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Patrick Dupouey, Professeur de Première supérieure au Lycée Saint ...

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Éros et Thanatos forment ainsi un couple harmonieux, pour le plus grand bénéfice <strong>de</strong><br />

la vie elle-même. On sait ce que la poésie, la littérature, l’art et même la philosophie ont tiré<br />

<strong>de</strong> ce thème 14 .<br />

Si j’ai cité Ernest Kahane, Jacques Ruffié et François Jacob (Prix Nobel <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine),<br />

c’est pour montrer que l’idée que se font en général les philosophes <strong>de</strong> la « biologie <strong>de</strong> la<br />

mort » ne repose pas sur leur imagination ou sur leur ignorance. Nous avons été à bonne<br />

école, et il n’est pas étonnant que ces thèmes reviennent régulièrement dans le discours<br />

philosophique. Or, le livre dont j’ai parlé nous invite à reconsidérer ces évi<strong>de</strong>nces 15 .<br />

3. Les thèses <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs <strong>de</strong> la Biologie <strong>de</strong> la mort<br />

A. Critique <strong>de</strong>s « idées générales » concernant la mort<br />

André Klarsfeld et Frédéric Revah font la critique <strong>de</strong> ces idées d’une nécessité et d’une<br />

utilité <strong>de</strong> la mort le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> leur ouvrage. Ils se réfèrent <strong>au</strong> troisième chapitre <strong>de</strong><br />

La formation <strong>de</strong> l'esprit scientifique, où Gaston Bachelard critique « la connaissance<br />

générale comme obstacle à la connaissance scientifique » (Formation, ch. III). « Il y a en<br />

effet une jouissance intellectuelle dangereuse dans une généralisation hâtive et facile » (p.<br />

55). Bachelard accuse les philosophes d’être spécialement enclins à <strong>de</strong> telles<br />

généralisations. à ce passage <strong>de</strong> La formation <strong>de</strong> l'esprit scientifique, où Bachelard prend<br />

justement l’exemple <strong>de</strong> la mort. Parmi les exemples <strong>de</strong> ces « généralités les plus gran<strong>de</strong>s »,<br />

<strong>de</strong> ces « gran<strong>de</strong>s vérités premières » dont raffolent les philosophes, il y a justement l ‘idée<br />

<strong>de</strong> l’universalité <strong>de</strong> la mort. De même qu’on place « A la base <strong>de</strong> la mécanique » un énoncé<br />

général du type « tous les corps tombent », on met « A la base <strong>de</strong> la biologie : tous les êtres<br />

vivants sont mortels » (p. 56). Selon les <strong>au</strong>teurs, une telle affirmation est typique <strong>de</strong> « la<br />

f<strong>au</strong>sse doctrine du général » que dénonce Bachelard. Elle fait obstacle à une interrogation<br />

scientifique du phénomène <strong>de</strong> la mort. Interroger scientifiquement la mort, cela exige <strong>de</strong><br />

cesser <strong>de</strong> la tenir pour une évi<strong>de</strong>nce, <strong>de</strong> cesser, pour parler kantien, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r le jugement<br />

« tous les vivants sont mortels » comme un jugement analytique. Comme si, <strong>au</strong> nombre <strong>de</strong>s<br />

« définitions intangibles » (Bachelard) que toute science est supposée admettre<br />

préalablement, celle <strong>de</strong> la vie incluait pour le biologiste une référence à la mort. La biologie<br />

n’a en vérité <strong>au</strong>cune « définition intangible » <strong>de</strong> la vie. Seule l’investigation <strong>de</strong>s organismes<br />

peut lui apprendre ce qui les fait vivre et pourquoi ils sont sujets à la mort.<br />

Ce refus <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la mort comme une nécessité v<strong>au</strong>t interdiction <strong>de</strong> toute<br />

justification. C’est Bachelard encore qui, cette fois <strong>au</strong> ch. V <strong>de</strong> la Formation, critique la<br />

« connaissance pragmatique », qui cherche partout une utilité. On va tout <strong>de</strong> suite voir<br />

comment cet aspect <strong>de</strong> la critique bachelardienne s’applique à la question <strong>de</strong> la mort, mais<br />

une première manière d’établir l’utilité d’un phénomène, c’est d’en faire la contrepartie<br />

inévitable d’un avantage indiscutable. Bachelard remarque que « Les phénomènes les plus<br />

hostiles à l’homme font souvent l’objet d'une valorisation dont le caractère antithétique<br />

<strong>de</strong>vrait retenir l’attention du psychanalyste ». Par exemple, la mort serait la rançon <strong>de</strong>s<br />

performances <strong>de</strong> la complexité ou <strong>de</strong>s délices <strong>de</strong> la sexualité. Tout se paie 16 !<br />

Contre ces idées reçues, André Klarsfeld et Frédéric Revah exposent les résultats les<br />

plus récents concernant la mort et le vieillissement. C’est avec une gran<strong>de</strong> clarté qu’ils<br />

séparent les conclusions certaines <strong>de</strong>s hypothèses, les résultats établis <strong>de</strong>s spéculations.<br />

B. 3 thèses sur la mort<br />

Je n’<strong>au</strong>rai pas le temps d’exposer tout le contenu du livre, où vous trouverez ample<br />

matière à réflexion. Par exemple <strong>de</strong>s recettes pour vivre plus longtemps, ou pour vieillir en<br />

meilleure santé. Je passerai très rapi<strong>de</strong>ment sur <strong>de</strong>s chapitres très intéressants, comme le<br />

cinquième, qui traite <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> la sénescence ; domaine où prolifère « un<br />

foisonnement <strong>de</strong> théories » (rôle <strong>de</strong>s télomères, métabolisme énergétiques, radic<strong>au</strong>x libres,<br />

etc.). Je ne parlerai pas non plus <strong>de</strong>s chapitres VI et VII, qui traitent <strong>de</strong> la mort cellulaire<br />

programmée (apoptose) et <strong>de</strong>s ses dysfonctionnement. L’intérêt <strong>de</strong> l’ouvrage va <strong>au</strong>-<strong>de</strong>là du<br />

sujet qu’il traite : la mort et le vieillissement. Il offre un large éventail d’exemples pour une<br />

réflexion épistémologique : la méthodologie scientifique, les hypothèses et leur vérification,<br />

obstacles épistémologiques ; on peut même le regar<strong>de</strong>r jusqu’à un certain point comme une<br />

introduction <strong>au</strong>x explications <strong>de</strong> type évolutionniste.<br />

14 Georges Bataille, L'érotisme, Minuit, 1957.<br />

15 François Jacob lui-même – il y a plus <strong>de</strong> vingt ans – mettait d’ailleurs en gar<strong>de</strong> contre certaines interprétations<br />

abusives <strong>de</strong> ces données. Le jeu <strong>de</strong>s possibles (1981) rectifie certaines formulations équivoques <strong>de</strong> La logique<br />

du vivant (1970).<br />

16 Par exemple le be<strong>au</strong> temps hors <strong>de</strong> saison : « On va le payer ! », entend-on <strong>au</strong> café quand le mois <strong>de</strong> février<br />

nous fait ca<strong>de</strong><strong>au</strong> <strong>de</strong> quelque belle semaine <strong>de</strong> douceur ensoleillée.

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