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Sur la grand'route - Odéon Théâtre de l'Europe

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Bruno Boëglin, un autre regard sur Tchekhov<br />

I › Une pièce rarement mise en scène<br />

A - Grüber, Schaubühne, 1984, première mise en scène <strong>de</strong> SSuurr l<strong>la</strong>a ggrraanndd’’rroouuttee.<br />

Cette même saison est jouée une <strong>de</strong>s premières pièces <strong>de</strong> Tchekhov, un mélodrame en un acte, <strong>Sur</strong> <strong>la</strong> grand’route,<br />

dans un vieil espace industriel le long du Mur <strong>de</strong> Berlin. Un immense atelier a été b<strong>la</strong>nchi à <strong>la</strong> chaux puis abîmé avec<br />

art <strong>de</strong> trous, <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ques <strong>de</strong> plâtre manquantes, <strong>de</strong> taches noires. A une extrémité se trouvait une estra<strong>de</strong> étroite<br />

servant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>teau, avec <strong>de</strong>s bancs le long du mur noir. Ce<strong>la</strong> figurait le tripot du bord <strong>de</strong> route, où les pélerins et les<br />

<strong>la</strong>issés-pour-compte se rassemblent dans ces proto-Limbes.<br />

Tandis que le public pénétrait lentement au compte-gouttes dans <strong>la</strong> salle, l’aubergiste Tikhone et un couple <strong>de</strong><br />

pèlerins se trouvaient déjà sur scène. <strong>Sur</strong> le sol, <strong>de</strong>s silhouettes endormies, pour certaines <strong>de</strong>s mannequins, pour<br />

d’autres, <strong>de</strong>s hommes. Peu à peu, d’autres figurants pénétrèrent dans <strong>la</strong> salle, <strong>de</strong> sorte qu’il n’y eut bientôt plus<br />

d’espace libre sur le sol pour s’approcher ; on avait l’impression qu’ils étaient collés au mur ou qu’ils venaient juste<br />

<strong>de</strong> s’en décrocher. Par moment, Tikhone ranimait <strong>la</strong> <strong>la</strong>mpe à pétrole, seule source <strong>de</strong> lumière (et par ce moyen<br />

essentiel, on pouvait avoir le sentiment du temps qui passe, suggérant l’éternité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit). Les costumes étaient <strong>de</strong><br />

couleurs passées, gris, beige, b<strong>la</strong>nc mat, à l’exception <strong>de</strong> <strong>la</strong> chemise rouge <strong>de</strong> Méric le voleur. Le maquil<strong>la</strong>ge dans<br />

l’ensemble reposait sur <strong>de</strong>s tons livi<strong>de</strong>s, mais les personnages liés à l’aristocratie terrienne ou à l’alcoolisme,<br />

étaient maquillés dans le style traditionnel Habima, avec <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s tâches <strong>de</strong> bleu <strong>de</strong> cobalt et <strong>de</strong> rouge vif, dans<br />

un style qui faisait penser à Chagall.<br />

K<strong>la</strong>us Michaël Grüber, le metteur en scène, étend cette «saynète dramatique» à <strong>de</strong>ux heures sans entracte. La pièce<br />

fut jouée à un rythme très lent avec <strong>de</strong> longs silences entre les répliques : <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s répliques étaient dites à<br />

voix basse, d’une voix comme fatiguée, presque inaudible. Certains moments <strong>de</strong> tension dramatique, comme le<br />

moment où Méric menace l’ancienne femme <strong>de</strong> Borstsov <strong>de</strong> sa cognée, <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong> véritables tableaux, dans une<br />

atmosphère g<strong>la</strong>ciale. L’impression générale <strong>de</strong> déliquescence ne put empêcher cette «sombre nuit <strong>de</strong> tempête»,<br />

avec ses coïnci<strong>de</strong>nces forcées et sa violence excessive, <strong>de</strong> déclencher quelques rires. La grand’route était censée<br />

mener au désespoir, mais le côté mélodrame du scénario se trouvait par trop en déca<strong>la</strong>ge avec <strong>la</strong> sophistication <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> production, et avec un public formé ces <strong>de</strong>rnières décennies à répondre à une certaine spontanéité dans <strong>la</strong> mise<br />

en scène.<br />

<strong>Sur</strong> <strong>la</strong> grand’route / 23 fév. › 25 mars 06<br />

Laurence Senelick, The Chekhov Theatre,<br />

Cambridge University Press, 1999, p. 261-262,<br />

trad. <strong>Odéon</strong>-<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Europe.<br />

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