’autant qu’elle ne cesse<br />
De ses petits poings et <strong>de</strong> ses petits cris<br />
De réclamer sa paradoxale autonomie (image hautem<strong>en</strong>t par<strong>en</strong>tale<br />
Torchon sale, lessive qui suit tout meurtre familial)<br />
Ternes eaux d’une Création aux rel<strong>en</strong>ts<br />
Séminaux aux o<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> troupeau sous<br />
La gar<strong>de</strong> d’Orion et du Berger, sous le bau<strong>de</strong>lairi<strong>en</strong> couvercle<br />
D’un firmam<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>té <strong>de</strong><br />
Toutes pièces pour satisfaire à cet indécrottable besoin <strong>de</strong> voir clair<br />
Surtout quand l’humain se rassemble aux<br />
Cheminées et écoute à rebours <strong>de</strong>s grands-mères ridées <strong>de</strong><br />
Labours prononcer à l’<strong>en</strong>vers sa <strong>de</strong>stinée<br />
La perduration <strong>de</strong> toute génération, n’<strong>en</strong> déplaise à certain,<br />
N’est pas seule pulsion à la gésine mais<br />
Continuation quasi japonaise du trait qui<br />
Nous comm<strong>en</strong>ça un jour, comme à l’anglaise,<br />
Qui comm<strong>en</strong>ça à nous <strong>de</strong>ssiner et ne peut avoir <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s que s’il<br />
Nous <strong>de</strong>ssine Nul ne garantit que le portrait<br />
Sera ressemblant<br />
De même que l’art du go consiste<br />
[16]
À frapper d’agonie la gorge <strong>de</strong> l’autre <strong>en</strong> y <strong>en</strong>fonçant la mort <strong>de</strong><br />
Tout espace, <strong>en</strong> le réduisant à l’évid<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sa propre <strong>en</strong>tropie<br />
La vie (tambours !) La vie disait-on dans <strong>de</strong>s élans<br />
D’opérette La vie n’a d’autre intérêt que d’être indéfinim<strong>en</strong>t reportée<br />
Rapportée, bue, mue vers l’organisme dont la fonction est <strong>de</strong> nous<br />
En reverser la caution Pour le reste elle<br />
Se sera écoulée plus ou moins dignem<strong>en</strong>t dans<br />
Les faï<strong>en</strong>ces fêlées <strong>de</strong> nos commodités ou<br />
Sur l’asphalte bleuté <strong>de</strong> nos av<strong>en</strong>ues Mais pourtant,<br />
Nom <strong>de</strong> Dieu nous aurions bel et bi<strong>en</strong> le droit à cette caution<br />
Pour avoir ram<strong>en</strong>é à l’origine le cont<strong>en</strong>ant, un peu ridé, à l’<strong>en</strong>droit<br />
même où nous avons pris racine Oui<br />
Ou bi<strong>en</strong><br />
Ri<strong>en</strong> Ri<strong>en</strong> Ri<strong>en</strong><br />
Redonne, redonne à ta vie le vi<strong>de</strong> auquel elle peut prét<strong>en</strong>dre<br />
Schizophrène<br />
Enfin r<strong>en</strong>du pareil à toi-même<br />
Cire éteinte <strong>de</strong> cu<br />
Cui<br />
Cuit tout droit du ciel<br />
Dans les mâchoires <strong>de</strong> tes méninges dans<br />
La tache absolue qui, à elle seule,<br />
Justifie le linge<br />
Le plus intime<br />
Le linge <strong>de</strong> corps le linceul<br />
Le singe - et son décor - tournant dans sa roue et,<br />
Fou d’elle<br />
Replie tes désirs jusqu’à la congrue portion<br />
Fais-lui peur, fais-lui part <strong>de</strong> la douleur, fais-la participer Au branle<br />
<strong>de</strong>s ossem<strong>en</strong>ts Pauvre ivrogne que <strong>de</strong>main Battra comme son<br />
chi<strong>en</strong><br />
---<br />
Il est v<strong>en</strong>u le temps <strong>de</strong> feindre, <strong>de</strong> feindre ou <strong>de</strong> mourir vraim<strong>en</strong>t,<br />
[17]
D’occire nos géniteurs, d’étrangler tout qui ose se dire notre<br />
progéniture<br />
Il est temps <strong>de</strong> se rasseoir <strong>de</strong>vant les invisibles ratures <strong>de</strong> la feuille<br />
blanche<br />
Temps <strong>de</strong> tout avouer<br />
Ou alors se taire, aller à la f<strong>en</strong>être, y contempler longuem<strong>en</strong>t<br />
Le singulier mystère <strong>de</strong> nos dimanches<br />
***<br />
[18]<br />
Saint-Gilles, février-août 2001
À tes oreilles comme un cri <strong>de</strong> truies<br />
Tu v<strong>en</strong>ais <strong>de</strong> me quitter Me quitter pour toujours Toujours avais-tu<br />
dit mais Toujours avec toi avec elles on sait très précisém<strong>en</strong>t ce que<br />
Ça veut très précisém<strong>en</strong>t dire Toujours on sait très exactem<strong>en</strong>t et<br />
très précisém<strong>en</strong>t où ça se termine Toujours Tu v<strong>en</strong>ais <strong>de</strong> me quitter<br />
Tu v<strong>en</strong>ais <strong>de</strong> terminer tes étu<strong>de</strong>s et voulais écrire un roman<br />
parce que La culture ça donne Ça donne Toujours <strong>en</strong>vie d’écrire<br />
comme un nouveau stylo J’<strong>en</strong> savais quelque chose et pourtant<br />
t’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre dire Toujours ça m’a fait hausser les épaules Je n’ai<br />
jamais vu qu’il soit fait m<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’éternité non Jamais dans la<br />
date <strong>de</strong> validité d’une conserve Disons <strong>de</strong> francforts et Là tu m’as<br />
traité <strong>de</strong> Porc et Là je t’ai frappée Pas très fort je ne t’ai <strong>en</strong>core<br />
jamais frappée très fort<br />
Tu as fait semblant <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre peur Ce sera ton ca<strong>de</strong>au d’adieu<br />
pour Toujours Tu aurais pu comme Toujours me dire que tu partais<br />
à Jamais après avoir ramassé tes affaires Non tu arp<strong>en</strong>terais furieusem<strong>en</strong>t<br />
les pièces <strong>de</strong> mon appartem<strong>en</strong>t au moins une heure <strong>en</strong>core<br />
Encore & Toujours c’était la firme attitrée <strong>de</strong> tes déménagem<strong>en</strong>ts<br />
et Je sais que tu n’as même pas eu peur Pas un seul instant Comme<br />
Toujours<br />
Durant une heure <strong>en</strong>core il me faudra donc regar<strong>de</strong>r le trottoir<br />
Le trottoir d’<strong>en</strong> face où tout passe et ri<strong>en</strong> ne se passe et Dans le ciel<br />
continueront à foncer Aveugles les éternels boli<strong>de</strong>s ins<strong>en</strong>sés et Les<br />
<strong>en</strong>fants continueront longtemps Encore à s’émerveiller du triste<br />
paradoxe <strong>de</strong>s étoiles déjà mortes et Bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s parkings remplis<br />
d’aube mala<strong>de</strong> et Couverts soudainem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cris <strong>de</strong> sang et <strong>de</strong><br />
terne épouvante Un nombre infini <strong>de</strong> sessions d’un nombre infini<br />
<strong>de</strong> parlem<strong>en</strong>ts Dissous <strong>de</strong> baccalauréats que tu n’auras plus Tu l’as<br />
déjà et M’<strong>en</strong> as-tu assez cassé le cul D’élections et <strong>de</strong> cons<strong>en</strong>sus<br />
mous<br />
Comme toujours le prix du pain subira d’étranges fluctuations<br />
Des hor<strong>de</strong>s imprévues vi<strong>en</strong>dront tester la perméabilité <strong>de</strong>s femmes<br />
et <strong>de</strong>s frontières Il n’y aura plus <strong>de</strong> pain du tout et On parlera toujours<br />
d’Hier On luttera vainem<strong>en</strong>t contre d’éternels hivers avec <strong>de</strong>s<br />
[19]
vins aci<strong>de</strong>s comme <strong>de</strong>s sécrétions Il n’y aura plus <strong>de</strong> Pardon et Les<br />
bêtes meugleront aux portes <strong>de</strong>s abattoirs remplis <strong>de</strong> cri <strong>de</strong> sang et<br />
<strong>de</strong> terne épouvante Où la vitesse d’exécution sera pourtant <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue<br />
telle qu’on y mourra vivant Encore. Toujours. Vivant. Ça laissera<br />
du temps pour une ultime réflexion<br />
Vi<strong>en</strong>dront <strong>de</strong>s temps où les vibrions se multiplieront plus vite<br />
que la perfection <strong>de</strong>s microscopes ou <strong>de</strong>s plasmatrons dont <strong>de</strong>s<br />
laborantins myopes Hypermétropes Amblyopes testeront Mais un<br />
peu tard la nocivité <strong>de</strong>s rayons et Des usagers <strong>de</strong> la Compagnie <strong>de</strong>s<br />
Téléportations resteront pour Toujours disséminés <strong>en</strong> <strong>de</strong>s zones<br />
indécises Des sphères intermédiaires et grises Ils seront recherchés<br />
avec application mais Les familles <strong>de</strong>s victimes seront Encore<br />
Toujours aussi viscéralem<strong>en</strong>t aussi ordurièrem<strong>en</strong>t procédurières et<br />
L’on perdra du temps Tout ira <strong>de</strong> travers à la suite d’une élection<br />
<strong>de</strong> Deux séances plénières d’un comité d’experts et Des associations<br />
<strong>de</strong> couillons hurleront Mais <strong>de</strong> quel droit et Dans le désert du<br />
Nouveau Mexique on aura repéré un certain cratère À un certain<br />
<strong>en</strong>droit La jeunesse filera droit. En Enfer. Elle connaîtra la musique<br />
sans <strong>en</strong> avoir le droit<br />
et puis Encore Encore une fois Tu seras là Tu t’excuseras Tu<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ras Pardon Tu n’y croiras pas Tu p<strong>en</strong>seras Pauvre mer<strong>de</strong><br />
Sale con et ça tu le croiras et Tu diras <strong>en</strong>core Toujours avec le<br />
même sale acc<strong>en</strong>t brabançon Tu essayeras <strong>de</strong> toucher mon avantbras<br />
et même Tu y parvi<strong>en</strong>dras tu pr<strong>en</strong>dras un gnon et Tu repartiras.<br />
Pour Toujours. Tu le jures Raison pour laquelle je changerai<br />
mes serrures Je prierai pour que ça dure. Cfr infra. Compr<strong>en</strong>ne qui<br />
pourra. À croire que tu aimes, hein ? Que tu aimes çà, les gnons les<br />
horions les domestiques bastons et Je me réjouirai tout haut parce<br />
que malgré ta vaste culture Tu n’as pas <strong>en</strong>core fait l’acquisition du<br />
mot Tronçon dans quelqu’un <strong>de</strong> tes sales bouquins dans quelque<br />
magasin où ton vocabulaire a récemm<strong>en</strong>t découvert Achats pour<br />
remplacer Commissions (tu as eu une Ristourne une Réduction et<br />
Il faudra que je t’appr<strong>en</strong>ne le s<strong>en</strong>s du mot Tronçon Il suffira d’att<strong>en</strong>dre<br />
comme Toujours que tu revi<strong>en</strong>nes Encore<br />
Jusque-là les quanta poursuivront leurs chemins ordinaires Les<br />
fonds marins auront plaisir à déjouer toutes sortes <strong>de</strong> prédictions<br />
[20]
La réincarnation <strong>de</strong> Weg<strong>en</strong>er <strong>en</strong> perdra la raison et Il y aura la dissolution<br />
<strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong> la Jarretière Quelques séniles croulant sous<br />
les cancers les phlegmons les ulcères <strong>en</strong> perdront l’usage <strong>de</strong> leurs<br />
<strong>de</strong>rnières fonctions À moins que ce ne soit <strong>en</strong> besognant leur<br />
chambrière et Le moindre lumignon s’exprimera soudain <strong>en</strong><br />
années-lumière et Le jazz selon la critique aura atteint le fond et<br />
D’immon<strong>de</strong>s histrions hypertrophiés du vocal sphincter vi<strong>en</strong>dront<br />
mutiler Homère ou Heiner Müller sur la non-scène du non-festival<br />
d’Avignon Ils seront suivis avec onction <strong>de</strong>s balcons à jambages <strong>de</strong><br />
la <strong>de</strong>meure non-papale ou Jean-Paul III Coprophage sera v<strong>en</strong>u<br />
goûter l’air <strong>de</strong> la saison et l’étron théâtral mais Qui se souvi<strong>en</strong>dra<br />
<strong>de</strong> Clém<strong>en</strong>t VI <strong>de</strong> B<strong>en</strong>oît XII Les États <strong>en</strong>courageront toutes sortes<br />
<strong>de</strong> réunions et <strong>de</strong> partouzes et L’on reparlera <strong>de</strong> la Pornocratie <strong>de</strong>s<br />
étranges religions v<strong>en</strong>ues comme <strong>de</strong>s maladies du fond <strong>de</strong>s plaines<br />
<strong>de</strong> l’Asie <strong>de</strong> Serge III <strong>de</strong> Landon Ier d’Agapet II et Jean XII qui<br />
<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront les idoles tantouzes <strong>de</strong> nouvelles hérésies et Les cures<br />
ret<strong>en</strong>tiront du bruit <strong>de</strong>s ballets roses Le langage aura subi d’étranges<br />
métamorphoses L’arbitraire du signe trempera dans le formol<br />
au musée linguistique <strong>de</strong> Formose à côté <strong>de</strong> molles gibbosités d’étranges<br />
embryons d’<strong>en</strong>fants défoliants défiant la raison Des laves<br />
épaisses feront voir <strong>de</strong>s rougeoiem<strong>en</strong>ts aux longues villas roses<br />
promises à la <strong>de</strong>struction Les sept fléaux d’Égypte seront d’aimables<br />
soties et feront la joie <strong>de</strong>s vieillards et <strong>de</strong>s petits garçons On<br />
manœuvrera l’Orgasmatron d’un seul doigt Celui que le fion <strong>de</strong>s<br />
petits garçons n’emploiera pas On pèsera la sem<strong>en</strong>ce On jugera<br />
sans concessions certaines assonances et puis Encore Tu seras là<br />
Tu glisseras ton éternité sous mon paillasson C’est comme cela<br />
que tu te passeras <strong>de</strong> ma clef et Tu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ras Encore Pardon<br />
comme Toujours Pardon Je te hais Tu iras pr<strong>en</strong>dre une douche dont<br />
Tu revi<strong>en</strong>dras Dieu sait pourquoi couverte d’une couche <strong>de</strong> h<strong>en</strong>né<br />
et Ne sachant quoi faire <strong>de</strong> ta bouche Tu prononceras comme<br />
Toujours le mot Éternité et Moi je te regar<strong>de</strong>rai Je te regar<strong>de</strong>rai<br />
parce que je sais qu’il n’y aura toujours ri<strong>en</strong> à regar<strong>de</strong>r sur le trottoir<br />
d’<strong>en</strong> face Je p<strong>en</strong>serai vaguem<strong>en</strong>t aux vagues boli<strong>de</strong>s là-haut<br />
fonçant au Visible et à l’Invisible Je <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drai rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t extrêmem<strong>en</strong>t<br />
d’abord irascible. Puis très méchant. Tu seras sortie dans<br />
[21]
mon peignoir et un nimbe <strong>de</strong> buée alors Je te pr<strong>en</strong>drai pour cible<br />
Avec mon doigt lâchem<strong>en</strong>t pointé dans ton dos Je jouirai <strong>de</strong> l’image<br />
<strong>de</strong> mon ongle fracassant tes os trouant ta peau flexible Je p<strong>en</strong>serai<br />
à la manière qu’ont les insectes <strong>de</strong> percer à la tarière le réceptacle<br />
<strong>de</strong> leur froi<strong>de</strong> liqueur d’amour et Je t’abattrais froi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t et<br />
Tu repartirais froi<strong>de</strong>. Pour Toujours<br />
Et il faudra avoir recours à <strong>de</strong> nouveaux types d’avions De son<strong>de</strong>s<br />
D’<strong>en</strong>gins <strong>de</strong> prospection et Il faudra utiliser <strong>de</strong>s unités sous la<br />
femtosecon<strong>de</strong> et Un nouveau fusil d’assaut <strong>de</strong> fabrication tchèque<br />
fera merveille dans <strong>de</strong>s maquis divers Il crachera un nombre hallucinant<br />
<strong>de</strong> balles dans les guérillas urbaines <strong>de</strong> Marseille <strong>de</strong><br />
Detroit et <strong>de</strong> Los Angeles et <strong>de</strong>s cames inédites et foudroyantes<br />
expédieront égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>en</strong>fer ou au paradis c’est selon la moitié<br />
d’une génération À laquelle un médiatique déjanté <strong>en</strong> costume<br />
marron coiffé <strong>de</strong> plexi interdira l’<strong>en</strong>trée <strong>de</strong>s universités et <strong>de</strong>s<br />
cimetières Des cames dont les effets se décriront <strong>en</strong> nombre <strong>de</strong><br />
dieux par photon ou Toujours comme Naguère <strong>en</strong> nombre d’années-lumière<br />
Une mission trouvera le tombeau du Sapeur<br />
Camembert On appr<strong>en</strong>dra aux <strong>en</strong>fants dès l’école primaire le second<br />
principe <strong>de</strong> la thermodynamique la vie d’Adolf Hitler et le<br />
goût <strong>de</strong>s substances synthétiques et Ils <strong>en</strong> expérim<strong>en</strong>teront le rut<br />
frénétique au creuset convulsé <strong>de</strong> leurs artères Ils saisiront à pleine<br />
shooteuse le lieu du secret ou Dieu et Mallarmé jou<strong>en</strong>t millénairem<strong>en</strong>t<br />
aux dés Ils s<strong>en</strong>tiront la froi<strong>de</strong> indiffér<strong>en</strong>ce d’un mon<strong>de</strong><br />
fini trancher leurs os pourris d’un scalpel d’éther et Ils consulteront<br />
les sibylles les spagyristes les nécromants à qui ils apporteront les<br />
fumants viscères <strong>de</strong> leurs par<strong>en</strong>ts pour appr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> quoi sera fait<br />
hier Ils diront qu’Ils <strong>en</strong> ont marre On constatera une fissure dans la<br />
gran<strong>de</strong> l<strong>en</strong>tille du Mont Palomar et l’on s’<strong>en</strong> branlera Nous serons<br />
désormais les seuls jobards acceptant d’infester l’Univers et Un<br />
dém<strong>en</strong>t vitriolera le retable d’Iss<strong>en</strong>heim et Personne ne trouvera ça<br />
regrettable On appr<strong>en</strong>dra que le dém<strong>en</strong>t avait il y a trois ans profané<br />
la tombe <strong>de</strong> Peggy Gugg<strong>en</strong>heim <strong>en</strong> la conchiant Il avait passé<br />
ces trois ans aux galères et Ce sera l’effondrem<strong>en</strong>t total<br />
Irrémédiable <strong>de</strong> la causalité linéaire qui mourra étouffée sous son<br />
propre poids On parlera d’exhumer Wittg<strong>en</strong>stein On cherchera un<br />
[22]
sauveur à cette linéaire causalité et Durant l’été <strong>de</strong>s V.II retrouvés<br />
par <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants troueront soudain l’atmosphère et Cet été verra ses<br />
foins ses fêtes et ses semailles brûler au feu éteint d’anci<strong>en</strong>nes<br />
représailles On s<strong>en</strong>tira qu’on a perdu la bataille Pour Toujours Ce<br />
sera la preuve que l’histoire a <strong>de</strong> l’humour On se plagiera sans tambour<br />
ni Günter On s’auto-citera On vivra dans <strong>de</strong>s villes sans cimetière<br />
et puis Tu revi<strong>en</strong>dras. Mais cette fois je t’appr<strong>en</strong>drai les belles<br />
manières<br />
Tu pirateras ma serrure magnétique Tu <strong>en</strong>treras et Tu lanceras<br />
vers moi tes bras troués <strong>de</strong> vieille pute soumise au dieu chimique<br />
et Tu serais v<strong>en</strong>ue sans but mais pour Toujours pour <strong>en</strong>core m’imposer<br />
tes excuses <strong>de</strong> diva pathétique Tu diras que tu abuses Tu le<br />
dira et Je s<strong>en</strong>tirai d’aigres liqui<strong>de</strong>s emplir mon estomac Je s<strong>en</strong>tirai<br />
monter <strong>de</strong> vilaines <strong>en</strong>vies Tu joueras avec ta vie et Tu ne le sauras<br />
pas Tu ne s<strong>en</strong>tiras que trop tard comme Toujours monter ma rage<br />
et Je verrai tes maigres vertèbres d’anorexique laisser leur moulage<br />
sur le cuir <strong>de</strong> mon sofa. Alors<br />
Je te tournerai le dos <strong>en</strong> te parlant d’un ton anodin <strong>de</strong>s longues<br />
truies rouges qui cri<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core parfois dans un cauchemar très<br />
anci<strong>en</strong> Un <strong>de</strong> ceux qui vieillit comme le vin et Sur le trottoir d’<strong>en</strong><br />
bas se déroulera durant quelques instants un très intéressant assassinat<br />
Une sorte <strong>de</strong> crime dont la victime lancera les bras comme<br />
pour se rattraper au vi<strong>de</strong> Comme pour saisir les effarants boli<strong>de</strong>s<br />
qui tourn<strong>en</strong>t et fonc<strong>en</strong>t très loin Là-bas Sa tête aura fait un bruit <strong>de</strong><br />
noix sur le trottoir humi<strong>de</strong> aux reflets <strong>de</strong> suie De soie Les soies<br />
abandonnées par les truies Les longues truies rouges qui mâch<strong>en</strong>t<br />
sur le trottoir d’<strong>en</strong> bas les résidus <strong>de</strong> mes assassinats les vomissures<br />
<strong>de</strong> mon cauchemar et les reliefs <strong>de</strong> mes repas Il sera tard J’aurai<br />
trop bu et Ça ne va pas et Dans mon dos tu auras mis <strong>de</strong> la musique<br />
que je n’aime pas et moi Je te ferai danser au rythme <strong>en</strong>diablé d’un<br />
fusil d’assaut tchèque dont on m’aura beaucoup parlé et qui ferait<br />
merveille Je regar<strong>de</strong>rai sourdre cette épaisse liqueur couleur <strong>de</strong><br />
groseilles<br />
et Tu m’annonceras ton retour comme définitif bref Encore<br />
pour Toujours et Tu ratifieras cela <strong>en</strong> me <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant Une pluie fine<br />
m’empêchera <strong>de</strong> voir ce qui se passe sur le trottoir d’<strong>en</strong> bas En me<br />
[23]
<strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dant une bouteille <strong>de</strong> Wiborowa En cinq rasa<strong>de</strong>s Ta voix<br />
déjà pâteuse articulera Toujours et Mon indicible <strong>en</strong>nui trahi par la<br />
pluie fine tombera sur Le mythe <strong>de</strong> l’éternel retour d’Élia<strong>de</strong> À ce<br />
mom<strong>en</strong>t l’arrivée <strong>de</strong> la police jettera <strong>de</strong>s lueurs d’abattoir <strong>en</strong> face<br />
sur la faça<strong>de</strong> et La sirène poussera <strong>de</strong>s hurlem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> cochon et un<br />
peu plus loin je <strong>de</strong>vinerai <strong>en</strong>tre les gouttes et les immeubles près<br />
du pont l’abîme noir d’un vague terrain vague où les longues truies<br />
rouges se trouveront<br />
Elles s’<strong>en</strong>tredévoreront Elles couineront Elles crieront <strong>de</strong><br />
manière abominable Elles mâcheront du sable et <strong>de</strong> la nuit p<strong>en</strong>dant<br />
que En bas les policiers archiveront le précéd<strong>en</strong>t carnage Elles se<br />
nourriront <strong>de</strong> l’intérieur <strong>de</strong> mon visage De leur propre putréfaction<br />
<strong>de</strong>s mes propres abominations et Je <strong>de</strong>vinerai le reflet las <strong>de</strong> leurs<br />
imperméables Ils auront les pouces vissés dans leur ceinturon Je<br />
<strong>de</strong>vinerai le bruit odieux Insout<strong>en</strong>able <strong>de</strong> leur manducation Le travail<br />
furieux <strong>de</strong> leur groin glouton Le bruit m’<strong>en</strong> parvi<strong>en</strong>dra <strong>de</strong> cet<br />
odieux terrain vague là-bas et Les boli<strong>de</strong>s sans âges dans les solitu<strong>de</strong>s<br />
sans nom survoleront Toujours la Terre Ma Terre mon cauchemar<br />
et ses truies nécrophages Il y aura quelque chose d’aigre et<br />
<strong>de</strong> soudain sur mon front où Je n’arriverai pas à hisser la main Je<br />
serai atteint dans ma chair par une myria<strong>de</strong> <strong>de</strong> minuscules dysfonctions<br />
D’infimes et mortelles lésions Tu voudras bi<strong>en</strong> sûr<br />
Toujours porter ta main à mon front et Je ne voudrai pas que tu me<br />
touches Ne me touche pas Tu me forceras à reculer pour échapper<br />
à ta répugnante obstination et Ma main Ma main r<strong>en</strong>contrera une<br />
bouteille <strong>de</strong> Wiborowa Ma main fera mouche La bouteille me donnera<br />
l’idée d’élargir ta bouche et son vocabulaire du mot Tesson et<br />
Dans le vermillon éclaboussant la douche on verrait Toujours si tu<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais Encore Pardon<br />
Alors il y aura dans l’univers une épidémie <strong>de</strong> terrifiants cauchemars<br />
Le sommeil <strong>de</strong>s nourrissons ne sera pas épargné Ils seront<br />
dévorés par le groin fouailleur et sanglant <strong>de</strong>s longues truies Les<br />
ouïes seront déchirées par les cris <strong>de</strong>s cochons Les truies seront<br />
inaccessibles à tout pardon À toute v<strong>en</strong>geance comme à toute<br />
forme <strong>de</strong> raison<br />
Chaque nuit et pour Toujours leurs boutoirs fouilleront les<br />
[24]
chairs mala<strong>de</strong>s <strong>de</strong> tes rêveries Ma Chérie la substance noire <strong>de</strong> tes<br />
chimères La gelée pâle <strong>de</strong> tes <strong>en</strong>vies Leurs boutoirs s’<strong>en</strong>fonceront<br />
dans le con <strong>de</strong>s petites filles sous l’œil crevé d’une veilleuse <strong>de</strong><br />
dortoir Il n’y aura plus aucun espoir Chacun <strong>de</strong> tes soirs chacune<br />
<strong>de</strong> tes nuits Chérie <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dra rev<strong>en</strong>ir le cortège <strong>de</strong>s truies et ton<br />
sommeil le plus abyssal subira la tyrannie <strong>de</strong> leurs cris sales <strong>de</strong><br />
leurs ignobles arpèges Et cela pour Toujours Tu auras la peur la<br />
plus abjecte <strong>de</strong> l’arrivée du noir Oui Tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dras comm<strong>en</strong>t elles<br />
peuv<strong>en</strong>t crier les truies Les longues truies rouges et autophages <strong>de</strong><br />
mon cauchemar et Tu boiras <strong>de</strong> l’éther et Les foules attaqueront les<br />
pharmacies et Les hommes s’<strong>en</strong>tretueront pour le <strong>de</strong>rnier flacon <strong>de</strong><br />
laudanum pour le <strong>de</strong>rnier fragm<strong>en</strong>t du repos opiacé On se précipitera<br />
sur tout ce qui anéantit et saoule et Toi aussi ma Chérie tu<br />
rejoindras ces foules d’où montera l’ignoble o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s fonctions<br />
naturelles accomplies sous le joug <strong>de</strong> la peur éternelle De l’abjecte<br />
ritournelle <strong>de</strong>s truies Oui tu auras peur<br />
Tu jailliras hors <strong>de</strong> tes draps vinaigrés <strong>de</strong> sueur Tu sortiras à<br />
moitié nue Tu crieras après la folie la plus réparatrice Déjà gagnée<br />
Toujours perdue et Tu rejoindras la tourbe humaine aux croisem<strong>en</strong>ts<br />
<strong>de</strong>s rues Tu cherchera éperdum<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s lignes directrices Des<br />
motifs d’agir <strong>de</strong> ne pas agir et <strong>de</strong>s buts dans l’ombre <strong>de</strong>s av<strong>en</strong>ues<br />
D’où surgiront Toujours les truies et l’horreur <strong>de</strong> leur cri Toi qui il<br />
y a une heure croyait naïvem<strong>en</strong>t les quitter <strong>en</strong> sortant <strong>de</strong> ton lit et<br />
Jusqu’à l’aube blême jusqu’à la première lueur moisie sur l’asphalte<br />
Dans le reflet <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gyrophares Tu les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dras Ma<br />
Chérie Tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dras comme elles cri<strong>en</strong>t Tu s<strong>en</strong>tiras comme elles<br />
dévor<strong>en</strong>t l’image <strong>de</strong> toi-même pourrie L’image pourrie <strong>de</strong> toimême<br />
Alors me diras-tu <strong>en</strong>core que tu m’aimes Mon Amour Me<br />
diras-tu <strong>en</strong>core Toujours Mon éternelle Chérie lorsque parvi<strong>en</strong>dront<br />
à tes oreilles les premiers cris <strong>de</strong>s truies ?<br />
***<br />
[25]<br />
Paris, ce treize mars 1995.
Au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Tu te dresses au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Aux ultimes confins d’une physique qui, dis-tu, te fais vivre<br />
T’agglomère <strong>en</strong> particules<br />
Te réduit <strong>en</strong> molécules puis les sou<strong>de</strong> du cim<strong>en</strong>t dérisoire<br />
De la foi <strong>en</strong> ta propre fin<br />
De la faim <strong>en</strong> ton propre crépuscule<br />
Tu ne ti<strong>en</strong>s bi<strong>en</strong>tôt plus <strong>de</strong>bout que par la pati<strong>en</strong>ce infinie d’une canne<br />
Legs lointain <strong>de</strong> tes cousins carbonifères<br />
Que par la faveur <strong>de</strong> cette distance qui écarte ta consci<strong>en</strong>ce<br />
Du sol que tu foules, que tu foules mais surtout<br />
Tu ne ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Que par la volonté <strong>de</strong>rnière, toujours plus <strong>de</strong>rnière<br />
Des bâtisseurs <strong>de</strong>s édicules où ton organisme<br />
Fait à intervalle régulier marche arrière Qu’à la faveur <strong>de</strong>s cimetières<br />
Des vespasi<strong>en</strong>nes<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
Les radicaux libres <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t ta peau morte<br />
Ton sang n’éprouve que du dégoût pour ce qu’il transporte<br />
La fin <strong>de</strong> ton exist<strong>en</strong>ce se pare d’un luxe hospitalier<br />
D’une hospitalité qui sera toujours in fine celle <strong>de</strong>s cathéters et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
D’où tu att<strong>en</strong>ds que ton histoire à toi crie<br />
D’où tu espère que <strong>de</strong>s Barbares déferl<strong>en</strong>t <strong>en</strong> perles sur ton Asie<br />
D’où tu sollicites l’atermoiem<strong>en</strong>t, la remise <strong>de</strong> ta <strong>de</strong>tte<br />
D’où tu att<strong>en</strong>ds l’événem<strong>en</strong>t et<br />
[26]
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire et tu cries<br />
Tu cries comme lors <strong>de</strong> l’arrivée d’Itsvan <strong>en</strong> Hongrie (les cèdres noirs,<br />
noirs du lac Balaton les surfaces sans ét<strong>en</strong>due sur les<br />
profon<strong>de</strong>urs sans nom)<br />
Tu cries comme la glace <strong>de</strong> la Neva d’où Alexandre Nevsky exhuma<br />
la Sainte Russie<br />
Tu cries comme les lacs d’Austerlitz dont les réponses se v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t et<br />
s’achèt<strong>en</strong>t au canon<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s au sommet <strong>de</strong> l’histoire et tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds<br />
Tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds le bruit <strong>de</strong>s éperons<br />
Le bruit odieux que les hommes font quand ils s’<strong>en</strong> vont faire semblant<br />
Tu revois les rosses immémoriales d’immémoriales batailles<br />
Ces chevaux sans <strong>mémoire</strong> dont tu serais pour une fois<br />
L’homme <strong>de</strong> paille<br />
Et toi tu te ti<strong>en</strong>s au sommet <strong>de</strong> cette pagaille sans âge<br />
Sans pays, sans paysage, au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
Alors<br />
Alors tu inv<strong>en</strong>te la poésie qui, pour un bref instant<br />
Te permets d’avaler <strong>en</strong>core l’air qui te fait vivre D’excréter les<br />
mots qui<br />
te font vibrer et te permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> croire <strong>en</strong>core<br />
À la déportation dans la lointaine Babylone<br />
Au massacre <strong>de</strong>s Nabaté<strong>en</strong>s par <strong>de</strong>s Romains trop alone que<br />
Pour avoir seulem<strong>en</strong>t le goût d’y croire Pour avoir<br />
Le désir <strong>de</strong> se t<strong>en</strong>ir un mom<strong>en</strong>t au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
La moindre velléité d’un instant où inv<strong>en</strong>ter le prochain<br />
Mom<strong>en</strong>t<br />
Le futur<br />
Le pourvu que ça dure Le pourvoyeur <strong>de</strong> sépultures<br />
Car où se nourrirai<strong>en</strong>t tes chi<strong>en</strong>s s’ils n’avai<strong>en</strong>t nos <strong>de</strong>stinées insanes<br />
Ton pâle <strong>de</strong>stin<br />
Le pâle mi<strong>en</strong> Les reliefs <strong>de</strong> nos tristes festins<br />
[27]
Et la peur <strong>de</strong> ta canne et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s, aux aguets, au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Avalisant sans même vraim<strong>en</strong>t y croire le sac <strong>de</strong>s monastères<br />
La <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s fresques du Sinaï<br />
Trouvant <strong>de</strong> la vertu à taire parfois ta chimérique réussite<br />
L’illusoire apogée <strong>de</strong> ton orbite et Des peuples disparaiss<strong>en</strong>t sans dire<br />
Au revoir<br />
Agrém<strong>en</strong>tant <strong>de</strong> métopes et <strong>de</strong> frises les lieux où il est bon que parfois<br />
Tout cesse et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s vaniteusem<strong>en</strong>t dressé au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
À jouir <strong>de</strong> la plaisante désolation <strong>de</strong>s charniers dont tes textes sacrés<br />
Regorg<strong>en</strong>t<br />
À te glorifier sans fin <strong>de</strong> l’inv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la roue à gorge<br />
Et du miroir sans tain à<br />
Retailler à coup <strong>de</strong> boussole et d’astrolabe la route vers <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s qui<br />
Ne t’ont pas att<strong>en</strong>du<br />
Ont disparu sur la route qui va <strong>de</strong> l’Indus au Gange<br />
Car tout change, tandis que toi<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Tu t’émerveilles <strong>en</strong>core <strong>de</strong> la pér<strong>en</strong>nité d’un si indig<strong>en</strong>t miracle et<br />
Tu comptes les poings levés vers ta couronne<br />
Tu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds tes peuples qui s’époumon<strong>en</strong>t, tes esclaves qui r<strong>en</strong>âcl<strong>en</strong>t<br />
Et ton siècle exhale soudainem<strong>en</strong>t une insistante o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> charogne<br />
Mais tu t’y fais et<br />
Tu es <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Debout sur les remparts <strong>de</strong> Masada Tu as<br />
Déposé le glaive Tes yeux sont tournés vers un soleil qui ne te croit pas<br />
Tu as le nom <strong>de</strong> Yahveh qui bouge sur tes lèvres Tu vi<strong>en</strong>s d’appr<strong>en</strong>dre<br />
L’échec <strong>de</strong> la sédition Bar Kochbah<br />
Tu hoches ta tête sous ta lévite et tu murmures le nom <strong>de</strong><br />
Jéhovah et<br />
[28]
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Tes poignets saignés font une ligne sombre sur la neige <strong>de</strong>s pogroms<br />
Ton âme dérive vaguem<strong>en</strong>t sur les rivages <strong>de</strong> la Neva<br />
Ta langue colle à tes palais pour <strong>en</strong> ram<strong>en</strong>er la salive<br />
Il y a dans tes yeux la peur étrange <strong>de</strong>s foules qui craign<strong>en</strong>t pour leur<br />
Vie<br />
Ta sueur, elle, n’a plus aucune o<strong>de</strong>ur<br />
Aucune et<br />
Tu vacilles juché au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Point sur une ligne et point à la ligne Te voilà chevauchant<br />
Un cheval capricieux Te voilà survolé par d’incroyables cieux<br />
Te voilà guidé par l’étoile à l’éclat incroyable Tu<br />
Fais la connaissance <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux messieurs et<br />
Chevauches avec eux vers la paille d’une étable et<br />
Tu trônes insolemm<strong>en</strong>t au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
Les armées <strong>de</strong> Gu<strong>de</strong>rian s’embourb<strong>en</strong>t dans une imm<strong>en</strong>se Sibérie<br />
Où les peuples recul<strong>en</strong>t à son approche Il avance vers la conquête<br />
D’une cité moscovite toujours moins proche Il<br />
Rejoint la substance même <strong>de</strong> ses délires Il reçoit<br />
Des ordres <strong>de</strong> Berlin Il<br />
Ne pr<strong>en</strong>d même plus la peine <strong>de</strong> faire semblant <strong>de</strong> les lire et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
De celle qu’on a du mal à croire <strong>de</strong> celle d’où sortit le bromure<br />
D’arg<strong>en</strong>t qui révéla un jour à nos yeux l’<strong>en</strong>vers <strong>de</strong> nos propres visages<br />
Avant le gramophone qui transforma nos voix <strong>en</strong> aveu<br />
Avant la galère à double banc <strong>de</strong> rames<br />
Avant le rasoir à double lame (pour se tuer si on le veut)<br />
Avant même que l’on puisse imaginer que le temps ne marchait qu’à<br />
Rebours<br />
Et tu te ti<strong>en</strong>s au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
Le temps soudain fléché et<br />
[29]
De mornes souverains traversant <strong>de</strong> mornes ét<strong>en</strong>dues avec le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />
D’être<br />
En retard<br />
Sans royaume<br />
Étouffé par l’<strong>en</strong>vol <strong>de</strong>s ét<strong>en</strong>dards qui, mollem<strong>en</strong>t,<br />
Flott<strong>en</strong>t<br />
Cartes <strong>de</strong> visite <strong>de</strong> ceux qui, toujours, éternellem<strong>en</strong>t,<br />
Sont pris du désir <strong>de</strong> voir où tu habites et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s <strong>de</strong>bout au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Et les mornes Borgia extirp<strong>en</strong>t <strong>de</strong> subtils poisons <strong>de</strong> la pierre<br />
grossière qui orne leur bague mérovingi<strong>en</strong>ne et<br />
D’infinim<strong>en</strong>t subtils découp<strong>en</strong>t à la scie un contin<strong>en</strong>t qui<br />
N’existe même pas <strong>en</strong>core <strong>en</strong> tant que tel<br />
Se le serv<strong>en</strong>t à la louche, à la pelle et<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s vacillant au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Heureux que les massacres <strong>de</strong> Katin, d’Auschwitz ou d’ailleurs<br />
te t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t leurs mains vi<strong>de</strong>s<br />
Désolé que les hor<strong>de</strong>s qui cogn<strong>en</strong>t du front contre tes frontières<br />
se voi<strong>en</strong>t opposée une fin<br />
De non-recevoir<br />
Tu ne cesses <strong>de</strong> t<strong>en</strong>ter d’y croire et<br />
Tes jambes te lâch<strong>en</strong>t au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
La route <strong>de</strong> la soie qui indique à <strong>de</strong>s barbares le chemin<br />
Vers d’autres barbaries Vers la vanité <strong>de</strong> leur propre faim<br />
Vers d’autres cieux, d’autres filles,<br />
D’autres lieux et<br />
Tu flageoles au beau milieu <strong>de</strong> ton histoire<br />
Histrion d’un théâtre mal perçu<br />
Mal compris trop désiré peut-être Mais si mal que<br />
Tu éprouve du mal à y croire, à vivre <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce avec toi-même<br />
Et tu vas trafiquer <strong>de</strong>s parfums sur les pistes du Haggar et<br />
[30]
Tu te ti<strong>en</strong>s, gardant la pose, au sommet <strong>de</strong> l’histoire et<br />
Tu <strong>de</strong>vines aux bottines qu’il vi<strong>en</strong>t d’Ispahan comme Tu <strong>de</strong>vines<br />
qu’elle quitte un train et que tu es dans une gare et tu te dis<br />
Loués soi<strong>en</strong>t les trains car ils amèn<strong>en</strong>t vers moi celle que j’aime et<br />
Maudits soi<strong>en</strong>t les trains car ils emport<strong>en</strong>t celle que j’aime et<br />
Tu vomis bruyamm<strong>en</strong>t, appuyé contre ton histoire<br />
Qui a du mal à passer Tu p<strong>en</strong>ses<br />
Curieux à la mort inéluctable <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers grands<br />
Cétacés Tu voudrais te couper les veines dans ta baignoire<br />
Tu voudrais soudain que ta vie soit aussi jetable que tes rasoirs<br />
Tu te ti<strong>en</strong>s au sommet <strong>de</strong> l’histoire<br />
Tu te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s ce que tu as fait<br />
Me vi<strong>en</strong>t alors l’<strong>en</strong>vie <strong>de</strong> te le dire<br />
Tu es monté au sommet du Chomolungma, que tu as nommé Everest<br />
(Tes manques les plus criants te poussai<strong>en</strong>t vers l’Est déjà)<br />
Tu y as planté un tout petit drapeau orné <strong>de</strong> choses abstraites<br />
Comme tu le fis plus tard, quelque part, dans la mer <strong>de</strong> la Tranquillité<br />
Quelque part dans le cirque Ptolémée<br />
Tu as eu les pires difficultés à l’y faire flotter, la Lune n’aimait pas<br />
Ta bannière étoilée et toi<br />
Le ridicule <strong>de</strong> tes cinquante-<strong>de</strong>ux étoiles sous <strong>de</strong>s milliards d’autres<br />
Ne t’a pas sauté aux yeux<br />
Au contraire<br />
Tu <strong>en</strong> semblais très fier<br />
Tu as abordé <strong>de</strong>s terres lointaines que tu croyais sans nom<br />
Tu <strong>en</strong> as pris possession au nom <strong>de</strong> ton patron et d’idoles<br />
Plus lointaines <strong>en</strong>core<br />
Ceux qui t’ont accueilli ont brûlé du b<strong>en</strong>join et du bois <strong>de</strong> santal<br />
Tu puais tellem<strong>en</strong>t après trois mois <strong>de</strong> navigation sur ton petit bateau<br />
Tu es mandchou L’<strong>en</strong>vie, un jour, t’a saisi<br />
De quitter ta Mongolie <strong>de</strong> déferler sur le Ch<strong>en</strong>g-Si<br />
[31]
Et d’habiter la Chine<br />
Tu es japonais Tu vi<strong>en</strong>s du Hokkaïdo Tu obéis aux ordres<br />
De ton mo<strong>de</strong>rne Daïmio et Tu massacres <strong>de</strong>s Mandchous<br />
À travers l’Archipel, <strong>de</strong> Tarawa à Betio<br />
Tu vi<strong>en</strong>s du Dakota du Nord tu as vingt et un ans Tu te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>en</strong>core<br />
Comm<strong>en</strong>t tu <strong>en</strong> es arrivé là, à Tarawa, à contempler le corps épars<br />
De tes camara<strong>de</strong>s<br />
Un Japonais <strong>de</strong> dix-neuf ans s’est jeté, bardé <strong>de</strong> gr<strong>en</strong>a<strong>de</strong>s<br />
Sous les ch<strong>en</strong>illes <strong>de</strong> ton char Tu as vingt et un ans et tu ne sais trop<br />
Qui remercier parce que tu es <strong>en</strong>core vivant<br />
Si tu dois être heureux d’être <strong>en</strong>core vivant<br />
Tu t’appelles Gunter Tu vi<strong>en</strong>s du Ba<strong>de</strong>-Würtemberg<br />
Tu es plongé dans une guerre terriblem<strong>en</strong>t meurtrière Tu<br />
As l’œil collé à une meurtrière du mur <strong>de</strong> l’Atlantique Tu y vois<br />
Des g<strong>en</strong>s <strong>de</strong> ton âge sauter sur le sable d’une<br />
Plage Tu ne sais si tu vas pouvoir tirer sur eux pourtant Tu le feras<br />
Tu pleureras huit ans plus tard <strong>en</strong> voyant à la télévision<br />
Les débats <strong>de</strong> Nuremberg<br />
REIGEN ! REIGEN !<br />
Éternelle ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> millénaires carnages<br />
Danse éternelle et minuscule <strong>de</strong> mon message<br />
REIGEN !<br />
Pagaille sans âge<br />
Ron<strong>de</strong> danse macabre<br />
Lourds candélabres Dépouille du mon<strong>de</strong><br />
Sans cesse à arracher une vian<strong>de</strong> avariée à <strong>de</strong>s os sans âge<br />
Sans cesse à caresser l’<strong>en</strong>vers <strong>de</strong> son image Sans cesse<br />
À être là, à clamer son puéril désir d’amour À ress<strong>en</strong>tir la vanité<br />
À goûter par le goulot L’étonnant culot d’exister<br />
[32]
Et cet homuncule est un jour parti vers les In<strong>de</strong>s Née-<br />
Rlandaises L’âme farcie <strong>de</strong> choses vaines et persuadé que la raison<br />
Comme la mousson est une affaire d’alizé <strong>de</strong> souterrains courants<br />
Du g<strong>en</strong>re on coupe le fil <strong>en</strong> le serrant <strong>en</strong>tre ses d<strong>en</strong>ts<br />
Vraim<strong>en</strong>t dévoré par l’<strong>en</strong>vie <strong>de</strong> dire et d’ignorer Car l’ignorance prête<br />
Au rire et la connaissance, quelle que soit sa nature, donne <strong>en</strong>vie<br />
<strong>de</strong> pleurer<br />
Je tuerais bi<strong>en</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>en</strong>tier<br />
J’aimerais savoir le jour <strong>de</strong> ta naissance (je sais que c’est <strong>en</strong> mai)<br />
Aucune voix ne vi<strong>en</strong>t à mon secours quand je déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> bouffer<br />
mes comprimés<br />
Tout cela je l’ai écrit animé par une haine sans rage<br />
Tout ce dont j’ai parlé je ne l’ai pas s<strong>en</strong>ti Je me suis cont<strong>en</strong>té <strong>de</strong>s<br />
manuels d’histoire qui racont<strong>en</strong>t la vie d’hommes qui, semble-t-il,<br />
fur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> d’autres temps mes frères mais Comm<strong>en</strong>t puis-je vraim<strong>en</strong>t<br />
souffrir avec eux seulem<strong>en</strong>t dans les livres ?<br />
Et si ils m’aim<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t<br />
Pourquoi ne m’accompagn<strong>en</strong>t-ils pas ?<br />
Pourquoi ne march<strong>en</strong>t-ils pas à mes côtés<br />
Pourquoi ils sont pas là quand l’appartem<strong>en</strong>t est désert<br />
Pourquoi ils sont incapables <strong>de</strong> m’expliquer la raison pour laquelle<br />
Depuis l’<strong>en</strong>fance j’ai <strong>en</strong> moi cette <strong>en</strong>vie <strong>de</strong> <strong>de</strong>vancer le travail<br />
<strong>de</strong> la mort<br />
Pourquoi la souffrance <strong>de</strong>s autres m’apparaît toujours méprisable<br />
comme une bête bonne à piquer<br />
Pourquoi ?<br />
Pourquoi ne sont-ils pas toujours là au bon mom<strong>en</strong>t<br />
Pourquoi ne sont-ils pas à mes côtés quand je me r<strong>en</strong>ds compte<br />
qu’il n’y a pas <strong>de</strong> bon mom<strong>en</strong>t<br />
[33]
Pourquoi je tombe fatalem<strong>en</strong>t amoureux <strong>de</strong>s filles qui port<strong>en</strong>t<br />
ton prénom<br />
Pourquoi fatalem<strong>en</strong>t toutes les filles dont je tombe amoureux<br />
port<strong>en</strong>t ton prénom<br />
Pourquoi portes-tu ce prénom<br />
Pourquoi tu l’habites, ce prénom, et le portes si peu<br />
Et pourquoi, surtout maint<strong>en</strong>ant, cette irrésistible <strong>en</strong>vie <strong>de</strong> mourir<br />
ALORS OUI<br />
Autant courir vers mes faciles mirages <strong>de</strong> l’Indus<br />
Autant appr<strong>en</strong>dre à déprononcer certains vocables<br />
Autant me moquer <strong>de</strong> mes contemporains transformés <strong>en</strong> chaux<br />
Autant ricaner dans le train qui cahote millénairem<strong>en</strong>t vers Dachau<br />
Autant aligner mes gros mots<br />
Autant me plaindre <strong>de</strong> mon corps, comme on se plaint d’un propriétaire<br />
: pour <strong>de</strong>vancer l’inéluctable mom<strong>en</strong>t où le loyer sera<br />
<strong>de</strong>v<strong>en</strong>u trop cher<br />
ALORS<br />
Donne-moi une seule bonne raison pour continuer à aligner <strong>de</strong>s<br />
mots et <strong>de</strong>s mots et <strong>de</strong>s mots si tu n’y crois pas toi-même<br />
Est-ce le fait d’être né <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t qui fait qu’une main qui se pose dans<br />
ton dos se prolonge toujours d’un poignard<br />
Pourquoi je te dis Tu<br />
Pourquoi je rêve avec l’horizon défini d’un plafond<br />
Pourquoi personne dans ma famille n’a créé un empire<br />
Toutes les armées <strong>en</strong> marche ont un ordre <strong>de</strong> mission<br />
Toutes<br />
Toutes mais pas nous<br />
Toutes sauf celle qui accepte <strong>en</strong>core un peu <strong>de</strong> marcher sur la simple<br />
promesse <strong>de</strong> villes que l’on n’a jamais vues<br />
[34]
MÊME<br />
Même si<br />
Même si j’aurais préféré savoir la date <strong>de</strong> ma naissance et surtout<br />
celle <strong>de</strong> ma mort<br />
Même si j’aurais préféré confondre tous ceux qui dis<strong>en</strong>t que les<br />
“si” n’aim<strong>en</strong>t pas les “rais”<br />
Même si je me dis que cela ne va<br />
Pas plus<br />
Loin<br />
[35]<br />
Saint-Gilles, 18 janvier 2000
Vinc<strong>en</strong>t WATELET a été commis à Namur sous le signe du<br />
Cancrelat. Il a sévi à LLN et récidive à BXL.<br />
Il ne nous <strong>en</strong> dira pas plus, cette fois-ci...<br />
Bookleg réalisé à l’occasion<br />
du Maelström Pré-FiEstival<br />
le 21 octobre 2006<br />
au Théâtre-Poème à Bruxelles<br />
Collection dirigée par - Collana diretta da Dante Bertoni<br />
Déja parus <strong>en</strong> Bookleg - Già pubblicati in Bookleg...<br />
Cuore distillato / Coeur distillé Antonio Bertoli & Marco Par<strong>en</strong>te .<br />
Solo <strong>de</strong> Amor Alejandro Jodorowsky . Démocratie Totalitaire Lawr<strong>en</strong>ce<br />
Ferlinghetti . 100 bonnes raisons <strong>de</strong> “faire” <strong>de</strong> la poésie<br />
Jean-Sébasti<strong>en</strong> Gallaire & Philippe Krebs (Collectif Hermaphrodite) .<br />
Vers les cieux qui n’exist<strong>en</strong>t pas Marianne Costa . Que tu sois<br />
Evrahim Baran . Philtre Martin Bakero . Poudre d’ange Adanowsky .<br />
Encyclique <strong>de</strong>s nuages caraïbes Anatole Atlas . Passer le temps ou lui<br />
casser la gueule Serge Noël . Mémoires d’un c<strong>en</strong>drier sale K<strong>en</strong>an<br />
Görgün . Cantique <strong>de</strong>s hauteurs Rodolphe Massé . Brooklyn : Sketches<br />
Thierry Clermont . Am<strong>en</strong> Dami<strong>en</strong> Spleeters . Incantations barbares ODM<br />
Le poète fait sa Pub Nicolas Ancion. Le Plongeoir Patrick Lowie .<br />
La toute fine ombre <strong>de</strong>s fleurs Otto Ganz . Ali<strong>en</strong>-Nation Pierre Guéry<br />
Les Pierres du Chemin Alejandro Jodorowsky . Lancer Thibaut Binard .<br />
Bascule Pierre Guéry . (l’individualiste) Karoline Georges<br />
que les livres circul<strong>en</strong>t... la photocopie ne tue que ce qui est déjà mort...<br />
che circolino i libri... la fotocopia ucci<strong>de</strong> solo ciò che è già morto...<br />
© Vinc<strong>en</strong>t Watelet, 2006 © Maelström éditions, Bruxelles, 2006<br />
sur www.maelstromeditions.com<br />
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ISBN 2-930355-59-X - Dépôt légal - 2006 - D/2006/9407/59<br />
Photocoimprimé dans la dignité <strong>en</strong> Belgique sur papier recyclé<br />
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