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Patrick Dupouey, Professeur de Première supérieure au Lycée Saint ...

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Je ne retiendrai que les thèmes directement liés <strong>au</strong>x préoccupations <strong>de</strong>s philosophes,<br />

celles que je viens d’évoquer. Voici, sur ces thèmes, les conclusions <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs.<br />

1 e conclusion : le vieillissement pourrait n’être pas la loi universelle du mon<strong>de</strong> vivant.<br />

C’est un étonnement tout aristotélicien qui avait conduit Weismann à se poser la<br />

question du sens biologique <strong>de</strong> la mort :<br />

« Nous ne voyons <strong>au</strong>cunement pourquoi l’aptitu<strong>de</strong> à la multiplication cellulaire ne<br />

s<strong>au</strong>rait être infinie, ce qui permettrait à l’organisme <strong>de</strong> vivre éternellement. De même,<br />

à un point <strong>de</strong> vue purement physiologique, nous ne verrions <strong>au</strong>cune raison pour que<br />

l’organisme ne pût pas, <strong>de</strong> son côté, fonctionner éternellement ». 17<br />

Puisque les vivants sont équipés pour remonter le courant <strong>de</strong> l’entropie croissante,<br />

pourquoi ne sont-ils pas équipés pour le faire plus longtemps, <strong>au</strong>ssi longtemps qu’<strong>au</strong>cun<br />

acci<strong>de</strong>nt mortel ne les frappe ? Pourquoi la nature n’a-t-elle pas généralisé et perfectionné<br />

les mécanismes <strong>de</strong> réparation ? La conservation par réparation d’un organisme existant ne<br />

serait pas un miracle plus étonnant que la formation <strong>de</strong> cet organisme à partir <strong>de</strong> la fusion <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux cellules. S’il y a une fatalité <strong>de</strong> la mort, elle n’est pas nécessairement d’ordre<br />

biologique : « La mort naturelle pourrait bien n’être pas inscrite <strong>de</strong> toute éternité dans la<br />

nature même du vivant » (p. 12) ; vieillissement et mort « ne constituent pas <strong>de</strong>s propriétés<br />

intrinsèques du vivant » (p. 127) ; « la conclusion principale, c’est l’absence <strong>de</strong> fatalité ultime<br />

<strong>de</strong> la mort. […] Il n'existe <strong>au</strong>cune loi <strong>supérieure</strong> qui condamnerait inexorablement tout être<br />

vivant <strong>au</strong> vieillissement et à la mort » (p. 95).<br />

2 e conclusion : les explications <strong>de</strong> la mort qui renvoient à une utilité (pour l’espèce ou<br />

pour la vie en général) relèvent d’une approche finaliste qui ne v<strong>au</strong>t pas davantage pour la<br />

mort que pour n’importe quel <strong>au</strong>tre phénomène biologique. « La mort naturelle n’a pas <strong>de</strong><br />

valeur en soi » (p. 240). En particulier (p. 95), « Il n’y a pas <strong>de</strong> lien obligatoire entre mort et<br />

sexualité, ou entre mort et multicellularité » 18 .<br />

3 e conclusion : vieillissement et mort trouvent pourtant une explication rationnelle dans<br />

les mécanismes darwiniens <strong>de</strong> la sélection naturelle à l’œuvre dans l’évolution générale <strong>de</strong>s<br />

organismes. Cette conclusion est peut-être la plus paradoxale, dans la mesure où la<br />

sélection naturelle est précisément ce qui, dans l’évolution, produit <strong>de</strong> l’adaptation, c’est-àdire<br />

<strong>de</strong> la finalité.<br />

Réintégrer la mort dans un dispositif supposé harmonieux permet <strong>de</strong> rendre à la mort<br />

son caractère acceptable, en lui accordant un rôle dans le vaste mouvement qui emporte la<br />

vie vers la perfection. Mort rassurante, mort consolante. Mais pourquoi f<strong>au</strong>drait-il que la mort<br />

ait un sens et qu'elle s'inscrive dans un plan universel ? « L'homme suinte le projet, dit<br />

François Jacob. Sue le <strong>de</strong>ssein. Pue l'intention. Ne tolère pas la contingence. […] Il verse du<br />

sens sur les événements comme du sel sur les aliments » 19 . La mort n'échappe pas à ce<br />

traitement. Elle offre même <strong>au</strong> désir humain <strong>de</strong> sens son objet privilégié. Il est bien naturel<br />

que nous voulions conférer une signification transcendante à ce que nous regardons comme<br />

l'aspect le moins supportable, le moins acceptable <strong>de</strong> notre condition. Le plus grand <strong>de</strong>s<br />

m<strong>au</strong>x veut la plus énergique <strong>de</strong>s consolations. Eh bien, il f<strong>au</strong>t se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à la<br />

science cette consolation qu'on n'attend plus guère <strong>de</strong> la religion.<br />

4. Critique <strong>de</strong> l’argument d’utilité<br />

A. Circularité <strong>de</strong> l’argument <strong>de</strong> Weismann<br />

Revenons <strong>au</strong> raisonnement <strong>de</strong> Weismann : les organismes s’usant avec le temps et<br />

<strong>de</strong>venant moins performants, il importe à la bonne santé <strong>de</strong> l’espèce qu’un mécanisme les<br />

fasse disparaître la circulation. Le problème, c’est que ce raisonnement est circulaire. Que<br />

les organismes <strong>de</strong>viennent moins performants avec le temps, c’est précisément ce qu’on<br />

veut expliquer, et dont on ne peut donc pas faire un présupposé sans admettre ce qui est<br />

précisément à expliquer. Pourquoi les mécanismes <strong>de</strong> réparation ne sont-ils pas plus<br />

répandus et plus efficaces ? C’est tout le problème.<br />

17 Cité par AK et FR, p. 25.<br />

18 On évoque en effet souvent la thèse <strong>de</strong> l’immortalité cellulaire, défendue par Alexis Carrel en 1912 (année <strong>de</strong><br />

son Prix Nobel) : De la vie permanente <strong>de</strong>s tissus en-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s organismes. Carrel prétend cultiver indéfiniment<br />

<strong>de</strong>s cellules <strong>de</strong> poulet. En effet, ces cellules cardiaques se multiplient pendant 34 ans (bien <strong>au</strong>-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la durée<br />

<strong>de</strong> vie d’un poulet !). L’immortalité cellulaire restera un dogme jusqu’en 1960. Mais il y avait un biais dans la<br />

manip <strong>de</strong> Carrel : il nourrissait ses cellules en culture avec <strong>de</strong> l’extrait liqui<strong>de</strong> d’embryon <strong>de</strong> poulet ; mal purifié,<br />

cet extrait contenait <strong>de</strong>s cellules fraîches. Il y a bien une limite à la division cellulaire. Limite variable en raison <strong>de</strong><br />

la longévité <strong>de</strong> l’organisme, mais plus étroite pour <strong>de</strong>s cellules d’organisme âgé.<br />

19 François Jacob, La statue intérieure, Éditions Odile Jacob, 1987.

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