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Patrick Dupouey, Professeur de Première supérieure au Lycée Saint ...

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« Le vieillissement et la mort qu’il précipite doivent certes êtres considérés<br />

comme <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s processus évolutifs, apparues plus ou moins<br />

tardivement dans l’histoire <strong>de</strong> la vie. Ils ne constituent pas <strong>de</strong>s propriétés<br />

intrinsèques du vivant ».<br />

6. Conclusion : critique <strong>de</strong> la thématique du mystère<br />

J’avais annoncé mon intention <strong>de</strong> revenir sur ce thème rebattu <strong>de</strong> la mort comme<br />

mystère insondable, énigme à jamais indéchiffrable, secret impénétrable. Lieu commun <strong>de</strong><br />

toutes les dissertations philosophiques, Capes et agrégation compris. Pour Lévinas, « La<br />

mort est départ […] dont la <strong>de</strong>stination est inconnue. […] question sans donnée, pur point<br />

d’interrogation » 22 . « Sur la mort, déclarait Jankélévitch, je n'ai <strong>au</strong>cun renseignement » ; « Le<br />

secret est bien gardé », ajoute-t-il dans son grand livre. Il est plus étonnant <strong>de</strong> retrouver ce<br />

thème jusque chez <strong>de</strong>s philosophes se réclamant du matérialisme athée. André Comte-<br />

Sponville, Présentations <strong>de</strong> la philosophie, Albin Michel, p. 39 – 40 :<br />

[…] il n’y a rien, dans la mort, à penser. Qu’est-elle ? Nous ne le savons pas.<br />

Nous ne pouvons le savoir. Ce mystère ultime rend toute notre vie mystérieuse,<br />

comme un chemin dont on ne s<strong>au</strong>rait où il mène, ou plutôt on ne le sait que trop<br />

(à la mort), mais sans savoir pourtant ce qu’il y a <strong>de</strong>rrière – <strong>de</strong>rrière le mot,<br />

<strong>de</strong>rrière la chose –, ni même s’il y a quelque chose.<br />

Je ne suis pas sûr que confronté à la mort, l'homme ait d'emblée éprouvé le sentiment<br />

du mystère, qu'il l'ait d’abord considérée comme un problème à résoudre, et que les<br />

innombrables représentations, croyances, mythes, théories sont <strong>au</strong>tant <strong>de</strong> réponses à cette<br />

interrogation initiale. Je tends plutôt à croire qu’ils se sont imposés d'abord comme <strong>de</strong>s<br />

évi<strong>de</strong>nces allant <strong>de</strong> soi, comme <strong>de</strong> pures affirmations, et que le sentiment d'avoir affaire à un<br />

problème est venu plus tard. Comme je l’ai dit, ethnologie et histoire montrent que la<br />

croyance <strong>au</strong>x esprits, <strong>au</strong>x spectres, <strong>au</strong>x ombres, <strong>au</strong>x fantômes - à toutes les formes <strong>de</strong> ce<br />

qu'Edgar Morin appelle le double - s'impose par-<strong>de</strong>là les frontières culturelles. Cette<br />

universalité suggère un enracinement dans un structure humaine essentielle et peut-être<br />

indépassable. Mais justement pour cette raison, il est peu probable que la question ait été<br />

première : on lui <strong>au</strong>rait trouvé <strong>de</strong>s réponses plus variées. Les croyances humaines se sont<br />

sans doute d'abord constituées comme réponses, bien avant que ne surgissent les questions<br />

correspondant à ces réponses. L'interrogation n'est pas l'attitu<strong>de</strong> première <strong>de</strong> l'homme, parce<br />

que le choix d'interroger traduit un privilège donné à la pensée et qu'avant <strong>de</strong> penser,<br />

l'homme doit vivre. D'abord, <strong>de</strong>s réponses. Pour les questions, on verra plus tard. C'est la<br />

bouta<strong>de</strong> <strong>de</strong> Woody Allen : « La réponse est oui, mais quelle est la question ? ».<br />

Les questions surgissent quand les réponses jamais questionnées commencent à faire<br />

problème, parce que les représentations <strong>au</strong>xquelles elles s'adossaient ne vont plus <strong>de</strong> soi.<br />

La mort n'a probablement acquis la dignité d'un problème (plus ou moins angoissant)<br />

qu'assez tardivement, <strong>au</strong> moment où il est <strong>de</strong>venu impossible <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r les anciennes<br />

certitu<strong>de</strong>s comme "naturelles" et frappées du sce<strong>au</strong> <strong>de</strong> l'évi<strong>de</strong>nce. De même qu'il ne peut y<br />

avoir <strong>de</strong> «problème <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong> Dieu» <strong>au</strong>ssi longtemps que les représentations<br />

religieuses s'imposent comme <strong>de</strong>s données "naturelles", immanentes à la vie sociale et<br />

intégrées <strong>au</strong>x pratiques quotidiennes. La possibilité <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> "la religion" en général,<br />

comme d'un phénomène culturel parmi d'<strong>au</strong>tres (la science, l'art, la philosophie...), est issue<br />

d'une situation historique particulière, qui a contribué à isoler le religieux en tant que tel et à<br />

le démarquer du profane. Certaines cultures, où le religieux tient une gran<strong>de</strong> place, et<br />

précisément à c<strong>au</strong>se <strong>de</strong> cela, ne pensent pas la religion en tant que telle.<br />

Le thème <strong>de</strong> la mort-mystère est un thème idéologique, qu’il est urgent <strong>de</strong> critiquer.<br />

Comme je l’ai dit, nous avons affaire, avec la mort, à un phénomène naturel. Bien entendu,<br />

je ne veux pas exclure a priori qu’il puisse revêtir une signification surnaturelle, comme<br />

n’importe quel <strong>au</strong>tre : la vie, l’amour, la naissance, le langage, la religion. Concernant par<br />

exemple l’amour, personne n’affirme – pour cette raison qu’il pourrait avoir une signification<br />

surnaturelle – qu’on n’en peut rien connaître et que psychologie, psychanalyse,<br />

neurosciences, sociologie ou que sais-je encore ‘<strong>au</strong>raient pas leur mot à dire. On s’enferme<br />

a priori dans un cercle si l’on déduit la signification surnaturelle <strong>de</strong> la mort du fait que nous<br />

sommes dans l’impossibilité <strong>de</strong> rien connaître du phénomène. Par quelle raison<br />

extraordinaire expliquerait-on que sur ce phénomène, et seulement sur celui-là, l'esprit<br />

humain avait – <strong>de</strong>s siècles durant – œuvré en pure perte, usant en vain ses griffes sur la<br />

porte qui nous sépare <strong>de</strong> l'absolument <strong>au</strong>tre, du radicalement étranger ?<br />

22 Dieu, la mort et le temps, cours <strong>de</strong> Sorbonne, 1975 – 1976, Le livre <strong>de</strong> poche, Biblio-Essais, 1993, p. 23.

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