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Comprendre la kabbale

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<strong>Comprendre</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

De Rabbi Siméon bar Yochaï<br />

(2 e siècle) à Madonna (21 e siècle)<br />

© Groupe Eyrolles, 2006<br />

ISBN 2-7081-3676-3<br />

Quentin Ludwig


© Eyrolles Pratique<br />

Qu’étudie <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> ?<br />

Le but de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, nous l’avons dit, est double. D’abord mystique<br />

(c’est-à-dire l’approche de Dieu, l’union mystique avec Dieu, <strong>la</strong><br />

dévékouth) et ensuite ésotérique (c’est-à-dire <strong>la</strong> découverte des<br />

secrets cachés concernant <strong>la</strong> divinité dans ses re<strong>la</strong>tions avec<br />

l’homme). Quels sont ces secrets cachés ? Sur quoi portent-ils ? Selon<br />

<strong>la</strong> période historique, l’étude de ces secrets peut se canaliser sur des<br />

sujets particuliers mais, en règle générale, l’élucidation des secrets<br />

concerne les grands thèmes c<strong>la</strong>ssiques que sont <strong>la</strong> création du<br />

monde, les récits bibliques, les commandements de Dieu (les<br />

mitsvoth), les interdits de <strong>la</strong> religion juive, les raisons des règles<br />

liturgiques, l’élucidation des lois juives (ha<strong>la</strong>kha), l’exil des juifs et,<br />

enfin, les fins dernières (eschatologie). On voit ainsi qu’aucun sujet<br />

de <strong>la</strong> vie juive n’échappe réellement à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>. Nous verrons par <strong>la</strong><br />

suite que les grands ouvrages de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> sont quasi tous des<br />

commentaires des ouvrages bibliques (le Pentateuque, le Cantique<br />

des Cantiques, les Psaumes, Ruth, le prophète Ézéchiel) ; c’est <strong>la</strong><br />

raison pour <strong>la</strong>quelle avant de s’attaquer à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, il est nécessaire<br />

de bien connaître ces textes bibliques et d’être imprégné de leur sens<br />

obvie, c’est-à-dire commun. Dans un autre domaine, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> est<br />

sans doute <strong>la</strong> seule « théologie » à proposer une explication intéressante<br />

(et religieusement p<strong>la</strong>usible) à l’exil du peuple juif ; elle seule<br />

aussi donne des justifications aux différentes transgressions de <strong>la</strong><br />

Loi juive, ces transgressions (nous verrons plus loin comment)<br />

s’approprient et réduisent les forces du mal. C’est en partie ce<strong>la</strong> qui<br />

a expliqué <strong>la</strong> <strong>la</strong>rge adhésion du peuple juif à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> et son énorme<br />

pouvoir de rassemblement des masses. Sans se tromper, on peut<br />

27


28<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

affirmer que <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> possède un réel pouvoir politique mais que <strong>la</strong><br />

politique n’est pas de son domaine. On ne peut donc que regretter<br />

que certains « kabbalistes » actuels s’associent en Israël à un parti<br />

politique et mêlent sans vergogne mysticisme, <strong>kabbale</strong> magique et<br />

politique.<br />

Mais <strong>la</strong> plus grande gloire de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> est d’avoir fait comprendre<br />

aux juifs que Dieu a besoin des hommes. Il ne s’agit pas ici d’une<br />

quelconque « complicité » de l’homme avec Dieu, comme elle peut se<br />

rencontrer dans le judaïsme rabbinique, d’un homme co-créateur<br />

avec Dieu, mais d’un besoin réel de l’homme pour <strong>la</strong> divinité, d’un<br />

appel au secours de <strong>la</strong> divinité, appel auquel seul l’homme peut<br />

répondre. Bien entendu, certains penseurs ont déjà dit, sous forme<br />

de boutade, que Dieu a besoin des hommes car que ferait-il sans eux,<br />

qui le glorifierait ? Mais ici, il ne s’agit pas d’un besoin narcissique de<br />

<strong>la</strong> divinité mais d’un besoin quasi vital (si je puis m’exprimer ainsi)<br />

car seule l’intervention de l’homme permettra à <strong>la</strong> divinité de<br />

retrouver son Unicité perdue en unissant <strong>la</strong> Chekhinah (<strong>la</strong> part<br />

féminine de Dieu) à Ein Sof (le Dieu-infini, inconnaissable, hors de<br />

l’entendement humain). Aucun monothéisme n’est allé aussi loin.<br />

Dans l’Antiquité, bien des hommes ont quitté leur Dieu car il ne leur<br />

donnait pas « satisfaction » et optaient pour une autre monolâtrie<br />

(dans <strong>la</strong> monolâtrie, les Dieu sont interchangeables mais on choisit<br />

de n’en adorer qu’un seul ; ainsi est né le monothéisme). À l’époque<br />

actuelle, bien des hommes quittent, pour <strong>la</strong> même raison, une<br />

religion pour une autre, tout en gardant généralement le même Dieu.<br />

Mais dans ce cas, c’est l’homme qui manifeste son besoin de Dieu et<br />

non l’inverse. Avec <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, l’homme humilié (expulsé, insulté,<br />

torturé) sort grandi non seulement par rapport aux événements mais<br />

aussi par rapport à son Dieu. Il n’est donc guère étonnant qu’aujourd’hui<br />

des hommes en quête d’une spiritualité entrent dans le<br />

bouddhisme puis le quittent pour <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> car, comme dans le<br />

bouddhisme, le génie inventif de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> est incroyable et offre à<br />

chacun <strong>la</strong> possibilité de trouver son chemin dans <strong>la</strong> spiritualité. Ainsi,<br />

à <strong>la</strong> « double vérité » des bouddhistes (vérité conventionnelle et<br />

vérité ultime) qui permet toutes les interprétations (y compris <strong>la</strong><br />

© Eyrolles Pratique


© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Savant juif étudiant l’astrologie<br />

L’astrologie a été dès les premiers<br />

siècles une partie importante, et<br />

encore méconnue, de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>.<br />

Un spécialiste de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>,<br />

Moshé Idel, n’hésite pas à écrire<br />

aujourd’hui qu’ « il m’est apparu<br />

avec une netteté croissante que<br />

<strong>la</strong> compréhension de certaines<br />

formes de messianisme avait<br />

beaucoup à gagner de l’étude du<br />

modèle talismanique et de<br />

certaines formes d’astrologie » 1a.<br />

logique du tétralemme), on pourrait opposer l’interprétation ésotérique<br />

de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> (le sod) qui permet — par le truchement de l’analyse<br />

fine assistée par <strong>la</strong> guématria (calcul sur les mots) et <strong>la</strong><br />

témourah (permutation des lettres) toutes les interprétations. Dans<br />

<strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, comme dans le bouddhisme, rien n’est fondamentalement<br />

faux mais, sur terre, rien n’est fondalement vrai non plus, pas<br />

même <strong>la</strong> Thora qui à <strong>la</strong> fin des temps sera lue tout autrement.<br />

Comme le bouddhisme, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> apporte à l’homme un supplément<br />

de spiritualité susceptible de combler aussi bien les intellectuels<br />

que les gens simples (dans le hassidisme). Mais, ainsi que nous<br />

l’avons dit, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> apporte à l’homme ce qu’aucune autre spiri-<br />

29


30<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

tualité ou religion ne lui annonce : un rôle majeur dans le destin de<br />

<strong>la</strong> divinité. L’homme n’est plus seulement co-créateur avec Dieu, il<br />

est une étincelle de Dieu qui participe à son destin. Dieu a besoin de<br />

l’homme, le kabbaliste le sait et sait comment remplir son rôle sur<br />

terre pour se sauver et sauver son Dieu de <strong>la</strong> dés-union divine (le Dieu<br />

infini, Ein Sof, est séparé de sa part féminine, dont <strong>la</strong> présence<br />

accompagne l’homme dans son exil, conséquence du péché d’Adam<br />

et d’Ève). L’Exil prend un sens. L’accompagnement de <strong>la</strong> présence de<br />

Dieu dans l’Exil (<strong>la</strong> Chekhinah) prend un sens. La vie prend un sens.<br />

L’observation des commandements prend un sens. Qui s’étonnera<br />

qu’avec un tel programme <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> ait fasciné les hommes ? Bien<br />

entendu, nous reviendrons sur ces différentes notions dans le<br />

courant de ce texte en tentant de les expliciter le mieux possible<br />

mais, ainsi que le lecteur a pu s’en apercevoir, les notions sont<br />

denses et ne se <strong>la</strong>issent pas enfermer dans quelques mots.<br />

ÉSOTÉRISME/EXOTÉRISME<br />

La notion d’exotérisme et son pendant, l’ésotérisme, apparaissent<br />

régulièrement dans les textes lorsqu’il s’agit de religion. Il convient<br />

d’en faire, dès maintenant, <strong>la</strong> distinction de manière à ne plus devoir<br />

revenir sur ce sujet. Par exotérisme, on entend toutes les doctrines et<br />

les enseignements de <strong>la</strong> religion tels qu’ils sont divulgués à l’ensemble<br />

des pratiquants. Le sens exotérique d’un texte, c’est son sens obvie,<br />

son sens commun ; le sens qui apparaît à quiconque maîtrise <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue<br />

du texte. Par ésotérisme, on entend les enseignements oraux qui ne<br />

sont divulgués qu’à certains initiés. L’ésotérisme s’accompagne également<br />

de rites et de croyances magiques auxquels n’accèdent que les<br />

initiés selon leur degré de connaissance. Les initiés forment souvent<br />

des « confréries » et respectent le secret des choses révélées (c’est <strong>la</strong><br />

loi de l’arcane). Ces notions existent dans toutes les religions et se<br />

constituent parfois en un courant religieux comme, par exemple, <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong> chez les juifs (mais, nous le verrons, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> n’est pas<br />

.../...<br />

© Eyrolles Pratique


© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

uniquement un courant ésotérique). Pour accéder au sens ésotérique,<br />

non obvie, des textes et des gestes liturgiques, le croyant doit non<br />

seulement prendre un maître (ou s’affilier à une corporation dont il<br />

respectera <strong>la</strong> règle du secret, <strong>la</strong> règle de l’arcane) mais doit également<br />

s’astreindre à apprendre et utiliser diverses méthodes lui permettant<br />

d’accéder au secret. Il est à noter que dans <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, même si de<br />

nombreux textes ont été écrits, on sait que les techniques physiques<br />

permettant de parvenir à l’extase, à l’union mystique avec Dieu (<strong>la</strong><br />

dévékouth des kabbalistes) n’ont été révélées que de manière orale. Au<br />

sujet de l’arcane, il est dit dans le Talmud : « On ne doit pas interpréter<br />

les chapitres concernant les re<strong>la</strong>tions sexuelles interdites devant trois<br />

personnes, ni le récit de <strong>la</strong> Création devant deux personnes, ni le récit<br />

qui a trait au Char céleste devant une seule personne, à moins qu’il ne<br />

s’agisse d’un sage capable de comprendre par lui-même 2.<br />

Un versant mystique<br />

et un versant pratique<br />

La Kabbale est en réalité composée de plusieurs disciplines et phénomènes<br />

religieux qui s’enchevêtrent et se fortifient : <strong>la</strong> mystique, <strong>la</strong><br />

théosophie, <strong>la</strong> magie, <strong>la</strong> cosmologie, l’angéologie, <strong>la</strong> démonologie,<br />

l’astrologie, <strong>la</strong> chiromancie, etc. Pour plus de c<strong>la</strong>rté, on pourrait<br />

diviser <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> en un versant mystique, en un versant pratique et<br />

en un versant magique. Le versant mystique cherche tous les<br />

moyens pour communier de manière plus intuitive avec Dieu, pour<br />

participer plus « physiquement » au divin. Il cherche à dévoiler les<br />

mystères de <strong>la</strong> vie cachée de Dieu (ce qu’on appelle théosophie) et<br />

ses rapports avec l’homme. Toutes les spécu<strong>la</strong>tions sont imaginées<br />

et d’audacieuses constructions intellectuelles prennent corps. Ces<br />

spécu<strong>la</strong>tions assimilent également des traditions ésotériques d’origine<br />

étrangère (perses, grecques, etc.). Le versant mystique ne se<br />

31


32<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

communique que sous forme de symboles et de métaphores. Le<br />

versant pratique comprend les rites d’initiation, <strong>la</strong> cosmologie, <strong>la</strong><br />

chiromancie, <strong>la</strong> guématria (numérologie, manipu<strong>la</strong>tion des noms<br />

divins, combinaisons magiques de lettres), etc. L’étape ultime du<br />

versant pratique est <strong>la</strong> magie (incantation, amulettes, talismans,<br />

etc.), <strong>la</strong>quelle permet de pratiquer des prodiges dont le plus extraordinaire<br />

est de donner corps à un être inanimé, le golem, en lui inscrivant<br />

sur le front le tétragramme divin. La magie, c’est aussi l’utilisation<br />

des Noms de Dieu, l’astrologie, etc. Tout un pan de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

qui attire énormément les foules mais se révèle, comme toujours<br />

dans ce cas, une mystification des crédules. À titre anecdotique,<br />

signalons qu’Abou<strong>la</strong>fia (1240-1291), l’un des grands mystiques et<br />

fondateur de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> prophétique (voir page 33), prétendait que<br />

c’était en utilisant une formule magique qu’il avait tué le pape<br />

Nico<strong>la</strong>s III qui refusait de le recevoir. Pour Henri At<strong>la</strong>n, « il existe un<br />

kabbalisme de pacotille comme il existe un cheap Buddhism où<br />

l’exotisme du vocabu<strong>la</strong>ire tente vainement de masquer le vide de <strong>la</strong><br />

pensée ». Notons cependant qu’un kabbaliste universitaire, Moshé<br />

Idel, de grande érudition, prétend qu’on n’a pas réservé jusqu’à<br />

présent à <strong>la</strong> magie <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu’elle devrait occuper dans l’étude de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>. Le versant pratique ne se communique qu’aux personnes<br />

qui ont l’autorisation d’être initiées, c’est-à-dire à une infime partie<br />

de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Signalons que certaines personnes ont suggéré<br />

qu’Itzhak Rabin a pu être tué en utilisant des incantations magiques<br />

(en particulier celle nommée poulsa di-noura, « le fouet de feu »). On<br />

le sait, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> fait aujourd’hui malheureusement partie du<br />

paysage politique d’Israël mais tous les vrais kabbalistes (c’est-à-dire<br />

les « sages » qui consacrent leur vie à son étude) déplorent ce<br />

« kabbalisme de pacotille ».<br />

© Eyrolles Pratique


© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Les trois types de <strong>kabbale</strong>s<br />

Kabbale théosophique<br />

C’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui s’intéresse principalement à l’explication des<br />

mystères de <strong>la</strong> vie cachée de Dieu et de ses re<strong>la</strong>tions avec l’homme.<br />

C’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui décrit les différentes étapes de <strong>la</strong> création, les<br />

émanations divines (séfiroth), les obligations de l’homme envers son<br />

créateur (mitsvoth), etc. Le premier ouvrage de <strong>kabbale</strong> théosophique<br />

est le Sefer ha-Bahir, lequel met en p<strong>la</strong>ce les éléments qui seront<br />

développés plus tard (organisation des séfiroth, angéologie,<br />

Chekhinah, etc.). L’ouvrage de base de cette <strong>kabbale</strong> est le Zohar (écrit<br />

par Moïse de Léon, 13e siècle). Le personnage emblématique de cette<br />

<strong>kabbale</strong> est Issac Louria, lequel a imaginé un système complet<br />

associant Dieu et ses créatures ; du retrait de Dieu de « Lui-même en<br />

Lui-même », jusqu’aux obligations de l’homme envers le créateur.<br />

Kabbale extatique (ou prophétique)<br />

C’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui s’intéresse principalement aux moyens dont<br />

dispose l’homme pour parvenir à l’union mystique avec Dieu<br />

(dévékouth). Pour parvenir à l’extase, le mystique doit s’exercer et<br />

beaucoup « pratiquer » des exercices physiques (basés sur <strong>la</strong> respiration,<br />

l’ascèse, etc.) et des exercices spirituels. Le premier ouvrage de<br />

Kabbale extatique est le Sefer Yetsira, lequel explique que le monde est<br />

construit sur les 22 consonnes hébraïques. Le personnage emblématique<br />

de cette <strong>kabbale</strong> est Abraham Abou<strong>la</strong>fia, qui se prétendait Messie<br />

et a commencé sa quête mystique en étudiant le Sefer Yetsira.<br />

Kabbale magique<br />

C’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> <strong>la</strong> plus répandue. Elle s’intéresse aux divers moyens<br />

magiques pour parvenir à connaître Dieu, s’attacher ses bontés et<br />

réaliser des miracles. Cette <strong>kabbale</strong> est déjà ébauchée dans le Sefer<br />

Yetsira mais a été fortement développée par <strong>la</strong> suite par de nombreux<br />

kabbalistes surtout parmi les hassidim. Signalons le tsaddiq capable<br />

d’accomplir des miracles, les amulettes protectrice, les talismans<br />

magiques, l’utilisation des Noms de Dieu pour réaliser les miracles, etc.<br />

33


34<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Aleph<br />

L’aleph est <strong>la</strong> première lettre de<br />

l’alphabet hébraïque et le symbole de<br />

l’unité des dix séfiroth. Dans cette illustration<br />

anthropomorphique, l’Un est<br />

représenté par <strong>la</strong> lette aleph dont les<br />

branches horizontales figurent Ses<br />

mains et les branches verticales Ses<br />

pieds. On sait que les kabbalistes se sont<br />

fortement intéressés non seulement aux<br />

différents mondes et « Pa<strong>la</strong>is » divins<br />

mais aussi à <strong>la</strong> mesure du corps de Dieu.<br />

De nombreux ouvrages anonymes ou<br />

non furent consacrés à ce sujet. L’un<br />

d’eux, le Chiour Qomah (La mesure du<br />

corps) est le plus important corpus de textes anonymes mystiques précédant <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>. Dans le Zohar, il est raconté qu’au moment où Dieu décida de créer le<br />

monde à partir du chaos, toutes les lettres se présentèrent devant Lui mais étrangement<br />

<strong>la</strong> lettre aleph restait à l’écart. Dieu lui demanda pourquoi elle ne paraissait<br />

pas devant Lui. Elle répondit que dans un monde où tout est dualité, il n’y a<br />

pas de p<strong>la</strong>ce pour le nombre 1 (cette lettre ayant en effet <strong>la</strong> valeur de 1). Dieu lui<br />

répondit : « Je suis Un, comme tu es un ; aussi le commandement “Je suis ton<br />

Dieu” (Anochi ) commencera par <strong>la</strong> lettre aleph ». Cette illustration a été reproduite<br />

d’après un dessin du célèbre ouvrage du kabbaliste Moïse Cordovero,<br />

Pardès Rimonim (Le jardin des grenades), publié à Cracovie en 1592.<br />

La <strong>kabbale</strong> est-elle uniforme ?<br />

Non, et il faut insister sur ce point : il existe presque autant de<br />

doctrines kabbalistiques qu’il existe de kabbalistes. Nous l’avons<br />

déjà dit, il n’y a pas de dogme dans <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>. En effet, chacun peut,<br />

selon ses connaissances et son degré d’intelligence, donner libre<br />

cours à son imagination. Aucun texte ne canalise le kabbaliste car<br />

tout peut (et doit) être interprété pour trouver le sens caché, ésotérique,<br />

des textes. Ce que nous appellerions aujourd’hui pudiquement<br />

« manipu<strong>la</strong>tion de textes et d’auteurs » est pour le kabbaliste un<br />

devoir auquel il se livre dans <strong>la</strong> plus grande transparence, assuré de<br />

© Eyrolles Pratique


© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

son éthique par rapport au texte et du bien-fondé de sa démarche.<br />

Puisque <strong>la</strong> très grande majorité des textes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, encore à<br />

l’état de manuscrits, sont à explorer, il est c<strong>la</strong>ir que nous découvrirons<br />

encore d’autres modes de pensée et, qui sait, peut-être même<br />

d’autres systèmes de pensée (par système de pensée, j’entends une<br />

organisation complète de <strong>la</strong> pensée autour d’axiomes de base<br />

comme, par exemple, les émanations de Dieu [séfiroth, voir page 73]<br />

ou le retrait de Dieu de Lui-même en Lui-même (tsimtsoum, voir<br />

page 90).<br />

Une <strong>kabbale</strong> venue d’ailleurs ?<br />

Pour les spécialistes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, il est c<strong>la</strong>ir que celle-ci possède des<br />

éléments non juifs et a été influencée par divers courants religieux.<br />

On y trouve, en effet, des éléments d’origine perse (provenant de <strong>la</strong><br />

religion zoroastrienne), des éléments grecs (Philon, P<strong>la</strong>ton, etc.),<br />

babyloniens, gnostiques, arabes même (certaines sectes musulmanes<br />

insistent sur le sens allégorique, mystique, ésotérique du<br />

Coran – mais ce n’est pas le lieu d’en parler). Ainsi, les nombreux<br />

anges et démons auraient leurs noms dérivés de l’angéologie et de <strong>la</strong><br />

démonologie perses (pour ne donner qu’un exemple, Metatron est<br />

rattaché à Mithra). La théorie des émanations (séfiroth), base de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>, se retrouve déjà dans <strong>la</strong> religion des Perses ainsi que, plus<br />

tard, dans le néo-p<strong>la</strong>tonisme. Mieux encore, « une liturgie de Mithra<br />

(...) présente, dit-on, beaucoup de traits correspondants avec <strong>la</strong><br />

mystique des Heikhaloth » 3, c’est-à-dire <strong>la</strong> mystique des « Pa<strong>la</strong>is »<br />

divins (voir page 39). Enfin, si l’on compare <strong>la</strong> naissance de <strong>la</strong><br />

mystique juive (<strong>kabbale</strong>) dans le Languedoc avec celle de <strong>la</strong> mystique<br />

provençale (catharisme), on ne peut qu’être intrigué par l’apparition<br />

quasi simultanée de certains concepts nouveaux (comme, par<br />

exemple, <strong>la</strong> transmigration ou réincarnation ou gilgoul des âmes)<br />

dans les deux courants religieux. On peut donc penser que, comme<br />

pour les découvertes scientifiques, il y a des moments privilégiés où<br />

35


36<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

les idées sont mûres pour apparaître presque simultanément en<br />

plusieurs endroits. C’est ainsi que <strong>la</strong> diffusion du Zohar fut contemporaine<br />

de <strong>la</strong> diffusion des écrits du mystique allemand Maître<br />

Eckhart (1260-1329) et que <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> espagnole fut contemporaine<br />

de <strong>la</strong> mystique hispano-chrétienne (saint Jean de <strong>la</strong> Croix, 1542-1591 ;<br />

Thérèse d’Avi<strong>la</strong>, 1515-1582).<br />

Un intérêt croissant pour <strong>la</strong> mystique<br />

Comme on peut déjà s’en apercevoir, l’ésotérisme juif n’est pas un<br />

mouvement marginal (nous en discuterons plus loin) car, pendant<br />

plus de deux siècles, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a été <strong>la</strong> théologie « officielle » du<br />

peuple juif. D’ailleurs, l’ouvrage de <strong>kabbale</strong> le plus connu, le Zohar<br />

(ou Livre de <strong>la</strong> Splendeur) a été incorporé dans le corpus des livres<br />

canoniques du judaïsme, à côté de <strong>la</strong> Bible et du Talmud. Cependant,<br />

du fait du secret attaché à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, les principaux ouvrages (Sefer<br />

Yetsira, Sefer ha-Bahir, Zohar) n’ont pas eu immédiatement une<br />

grande influence sur <strong>la</strong> culture juive. Ce n’est qu’à partir du Moyen<br />

Âge (et plus exactement après l’expulsion des Juifs d’Espagne) que <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong> a réellement occupé une p<strong>la</strong>ce importante (sinon essentielle)<br />

dans <strong>la</strong> vie juive. Par <strong>la</strong> suite, à cause de diverses circonstances particulières<br />

(dont <strong>la</strong> déconvenue du « faux » messie Sabbataï Tsevi), elle<br />

a été quelque peu effacée de <strong>la</strong> vie juive bien que de nombreux<br />

rabbins continuassent à s’y intéresser en secret. Ce n’est qu’aujourd’hui<br />

(surtout grâce à l’inscription de <strong>la</strong> mystique juive dans le cursus<br />

universitaire israélien et aux travaux de G. Scholem) qu’elle est<br />

redevenue un véritable sujet d’étude. Comme nous le verrons par <strong>la</strong><br />

suite, le mouvement ésotérico-mystique (c’est <strong>la</strong> meilleure définition<br />

qu’on puisse donner de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>) n’est pas un fait récent dans<br />

le judaïsme mais prend déjà ses racines, bien que modestement, à<br />

l’époque du Second Temple. Mouvement très riche, il s’est manifesté<br />

© Eyrolles Pratique


© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

sous des aspects très différents au cours des temps, dont <strong>la</strong><br />

« Rédemption par le péché » des disciples de Sabattaï Tsevi (un<br />

mouvement juif quasi p<strong>la</strong>nétaire) et les danses hassidiques des<br />

disciples du Becht ne sont que deux exemples des formes auxquelles<br />

peut conduire un comportement mystique.<br />

Étude de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

En principe, nous l’avons dit, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> ne s’étudie qu’à partir de<br />

l’âge de quarante ans. De plus, pour pouvoir y accéder il faut se<br />

trouver un maître et répondre à des critères très stricts : avoir une<br />

éthique irréprochable et des connaissances étendues dans toutes les<br />

sciences juives (Bible, Talmud, ha<strong>la</strong>kha, c’est-à-dire <strong>la</strong> loi juive, etc.).<br />

Maïmonide (1135-1204, un important codificateur de <strong>la</strong> loi juive)<br />

possède une fort belle formule pour ce<strong>la</strong> ; il dit que « personne n’est<br />

digne d’entrer dans le paradis [il entendait par là le domaine de <strong>la</strong><br />

mystique] s’il ne s’est auparavant rassasié de pain et de viande [c’està-dire<br />

s’il n’est déjà érudit de <strong>la</strong> sobre nourriture rabbinique] 4. La<br />

<strong>kabbale</strong>, nous l’avons dit, ne s’étudie que sous <strong>la</strong> conduite d’un<br />

maître initié qui sélectionne ses élèves en nombre réduit. En effet,<br />

l’étude de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> n’est pas sans danger. S’il est déconseillé<br />

d’apprendre <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> avant un âge avancé, c’est qu’il faut d’abord<br />

bien assimiler le contenu exotérique (apparent, simple, va<strong>la</strong>ble pour<br />

tous) de <strong>la</strong> Révé<strong>la</strong>tion avant de se <strong>la</strong>ncer dans le contenu ésotérique<br />

(caché, complexe, va<strong>la</strong>ble uniquement pour les initiés formés). Faute<br />

de quoi, le novice pourrait, dans sa quête du sens caché de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />

de Dieu à l’Univers, tenter de recourir à des procédés magiques<br />

dangereux… et peut-être pas parfaitement « orthodoxes ».<br />

37


38<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La règle des quarante ans<br />

Cette « règle » puise sa source dans divers textes :<br />

• Dans <strong>la</strong> tradition qui dit qu’Abraham n’est parvenu à <strong>la</strong> connaissance<br />

du créateur qu’à l’âge de quarante ans.<br />

• Dans les Pirké Avot (le Traité des Pères), un des grands textes du<br />

Talmud ; qui affirment (chapitre V. 24) que quarante ans est l’âge de<br />

<strong>la</strong> compréhension (binah).<br />

• Dans <strong>la</strong> sagesse d’origine arabe qui dit que le cerveau n’atteint sa<br />

maturité qu’à cet âge.<br />

Jean Reuchlin (1455-1522)<br />

L’hébraïsant Johannes Reuchlin,<br />

kabbaliste chrétien, publia deux<br />

ouvrages sur <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, lesquels<br />

présentent, aujourd’hui encore,<br />

un intérêt certains. Il s’agit des<br />

deux premiers ouvrages consacrés<br />

à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui ne soient pas<br />

l’œuvre d’un juif. Ces deux<br />

ouvrages sont De Verbo mirifico<br />

(Du Nom miraculeux) et De arte<br />

cabalistica (De <strong>la</strong> science de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>). Spécu<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> manière<br />

des kabbalistes, Reuchlin affirmait<br />

que si Dieu s’était d’abord<br />

révélé aux patriarches au moyens<br />

des trois lettres qui composaient<br />

le mot Shaddaï et puis à Moïse au<br />

moyen des quatre lettres du tétragramme<br />

divin (JHYH), il se révèle à<br />

son époque au moyen de cinq<br />

lettres lesquelles sont celles du<br />

Tétragramme plus <strong>la</strong> lettre shin<br />

(signifiant le Logos). L’ensemble<br />

se lit Yehoshua, c’est-à-dire Jésus.<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Les sources de l’ésotérisme<br />

Les spécialistes distinguent cinq grandes périodes dans les sources<br />

de l’ésotérisme juif. Ces cinq grandes périodes sont :<br />

Le mysticisme juif ancien ou mysticisme<br />

talmudique<br />

Nous l’avons vu, d’après <strong>la</strong> tradition, Moïse aurait reçu de Dieu en<br />

même temps que les Dix Tables de <strong>la</strong> Loi, <strong>la</strong> Loi orale (c’est-à-dire une<br />

explication de <strong>la</strong> Loi écrite) ainsi que des commentaires ésotériques<br />

transmis de bouche à oreille par <strong>la</strong> Tradition (c’est-à-dire <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>,<br />

au sens étymologique). Au moment où les rabbins décidèrent pour<br />

des raisons pratiques de coucher sur papier <strong>la</strong> Loi orale (c’est-à-dire le<br />

Talmud : voir à ce sujet notre ouvrage <strong>Comprendre</strong> le Judaïsme, dans<br />

<strong>la</strong> même collection), il est naturel qu’ils y <strong>la</strong>issèrent transparaître<br />

quelques éléments ésotériques. Les récits du commencement<br />

(Maassé Beréchit ou Œuvre de <strong>la</strong> Création), les récits du Char (Maassé<br />

Merkavah ou Œuvre du Char) et les récits des Pa<strong>la</strong>is (Heikhaloth<br />

Rabbati ou Grands Pa<strong>la</strong>is), qui constituent les plus anciens textes<br />

de <strong>la</strong> mystique juive, font partie de cette première étape de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>. À cette période, on doit également rattacher le Sefer<br />

Yetsira (Le Livre de <strong>la</strong> Formation), un ouvrage de cosmologie où il<br />

est déjà question d’un des grands thèmes de <strong>la</strong> mystique juive,<br />

c’est-à-dire les dix séfiroth ou émanations de Dieu. Il en sera<br />

amplement question plus loin.<br />

39


40<br />

Le Pardès<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Ce mot signifie paradis mais sa signification dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue des kabbalistes<br />

repose sur un jeu de mots. En effet, il existe pour les juifs quatre<br />

niveaux de lecture pour les textes : le sens littéral (pshatt), le sens<br />

allégorique (rémez), le sens figuré (derash) et le sens ésotérique (sod).<br />

Si l’on prend <strong>la</strong> première des lettres du mot désignant chacun des<br />

niveaux, on obtient le mot PRDS, c’est-à-dire pardès, le paradis (ce qui<br />

pour les kabbalistes sous-entend le domaine de <strong>la</strong> mystique). C’est à<br />

propos du sod que <strong>la</strong> tradition ésotérique affirme que le Talmud<br />

possède soixante-dix niveaux de lecture. C’est dans ce « paradis » que<br />

sont entrés les quatre docteurs juifs du 2 e siècle férus d’ésotérisme. Le<br />

Talmud (chagiga 14b) dit que « l’un vit et mourut, l’autre vit et devint<br />

fou, le troisième dévasta les jeunes p<strong>la</strong>ntations [ce qui signifie qu’il<br />

apostasia et séduisit <strong>la</strong> jeunesse]. Seul Akiva [un des maîtres de <strong>la</strong><br />

Michna, <strong>la</strong> partie « théorique » du Talmud, mort sous <strong>la</strong> torture] entra<br />

sain et sortit sain ». Les talmudistes se servent beaucoup de l’entrée<br />

des sages dans le pardès pour illustrer le danger de l’ésotérisme même<br />

pour des adultes bien formés. Bien entendu, les kabbalistes possèdent<br />

une autre interprétation pour expliquer le sens de pardès, lequel est<br />

expliqué dans un ouvrage complémentaire au Zohar, le Tiqouné Zohar.<br />

Diagramme des dix séfiroth<br />

Le diagramme ci-après est une représentation<br />

très schématique des dix<br />

séfiroth tel qu’il apparaît dans un<br />

ouvrage de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> de Safed, L’Arbre<br />

de Vie. Cet ouvrage a été écrit par<br />

Hayyim Vital, le plus fidèle disciple<br />

d’Isaac Louria, le fondateur de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong> de Safed à <strong>la</strong>quelle on doit les<br />

plus fondamentaux bouleversements<br />

du judaïsme (le concept du tsimtsoum,<br />

l’épopée de Sabattaï Tsevi, le<br />

hassidisme). On le trouve également<br />

dans le Pardès Rimonim (Le jardin des<br />

grenades) de Moïse Cordovero.<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Les écoles mystiques juives<br />

dans l’Europe des 12 e et 13 e siècles<br />

Les premiers textes kabbalistiques apparaissent au 12 e siècle en<br />

France. Ce sont le Sefer ha-Bahir (Le Livre de <strong>la</strong> C<strong>la</strong>rté), un petit<br />

ouvrage qui jette les bases de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> (voir page 78) et les écrits de<br />

R. Isaac l’Aveugle (l’un des « Pères de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> »). C’est <strong>la</strong> période<br />

d’émergence de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, <strong>la</strong>quelle se systématise au 13 e siècle dans<br />

son ouvrage le plus important, de portée universelle, le Zohar.<br />

Séfiroth (au singulier : séfira) et Adam kadmon<br />

Pour les kabbalistes, les dix séfiroth sont les dix attributs ou émanations<br />

de Dieu. Bien que ces séfiroth soient le produit d’une émanation<br />

unique, elles entretiennent entre elles des rapports complexes. On<br />

notera que certaines sont masculines, d’autres féminines. La dernière<br />

séfira, Malkhouth (« Royauté »), est féminine, et sa dissociation des<br />

autres séfiroth plonge le monde dans le désordre et <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>tion. Les<br />

séfiroth sont généralement représentées sous <strong>la</strong> forme d’un arbre<br />

généalogique mais une autre manière de les représenter consiste à<br />

utiliser l’homme primordial (Adam kadmon, l’homme créé à l’image de<br />

Dieu, Genèse 1, 27, opposé à l’homme créé d’argile, Genèse 2, 7). Les<br />

différentes séfiroth sont liées par trois aux diverses parties du corps<br />

humain. Pour en savoir plus, voir page 125.<br />

La <strong>kabbale</strong> espagnole<br />

Développée principalement en Espagne, elle s’étend en Provence et<br />

en Allemagne. La période espagnole dure du 13 e siècle jusqu’à l’expulsion<br />

des Juifs, en 1492. C’est à cette époque qu’apparaît le principal<br />

ouvrage de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, l’œuvre maîtresse, le Zohar (Sefer ha-Zohar, Le<br />

Livre de <strong>la</strong> Splendeur), dont il sera amplement question à <strong>la</strong> page 84.<br />

41


42<br />

L’arbre des séfiroth<br />

Cet arbre des séfiroth<br />

associe les divers Noms de<br />

Dieu avec les différentes<br />

séfiroth. Il s’agit d’une<br />

représentation primitive<br />

des séfiroth car, par <strong>la</strong><br />

suite, elles seront figurées<br />

par groupes de trois en<br />

montrant également les<br />

diverses interactions entre<br />

elles.<br />

Le Zohar<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

C’est le texte majeur de <strong>la</strong> mystique juive et le livre de base de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>.<br />

Considéré comme un livre canonique, il trouve sa p<strong>la</strong>ce aux côté s de <strong>la</strong><br />

Bible et du Talmud. De nombreux passages de ce livre ont été introduits<br />

dans <strong>la</strong> liturgie de <strong>la</strong> synagogue. Cet ouvrage n’a commencé à circuler<br />

qu’au 13e siècle. Il s’agit, selon les spécialistes, soit de l’œuvre de Moïse<br />

ben Chem Tov de Léon (dit Moïse de Léon), un mystique du 13e siècle, soit<br />

de l’œuvre de Rabbi Siméon bar Yohaï, célèbre Maître du 2e siècle de<br />

notre ère ayant vécu en Galilée, un des auteurs de <strong>la</strong> Michnah (le texte de<br />

base du Talmud ). La réponse à « Qui est l’auteur du Zohar ? » n’est pas<br />

c<strong>la</strong>ire bien qu’aujourd’hui <strong>la</strong> plupart des spécialistes p<strong>la</strong>ident plutôt pour<br />

.../...<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

une compi<strong>la</strong>tion au 13 e siècle à partir d’éléments de sources diverses (le<br />

Zohar pourrait donc être un corpus littéraire réuni sous un titre mais<br />

d’autres pensent que c’est entièrement l’œuvre issue de l’imagination<br />

fertile d’un homme, Moïse de Léon). Le livre re<strong>la</strong>te principalement des<br />

discussions entre Siméon bar Yohaï, un juif de l’Antiquité, et ses<br />

disciples. Ces discussions sont des commentaires du Pentateuque, du<br />

Cantique des Cantiques, du Livre de Ruth et du Livre des Lamentations.<br />

Les thèmes sont principalement <strong>la</strong> connaissance de Dieu ainsi que <strong>la</strong><br />

compréhension des dix principaux attributs de Dieu : les séfiroth. Le<br />

Zohar opère selon deux grands principes : <strong>la</strong> Thora parle des choses d’en<br />

bas mais se réfère en réalité aux choses d’en haut. Outre le sens patent<br />

du texte, chaque mot possède un sens caché, ésotérique, qu’il s’agit de<br />

scruter et de dévoiler.<br />

Michnah<br />

En hébreu, ce mot signifie « répéter ». C’est <strong>la</strong> Loi orale dans tous ses<br />

aspects. Dans un sens plus restrictif, c’est une partie du Talmud (chaque<br />

section du Talmud commence par un texte théorique, <strong>la</strong> Michnah).<br />

La <strong>kabbale</strong> de Safed et <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> de Louria<br />

Les Juifs expulsés d’Espagne (1492) puis du Portugal (1497) établissent<br />

un important centre à Safed (en Palestine). C’est à cette époque que<br />

le Zohar est intégré au canon des livres saints du judaïsme. C’est à<br />

Safed qu’un rabbin visionnaire, R. Isaac Louria, développe les<br />

éléments du Zohar et imagine une nouvelle explication de l’exil (voir,<br />

plus loin, l’article consacré au Tsimtsoum). Cette nouvelle <strong>kabbale</strong><br />

est à l’origine de divers mouvements messianiques, dont celui de<br />

Sabbataï Tsevi (voir page 97), lesquels se manifestent encore dans <strong>la</strong><br />

secte crypto-juive des Dunmeh, en Turquie. Cette <strong>kabbale</strong> est à l’origine<br />

également d’un mouvement kabbalistique dédié aux masses qui<br />

ne peuvent atteindre le niveau intellectuel des discussions des kabbalistes<br />

(ce mouvement est le nouveau hassidisme, voir page 104).<br />

43


44<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La secte crypto-juive des Dunmeh<br />

Les Dunmeh sont les héritiers du mouvement messianique et kabbalistique<br />

fondé par Sabbataï Tsevi. Le nom Dunmeh, c’est-à-dire « convertis »<br />

leur fut donné par les Turcs lorsqu’ils se convertirent collectivement à<br />

l’is<strong>la</strong>m. On sait aujourd’hui (grâce aux travaux de Gerschom Scholem)<br />

que « leurs érudits continuèrent d’étudier les ouvrages anciens et dans<br />

leurs controverses ils s’appuyaient sur le Talmud. Ils s’abstinrent<br />

pendant plus de deux cents ans de recourir aux tribunaux turcs ». 5 Alors<br />

que les Dunmeh gardaient le secret absolu sur leurs prières, on a eu <strong>la</strong><br />

surprise de constater, en 1942, grâce à <strong>la</strong> découverte d’un livre de culte,<br />

que leurs prières étaient les prières juives authentiques auxquelles ils<br />

n’avaient apporté que des modifications mineures.<br />

Ein Sof et les séfiroth<br />

Pour les kabbalistes, le Dieu caché, le Dieu infini, celui qui n’est pas<br />

concevable par l’esprit humain, porte le nom de Ein Sof (= infini). Il y a<br />

très peu de discussions à son sujet dans <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> puisque, n’étant<br />

pas concevable par l’esprit humain, il n’y a rien à en dire. Par contre,<br />

Dieu se manifeste par des émanations, lesquelles représentent sa<br />

divinité et sont accessibles à l’intelligence humaine : ce sont les<br />

séfiroth. Chacune des séfiroth est désignée par un nom et occupe une<br />

p<strong>la</strong>ce dans l’arbre des séfiroth. Les unes sont disposées à gauche, les<br />

autres à droite, les unes sont féminines et les autres masculines. Il<br />

s’agit d’un système anthropomorphique extrêmement complexe qui a<br />

été très critiqué car, bien qu’il prêche un monothéisme pur, sa structure<br />

en dix séfiroth (parfois considérées comme des « divinités ») pourrait<br />

donner à penser le contraire (exactement comme <strong>la</strong> Trinité du christianisme<br />

n’est pas comprise comme un monothéisme pur par les juifs et<br />

les musulmans… et même par certains mouvements chrétiens aujourd’hui<br />

presque disparus, comme, par exemple, les Unitariens).<br />

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Le hassidisme<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Ce courant religieux popu<strong>la</strong>ire et mystique, né au 18 e siècle en Podolie<br />

(dans les Carpates) sous <strong>la</strong> direction du rabbin Israël Baal Chem Tov,<br />

s’inspire de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> popu<strong>la</strong>ire et est basé sur <strong>la</strong> joie du cœur à<br />

louer Dieu et à l’obéissance à un sage (le tsaddiq). Nous en discuterons<br />

en détail plus loin (voir page 104).<br />

Hassidim<br />

Dans l’histoire juive, le terme hassidim (« pieux ») a été utilisé à<br />

plusieurs occasions (dans <strong>la</strong> littérature rabbinique pour désigner les<br />

juifs pieux qui soutinrent <strong>la</strong> révolte des Maccabées — les hassidim<br />

rishonim — et aussi pour désigner les piétistes allemands du 13e siècle). Ces deux mouvements n’ont rien de commun avec le hassidisme<br />

du Baal Shem Tov. Actuellement, lorsqu’on utilise ce terme, c’est<br />

toujours en référence à ce mouvement kaballo-mystique. Certains, pour<br />

bien distinguer ce hassidisme contemporain des hassidim rishonim et<br />

surtout des mouvements piétistes rhénans, parlent de nouveau hassidisme.<br />

Qu’est-ce qu’un kabbaliste ?<br />

Difficile d’expliquer ce qu’est exactement un kabbaliste car il n’existe<br />

pas de diplôme, de certificat, de licence en <strong>kabbale</strong>. Les motivations<br />

des différents kabbalistes sont d’ailleurs très variables. En réalité, il<br />

faudrait considérer trois types de kabbalistes : les religieux, les<br />

universitaires et les mercantiles. Les kabbalistes religieux sont avant<br />

tout des mystiques ; ils étudient <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> d’un point de vue<br />

45


46<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

religieux et l’on peut dire, sans trop se tromper, que <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> est<br />

intégrée à leur vie. Les kabbalistes religieux ont également une<br />

mission à remplir : ils se servent de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> pour accomplir le<br />

dessein de Dieu, pour réunir les forces vives des étincelles divines de<br />

manière à « restaurer » (tiqoun) le monde tel qu’il était à l’aube de <strong>la</strong><br />

création et à reconstruire l’Homme primordial tel qu’il était à ce<br />

moment, c’est-à-dire uniquement esprit. Les kabbalistes religieux<br />

ont donc une mission : <strong>la</strong> réparation de l’univers, le tiqoun. Les<br />

kabbalistes universitaires s’intéressent à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> d’un point de<br />

vue intellectuel, universitaire, c’est-à-dire à <strong>la</strong> recherche : ils étudient<br />

<strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> dans les livres, s’intéressent à son histoire, découvrent et<br />

décryptent des textes anciens, imaginent des liens entre les diverses<br />

théories, etc. La plupart des ouvrages actuels de qualité sont ainsi<br />

publiés par des kabbalistes universitaires, qui n’ont le plus souvent<br />

aucun sentiment religieux et, en tout cas, ne se déc<strong>la</strong>rent jamais<br />

kabbalistes : ils étudient le phénomène d’un point de vue extérieur,<br />

à <strong>la</strong> manière des cliniciens. Les kabbalistes mercantiles sont des<br />

personnages, pas toujours recommandables, qui s’autoproc<strong>la</strong>ment<br />

kabbalistes parce qu‘ils ont étudié quelques textes et formules, sont<br />

capables de disserter à l’infini sur les séfiroth et, mieux encore, sont<br />

habiles pour créer des talismans et prédire l’avenir (sans compter un<br />

sens très aigu du marketing). Les journaux israéliens sont truffés<br />

d’annonces publicitaires de kabbalistes qui promettent (comme les<br />

marabouts des quotidiens français) le bonheur et <strong>la</strong> connaissance de<br />

l’avenir contre monnaie sonnante et trébuchante. Bien entendu, ce<strong>la</strong><br />

n’empêche pas certains d’être vénérés et entourés d’une cour<br />

d’affidés zé<strong>la</strong>teurs.<br />

La kabbalogie est-elle une science ?<br />

Bien que <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> soit « <strong>la</strong> science des secrets », il faut reconnaître<br />

que <strong>la</strong> kabbalogie est loin d’être une science car, à vrai dire, on ne sait<br />

pas encore grand-chose sur <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> même si, depuis une quaran-<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

taine d’années, de grands scientifiques s’y intéressent et en étudient<br />

les textes. Il est important de noter, dès maintenant, que tout ce que<br />

nous savons sur <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, que tous les textes qui ont été étudiés<br />

par les chercheurs, tout ce<strong>la</strong> ne représente qu’une infime partie au vu<br />

des textes qui restent à déchiffrer, des vies de kabbalistes qui restent<br />

à décrypter. La plupart des textes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> sont encore à l’état de<br />

manuscrits dont le déchiffrement est extrêmement difficile. Il y a<br />

davantage de textes à l’état de manuscrits qu’il n’existe de textes<br />

déchiffrés. Dès lors, il n’est pas impossible que dans les années à<br />

venir, nos connaissances concernant <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> ne soient modifiées<br />

et, en tout cas, certainement affinées. Fort heureusement pour les<br />

chercheurs, <strong>la</strong> plupart des textes existent dans les bibliothèques du<br />

monde entier et, mieux encore, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> étant généralement<br />

l’interprétation de textes « canoniques » plus anciens, ceux-ci sont<br />

également disponibles, ce qui permet d’étudier le commentaire en<br />

regard du texte commenté.<br />

Tehirou<br />

Le tehirou est l’espace vide de<br />

Lui que Dieu <strong>la</strong>issa pour l’Univers<br />

lorsqu’il se retira de Lui-même<br />

en Lui-même. Cette « contraction<br />

» (tsimtsoum) de Dieu est <strong>la</strong><br />

première étape de <strong>la</strong> création de<br />

l’Univers et de l’homme. La<br />

seconde étape est représentée<br />

par les émanations de Dieu (les<br />

dix séfiroth) qui se concrétisent<br />

dans l’Homme primordial (Adam<br />

kadmon), l’homme de lumière<br />

créé à l’image de Dieu. C’est tout<br />

ce<strong>la</strong> que schématise ce dessin<br />

extrait d’un ouvrage de Naphtali<br />

Bacharach, Emek ha-Melekh (publié<br />

en 1648).<br />

47


48<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Comment expliquer le passage<br />

de l’oral à l’écrit ?<br />

Comme dans <strong>la</strong> plupart des disciplines ésotériques, les secrets de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong> étaient d’abord transmis de maître à élève par voie exclusivement<br />

orale ; l’élève étant tenu au secret, il lui était interdit de<br />

révéler quoi que ce soit même à un étudiant de même rang que lui.<br />

Par <strong>la</strong> suite, à partir du 3 e siècle mais surtout vers le 12 e siècle, de<br />

nombreux manuscrits traitant de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> se mettent à circuler.<br />

Certains manuscrits du 12 e siècle sont même attribués à des maîtres<br />

du 2 e siècle (écrits pseudépigraphiques) comme s’il devenait nécessaire<br />

de révéler les secrets cachés depuis des millénaires. Comment<br />

expliquer ce<strong>la</strong> ? Deux raisons peuvent être proposées à cette révé<strong>la</strong>tion<br />

écrite des secrets oraux. La première est vraisemb<strong>la</strong>blement<br />

identique à celle qui a imposé <strong>la</strong> transcription par écrit de <strong>la</strong> Loi orale<br />

(le Talmud), <strong>la</strong>quelle ne se transmettait que de bouche à oreille. Cette<br />

règle était une quasi « loi » jusqu’à ce que des rabbins décident après<br />

de grands débats de mettre cette Loi orale par écrit (même écrite, les<br />

juifs continuent de parler de Loi orale pour désigner le Talmud). La<br />

raison en était <strong>la</strong> peur de perdre définitivement l’enseignement des<br />

maîtres suite à diverses circonstances historiques pouvant mettre en<br />

danger le peuple juif. C’était donc une raison de prudence, de sauvegarde<br />

d’un trésor. La seconde raison est vraisemb<strong>la</strong>blement à<br />

chercher dans <strong>la</strong> publication par Maïmonide (voir page 175) de divers<br />

écrits concernant les lois juives. Cet immense penseur rationaliste,<br />

philosophe juif, ha<strong>la</strong>khiste et « bête noire » des kabbalistes, publie,<br />

en effet, des ouvrages (dont le Michné Thora, somme en quatorze<br />

volumes des lois juives) où il c<strong>la</strong>sse les mitsvoth (ou commandements)<br />

et tente d’expliquer leur origine. Ce mouvement rationnel<br />

connaît un grand succès mais, par opposition, le mouvement<br />

mystique — qui s’oppose fermement aux thèses de Maïmonide et<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

estime qu’il appauvrit le judaïsme en le vidant de sa spiritualité —<br />

juge nécessaire que soient diffusés d’autres ouvrages dans lesquels<br />

des explications plus spirituelles ou carrément mystico-ésotériques<br />

concernant les thèmes de <strong>la</strong> vie juive soient proposées. On retiendra<br />

de ceci <strong>la</strong> véritable opposition des kabbalistes à <strong>la</strong> pensée de<br />

Maïmonide, lequel, contrairement à ce qui est affirmé dans certains<br />

ouvrages, n’a jamais été un kabbaliste. Avec <strong>la</strong> publication du Zohar<br />

(une réfutation quasi point par point des thèses de Maïmonide), les<br />

juifs influencés par <strong>la</strong> pensée de Maïmonide disposent maintenant<br />

d’écrits qui leurs offrent une autre interprétation de <strong>la</strong> religion juive.<br />

Ils peuvent les lire, les commenter, s’en inspirer sans être obligés –<br />

comme c’était le cas auparavant – d’appartenir à un petit cercle d’initiés.<br />

Notons cependant qu’à l’exception du court intermède du<br />

sabbataïsme (voir page 97), les kabbalistes sont toujours restés très<br />

soucieux de respecter <strong>la</strong> loi juive (<strong>la</strong> ha<strong>la</strong>kha). Seule l’interprétation<br />

qu’ils pouvaient en donner était différente de celle du codificateur<br />

Maïmonide. Enfin signalons encore, pour terminer, que le principal<br />

ouvrage donnant toutes les règles que doit respecter un juif, le<br />

Choulhane Aroukh, a été rédigé par un rabbin kabbaliste, Joseph Caro<br />

(1488-1575), lequel a commenté et expliqué les passages les plus difficiles<br />

du Zohar. On pouvait donc parfaitement être kabbaliste et<br />

rabbin scrupuleux de <strong>la</strong> ha<strong>la</strong>kha.<br />

Rôle et fonction des mitsvoth<br />

Les mitsvoth, ce sont les commandements que doivent respecter les<br />

juifs pieux et orthopraxes. Ils sont au nombre de 613. Certains concernent<br />

les hommes, d’autres les femmes ou encore les prêtres. Certains<br />

ne doivent être respectés qu’à Jérusalem, certains consistent en<br />

l’obligation de faire quelque chose (comme, par exemple, circoncire<br />

sont fils ; ce sont les commandements positifs), d’autres consistent<br />

49


50<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

en une interdiction (comme, par exemple, s’abstenir de certaines<br />

viandes : ce sont les commandements négatifs). Maïmonide, nous<br />

l’avons dit, a essayé de c<strong>la</strong>sser ces commandements et de leur<br />

trouver une base rationnelle. Pour les kabbalistes, le problème est<br />

tout autre. Les commandements sont certes une obligation, mais<br />

cette obligation possède un sens intrinsèque : les mitsvoth influencent<br />

ce qui se passe dans le ciel, ils ont une influence sur Dieu. Ne<br />

pas respecter les mitsvoth, c’est agir de manière négative sur <strong>la</strong><br />

Rédemption. Pour les kabbalistes, les mitsvoth préexistent à <strong>la</strong><br />

naissance du monde, ils sont intemporels (comme <strong>la</strong> Thora, <strong>la</strong> source<br />

des mitsvoth). C’est <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle il faut continuer à étudier<br />

tous les mitsvoth, même ceux qui sont devenus « caducs » du fait de<br />

<strong>la</strong> destruction du Temple.<br />

Orthopraxie<br />

Type de comportement religieux où tous les actes quotidiens <strong>la</strong>ïcs ou<br />

religieux sont exécutés conformément aux commandements de <strong>la</strong><br />

religion. Le fidèle orthopraxe refusera, par exemple, de manger<br />

certains aliments interdits par <strong>la</strong> religion. Pour l’orthopraxe, c’est<br />

l’observance des obligations de vie qui est le fait déterminant de<br />

l’appartenance religieuse. L’orthopraxie concerne essentiellement <strong>la</strong><br />

religion juive (où le fidèle doit observer dans les 613 commandements<br />

de Dieu ceux qui s’appliquent à sa personne) et l’is<strong>la</strong>m, c’est-à-dire les<br />

religions où il n’existe pas de véritable séparation entre <strong>la</strong> religion et <strong>la</strong><br />

vie privée. Ainsi que nous l’avons déjà dit, <strong>la</strong> plupart des kabbalistes<br />

sont orthopraxes et très respectueux de <strong>la</strong> loi juive (ha<strong>la</strong>kha). Ce n’est<br />

qu’au niveau des motifs et des explications qu’ils s’opposent au<br />

judaïsme rabbinique. Néanmoins, nous le verrons, étant mystiques, ils<br />

ont nettement moins le sens de <strong>la</strong> communauté dans <strong>la</strong> prière (bien que<br />

cette affirmation historiquement exacte soit mise en brèche dans le<br />

hassidisme).<br />

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© Eyrolles Pratique<br />

1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

En quoi consiste <strong>la</strong> vie<br />

d’un kabbaliste ?<br />

Comme tout juif pieux, et le kabbaliste l’est certainement, <strong>la</strong> vie<br />

religieuse est rythmée par <strong>la</strong> prière, les commandements (mitsvoth)<br />

et le repos du sabbath, auquel on se prépare toute <strong>la</strong> semaine.<br />

Comme tout juif pieux, le kabbaliste consacre une partie de son<br />

temps à l’étude et à sa famille (une règle interdisait même l’étude de<br />

<strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> au juif non marié et sans enfants). Qu’est-ce qui le<br />

distingue, dès lors, des autres juifs pieux ? Pas grand-chose sans<br />

doute si ce n’est le sentiment de participer de manière plus active<br />

aux desseins de Dieu (un peu à <strong>la</strong> manière des carmélites, si j’ose<br />

cette comparaison) et de participer activement à <strong>la</strong> restauration de <strong>la</strong><br />

divinité, au tiqoun (il en sera dit davantage sur cette « réparation » de<br />

<strong>la</strong> divinité dans l’article consacré au tsimtsoum, voir page 90). Cette<br />

participation se concrétise par une prière plus intense, plus intentionnelle,<br />

plus longue aussi et, dans certains cas, par des exercices<br />

ascétiques et une liturgie particulière. Le kabbaliste a <strong>la</strong> ferme<br />

conviction que sa prière agit sur <strong>la</strong> puissance divine : ce n’est donc<br />

pas une prière personnelle, une demande qu’il adresse à Dieu mais<br />

une prière qui agit sur <strong>la</strong> restauration divine. Ainsi, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> estime<br />

que le milieu de <strong>la</strong> nuit (minuit) est le meilleur moment de <strong>la</strong> journée<br />

pour <strong>la</strong> prière et pour l’étude. Nombre de kabbalistes se lèvent ainsi<br />

peu avant minuit pour prier. Certains kabbalistes, sans pour autant<br />

être des anachorètes, s’éloignent quelques jours de leur famille et<br />

des villes pour des retraites mystiques afin de s’unir davantage à <strong>la</strong><br />

divinité (ce qu’on appelle le dévékouth, l’union mystique). Cet<br />

éloignement, cet isolement porte le nom de hitbodebout et était<br />

pratiqué exclusivement par les kabbalistes car dans <strong>la</strong> tradition juive<br />

c<strong>la</strong>ssique l’isolement n’est pas recommandé et l’on attache, au<br />

51


52<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

contraire, une grande importance à <strong>la</strong> vie communautaire, à <strong>la</strong> prière<br />

en commun (il faut être au minimum dix pour dire va<strong>la</strong>blement les<br />

prières publiques) et aussi à l’étude en commun (ainsi, pour ne<br />

donner qu’un exemple, le Talmud s’étudie toujours avec un compagnon<br />

d’étude). Outre <strong>la</strong> prière intense, l’hitbodebout (esseulement),<br />

l’ascèse, le jeûne, les mortifications (qui, par ailleurs, ne sont pas non<br />

plus, des habitudes juives c<strong>la</strong>ssiques), le kabbaliste utilise différentes<br />

techniques (dont des méthodes respiratoires et le pleurement<br />

mystique) pour parvenir à <strong>la</strong> dévékouth (attachement à Dieu pour le<br />

judaïsme rabbinique mais union mystique avec Dieu pour les kabbalistes).<br />

On le voit, « presque rien » et pourtant « presque tout » sépare<br />

le kabbaliste du juif « traditionaliste ». Ce qui est important à retenir,<br />

c’est que le kabbaliste accorde une importance primordiale au<br />

contact qu’il peut obtenir avec Dieu. Pour ce faire, il est prêt à tout :<br />

à l’ascèse, à se lever <strong>la</strong> nuit, à pratiquer des exercices respiratoires, à<br />

méditer des heures sur des lettres ou des mots, etc.<br />

Pleurement mystique<br />

Le pleurement mystique est proche du don des <strong>la</strong>rmes que l’on<br />

rencontre dans le christianisme. C’est le don que possèdent certaines<br />

personnes de <strong>la</strong>isser couler des <strong>la</strong>rmes de joie, des <strong>la</strong>rmes qui ne<br />

dépriment pas le cœur. Ces <strong>la</strong>rmes surgissent suite à une sainte<br />

tristesse, c’est-à-dire suite à une tristesse inspirée par l’amour de Dieu<br />

lorsque ces personnes prennent conscience du fossé qui existe entre<br />

elles et Lui (<strong>la</strong> position des kabbalistes est, on le devine, légèrement<br />

différente). Ces <strong>la</strong>rmes, disent les théologiens chrétiens, peuvent<br />

éteindre les feux de l’enfer.<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Existe-t-il encore des « secrets »<br />

de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> ?<br />

Ainsi que nous l’avons dit, vers les 12 e-13 e siècles, les kabbalistes<br />

décidèrent de mettre par écrit leur enseignement ésotérique. C’est à<br />

ce moment que furent publiés les grands ouvrages mystiques (Sefer<br />

Yetsira, Sefer ha-Bahir, les écrits d’Isaac l’Aveugle, etc.) dont <strong>la</strong><br />

production culmine avec le Zohar, le Livre de <strong>la</strong> Splendeur. Les différentes<br />

interprétations ésotériques des textes sacrés sont ainsi mises<br />

à nu, offertes à <strong>la</strong> lecture non seulement des juifs initiés mais également<br />

de tous les juifs et également des chrétiens (voir le chapitre<br />

consacré à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> chrétienne, page 112). C’est l’époque également<br />

où Abraham Abou<strong>la</strong>fia (le fondateur de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> extatique) explique<br />

dans ses ouvrages, le plus simplement du monde, les techniques<br />

respiratoires et autres qu’il utilise pour parvenir à l’état extatique.<br />

Mais ne nous y trompons pas, malgré Abou<strong>la</strong>fia, <strong>la</strong> plupart des<br />

kabbalistes répugnent à coucher par écrit le détail des techniques et<br />

méthodes qui leur permettent d’entrer dans <strong>la</strong> méditation et dans<br />

l’extase bien que ces techniques ne doivent en fin de compte guère<br />

différer des techniques utilisées par les chrétiens, les soufis<br />

(mystiques musulmans) et les bouddhistes (yoga). Ainsi, on a <strong>la</strong><br />

certitude que les techniques de méditation enseignées par Isaac<br />

Louria (1534-1572), à Safed, et dont le hassidisme est l’héritier, n’ont<br />

pas été complètement consignées par écrit par ses disciples (luimême<br />

n’ayant quasi rien écrit). Dans le même ordre d’idée,<br />

G. Scholem écrit 6 que « dans <strong>la</strong> yeshiva [école] kabbalistique Bet-El<br />

de Jérusalem, l’instruction pratique sur <strong>la</strong> méditation fut transmise<br />

oralement pendant près de deux cents ans, et ceux qui étaient initiés<br />

à cette forme de <strong>kabbale</strong> refusaient de rendre publics les détails de<br />

leur méthode ». Notons cependant qu’il existe une différence fondamentale<br />

pour ce qui concerne le support de <strong>la</strong> méditation entre les<br />

53


54<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

kabbalistes, les chrétiens et les bouddhistes. Le christianisme étant<br />

christocentré, le support de <strong>la</strong> méditation des chrétiens est quasi<br />

exclusivement le Christ ou l’un des instruments de <strong>la</strong> passion ; les<br />

bouddhistes, eux, utilisent différentes méthodes dont les créations<br />

mentales (bhâvanâ) qui consistent à se concentrer sur un objet<br />

imaginaire de manière à ce qu’il devienne aussi c<strong>la</strong>ir qu’un objet réel<br />

et <strong>la</strong> répétition des mantras (répétition de syl<strong>la</strong>bes). Les kabbalistes,<br />

par contre, n’utilisent que des sujets abstraits comme, par exemple,<br />

le Tétragramme ou les lettres de l’alphabet. Cette différence, on s’en<br />

rendra compte, est significative et explique pourquoi des kabbalistes<br />

extatiques (comme Abraham Abou<strong>la</strong>fia) se sont tellement intéressés<br />

à <strong>la</strong> guématria (c’est-à-dire l’utilisation herméneutique de <strong>la</strong> valeur<br />

chiffrée des lettres).<br />

Pentacle<br />

Le pentacle doit son nom à ce qu’il<br />

contient habituellement une étoile à<br />

cinq branches. Ce sceau magique<br />

contient en outre divers caractères<br />

hébraïques ainsi que des dessins<br />

géométriques. La <strong>kabbale</strong>, dans sa<br />

partie magique, a beaucoup utilisé les<br />

pentacles réputés pour protéger les<br />

hommes et les femmes contre les<br />

divers dangers de <strong>la</strong> vie. Un pentacle<br />

nécessite d’être interprété en utilisant<br />

les divers systèmes de décryptage<br />

utilisés par les kabbalistes (l’un des<br />

plus utilisés étant <strong>la</strong> guématria ou<br />

décryptage mathématique des mots).<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

Existe-t-il encore des kabbalistes ?<br />

Oui, si l’on songe aux religieux qui continuent à se servir des<br />

méthodes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> (prière intense, intention mystique, méditation,<br />

etc.) pour arriver à une union mystique avec Dieu (dévékouth).<br />

Oui, si l’on considère que le hassidisme, aujourd’hui très présent, est<br />

aussi un héritier de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>.<br />

Oui, si l’on pense aux différents universitaires qui depuis une<br />

cinquantaine d’années (et de plus en plus nombreux) déchiffrent et<br />

analysent les grands textes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>.<br />

Non, si l’on constate qu’il n’existe plus aujourd’hui de véritables<br />

penseurs kabbalistes et que l’on se contente d’étudier le passé sans<br />

que de nouvelles idées, de nouvelles théories, un nouveau système<br />

ne soient proposés. On pourrait dire, sans trop se tromper, que <strong>la</strong><br />

théologie de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> est aujourd’hui au point mort. Notons que<br />

ceci n’a rien d’étonnant car sous l’action du Judaïsme des Lumières<br />

(haska<strong>la</strong>h), <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a été presque complètement abandonnée et le<br />

peu qu’il en reste (après <strong>la</strong> Shoah qui a, ne l’oublions pas, détruit des<br />

pans entiers de <strong>la</strong> civilisation juive) est aujourd’hui concentré dans le<br />

hassidisme, lequel ne manifeste pas un très grand zèle pour les<br />

créations intellectuelles.<br />

Signalons également que de nombreux penseurs chrétiens ou <strong>la</strong>ïcs,<br />

des peintres, des cinéastes, des romanciers se sont intéressés à <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong> qui aurait, disent-ils, influencé leurs œuvres. Même si ce<strong>la</strong><br />

est exact, il n’ont pu rendre dans leurs œuvres que des manifestations<br />

folkloriques ou popu<strong>la</strong>ires de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, ce qui n’est pas sans<br />

intérêt mais ne fait pas d’eux des kabbalistes.<br />

55


56<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Quelle est l’influence de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

sur le judaïsme ?<br />

Si l’on avait posé cette question à un juif du 19 e siècle, il aurait<br />

répondu qu’elle est nulle. Si l’on pose cette question à un juif du 21 e<br />

siècle, il répond qu’elle a été certainement très importante mais qu’il<br />

est encore difficile, aujourd’hui, de répondre avec précision à cette<br />

question car on est très loin d’avoir dépouillé tous les documents<br />

re<strong>la</strong>tifs à <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>. Cependant, dira-t-il, il est c<strong>la</strong>ir que pendant près<br />

de trois siècles (de 1500 à 1800) <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a été <strong>la</strong> seule théologie du<br />

judaïsme et que le livre de base de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, le Zohar, est considéré<br />

comme un livre « canonique ». De plus, dira-t-il, le seul mouvement<br />

popu<strong>la</strong>ire a avoir mobilisé l’ensemble du monde juif (d’Amsterdam<br />

au Yémen), le sabattaïsme, est issu de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> et, d’autre part, le<br />

seul mouvement à avoir transformé fondamentalement <strong>la</strong> religion<br />

juive, le hassidisme, est également un fruit de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>. Dès lors, il<br />

est c<strong>la</strong>ir, dira-t-il, que <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a fortement influencé le monde juif.<br />

Pour G. Scholem, le grand spécialiste de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> « a été<br />

l’un des plus puissants courants qui aient jamais affecté l’évolution<br />

interne du judaïsme, tant diachroniquement que synchroniquement<br />

» 7. Dans un but didactique, pour bien montrer l’importance de<br />

<strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> dans le monde juif, nous nous proposons d’étudier son<br />

influence dans diverses sphères (religieuse, sociale, ha<strong>la</strong>khite, liturgique,<br />

popu<strong>la</strong>ire et éthique).<br />

Influence religieuse de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La <strong>kabbale</strong> a influencé <strong>la</strong> religion juive de plusieurs manières et, tout<br />

d’abord, en lui apportant <strong>la</strong> dimension spirituelle qui lui manquait<br />

suite au chemin rationnel qu’elle avait emprunté après les écrits de<br />

Maïmonide. La <strong>kabbale</strong> a donné un sens religieux à l’Exil des juifs<br />

(auquel participe l’exil de Dieu et de <strong>la</strong> Chekhinah, sa présence<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

féminine) et a également réaffirmé le sens fondamentalement<br />

religieux des divers commandements. Grâce à l’enseignement de <strong>la</strong><br />

<strong>kabbale</strong>, le juif sait pour qui et pour quoi il respecte les commandements,<br />

il n’ignore plus <strong>la</strong> fonction de son Exil, lequel est également<br />

partagé par <strong>la</strong> divinité (selon <strong>la</strong> formule de G. Scholem, « quelque<br />

chose de Dieu est lui-même exilé de Dieu » 8). Il sait que grâce à sa<br />

fidélité à <strong>la</strong> religion, ce n’est pas seulement son âme qu’il sauve mais<br />

aussi l’âme de tous les hommes et qu’il restaure (tiqoun) <strong>la</strong> divinité<br />

et sa Chekhinah. La <strong>kabbale</strong> est sans doute <strong>la</strong> seule religion qui<br />

donne une telle importante aux pouvoirs de l’homme, qui l’investit<br />

d’un tel rôle, qui le rend non seulement co-responsable de <strong>la</strong> création<br />

mais aussi indispensable à l’Unité de Dieu. Avec <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, l’homme<br />

n’est plus un misérable qui doit lutter pour son seul salut mais une<br />

étincelle de <strong>la</strong> divinité ayant un rôle majeur à jouer pour <strong>la</strong> restauration<br />

(tiqoun) de l’Univers et de <strong>la</strong> divinité. D’ailleurs, n’aurait-il pas<br />

mérité d’être kabbaliste celui qui a osé formuler cette incroyable<br />

assertion qui résume aussi <strong>la</strong> thèse fondamentale de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> (Dieu<br />

a besoin des hommes) : « Dieu s’est fait homme, pour que l’homme<br />

puisse devenir Dieu » (Athanase).<br />

Influence sociale de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La <strong>kabbale</strong> a donné un sens à <strong>la</strong> vie des juifs, surtout dans les<br />

moments difficiles ou dramatiques ; c’est-à-dire après les expulsions<br />

d’Espagne puis du Portugal et les pogroms de Chmielnicki. Dans ces<br />

périodes pénibles, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a agi comme un ferment social, regroupant<br />

les juifs autour d’une espérance commune. C’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui<br />

est à l’origine de <strong>la</strong> plus grande agitation sociale juive, celle qui<br />

pouvait amener au 17 e siècle tous les juifs du monde en Palestine : le<br />

sabattaïsme. C’est également <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui est à l’origine du<br />

rassemblement des juifs autour d’un personnage saint (le tsaddiq)<br />

dans le hassidisme. Enfin, c’est <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> qui a donné un sens à <strong>la</strong><br />

vie de nombreux marranes désirant revenir au judaïsme (techouvah).<br />

57


58<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Influence ha<strong>la</strong>khique de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

Les kabbalistes, et c’est proprement extraordinaire, ont toujours (à<br />

l’exception de <strong>la</strong> période anomique et antinomique du sabbataïsme)<br />

voulu respecter <strong>la</strong> loi juive, <strong>la</strong> ha<strong>la</strong>kha, jusque dans ses moindres<br />

détails. D’ailleurs de nombreux rabbins kabbalistes étaient également<br />

des ha<strong>la</strong>khistes et, rappelons-le, l’auteur du plus fameux<br />

ouvrage pratique des lois juives (le Choulhane Aroukh) est un rabbin<br />

kabbaliste (Joseph Caro). Malgré ce<strong>la</strong>, vers le 14 e siècle, certains<br />

rabbins décidèrent de résoudre quelques problèmes ha<strong>la</strong>khiques en<br />

les traitant selon les principes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>. D’ailleurs, <strong>la</strong> règle<br />

partout admise était, pour ce qui concerne les problèmes<br />

ha<strong>la</strong>khiques, de se conformer au Zohar lorsqu’il n’y avait pas de règle<br />

talmudique précise. Par <strong>la</strong> suite, en 1609, un rabbin kabbaliste<br />

compi<strong>la</strong> toutes les règles de droit édictées par le Zohar et les réunit<br />

dans un ouvrage (le Yesh Sakhar). Enfin, signalons l’influence des<br />

kabbalistes pour ce qui concerne les dispositions ha<strong>la</strong>khiques de <strong>la</strong><br />

liturgie (voir plus bas).<br />

Influence liturgique de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

C’est sans doute dans ce domaine que l’influence de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a été<br />

<strong>la</strong> plus forte. En effet, pour les kabbalistes <strong>la</strong> prière joue un rôle<br />

primordial non seulement en tant que commandement de Dieu<br />

(mitsvoth) ayant une influence sur <strong>la</strong> divinité, mais également en<br />

tant que moyen de parvenir à l’union mystique avec Dieu (<strong>la</strong><br />

dévékouth, voir l’article sur <strong>la</strong> prière mystique et <strong>la</strong> méditation, page<br />

160). De très nombreuses prières traditionnelles ou à visée mystique<br />

ont ainsi été composées par les kabbalistes et, plus tard, ajoutées<br />

aux différents offices religieux. Ces prières intègrent les nouveaux<br />

thèmes de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> tels que <strong>la</strong> transmigration des âmes (gilgoul,<br />

voir page 141), le tiqoun (voir page 93) et les liens avec les mondes<br />

supérieurs (angéologie, séfiroth, voir page 125). Les kabbalistes ont<br />

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1. La <strong>kabbale</strong> des docteurs juifs<br />

également influencé l’organisation du chabbat et des jours de fête<br />

ainsi que les heures de <strong>la</strong> prière. Enfin, <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> a imprégné<br />

jusqu’aux re<strong>la</strong>tions sexuelles dont on sait que dans le judaïsme elles<br />

sont également réglementées par <strong>la</strong> ha<strong>la</strong>kha. Signalons, en passant,<br />

que ce n’est donc pas sans raison que Sabattaï Tsevi, le « faux »<br />

messie, prenait p<strong>la</strong>isir à modifier les prières et les dates des fêtes<br />

mais bien parce que ce<strong>la</strong> avait un sens pour les kabbalistes (<strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

nous manque cependant pour développer, ici, ce sujet par ailleurs<br />

fort intéressant et révé<strong>la</strong>teur de <strong>la</strong> puissance de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>).<br />

Influence popu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La <strong>kabbale</strong> est à l’origine de nombreux comportements magiques.<br />

On trouve ainsi son influence dans <strong>la</strong> distribution des talismans<br />

protecteurs et de diverses médailles magiques, dans <strong>la</strong> pratique des<br />

pèlerinages aux tombeaux des grands kabbalistes et des tsaddiq du<br />

hassidisme, dans <strong>la</strong> fréquentation des astrologues et des chiromanciens,<br />

etc. Déjà au 15e siècle, le succès de <strong>la</strong> ville de Safed (où vinrent<br />

s’installer de nombreux kabbalistes et d’où partit <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> lourianique)<br />

est dû à <strong>la</strong> présence des tombeaux de grands kabbalistes (c’est<br />

là que <strong>la</strong> tradition p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> vie terrestre des rabbins mythiques de<br />

l’Antiquité, Siméon bar Yohaï et rabbi Akiva). Nous n’insisterons pas<br />

davantage sur ce sujet d’autant plus que cette <strong>kabbale</strong> popu<strong>la</strong>ire est<br />

loin d’être oubliée et constitue, sans doute aujourd’hui, <strong>la</strong> part <strong>la</strong><br />

plus importante du mouvement kabbalistique tant en Israël (où les<br />

rabbins n’hésitent pas à se mêler à <strong>la</strong> vie politique en faisant éta<strong>la</strong>ge<br />

de leurs supposés « pouvoirs ») qu’aux États-Unis ou dans d’autres<br />

pays (certaines vedettes de <strong>la</strong> chanson n’hésitent pas à ce déc<strong>la</strong>rer<br />

kabbalistes, voir le chapitre La <strong>kabbale</strong> et les sectes, page 118).<br />

Plus intéressante est l’influence de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> dans le domaine de <strong>la</strong><br />

Aggadah (genre littéraire juif composé essentiellement de récits),<br />

domaine dans lequel les kabbalistes créèrent de nouveaux matériaux<br />

concernant aussi bien le récit de <strong>la</strong> création que les faits et gestes des<br />

59


60<br />

<strong>Comprendre</strong> <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

grands personnages bibliques. D’ailleurs, toutes les légendes et<br />

historiettes admirablement contées dans le hassidisme ont également<br />

une origine kabbalistique. Terminons en notant que de<br />

nombreux récits popu<strong>la</strong>ires juifs trouvent leur substance dans des<br />

thèmes kabbalistiques comme le dibbouk, l’angéologie, Lilith, le<br />

golem, etc. C’est malheureusement cette part grandissante du<br />

courant popu<strong>la</strong>ire qui a discrédité <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> aux yeux de nombreux<br />

historiens et spécialistes des religions et est encore responsable de <strong>la</strong><br />

crainte qu’inspire toujours <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong> en tant que force popu<strong>la</strong>ire.<br />

Influence éthique de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong><br />

La <strong>kabbale</strong> est également à l’origine d’une importante littérature<br />

morale (musar ou moussar) et éthique dont le but est d’indiquer au<br />

juif <strong>la</strong> voie de <strong>la</strong> communion mystique avec Dieu en lui précisant ce<br />

qui est favorable ou défavorable pour parvenir à cette union. On<br />

pourrait écrire des livres entiers sur <strong>la</strong> morale de <strong>la</strong> <strong>kabbale</strong>, contentons-nous,<br />

ici, de deux petits exemples (les titres sont de l’auteur)<br />

extraits de l’ouvrage de Moïse Cordovero, Le Palmier de Débora (dans<br />

<strong>la</strong> traduction de Charles Mopsik).<br />

Distribution<br />

« Que l’on prenne soin de ne pas donner plus que ce que l’intelligence de<br />

celui qui reçoit est capable de comprendre, de peur qu’il n’en résulte un<br />

dommage (...). »<br />

Culpabilité envers les animaux<br />

« À moins de les faire progresser [en les consommant comme nourriture]<br />

de degré d’existence en degré d’existence : du végétal à l’animal, de<br />

l’animal à l’humain, alors il est loisible d’arracher une p<strong>la</strong>nte et d’abattre<br />

un animal, assumant ainsi une culpabilité qui est <strong>la</strong> condition d’un<br />

mérite. »<br />

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