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miiuiiu LE 23 JUILLET 1323 iNiiiiiiMimiMniiniMiiimiiiNiiiimiiiinmiiiiiiimiiiniriiiiiiiiiiiiiiimiiiiiiiiiiii 5<br />
LES ROMANS DE LA VIE<br />
■■■■mil ■iiiiiiiiiniiiiiiiii iiiituîiiiiuuiHiiiiiiiuiii 1 itiuiiii DIMANCHE-ILLUSTRÉ MHIHUII<br />
GAMAIN, L'HOMME A L'ARMOIRE DE FER<br />
par JE AM-BERN ARD><br />
ARMI les chapitres les plus romanesques<br />
de l'histoire de la Révolution<br />
française, un des plus pittoresques<br />
est, assurément, celui de<br />
l'armoire de fer. Cette armoire, qui,<br />
en fait, était un gros coffret en fer,<br />
a joué un grand rôle dans le procès de<br />
Louis XVI, et a certainement contribué à sa<br />
condamnation. Nous savons aujourd'hui, sans<br />
aucun doute possible, quand, comment et par<br />
qui fut construit cette faméuse cassette. On<br />
connaît à peu près ce qu'elle contenait.<br />
Le seul côté mystérieux est celui relatif aux<br />
accusations sans preuves, tout à fait invraisemblables,<br />
portées plus tard par Gamain,<br />
qui prétendit avoir été empoisonné à la suite<br />
du travail qu'il avait effectué. Empoisonné<br />
par qui ? et pour quoi?<br />
Par Louis XVI, n'a pas craint d'affirmer<br />
Gamain, qui a ensuite changé de thèse et a<br />
accusé Marie-Antoinette. L'histoire en main,<br />
on peut dire cjue c'est là un double mensonge.<br />
Pourquoi 1 aurait-on empoisonné ? Pour<br />
anéantir le détenteur d'un secret qu'on lui<br />
avait spontanément et volontairement confié.<br />
Nous verrons, tout à l'heure, l'absurdité d'une<br />
pareille et si audacieuse affirmation de la part<br />
d'un homme dont le moins qu'on puisse penser,<br />
c est qu il manqua de reconnaissance, de<br />
probité morale et de dignité.<br />
Mais, tout d'abord, qu'était Gamain ? Un<br />
maître serrurier, ayant sa boutique à Versailles<br />
et dont Louis XVI, qui aimait, comme on sait,<br />
manier la lime et le marteau, avait demandé le<br />
concours pour les divers travaux de sa forge,<br />
très complète, située dans une des salles du<br />
rez-de-chaussée du château. Gamain était<br />
fort habile et il existe encore à Versailles un<br />
beau balcon, en fer forgé, qui est son ouvrage.<br />
Le roi avait fait avec lui de réels progrès dans<br />
le métier de serrurier et il fabriquait avec art<br />
des clefs de poche, des petits ouvrages de<br />
ferronnerie, de même qu'il savait à merveille<br />
réparer les pendules détraquées. Louis XVI,<br />
qui avait fait donner à son professeur manuel<br />
une pension de 200 livres en 1782, lui servait<br />
1.600 livres d'appointements.<br />
Quand, après les journées d'Octobre, les<br />
femmes ramenèrent la famille royale à Paris,<br />
le roi fit installer une forge au rez-de-chaussée<br />
des Tuileries et s'amusa à remettre en état les<br />
nombreuses serrures du château qui, par<br />
suite du long abandon où on l'avait laissé,<br />
étaient en mauvais état. A plusieurs reprises,<br />
il avait demandé à Gamain de venir lui donner<br />
un coup de main et toujours ce dernier avait<br />
été largement payé de sa peine.<br />
Au surplus, comme la plupart des petits<br />
bourgeois et des artisans aisés, Gamain avait<br />
accepté les idées nouvelles ; il fut élu membre<br />
du Conseil général de Versailles et il manifesta<br />
ses opinions en faisant placer sur le mur<br />
de sa maison, 9, rue Neuve, l'inscription<br />
suivante :<br />
Tyrans, tremblez que la foudre<br />
Bientôt ne vous réduise en poudre.<br />
Peut-être bien que Gamain, dont les relations<br />
journalières, et d'une certaine intimité avec le<br />
roi, rendaient les sentiments révolutionnaires<br />
suspects aux vigilants Versaillais, força un<br />
peu la note pour témoigner son civisme. Toujours<br />
est-il que Louis XVI, qui n'avait rien<br />
d'un tyran, et ne se considérait pas comme<br />
tel, ne s'offusqua point de ces sentiments<br />
patriotiques, malgré leur forme un peu dure<br />
et il demanda souvent, pendant les années<br />
1790 et 1791, à son ancien chef de ferronnerie,<br />
Gamain, de venir à Paris. Il arriva même que<br />
le maître serrurier passa plusieurs jours sans<br />
rentrer à Versailles. Devant l'enclume, le roi<br />
oubliait ses amertumes et les tristesses de sa<br />
situation.<br />
LE 21 mai 1792, comme Gamain était dans<br />
sa boutique, un cavalier s'arrêta devant sa<br />
porte -et appela le serrurier par son nom.<br />
Gamain sortit et reconnut Durey, un des<br />
valets de chambre du roi, qui aidait souvent<br />
le souverain dans ses travaux de la forge.<br />
— Monsieur Gamain, dit Durey, Sa Majesté<br />
m'envoie vous demander de venir aux Tuileries.<br />
Vous entrerez par les cuisines pour ne<br />
pas inspirer des soupçons.<br />
Le serrurier, craignant de se compromettre<br />
davantage aux yeux des jacobins de Versailles<br />
qui le surveillaient, ne dit ni oui ni non et ne<br />
bougea pas. Le lendemain, Durey revint et<br />
remit cette fois un billet de la main même du<br />
roi, dans lequel Louis XVI priait Gamain,<br />
en termes familiers, de venir le plus tôt qu'il<br />
pourrait, pour lui donner un coup de main<br />
pour un travail difficile et pressé. Le serrurier<br />
(F<br />
Parmi les chapitres les plus romanesques de l'histoire de la<br />
Révolution française, un des plus pittoresques est, assurément,<br />
celui de l'armoire de fer. Cette armoire qui, en fait, était un<br />
gros coffret en fer, a joué un grand rôle dans le procès de<br />
Louis XVI et a certainement contribué à sa condamnation.<br />
Dans cette page, notre collaborateur, Jean-Bernard, nous<br />
initie à la vie de Louis XVI, serrurier.<br />
J<br />
se décida et partit pour Paris, promettant à sa<br />
femme d'être de retour le soir même. Comme<br />
le lui avait recommandé Durey, il entra par les<br />
cuisines, par la porte des fournisseurs, sans<br />
éveiller l'attention de la sentinelle qui montait<br />
la garde. Il se rendit à la forge, qu'il connaissait<br />
bien, et il vit une porte de fer nouvellement<br />
forgée. Louis XVI entra et avec la familiarité<br />
dont il était coutumier avec son ancien maître de<br />
serrurerie, il lui dit, en lui frappant sur l'épaule :<br />
précieux. Nous avons percé la muraille à nous<br />
deux, Durey et moi. Toutes les nuits, Durey<br />
allait jeter les graviers à la Seine ; il faisait<br />
même plusieurs voyages dans la même nuit.<br />
— En quoi puis-je vous être utile ? demanda<br />
Gamain.<br />
— Il s'agit de placer la porte de fer que j'ai<br />
construite et que je t'ai montrée, à l'entrée de<br />
ce trou. Je ne sais comment m'y prendre. Mais<br />
je compte sur toi pour me rendre ce service.<br />
APPARITION DE L'OMBRE DE MIRABEAU DANS L'ARMOIRE DE FER, AUX TUILERIES, (d'après<br />
une estampe anonyme de l'époque). CETTE COMPOSITION SATIRIQUE REPRÉSENTE ROLAND,<br />
MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, FAISANT OUVRIR PAR GAMAIN, LARMOIRE DE FER, AU FOND DE<br />
LAQUELLE APPARAIT LE SPECTRE DE MlRABEAU.<br />
— Ah ! mon pauvre Gamain, voilà bien<br />
longtemps que nous ne nous sommes vus.<br />
Puis il lui montra une grosse cassette de<br />
fer dont la porte était fermée par une serrure<br />
et une clef qu il fit jouer :<br />
— Tu vois, dit le roi, j'ai exécuté tout cela,<br />
seul, en dix jours.<br />
Au cours de la conversation qui suivit, on<br />
causa des événements, de Versailles; Gamain<br />
parla de la suspicion où on le tenait au club<br />
et il prononça le mot de dévouement.<br />
— J'en étais bien sûr, lui dit Louis XVI ;<br />
j'étais certain de ta fidélité et c'est à elle que je<br />
me confie.<br />
Passant devant, accompagné de Durey, il<br />
conduisit Gamain dans un couloir qui faisait<br />
communiquer la chambre du roi avec celle<br />
du dauphin. Durey éclairait avec une bougie.<br />
Le souverain leva un panneau de la boiserie<br />
qui masquait un trou rond " d'à peu près<br />
deux pieds de diamètre, pratiqué dans le<br />
mur ".<br />
— J'ai aménagé cette cachette pour cacher<br />
I des bijoux, de l'argent et quelques objets<br />
Gamain ayant demandé du plâtre, se mit<br />
à fixer les gonds de la porte ; il fut aidé par le<br />
roi et par Durey. Le travail dura plusieurs<br />
heures et se prolongea assez avant dans la<br />
nuit. Plus tard, Gamain assura qu'il avait vu<br />
Louis XVI compter deux millions en louis<br />
d'or qu'il divisa en quatre sacs et qu'il plaça<br />
dans la cassette où Durey apporta des liasses<br />
de papier.<br />
Jusqu'ici, voici l'histoire telle qu'elle fut<br />
vérifiée, sans incidents et sans rien de bien<br />
extraordinaire. Mais le drame se dessine et le<br />
mystère commence. Sorti des Tuileries,"le<br />
serrurier rentra à Versailles, faisant le chemin<br />
à pied pendant la nuit. Il était malade ; mais il<br />
ne dit à personne la cause de cette maladie<br />
subite. Un médecin de Versailles, M. de Lameiran,<br />
et le chirurgien Voisin, qui soignèrent<br />
Gamain, ont délivré des certificats qui, plus<br />
tard, ont disparu des archives.<br />
A quelle époque et par qui eut lieu cette<br />
suppression ? O.n n'a pu l'établir. Sous la<br />
Restauration, a-t-on écrit. Rien ne le prouve,<br />
ce qui épaissit le mystère et permit des suppo-<br />
sitions qui ne s'appuient sur aucune preuve<br />
Mais suivons les événements.<br />
Le 18 novembre 1792, Gamain, complètement<br />
guéri, vient trouver le ministre de<br />
l'Intérieur Roland et lui apprend l'existence de<br />
la fameuse armoire de fer. Roland se rend aux<br />
Tuileries, mais au lieu de placer sous scellés<br />
les dossiers que contenait la cachette, il les<br />
emporta chez lui dans deux serviettes de<br />
maroquin. Il est certain que Roland expurgea<br />
les papiers, qu'il enleva tout ce qui aurait pu<br />
compromettre la Gironde et, notamment, la<br />
correspondance de Barnave à la reine. Deux<br />
jours après, Roland informa la Convention de<br />
cet évérj^ment, et on nomma une commission<br />
de vingt et un membres.<br />
Les pièces principales des documents recueillis<br />
étaient la correspondance de Louis XVI<br />
avec l'empereur d'Autriche à qui il demandait<br />
aide et protection, et des lettres au roi d'Angleterre<br />
dans le même sens. On retrouva aussi les<br />
lettres de Mirabeau, après que le grand orateur<br />
se fut engagé à soutenir la royauté. Toute la<br />
campagne de propagande royaliste dans les<br />
milieux révolutionnaires fut ainsi connue.<br />
Tout cela fut mis en œuvre dans le procès de<br />
Louis XVI et hâta sa condamnation. Louis XVI,<br />
ne sachant pas que la Convention possédait ces<br />
documents et songeant — a-t-on dit — à ne<br />
pas compromettre ceux qui l'avaient soutenu<br />
et servi, nia et protesta, ce qui, naturellement,<br />
se retourna contre lui.<br />
QUAND au tôle de Gamain, on s'est demandé<br />
pourquoi il avait commis cette dénonciation<br />
qui était une vilaine action, puisqu'il allait<br />
ainsi pousser à l'échafaud Louis XVI qui avait<br />
été toujours très bon pour lui, et avec qui il<br />
avait vécu dans une grande familiarité, durant<br />
les longues heures de travail dans la forge du<br />
château de Versailles. On n'a pu donner aucune<br />
explication. Dans tous les cas, le délateur ne<br />
réclama aucune récompense pour cet acte<br />
sans dignité. Le seul motif plausible, c'est que<br />
les idées révolutionnaires devenant plus vives<br />
à Versailles où le serrurier jouait un petit rôle<br />
comme membre du Conseil général, il devait<br />
être suspect à cause des longues relations qu'on<br />
lui connaissait avec le roi. Pour garder sa réputation<br />
de bon révolutionnaire, il se décida à<br />
livrer son élève au bourreau, autant qu'il le<br />
pouvait, pour faire tomber toutes ces suspicions<br />
et garder sa réputation jacobine.<br />
Notons qu'à ce moment Gamain ne parlait<br />
nullement d'empoisonnement, ce qui aurait<br />
été une explication de son attitude déloyale.<br />
On comprendrait qu'il eût dit : " Le roi a<br />
voulu m'empoisonner, je me vengé en racontant<br />
ce que je sais. " Mais, le 18 novembre 1792,<br />
rien de pareil ; le serrurier garde le silence<br />
sur ce fait. Peut-être n'a-t-il pas encore inventé<br />
la fable invraisemblable dont il se servira plus<br />
tard.<br />
Le 18 novembre 1792, il dénonce, mais se<br />
tait sur les motifs qui le font agir, et ce ne fut<br />
que le 8 floréal, an II (27 avril 1794), qu'il<br />
adressa une pétition à la Convention pour<br />
demander une pension comme victime de<br />
l'ancien roi, qui aurait tenté de l'empoisonner .<br />
" pour supprimer celui qui était dépositaire<br />
du secret de l'armoire de fer ".<br />
Il avait attendu que Louis XVI et Marie-<br />
Antoinette fussent montés sur l'échafaud, pour<br />
invoquer ce grief contre lequel tout proteste.<br />
Gamain, d'ailleurs,, varie dans sa version et<br />
même dans son système insoutenable. Il ment<br />
d'un côté ou de l'autre. Tout d'abord, il<br />
affirma que lorsqu'il eut terminé son travail,<br />
le 12 mai 1792, le roi lui présenta un verre de<br />
vin en lui disant : " Tu es tout en sueur, bois,<br />
tu l'as bien mérité ". Gamain aurait bu et,<br />
sorti des Tuileries, il serait tombé aux Champs-<br />
Elysées en proie à d'affreuses brûlures intérieures.<br />
Un Anglais, qui passait par hasard en<br />
voiture à cette heure tardive, dans ce quartier<br />
désert, l'aurait ramassé, conduit chez un<br />
apothicaire de la rue du Bac qui lui aurait<br />
administré une potion et l'aurait ainsi sauvé.<br />
L'Anglais l'aurait ensuite ramené à Versailles.<br />
C'était sombre et machiné comme un mélodrame.<br />
La Convention adopta cette version, et<br />
sur un rapport de Musset, ancien curé de<br />
Falleron (Vendée), qui avait précisément<br />
épousé la fille d'un serrurier, elle accorda une<br />
pension : Art. I. — François Gamain, empoisonné<br />
par Louis Capet, le 22 mai 1792, jouira<br />
d'une pension annuelle et viagère de 1.200 livres,<br />
à compter du jour de l'empoisonnement.<br />
Quelques mois plus tard, Gamain change<br />
complètement de système ; ce n'est plus le roi,<br />
c'est la reine qui l'a empoisonné.<br />
(Lire la suite page 10, 4' colonne).