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AVERTISSEMENT - Le Proscenium

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<strong>AVERTISSEMENT</strong><br />

Ce texte a été téléchargé depuis le site<br />

http://www.leproscenium.com<br />

Ce texte est protégé par les droits d’auteur.<br />

En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir<br />

l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès<br />

de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la<br />

France).<br />

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut<br />

faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de<br />

jouer n'a pas été obtenue par la troupe.<br />

<strong>Le</strong> réseau national des représentants de la SACD (et leurs<br />

homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et<br />

vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori.<br />

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre,<br />

MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit<br />

produire le justificatif d’autorisation de jouer. <strong>Le</strong> non respect de<br />

ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la<br />

troupe et pour la structure de représentation.<br />

Ceci n’est pas une recommandation, mais une<br />

obligation, y compris pour les troupes amateurs.<br />

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le<br />

public puissent toujours profiter de nouveaux textes.<br />

LileDesEndiables.doc 1/43


Personnages par ordre d’entrée :<br />

L’île des Endiablés<br />

Comédie policière en 3 actes<br />

de Jean-Claude LUMET<br />

- Marie LENOIR<br />

- Roger LENOIR, les deux « maîtres d’hôtel »<br />

- Aimé LEBLANC, client de l’hôtel, directeur d’usine d’équipements sportifs.<br />

- Major WHITE, client de l’hôtel, retraité britannique.<br />

- Mlle BLANCHE, cliente de l’hôtel, comédienne.<br />

- Mlle BLANCO, cliente de l’hôtel, responsable de centre hospitalier.<br />

- Mlle WEISS, cliente de l’hôtel, responsable d’une agence d’assurances.<br />

- 3 personnages déguisés en tenue rouge de diable. (courte figuration)<br />

<strong>Le</strong> Major est le plus âgé des personnages. L’âge des autres personnages est<br />

indifférent.<br />

Un seul décor : détails au début du premier acte.<br />

AVIS IMPORTANT<br />

Cette comédie fait partie du répertoire de la Société des Auteurs et Compositeurs<br />

Dramatiques, 11 bis rue Ballu 75442 PARIS CEDEX 09. Elle ne peut donc être jouée sans<br />

l’autorisation de cette société. Nous conseillons d’en faire la demande un mois avant la<br />

représentation.<br />

Premier tableau<br />

Acte 1<br />

Décor unique. Un hôtel sur une île paradisiaque : au fond, un poster peut représenter une<br />

mer bleue, une plage de sable fin, des cocotiers ; à gauche, une réception sommaire sous une<br />

paillote ; à droite, une table basse ronde, des sièges. Atmosphère de vacances ; au lever du<br />

rideau, une musique langoureuse des îles. Roger et Marie, en tenue décontractée, s’affairent :<br />

Marie est au comptoir en train de vérifier une liste ; Roger arrive avec une lourde caisse. Il<br />

la pose, s’assoit et s’éponge le front.<br />

N.B. : pour la petite table basse, voir la description qui en est faite vers la fin du deuxième<br />

acte.<br />

MARIE : Caisse n° 20: au menu, des pâtes, des ravioli, des spaghetti, des tagliatelles, des<br />

macaroni, de la sauce tomate, du concentré de tomate, du ketchup, des tomates pelées, du jus<br />

de tomate, et de la tomate sous toutes les formes.<br />

ROGER : Au moins, c’est varié ! A défaut de se régaler, les clients de l’hôtel vont s’empâter.<br />

Et moi, je vais y laisser mon surplus de bourrelets à transporter ce chargement de caisses, sous<br />

ce soleil. Est-ce que c’est bientôt fini ?<br />

LileDesEndiables.doc 2/43


MARIE : Oui, une fois que vous aurez transporté cette caisse dans la remise.<br />

ROGER, il s’arrête : Marie, on ne va pas continuer à se vouvoyer. D’accord, on ne se connaît<br />

pas, mais toi comme moi, nous avons été (il insiste sur le terme) « sélectionnés » pour ce job.<br />

(Il se regarde et regarde Marie.) Nous avons donc le même profil ..., si je peux dire. Enfin,<br />

presque. Nous sommes tous les deux sur cette île, peinards. Alors, la vie est belle, (il la<br />

regarde de nouveau) et y’a pas que la vie.<br />

MARIE : Peinards, comme vous..., comme tu dis, oui, nous le sommes jusqu’à présent, mais<br />

qu’est-ce qui nous attend ?<br />

ROGER : Ah ! non, pas d’angoisse d’anticipation ! Relax, Marie ! Que demander de plus ?<br />

<strong>Le</strong> ciel bleu, la chaleur, les cocotiers, la mer à deux pas. Une île déserte, comme le paradis sur<br />

terre. Et des vahinés, ma belle !<br />

MARIE : Où sont-elles ? Je n’en vois pas une seule.<br />

ROGER, prenant l’accent africain, il se précipite derrière le comptoir : Attends, attends, ma<br />

petite! (Il ressort avec un collier d’ail qu’il lui met autour du cou. Il se met ensuite à danser<br />

autour d’elle.) Pré-présentement, te voilà la Reine des îles, la princesse des vahinés.<br />

MARIE : T’es gonflé ! Un collier d’ail !<br />

ROGER, avec le même accent : C’est tout ce que j’ai trouvé, mon impératrice. Mais, ici, l’ail<br />

est plus rare qu’une fleur d’hibiscus, son parfum plus envoûtant qu’une gousse de vanille, sa<br />

couleur plus délicate que la cannelle ; et puis, ça éloigne les prétendants qui, à partir de<br />

dorénavant, pourraient s’agglutiner sur toi comme les mouches autour..., oh ! pardon, comme<br />

les abeilles autour de leur reine.<br />

MARIE : Quelle mouche t’a piqué ? Parce que tu prétends...<br />

ROGER, reprenant son accent normal : Je ne prétends rien. Mais je me disais, qu’en<br />

attendant le patron, les invités et le personnel de service, c’est-à-dire pas avant demain matin,<br />

nous pourrions peut-être..., dans ce cadre idéal..., dans cet Eden nouveau..., comment te<br />

dire ? ... Enfin, toi Eve, et moi Adam, on pourrait peut-être croquer ...<br />

MARIE : Croquer quoi ? Des gousses d’ail ?<br />

ROGER : Non, enfin tu vois bien ce que je veux dire... Croquer... la pomme.<br />

MARIE, joignant le geste à la parole, elle lui balance une pomme : Tiens ! croque donc ! Et<br />

surtout, garde bien les pépins pour toi, et ouste ! en tenue ! (Elle prend le balai pour se faire<br />

obéir.)<br />

ROGER : En tenue de quoi ?<br />

MARIE : Eh ben..., en tenue d’Adam, puisque tu as l’air d’y tenir !<br />

ROGER, incrédule : D’A-d’A, d’A-d’A, d’Adam ?<br />

LileDesEndiables.doc 3/43


MARIE : Bien sûr, grand da-da, grand da-da, grand dadais !<br />

ROGER : Ah! non ! je..., je blaguais. Je voulais dire, toi, en tenue d’Eve, pourquoi pas ?<br />

MARIE, brandissant le balai et le faisant marcher : Ecoute-moi bien, Adam N° 2: si nous<br />

devons refaire le monde, ce sera sur des principes différents, avec une égalité totale des droits<br />

de l’homme et de la femme. Et même si cette fois, la femme est un plus égale que l’homme, je<br />

ne dirais pas non. Compris, Ada-Ada, Ada-da-da, Adadam?<br />

ROGER, s’épongeant le front : Message reçu 5 sur 5. Je transmettrai à ma descendance.<br />

MARIE : J’espère bien ! En attendant, voici pour toi ! (Elle lui remet sèchement le collier<br />

d’ail autour du cou.)<br />

ROGER, poussant un cri : Aïe !<br />

MARIE : Oui, de l’ail justement. Tu n’avais pas remarqué ?<br />

ROGER : J’ai dit « aïe » parce que tu m’as fait mal. (D’un air résigné.) Fermons la<br />

parenthèse du paradis terrestre et revenons à nos préoccupations nettement moins excitantes.<br />

MARIE : Oui, enfin à celles qui ne te préoccupent guère apparemment.<br />

ROGER : Oh! si ! Je ne pense qu’à ça depuis au moins dix secondes. Allez, on oublie tout, et<br />

on recommencera tout à l’heure. (Il va vers elle et l’embrasse sur le front.) Paix à toi, ma sœur<br />

! C’est un cœur pur et un corps apaisé qui t’embrassent. (Il se recule brusquement et se donne<br />

une gifle sur la joue puis une tape sur le bras.)<br />

MARIE : Pourquoi t’en vouloir si violemment ? J’aime ces baisers virginaux le soir, quand le<br />

soleil descend.<br />

ROGER : Ah! la vache ! La sale bestiole ! Elle m’a piqué à mort. Je te signale que, même<br />

sous les Tropiques, il n’y a que les femelles moustiques qui piquent.<br />

MARIE : Juste revanche de la gent féminine, si souvent écrasée.<br />

ROGER, il se donne une autre tape et affiche un sourire de vainqueur : Bon pronostic : elle<br />

est bel et bien écrasée. (Il ouvre sa main et lui montre le moustique.)<br />

MARIE : Bon ! Qu’allons-nous faire, à part nous regarder dans le blanc des yeux?<br />

ROGER, langoureux : C’est déjà pas mal comme programme.<br />

MARIE : Oui, mais moi, ça me va pas.<br />

ROGER : Nous n’avons rien à faire en attendant qu’ils débarquent.<br />

MARIE : Combien sont-ils ? Un plein charter ? Une pirogue à craquer ?<br />

ROGER : Aucune idée !... Attends ! <strong>Le</strong> Patron nous a laissé une série de lettres à ouvrir dans<br />

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l’ordre. (Il regarde sous le comptoir.) <strong>Le</strong>ttre n° 1, de Monsieur... comment d’ailleurs ?<br />

MARIE : Monsieur PADICY. Tu connais ?<br />

ROGER : Ni d’Eve, ni d’Adam. Oh! excuse-moi ! Je voulais dire que je ne l’ai jamais<br />

rencontré. Il y a quelques mois, j’ai reçu un courrier me disant en gros : «Vous êtes convié à<br />

l’hôtel EDEN» tiens, rebelote, sur cette île dans l’archipel des je sais pas quoi. «Présentezvous<br />

à Roissy» tel jour, à telle heure. Suivaient les conditions financières, la durée du séjour,<br />

le billet d’avion, etc. J’ai sauté dans un Airbus, puis d’un bus dans un quadrimoteur qui<br />

pétaradait, avant d’attraper un coucou, un bateau, et enfin une pirogue. Et toi ?<br />

MARIE : Idem. Curieux, non ? Et qu’est-ce que tu sais de ce Monsieur PADICY?<br />

ROGER : Pas grand chose, sinon qu’il doit arriver ce soir avec la fournée de touristes et le<br />

complément de personnel.<br />

MARIE : Et c’est qui les touristes ?<br />

ROGER, ouvrant une seconde lettre : <strong>Le</strong>ttre n° 2. Je lis : «Pour Marie et Roger.» Je n’invente<br />

rien, c’est bien écrit dessus. (D’un air tendre en soupirant) : « Pour Marie et Roger. » (Il lui<br />

tend la lettre pour qu’elle vérifie.)<br />

MARIE : Je vois, je vois, mais il n’y a pas d’indications particulières pour le ton de voix.<br />

ROGER : Je continue : «Dans l’attente d’ordres plus précis, vous procéderez au nettoyage de<br />

l’hôtel, à la préparation des chambres, à l’inventaire des stocks.» Oh ! doucement ! c’est un<br />

programme un peu trop brutal pour moi. «Votre service de maîtres d’hôtel prendra effet le<br />

matin qui suivra l’arrivée des clients.»<br />

ROGER et MARIE, ahuris : Maîtres d’hôtel ?<br />

ROGER : Moi qui venais pour la plonge ! La sous-marine, je veux dire, eh bien, c’est cuit.<br />

MARIE : Et moi aussi. Mon petit Roger, je crois qu’il va falloir plonger pour de bon, et pas<br />

dans le lagon.<br />

ROGER : Nous voilà dans de beaux draps ! (Il reprend la lecture de la lettre. Il se met à<br />

rire.) Dans de beaux draps, au propre comme au figuré, ma belle. ( Il se frotte les mains de<br />

contentement. )<br />

MARIE : Je ne comprends pas. (Il lui tend la lettre qu’elle lit.) « Votre service, à vous deux,<br />

prendra effet le matin qui suivra l’arrivée des clients, en tant que maîtres d’hôtel et ... en tant<br />

que couple ! » Qu’est-ce que c’est cette plaisanterie ? (Elle se met en colère.) Ça, mon petit,<br />

jamais de la vie !<br />

ROGER, heureux et d’un air faussement résigné : Nous voici donc unis désormais pour le<br />

pire et le moins pire. (Il rit et danse autour de Marie.)<br />

MARIE : Arrête tes gloussements et ta danse de Saint-Guy ! Au cas où tu ne le saurais pas,<br />

« conjugal », ça signifie « sous le même joug », comme deux vieux bœufs. Alors, pour<br />

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l’instant, je crois qu’on est parti pour épouser le pire; quant au moins pire, tu repasseras, ma<br />

bonne bête.<br />

ROGER : Allez ! Hue, la Marie !<br />

MARIE : Tu veux savoir la suite de notre programme conjugal ? Je cite ce Monsieur<br />

PADICY : « J’attends de vous que, face à la clientèle, vous paraissiez comme un couple uni<br />

de gérants compétents. » « Face à la clientèle », Roger, c’est tout ! Et non ailleurs. « Vous<br />

voudrez bien vous montrer très attentionnés envers nos clients. <strong>Le</strong>ur séjour est d’une semaine<br />

complète, et s’ils ont choisi cette destination, c’est pour le calme, le dépaysement et<br />

l’exotisme qu’offrent l’île et l’hôtel. » « Nos invités »: pourquoi dit-il « nos invités »? Nous<br />

n’avons invité personne.<br />

ROGER : Continue ta lecture passionnante !<br />

MARIE : « Nos invités sont des gens aux lourdes responsabilités. Si l’un ou l’autre vous<br />

demande des renseignements sur les environs, vous trouverez, ci-joint, une documentation<br />

abondante que je vous demande d’étudier attentivement pour être en mesure de répondre à<br />

leurs moindres questions. De votre compétence et de la satisfaction des touristes dépendra<br />

votre salaire. »<br />

ROGER : Et v’lan ! C’est clair, net et contraignant. Touristes pas contents, pas d’argent.<br />

C’est de l’arnaque !<br />

MARIE : Et comme ce seront sans doute de gros-pleins-de-sous bien exigeants, on n’aura que<br />

des clopinettes.<br />

ROGER : Adieu les vacances, et bonjour les cours du soir ! (Il sort les dépliants.) Y’en a<br />

marre !<br />

MARIE : Y’en a surtout qu’à apprendre tout ça ! Et récitation orale demain matin.<br />

ROGER : J’avais pas imaginé mes soirées tropicales aussi studieuses... A propos, ils sont<br />

combien ces touristes?<br />

MARIE : Cinq, plus les deux boys, plus le patron.<br />

ROGER : Tu veux que je te dise, ça fait cinq de trop. J’aimerais tant un hôtel tranquille, sans<br />

clientèle, sans patron, rien qu’avec des boys pour nous servir. Et qui sont-ils ces emmernuyeurs<br />

professionnels ?<br />

MARIE : Ça c’est dans la suite de la lettre. Il y a un Monsieur <strong>Le</strong>blanc, directeur d’une usine<br />

d’équipements sportifs, un major britannique, un certain Major White, une artiste dramatique,<br />

Mlle Blanche, une Mlle Weiss, agent d’assurances, et une autre demoiselle, Mlle Blanco,<br />

responsable d’un grand centre hospitalier. (Un temps.) C’est curieux, tu ne trouves pas ? Tu<br />

n’as rien remarqué ?<br />

ROGER : Si, qu’ils sont 5, et que ça fait toujours 5 de trop pour moi.<br />

MARIE : Ecoute bien leurs noms : <strong>Le</strong>blanc, White, Blanche, Weiss, Blanco. Ça ne te dit<br />

LileDesEndiables.doc 6/43


ien?<br />

ROGER : Que dalle ! Sauf que ça fait pas tellement exotique, sauf le Major White. Je<br />

l’imagine séduisant comme un bouledogue anglais, une vraie théière ambulante, avec des<br />

grosses moustaches en guise de passoire à thé. Je sens que ça va être follement excitant. Et<br />

puis, je l’imagine entouré d’une armée de vieilles filles bêlantes.<br />

MARIE : Pauvre abruti ! Tous ces noms, dans des langues différentes, désignent la couleur<br />

blanche, « le blanc ».<br />

ROGER : Oui, et alors ? Ça tombe plutôt bien : la météo a annoncé un ouragan ; c’est sans<br />

doute eux la « tornade blanche. » Tiens, à propos, comment t’appelles-tu?<br />

MARIE : Marie, idiot.<br />

ROGER : Je sais, idiote toi-même. Marie comment ?<br />

MARIE : <strong>Le</strong>noir.<br />

ROGER : Quoi !?<br />

MARIE : Attention, tu vas t’étrangler.<br />

ROGER, il porte la main à sa gorge : Non, mais si ça continue, je vais avaler ma pomme<br />

d’Adam.<br />

MARIE : Ah ! non ! C’est pas fini cette histoire de paradis terrestre ?<br />

ROGER : Viens là, ma petite Eve, que je te croque nature.<br />

MARIE, menaçante, elle brandit un balai : Montrez un peu vos crocs, Monsieur Adam-<br />

Roger comment ?<br />

ROGER : Devine.<br />

MARIE : Je sais pas. Roger <strong>Le</strong>gris.<br />

ROGER : Perdu ! Je me présente, et ce n’est pas un gag. Je m’appelle Roger <strong>Le</strong>noir.<br />

MARIE : Quoi !? <strong>Le</strong>noir ! Comme ... moi ? (Elle se passe la main sur le front.) Je ne me sens<br />

pas bien, mais alors, pas bien du tout. Roger, je m’en vais !<br />

ROGER : Viens, ma petite. (Elle semble s’évanouir. Il la saisit pour qu’elle ne tombe pas. Il<br />

la regarde attentivement.) Comme vous êtes blanche, Mademoiselle... (il se reprend) Madame<br />

... <strong>Le</strong>noir ! (Il tente de l’embrasser. Elle le gifle et se redresse.) Aïe ! Et voilà comment on<br />

récompense les héros !<br />

MARIE : Quelle bravoure ! Attends que je reprenne mes esprits, et tu verras ! Rideau, s’il<br />

vous plaît !<br />

LileDesEndiables.doc 7/43


Deuxième tableau<br />

RIDEAU<br />

( <strong>Le</strong> lendemain, assis près de la table, M. <strong>Le</strong>blanc, tenue sport décontractée, et le Major<br />

White, bermuda strict et casque colonial. Sur la table, des boissons, cocktails, sirops, une<br />

bouteille de whisky “Black & White”, des crayons, un marqueur noir, des dépliants. M.<br />

<strong>Le</strong>blanc et le Major sont en train de boire un long drink. Musique langoureuse.)<br />

VOIX OFF : <strong>Le</strong> lendemain...<br />

LEBLANC, regardant sa montre : Nous avions dit «à 9 heures précises.» Je constate, Major,<br />

que les femmes ont du mal à être ponctuelles.<br />

MAJOR, s’exprime avec l’accent britannique : Auriez-vous une petite attaque de misogynie<br />

matinale, cher Monsieur <strong>Le</strong>blanc ? Pourtant, j’ai cru remarquer lors du voyage que vous<br />

n’étiez pas du tout contre le sexe opposé.<br />

LEBLANC : Contre, oh nullement ! Tout contre, plutôt. Je m’en sentirais même très proche.<br />

MAJOR : Attitude suicidaire. Puisque vous semblez les connaître si bien, dites-moi donc à<br />

quelle heure elles vont débarquer dans le salon. <strong>Le</strong> patron de l’hôtel tient à nous réunir ce<br />

matin pour nous présenter son établissement ainsi que le programme de la semaine.<br />

LEBLANC : Vous savez, les notions d’horaires sont assez élastiques sous les Tropiques.<br />

MAJOR : Oui, hélas ! J’ai passé l’essentiel de ma carrière dans les services de Sa Majesté<br />

aux Indes et aux Bermudes : je connais donc les Tropiques et les femmes.<br />

LEBLANC : Tiens donc !<br />

MAJOR : <strong>Le</strong>s femmes un peu moins, à la vérité. Laissez-moi vous raconter l’épisode le plus<br />

marquant de ma vie privée pour vous montrer que la ponctualité est le secret de toute<br />

réussite... ou de tout échec. Un jour, j’avais donné rendez-vous à 9h30 à celle qui devait<br />

devenir ma fiancée.<br />

LEBLANC : Vous êtes marié ?<br />

MAJOR : Il s’en est fallu de peu. Mais un moment d’inattention, et j’ai oublié. Donc à 9h32,<br />

la Belle n’était toujours pas là. L’attente fut interminable et insupportable. A 9h40, comme il<br />

n’y avait personne, et après en avoir parlé à mon cheval qui piaffait lui aussi d’impatience, je<br />

suis reparti et nous ne nous sommes plus revus.<br />

LEBLANC : Qui, votre cheval et vous ?<br />

MAJOR : Non, la jeune fille.<br />

LEBLANC : Et c’est l’événement le plus marquant de votre vie privée ?<br />

LileDesEndiables.doc 8/43


MAJOR : C’est énorme. Si elle avait été ponctuelle, elle aurait eu inévitablement la faiblesse<br />

de m’épouser, et je ne serais peut-être pas en vie à l’heure actuelle.<br />

LEBLANC : En somme, elle vous a sauvé la vie.<br />

MAJOR : Sans aucun doute. Bien que je n’aime pas dévoiler cette phase agitée de ma vie, il<br />

faut que cela vous serve aussi de leçon, Monsieur <strong>Le</strong>blanc. Car vous courez de graves<br />

dangers; votre vie est en péril, croyez-moi.<br />

LEBLANC : Que voulez-vous qu’il m’arrive ? Je suis jeune, en bonne santé. Mes affaires<br />

prospèrent. Responsable d’une importante maison d’articles de sports et de produits de<br />

diététique, je mène une vie saine, équilibrée, au grand air.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong> danger vient d’ailleurs. Au cours de notre long voyage, n’avez-vous pas noté les<br />

assauts répétés du charme féminin ?<br />

LEBLANC : Vous voulez parler de nos 3 compagnes de voyage et d’hôtel ?<br />

MAJOR : Précisément. Très suspect.<br />

LEBLANC : Très plaisant, au contraire.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong> moment venu, rappelez-vous mes paroles. (Il tend l’oreille.) <strong>Le</strong> bruit précédant<br />

la femme, je crois qu’elles arrivent. Observons grandeur nature.<br />

(Entrée des 3 femmes: Mlles Blanche, Weiss et Blanco. Elles portent des tenues colorées et<br />

légères.)<br />

BLANCHE, WEISS, BLANCO : Bonjour, Messieurs. (En guise de salut, le Major soulève<br />

son casque.)<br />

LEBLANC : Mes chères dames, bien le bonjour.<br />

BLANCHE, elle prend <strong>Le</strong>blanc par le bras et, face à la mer, sur un ton théâtral :<br />

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !<br />

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme...<br />

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :<br />

Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;<br />

Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,<br />

Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets. »<br />

(Sans transition.) « Bon appétit, Messieurs ! »<br />

LEBLANC : Vous êtes toujours aussi théâtrale le matin ?<br />

BLANCHE, avec un large sourire en direction de <strong>Le</strong>blanc : Non, uniquement quand le<br />

public est bon, fin et connaisseur. (Elle s’assoit et prend une boisson.)<br />

MAJOR, à <strong>Le</strong>blanc : Ça, c’est pour vous, mon cher. La représentation est commencée. Nous<br />

ne savons pas encore si ce sera une comédie, un mélodrame ou une tragédie.<br />

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BLANCO, prenant à son tour <strong>Le</strong>blanc par le bras. <strong>Le</strong>blanc commence à ne plus savoir où<br />

donner de la tête : Cette nature intacte est un enchantement pour les yeux et le cœur. Dites, M.<br />

<strong>Le</strong>blanc, pourriez-vous me donner quelques conseils personnels pour m’aider à retrouver une<br />

pêche d’enfer dans ce cadre reposant et réparateur ?<br />

WEISS, d’un air jaloux: Mais, n’êtes-vous pas bien placée, en tant que responsable d’un<br />

centre hélio-marin, pour connaître les trucs infaillibles, au lieu d’importuner ce bon M.<br />

<strong>Le</strong>blanc ?<br />

BLANCO : Par profession, je suis tournée vers ce qui est malade, alors que M. <strong>Le</strong>blanc, lui,<br />

est orienté vers ce qui est sain, naturel. J’admire sans retenue ce que vous faites M. <strong>Le</strong>blanc.<br />

(<strong>Le</strong> Major tousse.) Oui, Major ?<br />

MAJOR : Oui, oui, moi aussi, mais avec retenue. (A <strong>Le</strong>blanc) A ce train-là, mon cher, il vous<br />

faudra un tempérament de cheval pour résister à la charge de la brigade lourde qui s’annonce.<br />

LEBLANC, au Major : Il suffit de s’organiser, de manager avec compétence et de garder la<br />

tête froide.<br />

MAJOR : Ou vous êtes un saint, ou vous êtes un héros, ...ou alors un incorrigible coureur de<br />

jupons.<br />

LEBLANC : Cela dépend des moments de la journée. Ce qui est important, c’est de garder en<br />

soi une assurance de tous les instants.<br />

WEISS, entendant cela, elle se lève et va embrasser <strong>Le</strong>blanc qui en reste interloqué : M.<br />

<strong>Le</strong>blanc, vous avez prononcé le mot que j’attendais de vous.<br />

MAJOR : Et de trois de chute !<br />

WEISS : As-su-rance ! Nous y voilà ! J’ai beaucoup réfléchi cette nuit à vos activités<br />

multiples, M. <strong>Le</strong>blanc, et j’en suis arrivée à la conclusion que je dois consulter votre dossier.<br />

(Elle se lève et tend la main.) Vos papiers, s’il vous plaît, police !<br />

LEBLANC, machinalement se relève, sort sa carte d’identité et la tend à Mlle Weiss. :<br />

Police? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?<br />

WEISS, elle regarde la carte et affiche un air satisfait : Youpi ! Petit cachottier qui ne voulait<br />

pas nous dire son âge. Chut ! Je ne le répéterai pas, ce sera un secret entre nous deux. (Elle<br />

lui rend sa carte.)<br />

LEBLANC : Pourquoi avez-vous dit « police » ?<br />

WEISS : Ah ! vous n’avez pas la conscience tranquille. J’ai dit « police » pour que vous me<br />

tendiez votre police d’assurances. Cher Monsieur <strong>Le</strong>blanc, vous courez de grands risques<br />

qui ne sont pas couverts ; or, j’ai tout pour vous couvrir.<br />

LEBLANC, s’épongeant le front : Avec ce que vous avez sur vous, ça m’étonnerait ! Non,<br />

merci, mais je ne me sens pas nu du tout.<br />

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WEISS : Démuni plutôt, fragile. «La Céleste», vous connaissez ? C’est le nom de la<br />

compagnie d’assurances que je dirige : elle couvre tout, assurance-vie, assurance-décès,<br />

invalidité, pension, etc. (Elle lui prend la cheville et lui caresse.) Ça va des conséquences de<br />

la luxure, oh ! pardon ! d’une luxation aux risques majeurs. Avec moi, vous vivrez tranquille,<br />

je serai votre assurance quotidienne, votre oreiller de sécurité, votre couverture de tous les<br />

instants. J’irai vous voir et nous signerons ensemble, d’accord ?<br />

MAJOR : Excusez, Mesdames, excusez-moi, <strong>Le</strong>blanc : moi aussi, il faut que je me couvre à<br />

mon tour : le temps se gâte.<br />

BLANCHE : Ô, orages funestes ! orages désirés !<br />

WEISS : Je n’avais pas remarqué.<br />

MAJOR : Ce n’est qu’une tornade dont le centre ou l’œil est tout proche. (Il sort.)<br />

LEBLANC : Mlle Weiss, nous reprendrons plus tard cette passionnante conversation sur les<br />

menaces qui planent sur nous. (Aux trois femmes.) Mesdemoiselles, s’il vous plaît !<br />

BLANCHE, BLANCO, WEISS, avec un large sourire : Oui, M. <strong>Le</strong>blanc.<br />

LEBLANC, gêné : Non, je n’ai pas dit «Mesdemoiselles» pour attirer votre attention, j’ai dit<br />

«Mesdemoiselles», comme j’aurais dit «Messieurs», sur un ton banal, plat, habituel.<br />

BLANCHE, BLANCO, WEISS, sans sourire : Oui, M. <strong>Le</strong>blanc.<br />

LEBLANC : Ne me faites pas la tête.<br />

WEISS, avec le sourire : Non, M. <strong>Le</strong>blanc.<br />

(Entrée du Major vêtu d’un peignoir et d’un bonnet de bain.)<br />

BLANCHE : Où allez-vous donc ainsi costumé ?<br />

MAJOR : <strong>Le</strong>s circonstances exigeant de garder la tête froide, je vais en piquer une dans la<br />

mer toute proche. Gardez la vôtre froide, <strong>Le</strong>blanc. (Montrant les femmes.) La température<br />

autour de vous monte dangereusement. (Il s’apprête à sortir.)<br />

BLANCO, s’approchant de <strong>Le</strong>blanc, elle lui met la main sur le front : Vous sentez-vous mal,<br />

mon petit ? J’ai l’habitude des fronts brûlants.<br />

LEBLANC : Je commence à perdre la tête, à moins qu’elle ne bouillonne trop fort. Major,<br />

pourriez-vous rester ici un instant ?<br />

MAJOR : OK. (Il se rassoit et ôte son bonnet de bain.) Quel est votre problème?<br />

LEBLANC : Il est le même pour nous tous. Je résume la situation. A grands frais, nous avons<br />

tous réservé, sur cette île de rêve, une semaine de vacances dont nous attendons le<br />

programme. <strong>Le</strong> voyage jusqu’à présent, quoique long, a été inoubliable pour nous tous, n’estce<br />

pas ?<br />

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BLANCO, BLANCHE, WEISS, elles se regardent en souriant : Oh ! oui !<br />

MAJOR : Roucoulade au lever, sérénade au coucher. Proverbe papou.<br />

LEBLANC : Je ne connaissais pas. Ce qui est étrange, c’est que nous n’avons vu ni le patron,<br />

ni le personnel de service.<br />

MAJOR : L’explication est simple. M. <strong>Le</strong>blanc, vous n’avez d’yeux que pour ces dames qui,<br />

en retour, n’ont de regards que pour vos yeux. Résultat : vous avez un champ de vision qui<br />

fonctionne en cercle vicieux, et vous n’avez remarqué personne d’autre. <strong>Le</strong> Maître d’hôtel et<br />

sa femme par exemple. Ils seront là bientôt.<br />

LEBLANC : Ouf ! J’aime mieux ça.<br />

BLANCO : Qu’avez-vous à craindre ?<br />

WEISS : Nous sommes là.<br />

BLANCHE : <strong>Le</strong>s dieux sont avec nous.<br />

MAJOR : Tu parles des dieux !<br />

(Entrée de Roger et Marie, en tenue de Maîtres d’hôtel. Ils s’inclinent pour les saluer.)<br />

ROGER : Mesdames et Messieurs, bonjour. Mon épouse (Marie se raidit et tousse. Roger lui<br />

donne une tape. A Marie discrètement.) Souris ! ... Mon épouse et moi-même, nous vous<br />

souhaitons la bienvenue à l’hôtel « Eden. »<br />

MARIE : Nous sommes à votre service pendant toute la durée de votre séjour sur cette île,<br />

perle du Pacifique.<br />

ROGER : Une île qui, comme vous le verrez, est bénie des dieux.<br />

MAJOR : Que les dieux soient donc avec nous !<br />

LEBLANC : Et avec votre esprit tortueux !<br />

MAJOR : Ainsi soit-il.<br />

ROGER, débitant ce qu’il a appris par cœur : Ce joyau de la nature a été découvert en 1769<br />

par le Capitaine Cook, lors de sa première expédition. Il lui donna le doux nom d’Île sauvage,<br />

ou mieux encore, d’Île du Diable.<br />

(Pendant ce temps, <strong>Le</strong>blanc se saisit de la bouteille de whisky “Black & White” et, à l’aide<br />

d’un marqueur noir, colorie le petit chien blanc de l’étiquette.)<br />

BLANCO : C’est gai ! On nous avait dit que c’était l’île du paradis terrestre. Il y a tromperie<br />

sur la marchandise.<br />

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BLANCHE : <strong>Le</strong>s dieux nous abandonnent-ils déjà ?<br />

WEISS : Mais non, mais non. Avec ma Compagnie d’assurances « La Céleste », le paradis est<br />

sur terre.<br />

BLANCO : Moi qui pensais trouver Adam et Eve en personne. (Elle se regarde d’un air de<br />

satisfaction.) Enfin surtout Adam.<br />

ROGER, donnant un coup de coude à Marie : C’est de ta faute ! Tu vois leur déception. Toi<br />

et moi, on tenait le rôle, mais tout a foiré par ta faute cette nuit. (Aux clients) Normalement,<br />

tout était prévu pour que vous les rencontriez mais un entêtement féminin de dernière minute<br />

en a décidé autrement.<br />

MARIE, à mi-voix : Ah ! la vache !<br />

ROGER : Mesdames, Messieurs, ma femme me souffle que tout espoir n’est pas perdu, n’estce<br />

pas, chérie ?<br />

MARIE, d’un sourire forcé, elle s’incline et marmonne : Tu perds rien pour attendre.<br />

ROGER : Mesdames, Messieurs, je continue mon petit exposé. L’île, dans sa plus grande<br />

longueur, fait environ 5 kilomètres. Largeur moyenne : 1,5 km. Population : au recensement<br />

de ce matin : 5 touristes et 2 maîtres d’hôtel. <strong>Le</strong> patron n’est pas encore arrivé, et les 2<br />

serviteurs sont introuvables, mais il ne faut pas désespérer.<br />

MARIE : Ce qui fait que nous devrions être bientôt 10.<br />

ROGER : C’est cela. La végétation luxuriante n’est pas sans rappeler le jardin de l’Eden.<br />

Nous sommes ici complètement coupés du monde extérieur. En effet, les plus proches<br />

habitants, cannibales dit-on - mais je n’ai pas vérifié - se trouvent à deux heures de pirogue.<br />

En direction du nord, vous ne pouvez pas vous tromper. La première ville digne de ce nom est<br />

à environ une heure d’avion. C’est un coucou qui assure la liaison avec l’île d’une façon très<br />

irrégulière.<br />

MAJOR : Ouf !<br />

MARIE : C’est-à-dire au maximum une fois par semaine. <strong>Le</strong> prochain vol ayant lieu pour<br />

votre retour. En principe...<br />

TOUS : Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe !<br />

ROGER : Mais, n’êtes-vous pas ici pour un repos complet ?<br />

MARIE : Appréciez donc la nature à l’état brut.<br />

LEBLANC : Brutal, plutôt ! Et les communications avec l’extérieur ?<br />

ROGER : Ni fax, ni téléphone, ni Internet.<br />

MARIE : Ni télé, ni courrier.<br />

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MAJOR : Autrement dit, les continents sont isolés.<br />

LEBLANC, sourire aux lèvres : Pas de panique ! J’ai mon portable.<br />

ROGER : Bien inutile, je le crains. Quel réseau irait couvrir cette zone pratiquement<br />

inhabitée ?<br />

MAJOR, à <strong>Le</strong>blanc : Adressez-vous donc à Mlle Weiss. Elle vous a promis qu’elle vous<br />

couvrirait. Et puis, grâce à « La Céleste », vous allez pouvoir vous connecter avec l’au-delà. Je<br />

suis sûr qu’elle va nous avoir une liaison avec les esprits dans les secondes qui suivent.<br />

WEISS : Votre ironie ne m’atteint pas, Major. Mais il va de soi que je ferai l’impossible pour<br />

satisfaire M. <strong>Le</strong>blanc.<br />

MAJOR : C’est beau la conscience professionnelle.<br />

ROGER : Excusez-moi, Mesdames, Messieurs. J’ai ici un magnéto-cassette à piles. Et M.<br />

Padicy vous a enregistré un message.<br />

MAJOR, sifflant d’admiration : Un magnéto-cassette à piles ! <strong>Le</strong> summum de la technologie.<br />

Ah ! les piles ! Vive les piles ! Asseyons-nous, je crois que nous allons en avoir besoin.<br />

(Roger introduit la cassette. Musique de la 5 ème Symphonie de Beethoven.)<br />

BLANCHE : Très théâtrale comme entrée en matière. C’est d’un goût douteux.<br />

(Après les premières mesures, silence. N’entendant que de la musique enregistrée, les clients<br />

se mettent à parler. Tout à coup, la musique laisse place à une voix très forte et grave. Ils<br />

sont tous médusés.)<br />

VOIX : Taisez-vous, bande de misérables ! (La voix se radoucit.) Bienvenue à l’Ile du Diable.<br />

(Rire démoniaque. ) Il est temps de jeter bas les masques et de montrer votre vrai visage. Etesvous<br />

réellement qui vous prétendez être ? (Silence. Au fur et à mesure qu’ils entendront<br />

prononcer leur nom, ils baisseront la tête. Personne n’osera regarder les autres.) Vous êtes<br />

tous de la race des esclavagistes, des exploiteurs. Votre âme est-elle aussi blanche que la<br />

couleur de votre peau ou que le nom que vous portez ? N’avez-vous rien à vous reprocher,<br />

Major White ... ? M. <strong>Le</strong>blanc ...? Mlle Blanche ...? Mlle Blanco ...? Mlle Weiss ...? (Quelques<br />

mesures de la 5 ème Symphonie. On voit Roger et Marie pousser un soupir de soulagement. La<br />

musique s’arrête.) Et que dire de vous, Mme <strong>Le</strong>noir... ? et de vous, M. <strong>Le</strong>noir ... ? Ils sont<br />

beaux ces 7 petits Blancs ! Ah! j’allais oublier les deux serviteurs et le Directeur de l’hôtel...<br />

Se sont-ils envolés ? cachés ? Avaient-ils peur d’être démasqués à peine arrivés ? Ou bien<br />

sont-ils tapis dans l’ombre attendant l’heure de la vengeance ? Qui manigance tout cela ? Quel<br />

cerveau dérangé a mis en scène un tel scénario ? Vous êtes pourtant 10 petits Blancs sur cette<br />

île ? Ne seriez-vous plus que sept... ? (Rire) Bon séjour, mes amis. Je vous laisse à votre<br />

destinée car, comme vous le savez, je ne suis pas d’ici..., pas d’ici... Soyez rassurés, vous<br />

aurez bientôt de mes nouvelles. (Echo puis quelques mesures de musique. Silence lourd. )<br />

WEISS, elle part d’un éclat de rire, se lève et va féliciter Mlle Blanche : Félicitations, Mlle<br />

Blanche, pour cette brillante mise en scène. Nous avons tous marché, moi la première ; mais<br />

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j’ai tout de suite flairé la supercherie. Question de métier. On peut l’applaudir, mes amis.<br />

(Elle est la seule à applaudir ; les autres la regardent, abasourdis. Elle se rassoit d’un air<br />

penaud.) J’ai l’impression que le spectacle n’est pas tout à fait terminé.<br />

BLANCHE, elle se relève et, prise d’une crise de nerfs, se met à hurler et à taper des pieds :<br />

Non, ce n’est pas moi ! Maman ! à mon secours ! (Elle se réfugie dans les bras de <strong>Le</strong>blanc et<br />

s’y blottit.) Maman ! (Elle se calme peu à peu )<br />

LEBLANC, la consolant : Oui, mon petit, ne pleure pas, je suis là.<br />

MAJOR : Quelle belle mère vous faites <strong>Le</strong>blanc !<br />

BLANCO, d’un pas décidé, elle marche vers <strong>Le</strong>blanc. En colère, elle arrache Mlle Blanche<br />

des bras de <strong>Le</strong>blanc : Bien joué, ma belle. C’est ce que l’on appelle profiter de la situation et<br />

détourner les soupçons. Vous êtes une excellente comédienne. Trop beau pour être vrai.<br />

Comme si, moi, suite à ces infâmes accusations, j’avais simulé un malaise cardiaque pour me<br />

jeter dans les bras de M. <strong>Le</strong>blanc. Comme cela ! (Elle simule un malaise et tombe dans les<br />

bras de <strong>Le</strong>blanc.)<br />

LEBLANC : Non, mais, ce n’est pas fini cette comédie. Je vais terminer en fauteuil d’hôpital,<br />

les bras dégoulinant de femmes.<br />

BLANCO : Je voulais jouer le même petit jeu que Mlle Blanche, c’est tout. Qu’on ne se<br />

méprenne pas sur mes intentions !<br />

MAJOR : Je vous avais prévenu, <strong>Le</strong>blanc. Vous avez de trop petits bras pour les embrasser<br />

toutes. Vos bras vont craquer.<br />

ROGER, à <strong>Le</strong>blanc : Moi, au moins, vous ne m’aurez pas comme convalescent ; je préfère<br />

tomber dans des bras plus secourables et plus tendres, n’est-ce pas, ma chérie ? (Il s’accroche<br />

à Marie qui le repousse sans ménagement.)<br />

MARIE : Va-t’en, cochon des îles ! Tu es le diable en personne ! (Roger se rassoit, penaud.)<br />

WEISS : Nous ne sortirons pas indemnes de cet incident. Je crois qu’il va falloir déterminer<br />

le taux de responsabilité de chacun. Et je suis la mieux placée pour cette expertise. Vous aurez<br />

tous noté que j’ai fait preuve d’un grand sang-froid et que je ne me suis pas donnée en<br />

spectacle comme mes deux compagnes. Je n’ai pas crié : « Maman ! » en fondant sur M.<br />

<strong>Le</strong>blanc, tout comme je n’ai pas prétendu avoir un malaise pour tomber dans les bras de notre<br />

charmant compagnon. (Dans les deux cas, elle imite ce qu’ont fait Mlles Blanche et Blanco.)<br />

J’ai ma dignité de femme, moi. Ne l’oubliez pas, M. <strong>Le</strong>blanc, au moment de votre choix final.<br />

MAJOR, à <strong>Le</strong>blanc : Mon cher, à la vitesse où nous allons, vous terminerez en lambeaux.<br />

Avant qu’il ne soit trop tard, filez dans votre chambre, et familiarisez-vous avec la<br />

psychologie de la mante religieuse, vous savez la charmante bestiole qui tue son mâle après<br />

lui avoir fait l’amour. Elles n’ont aucune morale.<br />

LEBLANC : Qui ? <strong>Le</strong>s femmes ?<br />

MAJOR : Non, les mantes religieuses.<br />

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LEBLANC : Major, vous qui gardez toujours la tête froide, que me conseillez-vous de faire ?<br />

MAJOR : Couvrez-vous comme moi. (Il enfile son bonnet de bain.) Et venez vous rafraîchir<br />

les idées dans l’eau. Ensuite, je vous expliquerai d’où vient le danger ; et à ce moment-là, il<br />

faudra vite choisir son camp ou périr sur place.<br />

(Ils sortent tous les deux.)<br />

ROGER, à Marie : Remballe ta colère, Marie ! Je crois qu’on nous suspecte. Dans cette<br />

alliance entre blancs, le fait de s’appeler « <strong>Le</strong>noir » va nous attirer des ennuis. (Sortie de<br />

Roger et Marie.)<br />

BLANCHE : Femmes, mes sœurs, nous voici lâchement abandonnées. Nous sommes les<br />

proies idéales, et les prédateurs sont bien connus. Oublions nos querelles, faisons cause<br />

commune pour notre survie.<br />

BLANCO : Bravo ! Je me charge de l’antenne médicale, des secours, en cas de besoin.<br />

WEISS : Et moi, j’organise le sauvetage humanitaire. Avec ou sans « Océanie Assistance».<br />

D’abord, je rapatrie les innocents, je leur réapprends à vivre, je panse leurs plaies morales.<br />

BLANCO : Et qui sont ces innocents ?<br />

WEISS : Ils sont peu nombreux : il y en a un surtout, je veux parler de M. <strong>Le</strong>blanc que je sens<br />

en danger extrême en compagnie du Major White. Je me dévoue, je vais le tirer de la gueule<br />

du loup. (En direction de <strong>Le</strong>blanc) J’arrive, mon chou. (Elle s’élance. <strong>Le</strong>s deux autres la<br />

retiennent. De l’index, elles lui font signe que non. Elles l’obligent à se rasseoir. Elle crie.)<br />

Jalouses !<br />

BLANCHE : Oh ! la menteuse, elle est amoureuse.<br />

WEISS : Comédienne !<br />

BLANCO, à Mlle Weiss : Voleuse professionnelle !<br />

WEISS : Assassine en blouse blanche !<br />

BLANCO : Langue de vipère !<br />

WEISS : Suppôt de Satan !<br />

BLANCO : Fille du Diable !<br />

(Soudain, en fond de scène, trois personnages vont traverser la scène de gauche à droite. <strong>Le</strong>s<br />

trois sont déguisés en diables. Musique adéquate.)<br />

PREMIER DIABLE : Bonjour les filles ! Bienvenue à l’Ile du Diable !<br />

(<strong>Le</strong>s 3 femmes regardent le spectacle, médusées. Elles s’écroulent sur leur fauteuil.)<br />

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BLANCHE avant de s’évanouir : Qui c’est qui a dit qu’elle se chargeait des premiers<br />

secours ?<br />

DIABLE, retraversant la scène : A tout à l’heure les filles !<br />

( Musique. )<br />

RIDEAU<br />

ACTE 2<br />

(Un peu plus tard, en fin d’après-midi. Au lever du rideau, tous les 7 sont réunis.)<br />

LEBLANC, aux trois femmes : Visiblement, Mesdemoiselles, vous avez été victimes d’une<br />

hallucination collective. (A Roger ) M. et Mme <strong>Le</strong>noir, vous qui êtes familiers de cette île, estce<br />

un phénomène extraordinaire ?<br />

ROGER, embarrassé : Non ... L’émotion..., le dépaysement et la chaleur aidant..., tout peut<br />

s’expliquer.<br />

MARIE : Et puis, sachant que nous sommes sur l’île du Diable, il est possible que vous ayez<br />

projeté l’image d’un démon.<br />

ROGER : C’est un mirage habituel chez nos clients les premiers jours. Tenez, par exemple, le<br />

mois dernier... (Marie lui fait signe d’arrêter.) Moi-même, je ... me suis... senti mal, avec une<br />

fièvre d’enfer...<br />

BLANCO : Oui, et alors ?<br />

MARIE : Alors, rien, il ne se souvient plus très bien.<br />

BLANCO : Oui, je vois.<br />

LEBLANC : Allons, nos petites chéries sont-elles rassurées ?<br />

MAJOR : Triple crétin ! (A <strong>Le</strong>blanc) Arrêtez de leur donner du galon !<br />

BLANCHE : Tout de même, ces diables cornus, biscornus...<br />

WEISS : Biscornés, crottés...<br />

BLANCHE : Crois-tu ?<br />

ROGER : Justement, ces diables surgissant de nulle part, c’était un peu trop gros pour être<br />

vrai. Nous ne sommes pas en représentation.<br />

BLANCO : Oh ! non ! Pourtant je n’ai pas rêvé.<br />

LEBLANC : Un peu de surmenage, c’est tout ; plus la chaleur, les émotions.<br />

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MAJOR : Il y a quand même quelque chose de troublant dans toute cette histoire. Ces<br />

ressemblances avec « <strong>Le</strong>s 10 Petits Nègres » de ma compatriote Agatha Christie : 10<br />

personnes sur une île coupée du monde, une voix qui les accuse et puis des phénomènes<br />

bizarres.<br />

LEBLANC : Vous nous donnez froid dans le dos, Major, malgré la température. Espérons<br />

que, contrairement au roman, les 10 ne vont pas disparaître tragiquement. Je tiens à ma peau.<br />

WEISS : Nous aussi.<br />

MAJOR : Vous voulez dire, Mlle Weiss, que vous tenez à la peau de <strong>Le</strong>blanc.<br />

WEISS : A la mienne d’abord.<br />

MAJOR à <strong>Le</strong>blanc : Vous voyez, mon cher <strong>Le</strong>blanc, ces femmes ne vous ont pas encore dans<br />

la peau. Cruelle découverte, mon cher.<br />

WEISS, tentant de se reprendre : Non, M. <strong>Le</strong>blanc, ce n’est pas ce que je voulais dire.<br />

MAJOR : Mais vous l’avez dit. Quoi qu’il en soit, il y a bien parmi nous un malin qui tire les<br />

ficelles. Nous devrions être 10, et nous ne sommes que 7. Combien serons-nous demain ?<br />

Réagissons, sinon nous tomberons tous dans la gueule du loup. (<strong>Le</strong>s 3 femmes se regardent.)<br />

Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? Une surveillance réciproque s’impose. A partir de maintenant,<br />

chacun devient suspect aux yeux des autres. Toutes les propositions relatives à notre sécurité<br />

sont les bienvenues. A qui la parole? (<strong>Le</strong>blanc lève la main.) Oui, <strong>Le</strong>blanc.<br />

LEBLANC : Buvons d’abord, réfléchissons ensuite.<br />

MAJOR : Proposition acceptée. <strong>Le</strong>blanc, servez-nous quelque chose de doux. Par exemple,<br />

du whisky pour tout le monde pour qu’il n’y ait pas de discrimination.<br />

LEBLANC : Moi, j’aurais bien pris un petit blanc.<br />

ROGER : Moi, un Picon.<br />

MARIE : Un lait de poule, pour moi.<br />

BLANCHE : En ce qui me concerne, une tomate.<br />

BLANCO : Moi, je penche pour le coup de foudre.<br />

WEISS : Et moi, un perroquet.<br />

MAJOR, excédé : C’est tout ! Et pourquoi pas un verre d’extase pour vous Mesdemoiselles ?<br />

BLANCO, BLANCHE, WEISS : Qu’est-ce que c’est ?<br />

MAJOR : Pour l’extase, un cocktail approprié à vos roucoulements, prendre 1/3 de curaçao,<br />

1/3 de cherry brandy et 1/3 de rhum. C’est frais, exotique et tropical, et ça devrait stimuler vos<br />

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ardeurs Mesdemoiselles.<br />

BLANCO, BLANCHE, WEISS : D’accord, d’accord !<br />

MAJOR : Et c’est reparti pour les gloussements. Je vous préviens, <strong>Le</strong>blanc, après, je ne<br />

réponds plus d’elles. Si votre santé vous le permet, après tout...<br />

LEBLANC : Je crois en effet plus judicieux, Mesdemoiselles, de choisir quelque chose de<br />

moins fort, de moins excitant.<br />

BLANCHE : S’il faut changer, eh bien...<br />

BLANCO : Ce sera...<br />

WEISS : Un coup de foudre.<br />

LEBLANC : Aïe, aïe, aïe ! C’est pire. C’est quoi votre coup de foudre ?<br />

MAJOR : 1/3 de Blanco, 1/3 de Blanche et 1/3 de Weiss. Vous mettez bien au chaud, vous<br />

agitez, enfin je veux dire, vous vous agitez, et ça vous met à plat. Vous voyez ce que je veux<br />

dire, Superman.<br />

BLANCHE : Stupide ! <strong>Le</strong> coup de foudre, c’est 3/5 de curaçao...<br />

BLANCO : 1/5 de gin ...<br />

WEISS : Et 1/5 de chartreuse jaune.<br />

LEBLANC : Si vous en voulez un, Mesdemoiselles, je suis votre homme. Je vais vous en<br />

confectionner un illico.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong>blanc, restez ! Vous voyez bien qu’elles l’ont déjà leur coup de foudre, et que<br />

c’est inutile d’en rajouter une louche. Démocratiquement, ce sera du whisky pour tout le<br />

monde. C’est en nous dispersant que l’espèce de fêlé du bocal agira pour mieux nous<br />

éliminer. Si nous devons périr, périssons tous et en même temps. Ce sera moins démoralisant<br />

pour ceux qui resteront. <strong>Le</strong>blanc, remballez votre coup de foudre, et servez du whisky à tous.<br />

(<strong>Le</strong>blanc se met à servir.)<br />

BLANCO : Et si nous parlions de cette voix qui vous a accusés. Je dis “vous”, car je n’ai<br />

personnellement commis aucun délit.<br />

ROGER : Trop facile ce que vous dites. Personne n’est en mesure de vérifier. En tant<br />

qu’infirmière, vous êtes la personne idéale pour jouer avec notre santé. Un peu de poison par<br />

ci, une dose trop forte par là, et va que je te pique où il ne faut pas, que je te ponctionne ce que<br />

je veux pas que tu m’ôtes. Vous avez tout à fait l’air d’avoir deux airs.<br />

BLANCO : Vous êtes ignoble. Venez me demander mes services, vous serez servi.<br />

WEISS : Ce qui me choque, c’est tout ce racisme sous-jacent. La voix a dit : « Vous êtes des<br />

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exploiteurs, etc. » Si le Noir devient raciste envers le Blanc, où allons-nous ? (A Roger) M. et<br />

Mme <strong>Le</strong>noir, êtes-vous racistes ?<br />

ROGER : Non, j’aime bien les Blancs.<br />

WEISS : La preuve ! (A Mme <strong>Le</strong>noir) Et vous, Mme <strong>Le</strong>noir ?<br />

MARIE : Moi, j’aime bien les Noirs.<br />

WEISS : Ah ! (Un temps) C’est bien la preuve que le racisme n’existe pas. Et si vous me<br />

demandez si j’aime <strong>Le</strong>blanc, je veux dire Monsieur <strong>Le</strong>blanc, je vous répondrais ...<br />

MAJOR : Stop ! Nous n’avons rien compris à votre raisonnement, mais nous avons<br />

parfaitement saisi que vous n’étiez pas raciste envers notre ami <strong>Le</strong>blanc. Brillante<br />

démonstration qui ne nous apprend rien du tout. Buvons à cette bonne fausse nouvelle.<br />

LEBLANC, levant son verre : Cul-sec, Major ?<br />

MAJOR, choqué : Je ne réponds jamais à des questions personnelles touchant une intimité<br />

particulièrement sensible.<br />

LEBLANC : Non, je voulais dire, on boit cul-sec, c’est-à-dire d’un seul coup.<br />

MAJOR : Dans ce cas, d’accord ! Cul-sec, vous aussi, Mesdemoiselles ! (Tout le monde<br />

prend son verre, le porte à la bouche et attend que quelqu’un commence à boire.) Seuls les<br />

suspects, ceux qui ont quelque chose à se reprocher hésiteront. A trois, nous enfilons le<br />

contenu. Un, deux, trois, et allons-y ! (Tout le monde porte le verre à ses lèvres et regarde ses<br />

voisins. Personne ne boit.) C’est stupide. Je recommence: un, deux, trois. (Mêmes réactions.)<br />

Bon, je montre l’exemple. (Tous attendent sa réaction. Il prend son temps.) Délicieux, vous<br />

avez tort.<br />

( Finalement ils avalent le contenu d’un seul trait. <strong>Le</strong>s 3 demoiselles se mettent à crier ; elles<br />

portent la main à la gorge. )<br />

BLANCHE : Ah ! je me meurs, je suis morte.<br />

MAJOR : Et d’une !<br />

BLANCO, se tenant la gorge, elle s’adresse au Major : Empoisonneur, assassin!<br />

MAJOR : Et de deux !<br />

WEISS, même attitude que les autres : C’est de l’arsenic que vous nous avez fait boire. Je le<br />

reconnais. Au feu ! au feu ! C’est atroce ! Adieu, monde cruel ! (Elle fait semblant de<br />

s’évanouir.)<br />

MAJOR , regardant sa montre : Record battu. Trois femmes réduites au silence en moins<br />

d’une minute.<br />

LEBLANC, au Major et se précipitant pour soutenir Mlle Weiss : Je commence à penser que<br />

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c’est vous le metteur en scène de cette sinistre comédie. (Il lui prend le pouls.) Dieu merci,<br />

elle respire.<br />

MAJOR : Vous croyez qu’elle respire par le pouls ? Vous ne voyez pas que c’est le bouche à<br />

bouche qu’elle attend. (Mlle Weiss ouvre grand la bouche. )<br />

LEBLANC : Vous croyez ?<br />

MAJOR : Vous en voulez la preuve ? C’est moi qui vais lui pratiquer le bouche à bouche. (Il<br />

se lève. A ce moment, Mlle Weiss referme brusquement la bouche.) Et voilà ! Vous avez<br />

compris ? Je lui ai rendu sa respiration normale par télépathie, alors que vous, <strong>Le</strong>blanc, vous<br />

auriez dû vous pencher sérieusement sur le sujet.<br />

LEBLANC : Quel magicien, Major ! (<strong>Le</strong> Major se rassoit. Mlle Weiss émet un râle.) Vous<br />

voyez qu’elle n’est pas bien. (Il se penche sur elle. Mlle Weiss ouvre les yeux et l’embrasse.)<br />

WEISS : Astucieux, non ? pour voir qui sont mes véritables amis. Je sais désormais sur qui je<br />

peux compter.<br />

BLANCHE : Comédienne !<br />

WEISS : On traite les autres de ce qu’on est, chère Mademoiselle Blanche.<br />

(Mlle Blanco se met à crier à son tour. Elle veut parler mais elle n’y parvient pas. Elle<br />

s’agite, la main toujours à la gorge.)<br />

MAJOR : Arrêtez de hurler à tour de rôle ! Quelle façon primitive de s’exprimer ! Qu’avezvous<br />

à gesticuler de la sorte ?<br />

ROGER : Vous avez un chat dans la gorge ?<br />

BLANCO, montrant la bouteille de whisky : Non, mais il y a un chien sur la bouteille.<br />

MARIE : Non, deux, Mademoiselle. Un noir et un blanc, c’est normal. L’emblème du whisky<br />

« Black & White », c’est un chien blanc et un chien noir.<br />

BLANCO : Justement, mais moi, j’en vois deux noirs. Quelqu’un a passé du feutre noir sur le<br />

chien blanc, si bien qu’ils sont tous les deux noirs. Vous réalisez ce que ça signifie ?<br />

ROGER : Rien du tout, puisque ce sont deux chiens et non deux chats noirs.<br />

(Mlle Blanco fait circuler la bouteille. <strong>Le</strong>blanc est gêné.)<br />

BLANCHE : C’est du pareil au même : c’est un avertissement macabre qu’a voulu laisser le<br />

meurtrier.<br />

WEISS : « Black & White », mais voyons, c’est élémentaire, mon cher Major. (D’un doigt<br />

accusateur.) Une fois de plus, le sort vous désigne. M. <strong>Le</strong>noir, téléphonez immédiatement au<br />

Commissariat de police du coin. Mme <strong>Le</strong>noir, confisquez cette bouteille comme preuve<br />

irréfutable.<br />

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ROGER : Mademoiselle, il n’y a pas de téléphone et pas de Commissariat de police du coin.<br />

<strong>Le</strong> plus proche doit être à quatre ou cinq cents kilomètres d’ici.<br />

WEISS : Mais alors, c’est le fin fond de la brousse ici.<br />

ROGER : La lisière de la jungle plutôt, Mademoiselle, ce qui est pire.<br />

WEISS : Vous êtes rassurant.<br />

ROGER : C’est pourtant votre métier d’assurer et de rassurer les gens.<br />

WEISS : Parfaitement, alors envoyez des signaux de fumée comme les Indiens, ou bien jetez<br />

une bouteille à la mer avec un message dedans du genre : « Sommes à la merci d’un<br />

maniaque. Envoyez secours d’urgence. » (Roger prend la bouteille de whisky.) Non ! pas cette<br />

bouteille surtout. Videz-en une autre, faites quelque chose. (Roger et Marie sortent en<br />

haussant les épaules.) Maintenant, Major, interrogatoire serré. Et vous, Mesdemoiselles,<br />

surveillez le suspect, ne le lâchez pas du regard. Je veux une garde à vue impitoyable : vos<br />

quat’z’yeux braqués sur lui comme un pistolet. (D’une voix forte et assurée au Major.) Nom,<br />

prénom, âge, profession, sexe, adresse. (Elle s’apprête à noter comme s’il s’agissait de la<br />

déposition d’un coupable.)<br />

LEBLANC : Nom : <strong>Le</strong>blanc. Prénom : Aimé. Age : vous le connaissez désormais. Sexe :<br />

celui opposé au vôtre.<br />

WEISS, elle écrit, croyant qu’il s’agit du Major : Parlez anglais, s’il vous plaît. Nom : White.<br />

Prénom : Major. Repeat after me !<br />

LEBLANC : Nom : <strong>Le</strong>blanc. J’ai bien dit « <strong>Le</strong>blanc », et je maintiens.<br />

WEISS, avec un large sourire : Voyons M. <strong>Le</strong>blanc, j’interroge le coupable et non le témoin<br />

innocent.<br />

LEBLANC : Désolé de vous décevoir, mon chou. Je suis bien le coupable.<br />

WEISS : Mais c’est impossible ! Mesdemoiselles, faites taire la voix de l’innocence par tous<br />

les moyens. (Mlles Blanco et Blanche vont vers <strong>Le</strong>blanc et lui mettent la main sur la bouche.)<br />

Arrêtez , Mesdemoiselles ! Pas de violences physiques à l’endroit du témoin ! C’est vilain, ces<br />

jeux de mains. (Elles se rassoient.)<br />

LEBLANC : Accordez-moi une seconde d’attention. C’est bien moi qui ai « goujaté » le petit<br />

chien blanc en en faisant un noir. Avec un feutre, oui. C’est idiot, je le sais. Punissez-moi<br />

comme vous l’entendez, si vous me pensez coupable.<br />

WEISS : C’est bien gênant tout cela. J’accepte vos excuses. Pour votre punition, petit coquin,<br />

nous règlerons cela à l’amiable, vous et moi, dans le secret de l’instruction.<br />

MAJOR : Et de l’alcôve. Je voudrais bien voir le constat.<br />

WEISS : Secret professionnel !<br />

LileDesEndiables.doc 22/43


MAJOR : N’ai-je pas droit à un dédommagement moral pour avoir été faussement accusé ?<br />

Ma police d’assurance possède une clause spéciale « défense et recours. »<br />

WEISS : Êtes-vous assuré à « la Céleste » ?<br />

MAJOR : Ah ! non !<br />

WEISS : Dans ce cas, téléphonez à votre assurance.<br />

MAJOR : Oui, je connais le truc ; ou alors, envoyez un message, du genre « bouteille à la<br />

mer. » En désespoir de cause, il ne me reste plus qu’à boire. Je lève mon verre. Dura lex, sed<br />

lex !<br />

WEISS : Non, c’est du verre ordinaire.<br />

MAJOR : Dura lex ! Vous ne comprenez pas le latin ?<br />

WEISS : Non, pour moi, c’est comme de l’anglais.<br />

MAJOR : Oui, j’avais remarqué. (<strong>Le</strong> Major se reverse un verre.)<br />

LEBLANC, tendant son verre au Major : Je vous accompagne dans votre infortune.<br />

BLANCO : Messieurs, dois-je vous rappeler combien l’alcool est nocif pour la santé ?<br />

MAJOR : Infiniment moins nocif que le caquètement de trois poules hystériques.<br />

BLANCO : Oh !<br />

BANCHE : Oh !<br />

WEISS : Oh ! je porterai plainte auprès de la S.P.A. Pardon, je voulais dire de la Ligue des<br />

femmes.<br />

MAJOR : Téléphonez donc tout de suite ou jetez-vous à la mer ! Mais ne restez pas dans cet<br />

état.<br />

LEBLANC : Mes amis, nous avons tort de nous énerver ainsi. Restons au contraire calmes et<br />

soudés.<br />

WEISS : Voilà un homme qui sait parler aux dames.<br />

MAJOR : Eh bien, mon cher <strong>Le</strong>blanc, continuez à parler aux dames. Elles boiront vos paroles<br />

comme du petit lait pendant que je boirai autre chose car je n’aime pas le petit lait. A chacun<br />

son dopant.<br />

LEBLANC : A quoi bon se chamailler plus longtemps ? La nuit va tomber bientôt et, avec<br />

elle, les ténèbres et l’angoisse. En raison du tueur qui rôde et qui cherche à nous éliminer.(<strong>Le</strong>s<br />

3 femmes se rapprochent de <strong>Le</strong>blanc. <strong>Le</strong> Major se lève et imite une poule qui bat des ailes.)<br />

LileDesEndiables.doc 23/43


Qu’est-ce qui vous prend, Major ?<br />

MAJOR : J’espère que vous avez des ailes assez grandes.<br />

LEBLANC : Je n’ai pas l’intention de m’envoler.<br />

MAJOR : Non, mais la situation est assez cocasse : vous aurez bientôt besoin de jouer les<br />

mères poules. Regardez ces petits poussins frissonnants. (Il fait semblant de battre des ailes<br />

de nouveau en imitant le caquètement des poules. Elles haussent les épaules.) <strong>Le</strong>blanc,<br />

constatez les dégâts : l’assurance bat de l’aile, l’infirmerie rentre dans son cocon, et le théâtre<br />

fait relâche. Vous feriez un triomphe dans une basse-cour. Il est urgent de rassembler votre<br />

cheptel. Nous sommes sous les Tropiques : la nuit tombe en quelques minutes, et les poules<br />

ne sont toujours pas couchées.<br />

LEBLANC, haussant les épaules : Et si pour nous occuper l’esprit nous jouions ? J’ai avec<br />

moi un jeu de tarot.<br />

BLANCHE : Pas question ! C’est un jeu dans lequel on peut lire l’avenir. En ce moment, tout<br />

n’est pas rose, et le pire est à craindre.<br />

LEBLANC : Une partie de bridge, alors ?<br />

BLANCO : Pour que quelqu’un fasse le mort ? Ah ! non !<br />

LEBLANC, avec peu de conviction : <strong>Le</strong>s échecs ?<br />

WEISS : Vous n’avez pas l’impression que nous y jouons en permanence depuis notre<br />

arrivée?<br />

LEBLANC, avec un sourire : Eh bien, jouons aux dames !<br />

MAJOR : Aux dames ! Mon pauvre <strong>Le</strong>blanc, vous n’arrêtez pas d’y jouer, et vous n’avez pas<br />

fini. Je vous donne perdant à trois contre un.<br />

LEBLANC : Une dernière idée. Pour nous maintenir en forme, livrons-nous à quelques<br />

exercices de décontraction. Nous en avons tous besoin, je pense. Ce sera très simple : nous<br />

allons apprendre à respirer, à nous détendre. Personne n’y voit d’inconvénient ?<br />

MAJOR : Aucun pour une fois.<br />

LEBLANC : Parfait ! Poussez les fauteuils, gardons la table pour nous mettre autour, mais<br />

enlevez tout ce qu’il y a dessus. (Ils enlèvent verres, bouteilles. <strong>Le</strong>s 3 femmes et le Major se<br />

disposent ensuite en arc de cercle. <strong>Le</strong>blanc se mettra près de la coulisse, Mlle Weiss près de<br />

lui et le Major à l’autre extrémité.)<br />

MAJOR : Je pensais que les exercices de relaxation s’exécutaient dans un fauteuil.<br />

LEBLANC : Allongez-vous, les bras le long du corps. (Il fait le tour pour vérifier.) On ferme<br />

les yeux, même vous, Mesdemoiselles. Ne pensez à rien, respirez profondément. Oui, parfait !<br />

On continue, je m’allonge à mon tour. (Mlle Weiss s’approche de <strong>Le</strong>blanc quand celui-ci<br />

LileDesEndiables.doc 24/43


s’allonge.)<br />

MAJOR, immobile et étendu : Non, Mlle Weiss, on reste bien à sa place ! On ne se colle pas<br />

à <strong>Le</strong>blanc. Ce sont des exercices de relaxation et non des travaux d’approche à la nuit tombée.<br />

WEISS, se relevant pour s’asseoir : Major, comment pouvez-vous voir les yeux fermés ?<br />

MAJOR : Il ne faut pas être expert en psychologie féminine pour deviner votre tactique.<br />

(Mlle Weiss, hoche la tête de déception puis s’allonge de nouveau, en se remettant à sa<br />

place.)<br />

LEBLANC : Peut-on continuer ? On referme les yeux, on respire, et on se tait jusqu’à mon<br />

signal. Compris ?<br />

BLANCHE, BLANCO, WEISS : Oui.<br />

LEBLANC : J’ai demandé qu’on se taise. On respire profondément d’abord, puis on arrête sa<br />

respiration aussi longtemps que possible.<br />

(Quelques secondes de silence. A ce moment, entrent sans bruit Roger et Marie. Marie crie,<br />

en les voyant allongés, immobiles, les yeux fermés.)<br />

MARIE, elle se réfugie contre Roger : Ah ! mon Dieu ! Regarde Roger, nous ne sommes plus<br />

que deux. C’est un sacrifice rituel ; ils devaient faire partie d’une secte. J’ai peur.<br />

ROGER : Cinq d’un seul coup : ça sent l’accélération de l’Histoire.<br />

MARIE : Si tu me sors vivante de cet enfer, je t’épouse.<br />

ROGER : D’accord ! Je ne pouvais rêver situation plus idéale. Jure-le.<br />

MARIE : Sur leurs cadavres ?<br />

ROGER : Pourquoi pas ?<br />

MARIE : Ça portera malheur.<br />

ROGER : Disons que ça me portera chance. Tu me le promets ?<br />

MARIE : Je te le promets, mais quittons cette île au plus vite.<br />

TOUS LES 5, ils se relèvent, adressent un grand sourire à Roger et Marie, en agitant la<br />

main : Coucou ! C’est nous !<br />

(Ils reprennent leur position allongée. Marie se sent mal. Roger la retient. Elle tremble.)<br />

MARIE : Roger ! Ils me parlent de l’au-delà. Je les ai entendus. Pas toi ?<br />

ROGER, essayant de la raisonner : Moi aussi, mais ce n’est pas de l’au-delà, et ce n’est pas<br />

grave.<br />

LileDesEndiables.doc 25/43


MARIE : Et qu’ont-ils dit ?<br />

ROGER : Coucou ! C’est nous !<br />

(Marie est en transes, les yeux effarés. Elle se met à sourire en agitant les bras comme si elle<br />

imitait le vol d’un oiseau. Elle a un air absent.)<br />

MARIE : Coucou, coucou, coucou ... C’est moi.<br />

(Elle sort, suivie de Roger. <strong>Le</strong>s 5 s’assoient. Ils n’en croient pas leurs yeux.)<br />

WEISS : En voici une qui dévoile son jeu. Vous avez entendu ? Elle n’est pas plus Mme<br />

<strong>Le</strong>noir que je ne suis encore Mme <strong>Le</strong>blanc.<br />

BLANCHE : En revanche, personne ne vous demande de dévoiler votre jeu.<br />

BLANCO : Cette personne m’intrigue: elle a visiblement l’esprit dérangé. Quant à son<br />

complice...<br />

WEISS : Je les perçois même comme de mauvais esprits.<br />

MAJOR : Et vous, comme un esprit agité dans un corps en effervescence.<br />

LEBLANC : Du calme, du calme ! Reprenons notre séance de travail.<br />

MAJOR : D’accord, <strong>Le</strong>blanc.<br />

LEBLANC : Alors, on s’étend, on se relaxe, on ne parle plus. On se concentre uniquement<br />

sur sa respiration. De la concentration, beaucoup de concentration. Chut !<br />

(<strong>Le</strong> noir se fait peu à peu. Seule la table apparaît dans un halo de lumière. Préalablement, on<br />

aura pris soin de disposer un pied de table qui puisse facilement pivoter autour d’un axe ; à<br />

l’aide d’un fil invisible, actionné des coulisses, on fera pivoter la table. Toute autre solution<br />

spectaculaire peut être envisagée : une table qui s’élèverait et s’abaisserait, etc. Pendant que<br />

la table tourne, musique appropriée qui peut d’abord être lente, puis vive, pour redevenir<br />

plus calme. Dans ce cas, les oscillations de la table suivront le rythme de la musique. Entrée<br />

de Roger et Marie. La table continuera à tourner.)<br />

MARIE : Regarde, Roger ! Toi qui me traitais de folle, je n’ai pas rêvé. Ils font tourner les<br />

tables maintenant. C’est du spiritisme. C’est sûr, ils vont nous immoler en sacrifice la<br />

prochaine fois. Si ça se trouve, les cannibales qui n’habitent pas loin, c’est eux. Non, non et<br />

non, je ne veux pas terminer en blanquette. Viens !<br />

(Ils sortent. La musique baisse, la lumière également : noir complet pendant quelques<br />

secondes ou effets spectaculaires accrus par des projecteurs stroboscopiques ; pendant ce<br />

temps, <strong>Le</strong>blanc qui sera allongé près d’une sortie, disparaît. <strong>Le</strong> spectateur ne doit pas<br />

s’apercevoir de cette disparition. Au moment où la lumière revient, le Major et les 3 femmes<br />

s’assoient, se frottent les yeux, regardent autour d’eux ; chacun a du mal à retrouver ses<br />

esprits ; personne n’a encore remarqué la disparition de <strong>Le</strong>blanc. )<br />

LileDesEndiables.doc 26/43


BLANCO à Blanche : Comme vous êtes blanche !<br />

BLANCHE : Je le suis toujours, mais là, en plus, j’ai la tête qui tourne. Pas vous ?<br />

WEISS : J’ai l’impression d’avoir dormi comme une masse.<br />

MAJOR : En tout cas, la masse n’a ni parlé ni ronflé pendant son sommeil, ce qui représente<br />

une sorte d’exploit.<br />

WEISS : Ai-je rêvé ou pas ? Je ne sais pas, mais j’ai cru que nous étions plongés dans des<br />

ténèbres profondes. Je n’aime pas le noir, et vous M. <strong>Le</strong>blanc ?<br />

(Ils regardent tous là où il était, et réalisent avec effroi qu’il a disparu.)<br />

BLANCO, hurlant : Mon Dieu ! Il a disparu !<br />

BLANCHE : Je parie que c’est le couple maudit qui se livre à des pratiques occultes. Vous<br />

n’avez pas remarqué que la femme était en transes ? Je ne suis nullement rassurée par ces<br />

pratiques de vaudou local.<br />

WEISS : Mais alors..., M. <strong>Le</strong>blanc, où est-il ? qu’est-il devenu ?<br />

MAJOR : Vraisemblablement transformé en poudre de perlimpinpin.<br />

WEISS : Nous sommes donc seules désormais sur cette terre ensorcelée.<br />

MAJOR, il va leur serrer la main : Mes condoléances, Mesdemoiselles. Je l’aimais bien<br />

<strong>Le</strong>blanc.<br />

WEISS : Nous aussi, moi surtout, je suis bien obligée de vous l’avouer<br />

BLANCHE, ironique : Nous ne l’avions pas remarqué.<br />

BLANCO, sur le même ton : Comme vous cachez bien votre jeu !<br />

(Entrée de Roger et Marie. <strong>Le</strong>s trois femmes fixent Marie d’un air méchant, en pointant le<br />

doigt vers elle ; Marie adopte la même attitude à leur endroit ; les 4 femmes tapent en même<br />

temps du pied droit.)<br />

BLANCHE, BLANCO, WEISS, elles grimacent en criant : A... ah !<br />

BLANCHE : Va-t’en fille du Diable !<br />

MARIE : Au diable, filles de Satan !<br />

BLANCO : Esprit du mal, éloigne-toi de nous !<br />

MARIE : Tourneuses de tables !<br />

LileDesEndiables.doc 27/43


WEISS : Détourneuse de fiancé ! Ô, mon Aimé adoré !<br />

MARIE : Spiritiques en folie !<br />

MAJOR, d’une voix forte : Oh ! oh ! les anges de l’enfer, allez-vous cesser votre concert<br />

infernal ?<br />

(Juste à ce moment, les 3 diables suivis de <strong>Le</strong>blanc, déguisé lui aussi en diable, traversent la<br />

scène en musique adaptée cependant que la table se remet à tourner.)<br />

DIABLES : Coucou, coucou, c’est nous !<br />

( <strong>Le</strong>s 4 femmes s’évanouissent. )<br />

MAJOR : Et s’il n’en reste qu’un ...<br />

ROGER : Je peux vous affirmer que ce ne sera pas vous !<br />

MAJOR : C’est bien ce qu’on verra !<br />

Rideau<br />

ACTE 3<br />

(Quelques jours plus tard, en pleine nuit. A droite de la scène, 3 sièges vides pour Blanche,<br />

Blanco, Weiss ; au centre, un siège pour le Major ; à gauche, deux sièges pour Marie et<br />

Roger. Au lever du rideau, Marie, Roger et le Major sont en discussion. )<br />

MARIE : Elles devraient bientôt nous rejoindre. Plusieurs jours après la disparition de<br />

<strong>Le</strong>blanc, elles sont toujours muettes, sous le choc.<br />

ROGER : Muettes, elles, tu parles !<br />

MAJOR : C’est bien plus grave que je ne le pensais. Il faut les surveiller sans qu’elles s’en<br />

doutent. Ces 3 femmes sont l’incarnation même du mal. Et en plus, elles sont 3 : la perfection<br />

dans la perfidie. Devenons alliés, sinon elles auront notre peau.<br />

MARIE : Vous les croyez capables d’un acte de cannibalisme ?<br />

MAJOR : Pire que cela ! Ce sont des vampires doublées d’anthropophages. Je ne trouve pas<br />

de mots assez forts.<br />

ROGER : Vous y allez un peu fort. Expliquez-vous, Major.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong>ur tactique est simple mais redoutable. Elle repose sur des attaques graduées. En<br />

trois temps. Premièrement, elles parlent pour endormir la méfiance de leur victime: paroles<br />

enjôleuses, paroles empoisonnées enrobées de miel. C’est ainsi qu’a péri <strong>Le</strong>blanc. Il n’a rien<br />

vu venir, le pauvre. Seconde phase, la période d’abattement déguisée en pseudo dépression :<br />

elles se taisent ou se lamentent pour attendrir les plus crédules d’entre nous. Et enfin, l’assaut<br />

final : elles nous cueilleront à point pour nous déchirer, nous croquer de leurs belles dents<br />

LileDesEndiables.doc 28/43


féroces. Non, non et non, je ne finirai pas en tarte aux pommes pour les beaux yeux de ces<br />

diablesses.<br />

MARIE : Ni moi en blanquette.<br />

ROGER : A moins qu’elles ne nous préfèrent en brochettes.<br />

MAJOR : C’est pourtant notre futur proche si nous ne réagissons pas.<br />

ROGER : Que proposez-vous ? Planquer les piques à brochettes, les casseroles et les moules<br />

à tarte ?<br />

MAJOR : Nous nous verrons plus tard pour le matériel ; mais d’abord, réunion au Q.G.,<br />

c’est-à-dire dans les cuisines de l’hôtel. Si nous rencontrons ces trois furies, pas un mot.<br />

(Ils sortent du côté où entrent en même temps les trois femmes. Elles ont toutes les trois un<br />

éventail dont elles se serviront régulièrement. Elles les regardent, muettes, mais Marie, Roger<br />

et le Major ne détournent pas les yeux.)<br />

BLANCHE : <strong>Le</strong> public n’est pas très chaleureux cette nuit.<br />

BLANCO : Ils auraient besoin qu’on les attendrisse.<br />

WEISS : Ce sont des monstres d’inhumanité.<br />

BLANCO : Oublions nos querelles. <strong>Le</strong> temps est venu de nous serrer les coudes. (A Weiss)<br />

L’assurance a-t-elle des garanties à nous offrir ?<br />

WEISS : Ce serait plutôt à la spécialiste de la santé d’intervenir pour éliminer ces fous<br />

dangereux, <strong>Le</strong>noir et le Major. Ce sont eux qui ont fait disparaître ce cher M. <strong>Le</strong>blanc. Dans<br />

l’immédiat, je ne vois que la solution de surveiller leurs faits et gestes en permanence. Ils ne<br />

doivent pas échapper à notre vigilance.<br />

BLANCHE : Je ne me vois pas attacher un fil à la patte du Major pour le promener en laisse.<br />

<strong>Le</strong> bouledogue est coriace.<br />

BLANCO : Ni moi lui administrer une piqûre pour le neutraliser.<br />

WEISS : Non, il serait capable de se plaindre à la S.P.A. pour mauvais traitement. Au<br />

contraire, endormons leur méfiance à tous les trois.<br />

BLANCHE : Ce n’est plus un fil, c’est une ficelle ou une corde que vous présentez au Major.<br />

Elle me paraît un peu grosse.<br />

(On entend des bruits de pas.)<br />

BLANCO : Sortez vite la pelote de ficelle, ils reviennent. Et si nous faisions semblant de<br />

dormir ?<br />

BLANCHE : C’est un rôle qui me va.<br />

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(Elles prennent un air endormi. Entrée de Marie, Roger et du Major.)<br />

MAJOR : Chut ! Nos demoiselles se livrent à une séance de méditation transcendantale qu’on<br />

appelle la sieste.<br />

MARIE : Oh non ! ça m’a tout l’air d’être du spiritisme. Roger, elles me font de plus en plus<br />

peur. N’oubliez pas comment a disparu <strong>Le</strong>blanc.<br />

ROGER : Que veux-tu que je fasse ? Que je chasse les mauvais esprits à coups de balai ?<br />

MAJOR : J’ai travaillé dans les transmissions autrefois. Voulez-vous que j’entre en<br />

communication avec elles pour leur dire d’arrêter leur manège ? (Il prend une voix théâtrale.)<br />

Esprit, esprit, es-tu là? Si tu m’entends, manifeste-toi et rends-nous nos chevalières de la table<br />

ronde.<br />

(A ce moment, la table se met à bouger. <strong>Le</strong> Major, Marie et Roger regardent ahuris. <strong>Le</strong>s 3<br />

femmes ouvrent les yeux pour constater avec effroi le mouvement de la table.)<br />

BLANCO : Composez le 15, et appelez-moi le SAMU, je ne me sens pas bien. (Elle agite<br />

son éventail comme le feront les autres. )<br />

BLANCHE , regardant la table : Et pourtant elle tourne.<br />

WEISS : Mon Dieu ! Que va-t-il nous arriver ? Je touche du bois. (En disant cela, elle s’est<br />

approchée de la table qu’elle touche.)<br />

MARIE, ROGER, MAJOR : Non !!!<br />

(La table s’arrête brusquement de tourner. Tous regardent Mlle Weiss.)<br />

MARIE : Je vous avais dit que ces demoiselles possédaient des pouvoirs surnaturels. Mlle<br />

Weiss vient de nous en donner la preuve.<br />

MAJOR, intrigué, il se passe la main sur le visage : Je commence à croire que quelque chose<br />

ne tourne pas rond.<br />

WEISS : Mais c’est vous, Major, qui, en invoquant les esprits, avez provoqué ce phénomène.<br />

C’est vous le coupable.<br />

MAJOR : C’est quand même bien vous, Mlle Weiss, qui, en touchant la table, l’avez fait<br />

tourner. Tout le monde vous a vue. Quant à moi, je n’ai jamais été bon dans les transmissions.<br />

J’ai dû provoquer un court-circuit spiritique.<br />

WEISS, aux deux autres à mi-voix, en désignant le Major, Marie et Roger : Je vous avais<br />

prévenues à leur sujet. Ouvrons l’œil ! (Au Major) Je crois, Major, que nous sommes tous<br />

victimes de phénomènes étranges qui nous dépassent. Oublions cet incident. <strong>Le</strong>s émotions, ça<br />

creuse. Que diriez-vous d’un bon petit repas ? M. et Mme <strong>Le</strong>noir, reposez-vous, nous allons<br />

nous occuper de tout.<br />

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BLANCHE : Je rêve d’une bonne petite blanquette avec de la viande bien blanche. (Avec un<br />

sourire) Humm ! Pas vous ?<br />

ROGER, MARIE, MAJOR, d’une seule voix : Non, non, non, non !<br />

BLANCO : Et moi, une délicieuse tarte aux pommes.<br />

ROGER, MARIE, MAJOR : Non, non, non, non !<br />

MAJOR : Et pourquoi pas des brochettes pendant que vous y êtes ?<br />

WEISS, se frottant les mains : Justement, j’allais vous le proposer. De bonnes brochettes de<br />

viande bien saignante. Je cours chercher les piques. (Aux deux autres) <strong>Le</strong>s filles, découpezmoi<br />

la viande en jolis petits cubes, et que ça saute !<br />

MAJOR : Non, nous ne sauterons pas ! Parole de vieux cheval ! Et vous ne m’aurez pas en<br />

petits cubes. Ni en grosses boulettes d’ailleurs.<br />

MARIE : Par pitié, épargnez-nous !<br />

ROGER : Vous savez, je ne suis pas tellement fondant. Renoncez à vos projets. Nous<br />

n’avons pas faim, mais alors pas du tout !<br />

WEISS : Taratata ! Vous en grillez d’envie, pas vrai ?<br />

MAJOR : Je vais vous faire une confidence : je n’ai aucune envie de griller.<br />

ROGER, manifestement troublé : Merci de votre prévenance, mais c’est à nous d’ad’assumer<br />

nos ré-responsabilités de cu-cu de cuisiniers. Est-ce que vous voulez des pa-pa, des<br />

pa-pates, je veux dire des pâtes, Mesdemoiselles ? Si-si-si vous voulez, je peux vous préparer<br />

des spa, des spa, des spaghetti aux nouilles. C’est délicieux.<br />

BLANCHE l’imitant : Non, non, mé-mer, non, non, merci.<br />

BLANCO : Sans façon.<br />

MARIE : Auriez-vous peur qu’on vous empoisonne ?<br />

WEISS : Précisément.<br />

ROGER : Et réciproquement.<br />

MAJOR : Voilà qui a le mérite de la clarté. Il nous reste donc à vivre retranchés en deux<br />

camps et à mourir de faim, de peur de mourir empoisonnés, ce qui donnera le même résultat.<br />

L’avenir est bouché, mes amis.<br />

WEISS : Vous ne voulez vraiment pas de brochettes ?<br />

ROGER : Mais avec quoi ? Nous n’avons pas de viande fraîche sur l’île.<br />

LileDesEndiables.doc 31/43


WEISS : Je prends toutes celles qui me tombent sous la main.<br />

MARIE : Justement.<br />

ROGER, au Major : Vous aviez raison. Ce sont bien des anthropophages, des vampires.<br />

MAJOR : Si nous insistons, les dents vont leur pousser devant nous. Ce sont d’authentiques<br />

mangeuses d’hommes. Ah ! mon pauvre <strong>Le</strong>blanc, que tu as dû leur paraître fondant. De ton<br />

vivant, elles te dévoraient déjà des yeux. Tu les mettais en appétit. Moi qui croyais que c’était<br />

sentimental, je me suis trompé: c’était uniquement gastronomique !<br />

MARIE : Vous croyez que <strong>Le</strong>blanc ... ?<br />

MAJOR, d’un air faussement sérieux : Ah ! mais bien sûr ! <strong>Le</strong>blanc, c’était le hors-d’œuvre,<br />

que dis-je ? l’amuse-gueule ! Miam, glups, hips ! Elles n’en ont fait qu’elle bouchée. Pensez<br />

donc, il était jeune et tendre, et fondant. Il était à point.<br />

MARIE : Et maintenant ?<br />

MAJOR : Roger et moi-même pourrions bien constituer le plat de résistance ; mais elles<br />

risquent de tomber sur un os. En ce qui vous concerne Mme <strong>Le</strong>noir, vous semblez être le<br />

dessert idéal : Marie, vous terminerez en charlotte. Tel sera votre destin.<br />

ROGER : Moi, je prendrais bien une bonne part de charlotte.<br />

MARIE : Ça y est, tes picotements te reprennent.<br />

ROGER : Dans les situations désespérées, il ne faut pas se laisser abattre.<br />

WEISS, aux deux autres : <strong>Le</strong>ur stratégie est claire : s’ils refusent notre nourriture, c’est qu’ils<br />

veulent nous obliger à absorber la leur. Vous voulez périr ?<br />

BLANCO, BLANCHE : Non !<br />

WEISS : Eh bien, refusons de manger !<br />

BLANCHE : Jusqu’à quand ?<br />

WEISS : Jusqu’au bout !<br />

BLANCO : Un peu de régime ne nous fera pas de mal.<br />

BLANCHE : Personnellement, je refuse.<br />

WEISS : Vous refusez quoi ?<br />

BLANCHE : Je refuse de refuser de manger.<br />

MAJOR à Mlle Blanche : Bienvenue dans le camp opposé !<br />

LileDesEndiables.doc 32/43


WEISS à Mlle Blanche : Ils veulent nous diviser. Ne passez pas à l’ennemi !<br />

BLANCHE : Soit ! mais laissez-moi chercher une solution. Je reviens tout de suite. (Elle<br />

sort.)<br />

WEISS : Mlle Blanco, à vous d’organiser la guerre des tranchées. Nous sommes en position<br />

d’infériorité. S’ils s’approchent, s’ils nous attaquent, que faire ?<br />

BLANCO : Résister ! Par tous les moyens.<br />

WEISS : Dans ce cas, résistez seule quelques instants, je m’en vais chercher des munitions.<br />

Soyez courageuse ! (Elle sort.)<br />

BLANCO : <strong>Le</strong> toupet ! Me laisser seule et sans défense ! (A Marie, Roger et au Major.) Je<br />

vous avertis : n’approchez pas, sinon...<br />

ROGER : Tout ceci est louche.<br />

MAJOR : En effet. Momentanément, nous sommes en surnombre, mais je me méfie de leurs<br />

calculs. Si nous restons ici à les attendre, nous risquons d’être les dindons de la farce. (A<br />

Marie et Roger.) Maintenez nos positions. J’ai une idée. A tout de suite.<br />

MARIE : Qu’allons-nous devenir, Roger ?<br />

ROGER : Replie-toi sur moi. Au propre comme au figuré.<br />

MARIE : Tu aimerais bien, mon cochon.<br />

BLANCO : A deux contre une, je veux bien échanger votre solitude.<br />

ROGER : Pourquoi avez-vous cette attitude vis-à-vis de nous ?<br />

(Il tente de s’approcher. Mlle Blanco crie très fort. Surpris, Roger et Marie reculent.)<br />

BLANCO : Si vous approchez, je vais hurler.<br />

ROGER : Ah ! parce que... vous n’avez pas hurlé ?<br />

BLANCO : Non, mais je pourrais. Et si je crie, je mords, et quand je mords, ça saigne.<br />

ROGER, dans un mouvement de recul : Oh ! alors, si ça saigne, pas question.<br />

(Entrée de Blanche qui apporte deux noix de coco.)<br />

BLANCHE : J’arrive. J’ai senti le début du combat.<br />

MARIE : Et l’odeur du sang ?<br />

BLANCHE : Ah ! bon ! Ça sent le sang ? (Elle renifle.) Je ne le sens pas encore, mais ça va<br />

pas tarder. J’ai un flair terrible quand ça va saigner.<br />

LileDesEndiables.doc 33/43


MARIE : Oui, bon, gardez votre flair, et laissez-moi mon sang.<br />

BLANCHE : N’ayez crainte ! Mlle Blanco est une spécialiste des questions sanguines.<br />

MARIE : Je ne suis pas du tout rassurée, au contraire ! Et vous ?<br />

BLANCHE : J’ai joué un rôle important dans « <strong>Le</strong> Bal des Vampires », alors vous savez le<br />

sang, l’hémoglobine, il en faut des tonnes pour m’inquiéter.<br />

MARIE : Roger, le Major avait raison, nous allons périr victimes des ces sangsues.<br />

BLANCHE, elle regarde autour d’elle : Des sangsues ? Où ça ? J’aime bien ces petites<br />

bestioles, mais j’en vois pas ici. (Elle tend une noix de coco à Mlle Blanco.) Tenez ! Allez-y !<br />

MARIE se réfugie près de Roger : Roger, je crois qu’elles vont nous mitrailler d’abord et<br />

nous saigner ensuite.<br />

(Entrée de Mlle Weiss qui apporte un marteau, un ciseau à bois, un tournevis et des piques à<br />

brochettes.)<br />

WEISS : Mes amies, ça va saigner !<br />

MARIE, elle hurle : Ah non ! Roger, fais quelque chose : mords-les.<br />

WEISS : Qu’est-ce que j’ai dit de mal ? (Elle distribue les outils à ses compagnes pour<br />

qu’elles essaient de percer la noix de coco.)<br />

MARIE, de plus en plus effrayée : C’est le début de ma fin qui approche, je le sens.<br />

BLANCO : Mme <strong>Le</strong>noir a-t-elle besoin d’une assistance médicale ?<br />

ROGER : Non, restez où vous êtes. Je n’ai pas besoin de votre SAMU.<br />

BLANCHE : Du temps de Molière, les docteurs prescrivaient une petite saignée : c’était<br />

radical. Vous devriez essayer, Mlle Blanco. (Elle imite un docteur pratiquant la saignée.)<br />

Clic ! On ne sent rien, et ensuite qu’est-ce qu’on se sent bien !<br />

ROGER : Laissez Molière et les docteurs tranquilles.<br />

BLANCHE, à Roger : Mlle <strong>Le</strong>noir veut-elle de mon lait pour la ravigoter ?<br />

ROGER : Vous donnez le sein à présent ? Vous faites bien tout pour nous attirer à vous.<br />

MARIE : Ah ! non ! Roger, tu ne vas pas y aller.<br />

BLANCHE, montrant la noix de coco : Du lait de la noix de coco, idiot !<br />

ROGER : Gardez votre ravitaillement.<br />

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(<strong>Le</strong>s 3 femmes essaient d’ouvrir les noix de coco. Entrée du Major portant lui aussi des noix<br />

de coco, un marteau et un ciseau à bois.)<br />

MAJOR, à Roger et à Marie, montrant les noix de coco : Mes amis, j’arrive avec des<br />

munitions.<br />

MARIE : Parce que vous voulez les bombarder ?<br />

(<strong>Le</strong> Major aperçoit les femmes.)<br />

MAJOR : L’armement étant identique, ça sera match nul.<br />

MARIE, au Major : Vous ne voulez pas de leur lait ?<br />

MAJOR, surpris : Pardon, vous dites ?<br />

MARIE : Non, excusez-moi, ça ne va pas très bien. Donnez-moi du lait, s’il vous plaît.<br />

MAJOR : Excusez-moi à mon tour, mais je n’ai pas de vache sous la main.<br />

MARIE : Mais non, du lait de noix de coco, idiot. Oh ! mille excuses, Major. Ce sont les<br />

émotions.<br />

MAJOR : Ce n’est rien. Attendez un instant, je vais traire la noix de coco. <strong>Le</strong> plus dur avec<br />

les noix de coco, c’est que ce n’est pas évident de les traire.<br />

(Pendant quelques instants, on entend les femmes et le Major s’acharner à coups de marteau<br />

sur les noix de coco pour tenter de les ouvrir.)<br />

ROGER, admiratif : C’est beau un atelier, le soir, sous les Tropiques.<br />

(Ils s’arrêtent, se regardent et pouffent tous de rire.)<br />

WEISS : Vous ne trouvez pas que nous avons tous l’air ridicules ?<br />

MAJOR : Rien n’est plus sérieux qu’une question de survie. Nous sommes contraints à ce<br />

genre d’occupation par votre désir de nous supprimer.<br />

WEISS, BLANCHE, BLANCO indignées : Oh ! Qui ? Nous ?<br />

MAJOR : Parfaitement.<br />

WEISS : C’est vous qui nous en voulez.<br />

MARIE : Quoi ! c’est le monde à l’envers. Qui veut nous mitrailler ? nous pomper le sang ?<br />

BLANCHE : Nous ?<br />

MAHOR : Oui ! Qui veut se payer une tranche de notre délicieux jambon blanc ? C’est-à-dire<br />

une tranche de mon arrière-train ?<br />

LileDesEndiables.doc 35/43


BLANCO : Nous, sans doute ? Beurk !<br />

ROGER : Qui veut nous enfiler en brochettes ?<br />

WEISS : Nous, peut-être ?<br />

MARIE : Oui ! (Elle les montre du doigt une à une.) Oui, vous, vous et vous !<br />

BLANCHE : C’est la meilleure. Et qui fait tourner les tables ?<br />

WEISS et le MAJOR se désignant l’un l’autre : Vous !<br />

ROGER : Match nul, on vous l’avait dit.<br />

BLANCO : Croyez-vous que nous allons nous en sortir ainsi ? Nous sommes là à nous<br />

accuser mutuellement, à nous regarder en chiens de faïence.<br />

BLANCHE, d’un air narquois : Il y a chien et chien : il y a les petits toutous.<br />

MAJOR : Genre <strong>Le</strong>blanc.<br />

BLANCHE : Et ceux qui ont des ascendances bouledogue renfrogné.<br />

MAJOR : Et celles qui sont d’infâmes petits roquets teigneux.<br />

BLANCHE : Si nous cessions d’aboyer les uns après les autres ? Cela ne nous mènera nulle<br />

part. Nous ne sommes pas des bêtes.<br />

ROGER : Vous nous suggérez d’enterrer la hache de guerre ?<br />

BLANCHE : Ou plutôt le gros « nonos » de la discorde.<br />

MAJOR : Parlons du « nonos » en question.<br />

BLANCHE : C’est-à-dire ?<br />

MAJOR : De <strong>Le</strong>blanc.<br />

BLANCO : Major, je n’ai pas bien compris. Vous voulez enterrer <strong>Le</strong>blanc ?<br />

MAJOR : Quand je parle d’enterrer l’os de la discorde, je ne parlais pas de <strong>Le</strong>blanc. C’était<br />

une figure de style.<br />

WEISS : Y’avait pas que sa figure qui était de style.<br />

BLANCHE : Il avait en plus un de ces profils !<br />

BLANCO : Et une démarche !<br />

LileDesEndiables.doc 36/43


MAJOR : <strong>Le</strong>s voilà qui se remettent à bêler. Vous venez de me dire que vous n’êtes pas des<br />

bêtes... Votre <strong>Le</strong>blanc, justement, où est-il ?<br />

BLANCHE : C’est vous qui l’avez fait disparaître !<br />

ROGER : Nous ! C’est le comble !<br />

WEISS : Bon, moi, j’en profite pour m’éclipser quelques minutes. J’ai une surprise à vous<br />

faire.<br />

MARIE : J’aime pas les surprises surtout quand ça vient d’elle.<br />

(Sortie de Mlle Weiss.)<br />

BLANCO : Expliquez-moi la mystérieuse disparition de <strong>Le</strong>blanc.<br />

MAJOR : Il n’y a rien à expliquer. Nous ne sommes pour rien dans la disparition de votre<br />

bien-aimé.<br />

BLANCHE : Regretté.<br />

MAJOR : Oui, votre regrettée et bien-aimée figure de style. Je vous signale quand même<br />

qu’il s’est fait la malle pendant la séance de relaxation. Nous étions tous là, avec Mlle Weiss<br />

pratiquement blottie contre lui. Elle l’a sans doute aspiré.<br />

BLANCO : Roger et Marie, vos complices n’étaient pas avec nous. Ils ont très bien pu<br />

orchestrer la dispersion de <strong>Le</strong>blanc.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong> chagrin vous rend folles. Nous ne sommes pas plus complices que vous êtes<br />

innocentes.<br />

BLANCHE : Mais il a bien disparu.<br />

MAJOR : Je suis d’accord. Mais il aura sans doute préféré s’endiabler plutôt que de continuer<br />

à vivre avec votre trio de démons femelles. L’enfer lui paraissait infiniment plus doux que<br />

votre compagnie de vampires.<br />

BLANCHE : <strong>Le</strong> mufle ! <strong>Le</strong> grossier personnage !<br />

BLANCO, saisissant une noix de coco : Vous voyez cette noix de coco ? Eh bien, continuez à<br />

nous parler sur ce ton, et elle pourrait bien fendiller votre calebasse.<br />

MAJOR : Vous avez des arguments frappants, donc convaincants, c’est pourquoi j’arrête la<br />

polémique.<br />

BLANCHE : Ne parlons plus de diable et essayons ensemble de sortir de cette situation<br />

abracadabrante.<br />

(Entrée de Mlle Weiss. Elle apporte une bouteille de champagne et le magnétophone du 1 er<br />

acte.)<br />

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WEISS : Mes amis, pour oublier nos petits différends, je vous propose de sceller notre union<br />

retrouvée dans le champagne, et de faire ensemble un festin du diable.<br />

MARIE : Ah ! non ! Et elle remet ça ?<br />

WEISS : Je remets quoi ?<br />

MARIE : <strong>Le</strong> diable. On ne parle plus de diable ici, compris ?<br />

WEISS : Ah bon, d’accord, mais nous pouvons toujours arroser ça au champagne.<br />

MAJOR : Affirmatif ! Pas d’opposition de principe ?<br />

TOUS : Non, aucun.<br />

WEISS : Auparavant, j’ai trouvé cela dans ma chambre. Je pense que c’est un nouveau<br />

message de M. Padicy nous annonçant la fin de cette douce plaisanterie.<br />

MAJOR : <strong>Le</strong> revoilà, celui-là. Ecoutons-le, mais il ne m’inspire pas confiance.<br />

ROGER, préoccupé : Il y a quelque chose qui cloche.<br />

MARIE : Tais-toi donc, Roger !<br />

(Mlle Weiss met le magnétophone en marche.)<br />

VOIX : « Mes chers invités, j’espère que vous avez apprécié la première partie de votre<br />

séjour. La seconde risque d’être un peu plus agitée, je le crains. »<br />

(Roger se précipite vers le magnéto et l’arrête.)<br />

ROGER, d’un air triomphant : Oui ! J’ai trouvé ce qui clochait. Je vérifie, et je reviens.<br />

WEISS, essayant de le retenir : Roger ! Restez avec nous !<br />

ROGER, avec un sourire énigmatique : Chut ! mon ange !<br />

MARIE, en colère : Tu l’appelles « ton ange » maintenant ? Qu’est-ce que ça signifie ? Peuxtu<br />

m’expliquer ?<br />

ROGER : Ne sois pas jalouse, mon petit ange.<br />

MAJOR : Eh bien, nous changeons de registre. Adieu les diables, et vive les anges. Ce<br />

changement subit ne me dit rien de bon. Je n’aime pas ces airs angéliques, mais pas du tout.<br />

(Roger remet le magnéto en marche et sort précipitamment.)<br />

VOIX : « Si vous êtes ici, c’est bien grâce à moi. Je vous ai fait gagner un séjour sur une île<br />

paradisiaque. Aucun d’entre vous ne s’est payé cette semaine d’évasion sous les Tropiques,<br />

LileDesEndiables.doc 38/43


contrairement à ce que certains ont fait croire. Pourtant, tous, autant que vous êtes, vous aviez<br />

largement les moyens de vous offrir de confortables vacances jusqu’à la fin de vos jours.<br />

Seulement, l’appât du gain est toujours aussi fort chez vous. Et vous avez tous mordu à cet<br />

appât... <strong>Le</strong> moment arrive où il vous faudra payer chèrement votre liberté. A bientôt, mes<br />

amis, mes très chers amis. »<br />

(Musique. <strong>Le</strong> Major arrête le magnéto.)<br />

MAJOR : Qu’est-ce que c’est que ce rigolo qui n’a même pas le courage de nous parler en<br />

face ? C’est bien la première fois qu’on veut me faire payer un séjour gratuit. Si la plaisanterie<br />

continue, j’exige le remboursement intégral du voyage, augmenté de 10 %.<br />

WEISS : <strong>Le</strong> remboursement de ce que vous n’avez pas payé ! Vous en avez de bien bonnes !<br />

Auprès de quelle compagnie d’assurances, s’il vous plaît ?<br />

MAJOR : Bon, bon, je n’insiste pas. Il vaut mieux que je retire ma réclamation.<br />

(Entrée de Roger, essoufflé. Il se précipite vers Mlle Weiss.)<br />

ROGER : C’est elle la responsable de tout ce qui nous arrive !<br />

MARIE : C’est donc elle qui clochait. Je lui ai toujours trouvé un son fêlé.<br />

ROGER : Quand elle est arrivée tout à l’heure, j’avoue que j’ai prêté plus d’attention à la<br />

bouteille de champagne qu’au magnétophone ; mais lorsque la voix a commencé à nous<br />

baratiner, je me suis rappelé que c’est moi qui avais caché le magnéto. Je suis donc sorti pour<br />

constater qu’il avait bien disparu. (Il montre Mlle Weiss.) Et c’est vous qui l’avez volé !<br />

Maintenant, vous allez passer à table !<br />

MARIE, à Mlle Weiss : Et vous serez privée de champagne.<br />

ROGER : J’espère que vous avez une bonne assurance.<br />

WEISS, elle rit : Bien meilleure que vous croyez...Oui, c’est moi qui ai volé le magnéto. Mais<br />

je vous annonce que vous êtes faits comme des rats. Tous, sans exception.<br />

MAJOR : Si nous sommes des rats, nous vendrons chèrement notre peau à cette bande de<br />

souris.<br />

WEISS : Chèrement est le mot. Il va falloir débourser. Vous êtes tous, je ne vous l’apprends<br />

pas, des spécialistes de l’escroquerie en assurances. Est-ce que la Compagnie SBP vous dit<br />

quelque chose ? (A ce mot, ils se raidissent et se regardent sans rien dire. Weiss s’adresse au<br />

public.) Mesdames et Messieurs...<br />

BLANCHE : Chut ! Inutile de prendre ce ton théâtral. On pourrait vous entendre.<br />

WEISS, montrant les spectateurs : Je veux qu’ils sachent qui vous êtes. Ecoutez, c’est<br />

édifiant. Vous avez là devant vous le plus beau ramassis de fripouilles qu’on puisse imaginer.<br />

MAJOR : Soyons modestes ! Vous trouverez plus beau que moi.<br />

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WEISS : Tous, dans votre spécialité, vous avez détourné d’importantes sommes d’argent.<br />

Vous voulez le détail ? Allons-y ! Priorité aux demoiselles : Mlle Blanco, fausses déclarations<br />

après l’incendie d’un établissement de santé. La SBP a payé. Mlle Blanche, responsable de<br />

l’incendie étrange d’un soi-disant somptueux théâtre. L’assurance a banqué. Roger et Marie,<br />

dans deux endroits différents, ont mis le feu à leur propre hôtel. Là encore, l’assurance a<br />

remboursé bien au-delà de la valeur réelle. <strong>Le</strong> Major a...<br />

MAJOR : <strong>Le</strong> Major n’a jamais été pyromane.<br />

WEISS : Pyromane, non, mythomane, oui. Ce n’est qu’une question de syllabes. Comme<br />

escroc et spécialiste de l’assurance-vie, vous êtes le champion toutes catégories. La<br />

Compagnie a trouvé l’addition salée.<br />

BLANCHE : Puisque vous êtes si bien renseignée, l’ardoise se monte à combien pour nos<br />

prétendus méfaits ?<br />

WEISS : A la bagatelle de 5 millions d’euros, soit une moyenne de 1 million par tête d’escroc<br />

ici présent. Mais il y a des escrocs plus gros que les autres. Comme vous aviez tous un dossier<br />

inattaquable au moment des sinistres, la SBP a payé. J’ajoute qu’aucun de vous ne se<br />

connaissait et que tout le monde ici ignorait les méfaits des autres.<br />

ROGER : A supposer que tout cela soit vrai, ce qui reste à démontrer, quel est le foutu<br />

Sherlock Holmes qui a tout déniché ?<br />

WEISS : Je l’ignore. <strong>Le</strong> fait est que, pendant des mois, la Compagnie vous a recherchés,<br />

pistés. Pas facile, car vous aviez tous changé d’identité et d’adresse. Mais la volonté de vous<br />

refaire une virginité sociale vous a poussés à choisir un nom irréprochable d’une blancheur<br />

immaculée : voici Blanche, Blanco et White.<br />

ROGER : Oui, mais nous, c’est <strong>Le</strong>noir.<br />

WEISS : Oui, mais vous, avant, vous vous appeliez <strong>Le</strong>blanc. Match encore nul.<br />

MARIE : Notre cher M. <strong>Le</strong>blanc, précisément, était-il coupable ou innocent ?<br />

WEISS : Je le présume innocent, le pauvre chou.<br />

BLANCO : Et vous, Mlle Weiss, votre nom, c’est aussi du rebadigeonnage ?<br />

WEISS : Oui, mais tactique. On m’a rebaptisée - enfin reblanchie - pour la circonstance.<br />

Autrement, ça aurait paru louche. Une fois nos escrocs trouvés, la Compagnie, sous couvert et<br />

avec l’accord d’un grand nom de la vente par correspondance, vous a désignés gagnants d’un<br />

séjour de rêve tous frais payés. Assoiffés d’argent et de cadeaux comme vous l’êtes, vous avez<br />

mordu à l’hameçon.<br />

MAJOR : Nous voilà donc dans la gueule du loup d’après vous. Et vous pensez qu’à notre<br />

âge, nous avons encore peur du grand méchant loup ?<br />

WEISS : Riez ! Sachez cependant que je n’ai pas l’intention de vous dévorer, mais de vous<br />

LileDesEndiables.doc 40/43


plu-mer, oui, plu-mer !<br />

BLANCHE : Chez certains, vous allez avoir du travail !<br />

MAJOR : Vous pouvez nous préciser le mode d’emploi ? Si je dois être plumé, je veux<br />

savoir à quelle sauce je serai ensuite mangé. Mon entrecôte n’a d’égale que la finesse de mon<br />

jarret (Joignant le geste à la parole, il montre le galbe de son jarret.) Dites, vous me ferez les<br />

pieds panés, s’il vous plaît ?<br />

BLANCHE : Pour moi, si vous vous payez ma tête, servez-la avec du persil dans le nez.<br />

J’aimerais avoir la tête persillée. J’ai toujours aimé être maquillée dans mes grands rôles. Et<br />

là, j’aurai de la gueule !<br />

WEISS : Arrêtez votre cirque ! (Weiss brandit un revolver. <strong>Le</strong> coup part malgré elle. Tout le<br />

monde sursaute, elle y compris.) Vous me faites faire des bêtises, et dans ces conditions, je ne<br />

réponds pas du petit joujou que j’ai dans les mains. Je veux qu’on m’obéisse calmement,<br />

compris ?<br />

TOUS : Compris !<br />

BLANCO : Avec un revolver, on comprend toujours plus vite, n’est-ce pas ?<br />

WEISS, d’un ton autoritaire : Asseyez-vous et sortez-moi votre carnet de chèques. (Ils lui<br />

obéissent.) J’explique. La Compagnie d’assurances m’a embauchée pour récupérer une partie<br />

de la somme escroquée. Dès que les chèques auront été remplis et signés, on viendra me<br />

chercher en avion. Mesdames, Messieurs, attention ! A vos chéquiers ! (Prenant l’air d’une<br />

Institutrice.) Je commence la dictée.<br />

ROGER : J’ai toujours eu horreur des dictées.<br />

MAJOR : Mais à celle-ci, Roger, tu vas te payer une bonne note.<br />

ROGER : De toute façon, j’étais habitué aux zéros, ça va pas me changer des masses.<br />

WEISS : Parfait ! Allons-y pour l’alignement des zéros. Chacun va me signer deux chèques.<br />

Un premier, du montant exact de la somme versée par l’assurance.<br />

MAJOR : Je souffre parfois d’amnésie.<br />

WEISS : Vous voulez un rappel ? C’est 1 million d’euros pour le Major. (<strong>Le</strong>s autres sifflent<br />

d’incrédulité.) 500 000 pour Marie.<br />

ROGER regardant sur son voisin : Je met-y ou je met-y pas un « s » à mille ?<br />

WEISS : Pour vous, Roger, c’est 600 000. Et pas de « s » à mille bien entendu.<br />

ROGER, s’appliquant : L’orthographe est d’une logique à décourager les voleurs.<br />

WEISS : Et surtout n’oubliez pas les beaux petits zéros bien ronds.<br />

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MARIE : A l’ordre de qui ?<br />

WEISS : La Compagnie se chargera de compléter. Je ramasse le premier chèque. Merci.<br />

(Après avoir ramassé tous les chèques.) Prêts pour le second ? Vous vous y connaissez bien<br />

en calculs foireux : la petite opération suivante ne devrait présenter aucune difficulté pour<br />

vous. Donc vous me rédigez maintenant un chèque représentant 10 % de la valeur du premier.<br />

( Murmures de protestation. )<br />

TOUS : Ah ! non !<br />

WEISS, montrant le pistolet : Vous voulez un peu de plomb dans le crâne ?<br />

TOUS : Non ! Non !<br />

BLANCHE : Avec ou sans plomb, c’est tout de même injuste.<br />

WEISS : <strong>Le</strong> mot est bien choisi. Injuste. Disons que c’est pour réparer l’injustice causée à<br />

l’assurance. C’est le prix du préjudice moral. Vous êtes si experts que vous avez fait fructifier<br />

l’argent empoché. Attention, on m’obéit bien surtout. Donc, 100 000 euros pour le Major, et<br />

50 000 pour Marie. Sans ordre non plus.<br />

(Ils rédigent le chèque.)<br />

MAJOR : Quand on braque un pistolet sur moi, je deviens émotif, et alors je suis capable<br />

d’écrire n’importe quoi.<br />

(Roger regarde son voisin.)<br />

WEISS : Roger, voyons, on ne copie pas.<br />

ROGER : C’est rapport au « s ». Je met-y ou je met-y pas un « s » à soixante ?<br />

TOUS, en chœur : Mais non, idiot, pas de « s ».<br />

ROGER : L’idiot vous dit merci, mais il a pas compris pourquoi.<br />

WEISS : Pressons ! Je ramasse les copies. Un petit geste de solidarité pour une compagnie<br />

d’assurances dans le besoin.<br />

(Elle ramasse les chèques.)<br />

BLANCHE : Vous allez nous faire pleurer.<br />

ROGER : Moi, ça me fait mal au cœur.<br />

MAJOR : Moi, c’est plutôt au porte-monnaie. Mais qu’y peut-on ? Quand les gens sont dans<br />

le besoin, il faut bien se serrer les coudes.<br />

WEISS, tout sourire : Merci de votre collaboration. Adieu mes chers amis. Vous ne me<br />

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everrez pas de si tôt.<br />

(Elle sort. Tous les regards sont tournés vers elle. Scène brusquement dans le noir. Musique<br />

dramatique pendant le noir, c’est-à-dire pendant 20-30 secondes. La lumière revient<br />

progressivement. Tous ont la même attitude figée, dans la même position que lors du départ<br />

de Mlle Weiss.)<br />

LEBLANC, des coulisses, d’une voix forte : Doucement ! Pas de précipitation, Mlle Weiss.<br />

TOUS : <strong>Le</strong>blanc ! Vous !<br />

( A suivre)<br />

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