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SPECIAL <strong>NOUVELLES</strong> N°1<br />
d’entre eux fut même retrouvé assez tard sous un buisson d’ajoncs de Shooter’s Hill. L’enfant portait la même petite<br />
blessure à la gorge qu’avaient les premières innocentes victimes. Lui aussi, dès qu’il fut en mesure de parler, a dit qu’il<br />
avait été entraîné par la « dame-en-sang ».<br />
Mais « The Westminster Gazette » avait omis de citer mon cas, et pour cause, personne n’avait découvert ma dépouille<br />
mortelle. J’étais là quand une jeune femme vêtue d’un linceul se cacha en compagnie de ce dernier enfant<br />
dans la cabane de berger où je dormais. A l’époque, j’y passais parfois quelques nuits lorsque j’accompagnais mon<br />
troupeau de moutons sur les chemins de la transhumance. La silhouette blanche n’avait pas remarqué ma présence,<br />
trop accaparée par l’attention qu’elle portait au jeune garçon.<br />
Surpris, je regardai d’abord avec curiosité la scène qui se déroulait à quelques mètres de moi. La femme était<br />
penchée sur le chérubin, semblant l’embrasser au niveau de son cou, tandis que celui-ci regardait fixement le toit<br />
de cabanon sans dire un mot. Il était calme. Dehors, on entendait seulement les bêlements de mes bêtes entre deux<br />
cris d’effraie.<br />
Tout à coup, l’enfant se mit à gesticuler en regardant dans ma direction. Il avait probablement dû me repérer. La<br />
demoiselle se releva brusquement et se tourna vers moi. « Ses lèvres étaient écarlates, tout humides de sang frais<br />
dont un filet avait coulé sur son menton et souillé son vêtement immaculé ». Elle écarta ses bras dans un mouvement<br />
plein de grâce et de volupté.<br />
« Venez à moi. J’ai besoin de vous tenir dans mes bras. Venez, ô mon beau pâtre ! Venez donc ! »<br />
Cédant à cette douce voix, je m’approchai d’elle et vins me réfugier sans résistance contre sa poitrine. Alors que le<br />
garçon profitait de l’opportunité qui se présentait à lui pour prendre la poudre d’escampette, je m’abandonnais totalement<br />
au long baiser que la femme me prodigua. La suite, je ne m’en souviens pas vraiment. Je crois alors avoir perdu<br />
connaissance. Je me réveillai quelques nuits plus tard. Quelques nuits dis-je, car j’éprouvais la plus grande difficulté<br />
à exposer mes yeux à la lumière du jour.<br />
Je pris conscience de ma condition de vampire lorsque je voulus me nourrir. Je voulais de la chair fraîche ! Tel un<br />
ogre, je me jetai sur le premier mouton venu pour appliquer mes lèvres contre son oreille afin d’aspirer son cerveau.<br />
Mais je savais déjà que je n’en resterais pas là, qu’il me faudrait toujours plus de proies, humaines de préférence,<br />
bovines en cas de disette.<br />
Après avoir fait le tour du Royaume-Uni, je changeai de contrée et vins m’établir en France, à Paris où je savais<br />
n’avoir que l’embarras du choix pour trouver de nouvelles victimes. En guise de souvenir de mon pays d’origine,<br />
j’emportai dans mes bagages un peu de cette tourbe noire de la lande de Hampstead, lieu de ma résurrection. Sans<br />
savoir pourquoi, je ne peux me reposer pleinement qu’en la sentant à mes cotés, sous mes doigts, ma tête. J’adore son<br />
contact. Sans elle, je sens confusément qu’un péril me guette, invisible mais ô combien dangereux !<br />
Un péril ?<br />
Mon invitée du soir n’a-t-elle justement pas parlé de risques et périls qui me menaçaient ? Ah oui ! C’était à propos<br />
de ce fameux préservatif. En quoi pouvait-il m’être utile ?<br />
Je me tourne de coté, essayant de reprendre le fil de mes rêveries nostalgiques. Mais seule l’inquiétude habite mon<br />
esprit désormais. Je dois en avoir le cœur net. Je me relève et entreprends d’ouvrir le sac à main de la jeune fille où<br />
je pense trouver la réponse à mes attentes, au doute qui me tenaille.<br />
Le sac en toile de jeans présente une multitude de poches où se cachent mouchoirs, papiers divers, crayons, dans<br />
un désordre apparent. En revanche, l’une d’entre-elles ne comporte que des boîtes de médicaments. Je les inspecte<br />
une à une. Toutes présentent des noms compliqués qui ne me rappellent rien de connu et sont remplies de cachets<br />
et gélules multicolores. Je note scrupuleusement les références des produits sur un bloc-notes en prévision de recherches<br />
ultérieures.<br />
Comme la posologie de ces médicaments m’est tout autant étrangère, je remets sagement le tout à sa place et referme<br />
le sac.<br />
Je sais que je ne risque pas grand chose pour avoir échappé dans le passé à de nombreuses embuscades, mais pour<br />
la première fois depuis longtemps, je demeure inquiet. Tout mon corps frissonne et je déteste cette nouvelle sensation.<br />
Un bruit de réveil me ramène à une autre réalité, plus immédiate celle-ci. L’aube approche, je dois me soustraire<br />
aux rayons du soleil. Je laisse une courte missive à mon invitée, lui indiquant en substance que je suis absent pour la<br />
journée et que si elle le souhaite, elle pourra me retrouver un de ces soirs, même endroit, même heure.<br />
Je réintègre ensuite ma cachette secrète, un congélateur ajusté à ma taille : toujours à la bonne température, il<br />
constitue le meilleur des repaires, facilement transportable en cas de danger, personne n’irait songer qu’il abrite un<br />
vampire.<br />
Pourtant le sommeil tarde à venir ce matin.<br />
Je crois que je vais faire des cauchemars…