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Patrick Dupouey, Professeur de Première supérieure au Lycée Saint ...

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B. Absence <strong>de</strong> mécanisme pl<strong>au</strong>sible<br />

Ce n'est pas tout. À supposer que la sélection naturelle soit effectivement le principe<br />

<strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s vivants – il n'existe en effet pour l'instant <strong>au</strong>cune <strong>au</strong>tre hypothèse – encore<br />

f<strong>au</strong>t-il savoir ce qu'elle peut et comment elle agit. Admettons que la sexualité et la mort aient<br />

été sélectionnées pour leur aptitu<strong>de</strong> à favoriser la bonne santé <strong>de</strong>s espèces. Il f<strong>au</strong>drait pour<br />

cela que la sélection naturelle connaisse à l’avance ce qui est bon pour l'espèce, ou pour la<br />

vie en général. Or, la sélection naturelle n’a <strong>au</strong>cun pouvoir <strong>de</strong> prévision. Elle ne peut exercer<br />

son action sur <strong>au</strong>tre chose que <strong>de</strong>s organismes individuels, et sur les caractères – plus ou<br />

moins avantageux ou désavantageux – qu’ils possè<strong>de</strong>nt <strong>au</strong> moment présent. Elle ne connaît<br />

que les avantages immédiat, et non futurs. De plus, elle ignore l’intérêt <strong>de</strong> l’espèce. Seraientils<br />

riches <strong>de</strong> promesses pour l'espèce, voire pour la vie en tant que telle, le mo<strong>de</strong> sexué <strong>de</strong><br />

reproduction, le vieillissement et la mort n'ont pu être promus par la sélection naturelle qu'à<br />

la condition <strong>de</strong> conférer sans délai à <strong>de</strong>s organismes singuliers un avantage déterminé. On<br />

voit mal comment. C'est renverser l'ordre naturel <strong>de</strong> la c<strong>au</strong>salité que <strong>de</strong> supposer la sélection<br />

capable <strong>de</strong> repérer un caractère potentiellement (et non actuellement) avantageux.<br />

Vieillissement et mort pourraient être <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong> l’évolution si celle-ci était<br />

gouvernée par une provi<strong>de</strong>nce bienveillante, un « <strong>de</strong>ssein intelligent ». C’est ce que pensait<br />

par exemple Linné <strong>au</strong> XVIII e siècle : Dieu a prévu les prédateurs pour limiter l’expansion <strong>de</strong>s<br />

espèces herbivores, les charognards et les larves d’insectes pour dévorer les cadavres 20 .<br />

Supposer que l’évolution par sélection naturelle ait pu produire le vieillissement et la<br />

mort, c’est tomber dans une erreur assez fréquente <strong>au</strong> sujet du darwinisme. Pour<br />

comprendre cette erreur, il f<strong>au</strong>t revenir à la théorie elle-même et à son principe.<br />

C. Évolution darwinienne et finalité<br />

Se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle pourrait être la fonction du vieillissement et <strong>de</strong> la mort, est-ce<br />

après tout une bonne question ? La question : « À quoi ça sert ? » est une question finaliste,<br />

et chacun sait que la science mo<strong>de</strong>rne a renoncé à toute explication par les c<strong>au</strong>ses finales.<br />

Si vous voulez faire pousser <strong>de</strong>s cris à un prof <strong>de</strong> SVT, vous n’avez qu’à lui dire que les<br />

oise<strong>au</strong>x ont <strong>de</strong>s ailes pour voler et que nous avons <strong>de</strong>s yeux pour voir. Ou encore que<br />

l’évolution a parcouru tout son chemin durant <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> millions d’années pour<br />

aboutir à l’homme. Il vous rétorquera que les oise<strong>au</strong>x volent parce qu’ils ont <strong>de</strong>s ailes et que<br />

nous voyons parce que nous avons <strong>de</strong>s yeux. Et que l’homme existe parce que l’évolution a<br />

suivi par hasard tel chemin, assez tortueux et chaotique ; mais que ce chemin <strong>au</strong>rait pu être<br />

différent et l’homme ne pas exister. Et il ajoutera que seuls les créationnistes, les défenseurs<br />

<strong>de</strong> l’Intelligent Design continuent <strong>de</strong> parler en termes <strong>de</strong> finalité.<br />

Et pourtant, il est toujours pertinent, pour ces objets un peu particuliers que sont les<br />

êtres vivants, <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à quoi ça leur sert d’avoir telle ou telle propriété. Pourquoi estce<br />

pertinent ? On sait que la théorie darwinienne <strong>de</strong> l’évolution résout le problème <strong>de</strong> la<br />

finalité dans le vivant en supposant, à l’origine <strong>de</strong> l’adaptation, un mécanisme aveugle <strong>de</strong><br />

sélection naturelle travaillant sur <strong>de</strong>s variations aléatoires. Darwin remplit le programme du<br />

« Newton du brin d’herbe », que Kant avait jugé absolument hors <strong>de</strong> portée <strong>de</strong> la science<br />

(CFJ, § 75). Une évolution sans projet produit <strong>de</strong>s êtres constitués comme si un projet avait<br />

guidé leur conception et leur réalisation. On peut même dire que l’apport majeur <strong>de</strong> Darwin<br />

est d’avoir résolu l’énigme <strong>de</strong> la finalité. François Jacob :<br />

Ce qu'a montré Darwin avec la sélection naturelle, c'est la possibilité <strong>de</strong> remplacer<br />

l'intention, le <strong>de</strong>ssein qui semble gui<strong>de</strong>r l'évolution du mon<strong>de</strong> vivant, par un système <strong>de</strong><br />

c<strong>au</strong>salité physique. Un mécanisme, simple dans son principe, permet <strong>de</strong> simuler les actions<br />

qu'une volonté dirige vers un but. But et volonté signifient qu'une intention précè<strong>de</strong> l'action ;<br />

qu'un projet d'adaptation préexiste à la réalisation <strong>de</strong>s structures. La théorie <strong>de</strong> la sélection<br />

naturelle consiste très précisément à retourner cette proposition. Les structures se forment<br />

d'abord. Ensuite elles sont triées par les exigences <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la reproduction. Ne peuvent<br />

persister que celles accordées à leur milieu. C'est <strong>de</strong> ce renversement, <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong><br />

révolution copernicienne que vient l'importance <strong>de</strong> Darwin pour notre représentation <strong>de</strong><br />

l'univers et <strong>de</strong> son histoire. En théorie, toute séquence d'événements qui, a posteriori, paraît<br />

orientée vers un but peut être expliquée par un mécanisme physique, par une série d'essais avec<br />

élimination <strong>de</strong>s erreurs. […]<br />

20 En dépit <strong>de</strong> son athéisme, Sa<strong>de</strong> ne donne guère <strong>de</strong> la mort une image très différente. Cherchant à justifier un<br />

droit à infliger la mort, Sa<strong>de</strong> prétend le fon<strong>de</strong>r dans la nécessité où est la nature d’exterminer les êtres pour<br />

relancer ses propres productions. En nous tuant, la nature « nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser<br />

longtemps ce peu <strong>de</strong> matière qu’elle nous prête […] elle en a besoin pour d’<strong>au</strong>tres formes, elle la re<strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

pour d’<strong>au</strong>tres ouvrages ». Il est difficile d’évaluer ce que ce discours téléologique, qui cohabite chez Sa<strong>de</strong> avec<br />

un athéisme virulent, a <strong>de</strong> métaphorique.

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