14.07.2013 Views

Isadora vous chuchote - Le Proscenium

Isadora vous chuchote - Le Proscenium

Isadora vous chuchote - Le Proscenium

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

AVERTISSEMENT<br />

Ce texte a été téléchargé depuis le site<br />

http://www.leproscenium.com<br />

Ce texte est protégé par les droits d’auteur.<br />

En conséquence avant son exploitation <strong>vous</strong> devez obtenir<br />

l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès<br />

de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la<br />

France).<br />

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut<br />

faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de<br />

jouer n'a pas été obtenue par la troupe.<br />

<strong>Le</strong> réseau national des représentants de la SACD (et leurs<br />

homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et<br />

vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés,<br />

même a posteriori.<br />

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre,<br />

MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit<br />

produire le justificatif d’autorisation de jouer. <strong>Le</strong> non respect de ces<br />

règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la<br />

troupe et pour la structure de représentation.<br />

Ceci n’est pas une recommandation, mais une<br />

obligation, y compris pour les troupes amateurs.<br />

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le<br />

public puissent toujours profiter de nouveaux textes.<br />

1


<strong>Le</strong> monde d’Amélie Delavague :<br />

AMÉLIE, lycéenne<br />

SONIA, sa mère<br />

AGNÈS (1), sa petite sœur<br />

FRANCIS (2), un camarade de guitare<br />

THIERRY (3), un camarade d’équitation<br />

FLORENT (2), son moniteur d’équitation<br />

MARIE (4), l’une de ses copines<br />

MARION (4), l’une de ses copines<br />

MARIA (4), l’une de ses copines<br />

RACHEL (1), l’une de ses ennemies<br />

TIAGO (3), l’un de ses copains<br />

FLORIAN (2), l’un de ses copains<br />

<strong>Le</strong> monde d’Eric Farquet :<br />

ÉRIC, enseignant trentenaire<br />

AGATHE (5), sa mère<br />

SYLVIE (6), sa grande sœur<br />

GINA (7), une camarade du théâtre<br />

PASCAL (8), son avocat<br />

CATIA (6), son ex<br />

INES (7), agent matrimonial<br />

JULIE (6), rabatteuse d’Ines<br />

YVANA (7), l’une de ses copines<br />

ANNE (5), l’une de ses copines<br />

SANDRINE (5), l’une de ses copines<br />

BASTIEN (9), l’un de ses copains<br />

LUC (8), l’un de ses copains<br />

<strong>Le</strong> monde des Empires Renaissants :<br />

ISADORA, personnage joué par Amélie<br />

JOCELYN, personnage joué par Eric<br />

SMATCH, chef de guerre artésien<br />

CHARLES, bourgmestre d’Azincourt<br />

OLIBRIUS (10), simple joueur<br />

WOLFY (2), bandit des grands chemins<br />

SUTULLE (4), personnage joué par XXX<br />

XXX (9), hacker anonyme<br />

LEVAN (10), juge d’Artois<br />

<strong>Isadora</strong> <strong>vous</strong> <strong>chuchote</strong><br />

Pièce en trois actes de<br />

Etienne Fardel<br />

Personnages<br />

<strong>Le</strong>s personnages suivis du même chiffre peuvent être interprétés par la même personne.<br />

La pièce nécessite donc un minimum de 17 acteurs :<br />

- 5 femmes : Sonia, <strong>Isadora</strong> et les rôles n° 5-6-7<br />

- 7 hommes : Eric, Jocelyn, Smatch, Charles et les rôles n° 8-9-10<br />

- 3 adolescentes : Amélie et les rôles n° 1-4<br />

- 2 adolescents : <strong>Le</strong>s rôles n° 2-3<br />

2


<strong>Isadora</strong> <strong>vous</strong> <strong>chuchote</strong><br />

Pour Ariane alias Isa02<br />

Au cours de toute cette pièce, Amélie Delavague et son monde occuperont le côté jardin de la<br />

scène, tandis qu’Eric Farquet et son entourage se situeront sur le côté cour. <strong>Le</strong> monde virtuel<br />

des Empires Renaissants remplira le milieu de la scène. A chaque fois qu’apparaîtront les<br />

personnages virtuels d’<strong>Isadora</strong> et de Jocelyn, Amélie et Eric seront respectivement présents,<br />

chacun de leur côté, derrière leur ordinateur allumé.<br />

Acte 1 (2006-2007)<br />

Amélie rassemble des jouets dans un grand sac. Lorsqu’elle se saisit d’une poupée Barbie,<br />

elle la regarde pendant plus longtemps.<br />

AMÉLIE : Désolée ma grande, c’est pas que je sois devenue plus grande que toi, j’ai pas<br />

encore tes formes, pas encore tes jambes. Mais disons… en tout cas trop âgée pour jouer avec<br />

toi. Faut qu’on se dise adieu, poulette, on a partagé un peu nos rêves et nos délires, c’était<br />

chouette, mais enfin tu vois, le temps file et je crois que nos chemins vont diverger. Avec<br />

Nounours et la corde à sauter, tu vas faire le bonheur d’une petite fille de Somalie, et moi de<br />

mon côté je vais me trouver un Ken et puis… Elle se tait, se mord les lèvres, regarde bien<br />

que personne ne l’a entendue, puis range la Barbie avec le reste. Quatorze ans, bordel.<br />

Sa mère, Sonia, entre en coup de vent.<br />

SONIA : Tu en as fini ?<br />

AMÉLIE : Oui Maman, j’ai tout mis mes vieux jouets dans le sac.<br />

SONIA : C’est pas du luxe, ça devenait le foutoir, ta chambre.<br />

AMÉLIE : Notre.<br />

SONIA : Pardon ?<br />

AMÉLIE : Notre chambre puisqu’au cas où tu l’aurais oublié, je la partage avec Aline depuis<br />

la naissance d’Agnès.<br />

SONIA : Et moi je crois bon de te rappeler que depuis qu’Aline est à la fac, elle ne l’occupe<br />

que les week-ends.<br />

AMÉLIE : C’est suffisant pour qu’elle laisse aussi traîner ses affaires.<br />

SONIA : Ne recommence pas, ce n’est pas le moment.<br />

AMÉLIE : Mais Maman…<br />

SONIA : Je t’ai dit de te taire Amélie. C’est l’heure de ton cours de guitare, n’est-ce pas ?<br />

AMÉLIE : Oui Maman.<br />

SONIA : Juste. Tu tiens bien à y aller ?<br />

AMÉLIE soupirant : Oui Maman.<br />

SONIA : Ne me fâche pas, si veux que je t’y amène. Termine de ranger ta chambre et rejoinsmoi<br />

dans le salon. Tu as cinq minutes.<br />

Elle sort.<br />

AMÉLIE terminant fébrilement son rangement en chantonnant : Je suis grande, je suis<br />

raisonnable, je donne l’exemple, je suis responsable, je ne fais pas de bêtise, je n’ai pas cette<br />

chance…<br />

Noir. Eric, portant gros sac et longs cheveux, arrive, accueilli par sa mère, Agathe.<br />

ÉRIC : Bonjour Maman.<br />

Ils se prennent dans les bras.<br />

AGATHE : Mon petit…<br />

ÉRIC : L’enfant prodigue est de retour.<br />

AGATHE : Tu nous as fait peur, tu sais.<br />

3


ÉRIC : Je sais… pardonne-moi.<br />

AGATHE : Je t’entendais au téléphone, ta voix était si lointaine.<br />

ÉRIC : Ça a dû être pénible à vivre.<br />

AGATHE : Une fois de plus, j’ai failli te perdre.<br />

ÉRIC : Et une fois de plus, j’ai retrouvé mon chemin.<br />

AGATHE : J’ai préparé ta chambre, comme celle d’un nouveau-né.<br />

ÉRIC : Merci Maman.<br />

AGATHE : Tu pourras rester chez nous jusqu’à ce que tu recommences à travailler. Et plus<br />

longtemps si tu veux.<br />

ÉRIC : Non Maman. Jusqu’à ce que je recommence à travailler.<br />

AGATHE : Mais Eric…<br />

ÉRIC : Oui Maman ?<br />

AGATHE : Quand est-ce que tu te décideras à couper tes cheveux ?<br />

ÉRIC : Jamais. Je projette même un piercing.<br />

Noir. Amélie est à son cours de guitare, à côté de Francis. <strong>Le</strong> prof donne son cours en voix<br />

off. Francis est attentif. Amélie ne cesse de le regarder.<br />

AMÉLIE pour elle-même : Me trouver un Ken… C’est vrai qu’il est mignon et qu’il est<br />

sympa… Francis se met à jouer. Et qu’il joue divinement bien de la guitare… Francis tourne<br />

le regard vers elle. Et que…<br />

FRANCIS : Qu’est-ce que tu fous, Amélie ?<br />

AMÉLIE balbutiant : Moi je… rien, je, tu tu tu joues bien de la guitare.<br />

FRANCIS : Je suis là pour. Et toi aussi je te signale.<br />

AMÉLIE avec espoir : Moi aussi je joue bien ?<br />

FRANCIS : Non, toi aussi tu es là pour apprendre. Alors tu t’y mets.<br />

AMÉLIE : Ah mais oui je m’y mets. Elle gratouille sa guitare. Heu, Francis ?<br />

FRANCIS : Oui ?<br />

AMÉLIE : Tu joues comme un dieu !<br />

FRANCIS : Ne me déconcentre pas.<br />

Noir. Eric et Bastien sont attablés devant un verre.<br />

BASTIEN : De retour chez les vivants ?<br />

ÉRIC : Sur.<br />

BASTIEN : Pas de chance avec l’Asie du sud-est, toi !<br />

ÉRIC : Non.<br />

BASTIEN : Il y a trois ans, l’accident de touk touk avec Catia, et cette année, la malaria.<br />

ÉRIC : Falciparum.<br />

BASTIEN : Hein ?<br />

ÉRIC : La malaria falciparum, la pire.<br />

BASTIEN : Tu t’es senti comment ?<br />

ÉRIC : Mal.<br />

BASTIEN : Mais encore ?<br />

ÉRIC : Mais encore ? Tu es dans un lit d’hôpital, aux soins intensifs de Bangkok, avec une<br />

intraveineuse de plasma sanguin dans un bras, une intraveineuse d’antibiotique dans l’autre,<br />

un masque à oxygène sur la gueule, un cathéter dans la queue, on te fait à chaque heure des<br />

prises de sang dans le pied, tu bois du potassium au goût immonde, tu es conscient par<br />

intermittence quand on t’amène dans un scanner, tu ne te souviens de rien, t’as plus goût à<br />

rien, t’entends ta mère chialer au téléphone sans que tu puisses lui répondre tellement t’es<br />

mal.<br />

BASTIEN : Ça a dû être dur.<br />

ÉRIC : Même les infirmières thaïlandaises ne t’excitent plus.<br />

BASTIEN : Très dur.<br />

4


ÉRIC : L’inverse. Parce que quand tu en vois une s’approcher de ton lit, tu sais qu’il va<br />

t’arriver une horreur et tu débandes aussi sec.<br />

BASTIEN : T’as pas eu de bol.<br />

ÉRIC : Mais non, si je suis vivant.<br />

BASTIEN : Et maintenant ?<br />

ÉRIC : Maintenant ? Retour au bercail. <strong>Le</strong>s parents me laissent squatter le studio du sous-sol.<br />

BASTIEN : Tu ne vas pas repartir je pense.<br />

ÉRIC : T’es malade ! Je vais tranquillement terminer ici mon année sabbatique.<br />

BASTIEN : Et après ?<br />

ÉRIC : Je retrouve ma place au lycée. En attendant va falloir que je m’occupe.<br />

Noir. Amélie, à son banc d’école, <strong>chuchote</strong> avec Marie tandis que la voix off du prof se fait<br />

entendre en bruit de fond.<br />

MARIE : Alors ?<br />

AMÉLIE : Alors je crois bien qu’il me drague.<br />

MARIE : Ah oui ?<br />

AMÉLIE : Tu sais, au cours de guitare, hier, il s’est placé pile à côté de moi.<br />

MARIE : Ah oui ?<br />

AMÉLIE : Et puis je ne sais pas mais j’ai comme eu l’impression que je le… déconcentrais.<br />

MARIE : Ah oui ?<br />

AMÉLIE : Il arrivait plus à jouer, c’était dingue !<br />

MARIE : Ah oui ?<br />

AMÉLIE : Et tu sais ce qu’il m’a dit ?<br />

MARIE : Non ?<br />

AMÉLIE : Que moi aussi je jouais bien.<br />

MARIE : Ah oui ?<br />

AMÉLIE : Enfin il l’a pas dit comme ça, mais j’ai deviné que c’est ce qu’il voulait dire sans<br />

le dire, enfin tu comprends.<br />

MARIE : Ah oui.<br />

AMÉLIE : Et puis… il m’a rien proposé mais je crois bien que c’est parce qu’il osait pas. Il<br />

est tellement timide, ce garçon.<br />

MARIE : Ah non.<br />

AMÉLIE : Pardon ?<br />

MARIE : Je voulais dire, ah oui.<br />

AMÉLIE : Ce coup-ci, je pense que c’est dans la poche !<br />

MARIE : Mais oui.<br />

Noir. Eric est accoudé au comptoir. Catia arrive et effectue une commande.<br />

CATIA : Trois bières s’il te plaît.<br />

ÉRIC : Salut Catia.<br />

CATIA : Tiens ? Salut.<br />

ÉRIC : T’as vu ? Je suis rentré.<br />

CATIA : J’ai vu ça.<br />

Elle reçoit les bières et les transmet derrière elle.<br />

ÉRIC : Heu, Catia ?<br />

CATIA : Ouais ?<br />

ÉRIC : Tu as peut-être trouvé déplacé que je pense à ton anniversaire, puisque tu ne m’as<br />

même pas remercié.<br />

CATIA : Ah oui… Disons que j’avais commencé à t’écrire un mail mais… je l’ai pas terminé.<br />

J’avoue que j’en avais rien à foutre.<br />

ÉRIC : Rien à foutre ?<br />

5


CATIA : Franchement arrête. Arrête. Je ne renie rien de ce que j’ai fait avec toi, mais<br />

honnêtement je ne vois pas l’intérêt de… d’entretenir une quelconque forme de relation avec<br />

toi. <strong>Le</strong> passé c’est le passé, moi j’ai tourné la page.<br />

ÉRIC : C’est ton avis ou celui de ton mari ?<br />

CATIA : <strong>Le</strong> mien vu qu’il a pas le choix.<br />

ÉRIC goguenard : On le saura.<br />

CATIA s’emportant : Ne t’avise pas d’en dire du mal !<br />

ÉRIC : J’en dis rien de mal.<br />

CATIA : Je file. Mes potes m’attendent. J’espère que tu comprennes mon point de vue.<br />

ÉRIC : Je l’ai comprenu, je l’ai comprenu.<br />

Noir. Retour à la scène précédente : Amélie et Marie <strong>chuchote</strong>nt en classe.<br />

AMÉLIE : Tu t’es renseignée ?<br />

MARIE : Heu… oui.<br />

AMÉLIE : Mais t’as rien dit hein ?<br />

MARIE : Heu… non.<br />

AMÉLIE : Tu penses qu’il m’aime ?<br />

MARIE : Heu…<br />

AMÉLIE : Oui ?<br />

MARIE : Non.<br />

AMÉLIE déçue : Quoi ?<br />

MARIE : En fait je crois qu’il est amoureux de Vanessa.<br />

AMÉLIE : Il te l’a dit ?<br />

MARIE : Non mais c’est Sandrine qui l’a entendu parler de Vanessa à Claire.<br />

AMÉLIE : T’as rien dit à Sandrine, hein ?<br />

MARIE : Heu… non.<br />

AMÉLIE : Si ça se trouve il bluffait.<br />

MARIE : Heu… oui.<br />

AMÉLIE : Tu dis ce que tu penses ou ce que je veux entendre ?<br />

MARIE : Heu…<br />

AMÉLIE : Laisse tomber. J’aurais dû faire cette commission moi-même.<br />

Noir. Eric et Yvana sont attablés. Eric lui remet une boîte de chocolats.<br />

ÉRIC : Achetés à l’aéroport de Bangkok juste avant de rentrer.<br />

YVANA : Merci.<br />

ÉRIC : Même au sortir du couloir de la mort, j’ai pensé à toi.<br />

YVANA : Jolie photo avec les pagodes.<br />

ÉRIC : Et c’est pas tout. Regarde à tes pieds.<br />

Yvana se penche et ramasse une rose. Elle paraît gênée.<br />

YVANA : En quel honneur ?<br />

ÉRIC : L’honneur de te revoir, après ces longs mois d’absence.<br />

YVANA : Et moi comme de coutume, je suis venue les mains vides.<br />

ÉRIC : Ta présence est le plus beau des présents, Yvana.<br />

YVANA : Merci.<br />

ÉRIC : Tu as suivi mon périple ?<br />

YVANA : Oui.<br />

ÉRIC : Et tu as reçu mes photos du désert de Gobi et de la Grande Muraille ?<br />

YVANA : Oui.<br />

ÉRIC : Et tu trouves toujours que je devrais me couper les cheveux ?<br />

YVANA : Oui.<br />

ÉRIC sortant un magazine de coiffure : Tu sais quoi ? Tu vas m’aider à choisir.<br />

YVANA surprise : Oh !<br />

6


ÉRIC : Quelle coupe m’irait bien ?<br />

YVANA feuilletant : Celle-ci… ou bien… oui celle-ci, avec les pics en gel.<br />

ÉRIC prenant le magazine et contemplant la photo : Hé bien, va pour celle-là.<br />

YVANA : Tu plaisantes ?<br />

ÉRIC : Non non, rendez-<strong>vous</strong> ici même la semaine prochaine pour visualiser les résultats.<br />

YVANA : Tu ne le feras pas. Pas pour moi.<br />

ÉRIC : Je le ferai. Et je connais déjà quelqu’un que tu ne connais pas et qui va t’adorer.<br />

YVANA : Qui ?<br />

ÉRIC : Ma mère.<br />

YVANA ricanant : Tu fais tout ce qu’elle te dit ?<br />

ÉRIC : Il paraît qu’on devient adulte quand on fait ce qui nous plaît, même si ça plaît aussi à<br />

nos parents.<br />

Noir. Amélie avec sa mère.<br />

SONIA : Non Amélie.<br />

AMÉLIE : Mais Maman, toute la classe y va !<br />

SONIA : Ce n’est pas un argument. C’est non. Une histoire à boire et à fumer.<br />

AMÉLIE : Je te promets… je te promets que je serai raisonnable ! Tu sais bien que je sais me<br />

tenir !<br />

SONIA : Tu partiras en voyage de classe l’année prochaine un point c’est tout. Comme Aline.<br />

AMÉLIE : Je vais encore passer pour une cruche, moi !<br />

SONIA : Il y a d’autres moyens de se mettre en valeur, ma fille.<br />

AMÉLIE : Mais…<br />

SONIA : Arrête Amélie, ce n’est pas la peine, c’est non et on n’en parle plus. Dans vingt ans<br />

tu me remercieras.<br />

AMÉLIE : Qu’est-ce que j’en ai à fiche de dans vingt ans !<br />

SONIA : Va travailler dans ta chambre.<br />

Noir. Eric et Luc effectuent une randonnée.<br />

LUC : Et comment c’était l’hôpital, en Thaïlande ?<br />

ÉRIC : Très bien pour soigner la malaria.<br />

LUC : Efficace ?<br />

ÉRIC : Oui, du moins dès qu’ils ont su que j’étais solvable.<br />

LUC : Prêt à repartir ?<br />

ÉRIC : Pas tout de suite ! A présent je me requinque. Un temps. Et toi ?<br />

LUC : Ben tu comprends, depuis la naissance de Baptiste, nous sommes assez chamboulés.<br />

ÉRIC : Je suppose. Tous les jeunes papas me disent ça.<br />

LUC : C’est rien de l’entendre, il faut le vivre.<br />

ÉRIC : Cela aussi je l’entends. Mais pour ce qui est de le vivre… je n’en suis pas encore là.<br />

LUC : Toujours célibataire ?<br />

ÉRIC : Plus pour longtemps peut-être.<br />

Noir. Amélie devant son PC regarde rageusement son portable.<br />

AMÉLIE : <strong>Le</strong> sixième SMS en deux heures. C’est ça, réjouissez-<strong>vous</strong> pauvres connes !<br />

Faites-moi bien envie ! Et moquez-<strong>vous</strong> de moi parce que Maman ne m’a pas laissé venir ! Je<br />

m’en fiche, moi, je sais très bien me passer de <strong>vous</strong> et me passer de tout le monde. Bon,<br />

qu’est-ce que je vais pouvoir faire, moi ? J’ai pas le cœur à bouquiner quand je suis<br />

contrariée. Elle pianote sur son PC. Rien de neuf sur Facebook, forcément, avec toutes les<br />

copines qui s’éclatent… elles vont en boîte, elles, elles n’ont pas besoin de Facebook. Et puis<br />

elles vont mettre les photos du voyage, ça va me retourner le couteau. Aucun commentaire sur<br />

mon blog ? ça valait bien la peine d’en ouvrir un. Et personne de connecté sur MSN. Youtube<br />

à fond ? Pas avec le dragon dans les parages. Jeu virtuel, jeu de rôle, forums… hé c’est quoi<br />

cette pub ? Elle clique et aussitôt apparaît sur l’écran de la partie centrale la publicité des<br />

7


Empires Renaissants, qu’elle lit : « Bienvenue dans les Empires Renaissants, Mmorpg<br />

gratuit ! Incarnez un personnage dans l’Europe du Moyen Age finissant, et devenez artisan,<br />

duc, soldat ou encore général, votre destin est entre vos mains. Rencontrez les 30’000 autres<br />

joueurs actifs, dans un monde virtuel régi par des lois économiques réalistes. Commercez,<br />

trayez vos vaches, semez votre champ, choisissez un métier, faites de la politique ou vivez en<br />

marge de la légalité. Promenez-<strong>vous</strong> au bord du lac ou dans les vergers en bonne compagnie,<br />

finissez le soir en taverne. Faites-<strong>vous</strong> de nouveaux amis par les forums et les chats. » Des<br />

nouveaux amis ? Ah ben ça serait pas du luxe. Voyons l’inscription… Pseudo ? Quelque<br />

chose qui fasse… comme celle des orphelins Baudelaire… <strong>Isadora</strong>, oui c’est ça. <strong>Isadora</strong>.<br />

<strong>Isadora</strong> est née. <strong>Isadora</strong> apparaît au milieu de la scène, vêtue d’une tenue médiévale. Mot de<br />

passe ? Facile… Mon mail ? Aucun souci… Sexe ? Femme jusqu’à preuve du contraire.<br />

Age ? 14 ans depuis 5 jours. Je clique ici et… c’est partiiiii ! La lumière décline<br />

progressivement du côté d’Amélie tandis que la partie centrale s’éclaire. Alors comment elle<br />

est, <strong>Isadora</strong> ? Je vais en faire… la descendante d’une reine elfe, donc immortelle et imbattable<br />

au tir à l’arc. Sauf que… elle a été recueillie par des parents alcooliques, comme Harry Potter.<br />

Et puis allez, une vampirette comme dans Twilight, et puis une amie des loups, et puis…<br />

ISADORA : Et puis c’est déjà pas mal. Voyons mes nouveaux amis.<br />

Smatch apparaît près d’<strong>Isadora</strong>.<br />

SMATCH : Bonjour beauté ! Tu viens d’arriver ?<br />

ISADORA : Bonjour beau brun ! Oui je suis née d’aujourd’hui. Toute fraîche.<br />

SMATCH : Bienvenue à Azincourt ! Bienvenue en 1454 ! Smatch, pour te servir.<br />

ISADORA : Enchantée pour le service. Je m’appelle… Isa.<br />

SMATCH : Isa… Longue vie à toi !<br />

ISADORA : Tu peux m’expliquer comment ça se passe ici ?<br />

SMATCH : Oh c’est simple. Il faut simplement te nourrir et travailler tous les jours.<br />

ISADORA : Tous les jours ? Ça va être difficile…<br />

SMATCH : Si tu n’es pas certaine de venir tous les jours, tu n’as qu’à te mettre en retraite<br />

spirituelle à l’église.<br />

ISADORA : Où ça ?<br />

SMATCH : Juste ici. Là tu as le marché pour acheter, le lac pour pêcher, la mairie pour voter,<br />

la route pour voyager et la taverne pour rigoler.<br />

ISADORA : Ah oui d’accord.<br />

SMATCH : Bientôt tu auras un champ pour travailler.<br />

ISADORA : C’est tout ce qu’on peut faire ici ? Manger et travailler ?<br />

SMATCH : Si t’es une tamago oui. Mais je sens que tu ne l’es pas.<br />

ISADORA : Et qu’est-ce qu’on doit faire pour ne pas l’être ?<br />

SMATCH : Viens en taverne, va sur les forums. Lâche-toi, laisse-toi aller, vis ta vie et fais<br />

vivre le village. Rencontre les anciens, les nouveaux, délire et déconne !<br />

ISADORA : Ça tombe bien je suis douée pour ça.<br />

SMATCH : Garçon ! Deux chopes, pour fêter la naissance d’Isa !<br />

ISADORA se saisissant d’une chope : T’aurais pas dû me conseiller la déconne, petit père !<br />

Sonia entre brusquement du côté d’Amélie.<br />

SONIA : Amélie ! Qu’est-ce que tu fais ?<br />

AMÉLIE : Rien Maman, ou plutôt si, je cherchais quelque chose sur Wikipédia.<br />

SONIA : Tu chercheras après, on passe à table. Lave-toi les mains.<br />

SMATCH : Santé beauté !<br />

ISADORA : Heu désolée, je dois, je dois…<br />

AMÉLIE : Partir.<br />

Elle éteint le PC et la partie centrale replonge dans l’obscurité. La zone d’Eric s’éclaire. Il<br />

apparaît avec les cheveux courts devant Ivana qui rit, gênée.<br />

8


ÉRIC : Surpriiiiiiiiiise !<br />

IVANA : Tu l’as fait ?<br />

ÉRIC : Hé oui !<br />

IVANA : J’étais sûre que tu n’allais jamais le faire !<br />

ÉRIC : Tu vois !<br />

IVANA : Depuis six mois que je te le demandais !<br />

ÉRIC : Juste avant mon départ.<br />

IVANA : Et puis la semaine dernière, tu te ramènes avec le magazine, et là je me dis que non,<br />

que tu me fais marcher une fois de plus, et puis…<br />

ÉRIC : Maintenant tu n’auras plus honte de me présenter à tes parents.<br />

IVANA se mordant la lèvre : Je ne pense pas que je te présenterai à eux, Eric.<br />

ÉRIC : Ivana ?<br />

IVANA : D’ailleurs il faut que j’y aille.<br />

ÉRIC : Déjà ?<br />

IVANA : Mon copain m’attend.<br />

ÉRIC : Ton cop…<br />

IVANA : Hé oui.<br />

ÉRIC : Mais ? Tu ne m’en as pas parlé la dernière fois ?<br />

IVANA : Tu ne m’avais rien demandé.<br />

ÉRIC : J’ai sacrifié pour toi une chevelure de trois ans et…<br />

IVANA : Je ne t’avais rien demandé.<br />

Un temps.<br />

ÉRIC : Bonne continuation.<br />

Noir. Retour sur Amélie, qui fait les courses avec Sonia.<br />

SONIA : Non, Amélie.<br />

AMÉLIE : Ecoute, Maman…<br />

SONIA : J’ai dit non.<br />

AMÉLIE : Je ne veux pas que tu m’habilles comme ça, je passe pour une ringarde aux yeux<br />

des autres.<br />

SONIA : Il est bien question des autres.<br />

AMÉLIE : Maman ! A 9 ans, je me retrouvais seule dans la cour de récré parce que je<br />

m’habillais mal.<br />

SONIA : Ne rejette pas la faute sur les habits. Et puis c’est du passé.<br />

AMÉLIE : Non ! ça va rester du présent… à cause, à cause de toi.<br />

SONIA : C’est ça, c’est moi qui paie et c’est moi la méchante.<br />

AMÉLIE : Mais les habits que tu comptes m’acheter ne sont pas moins coûteux que ceux-là !<br />

Ils m’iraient si bien, ce débardeur flashi et ce t-shirt noir.<br />

SONIA : Une dernière fois : non ! Tant que tu vis sous mon toit, tu ne t’habilleras pas comme<br />

une pute, un point c’est tout.<br />

AMÉLIE explosant : Tu as peur que je te ressemble trop c’est ça ?<br />

Noir. Eric sonne chez lu, abattu et Agathe lui ouvre, enthousiaste.<br />

ÉRIC : Surprise.<br />

AGATHE : Mon fils !<br />

ÉRIC : C’est moi.<br />

AGATHE : Tu t’es coupé les cheveux ?<br />

ÉRIC : Comme un grand.<br />

AGATHE : Comme ça te va mieux.<br />

ÉRIC : Je ne l’ai pas fait pour me faire remarquer ou que je trouve ça beau, simplement ça me<br />

plaît.<br />

9


AGATHE : Viens que je te prenne en photo ! Jean-Claude ! Viens voir ton fils ! Il a repris une<br />

figure humaine !<br />

Noir. Amélie est devant son PC.<br />

AMÉLIE : Privée de ciné… privée de ciné… tout ça pour lui avoir dit ses quatre vérités, à la<br />

greluche. Vivement que j’aie 18 ans et que je me barre d’ici moi ! En attendant… j’ai un petit<br />

Smatch à taquiner.<br />

Lumière sur le centre. Smatch est en conversation avec Olibrius.<br />

OLIBRIUS : Contre la Champagne ?<br />

SMATCH : Oui, la guerre menace et le comté recrute des chefs de guerre.<br />

OLIBRIUS : Et <strong>vous</strong> allez répondre à l’appel ?<br />

SMATCHE : Bien sûr, on va massacrer hardiment cette racaille.<br />

Entre <strong>Isadora</strong>.<br />

ISADORA : Coucou beau brun !<br />

SMATCH : Tiens ? Coucou petite !<br />

ISADORA : Pardonne-moi pour mon départ précipité, je…<br />

SMATCH : Attends, change pas la fréquence, on cause très sérieusement là.<br />

ISADORA : Parce que je ne suis pas sérieuse peut-être ?<br />

SMATCH : La guerre, c’est une affaire d’hommes, petite !<br />

ISADORA : C’est ce qu’on va voir !<br />

SMATCH : Allez, tournée générale, et reste un peu le nez dans ta chope, tu veux ?<br />

ISADORA et OLIBRIUS simultanément : Est-ce que je peux me joindre à <strong>vous</strong> ?<br />

SMATCH : Je n’en attendais pas moins. Tu as quel score de force ?<br />

OLIBRIUS : 20 points.<br />

SMATCH : C’est mou ! Grimpe à 40 et je ferai quelque chose de toi.<br />

OLIBRIUS : Comment est-ce qu’on devient plus fort, déjà ?<br />

SMATCH : En mangeant de la viande et en s’entraînant dans la lice.<br />

OLIBRIUS : Je le ferai.<br />

SMATCH : Et n’oublie pas d’acheter une épée.<br />

ISADORA : Hey beau brun ?<br />

SMATCH : Je t’avais dit : la ferme.<br />

<strong>Isadora</strong> lui balance le contenu de sa chope au visage.<br />

ISADORA : Hi hi hi !<br />

SMATCH : Attends un peu, fumelle !<br />

ISADORA : Même pas peur !<br />

OLIBRIUS : A quel prix je peux trouver une épée ?<br />

SMATCH se levant et attrapant <strong>Isadora</strong> au poignet : Je m’en vais te corriger moi.<br />

ISADORA se dégageant de son étreinte : Tu m’auras pas !<br />

OLIBRIUS : Et comment sont régis les combats ?<br />

SMATCH essayant de plaquer <strong>Isadora</strong> au sol : Je vais t’apprendre la politesse, moi.<br />

ISADORA se dégageant et filant vers le comptoir : Retrousse tes manches.<br />

OLIBRIUS : Quand on est morts, c’est pour combien de jours ?<br />

SMATCH : Je vais t’attraper par les cheveux et te faire tournoyer en l’air.<br />

ISADORA lui balançant le contenu d’une autre chope : Et celle-là tu l’as pas vue venir ?<br />

OLIBRIUS : Et pour l’élection comtale, ça se passe comment ?<br />

SMATCH : Il y a des partis qui se forment et qui partent en campagne, mais électorale. Ceci<br />

dit les succès militaires rapportent des points d’Etat.<br />

ISADORA : Mais ? Serait-ce qu’il m’ignore, mon Smatch ?<br />

Elle allume une torche.<br />

SMATCH : Et c’est le conseil, ainsi élu, qui élit lui-même le comte.<br />

OLIBRIUS : Ceci dit je suppose que le vote est pondéré par les points d’Etat.<br />

10


SMATCH : Absolument, mais leur répartition à ce moment est aléatoire. Elle dépend du bon<br />

vouloir des conseillers qui… <strong>Isadora</strong> lui brûle les fesses avec la torche. Aïe !<br />

ISADORA : C’est qu’il a chaud aux fesses le guerrier.<br />

SMATCH bondissant vers elle : Attends tu vas voir !<br />

OLIBRIUS : Et qui nomme ces conseillers ?<br />

ISADORA inclinant la torche vers Smatch : Hey du calme si tu veux pas que je t’enflamme<br />

aussi tes jolis cheveux bruns.<br />

SMATCH : J’ai l’arme imparable pour les effrontées de ton espèce.<br />

OLIBRIUS : Il faudra que je me booste mes statistiques.<br />

ISADORA : Mon œil !<br />

SMATCH : <strong>Le</strong>s chatouilles ! Guili guili !<br />

Il la chatouille et elle lâche la torche en riant. Noir. Eric et Bastien devant un verre.<br />

BASTIEN : Et alors ?<br />

ÉRIC : Alors son copain l’attendait.<br />

BASTIEN : La salope.<br />

ÉRIC : Je ne te le fais pas dire.<br />

BASTIEN : Ceci dit, c’est vrai que les cheveux courts, ça te va mieux.<br />

ÉRIC : Rho ça va hein.<br />

BASTIEN : Bah tourne la page. Au fait, avec des potes, on voudrait te conseiller un jeu.<br />

ÉRIC : Moi tu sais, le virtuel…<br />

BASTIEN : Toi qui as étudié le Moyen Age, ça devrait t’intéresser.<br />

ÉRIC : Je suis déjà inscrit à un jeu de culture générale.<br />

BASTIEN : Celui-là il est drôle, et puis avec Stéphane on se fend bien la gueule en montant<br />

les autres joueurs les uns contre les autres.<br />

ÉRIC : Donne toujours mais je ne te promets rien.<br />

BASTIEN : Ça s’appelle les Empires Renaissants.<br />

Noir. Retour sur Amélie devant son PC, <strong>Isadora</strong> et Smatch au milieu.<br />

ISADORA : On s’est bien marrés la dernière fois.<br />

SMATCH : Oui, c’était drôle.<br />

ISADORA : On a fini par mettre le feu à l’auberge !<br />

SMATCH : Et Olibrius a continué à ne rien comprendre.<br />

ISADORA : Tu crois que c’est un tamago celui-là ?<br />

SMATCH : Il m’en a tout l’air. Trop technique, pas assez roleplay, il se fatiguera vite.<br />

ISADORA : Et de moi ? Tu penses quoi ?<br />

SMATCH : Toi tu me plais et j’espère que tu resteras, avec ton putain de caractère.<br />

AMÉLIE : Enfin un qui le reconnaît !<br />

ISADORA : Et encore t’as pas tout vu !<br />

SMATCH : Je demande à voir.<br />

AMÉLIE : Jeronimooooooooooo !<br />

<strong>Isadora</strong> essaie d’embrasser Smatch qui la repousse.<br />

SMATCH : Hé là non !<br />

ISADORA : Mais ?<br />

SMATCH : Tu te crois chez les Bisounours ? Moi je suis un guerrier : quand je veux une<br />

femme, je la paie ou je la viole.<br />

ISADORA : Mais moi je suis une elfe immortelle et je te ferai don de…<br />

SMATCH : T’as rien compris ! C’est un jeu virtuel, mais réaliste. Ici les elfes ça existe pas.<br />

ISADORA : Laisse-moi te prouver le contraire…<br />

SMATCH : Contente-toi de ça, mignonne.<br />

Il lui pince les fesses.<br />

ISADORA : Oh !<br />

11


Elle le gifle.<br />

SMATCH : Joli coup ! Je t’ai dit que tu me plaisais, mais on n’ira pas plus loin !<br />

Noir. Eric devant son PC.<br />

ÉRIC : <strong>Le</strong>s Empires Renaissants ? Voyons voir. « Bienvenue dans les Empires Renaissants,<br />

Mmorpg gratuit ! Incarnez un personnage dans l’Europe du Moyen Age finissant, et devenez<br />

artisan, duc, soldat ou encore général, votre destin est entre vos mains. Rencontrez les 30’000<br />

autres joueurs actifs, dans un monde virtuel régi par des lois économiques réalistes.<br />

Commercez, trayez vos vaches, semez votre champ, choisissez un métier, faites de la<br />

politique ou vivez en marge de la légalité. Promenez-<strong>vous</strong> au bord du lac ou dans les vergers<br />

en bonne compagnie, finissez le soir en taverne. Faites-<strong>vous</strong> de nouveaux amis par les forums<br />

et les chats. » Très bien on verra ça. Quel pseudo je choisis ? Celui que j’avais joué dans la<br />

pièce médiévale peut-être… Jocelyn, oui c’est ça, Jocelyn du Béton. Mot de passe ? Facile…<br />

Mon mail… Sexe ? Masculin. Age ? 31 ans. Et ça commence. Jocelyn apparaît au milieu de<br />

la scène, en tenue médiévale, au milieu d’autres personnages, dont Smatch et Olibrius. La<br />

lumière décline progressivement du côté d’Eric tandis que la partie centrale s’éclaire, sur<br />

Jocelyn et Smatch. Comment je vais le jouer ? Je sais pas, on va voir. Mais… sympa. Oui, un<br />

brave type. Je peux me le permettre, ce n’est qu’un jeu.<br />

JOCELYN semblant se réveiller : Où… où suis-je ?<br />

SMATCH : A la taverne d’Azincourt !<br />

ÉRIC : Il faudra que je demande à Bastien dans quel village il se trouve.<br />

JOCELYN : Laissez-moi <strong>vous</strong> offrir un verre pour mon arrivée. Je m’appelle Jocelyn.<br />

SMATCH levant son verre : T’as tout compris, toi ! Bienvenue Jocelyn !<br />

Noir. Amélie écrit seule. Arrive Rachel.<br />

RACHEL : Mais c’est qu’elle est toute pensive, Amélie.<br />

AMÉLIE : De quoi je me mêle d’abord ?<br />

RACHEL : Elle a quelque chose à nous cacher, c’est sûr.<br />

AMÉLIE : Dégage, poupée Barbie.<br />

RACHEL : Mais je crois savoir à qui tu penses.<br />

AMÉLIE : Dégage ou je te fais avaler ton fond de teint.<br />

RACHEL : Tu dis ça parce que ta mère ne t’en achète pas ?<br />

AMÉLIE : Et le mascara avec.<br />

RACHEL : Pourtant, ça plaît aux garçons, le maquillage.<br />

AMÉLIE : Bon c’est moi qui me barre.<br />

Elle se lève.<br />

RACHEL : Parce que tu crois que c’est comme ça que tu vas débaucher le beau Francis ?<br />

AMÉLIE piquée au vif : Quoi ? Je, c’est même pas vrai d’abord.<br />

RACHEL : Faut croire que si, c’est lui qui me l’a dit.<br />

AMÉLIE : Menteuse ! Il le sait même pas. A part. Oups.<br />

RACHEL : Non pas de risque que tu le lui dises. C’est Marie qui lui a dit.<br />

AMÉLIE : Quoi ? Mais non ! Elle a jamais pu faire ça !<br />

RACHEL : Tu ferais mieux d’en discuter avec elle !<br />

AMÉLIE explosant : Mais qu’est-ce que ça peut te foutre, connasse, tu ne le connais même<br />

pas, Francis !<br />

RACHEL : Je le connais et il ne trouve pas que je suis une connasse.<br />

AMÉLIE : Mon cul ! Il ne fréquentera jamais une pétasse comme toi !<br />

RACHEL : C’est fait. On sort ensemble depuis hier !<br />

AMÉLIE hurlant : Menteuse !<br />

Rachel sort en ricanant. Noir. Eric au téléphone.<br />

12


ERIC : Allo ? Oui donc c’est <strong>vous</strong> la petite annonce « jeune fille 26 ans, universitaire, cherche<br />

relation durable » ? Comment ? C’est une agence ? Vous voulez que je passe à votre bureau ?<br />

Très bien, proposez-moi une date.<br />

Noir. La partie centrale s’allume. <strong>Isadora</strong>, Smatch, Olibrius, Charles et d’autres Azincourtois<br />

assistent à un tournoi. Amélie est dans l’ombre devant son PC.<br />

CHARLES : Messires Azincourtois, c’est moi, Charles, bourgmestre, qui ouvre les joutes !<br />

Que le meilleur gagne !<br />

SMATCH : Quel cabotin ce Selee, il enflamme toute la foule !<br />

OLIBRIUS : Normal, il a le plus de points de charisme.<br />

CHARLES : C’est parti ! Battez-<strong>vous</strong> avec fougue et faites honneur aux dames !<br />

SMATCH : C’est dingue ! Creeks assomme tout le monde !<br />

OLIBRIUS : Vu son score en force.<br />

SMATCH : Et Mungaud, il a de la tactique !<br />

OLIBRIUS : 120 en intelligence parce qu’il mange du poisson.<br />

SMATCH : Je devrais les recruter pour mon armée.<br />

OLIBRIUS : N’oubliez pas les points d’Etat.<br />

Entre <strong>Isadora</strong>.<br />

SMATCH : Hey ! Voilà notre petite nympho !<br />

<strong>Isadora</strong> lui tire la langue.<br />

CHARLES : Mais qui voilà ?<br />

ISADORA : Je m’appelle <strong>Isadora</strong>.<br />

CHARLES : Enchanté de faire ta connaissance, petite, viens donc t’asseoir à côté du<br />

bourgmestre.<br />

ISADORA : Je ne sais pas si j’ose…<br />

CHARLES la prenant par la taille et l’installant à ses côtés : Elle aime se faire prier, parole,<br />

la petite.<br />

ISADORA : Je ne suis pas une petite.<br />

CHARLES : Et elle a du caractère.<br />

ISADORA : Oui, Smatch s’en est aperçu.<br />

SMATCH : Ouais, elle manie bien la chope ! Mais je sais comment la contrer !<br />

CHARLES : Moi je ne chercherai pas à la contrer.<br />

ISADORA : Vraiment ?<br />

CHARLES : Mais plutôt à la rassurer. Sois sans crainte, Isa, je ne te mangerai pas.<br />

ISADORA : T’aurais bien du plaisir, je suis vénéneuse jusqu’aux cheveux.<br />

CHARLES : Tes jolis cheveux noirs ?<br />

AMÉLIE : Ah… être une brune…<br />

ISADORA : Mes cheveux couleur de nuit.<br />

SMATCH : Elle prétend que c’est une elfe, nous voilà beaux.<br />

CHARLES : Laisse-la tranquille, Smatch, je m’occupe d’elle. A <strong>Isadora</strong>. Mon nom est<br />

Charles, je suis le bourgmestre, accessoirement le dieu vivant d’Azincourt. Et diacre pour<br />

bientôt. T’as intérêt à me montrer du respect si tu veux pas te faire taper sur les doigts.<br />

ISADORA : Accroche-toi à tes titres ! Je respecte qui je veux d’abord.<br />

CHARLES : C’est que tu me plais, toi !<br />

ISADORA : C’est ce que tout le monde me dit.<br />

Entre Jocelyn.<br />

JOCELYN : Bonjour à tous, chers Azincourtois.<br />

SMATCH : Hey ! Voilà un bon type ! Salut Jocelyn ! Tu viens regarder se castagner nos<br />

concitoyens ?<br />

JOCELYN : Je suis surtout venu faire connaissance.<br />

CHARLES : Enchanté, je suis Charles, bourgmestre d’Azincourt.<br />

13


JOCELYN : Enchanté, Monsieur le bourgmestre.<br />

Du côté d’Amélie, la lumière s’allume. Sa mère entre.<br />

SONIA : Encore devant l’ordinateur ?<br />

AMÉLIE : Oui mais je… j’ai fini.<br />

ISADORA : Excusez-moi je… je dois partir.<br />

Elle disparaît.<br />

SONIA : Qu’est-ce que tu faisais ?<br />

AMÉLIE : Mais rien je t’assure !<br />

SONIA : Tu sais que je t’interdis de chater avec des inconnus.<br />

AMÉLIE : Je ne chatais pas Maman, je te le promets.<br />

CHARLES : Partie comme elle est venue, un vrai petit crapaud des bois.<br />

JOCELYN : Comment s’appelle-t-elle ?<br />

SMATCH : Isa, et c’est une peste.<br />

Noir. Eric dans un bureau d’agence de rencontre, face à la directrice, Ines.<br />

INES : Quel est votre âge ?<br />

ÉRIC : 31 ans.<br />

INES : Profession ?<br />

ÉRIC : Professeur de français, mais présentement en congé sabbatique.<br />

INES : Pourquoi avez-<strong>vous</strong> répondu à notre annonce ?<br />

ÉRIC : Heu… célibat prolongé et peine à rencontrer une partenaire.<br />

INES : Je vois.<br />

ÉRIC : Pourtant je ne suis pas un looser et on me trouve généralement sympathique.<br />

INES : Je vois.<br />

ÉRIC : Et je ne suis pas spécialement moche.<br />

INES : En effet.<br />

ÉRIC : Alors je…<br />

INES : Je vois. Vous avez sonné à la bonne porte. Rien ne s’oppose à ce que je livre vos<br />

coordonnées et votre photo à la personne concernée.<br />

ÉRIC : Et puis j’ai attrapé la malaria en Thaïlande…<br />

INES : Vous aurez l’occasion d’en reparler. Elle <strong>vous</strong> contactera. Au revoir Monsieur.<br />

Noir. Amélie et Marie.<br />

MARIE : Ecoute Amélie je…<br />

AMÉLIE : Faux jeton.<br />

MARIE : Franchement je ne pensais pas que…<br />

AMÉLIE : Traîtresse.<br />

MARIE : Ça ne m’a pas paru malsain de lui dire que…<br />

AMÉLIE : Je ne te connais plus.<br />

MARIE : Et puis je n’y peux rien s’il t’a préféré Rachel.<br />

AMÉLIE : Cause-moi plus.<br />

MARIE : Oh et puis merde à la fin, reste dans ton coin. De toute façon je peux bien te le dire,<br />

tu t’habilles comme un sac et personne ne t’aime.<br />

AMÉLIE : Je sais.<br />

Noir. Retour sur la partie centrale où se trouve Jocelyn. Eric et Amélie sont devant leurs PC<br />

respectifs. Entre <strong>Isadora</strong>.<br />

JOCELYN : Bonjour Isa.<br />

ISADORA : Vous connaissez mon nom, Jocelyn ?<br />

JOCELYN : Tout comme <strong>vous</strong> connaissez le mien.<br />

ISADORA : Vous <strong>vous</strong> êtes présenté au tournoi.<br />

JOCELYN : Et les autres me l’ont dit.<br />

ISADORA : Sommes-nous seuls ?<br />

14


JOCELYN : Apparemment.<br />

ISADORA : Que pouvons-nous faire à deux ?<br />

JOCELYN : Je ne sais pas moi. Nous promener sur les berges du lac par exemple ?<br />

ISADORA : Allons-y.<br />

Elle lui donne son bras et ils marchent.<br />

JOCELYN : Entendez-<strong>vous</strong> le bruissement du ressac et le murmure du vent dans les<br />

branches ?<br />

ISADORA : Je les ressens mieux que personne. Je suis une fille des bois.<br />

JOCELYN : Une fille des bois ? Parlez-moi de <strong>vous</strong>, Isa.<br />

ISADORA : Que voulez-<strong>vous</strong> savoir à mon sujet ?<br />

JOCELYN : Tout ce que <strong>vous</strong> voudrez bien me raconter.<br />

ISADORA : Je suis une enfant recueillie et l’aînée de six frères et sœurs. Quand j’étais toute<br />

petite, ma mère est décédée dans un accident de charrette.<br />

AMÉLIE : Fantasme personnel.<br />

ISADORA : Et mon père a sombré dans l’alcoolisme. J’ai dû travailler très tôt et très dur pour<br />

entretenir tout mon petit monde. J’ai servi en taverne où les soudards me bousculaient, j’ai<br />

cousu des vêtements pour des tisserands qui s’émerveillaient de mes doigts de fée, j’ai labouré<br />

sous le soleil des champs qui ne m’appartenaient pas.<br />

JOCELYN : Je m’en souviens en effet. C’était pitié. Vous <strong>vous</strong> démeniez au marché, avec un<br />

panier deux fois plus haut que <strong>vous</strong>, et déjà toute jeune, avec la ribambelle de vos frères et<br />

sœurs qui s’accrochaient à vos jupes.<br />

ISADORA : Oui je m’en souviens. Quand les galopins du village me faisaient des crocs-enjambe<br />

pour me faire renverser mon panier, <strong>vous</strong> accouriez pour me défendre et m’aider à tout<br />

ramasser.<br />

JOCELYN : Nous nous connaissons depuis toujours. <strong>Isadora</strong> se met à sangloter. Jocelyn la<br />

prend dans ses bras et la console. Allons <strong>Isadora</strong>, c’est du passé tout cela. Là, séchez vos<br />

larmes, il ne <strong>vous</strong> arrivera plus rien.<br />

ISADORA : Et puis mes frères et sœurs sont partis ou ont été recueillis, mon père s’est<br />

remarié et me voilà enfin toute seule et libre comme l’air. Vous-même Jocelyn, êtes-<strong>vous</strong><br />

marié ?<br />

JOCELYN : Non pas que je sache.<br />

Amélie entend du bruit.<br />

AMÉLIE : Merde.<br />

ISADORA : Bien Jocelyn, il est temps que je rentre.<br />

JOCELYN : Déjà, Isa ?<br />

ISADORA : Oui ma mère, heu, le travail m’appelle.<br />

JOCELYN : A bientôt.<br />

ISADORA : C’est ça, à bientôt.<br />

AMÉLIE éteignant le PC : Fucking mother.<br />

Entre Sonia.<br />

SONIA : Amélie ?<br />

AMÉLIE : Oui Maman, j’ai préparé mes affaires d’équitation.<br />

SONIA : Tu anticipes bien, ma fille !<br />

AMÉLIE : Je commence à prendre l’habitude.<br />

Noir. Eric devant Julie.<br />

JULIE : Tu es enseignant ?<br />

ÉRIC : Exactement.<br />

JULIE : C’est un beau métier ça, non ?<br />

ÉRIC : Il ne faut pas l’idéaliser, mais je ne me plains pas.<br />

JULIE : Pas trop dur avec les élèves ?<br />

15


ÉRIC : Disons que j’ai appris davantage à gérer les relations humaines.<br />

JULIE : C’est bien.<br />

ÉRIC : Et toi qu’est-ce que tu fais ?<br />

JULIE : Je termine un doctorat de chimie.<br />

ÉRIC : Ah c’est… c’est pas facile.<br />

JULIE : Non ça va. Un temps. Elle est sympa, la dame de l’agence, non ?<br />

ÉRIC : Oui très.<br />

JULIE : Elle est très compétente et professionnelle. Moi elle m’a mise en confiance tout de<br />

suite. C’est une très bonne agence de rencontre. Je te la conseille.<br />

Un temps.<br />

ÉRIC : Et donc tu habites Cully ?<br />

JULIE : En effet.<br />

ÉRIC : Il y a un festival de jazz là, non ?<br />

JULIE : Oui mais ça ne m’intéresse pas spécialement.<br />

ÉRIC : Moi non plus.<br />

Un temps.<br />

JULIE : Tu as des frères et sœurs ?<br />

ÉRIC : Deux grandes sœurs.<br />

JULIE : <strong>Le</strong> petit dernier alors.<br />

ÉRIC : Tout le monde me le dit.<br />

JULIE : Tu t’entends bien avec ?<br />

ÉRIC : Avec la cadette surtout. Elle dirige une école de théâtre et je lui écris des pièces.<br />

JULIE : Ah c’est bien.<br />

ÉRIC : Oui c’est bien.<br />

JULIE : Bien je vais devoir y aller.<br />

ÉRIC : On se voit quand ?<br />

JULIE : Je te rappelle.<br />

Noir. Amélie est juchée sur une hauteur en tenue équestre. Thierry l’appelle depuis le sol.<br />

THIERRY : Allez quoi Amélie, arrête de faire la conne.<br />

AMÉLIE : Nan je vais sauter.<br />

THIERRY : Fais pas de bêtise ! Tu vas te blesser !<br />

AMÉLIE : Tant mieux et que j’en crève !<br />

THIERRY : Tu ne vas pas me faire ça ! De quoi j’aurai l’air devant ta maman ?<br />

AMÉLIE : M’en fiche elle m’aime pas !<br />

THIERRY : Tout le monde t’aime ici, Amélie !<br />

AMÉLIE : Nan ! Je m’habille comme un sac et j’ai pas d’amis !<br />

THIERRY : Qui ose te faire croire des choses pareilles ?<br />

AMÉLIE : Marie qui m’a trahie et Rachel qui sort avec Francis.<br />

THIERRY : Laisse-les où ils sont ! Ils n’en valent pas la peine !<br />

AMÉLIE : Nan ! Je vais me suicider parce que personne ne m’aime et ce sera bien fait.<br />

THIERRY : Mais moi je t’aime Amélie !<br />

AMÉLIE : C’est bien vrai ?<br />

THIERRY : Mais oui je te dis ! Si tu te suicides je me suicide droit après !<br />

AMÉLIE : Je veux pas te faire ça alors. Je descends.<br />

Elle descend.<br />

THIERRY : Tu m’as presque fait peur, Amélie !<br />

Noir. Amélie et Eric à leurs claviers PC. La lumière éclaire le centre et Jocelyn, visiblement<br />

chez lui. <strong>Isadora</strong> frappe à sa porte. Jocelyn lui ouvre.<br />

ISADORA : Bonjour <strong>vous</strong> !<br />

JOCELYN : Heu… bonjour.<br />

16


ISADORA : C’est ici que <strong>vous</strong> habitez ?<br />

JOCELYN : Oui je viens de m’installer.<br />

ISADORA : C’est tout mignon. Je peux entrer ?<br />

JOCELYN : Heu c’est-à-dire…<br />

<strong>Le</strong>s personnages restent figés. La lumière centrale décline tandis que s’éclairent les<br />

extrémités.<br />

ÉRIC pour lui : 14 ans.<br />

AMÉLIE même jeu : 31 ans.<br />

ÉRIC : Heu bon je crois qu’il faut mettre les choses au clair. Je m’appelle Eric, j’ai 31 ans, je<br />

suis célibataire et je suis prof de français dans une école de commerce. Je me suis inscrit à ce<br />

jeu pour me changer les idées, pas pour piéger des ados. Je crois bon de te le préciser, au vu<br />

de toutes les histoires glauques qui circulent.<br />

AMÉLIE : T’inquiète pas, j’avais compris ! Moi c’est Amélie, j’ai 14 ans et je suis une<br />

lycéenne sérieuse. Je fais de la guitare, de l’équitation, j’aime le ciné, les sorties et la lecture.<br />

Je suis aussi célibataire et va falloir que je tape un certain Francis.<br />

ÉRIC : On peut continuer alors. D’ailleurs on habite à un millier de kilomètres l’un de l’autre.<br />

AMÉLIE : Oui oui c’est bon. J’avais bien deviné que tu n’étais ni pervers, ni malsain.<br />

La lumière revient au centre.<br />

JOCELYN : Entrez donc,<br />

ISADORA : Merci. Elle rentre. Je <strong>vous</strong> ai préparé un gâteau.<br />

JOCELYN : C’est bien aimable. Laissez-moi <strong>vous</strong> servir de l’hydromel.<br />

ISADORA : Un verre d’eau suffira. L’alcool me renvoie à un passé douloureux.<br />

JOCELYN : Excusez-moi, et j’en prends bonne note. Je ne voulais pas <strong>vous</strong> rappeler de<br />

mauvais souvenirs, ni <strong>vous</strong> faire verser des larmes. Mettez-<strong>vous</strong> donc à l’aise.<br />

ISADORA : C’est tout douillet chez <strong>vous</strong>.<br />

Jocelyn découpe et partage le gâteau.<br />

JOCELYN : Je fais en sorte d’entretenir une demeure avenante.<br />

ISADORA : Vous êtes un homme à marier !<br />

JOCELYN : Excellent, votre gâteau. Vous pouvez <strong>vous</strong> targuer d’être <strong>vous</strong>-même une<br />

fameuse pâtissière. Vous assurerez le bonheur de votre futur mari.<br />

AMÉLIE : Dire que je sais tout juste cuire des pâtes.<br />

ISADORA : Pour l’instant, personne n’a voulu partager mon destin,<br />

JOCELYN : C’est bien curieux.<br />

ISADORA : On me trouve si… étrange.<br />

JOCELYN : Un brin de mystère peut intriguer pourtant.<br />

ISADORA : Dans mon cas c’est plus une poutre qu’un brin.<br />

<strong>Le</strong> téléphone sonne à côté d’Eric. Il le décroche.<br />

ÉRIC : Allo ? Julie ? Oui oui, un instant.<br />

JOCELYN se dépêchant de terminer le gâteau : Bien, je ne voudrais pas <strong>vous</strong> mettre à la<br />

porte, mais j’ai à faire.<br />

ISADORA : Je m’en voudrais de m’incruster.<br />

JOCELYN : Ce fut un plaisir que de <strong>vous</strong> accueillir, et nous aurons certainement l’occasion<br />

de prolonger notre conversation.<br />

Il pousse doucement <strong>Isadora</strong> vers la porte avant que la lumière ne s’éteigne au centre et ne<br />

revienne sur Eric. Julie, à côté d’Ines, lui parle par téléphone.<br />

ÉRIC : Oui Julie, je suis tout à toi.<br />

JULIE : Bonjour Eric. J’espère que tu vas bien. Je voulais te dire, c’était sympa de t’avoir<br />

rencontré mais tu ne me plais pas physiquement.<br />

ÉRIC : Dommage, toi tu me plaisais beaucoup.<br />

INES à Julie : Relancez-le.<br />

17


JULIE : En fait pour trouver un partenaire, je te suggère de t’inscrire à l’agence.<br />

ÉRIC : Ah ? Oui ben bon je verrai ça.<br />

INES à Julie : Faites mousser.<br />

JULIE : Rachel te fera un prix, c’est une très bonne agence.<br />

ÉRIC : Oui oui je l’appellerai. Et donc qu’est-ce qui ne te plaît pas physiquement chez moi ?<br />

JULIE : Je ne sais pas c’est inquantifiable.<br />

INES à Julie : Abrégez.<br />

ÉRIC : Nous pourrions aussi rester bons amis.<br />

JULIE : Non merci je n’y tiens pas. Bonne continuation.<br />

Elle raccroche.<br />

INES : J’espère que <strong>vous</strong> avez été convaincante. Votre prime est à mériter.<br />

JULIE : Rassurez-<strong>vous</strong>, je suis une bonne rabatteuse. Elle soupire. Vivement que j’aie<br />

terminé mes études.<br />

Noir. Amélie est assise seule à la porte de son lycée. Apparaît Tiago.<br />

TIAGO : Salut.<br />

AMÉLIE : Salut.<br />

TIAGO : On sort ensemble ?<br />

AMÉLIE : Ouais.<br />

Ils s’embrassent. Noir et retour au centre. Jocelyn frappe à la porte d’<strong>Isadora</strong>.<br />

ISADORA : Tiens ? Bonjour.<br />

JOCELYN : Bonjour Isa. Vous allez bien ?<br />

ISADORA : Fort bien et <strong>vous</strong> ?<br />

JOCELYN : Bien merci. Je voulais m’excuser pour cet entretien fortuitement abrégé.<br />

ISADORA : Je <strong>vous</strong> en prie, il n’y avait pas de mal.<br />

JOCELYN : Je <strong>vous</strong> ai… euh… je <strong>vous</strong> ai apporté du lait et des pommes, et je <strong>vous</strong> suggère<br />

de prendre un petit goûter chez <strong>vous</strong>, après quoi nous retournerons au bord du lac.<br />

ISADORA : Bien volontiers. Entrez donc.<br />

Jocelyn entre.<br />

JOCELYN : Hé bien je peux <strong>vous</strong> renvoyer le compliment. Elle est très bien tenue, votre<br />

maison.<br />

ISADORA : Vous me faites rougir. Mais <strong>vous</strong> savez, j’ai eu des responsabilités depuis si<br />

jeune.<br />

Du côté d’Amélie, la porte s’ouvre brusquement. Entre Sonia.<br />

AMÉLIE : Fuck.<br />

SONIA : Amélie ! Tu vas me faire plaisir de passer l’aspirateur dans ta chambre, et illico.<br />

AMÉLIE : Trente secondes Maman, je…<br />

SONIA : Illico, sinon pas d’argent de poche cette semaine. Je ne suis pas ta bonniche.<br />

AMÉLIE : Oui chef.<br />

ISADORA : Je dois… je dois partir… faites comme chez <strong>vous</strong> je…<br />

JOCELYN : Mais enfin Isa ?<br />

Elle sort précipitamment. Jocelyn reste seul. Téléphone du côté d’Eric. C’est Ines.<br />

INES : Bonjour Eric, c’est Ines de l’agence de rencontre.<br />

ÉRIC : Ah ? Bonjour.<br />

INES : Alors, elle <strong>vous</strong> a plu la petite Julie ?<br />

ÉRIC : Oui mais ce n’était pas réciproque.<br />

INES : Vous ne devriez pas rester sur un échec et transformer un autre essai.<br />

ÉRIC : Vous en avez d’autres à me proposer ?<br />

INES : Beaucoup qui correspondent à votre profil et qui n’attendent que de <strong>vous</strong> rencontrer.<br />

ÉRIC : Donnez-leur mes coordonnées.<br />

18


INES : Heu, minute, tout travail mérite salaire et pour être présenté à d’autres personnes, il<br />

<strong>vous</strong> faut <strong>vous</strong> inscrire à l’agence.<br />

ÉRIC : Combien coûte l’inscription ?<br />

INES : Six mille francs mais je <strong>vous</strong> la fais à cinq mille.<br />

ÉRIC : Trop cher pour moi. Mais rien ne <strong>vous</strong> empêche de me présenter des filles qui ont<br />

payé pour s’inscrire.<br />

INES outrée : Mais enfin Monsieur, <strong>vous</strong> avez un salaire comme tout le monde.<br />

ÉRIC : Pas cette année, je suis en congé sabbatique. Au revoir Madame.<br />

Il raccroche.<br />

INES : Raté.<br />

ÉRIC : L’arnaque.<br />

Noir. Lumière au centre. Charles et Smatch se promènent.<br />

SMATCH : Alors, ce mandat, Monsieur le bourgmestre ?<br />

CHARLES : En bonne marche. L’économie est saine et beaucoup de nouveaux s’investissent<br />

dans les activités. Azincourt est un village vivant. Et pour votre armée ?<br />

SMATCH : Elle est sur pied et a rendu allégeance au comte d’Artois. Nous n’attendons plus<br />

qu’un prétexte pour envahir la Champagne.<br />

Ils voient passer <strong>Isadora</strong> et Jocelyn, qui bavardent de tout et de rien sans leur prêter<br />

attention.<br />

ISADORA : Je suis vraiment navrée. Ce fut mon tour de me montrer discourtoise. Comme je<br />

<strong>vous</strong> l’ai dit, je traîne un lourd passé et mes réactions sont parfois imprévisibles.<br />

JOCELYN : Je <strong>vous</strong> en prie <strong>Isadora</strong>. Votre seule présence à mes côtés en ce jour suffit à ce<br />

que je <strong>vous</strong> pardonne de tout.<br />

ISADORA : Si je revenais chez <strong>vous</strong> tantôt pour poursuivre ce que nous avons commencé ?<br />

JOCELYN : Bien volontiers, chère Isa, je <strong>vous</strong> avoue éprouver beaucoup d’allégresse à <strong>vous</strong><br />

fréquenter.<br />

Ils s’éloignent.<br />

CHARLES : Ils ne nous ont même pas vus !<br />

SMATCH : Ah oui, elle est complètement pacifiée, le petit démon.<br />

CHARLES : Ça sent un nouveau couple. C’est tout bon pour l’ambiance.<br />

SMATCH : Mais moi ça me fait un guerrier de moins.<br />

Noir. Amélie est assise à l’école à côté de Marie. Voix off du prof.<br />

MARIE : C’est vrai que tu sors avec Tiago ?<br />

AMÉLIE : Oui c’est lui qui m’a demandé.<br />

MARIE : Mais j’étais amoureuse de lui !<br />

AMÉLIE : Je savais pas.<br />

MARIE : Je te déteste.<br />

AMÉLIE : Déjà dit.<br />

Noir. Éric discute avec sa sœur, Sylvie.<br />

SYLVIE : Et les amours ?<br />

ÉRIC : Rien.<br />

SYLVIE : Mon pauvre.<br />

ÉRIC : Bof ça va. Et toi ?<br />

SYLVIE : Boulot boulot. J’ai dû accompagner une élève à Genève pour le tournage d’une<br />

pub.<br />

ÉRIC : Une pub pour quoi ?<br />

SYLVIE : Pour protéger les mineurs des dangers d’Internet.<br />

ÉRIC : Ah oui il faut faire attention avec les pervers sur Internet.<br />

SYLVIE : Sinon je compte sur toi pour la prochaine pièce de la classe d’ados.<br />

ÉRIC : Aucun souci. Je connais assez bien les ados.<br />

19


SYLVIE : Par ton boulot.<br />

ÉRIC : Oui par mon boulot.<br />

Noir. Jocelyn en taverne. Entrée de Charles.<br />

CHARLES : Salut Joce !<br />

JOCELYN : Mes hommages, Monsieur le bourgmestre.<br />

CHARLES : Rhooo, appelle-moi Charles !<br />

JOCELYN : Je sais que je peux, mais je sais aussi que ça te flatte, les attributs.<br />

CHARLES : Pas faux. Elle te plaît la petite <strong>Isadora</strong> ?<br />

JOCELYN : Qu’est-ce qui te fait dire ça ?<br />

CHARLES : Ça saute aux yeux de tous. Enfin, pas aux tamagos mais ils n’ont d’yeux que<br />

pour leur score, eux.<br />

JOCELYN : Je ne me sens pas très à l’aise.<br />

CHARLES : Laisse-toi aller, <strong>vous</strong> feriez un joli couple. Elle a du cran, du caractère alors que<br />

toi tu me parais plus pondéré. C’est ce qu’il lui faut.<br />

JOCELYN : Oui mais… il y a un problème de…<br />

CHARLES : Il n’y a pas de problème mais que des solutions. Je vais lui en parler.<br />

JOCELYN : Non, attends, ne…<br />

Charles disparaît. Noir. Lumière sur Amélie et Tiago.<br />

TIAGO : Salut.<br />

AMÉLIE : Salut.<br />

TIAGO : On sort plus ensemble d’accord ?<br />

AMÉLIE : D’accord.<br />

TIAGO : Adieu.<br />

AMÉLIE : Adieu.<br />

Ils se quittent. Noir et retour sur Eric, en discussion avec Pascal.<br />

PASCAL : Tu reprends quand le boulot ?<br />

ÉRIC : A la prochaine rentrée.<br />

PASCAL : Moi tu sais que je viens d’être admis au barreau. Si t’as le moindre problème,<br />

juridiquement parlant…<br />

ÉRIC : Entendu je te contacte.<br />

PASCAL : Tripote pas une élève, c’est tout ce que je te demande. J’aurais de la peine à te<br />

défendre.<br />

ÉRIC : Au fait, j’aurais une question par rapport à la cyberlégislation…<br />

PASCAL : Vas-y.<br />

ÉRIC : Est-ce qu’il est pénalement répréhensible, quand on a la trentaine, d’entretenir sur un<br />

jeu Internet une relation amoureuse fictive avec une mineure ?<br />

PASCAL : Non pas du tout, puisque <strong>vous</strong> jouez des personnages. Il faut juste qu’il n’y ait<br />

aucun débordement dans la vie réelle.<br />

ÉRIC : D’accord.<br />

PASCAL : Mais pourquoi cette question ?<br />

ÉRIC : Oh pour rien. Pour savoir.<br />

PASCAL : Tu me caches quelque chose, toi.<br />

ÉRIC : Rien qu’un petit jeu.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn mangent des tartines au miel.<br />

ISADORA : Et <strong>vous</strong>-même, comment voyez-<strong>vous</strong> votre avenir ?<br />

JOCELYN : J’hésite sur la profession à choisir. Forgeron ou charpentier.<br />

ISADORA : Charpentier, ça <strong>vous</strong> ira bien.<br />

JOCELYN : Et <strong>vous</strong>-même ?<br />

ISADORA : Oh comme je ne peux pas me connecter tous les jours…<br />

AMÉLIE : Hum.<br />

20


ISADORA : Oh comme je ne peux pas être présente tous les jours, je ne suis pas prête<br />

d’obtenir un métier. Je me contente de cultiver et de vendre mon maïs.<br />

ÉRIC : En 1450 ?<br />

JOCELYN : Nous organiserons un jour un festival de pop-corn alors.<br />

ÉRIC : Il est historiquement pas rigoureux, le jeu.<br />

ISADORA : J’en serai fort aise. Mais dites-moi, Jocelyn, la solitude ne vient-elle pas à <strong>vous</strong><br />

peser parfois ?<br />

AMÉLIE : J’attaque ! Et pas de faux-pas cette fois !<br />

JOCELYN : A vrai dire pas vraiment. <strong>Le</strong> célibat me laisse l’opportunité de penser à moi et de<br />

réfléchir à mon avenir.<br />

Un bruit de voiture du côté d’Amélie.<br />

AMÉLIE : Ah non, pas maintenant ! Tant pis, j’en ai trop marre !<br />

ISADORA s’agitant brusquement : Voyez Jocelyn, ce petit chat, je l’ai sauvé ce matin de la<br />

noyade quand j’étais au lavoir. Je compte l’adopter et… mon Dieu il a peur, il s’échappe, il a<br />

renversé le pot de miel ! Sur vos habits ! Vous êtes tout maculé ! Laissez-moi <strong>vous</strong> nettoyer,<br />

je, je suis désolée, je <strong>vous</strong> rembourserai ce miel, oh <strong>vous</strong> en avez partout, laissez-moi <strong>vous</strong><br />

l’enlever prestement, avec la langue s’il le faut. Ce disant, elle se rapproche insensiblement<br />

de Jocelyn et l’embrasse. Je t’aime. Ciao.<br />

Elle s’éclipse. Amélie éteint son PC et s’en va. Jocelyn reste seul, pensif, dans la même<br />

attitude qu’Eric. Noir et lumière au centre. Charles prend un verre, rejoint par <strong>Isadora</strong>.<br />

CHARLES : Voilà notre espiègle petite Isa.<br />

ISADORA : Je ne suis pas petite.<br />

CHARLES : Voilà notre espiègle grande Isa.<br />

ISADORA : J’aime mieux ça.<br />

CHARLES : Puisque tu es grande il va falloir te trouver un amoureux.<br />

ISADORA : Tu te proposes ?<br />

CHARLES : Hélas non, je consacre ma vie à Aristote.<br />

ISADORA : Tant pis pour lui.<br />

CHARLES : Par contre, je crois deviner qu’un garçon s’intéresse bien à toi.<br />

ISADORA : Première nouvelle.<br />

CHARLES : Veux-tu savoir qui ?<br />

ISADORA : Laisse-moi deviner.<br />

CHARLES : Un garçon simple et amical, exactement ce qu’il te faut.<br />

ISADORA : Pourquoi ? Parce que je suis compliquée et inamicale, c’est ça ?<br />

CHARLES : Oh la la ma petite elfe…<br />

ISADORA : Ta grande elfe.<br />

CHARLES : Oui pardon. Oh la la ma grande elfe, tout de suite les grands mots.<br />

ISADORA : Si c’est vraiment le garçon qu’il me faut, il n’a qu’à se déclarer tout seul.<br />

CHARLES : Je ne pense pas qu’il le fera si tu ne le pousses pas un peu. C’est un grand<br />

timide.<br />

ISADORA : Tu commences à m’intriguer. C’est qui ?<br />

CHARLES : C’est Jocelyn. Il paraît vraiment nourrir un sentiment à ton égard.<br />

ISADORA : Tu parles Charles.<br />

CHARLES : Si si je t’assure, tu devrais lui parler.<br />

ISADORA marquant une pause : Tu sais quoi ?<br />

CHARLES : Non ?<br />

ISADORA lui balançant sa chope à la figure : Je lui en ai déjà parlé et on est ensemble<br />

depuis la semaine dernière, hé pignouf !<br />

CHARLES bondissant vers elle : Tu ne perds rien pour attendre toi.<br />

ISADORA s’esquivant : En attendant j’attends ! Tu me fais pas peur nananère.<br />

21


Ils se chamaillent amicalement pendant que la lumière décline. Lumière sur Amélie et Marie.<br />

MARIE : C’est vrai que tu sors plus avec Tiago ?<br />

AMÉLIE : Oui c’est moi qui le lui ai demandé.<br />

MARIE : Mais j’étais plus amoureuse de lui.<br />

AMÉLIE : Je savais.<br />

MARIE : Je t’adore.<br />

AMÉLIE : Moi aussi.<br />

Rideau<br />

22


Acte 2 (2007-2009)<br />

<strong>Le</strong> début de l’acte est constitué d’une succession de séquences au centre. Amélie et Eric sont<br />

dans l’ombre devant leurs PC respectifs et n’interviennent que sporadiquement. Quand la<br />

lumière s’allume, <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent passionnément tandis qu’Olibrius parle<br />

dans le vide.<br />

OLIBRIUS : Smatch et son armée ont pris Calais et fait grand massacre de Champenois. La<br />

situation est rétablie sur le front. <strong>Le</strong> bourgmestre Charles invite à produire des barques pour<br />

relancer l’économie d’Azincourt. <strong>Le</strong> comte lui-même traversera la ville la semaine prochaine.<br />

La décoration des maisons rapportera des points d’Etat. Je passe niveau 2 après-demain et<br />

j’achète un deuxième champ de blé car c’est la denrée qui s’écoule le mieux sur le marché. Et<br />

<strong>vous</strong> ? Pas de réponse. On signale des brigands sur la route de Bertincourt. Il est impératif de<br />

se déplacer en groupes et d’emporter des armes. <strong>Le</strong>s programmateurs du jeu vont bientôt<br />

rendre possible les voyages maritimes et nous aurons des contacts avec des Anglais.<br />

Pardonnez-moi je dois partir.<br />

Il s’en va sans que les amoureux semblent s’en apercevoir.<br />

JOCELYN : Tu sais que tu es belle toi ?<br />

ISADORA : Tu sais que tu es adorable ?<br />

JOCELYN : Ils sont à toi ces jolis yeux bleus ?<br />

ISADORA : Ils ne sont pas toujours bleus. Parfois ils sont bruns.<br />

JOCELYN : C’est mignon.<br />

ISADORA : Embrasse-moi encore !<br />

Ils poursuivent l’étreinte, passionnément.<br />

JOCELYN : Et toi, comment tu me trouves ?<br />

ISADORA : Parfait, parfait et encore parfait. Dans tes bras, je me sens transportée sur un petit<br />

nuage rose et j’ai des papillons dans le ventre.<br />

JOCELYN : Que c’est chou ! On dirait que tu as 14 ans !<br />

Amélie et Eric rient simultanément. Noir et retour sur Olibrius, Jocelyn et Charles.<br />

CHARLES : Des bandits se sont emparés de la mairie !<br />

OLIBRIUS : Oui parce qu’ils avaient des points d’Etat.<br />

CHARLES : Soulevons la population ! Marchons contre l’usurpateur pour le déloger du<br />

sanctuaire sacré ! Rassemblons nos forces et dressons le siège ! Des têtes vont tomber !<br />

OLIBRIUS : Il faut ameuter surtout les joueurs du niveau 2 parce qu’ils ont plus de score en<br />

force et en intelligence.<br />

JOCELYN : Ciel ! Isa !<br />

CHARLES : Azincourtois ! A moi ! Montrez votre loyauté envers votre bourgmestre bienaimé.<br />

OLIBRIUS : Oui car si la mairie reste occupée, nous serons lésés dans notre score d’ordre<br />

public et les villages voisins vont nous passer devant. C’est dans les règles.<br />

Olibrius et Charles sortent en poussant des cris de guerre. Jocelyn tambourine à la porte<br />

d’Isa.<br />

JOCELYN : Isa ! Tu es là ? Ouvre-moi ! Ouvre-moi je t’en supplie !<br />

ISADORA : Oui oui je suis là. Pas la peine de faire un boucan pareil !<br />

JOCELYN : Isa, c’est la guérilla urbaine ! J’ai eu peur que tu ne sois prise dedans ! Je ne veux<br />

pas qu’il t’arrive quelque chose ! Ne sors pas de chez toi et n’ouvre à personne.<br />

ISADORA : Je dois rester chez moi sans personne pour me protéger ?<br />

JOCELYN : Mais… moi je te protégerai.<br />

ISADORA : Je n’en ai pas besoin, je suis immortelle et je tire à l’arc.<br />

JOCELYN fait mine de partir : Ah dans ce cas…<br />

ISADORA : Je plaisantais idiot ! Reste !<br />

23


Il rentre, les deux amoureux s’embrassent, se câlinent, tandis que le tumulte se déchaîne au<br />

dehors.<br />

JOCELYN : Et si le boucan se prolonge ?<br />

ISADORA : Il peut bien durer toute notre vie, ça t’obligera à rester près de moi.<br />

JOCELYN : Mais il faudra bien que je rentre chez moi.<br />

ISADORA : Reste dormir ici je t’en supplie.<br />

JOCELYN : Bon mais… n’en profite pas pour me jeter un sort, mon immortelle !<br />

ISADORA : Pas de souci.<br />

Jocelyn l’installe sur ses genoux et les deux amoureux s’endorment, dans les bras l’un de<br />

l’autre. Noir. Retour sur Olibrius et Charles.<br />

CHARLES : <strong>Le</strong>s usurpateurs sont en fuite, le plein droit est restauré ! Vive Azincourt ! Vive<br />

moi !<br />

OLIBRIUS : Statistiquement on avait 64.9% de chance de l’emporter.<br />

Arrive Smatch.<br />

SMATCH : Lumineuse nouvelle, mes amis ! La Champagne est écrasée, à genoux et demande<br />

grâce ! Nous lui imposerons nos conditions de guerre ! Je <strong>vous</strong> invite à trinquer ce soir à notre<br />

victoire. Nous boirons dans le crâne de nos ennemis ! Me voilà nommé conseiller comtal !<br />

Tous trois sortent en poussant des cris de joie. Arrive Jocelyn avec une mandoline. Il chante<br />

un poème d’amour sous le balcon d’Isa, qui bientôt apparaît.<br />

ISADORA : Tu as perdu l’esprit mon bon Jocelyn ! Que vont penser les voisins ? Rentre<br />

donc, tu vas prendre froid !<br />

Jocelyn entre. Ils s’embrassent.<br />

JOCELYN : Tu embrasses à merveille mon amour.<br />

ISADORA : Depuis un mois que nous ne faisons que ça, je commence à prendre l’habitude !<br />

JOCELYN : Je ne me lasse pas de tes lèvres si douces, et d’y goûter à chaque heure du jour<br />

comme une fraîche rosée aurorale.<br />

ISADORA : C’est toi qui vires Bisounours, là !<br />

JOCELYN : Si tu veux je m’en vais.<br />

ISADORA : Non, reste ! Nous avons tout le temps !<br />

AMÉLIE : Yes, mother is away.<br />

JOCELYN : Tout le temps pour nous embrasser ?<br />

ISADORA : Et même pour autre chose...<br />

Elle commence à se déshabiller.<br />

AMÉLIE : Je suis folle.<br />

ÉRIC : Oups !<br />

JOCELYN interrompant le geste d’<strong>Isadora</strong> : Voyons Isa ! Un peu de tenue ! Nous ne sommes<br />

même pas mariés ! Ne savez-<strong>vous</strong> pas que les âmes se souillant par le péché de chair avant le<br />

mariage croupissent dans les feux de l’enfer ?<br />

ISADORA se rhabillant : Pardonnez-moi Jocelyn… je ne voulais pas <strong>vous</strong> brusquer.<br />

JOCELYN : Ne brûlons pas les étapes. Nous avons un long chemin à faire tous les deux.<br />

Ils recommencent à s’embrasser « sagement ». Amélie soupire pendant qu’Eric s’essuie le<br />

front. Noir. Jocelyn dépose un papier devant la maison d’<strong>Isadora</strong>. Il disparaît et elle apparaît<br />

presque simultanément.<br />

ISADORA : « Pour Isa ». C’est bien l’écriture de Jocelyn. Une lettre d’amour ? Non… un<br />

message codé. Il veut mettre ma caboche à l’épreuve… Facile ! Il suffit de décaler chaque<br />

lettre et… « Rendez-<strong>vous</strong> devant la halle ». C’est ce qu’il me dit. Allons, filons. Elle enfile un<br />

manteau et sort de chez elle. Me voilà sous la halle mais il n’est pas là. Un bouquet de fleurs<br />

lui tombe du ciel. Il me guettait d’en haut le coquin. Et là que dit-il avec ce code chiffré ? De<br />

revenir chez moi ? J’accours ! Elle rentre chez elle et y voit un panier d’abricots avec une<br />

24


lettre. Des abricots, comme c’est gentil ! Et là où me fixe-t-il rendez-<strong>vous</strong> ? Facile, il suffit de<br />

lire une ligne sur deux. Devant la mairie ? En route !<br />

Elle se rend devant la mairie. Charles l’y attend.<br />

CHARLES : C’est moi que tu cherches, petit crapaud ?<br />

ISADORA : Non pas exactement, mais ça fait plaisir de te revoir, grand dadais.<br />

CHARLES : Tu espères encore me jeter une bière à la figure ?<br />

ISADORA : Plutôt deux fois qu’une ! La prochaine fois tu auras droit à un shampoing<br />

intégral !<br />

CHARLES : Tu peux rêver petite ! On ne bafoue pas le bourgmestre impunément.<br />

ISADORA : Me mettre au défit c’est de l’inconscience. Attends un peu.<br />

CHARLES : Puisque c’est comme ça que tu prends les choses, je crois que je vais pouvoir en<br />

faire des confettis.<br />

ISADORA : Des confettis de quoi ?<br />

CHARLES : De la lettre que Jocelyn m’a confiée pour toi.<br />

ISADORA : La lettre ? Donne ! Hé donne !<br />

Charles la tient hors de sa portée tandis qu’elle sautille pour la prendre.<br />

CHARLES : Alors mon petit crapaud, on manque de détente tout à coup.<br />

ISADORA : Déconne pas ! Donne-la moi !<br />

CHARLES : A une condition, ma tornade.<br />

ISADORA : Je ne céderai pas au chantage mais dis toujours.<br />

CHARLES : Je veux te considérer comme ma petite sœur de cœur.<br />

ISADORA : Et moi je devrai te subir comme grand frère ?<br />

CHARLES : Absolument.<br />

ISADORA : Plutôt crever ! Puis faisant volte-face. C’est d’accord mon Charlounet, tu es mon<br />

frérot d’amour ! Donne maintenant !<br />

CHARLES : Bien volontiers petite sœur. Il lui donne la lettre qu’elle ouvre. C’est facile tu<br />

verras, il te suffit d’inverser le sens des…<br />

ISADORA : Je sais je suis pas une toquée. Au bord du lac ? C’est là qu’il m’attend ? J’y<br />

cours. A plus frérot !<br />

CHARLES lui tendant un bracelet : Et il y avait ça avec.<br />

Elle lui fait une bise et file vers le lac. Olibrius l’y attend.<br />

OLIBRIUS : Bonjour.<br />

ISADORA : Bonjour euh… <strong>vous</strong> n’avez pas vu Jocelyn ?<br />

OLIBRIUS lui tendant une lettre : Il m’a confié cela pour <strong>vous</strong>, mais ça rapporte pas des<br />

points.<br />

ISADORA : Ah euh… merci.<br />

Elle l’ouvre.<br />

OLIBRIUS : C’est du morse.<br />

ISADORA : Que c’est romantique.<br />

AMÉLIE ouvrant une encyclopédie : Là il est lourd.<br />

ISADORA : D… E… V… Un temps. Devant le lavoir. Est-ce qu’elle va durer longtemps,<br />

cette course d’orientation ? Bon ben au revoir.<br />

OLIBRIUS : Attendez.<br />

ISADORA : Quoi ?<br />

OLIBRIUS lui tendant un collier : Il m’a aussi remis cela pour <strong>vous</strong>, mais ça rapporte<br />

toujours pas des points.<br />

ISADORA souriant et mettant le collier : Merci beaucoup !<br />

Elle file devant le lavoir. Smatch l’y attend.<br />

SMATCH : Ah ben pas trop tôt.<br />

ISADORA : Tu m’attendais ?<br />

25


SMATCH : Sur la demande de Jocelyn. Et c’est bien parce que c’est lui.<br />

ISADORA : Et qu’est-ce que tu as pour moi ?<br />

SMATCH : Un gâteau et un code.<br />

ISADORA : Je m’en doutais, donne-le !<br />

SMATCH : Et un petit « s’il te plaît » t’écorcherait la gueule ?<br />

ISADORA : Donne abruti ! Elle lui arrache le tout. Houlala, je comprends rien au<br />

déchiffrement du code.<br />

SMATCH : Je t’aurais transmis la solution mais là tu exagères.<br />

ISADORA : Donne-la moi illico.<br />

SMATCH : Non espèce de petite fille mal élevée.<br />

ISADORA : Tu la donnes ou je te mords.<br />

SMATCH : C’est ça tu te casseras les dents.<br />

ISADORA : Allez s’il te plaît…<br />

SMATCH : Trop tard.<br />

AMÉLIE : C’est quoi cette foutue solution ?<br />

ÉRIC : La voici sur message privé.<br />

AMÉLIE : Merci.<br />

ISADORA : J’ai le code ! Elle tire la langue à Smatch. Toi je vais te faire ta fête, mais<br />

d’abord j’ai rendez-<strong>vous</strong> sous le clocher.<br />

SMATCH : Il est trop bien pour toi, Jocelyn.<br />

ISADORA : Jaloux ! Elle file sous le clocher et cherche partout. Jocelyn ? Jocelyn tu es là ?<br />

JOCELYN apparaissant en hauteur : Je suis là mon ange ! Sois attentive !<br />

Il sort deux drapeaux de marine et fait des signes en sémaphore.<br />

ÉRIC : C’est du sémaphore. Voilà le code.<br />

AMÉLIE : OK.<br />

ISADORA : V… E… U… X… T… U… M… E… P… J’ai compris ! Elle grimpe rejoindre<br />

Jocelyn. Mais bien sûr que je veux t’épouser !<br />

Ils s’embrassent. Au pied du clocher, Charles, Olibrius et Smatch arrivent en applaudissant.<br />

TOUS : Vive les amoureux !<br />

La lumière décline au centre et revient sur Amélie et Eric.<br />

AMÉLIE : Au fait, c’est bientôt les vacances et je pars en Bretagne en famille. Je ne sais pas<br />

si je pourrai me connecter cet été.<br />

ERIC : Pas de problème. On se retrouve à la rentrée ?<br />

AMÉLIE : Oui, je te donnerai mes disponibilités !<br />

Brefs aperçus des étés respectifs d’Amélie et d’Eric. Elle sur une plage, avec sa mère qui lui<br />

fait des remarques et sa petite sœur, lui seul en train d’écrire et de bouquiner. Puis aperçu de<br />

leurs rentrées respectives. Eric parle d’un côté, pendant que simultanément Amélie et Marion<br />

sont assises à l’autre bout de la scène.<br />

ERIC : Bonjour. Je m’appelle Eric Farquet. Je suis votre professeur de français pour les deux<br />

prochaines années, et je suis chargé de <strong>vous</strong> préparer pour le diplôme de commerce. <strong>Le</strong><br />

programme hebdomadaire se répartira ainsi, notez : mardi, étude de texte, mercredi,<br />

littérature, nous commencerons par le XIX e , et vendredi, dissertation. Veuillez <strong>vous</strong> munir<br />

d’un classeur fédéral ainsi que d’un dictionnaire dans les plus brefs délais. Veuillez également<br />

regarder dans votre bibliothèque si <strong>vous</strong> possédez déjà les œuvres figurant dans cette liste.<br />

Ses consignes se perdent ensuite dans le bavardage simultané d’Amélie et Marion.<br />

MARION : T’es plus copine avec Marie ?<br />

AMÉLIE : Non c’est une conne. Heureusement qu’on n’est plus dans la même classe.<br />

MARION : Tu savais qu’elle est sortie avec Tiago ?<br />

AMÉLIE : M’en fous.<br />

MARION : Et toi t’es toujours amoureuse de Thierry ?<br />

26


AMÉLIE : Je l’ai jamais été.<br />

MARION : Et ces vacances ?<br />

AMÉLIE : Génial.<br />

MARION : Moi je me suis trouvé un copain au retour de Provence. C’est Pierre.<br />

AMÉLIE : Génial.<br />

MARION : Et puis on a même couché ensemble. C’était merveilleux.<br />

AMÉLIE : Génial.<br />

MARION : Et toi t’as couché cet été ?<br />

AMÉLIE : J’ai fait que ça et j’ai pris mon pied tu peux pas savoir.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn se retrouvent. Amélie et Eric sont sur leurs PC.<br />

JOCELYN : Bonjour <strong>vous</strong> !<br />

ISADORA : Coucou toi !<br />

JOCELYN : Tu m’as beaucoup manqué tu sais.<br />

ISADORA : Toi aussi.<br />

Ils s’embrassent.<br />

ÉRIC : Tu es là !<br />

AMÉLIE : Yep.<br />

ÉRIC : Tu as passé un bon été ?<br />

AMÉLIE : Génial. On entend Sonia crier « Amélie ! » Et merde. Ecoute, là je peux pas rester.<br />

ÉRIC : Ta mère ?<br />

AMÉLIE : Bingo. Mais j’ai mon planning de la semaine. <strong>Le</strong> vendredi après-midi, je termine<br />

les cours à 15h00, je suis chez moi à 15h30 et ma mère ne rentre qu’à 16, ce qui nous laisse<br />

une demi-heure.<br />

ÉRIC : Ça marche.<br />

AMÉLIE : Je file, à plus !<br />

Elle éteint son PC et s’en va. Noir. Eric termine un cours tandis qu’Amélie et Marion le<br />

suivent distraitement.<br />

ÉRIC : Donc efforcez-<strong>vous</strong> de bien dégager la portée et la signification de tous les mots-clefs<br />

de l’énoncé, ça <strong>vous</strong> évite de sortir du sujet. Sonnerie. Je <strong>vous</strong> souhaite un bon week-end,<br />

levez les chaises sur les bancs, ramassez les papiers par terre et pardonnez-moi je suis pressé.<br />

Il sort précipitamment. Amélie et Marion enfilent leurs vestes et sortent.<br />

MARION : La semaine est finie. Tu viens boire un pot avec Pierre et moi ?<br />

AMÉLIE : Non je file direct chez moi.<br />

MARION : Pourquoi ?<br />

AMÉLIE : J’ai un rendez-<strong>vous</strong>.<br />

MARION : Un rendez-<strong>vous</strong> chez toi ?<br />

AMÉLIE : Ben ouais.<br />

MARION : Tu parles ! C’est ta mère qui veut que tu rentres tout de suite après l’école, non ?<br />

AMÉLIE : Heu… ben ouais.<br />

Apparaît Rachel.<br />

RACHEL : Laisse-la c’est une gamine, ringarde et sans façon. On n’est pas près de la voir en<br />

boîte avec nous. Présente-le plutôt à moi, ton boyfriend !<br />

AMÉLIE : Pétasse !<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn piquent-niquent assis sur le sol.<br />

ISADORA : Dans quel monde cruel nous vivons, mon aimé ! Nous sommes condamnés à ne<br />

pas nous voir durant les étés !<br />

JOCELYN : Il est parfois bon de se quitter pour éprouver ses sentiments et mieux se retrouver<br />

ensuite. Je te reviens le cœur plus gonflé d’amour que jamais.<br />

ISADORA : Viens donc me consoler d’une si longue absence, mon amour.<br />

Ils s’embrassent.<br />

27


JOCELYN : Tu n’as rien perdu de ton alacrité, et la retraite n’a pas fané ton teint.<br />

ISADORA : Reprends du poulet froid, ça t’empêchera de dire des bêtises ! C’était pas une<br />

bonne idée, ce pique-nique sur les berges, en début d’automne ?<br />

JOCELYN : Qu’importe la saison, mon Isa, à tes côtés, c’est toujours le printemps.<br />

ISADORA : Qu’est-ce qu’il raconte comme bêtises, le cabotin ! Heureusement que je connais<br />

le moyen de le faire taire !<br />

Elle l’embrasse encore.<br />

JOCELYN : Si je n’ai plus le droit de te parler, qu’est-ce que je peux faire ?<br />

ISADORA : Rien. Tu n’as qu’à te laisser faire.<br />

Elle entreprend de le déshabiller tandis que Jocelyn proteste.<br />

JOCELYN : Isa enfin, un peu de tenue !<br />

Sonia fait irruption chez Amélie.<br />

SONIA : Encore devant l’ordinateur, Amélie, tu exagères !<br />

AMÉLIE : Mais Maman je…<br />

ISADORA : Tu as raison, une autre fois, ciao !<br />

Elle sort. Amélie éteint le PC. Eric une fois encore s’essuie le front.<br />

SONIA : Tu ne vas pas perdre ta vie devant le PC ! Tu as une année à réussir !<br />

AMÉLIE : Je le sais Maman.<br />

SONIA : Que les choses te soient claires : j’exige un 14 de moyenne générale, et pas une note<br />

en dessous de la moyenne ! Sinon, plus de cheval, plus de PC, plus de Nutella, c’est compris ?<br />

AMÉLIE : Oui Maman.<br />

SONIA : Allez va travailler.<br />

Amélie sort. Noir. Eric discute avec Bastien.<br />

ÉRIC : Voilà ta biographie. Je l’ai rédigée sur la base de ton récit. Elle répond aux consignes<br />

de l’employeur, ça devrait passer la rampe.<br />

BASTIEN : Merci beaucoup, vieux. Ça fait combien ?<br />

ÉRIC : Selon le tarif des écrivains public, 150 balles, mais je te le fais à 100.<br />

BASTIEN lui tendant l'argent : Ça le vaut. Alors, t’as recommencé le boulot ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

BASTIEN : Pas trop dur, après une année à rien faire ?<br />

ÉRIC : Disons que j’ai pas trop le choix. Et puis je ne bosse qu’à 40%.<br />

BASTIEN : Et le reste ?<br />

ÉRIC : Je passe l’aspi à poil chez des petites vieilles et je deale de la coke. Ils rient. Non.<br />

Disons que je vis. Je bouquine pas mal, j’écris des pièces de théâtre pour ma sœur et des<br />

biographies pour des analphabètes.<br />

BASTIEN riant : C’est ça, frime ! Regardant autour de lui. Il est sympa ton studio !<br />

ÉRIC : Bien situé oui, vieille ville et vue sur les châteaux. Au fait, je ne t’ai encore jamais<br />

rencontré sur les Empires Renaissants.<br />

BASTIEN : <strong>Le</strong>s quoi ?<br />

ÉRIC : <strong>Le</strong>s Empires Renaissants, le jeu que tu m’avais conseillé l’année dernière, avec<br />

Stéphane.<br />

BASTIEN : Ah oui ! Ben on s’est laissé crever de faim après deux semaines, c’était trop nul.<br />

Tu y joues encore toi ?<br />

ÉRIC : Non.<br />

Noir. Jocelyn et Smatch discutent.<br />

SMATCH : Joce, tu es passé charpentier ?<br />

JOCELYN : Oui, les barques ça rapporte.<br />

SMATCH : Moi j’aurais besoin de seaux non cerclés.<br />

JOCELYN : Combien il t’en faut ?<br />

SMATCH : Une dizaine.<br />

28


JOCELYN : Houla. Je peux pas te les faire tout de suite.<br />

SMATCH : Prends ton temps. J’en ai besoin pour les cercler. <strong>Le</strong>s seaux cerclés montent en<br />

bourse et j’ai besoin d'argent frais pour la solde de mes mercenaires.<br />

Arrive <strong>Isadora</strong>.<br />

ISADORA : Salut les garçons !<br />

JOCELYN : Tes mercenaires ?<br />

SMATCH : Je suis en passe de fédérer sous ma bannière les chefs de guerre artésiens, et un<br />

jour je serai comte à la place du comte !<br />

ISADORA : Hé là ! Pas un bonjour, pas un bisou ?<br />

JOCELYN : Excuse-moi Isa, je discutais de stratégie politique avec Smatch.<br />

Arrive Charles.<br />

ISADORA : Trop tard je suis vexée ! Puisque tu préfères la stratégie politique à moi, je<br />

t’ignore et je ne te parle plus !<br />

SMATCH : Quelle chieuse celle-là.<br />

CHARLES : Voyons ma Zaza, qu’est-ce que c’est que ce langage ? C'est comme ça que tu<br />

parles à ce bon Jocelyn ?<br />

ISADORA : Toi mêle-toi de tes oignons si tu veux pas ton shampooing à la bière.<br />

CHARLES : Tu te calmes ou je te jette au sol.<br />

ISADORA : Chiche !<br />

CHARLES : Et je te fais mordre la poussière.<br />

ISADORA : Chiche !<br />

CHARLES : Et je te fais prendre un bain de boue.<br />

ISADORA : Chiche !<br />

Il se saisit d’Isa, l’étale au sol et la pétrit de boue malgré ses cris.<br />

CHARLES : Voilà pour toi, et en voilà partout, de la bonne boue azincourtoise aux milles<br />

vertus curatives dûment reconnues et enregistrées, pour bien imprégner ta peau, tes vêtements<br />

et tes cheveux. Il la traîne encore et la remet sur pied. J’espère que tu as apprécié le<br />

traitement, chère petite soeur. Après tout, suite à la douche au malt dont tu m’as gratifié, je ne<br />

pouvais pas t’offrir moins qu’une thérapie intégrale à la boue, non ? Tiens Jocelyn, je te la<br />

renvoie assagie.<br />

JOCELYN : Merci pour tes bons soins Charles, je vais me charger de la décrasser. A <strong>Isadora</strong>.<br />

A présent, laisse-moi t’emmener pour te laver, sans quoi je te fais prendre ton bain ici-même<br />

et devant tout le monde !<br />

Il emporte fermement Isa qui lui tambourine les omoplates. Noir. Amélie et Marion discutent.<br />

AMÉLIE : Et ?<br />

MARION : Et elle me l’a piqué.<br />

AMÉLIE : Pierre ?<br />

MARION : Oui Pierre.<br />

AMÉLIE : Mais c’est dégueulasse !<br />

MARION : J’aurais pas dû la laisser nous accompagner.<br />

AMÉLIE : C’est dégueulasse quand même !<br />

MARION : Et maintenant Pierre dit du mal de moi.<br />

AMÉLIE : <strong>Le</strong> salaud !<br />

MARION : Et Rachel dit que je suis bonne qu’à rester avec toi parce qu’on est aussi rances<br />

l’une que l’autre.<br />

AMÉLIE : La salope !<br />

MARION : Ouais elle exagère.<br />

AMÉLIE : Je m’en vais les massacrer !<br />

Noir. Anne téléphone à Eric.<br />

ANNE : Bonjour Eric, c'est Anne.<br />

29


ÉRIC : Anne ?<br />

ANNE : Anne Fragnières, on s’est croisés dans le train l’été dernier.<br />

ÉRIC : Ah oui je me souviens, c’était sympa. Tu m’avais beaucoup flatté au sujet de mes<br />

pièces de théâtre. Que me vaut l’honneur de ton appel ?<br />

ANNE : Bastien m’a dit que tu travaillais des textes en extra.<br />

ÉRIC : C’est juste.<br />

ANNE : Je voudrais te faire corriger mon mémoire.<br />

ÉRIC : Aucun problème.<br />

ANNE : Je te l’envoie ?<br />

ÉRIC : Non, on se voit au bistrot, c’est plus sympa.<br />

Noir. Jocelyn fait prendre un bain à Isa.<br />

JOCELYN : Et qui c’est qui doit réparer les pots cassés, hein, qui ? Qui c’est qui doit te<br />

frictionner de fond en comble pour les bêtises que tu as commises ?<br />

ISADORA : Ose prétendre que c’est désagréable !<br />

JOCELYN : En tout cas, il t’a pas loupé, Charles. Voilà à quoi ça t’avance, de provoquer à<br />

tort et à travers.<br />

ISADORA : Ma vengeance sera terrible. Je m’en vais le massacrer.<br />

JOCELYN : Ne dis pas de bêtises, Isa ! Tu ne vas pas assassiner ton frère de cœur !<br />

ISADORA : Je suis rancunière.<br />

JOCELYN : J’en prends note. Pardonne-moi si tout à l’heure je ne t’ai pas accordé<br />

immédiatement l’attention que tu méritais, mon exquise aimée.<br />

ISADORA : A la bonne heure, j’aime t’entendre t’excuser, ça mérite récompense.<br />

JOCELYN : Récompense ?<br />

ÉRIC : Récompense ?<br />

ISADORA l’attrapant par la manche : Enlève tes fringues et viens me rejoindre ! Je t’attends<br />

et je suis prête !<br />

JOCELYN résistant : Mais Isa, est-ce bien raisonnable ?<br />

Du côté d’Amélie apparaît Agnès, la petite sœur.<br />

AGNÈS : Qu’est-ce que tu fiches toi ?<br />

ISADORA : En effet ce n’est pas raisonnable. Je vais dormir. Seule.<br />

Amélie quitte fébrilement le site. <strong>Isadora</strong> disparaît. Eric passe une fois de plus sa main sur<br />

son front.<br />

AMÉLIE : Moi ? Rien.<br />

AGNÈS : C’est du rien qui ressemble à du quelque chose.<br />

AMÉLIE : Fous-moi la paix.<br />

AGNÈS : Et même du quelque chose qui ressemble à du grand-chose.<br />

AMÉLIE : Tu veux encore mon poing dans le bide ?<br />

AGNÈS : Un poing dans le bide ? Maman sera pas très contente.<br />

AMÉLIE : Va lui dire et je te fais saigner la prochaine fois qu’on est seules.<br />

AGNÈS : Oh je ne parlais pas de ça, mais de ce que tu es en train de faire.<br />

AMÉLIE : Je suis sur Wikipédia, là.<br />

AGNÈS : T’étais pas sur Wikipédia juste avant.<br />

AMÉLIE : Qu’est-ce que ça peut te fiche ?<br />

AGNÈS : J’ai cru voir que tu tapais un texte. Et j’ai cru voir qu’un autre texte s’affichait<br />

quand tu n’écrivais pas. J’ai même cru lire ce que tu écrivais. Amélie se renfrogne. Tu chatais<br />

ma grande, tu chatais en parlant de sexe, et tu sais bien que maman nous interdit de chater, en<br />

parlant ou non de sexe d’ailleurs.<br />

AMÉLIE : Ne lui dis rien s’il te plaît.<br />

AGNÈS : Comme tu es conciliante tout à coup ! Il faut croire que c’était important pour toi,<br />

ce que tu faisais.<br />

30


AMÉLIE : Je te promets que je ne faisais rien de mal.<br />

AGNÈS : Te justifie pas, tu es assez grande. Seulement, si tu veux pas que maman sache ce<br />

que tu fais sur le PC quand elle est pas là, tu me le files gentiment quand je te le demande,<br />

ok ?<br />

AMÉLIE se levant de devant le PC : Toi ça te suffit pas d’avoir piqué ma chambre, petite<br />

peste.<br />

AGNÈS : De un j’ai jamais rien demandé pour la chambre, de deux faut bien que je me fasse<br />

ma place dans cette famille.<br />

Noir. Eric termine de corriger le mémoire de Anne en sa présence. Elle acquiesce à ses<br />

remarques.<br />

ÉRIC : Pour en terminer… Ici j’ai modifié la formulation, c’était pas très clair. Là c’est<br />

l'indicatif qui s’impose, pas le subjonctif, et quand tu commences une phrase à l’intérieur des<br />

guillemets, tu places aussi le point à l’intérieur. Et puis « le serpent qui se mord la queue »,<br />

c’est un peu courant comme citation, tu devrais remplacer par « pétition de principe ». Voilà,<br />

j’en ai fini. Tu vas pouvoir rectifier et rendre ce mémoire.<br />

ANNE : Je te remercie.<br />

ÉRIC : Il est à déposer pour quand ?<br />

ANNE : Session de mars.<br />

ÉRIC : Et après ? Quels projets professionnels ?<br />

ANNE : Je ne sais pas. Peut-être prof, comme toi. Mais je ne suis pas encore certaine<br />

d’obtenir ma licence.<br />

ÉRIC : Oh, pour ce qui est de ton mémoire, je pense qu’il passera la rampe haut la main. Je<br />

peux t’assurer que tu as produit un excellent travail. Tu as su me replonger dans la littérature<br />

de la Belle Epoque. On sent que tu es passionnée par Charles Péguy.<br />

ANNE : Merci. J’espère qu’on ne voit pas trop cette dimension affective.<br />

ÉRIC : Non non je t’assure, c’est tout ce qu’il y a de plus académique. Tu as tout à la fois de<br />

la ferveur et de la structure.<br />

ANNE : C’est gentil. Pourtant je me sens si brouillonne.<br />

ÉRIC : Tu es trop dure avec toi-même.<br />

ANNE : Bah… j’ai pas trop l’habitude qu’on me complimente.<br />

Un temps.<br />

ÉRIC : Tu manques un peu de confiance en toi n’est-ce pas ?<br />

ANNE : Cela se voit tant que ça ?<br />

ÉRIC : Cela se devine, mais c’est plutôt chou.<br />

ANNE : Je n’ai jamais trop eu l’habitude, euh, des contacts sociaux.<br />

ÉRIC : Tu te sens toujours déphasée en société ?<br />

ANNE : Oui c’est ça… Je n’arrive pas à intégrer les comportements, euh, sociaux, qui<br />

relèvent de l’évidence pour tout le monde.<br />

ÉRIC : Tu t’es souvent retrouvée le bouc émissaire…<br />

ANNE : Oui…<br />

ÉRIC : Dis-toi que ça t’a blindée.<br />

ANNE : Et puis cette impression d’être une personne si peu aimable…<br />

ÉRIC : Tu es d’une fréquentation agréable pourtant.<br />

ANNE : Et puis cette impossibilité à intégrer les groupes…<br />

ÉRIC : Laisse les groupes où ils sont. C’est pour les moutons. <strong>Le</strong>s personnes vraiment<br />

intéressantes s’épanouissent en dehors des groupes.<br />

ANNE : Et puis avec le sexe opposé, cette timidité, cette difficulté à communiquer… Je<br />

rougis pour un rien…<br />

ÉRIC : Dis-toi que ça peut être un atout. C’est mignon, une fille timide.<br />

31


ANNE : C’est gentil. Euh… Se ressaisissant. Comme c’est la dernière fois qu’on se voit, je<br />

t’ai amené ta paye.<br />

Elle dépose une enveloppe devant lui. Eric l’ouvre.<br />

ÉRIC : Pour environ dix heures de travail, ça me paraît correct. Mais sais-tu ce que j’ai envie<br />

de faire avec cette somme ?<br />

ANNE : Non.<br />

ÉRIC : T’offrir un souper.<br />

ANNE : Tu en fais ce que tu veux.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn sont sur une barque.<br />

ISADORA : Ici, mon amoureux, personne ne nous dérangera.<br />

JOCELYN : Même si je crie très fort ?<br />

ISADORA : Je te noierais avant que tu aies le temps de reprendre ton souffle.<br />

JOCELYN : Ciel ! Me voilà piégé !<br />

Lumière sur Amélie et Eric.<br />

ÉRIC : Sérieux ? Ta mère ne te dérangera pas comme la dernière fois ?<br />

AMÉLIE : La dernière fois c’était ma petite sœur. Une chieuse. Elle a menacé de me<br />

dénoncer.<br />

ÉRIC : Ah.<br />

AMÉLIE : Mais aujourd’hui, nous avons le temps. Je suis seule à la maison pour un bon bout<br />

de temps.<br />

ÉRIC : Ah.<br />

Lumière sur <strong>Isadora</strong> et Jocelyn.<br />

ISADORA : Prends-moi mon bien-aimé. Prends-moi tout entière.<br />

JOCELYN : Attends c’est le genre de choses qu’il faut faire trèèèèèèès précautionneusement.<br />

Lumière sur Amélie et Eric. Et par la suite, même jeu.<br />

ÉRIC : Et tu n’as qu’une petite sœur ?<br />

AMÉLIE : Non, une grande aussi, mais elle est à l’université en semaine.<br />

ISADORA : Enlève ma robe comme tu l’as déjà fait !<br />

JOCELYN : Oui mais un bouton après l’autre, sinon c’est pas érotique.<br />

ÉRIC : Et ta mère serait fâchée si elle apprenait ce que nous faisons ?<br />

AMÉLIE : Elle me tuerait, oui.<br />

ÉRIC : J’espère pour moi que ta sœur tiendra sa langue.<br />

AMÉLIE : Pour moi aussi mais si elle dit quelque chose je la tue de toute façon.<br />

ISADORA : Ben alors qu’est-ce que tu fais ?<br />

JOCELYN : C’est-à-dire que tes boutons sont pas faciles à défaire.<br />

ÉRIC : Elle est stricte, ta mère ?<br />

AMÉLIE : Oui, très.<br />

ISADORA : Laisse-moi t’aider à le faire !<br />

JOCELYN : Ah non on va chavirer là ! Bouge pas surtout.<br />

ÉRIC : Et ton père ?<br />

AMÉLIE : Lui ça va, mais il occupe pas le devant de la scène.<br />

ISADORA : Mais qu’est-ce qu’on va faire ?<br />

JOCELYN : C’est bien simple : on va pêcher.<br />

Ils pêchent.<br />

ÉRIC : Et ce Francis dont tu me parlais ?<br />

AMÉLIE : Oh, ça c’est de la vieille histoire. Je suis sorti avec un autre garçon mais juste une<br />

semaine en comptant le week-end où on s’est pas vus.<br />

ÉRIC : Et maintenant ?<br />

AMÉLIE : Maintenant plus rien, c’est la honte.<br />

ÉRIC : Mais non c’est pas la honte. Tu as tout ton temps. Moi j’ai invité une fille à souper…<br />

32


AMÉLIE : En plus comme ma mère a des goûts de chiotte pour l’habillement, je suis mise à<br />

l’écart.<br />

ÉRIC : Tu te sens toujours déphasée en société ?<br />

AMÉLIE : Mes copines se foutent de moi.<br />

ÉRIC : Là ce ne sont pas des vraies copines. Laisse-les dire, tu vaux mieux qu’elles, et je suis<br />

persuadé que la vie t’apportera ta revanche.<br />

AMÉLIE : Ma revanche, je l’aurai un jour, contre tous ceux qui m’ont fait du mal. Ils verront<br />

bien, je les aurai par derrière.<br />

ÉRIC : Ne parle pas comme ça. Tu as bien mieux à faire de ta vie que de te venger.<br />

AMÉLIE : Je suis rancunière.<br />

ÉRIC : Je sais par expérience que la vengeance ne mène à rien.<br />

AMÉLIE : Tiens tu vois, en ce moment, il y a une pouffe qui m’aime pas et qui a piqué le<br />

copain d'une copine. Elle va déguster. Je l’ai traitée de pétasse mais elle a encore rien vu.<br />

ÉRIC : Si ce type a été assez bête pour larguer une chouette fille au profit d'une pouffe<br />

comme tu dis, c’est que c’est lui le paumé et que tant mieux pour ta copine.<br />

AMÉLIE : Non, je vais me faire un malin plaisir à la massacrer.<br />

ÉRIC : Et après elle voudra te massacrer à son tour ! Non ! Je ne veux pas que tu subisses un<br />

mauvais coup !<br />

AMÉLIE : T’inquiète pas pour moi.<br />

ÉRIC : Si, un peu quand même. Et puis, s’il t’est arrivé d’être le bouc émissaire, dis-toi que ça<br />

t’a blindée.<br />

AMÉLIE : Mouais.<br />

ÉRIC : Pour le peu que je connais de toi, je suis persuadé que tu disposes de toutes les<br />

qualités pour plaire. Je trouve que tu utilises un vocabulaire très étendu pour ton âge, et puis<br />

tu as de la répartie… Tu ne resteras pas longtemps célibataire, crois-moi !<br />

AMÉLIE émoustillée : C’est une proposition ?<br />

ÉRIC sur la réserve : Que vas-tu chercher là, petite aventurière ?<br />

AMÉLIE : Mais rien du tout voyons !<br />

ÉRIC : Je te disais simplement que tu as tout en main pour faire craquer les mecs.<br />

AMÉLIE : Faut croire que je m’y prends trop mal avec les garçons.<br />

ÉRIC : Ils sont jeunes, ma foi. Prends-toi pas la tête, laisse venir. La vie de couple, c’est pas<br />

la panacée non plus.<br />

AMÉLIE : C’est la plus belle chose qui existe.<br />

ÉRIC : Permets qu’on en recause dans 15 ans !<br />

AMÉLIE : On en recausera pas. Je veux mourir jeune, comme Juliette.<br />

ÉRIC : Arrête. Tu as tout en main pour vivre heureuse et longtemps. Moi, quand j’avais une<br />

copine…<br />

AMÉLIE : J’ai déjà failli me suicider en me jetant du haut d’un toit, mais heureusement que<br />

Thierry m’a suppliée.<br />

ÉRIC : Je comprends que la vie n’est pas facile, quand on est lycéenne, mais serre les dents.<br />

Bientôt tu auras ton bac et tu pourras quitter la maison, comme ta sœur.<br />

AMÉLIE : Dans trois ans…<br />

ÉRIC : Ils passeront vite. Et pour la suite, il y a beaucoup de bonnes choses qui t’attendent<br />

dans la vie.<br />

AMÉLIE : Je les attends et jamais rien n’arrive. Entre Agnès. Ah si, ma petite sœur. Elle est<br />

rentrée plus tôt que prévu.<br />

AGNÈS : Amélie chérie, tu me laisses le PC s’il te plaît ?<br />

AMÉLIE : Tu perds rien pour attendre, Agnès. A Eric. Ma sœur débarque. On se voit<br />

vendredi prochain ?<br />

ÉRIC : Aucun souci. Je suis heureux d’avoir fait ta connaissance, Amélie.<br />

33


Amélie cède sa place, Eric éteint son PC, <strong>Isadora</strong> et Jocelyn se retrouvent seuls à pêcher.<br />

Noir. Pascal et Eric discutent.<br />

PASCAL : Toujours célibataire ?<br />

ÉRIC : Toujours, et toi ?<br />

PASCAL : Toujours.<br />

ÉRIC : Pourtant, avocat, jeune et beau…<br />

PASCAL : Oui mais je passe plus de temps au bureau que chez moi.<br />

ÉRIC : Tu dragues pas tes clientes ?<br />

PASCAL : C’est pas évident de draguer des nanas qui te demandent de régler leur divorce.<br />

ÉRIC : Je vois ça. Au fait, j’aurai encore une question, juridiquement parlant.<br />

PASCAL : Vas-y, je t’enverrai mes honoraires.<br />

ÉRIC : C’est légalement répréhensible d’avoir des rapports sexuels virtuels avec une mineure<br />

sur Internet, par personnages interposés dans un jeu ?<br />

PASCAL perplexe : Dans quoi tu t’es embarqué, toi ?<br />

ÉRIC : Oh rien rien c’est juste…<br />

PASCAL : Comme ça, juste pour savoir ?<br />

ÉRIC : Absolument.<br />

PASCAL : Si c’est juste pour savoir, comme ça, théoriquement, juste pour la culture générale<br />

et que ça te concerne pas du tout de chez pas du tout, alors sache que non, c’est pas<br />

légalement répréhensible d’avoir des rapports sexuels virtuels avec une mineure sur Internet,<br />

par personnages interposés dans un jeu.<br />

ÉRIC : Ah merci.<br />

PASCAL : Mais fais quand même attention.<br />

Noir. Agnès devant le PC. Amélie la surprend.<br />

AMÉLIE : Bouh !<br />

AGNÈS : T’étais là ?<br />

AMÉLIE : Une bonne heure que je t’observe, petite sœur, sans que tu t’en aperçoives. C’est<br />

ça, l’expérience des aînés.<br />

AGNÈS : Et… t’as vu quoi ?<br />

AMÉLIE : Tout.<br />

AGNÈS : Merde.<br />

AMÉLIE : Alors comme ça, toi aussi tu chates !<br />

AGNÈS : Oui mais moi c’est sur MSN, avec des copines.<br />

AMÉLIE : Prends-moi pour une quiche ! J’ai très bien vu que tu étais sur Lycos. Du haut de<br />

tes dix ans, quelle cible pour les pédophiles !<br />

AGNÈS : Je suis vigilante.<br />

AMÉLIE : Fallait mieux surveiller tes arrières parce que moi aussi je le suis. Alors si tu veux<br />

pas que maman t’enferme dans ta chambre pour tout le restant de l’année, tu me cèdes<br />

gentiment le clavier et l’écran.<br />

AGNÈS : Pff t’es lourde.<br />

AMÉLIE : Un partout, darling.<br />

Elle se connecte. Apparaît <strong>Isadora</strong>. Eric se connecte. Apparaît Jocelyn. Ils s’embrassent.<br />

ISADORA : On va se marier.<br />

JOCELYN : On sera heureux.<br />

ISADORA : On aura beaucoup enfants.<br />

JOCELYN : Et des tas d’amis.<br />

ISADORA : On habitera dans une grande maison.<br />

JOCELYN : On gardera ton petit chat.<br />

ISADORA : On aura des chevaux.<br />

JOCELYN : Un jardin, un atelier.<br />

34


ISADORA : Et une louve apprivoisée.<br />

JOCELYN : On invitera des gens chez nous.<br />

ISADORA : On partira souvent en voyage.<br />

JOCELYN : Oui ça sera chouette.<br />

Un temps. Lumière sur Amélie et Eric.<br />

AMÉLIE : Au fait, tu veux voir mon visage d'ange ?<br />

ÉRIC : Volontiers.<br />

AMÉLIE : Voilà l’adresse de mon blog.<br />

ÉRIC : Une seconde. Il copie et colle l’adresse. Waow, tu es chou sur la photo en première<br />

page.<br />

AMÉLIE : Arrête, elle est horrible cette photo.<br />

ÉRIC : Pourquoi tu l’as choisie ?<br />

AMÉLIE : La précédente me fichait le blues. J’y étais sur un cheval que j’adorais et que je ne<br />

monte plus.<br />

ÉRIC : Je compatis. En attendant tu as des yeux magnifiques.<br />

AMÉLIE : C’est bon, fiche-moi la paix avec cette horreur.<br />

ÉRIC : Et des lèvres gourmandes qui incitent au baiser.<br />

AMÉLIE : Putain tu me saoules, là.<br />

ÉRIC : Sans parler de tes adorables cheveux bouclés de petite fille modèle.<br />

AMÉLIE : Je t’arrête sinon la petite fille modèle te dira FUCK !<br />

ÉRIC : Et de ton nez volontaire.<br />

AMÉLIE : Mon nez est affreux, fantasme pas.<br />

ÉRIC : Tu complexes pour rien, ton nez est révélateur d'un caractère bien trempé.<br />

AMÉLIE : FUCK !<br />

ÉRIC : « Un grand nez est proprement l’indice d’un homme affable, bon, courtois, spirituel,<br />

libéral, courageux. » C’est tiré de Cyrano de Bergerac.<br />

AMÉLIE : Tu arrêtes jamais ? Même quand on te dit STOP ?<br />

ÉRIC : Mais pourquoi te montrer si agressive face à mes compliments ?<br />

AMÉLIE : Zeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeen.<br />

ÉRIC : C’est interdit de t’assurer que tu es jolie ?<br />

AMÉLIE : Oui, parce que t’es bien le seul à me dire ça. On entend un bruit de voiture. Ma<br />

mère va rentrer. On se voit vendredi prochain ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

ISADORA : Et on fera l’amour ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

Noir. Amélie et Marion.<br />

AMÉLIE : La voilà ! La voilà qui sort du lycée ! Viens, on va la plaquer au sol et lui arracher<br />

les cheveux !<br />

MARION : Amélie, je crois pas que finalement…<br />

AMÉLIE : Viens je te dis ! Laissons-la pas filer.<br />

MARION : Tu sais j’ai discuté avec elle et…<br />

AMÉLIE : On va la massacrer.<br />

MARION : En fait elle sort plus avec Pierre.<br />

AMÉLIE : Hein ?<br />

MARION : Pierre est revenu avec moi.<br />

AMÉLIE : Bien fait ! Elle a dû en souffrir !<br />

MARION : Pas vraiment c’est elle qui le lui a demandé.<br />

AMÉLIE : Quoi ?<br />

MARION : Oui elle nous voyait bien ensemble.<br />

AMÉLIE : C’est un coup foireux de sa part ! Méfie-toi, elle va te le repiquer !<br />

35


MARION : Ah ça non je pense pas.<br />

AMÉLIE : Pourquoi ?<br />

MARION : Elle sort avec Thierry maintenant.<br />

AMÉLIE : Mon… mon Thierry ?<br />

MARION : Ben quoi ton Thierry ? T’avais dit que tu t’en foutais de Thierry.<br />

AMÉLIE : Mais… c’est un pote et puis elle c’est une pouffe.<br />

MARION : Amélie, dis pas du mal de mes amies.<br />

AMÉLIE : Tes amies ?<br />

Rachel arrive avec Thierry.<br />

RACHEL : Salut Marion !<br />

THIERRY : Salut Amélie !<br />

RACHEL : Marion, il y a ton petit Pierre qui t’attend au bar. Viens avec nous !<br />

AMÉLIE : Thierry ? Dis-moi que c’est pas vrai, que c’est un cauchemar, que…<br />

THIERRY : Quoi ? ça te déplaît que je sois avec Rachel ?<br />

AMÉLIE : Tu sais bien que je peux pas la blairer.<br />

RACHEL : Et réciproquement.<br />

THIERRY : Amélie ! Tu ne vas pas choisir mes petites amies ! Elle est sympa, Rachel.<br />

AMÉLIE : Et toi Marion, tu ne vas pas me laisser tomber ! Reste avec moi !<br />

MARION : Ecoute Amélie, franchement, je n’en ai pas envie.<br />

AMÉLIE : Pourquoi ?<br />

RACHEL : Explique-lui, chérie.<br />

MARION : Tu te maquilles pas et t’es jamais partante pour boire un pot.<br />

RACHEL : Et dire que tu comptais t’envoyer Thierry !<br />

AMÉLIE : C’est pas vrai ! C’est pas vrai !<br />

THIERRY : T’acharne pas Rachel ! C’est vrai que c’est pas vrai !<br />

RACHEL : C’est pas ce que m’a dit Marion.<br />

AMÉLIE : Marion ? Tu lui as dit ?<br />

MARION : J’y voyais pas de mal. Et puis grâce à Rachel je ressors avec Pierre et je nage dans<br />

le bonheur.<br />

THIERRY : Allez Amélie, fais pas ta mauvaise tête ! Viens avec nous !<br />

RACHEL : Elle pourra pas la petiote, sa mère ne lui laissera sûrement pas.<br />

AMÉLIE : C’est pas possible, Thierry, j’ai rendez-<strong>vous</strong> avec un mec.<br />

RACHEL : Rendez-<strong>vous</strong> à domicile, bien entendu. Il commence à devenir éculé, ton alibi.<br />

Allez, mon amour, allez Marion, on va rester entre couples !<br />

AMÉLIE : C’est ça, cassez-<strong>vous</strong>, bande de Bisounours !<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent.<br />

ISADORA : On baise ?<br />

JOCELYN : Euh…<br />

Arrivée de Charles.<br />

CHARLES : Salut les amoureux !<br />

ISADORA et JOCELYN : Salut Charles !<br />

CHARLES : Vous n’êtes pas au bal ?<br />

ISADORA : Quel bal ?<br />

CHARLES : <strong>Le</strong> bal d’hiver, voyons, en salle des fêtes. Tout Azincourt s’y est rassemblé, et<br />

on attend plus que <strong>vous</strong>.<br />

ISADORA : C’est-à-dire que…<br />

JOCELYN visiblement soulagé : Oui oui allons-y !<br />

CHARLES : Bon réflexe, Joce, faut pas se couper des autres quand on vit en couple.<br />

ISADORA : Tu m’accorderas la première danse, frérot.<br />

CHARLES : Si tu es sage, Isa.<br />

36


ISADORA : Je le suis toujours.<br />

Noir au centre et lumière sur les extrémités.<br />

AMÉLIE : Je suis déprimée.<br />

ÉRIC : Parce qu’on n’a pas pu le faire aujourd’hui ?<br />

AMÉLIE : Non, je m’en suis pris plein la gueule tout à l’heure.<br />

ÉRIC : Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?<br />

AMÉLIE : Histoire de cœur et d’amitié trahie.<br />

ÉRIC : Allez raconte-moi.<br />

AMÉLIE : Ben tu sais, Thierry le garçon qui… Bruit. Merde, ma mère. On se voit vendredi<br />

prochain ?<br />

ÉRIC : Comme d’habitude. Bon week-end.<br />

Amélie se déconnecte. Sonia entre.<br />

SONIA : Bonjour Amélie. Tu as passé une bonne journée ?<br />

AMÉLIE : Impec’ Maman.<br />

SONIA : Moi je t’ai ramené quelque chose.<br />

AMÉLIE : Pour moi ?<br />

SONIA : J’oublie parfois que mes filles grandissent. Dire qu’Aline m’a demandé la pilule, ça<br />

devient sérieux avec son petit copain. Et pour toi je me suis dit que du haut de tes 15 ans, tu<br />

pouvais te maquiller.<br />

AMÉLIE : Merci de l’avoir remarqué, depuis le temps que je te le réclame.<br />

SONIA : Je t’ai acheté du mascara.<br />

AMÉLIE : Mes copines en mettent depuis qu’elles ont 12 ans mais bon…<br />

SONIA : Tu veux que je le garde pour moi ?<br />

AMÉLIE : Non Maman, merci Maman. Je n’aurai plus besoin de me cacher pour en mettre.<br />

SONIA : Au fait, puisque tu es grande, je peux te confier Agnès et la maison mardi prochain ?<br />

AMÉLIE : En quel honneur ?<br />

SONIA : Nous sortons pour la Saint-Valentin, papa et moi.<br />

AMÉLIE : Aucun souci ! Est-ce que je pourrai travailler sur le PC ?<br />

SONIA : Bien sûr.<br />

AMÉLIE : Nickel.<br />

SONIA : Mais pas de chat alors.<br />

AMÉLIE : Non non Maman, pas de chat.<br />

Noir. Eric termine le souper avec Anne.<br />

ANNE : Je te remercie.<br />

ÉRIC : Merci à toi, Anne. J’ai eu beaucoup de plaisir à partager ce repas avec toi.<br />

ANNE : Moi aussi, tu es une personne intéressante.<br />

ÉRIC : Je te renvoie le compliment.<br />

ANNE : J’espère que je n’ai pas trop parlé de moi.<br />

ÉRIC : Non puisque d’une part c’est moi qui te l’ai demandé.<br />

ANNE : Et on me le demande rarement.<br />

ÉRIC : Et d’autre part tout ce que tu racontais était captivant.<br />

ANNE : Vraiment ?<br />

ÉRIC : Oui, tu es d’une conversation agréable. J’apprécie ta franchise envers toi-même.<br />

ANNE : C’est gentil.<br />

ÉRIC : C’est surtout vrai. Lui offrant une rose. Tiens.<br />

ANNE sur la défensive : En quel honneur ?<br />

ÉRIC : Celui d’avoir fait ta connaissance.<br />

ANNE : Quel gentleman.<br />

ÉRIC : On va se prendre un petit verre chez moi ?<br />

ANNE : Non.<br />

37


ÉRIC : Au bistrot d’en face ?<br />

ANNE : Non.<br />

ÉRIC : On se rappelle ?<br />

ANNE : Je sais pas. On attend de se croiser plutôt.<br />

ÉRIC : Tu es ouverte à toute proposition ?<br />

ANNE effarouchée : Non !<br />

ÉRIC : Ne t’énerve pas, j’entendais par là une promenade, un repas, un musée…<br />

ANNE : Non. Je ne tiens pas à ce que tu me recontactes.<br />

ÉRIC : Mais pourquoi ?<br />

ANNE : Je t’avais parlé de mon problème de communication avec le sexe opposé.<br />

ÉRIC : Tu n’as pas de peine à me parler pourtant.<br />

ANNE : C’est pas ça. Je sens bien que tu t’intéresses à moi, et quand un garçon s’intéresse à<br />

moi, je me sens menacée et je finis par éprouver pour lui de l’aversion mêlée d’angoisse.<br />

ÉRIC : Et si tu te mesurais au problème plutôt que de le fuir ?<br />

ANNE : Je ne me sens pas encore prête.<br />

ÉRIC : Et tu n’as pas peur de finir vieille fille ?<br />

ANNE : J’assumerai.<br />

ÉRIC : Bon alors adieu.<br />

ANNE : Adieu.<br />

Noir. Amélie écrit un message.<br />

AMÉLIE : Bonne nouvelle ! Mes parents vont au resto pour la Saint-Valentin ! Donc si on<br />

veut se croiser… ça t’irait vers 20h30 ?<br />

Noir. Eric et Sylvie.<br />

SYLVIE : Rien ?<br />

ÉRIC : Rien.<br />

SYLVIE : Non ?<br />

ÉRIC : Si. Quand un garçon s’intéresse à elle, elle se sent menacée et elle finit par éprouver<br />

pour lui de l’aversion mêlée d’angoisse.<br />

SYLVIE : Encore une tarée quoi.<br />

ÉRIC : Elle me plaisait pourtant.<br />

SYLVIE : Oublie. Au fait, il faudrait vraiment qu’on prenne une journée pour te relooker.<br />

ÉRIC : Tu crois ?<br />

SYLVIE : Oui, tes habits sont complètement démodés.<br />

ÉRIC : Je ne m’en rends pas compte.<br />

SYLVIE : On va te refaire ta garde-robe et tu resteras pas célibataire longtemps.<br />

ÉRIC : Si tu le dis.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> est chez Jocelyn et ils s’embrassent.<br />

ISADORA : Vas-y.<br />

JOCELYN : Maintenant ?<br />

ISADORA : Oui, maintenant. Tu l’as promis la dernière fois.<br />

ÉRIC : Tu en es sûre ?<br />

AMÉLIE : Oui.<br />

ÉRIC : Jure-moi que tu n’es pas un agent de la brigade des mœurs !<br />

AMÉLIE : Ça m’aurait pas déplu mais… je n’en fais pas partie pour l’instant !<br />

ÉRIC : Et promets-moi que tu sais que je ne suis pas un cyberpiégeur d’ados.<br />

AMÉLIE : Je l’ai toujours su.<br />

ÉRIC : Bon.<br />

JOCELYN : Je suis la vague et toi l’île nue.<br />

<strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’accouplent. Amélie et Eric paraissent surpris.<br />

AMÉLIE et ÉRIC simultanément : Ce n’est qu’un jeu.<br />

38


Noir. Eric et Gina terminent une répétition.<br />

GINA : Monsieur, Monsieur, réveillez-<strong>vous</strong>, je dois <strong>vous</strong> endormir !<br />

ÉRIC : J’ai peur… Je vais… Je crève de peur !<br />

GINA : Mais non, mais non, <strong>vous</strong> êtes en sécurité ici, c’est les meilleurs docteurs ici en bas, y<br />

vont bien <strong>vous</strong> soigner.<br />

ÉRIC : On est obligés d’opérer ménant ? Sinon si y sont occupés je peux revenir un autre<br />

jour… volontiers…<br />

GINA : Un autre jour avec la tumeur que t’as ? Non alors ça si <strong>vous</strong> opérez pas ménant, <strong>vous</strong><br />

serez mort un autre jour ! Çuissi, un autre jour, une tumeur pareille !<br />

ÉRIC : Est… est… est-ce que ça va faire mal ?<br />

GINA : Non, non, <strong>vous</strong> sentirez rien, <strong>vous</strong> serez endormi.<br />

ÉRIC : Voui, mais après… si je me réveille pas…<br />

GINA : Mais taisez-<strong>vous</strong> ménant, allez fermez les yeux !<br />

ÉRIC : Est-ce qui en a des qui se sont pas réveillés après ?<br />

GINA : Ten té coué !<br />

ÉRIC : Vous savez que mon groupe sanguin c’est A+, si jamais y’a un problème, d’accord ?<br />

A+ ! Ok ? Moi c'est A+ !<br />

GINA : Voilà ménant <strong>vous</strong> respirez, <strong>vous</strong> chantez une.<br />

ÉRIC : Laquelle ?<br />

GINA : La meilleure !<br />

ÉRIC chante en s’assoupissant, imitant Johnny : Que je t’aimeuh que je t’aimeuh…<br />

SYLVIE : C’est bon, on arrête là.<br />

GINA : Elle commence à prendre forme, la parodie locale de « Urgences ».<br />

SYLVIE : A cinq mois du spectacle, c’est rassurant. Mais les autres sketches ne sont pas<br />

encore au point.<br />

ÉRIC : Il faut croire que je les ai mal écrits !<br />

Rires.<br />

SYLVIE : N’oubliez pas de rameuter vos conjoints.<br />

GINA : Au fait Éric, tu es vachement bien looké.<br />

ÉRIC : C’est que Sylvie a bon goût.<br />

SYLVIE : Il va sûrement nous ramener une conjointe dans le public !<br />

GINA : Parce que tu n’as toujours pas de copine, Eric ?<br />

ÉRIC : Heu… en fait si.<br />

SYLVIE et GINA : Si ?<br />

ÉRIC : Oui dans un jeu sur Internet.<br />

Sylvie et Gina rient. Noir. Smatch et Jocelyn trinquent.<br />

SMATCH : Merci pour tes seaux, Jocelyn.<br />

JOCELYN : De rien et santé !<br />

SMATCH : Bien remis du bal d’hiver ?<br />

JOCELYN : Je n’ai pas eu trop de peine à m’en remettre, je n’y ai rien bu.<br />

SMATCH : Rien bu ?<br />

JOCELYN : Isa n’aime pas que je boive. Elle est antialcoolique. Raison familiale.<br />

SMATCH : Je me disais bien que t’es plus coincé en sa présence.<br />

JOCELYN : Coincé non. Attentif oui. Mais je ne désespère pas de lui faire prendre un verre.<br />

SMATCH : Par contre ça n’a pas l'air de te déranger qu’elle danse comme une folle avec<br />

Charles. Ils ont fait sensation.<br />

JOCELYN : Elle a toute ma confiance et Charles est un brave type.<br />

Arrive <strong>Isadora</strong>.<br />

SMATCH : Tiens quand on parle du loup.<br />

ISADORA : Salut les garçons !<br />

39


JOCELYN : Mon Isa !<br />

Il va pour l’embrasser mais elle se dérobe.<br />

ISADORA : Pas touche, toi !<br />

JOCELYN : Mais pourquoi ?<br />

ISADORA : Tu bois de l’alcool.<br />

JOCELYN : Rien qu’un petit verre avec ce bon Smatch.<br />

SMATCH : Trinque plutôt avec nous, ça va te décoincer.<br />

ISADORA : Nan !<br />

JOCELYN : Mais si, une petite gorgée, ça ne va pas te faire de mal.<br />

ISADORA : Je refuse !<br />

SMATCH : Elle est têtue.<br />

ISADORA : Mon père était alcoolique.<br />

JOCELYN : Allez, laisse-toi aller !<br />

Il porte sa chope aux lèvres d’Isa.<br />

ISADORA : Non ! Non ! Non !<br />

SMATCH : Attends on va l’y aider !<br />

Il la maintient par la nuque et lui pince le nez.<br />

JOCELYN : Tu verras, tu ne pourras bientôt plus t’en passer.<br />

<strong>Isadora</strong> avale quelques gorgées.<br />

ISADORA : Salauds ! Hips ! Voilà que je hipse à cause de <strong>vous</strong> ! Salauds ! Hips !<br />

Elle part.<br />

AMÉLIE : Salauds !<br />

JOCELYN : Isa ! Non ! Reste ! On ne va pas déjà…<br />

SMATCH : Laisse, elle reviendra toute seule.<br />

JOCELYN : J’en suis pas si sûr. Elle est très rancunière.<br />

Noir. Amélie et Thierry.<br />

THIERRY : Bonjour Amélie.<br />

AMÉLIE : Ciao.<br />

THIERRY : Ecoute, pour la dernière fois, je voulais te dire… je suis vraiment désolé.<br />

AMÉLIE : Mouais.<br />

THIERRY : C’est Rachel, elle a monté la tête à tout le monde contre toi.<br />

AMÉLIE : Et tu crois m’apprendre quelque chose ?<br />

THIERRY : Mais tu as bien vu, moi je ne t’ai pas critiquée devant les autres, l’autre fois.<br />

AMÉLIE : Tu n’es pas resté avec moi non plus.<br />

THIERRY : Tu peux comprendre, je sortais avec Rachel, alors…<br />

AMÉLIE : Tu sortais ?<br />

THIERRY : Oui elle m’a largué pour Pierre et elle me critique partout.<br />

AMÉLIE : Encore ? Alors la pauvre Marion elle est toute seule ?<br />

THIERRY : Non elle sort avec Tiago.<br />

AMÉLIE : Dommage, j’aurais voulu l’enfoncer.<br />

THIERRY : Amélie… pardonne-moi… C’était Rachel qui…<br />

AMÉLIE : C’est ça, c’est jamais de ta faute.<br />

THIERRY : Amélie, tu me pardonnes ? Tu veux bien qu’on redevienne amis ?<br />

AMÉLIE : Sais pas.<br />

Arrive Florent.<br />

FLORENT : Salut les jeunes ! Parés pour l’entraînement ?<br />

AMÉLIE se jette à son cou et ignore totalement Thierry : Coucou Florinet d'amour ! Quel<br />

plaisir de te voir !<br />

FLORENT : Doucement Amélie !<br />

AMÉLIE : T’es bien le seul qui me reste fidèle dans ma vie, toi.<br />

40


FLORENT : Tu exagères ! Et tes amis ?<br />

AMÉLIE : J’en ai pas, ils me trouvent conne.<br />

FLORENT : Tu dis ça juste pour que je te réponde : « Mais noooooooooooon Amélie, t’es pas<br />

une conne du tout. »<br />

AMÉLIE : Non, c’est ce qu’ils disent. Et s’ils le disent c’est que c’est vrai.<br />

FLORENT : Alors je peux bien te dire qu’ils ont raison : tu es très conne.<br />

AMÉLIE tape Florent : Vilain !<br />

FLORENT : Bah c’est toi qui m’as tendu la perche !<br />

AMÉLIE : En attendant aide-moi à monter en selle !<br />

FLORENT : Bien volontiers, princesse.<br />

AMÉLIE : Et magne-toi le train, je passe mon galop 3 dans deux semaines. Si je le rate, tu<br />

auras affaire à toi.<br />

FLORENT : Parce que ça sera de ma faute ?<br />

AMÉLIE : Il n’y a pas de mauvais élèves, il n’y a que des mauvais maîtres.<br />

FLORENT : Comme je suis un bon maître, tu te tais et tu fais tout ce que je te dis.<br />

AMÉLIE : Oui chef.<br />

FLORENT : Ta maman m’assassinerait s’il t’arrivait quelque chose.<br />

AMÉLIE : Laisse ma chère mère où elle est.<br />

FLORENT : Non, elle est charmante, ta mère.<br />

AMÉLIE : On a pas les mêmes goûts.<br />

Ils sortent et laissent Thierry tout seul. Noir. Repas familial avec Eric, Sylvie, Agathe.<br />

AGATHE : Vous la jouez quand, cette pièce ?<br />

SYLVIE : A la rentrée, en septembre.<br />

AGATHE : Et ça sera drôle ?<br />

SYLVIE : Non ça sera chiant.<br />

AGATHE : Vraiment ?<br />

SYLVIE soupirant : Maman, c’est déjà notre cinquième spectacle sur la commune. Est-ce<br />

qu’on s’est plantés une seule fois ?<br />

AGATHE : <strong>Le</strong>s gens n’aiment pas quand c’est trop long.<br />

SYLVIE : Tu me prendras toujours pour une quiche ! Je sais très bien ce qui plaît au public !<br />

Mes spectacles ont toujours été appréciés.<br />

AGATHE : J’aurais bien voulu jouer mais je n’ai pas le temps. Mais j’aurais été capable.<br />

ÉRIC : Excusez-moi, j’ai à faire sur le PC.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> est seule. Jocelyn arrive.<br />

JOCELYN : Isa ? Tu es là ?<br />

ISADORA : Nan c’est pas moi.<br />

JOCELYN : <strong>Isadora</strong>… pour la dernière fois, je voulais te dire… je suis vraiment désolé.<br />

ISADORA : Mouais.<br />

JOCELYN : J’avais oublié à quel point la consommation d'alcool t’était si problématique<br />

ISADORA : Dommage parce que c’est trop tard.<br />

JOCELYN : Je te prie de m’excuser. Je ne le ferai plus.<br />

ISADORA : Je pense bien que tu ne le feras plus, t’en auras plus jamais l'occasion.<br />

JOCELYN : Je t’en supplie Isa… je ne peux pas me passer de toi.<br />

ISADORA : Moi je peux très bien.<br />

JOCELYN : Un bisou… un bisou je t’en supplie.<br />

ISADORA : Nan.<br />

Arrive Charles.<br />

CHARLES : Que constaté-je ? Qu’observé-je chez mes administrés ? Un amoureux transi qui<br />

voit ses avances repoussées ? C’est inacceptable !<br />

ISADORA : Il m’a forcé à boire de la bière !<br />

41


CHARLES : Et tu lui en veux pour ça ? Il voulait t’amuser, ce bon vieux Joce. A Jocelyn.<br />

Hein que tu voulais juste l’amuser, ta bien-aimée ?<br />

JOCELYN : Oui je voulais juste l’amuser.<br />

CHARLES : Ma Zazounette, tu vas faire plaisir à ton frérot. Tu vas accepter les excuses de ce<br />

bon vieux Jocelyn et le laisser déposer sur tes lèvres le plus frais et le plus suave des baisers.<br />

ISADORA : Nan je boude. Tu peux me faire prendre un autre bain de boue si tu veux, je<br />

boude quand même.<br />

CHARLES : N’use pas de ton charme à rebours du bon sens !<br />

ISADORA : Je n’ai aucun charme.<br />

CHARLES : Isa ! Si tu ne pardonnes pas illico à Jocelyn, tu es privée de câlins fraternels !<br />

Plus un poutou ! Plus une blague ! Je t’ignorerai comme tu l’ignores !<br />

ISADORA : Bon ben… si tu me fais marcher au chantage. A Jocelyn. Je te pardonne, mon<br />

amour, et je t’aime comme avant. Non. Encore plus.<br />

Elle l’embrasse.<br />

JOCELYN : Je fonds de soulagement.<br />

CHARLES : Au fait, je vais bientôt être sacré diacre. Je serai en mesure de célébrer votre<br />

mariage. J’espère qu’il ne se fera pas attendre.<br />

Entre Agathe du côté d’Eric.<br />

AGATHE : Qu’est-ce que tu fais de si important pour nous abandonner à table ?<br />

ÉRIC : Oh moi rien je…<br />

AGATHE : Qu’est-ce que c’est, ces choses qui s’écrivent ?<br />

ÉRIC : Du chat.<br />

AGATHE : Et puis ça veut dire quoi « Amoureux fou d’Isa » ?<br />

ÉRIC : En fait bon c’est un jeu, et puis avec une autre joueuse on s’amuse à sortir ensemble.<br />

AGATHE : Une autre joueuse qui vient aussi sur le jeu ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

AGATHE : Elle existe vraiment ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

AGATHE : Elle habite où ?<br />

ÉRIC : Dans le nord de la France.<br />

AGATHE : Elle a quel âge ?<br />

ÉRIC : La quarantaine. Elle est mariée et elle a trois enfants.<br />

AGATHE : Son mari, il sait qu’elle fait ça ?<br />

ÉRIC : Oui. Ce n’est qu’un jeu.<br />

AGATHE : Peut-être qu’un jour <strong>vous</strong> <strong>vous</strong> verrez et que <strong>vous</strong> serez déçus.<br />

ÉRIC : Mais je ne compte pas la voir.<br />

Agathe sort. Retour sur <strong>Isadora</strong> et Jocelyn qui s’embrassent.<br />

JOCELYN : Tu m’en veux encore ?<br />

ISADORA : Non, ne t’en fais pas.<br />

JOCELYN : J’ai eu si peur que tu ne partes…<br />

Eric parle à Amélie.<br />

ÉRIC : On est en train de répéter une pièce à sketchs…<br />

AMÉLIE : Tu sais quoi ?<br />

ÉRIC : Raconte !<br />

AMÉLIE : Je crois bien que j’ai une touche avec mon mono d’équitation.<br />

ÉRIC : Ah !<br />

AMÉLIE : Jeudi dernier, à l’entraînement, il m’a quasiment embrassée et il m’a parlé qu'à<br />

moi.<br />

ÉRIC : Vous avez quelle différence d’âge ?<br />

AMÉLIE : Onze ans.<br />

42


ÉRIC : C’est pas mal.<br />

AMÉLIE : Ça veut rien dire, mes parents ils en ont quinze.<br />

ÉRIC : Vraiment ? A part. Elle et moi on en a 17.<br />

AMÉLIE : Ma mère s’est mariée à 21 ans, et même que c’était pas son premier mariage.<br />

ÉRIC : Ah non ? Et pourquoi le premier a foiré ?<br />

AMÉLIE : Elle en parle jamais. Mais quand je la vois sur les photos d’époque…<br />

ÉRIC : Elle était belle ?<br />

AMÉLIE : Elle se teignait les cheveux en noir et se maquillait comme une voiture volée. Et<br />

dire qu’à moi, elle m’interdit teinture et maquillage.<br />

ÉRIC : Faites ce que je dis, pas ce que je fais quoi.<br />

AMÉLIE : Exactement.<br />

ÉRIC : Elle veut peut-être éviter que tu fasses les mêmes erreurs qu’elle.<br />

On entend du côté d'Amélie la voix de Sonia.<br />

SONIA : Amélie ! Va prendre ta douche !<br />

AMÉLIE : Ben en attendant je vais te quitter parce que là elle veut que je prenne ma douche.<br />

ÉRIC : Tu vas te mettre toute nue pour de vrai !<br />

AMÉLIE : Oui mais toute seule.<br />

ÉRIC : Allez, bonne douche et bonne soirée.<br />

AMÉLIE : Bonne soirée à toi !<br />

Noir. Luc et Eric discutent.<br />

LUC : T’es bien habillé, toi.<br />

ÉRIC : Ma sœur a bon goût.<br />

LUC : Mais tu es toujours célibataire ?<br />

ÉRIC : Toujours.<br />

LUC : Je voulais te dire… j’ai une connaissance qui est étudiante. Et là elle panique à cause<br />

d’un examen en français médiéval. Elle stresse facilement, cette fille. Alors je lui ai expliqué<br />

que je connaissais, moi, quelqu’un de plutôt compétent dans ce domaine.<br />

ÉRIC : Je crois savoir qui.<br />

LUC : Et j’ajoute qu’elle est mignonne et sympa.<br />

ÉRIC : Youpi.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn, au sortir d’un rapport sexuel, s’embrassent.<br />

ISADORA : Je t’aime.<br />

JOCELYN : Je t’aime.<br />

ISADORA : C’était merveilleux.<br />

JOCELYN : Vraiment ?<br />

ISADORA : Vraiment. Je redescends du septième ciel. On entend de nouveau la voix de<br />

Sonia du côté d’Amélie. Je te relaisse. Ma mère m’appelle à table.<br />

ÉRIC : Si elle savait ce qu’on venait de faire.<br />

AMÉLIE : Fuck !<br />

Noir. Amélie et Florent.<br />

AMÉLIE lui faisant un clin d'œil : Florent sexy glamour.<br />

FLORENT imitant Céline Dion : My heart will go on…<br />

AMÉLIE : Si on laissait un peu les autres pour rester un peu que les deux…<br />

FLORENT : Non Amélie.<br />

AMÉLIE : Non ?<br />

FLORENT : Tu es une gamine à mes yeux.<br />

AMÉLIE : Ben quoi ? On a que onze ans de différence !<br />

FLORENT : Mais toi tu n’en as que 15 et je ne veux pas passer pour un pervers aux yeux de<br />

ta mère, que j’aime beaucoup.<br />

AMÉLIE : Bah t’auras qu’à lui dire que la perverse c’était moi.<br />

43


FLORENT : Non, arrête. Je t’aime bien, mais considère-moi tout au plus comme un grand<br />

frère, tu veux bien ?<br />

AMÉLIE : Comme d’habitude.<br />

Noir. Eric s'adresse à ses élèves.<br />

ÉRIC : Pour le dernier jour, je <strong>vous</strong> ai amené café et croissants, pour qu’on puisse se dire<br />

gentiment au revoir. J’ai beaucoup apprécié cette année passée avec <strong>vous</strong>, <strong>vous</strong> avez constitué<br />

une bonne classe, et j’espère que la bonne ambiance qui <strong>vous</strong> caractérise se poursuivra l'année<br />

prochaine. En attendant, je <strong>vous</strong> souhaite de bonnes vacances.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent.<br />

JOCELYN : Au revoir mon amour.<br />

ISADORA : Au revoir.<br />

JOCELYN : La vie est ainsi faite. Nous allons nous retirer chacun en retraite spirituelle, et<br />

nous nous quitterons pour mieux nous retrouver à la fin de l'été.<br />

ISADORA : Oui.<br />

ÉRIC : Tu as bien passé ton année ?<br />

AMÉLIE : 8.5 en histoire, 10.25 en allemand, 13 en physique, 15.5 en anglais et 16.5 en<br />

maths. 13 de moyenne générale. Maman voulait 14, mais je ne crois pas qu’elle va me priver<br />

de PC pour autant. Par contre je devrai faire un effort pour le cheval.<br />

ÉRIC : Il faudra bien travailler l’année prochaine si tu tiens à ce qu’on continue à se voir.<br />

AMÉLIE : Ne t’inquiète pas !<br />

ÉRIC : Moi j’ai un copain qui veut me présenter une co…<br />

AMÉLIE : Par contre pour mon mono je laisse tomber, il est trop vieux pour moi.<br />

ÉRIC : Je te l’avais bien dit. Et où vas-tu passer tes vacances ?<br />

AMÉLIE : Dans le Midi en famille.<br />

ÉRIC : Moi je vais traverser le Massif Central à pied.<br />

AMÉLIE : Ben t’es courageux. Allez, au revoir !<br />

ÉRIC : Au revoir ! A la rentrée !<br />

<strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent. Brefs aperçus des étés respectifs d’Amélie et d’Eric. Elle sur<br />

une plage, avec sa mère qui lui fait des remarques et sa petite sœur, lui seul en train de<br />

marcher. Amélie reçoit des SMS. Puis aperçu de leurs rentrées respectives. Eric parle d'un<br />

côté, pendant que simultanément Amélie et Maria sont assises à l’autre bout de la scène.<br />

ERIC : Bonjour. Vous me connaissez, et <strong>vous</strong> connaissez le programme de français pour votre<br />

diplôme de commerce. Je ferai en sorte que <strong>vous</strong> l’obtiendrez au terme de cette année. <strong>Le</strong><br />

programme hebdomadaire cette année se répartira ainsi, notez : lundi, étude de texte, mardi,<br />

littérature, nous poursuivrons par le XX e , et vendredi, dissertation. Veuillez reprendre votre<br />

classeur fédéral ainsi que votre dictionnaire. Veuillez également regarder dans votre<br />

bibliothèque si <strong>vous</strong> possédez déjà les œuvres figurant dans cette liste.<br />

Ses consignes se perdent ensuite dans le bavardage simultané d’Amélie et Maria.<br />

MARIA : T’es plus copine avec Marion ?<br />

AMÉLIE : Non c’est une conne. Heureusement qu’on n’est plus dans la même classe.<br />

MARION : Tu savais qu’elle est sortie avec Thierry ?<br />

AMÉLIE : M’en fous.<br />

MARION : Et toi ?<br />

AMÉLIE : Depuis un mois je suis harcelée de SMS.<br />

MARION : Tu sais qui c’est ?<br />

AMÉLIE : Il reste anonyme. Mais il dit qu’il me trouve mignonne et il termine ses messages<br />

par un petit « kisous jtd » ou même « bisous mon ange jtm for mon trésor ». Comme quoi il y<br />

aurait finalement un garçon qui s’intéresse à moi !<br />

MARION : Tu veux savoir qui c’est ?<br />

AMÉLIE : Tu sais qui c’est ?<br />

44


MARION : Non.<br />

AMÉLIE : T’es sûre ?<br />

MARION : Si mais il a dit à Edouard de pas le dire et Edouard m’a demandé de pas le dire.<br />

AMÉLIE : C’est un pote à Edouard ?<br />

MARION : J’ai pas le droit de le dire.<br />

AMÉLIE : Dis-le !<br />

MARION : J’ai vraiment pas le droit, Edouard me tuerait.<br />

AMÉLIE : Mais non ! Il est tellement sympa Edouard, en plus d’être mignon !<br />

MARION : Mais si, puisqu’on sort ensemble.<br />

AMÉLIE visiblement déçue : Ah ? Donc c’est pas Edouard.<br />

MARION : Non.<br />

AMÉLIE : Dommage. Depuis quand <strong>vous</strong> sortez ensemble ?<br />

MARION : Depuis deux semaines et demie, ça devient du sérieux.<br />

AMÉLIE : Et franchement c’est qui celui qui m’écrit ?<br />

MARION : Tu diras pas que je t’ai dit qu’il m’a dit ce qu’il lui a dit ?<br />

AMÉLIE : Promis.<br />

MARION : C’est Florian.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn se retrouvent. Amélie et Eric sont sur leurs PC.<br />

JOCELYN : Bonjour <strong>vous</strong> !<br />

ISADORA : Coucou toi !<br />

JOCELYN : Tu m’as beaucoup manqué tu sais.<br />

ISADORA : Toi aussi.<br />

Ils s’embrassent.<br />

ÉRIC : Tu es là !<br />

AMÉLIE : Yep.<br />

ÉRIC : Tu as passé un bon été ?<br />

AMÉLIE : Génial.<br />

ÉRIC : Tu as mis des photos de tes vacances sur ton blog ?<br />

AMÉLIE : Oublie, tu me verras pas en maillot de bain.<br />

ÉRIC : Pardon.<br />

AMÉLIE : Par contre il y a un mystérieux Florian qui m’envoie des SMS mais je suis pas<br />

censée savoir que c’est lui.<br />

ÉRIC : J’en suis content pour toi. Moi j’ai ce copain qui m’a présenté à…<br />

AMÉLIE : Sinon cette année, c’est toujours bon pour les vendredis après-midi, mais en plus<br />

les mardis soirs je fais du baby-sitting chez mes voisins, et je pourrai me connecter dès que les<br />

petits seront couchés. C’est pas super tout ça ?<br />

ÉRIC : Ça marche.<br />

Noir. Eric téléphone à Sandrine.<br />

SANDRINE : Allo ?<br />

ÉRIC : Salut Sandrine, c’est Éric !<br />

SANDRINE : Éric ?<br />

ÉRIC : Oui tu te rappelles ? Je suis un ami de Luc et il nous a présentés avant les vacances<br />

pour que je t’aide dans ton examen de français médiéval.<br />

SANDRINE : Ah oui c’est vrai, je m’en souviens.<br />

ÉRIC : Et là je te téléphone parce que j’ai terminé le livre sur lequel tu dois travailler.<br />

SANDRINE : Déjà ? Tu m’impressionnes. Moi je ne l’ai pas commencé.<br />

ÉRIC : Tu ne passes pas cet examen à la session de septembre ?<br />

SANDRINE : Non j’ai décalé, parce que j’ai eu deux trois problèmes d'ordre psychologique.<br />

C’est pas que ça affecte mes facultés intellectuelles, mais tu vois, je souffre de troubles<br />

bipolaires alors je dois prendre du lithium antidépresseur, et le lithium ça me fait travailler au<br />

45


alenti tu vois. En plus en début d’été mon médecin s’est trompé dans la posologie alors<br />

j’avais un taux de lithium trop élevé d’un degré alors j’ai été prise d'une hyperactivité et j’ai<br />

fait plein d'autres conneries, j’ai tiré des pipes mais c’était pas moi, c'était le lithium, alors il a<br />

changé le médicament, mais c’était pas le médicament qu’il fallait changer, c’était le dosage,<br />

alors du coup j’avais un taux de lithium trop faible d’un degré, alors je suis partie en<br />

dépression et j’ai fait plein d'autres conneries, j’ai tiré des pipes mais c’était pas moi, c'était le<br />

lithium, alors j’ai changé de médecin et l’autre médecin a su ce que j’avais et il m’a donné la<br />

bonne dose de lithium mais là c’est ma lapine qui est morte et ça m’a tellement bouleversée<br />

que pour oublier je me suis saoulée tous les soirs et j’ai ramené plein de mecs à la maison et<br />

j’ai tiré des pipes mais c’était pas moi, c’était à cause de ma lapine, mais là ça va mieux je<br />

vais recommencer à travailler pour la session de mars.<br />

ÉRIC : Je comprends.<br />

SANDRINE : C’est chou Eric, de me comprendre, car beaucoup ne me comprennent pas ou<br />

ils me disent que je les fatigue, ma sœur depuis qu’elle est mariée elle ne veut plus<br />

m’entendre, mais toi tu me comprends, tu es chou, tu me berces avec tes paroles.<br />

ÉRIC : Tu me flattes. On peut se voir ?<br />

SANDRINE : Oui oui volontiers, on parlera de cet examen et de plein d’autres choses.<br />

ÉRIC : Avec plaisir.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> discute avec Wolfy et Sutulle. Sur le modèle d’<strong>Isadora</strong> et de Jocelyn, Sutulle est<br />

« actionné » par un personnage masqué, XXX, demeurant en retrait de scène avec un PC.<br />

WOLFY : Bonjour gente dame !<br />

ISADORA : Bonjour cher Monsieur ! Je m’appelle <strong>Isadora</strong>.<br />

WOLFY : Wolfy, enchanté.<br />

SUTULLE : Bonjour les gens ! Je m’appelle Sutulle.<br />

ISADORA : <strong>Isadora</strong>.<br />

WOLFY : Wolfy.<br />

ISADORA : Je vois que <strong>vous</strong> venez d’arriver à Azincourt.<br />

SUTULLE : Oui.<br />

WOLFY : En effet.<br />

ISADORA : Je <strong>vous</strong> souhaite la bienvenue. Je suis active ici depuis plus de deux ans et je<br />

connais assez bien la population. Vous verrez, il y a des gens sympas et moins sympas.<br />

WOLFY : Moi je serai dans les moins sympas.<br />

ISADORA riant : Vraiment ?<br />

WOLFY : Oui je suis un ours mal léché.<br />

ISADORA : Méfie-toi, tu risquerais de trouver ici une ourse encore moins léchée que toi.<br />

SUTULLE : Que faites-<strong>vous</strong> ici ?<br />

ISADORA : J’attends mon amoureux. D’ailleurs le voilà.<br />

Apparaît Jocelyn.<br />

JOCELYN : Bonjour !<br />

ISADORA : Coucou toi ! Ils s’embrassent. Je te présente deux nouveaux arrivants : Sutulle et<br />

Wolfy.<br />

JOCELYN, SUTULLE et WOLFY réciproquement : Enchanté !<br />

ISADORA : Il paraît qu’il faut se méfier de Wolfy, c’est un brigand !<br />

WOLFY : Et pas qu’un peu !<br />

JOCELYN : Entendu, je ferai attention.<br />

SUTULLE : Et moi ? On ne se méfie pas de moi ?<br />

JOCELYN : Montrez les crocs d'abord, mais <strong>vous</strong> savez, avec Isa, le défi sera rude.<br />

SUTULLE : Je le relève.<br />

WOLFY à Isa : Beauté, c’est ça ton amoureux ? Tu le trouves pas un peu coincé ?<br />

ISADORA le gifle : Non mais ça va pas ?<br />

46


WOLFY : Parce que moi, je t’accrocherai bien à mon tableau de chasse et je te ferai voir des<br />

étoiles.<br />

JOCELYN : Non mais…<br />

ISADORA : Laisse, Jocelyn, il plaisante.<br />

SUTULLE : Et toi, noble damoiseau, elle te paraît pas un peu gnangnan, ta compagne ?<br />

JOCELYN : Ma compagne est parfaite et je n’aime qu’elle.<br />

SUTULLE : Tu n’aimais qu’elle avant que je ne passe par là.<br />

ISADORA : Non mais… Tu veux que je te boxe toi ?<br />

JOCELYN : Laisse, Isa, elle plaisante aussi.<br />

SUTULLE : Si ça t’arrange de le dire.<br />

JOCELYN : Ecoutez, on ne va pas se crêper le chignon dès votre arrivée. Je <strong>vous</strong> invite à<br />

prendre un pot en taverne, nous y trouverons sûrement des compatriotes, et je <strong>vous</strong> instruirai<br />

des événements qui vont marquer la vie azincourtoise dans les prochains mois, et auxquels<br />

<strong>vous</strong> serez conviés.<br />

ISADORA : Oui, la semaine prochaine, c’est l’élection de Miss Azincourt, où je participe, et<br />

la semaine d'après, c’est le tournoi de soule. Charles est capitaine et m’a demandé de le<br />

seconder comme pom-pom girl.<br />

ÉRIC : C’est ça, en 1450.<br />

Noir. Sonia, seule, commente l'action en bordure du terrain hippique.<br />

SONIA : Amélie ! Fais attention ! Non ! Tu tombes ! Non ! Elle s’agrippe et se fait emporter !<br />

Non ! Laisse-toi tomber ! Non ! Elle est tombée, le cheval avec ! Lâche tout ! Lâche tout ! Et<br />

elle se fait traîner ! Au secours ! Ah ! Elle est dégagée !<br />

Arrive Florent, soutenant une Amélie empoussiérée et morte de rire.<br />

FLORENT : Qu’est-ce que tu nous as fait Amélie ? Pourquoi tu n’as pas tout lâché ?<br />

AMÉLIE : Parce que dans ma tête « lâcher » rimait avec « bobo ».<br />

FLORENT : Mais tenir c’était encore plus bobo, petite imprudente !<br />

AMÉLIE : Grande imprudente, Monsieur le moniteur.<br />

SONIA la prenant dans ses bras : Amélie ! J’ai eu tellement peur !<br />

AMÉLIE : Tu peux être fière de moi, je figurerai dans le top 10 des chutes annuelles.<br />

FLORENT : Dommage qu’on ait pas filmé, ça aurait mérité Youtube. A Sonia. Je suis désolé<br />

pour ce moment de frayeur, Madame Delavague.<br />

SONIA : Je <strong>vous</strong> en prie, <strong>vous</strong> n’y êtes pour rien. Amélie est une écervelée.<br />

Arrive Thierry.<br />

THIERRY : Amélie, j’ai tout vu ! Tu… tu vas bien ?<br />

AMÉLIE : Bien et toi ? J’ai l’air de mal aller ?<br />

THIERRY : Déconne pas ! Je tremble encore !<br />

SONIA : Moi aussi !<br />

AMÉLIE : Je devrais risquer la mort plus souvent, les gens s’intéresseraient à moi !<br />

THIERRY : Que tu es bête !<br />

AMÉLIE : Je sais.<br />

Noir. Fin de représentation. Eric et Gina saluent le public, déguisés respectivement en Obélix<br />

et en Schtroumpfette. Puis on devine que le rideau tombe et les acteurs s’étreignent.<br />

GINA : Bien joué, Eric !<br />

ÉRIC : Bien joué, Gina !<br />

GINA : T’avais ta copine dans le public ?<br />

ÉRIC : Non, toujours pas de copine.<br />

GINA : Tu n’as pas invité celle d'Internet ?<br />

ÉRIC : Ah ? Tu te souviens ? C’est-à-dire qu’elle habite un peu loin.<br />

GINA : Tant que ça ?<br />

ÉRIC : Et puis c’est qu’un jeu, le but c’est pas de se voir non plus.<br />

47


GINA : C’est pour quand la copine qu'on pourra voir ?<br />

ÉRIC : Peut-être dans pas longtemps. J’ai un rendez-<strong>vous</strong> avec une fille qui paraît<br />

m’apprécier.<br />

GINA : Raconte !<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent. Amélie et Eric discutent.<br />

AMÉLIE : Tu sais que j’ai frôlé la mort samedi dernier ?<br />

ÉRIC : Non ?<br />

AMÉLIE : J’ai fait une chute de cheval des plus spectaculaires.<br />

ÉRIC : Raconte !<br />

AMÉLIE : Si tu veux, je me suis rattrapée au cheval mais j’étais complètement sur son côté<br />

droit, agrippée à son encolure avec une jambe de l’autre côté.<br />

ÉRIC : Ciel ! Et que s’est-il passé ?<br />

AMÉLIE : <strong>Le</strong> cheval s’est arrêté devant le deuxième obstacle, je t’explique pas s’il l’avait<br />

sauté.<br />

ÉRIC : Et alors ?<br />

Pendant que le récit se poursuit, Jocelyn poursuit son étreinte avec Isa.<br />

AMÉLIE : Et lui comme un abruti, au lieu d’attendre que je descende ou remonte, il fait<br />

demi-tour et repart au triple galop avec moi toujours accrochée.<br />

ÉRIC : Non !<br />

JOCELYN : J’ai failli te perdre mon amour.<br />

AMÉLIE : Si ! Même les cascadeurs n’auraient pas fait mieux ! Donc mon mono me hurle<br />

« lâche tout » une bonne dizaine de fois, sauf que je lâchais pas.<br />

ÉRIC : Pourquoi t’as pas tout lâché ?<br />

AMÉLIE : Parce que dans ma tête « lâcher » rimait avec « bobo ».<br />

ÉRIC : Et que s’est-il passé ?<br />

AMÉLIE : Donc le cheval a voulu tourner à gauche avec toujours moi sur sa droite… Donc je<br />

l’ai entraîné et badaboum, tout le monde à terre, le cheval et sa cavalière.<br />

ÉRIC : C’est pas vrai ?<br />

AMÉLIE : Si, si !<br />

ÉRIC : Tu as failli être broyée !<br />

AMÉLIE : <strong>Le</strong> cheval se relève, je vois les postérieurs voler au-dessus de ma tête et d’un coup,<br />

je sens mon pied être tiré vers l’avant, parce qu’en tombant, mon pied gauche s’était pris dans<br />

la rêne.<br />

JOCELYN : Qu’est-ce que tu nous as fait là ? Tu imagines quelle tristesse collective s’il<br />

t’était arrivé quelque chose ?<br />

AMÉLIE : Donc je me fais traîner sur cinq mètres et là, piouf ! La chaussure décolle, le<br />

cheval part comme un con et moi j’étais assise par terre.<br />

ÉRIC : On s’est occupé de toi ?<br />

AMÉLIE : Mon mono a débarqué en me disant : « Pourquoi t’as pas tout lâché ? » Et le pire<br />

c’est que j’étais morte de rire.<br />

JOCELYN : Ne me fais plus des frayeurs comme ça !<br />

Il embrasse <strong>Isadora</strong>.<br />

AMÉLIE : Ma mère hurlait limite à la mort, elle tremblait comme une feuille.<br />

ÉRIC : Tu vois qu’elle tient à toi !<br />

AMÉLIE : Mouais…<br />

JOCELYN : Après mon départ, tu as discuté un peu avec les nouveaux ?<br />

ISADORA : Pas avec Sutulle, j’ai pas le feeling, mais avec Wolfy oui.<br />

JOCELYN : Ah bon ?<br />

48


ISADORA : En fait quand tu le connais, il est plutôt marrant comme gars, même si tout le<br />

monde ne l’apprécie pas. Charles par exemple, il peut pas le saquer. Mais moi il me fascine<br />

presque, c’est un des seuls qui me tienne tête et me mène en bateau, et puis…<br />

JOCELYN : J’en suis content pour toi. Portant sa main au corsage d'<strong>Isadora</strong>. Si on faisait<br />

l’amour, plutôt ?<br />

ISADORA : Nan.<br />

JOCELYN : Pourquoi ?<br />

ISADORA : Pas envie.<br />

JOCELYN : Allez quoi…<br />

Arrive Charles.<br />

CHARLES : <strong>Le</strong>s amoureux ! Faites pas bande à part ! On <strong>vous</strong> attend en taverne pour fêter<br />

l’ouverture du tournoi de soule !<br />

JOCELYN : C’est-à-dire que…<br />

ISADORA : Oui oui allons-y !<br />

CHARLES : Bien joué, mon crapaud des bois, secoue un peu ce Jocelyn, vivre en couple ça<br />

veut pas dire devenir asocial.<br />

ISADORA : Tu me laisses payer la première tournée, frérot ?<br />

CHARLES : Si tu es sage, Isa.<br />

ISADORA : Je le suis toujours.<br />

Noir. Sandrine parle à Eric, qui donne des visibles signes d’impatience.<br />

SANDRINE : A l’école j’avais pas d'amis, et puis à l’adolescence j’ai été voir un psy, et puis<br />

comme ça allait pas, j’ai été voir un acupuncteur, et puis comme ça allait pas, un<br />

posturologue, et puis comme ça allait pas, un autre psy, et lui enfin il a vu ce qui allait pas,<br />

alors je suis un traitement mais j’ai toujours des troubles obsessionnels et des hallucinations<br />

auditives, mais je pense terminer mes études pour dans cinq ans, mais tu trouves pas que c’est<br />

trop tard de terminer ses études à 40 ans ?<br />

ÉRIC : Non tu as du mérite.<br />

SANDRINE : Tu es chou, Eric, tu es vraiment trop chou, tu es pas comme mon ex, mon ex à<br />

chaque fois que je lui confiais quelque chose il se foutait de ma gueule, et puis tu sais quoi, il<br />

voulait toujours me sodomiser, et puis un soir il a vraiment insisté, j’ai répondu non non non,<br />

alors on a fini par s’endormir et au milieu de la nuit je me réveille avec un doigt dans le cul,<br />

Eric si tu savais, deux orgasmes en cinq ans, c’est affreux j’oubliais que j’avais des seins, et<br />

moi je sais très bien tirer des pipes et je lui tirais sans arrêt des pipes et un jour je lui ai<br />

demandé ben tu pourrais quand même une fois me faire un cunnilingus, il m’a fait un<br />

cunnilingus pendant deux minutes et après il m’a mis un doigt dans le cul, Eric, Eric si tu<br />

savais, et un jour il a voulu coucher avec une de mes copines et la copine m’a dit et moi je lui<br />

ai dit alors il a tout cassé mon aloe vera, je suis sorti cinq ans avec un connard, si tu savais<br />

Eric. Mais là j’ai compris et plus jamais je ne retournerai avec lui.<br />

ÉRIC : Oui oui oui oui oui.<br />

Noir. Amélie et Florian.<br />

FLORIAN : Coucou Amélie !<br />

AMÉLIE froidement : Salut toi.<br />

FLORIAN : Tu vas bien ?<br />

AMÉLIE : Bien merci.<br />

FLORIAN : Je voulais te dire… c’est un peu délicat et j’espère que tu le prendras pas mal,<br />

parce que c’est assez intime mais…<br />

AMÉLIE : Accouche.<br />

FLORIAN : <strong>Le</strong>s SMS, ils venaient de moi.<br />

AMÉLIE : Je savais.<br />

FLORIAN : Tu savais ?<br />

49


AMÉLIE : Edouard l’a dit à Maria qui me l’a dit.<br />

FLORIAN : Et tu ne m’as pas dit qu’elle t’avait dit qu’il avait dit ?<br />

AMÉLIE : Tu ne m’avais rien demandé.<br />

FLORIAN : Certes. Alors ?<br />

AMÉLIE : Alors quoi ?<br />

FLORIAN : On fait quoi ?<br />

AMÉLIE : On en reste à l’amitié.<br />

FLORIAN : Tu saurais me donner une raison ?<br />

AMÉLIE : Non.<br />

FLORIAN : Ça ne s’explique pas ?<br />

AMÉLIE : Non ça ne s’explique pas.<br />

FLORIAN : Qu’est-ce que ça fait comme impression, de recevoir des SMS anonymes ?<br />

AMÉLIE : Au début, c’est marrant. Après un moment, ça devient inquiétant.<br />

FLORIAN : Inquiétant ? Je ne voulais pas…<br />

AMÉLIE : Je te dis ça pour quand tu voudras faire la même chose avec une autre fille.<br />

FLORIAN : Ah ben merci… Je file.<br />

AMÉLIE : File.<br />

FLORIAN : Au revoir et Joyeux Noël.<br />

AMÉLIE : Noyeux Joël. Florian s'en va. Amélie éclate en sanglots. Aucun garçon ne voudra<br />

donc de moi ?<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent. Amélie et Eric discutent.<br />

ÉRIC : Rassure-moi, tu n’as pas des problèmes psychologiques, toi ? Tu ne vas pas voir un<br />

psy et tu ne prends pas du lithium ?<br />

AMÉLIE : Non, je suis complètement tarée mais saine. Pourquoi ?<br />

ÉRIC : Pour rien, comme ça. Tu as reçu quoi pour Noël ?<br />

AMÉLIE : Un polo Vicomte A, le CD des PZK et celui de Paramore et une pochette pour ma<br />

DS. D’ailleurs je l’ai signalé sur mon profil Facebook.<br />

Apparaît Rachel.<br />

RACHEL : Et tu trouves pas que tu te tapes l’air con pour marquer une telle chose sur ton<br />

profil ?<br />

AMÉLIE : Je t’ai pas demandé ton avis, pétasse !<br />

Rachel disparaît.<br />

ÉRIC : Nouvel An, tu le passes où ?<br />

AMÉLIE : Chez mon grand-père paternel.<br />

ÉRIC : Tu l’apprécies, ton grand-père ?<br />

AMÉLIE : Non.<br />

ÉRIC : Non ?<br />

AMÉLIE : C’est un vrai chasseur, alors quand il te raconte ses parties de chasse à table et que<br />

tu aimes énormément les animaux, tu pries sa mort à tout prix.<br />

ÉRIC : Je vois. Et le type qui te draguait ?<br />

AMÉLIE : Pardon ?<br />

ÉRIC : <strong>Le</strong> type qui t’envoyait des SMS ?<br />

AMÉLIE : Tu veux vraiment qu’on en parle ?<br />

ÉRIC : On en parle si tu le désires.<br />

AMÉLIE : On n’en parlera pas.<br />

ÉRIC : D’accord.<br />

AMÉLIE : Mais en fait je ne crois pas qu’il m’aime vraiment.<br />

ÉRIC : J’en suis désolé.<br />

Jocelyn étreint <strong>Isadora</strong>.<br />

JOCELYN : J’ai très envie de toi mon Amour.<br />

50


Il se met à la caresser partout.<br />

ISADORA : Arrête !<br />

JOCELYN : Que j’arrête ?<br />

ISADORA : Arrête je te dis !<br />

Elle essaie de mordre Jocelyn dans le cou, qui se dérobe et desserre son étreinte.<br />

JOCELYN : Que t’arrive-t-il mon aimée ?<br />

ISADORA : Tu ne sais encore rien de moi… Je traîne une terrible malédiction… quand je<br />

suis excitée je… je perds le contrôle sur la partie bestiale de ma personne, et je suis envahie<br />

par l’irrésistible envie de planter mes canines dans ton cou et de te vampiriser.<br />

JOCELYN : Me vampiriser ?<br />

ISADORA : Oui… tu me connais encore bien mal. Je suis une vampire recueillie, et je dois<br />

chaque jour lutter contre une soif inextinguible de sang humain. Quand je te vois si près de<br />

moi, je suis déchirée entre mon amour et mon instinct. Oh Jocelyn, c’est affreux.<br />

JOCELYN : Calme-toi mon aimée. Je suis là.<br />

ISADORA : Oui mais pour combien de temps ? Il suffira d’une pulsion immaîtrisée, et je te<br />

tuerai, ou pire, je te ferai partager mon statut de vampire.<br />

JOCELYN : Pourquoi pas ? <strong>Le</strong>s vampires sont immortels, nous pourrions nous aimer à jamais<br />

AMÉLIE : Je ne veux pas t’imposer le poids de ma destinée, Jocelyn.<br />

JOCELYN : Prends confiance, ma belle. Avec un peu de bonne volonté, je suis persuadé que<br />

nous arriverons à trouver un terrain d’entente et à vivre avec ce problème.<br />

AMÉLIE : En fait je suis fan de Twilight.<br />

ÉRIC : Je vois je vois. A part. Ah ben ça va être bonbon pour baiser avec ça. A Amélie. Mais<br />

normalement, les vampires, ils supportent pas la lumière du jour, non ?<br />

On entend la voix de Sonia appeler Amélie.<br />

AMÉLIE : Alerte rouge ! Mum’s coming !<br />

ÉRIC : File ! Ne te fais pas prendre ! Au revoir !<br />

AMÉLIE : Au revoir !<br />

Elle l’embrasse et file. Noir. Eric et Sylvie discutent.<br />

SYLVIE : Et ?<br />

ÉRIC : Et elle est retournée avec son ex.<br />

SYLVIE : Non ?<br />

ÉRIC : Celui qui lui a cassé son aloe vera et lui plantait son doigt dans le cul.<br />

SYLVIE : Complètement à l’ouest, la nana.<br />

ÉRIC : Je ne vais pas la recontacter.<br />

SYLVIE : T’as vraiment pas de bol, toi, tu ne te fais draguer que par des cas sociaux. Il y a<br />

six mois, c’était celle qui se sent agressée par les gars, l’année dernière, la gardienne de chenil<br />

dépressive, celle d’avant, la manipulatrice de l’agence. Il ne te manque plus que la passion du<br />

cheval !<br />

ÉRIC : Tu ne crois pas si bien dire. Mais je n’ai plus très envie de draguer maintenant.<br />

SYLVIE : T’as bien raison.<br />

Noir. Amélie et Maria discutent.<br />

AMÉLIE : Tu l’as revu ?<br />

MARIA : Ouais.<br />

AMÉLIE : Il a dit quoi ?<br />

MARIA : Rien à ton sujet.<br />

AMÉLIE : Rien ?<br />

MARIA : Rien.<br />

AMÉLIE : Je comprends pas. J’ai fait semblant de lui dire non, mais c’était pour mieux lui<br />

faire sentir un oui. Je voulais pas lui paraître une fille facile tu vois.<br />

MARIA : Je vois. Et c’est gagné, tu ne lui parais pas comme une fille facile.<br />

51


AMÉLIE : Donc il t’a parlé de moi s’il t’a dit que je n’étais pas une fille facile ?<br />

MARIA : Non, c’est juste qu’il n’a rien dit du tout et qu’il n’en dira plus jamais rien.<br />

AMÉLIE : Mais toi tu le revois ?<br />

MARIA : Ah ça ouais.<br />

AMÉLIE : Alors tu pourrais pas lui dire qu’en fait je l’aime bien ?<br />

MARIA : Ah ça non.<br />

AMÉLIE : Mais pourquoi ?<br />

MARIA : Parce qu’on sort ensemble.<br />

AMÉLIE : C’est pas vrai ?<br />

MARIA : Si, depuis trois semaines, c’est du solide.<br />

AMÉLIE : Mais Edouard ?<br />

MARIA : Edouard il sort avec Rachel.<br />

AMÉLIE : Et Pierre, qui sortait avec Rachel ?<br />

MARIA : Il sort avec Marion.<br />

AMÉLIE : Et Tiago, qui sortait avec Marion ?<br />

MARIA : Il sort avec Marie.<br />

AMÉLIE : Et Thierry qui sortait avec Marie ?<br />

MARIA : Tu déconnes ? Ils sont jamais sortis ensemble, eux.<br />

AMÉLIE : Mais… je l’aimais, Florian.<br />

MARIA : Lui il t’aime plus je peux te dire.<br />

AMÉLIE : Maria… comment tu peux me faire ça ? Je croyais qu’on était amies.<br />

MARIA : T’as cru faux.<br />

AMÉLIE : Pourquoi ?<br />

MARIA : Parce que ton mascara est à chier et ton polo Vicomte A est à gerber.<br />

AMÉLIE : Pétasse.<br />

MARIA : Connasse.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent.<br />

JOCELYN : C’est bon ? Tu ne te sens pas pousser les canines, là ?<br />

ISADORA : Non je te rassure, je t’aime.<br />

Lumière sur Amélie et Eric.<br />

ÉRIC : Amélie ?<br />

AMÉLIE : Oui ?<br />

ÉRIC : Est-ce que ta mère te ferait une remarque si tu recevais un colis ?<br />

AMÉLIE explosant : T’as pas fait ça ?<br />

ÉRIC : Non mais j’aurais voulu le faire… avec ton autorisation.<br />

AMÉLIE : Tu me rassures ! J’ai le cœur qui bat encore la chamade.<br />

ÉRIC : Donc je suppose que je n’aurai pas ton autorisation.<br />

AMÉLIE : Tu supposes juste.<br />

ÉRIC : J’aurais voulu t’envoyer un cadeau pour tes 16 ans.<br />

AMÉLIE : Tu es gentil mais oublie !<br />

ÉRIC : Tu ne peux pas dire à ta mère que tu as gagné ce cadeau par un jeu sur Internet ?<br />

AMÉLIE : Non, elle sait même pas que je joue à des jeux sur Internet.<br />

ÉRIC : C’est l’occasion de le lui dire.<br />

AMÉLIE : Tu m’énerves ! Et d’ailleurs je n’aime pas mentir à ma mère comme ça.<br />

ÉRIC : Je te signale que tu le fais chaque semaine.<br />

AMÉLIE : Je t’emmerde !<br />

<strong>Isadora</strong> et Jocelyn desserrent leur étreinte et s’observent, surpris.<br />

ISADORA : Pardonne-moi, je ne voulais pas…<br />

JOCELYN : Ce n’est pas grave ma chère et tendre.<br />

Ils s’embrassent à nouveau.<br />

52


AMÉLIE : Pardonne-moi. Je comprends que tu veuilles me faire plaisir, mais tes cadeaux me<br />

foutraient plus dans le pétrin qu’autre chose.<br />

ÉRIC : Je t’en prie, sache que l'intention y était.<br />

AMÉLIE : Je te remercie.<br />

ÉRIC : On se retrouve à la rentrée ?<br />

AMÉLIE : Oui.<br />

ÉRIC : Je ne te force à rien.<br />

AMÉLIE : Je sais.<br />

ÉRIC : Et où vas-tu passer tes vacances ?<br />

AMÉLIE : Dans les Vosges en famille, et toi ?<br />

ÉRIC : Je vais m’embarquer dans un cargo de marchandises, pour le fun.<br />

AMÉLIE : Comme dans « Pirates des Caraïbes ». Allez, au revoir !<br />

ÉRIC : Au revoir ! Bon été et à la rentrée !<br />

<strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent. Brefs aperçus des étés respectifs d’Amélie et d’Eric. Lui<br />

avec un gilet de sauvetage en train de bouquiner. Elle sur un pré, avec sa mère qui lui fait des<br />

remarques et sa petite sœur.<br />

Rideau<br />

53


Acte 3 (2009-2010)<br />

Eric est devant son PC. Jocelyn attend Isa, un bouquet à la main. Apparaît Sutulle. Derrière<br />

elle se tient XXX.<br />

SUTULLE : Bonjour beau blond ! Tu m’attendais ?<br />

JOCELYN : Non, j’attendais mon Isa.<br />

SUTULLE : Et ce bouquet, il est pour elle ?<br />

JOCELYN : Oui, nous ne nous sommes pas vus de tout l’été.<br />

SUTULLE : Tu penses vraiment qu’elle est faite pour toi ?<br />

JOCELYN : Je le pense.<br />

SUTULLE : Mais tu ne la trouves pas un peu jeune ?<br />

JOCELYN : Du tout.<br />

XXX : 16 ans pour elle et 33 pour toi.<br />

ÉRIC : Il ne faut pas tout mélanger. Ce n’est qu’un jeu.<br />

SUTULLE : T’as raison beau blond. Et ça te dirait de jouer avec moi ?<br />

JOCELYN : Tout dépend de ce que tu entends par « jouer ».<br />

SUTULLE : Des jeux interdits.<br />

JOCELYN : Non merci, sans façon.<br />

Sutulle l’enlace.<br />

SUTULLE : Allez laisse-toi aller, fais pas ton bégueule. Je suis pas belle peut-être ?<br />

JOCELYN : Si si je t’assure.<br />

Il se dégage de son étreinte.<br />

SUTULLE : Alors quoi ? Je te plais pas ?<br />

JOCELYN : Oui tu me plais mais comprends que je suis pris.<br />

SUTULLE : Isa ? Elle en saura jamais rien.<br />

JOCELYN outré : Je ne peux pas lui faire ça.<br />

SUTULLE : Qu’est-ce que t’as à perdre ?<br />

JOCELYN : Son amour.<br />

SUTULLE : Son amour ? Et tu y tiens tant que ça ?<br />

JOCELYN : Sans doute, puisque je l’attends.<br />

SUTULLE : Qu’est-ce qu’elle t’apporte de si précieux, cette petite ?<br />

JOCELYN : Beaucoup de tendresse.<br />

SUTULLE : Et pour le sexe ?<br />

JOCELYN : Ça va bien merci.<br />

SUTULLE : Menteur !<br />

JOCELYN : Hein ?<br />

SUTULLE : Avec son vampirisme qui <strong>vous</strong> bloque sexuellement, c’est souvent ramadan.<br />

JOCELYN : Comment tu sais ça ?<br />

SUTULLE : Tous les Azincourtois en parlent.<br />

JOCELYN : Ils n’ont pas grand-chose d’intéressant à se raconter.<br />

SUTULLE : Mais moi, beau blond, moi je saurai te satisfaire comme tu le mérites !<br />

Elle prend des poses sensuelles.<br />

JOCELYN : Tu es bien gentille mais…<br />

Elle essaie de l’embrasser.<br />

SUTULLE : Celui-là il est pour toi, mon prince.<br />

JOCELYN se dérobant : Non ! Je ne veux pas !<br />

SUTULLE : Ne sois pas timide !<br />

JOCELYN : Je suis juste fidèle.<br />

SUTULLE : Laisse-moi t’apporter ce qu’Isa te refuse.<br />

JOCELYN : Je ne demande rien d’autre, je t’assure.<br />

54


SUTULLE : Tu es malheureux, je le sens.<br />

JOCELYN : C’est toi qui interprètes !<br />

SUTULLE : Allons ! Quels sont tes fantasmes qu’Isa ne peut assouvir ?<br />

JOCELYN se ravisant : Tu veux savoir ?<br />

SUTULLE : Oui !<br />

JOCELYN : Mets-toi debout, dos à moi, penche-toi en avant, relève ta robe, et là, tu sais ce<br />

que je vais faire ?<br />

SUTULLE s’exécutant : Non ?<br />

JOCELYN lui claque violemment les fesses : Te marquer le croupion, petite effrontée, pour<br />

t’apprendre que ni toi ni personne ne me séparera de mon Isa.<br />

SUTULLE d’un rire forcé : C’est ce que nous allons voir, beau blond.<br />

XXX : Oui, c’est ce que nous allons voir.<br />

Sutulle sort. Rentre <strong>Isadora</strong>.<br />

ISADORA : Mon amoureux !<br />

JOCELYN : Mon amoureuse !<br />

Il lui donne le bouquet. Ils s’embrassent.<br />

ISADORA : Comme l’été m’a paru long sans toi !<br />

JOCELYN : A moi aussi ! Quelle bénédiction que de te voir revenir avec l’automne.<br />

ISADORA : Comment vas-tu ?<br />

JOCELYN comme gêné : Je t’attendais, et tu sais quoi ?<br />

ISADORA : Non ?<br />

JOCELYN : Sutulle était ici<br />

ISADORA inquiète : Ah ?<br />

JOCELYN : Elle m’a dragué.<br />

ISADORA : Ah ?<br />

JOCELYN : Elle a prétendu que tu me laissais insatisfait.<br />

ISADORA : Ah ?<br />

JOCELYN : Elle a déclaré qu’elle s’offrait pour tous mes fantasmes.<br />

ISADORA : Ah ?<br />

JOCELYN : Alors je lui ai demandé de se retourner et de me présenter sa croupe.<br />

ISADORA : Ah ?<br />

JOCELYN : Et là je lui ai claqué les fesses et l’ai envoyé paître !<br />

ISADORA faisant semblant de s’emporter : Mais ça va pas de me faire peur comme ça ? J’ai<br />

cru que j’allais devoir faire un peu de boxe, moi ! T’es cinglé ma parole ? Tu me refais un<br />

coup comme ça et tu seras privé de… de… de…<br />

JOCELYN : De ?<br />

ISADORA : De gâteau au chocolat.<br />

JOCELYN : Très bien, je ferai attention.<br />

ISADORA : Et oui je sais, je suis parfaite !<br />

Ils s’embrassent. Lumière sur Amélie et Eric.<br />

ÉRIC : Tu as passé un bon été ?<br />

AMÉLIE : Bien, je te remercie, à part ma mère qui me gueulait dessus pour tout et pour rien,<br />

mais surtout pour rien.<br />

ÉRIC : Et la rentrée ?<br />

AMÉLIE : Nickel ! Je suis plus avec les mêmes pouffes que l’année dernière.<br />

ÉRIC : Et les garçons ?<br />

AMÉLIE : Rien à l’horizon. Tu vois la honte ? Célibataire à 16 ans.<br />

ÉRIC : Ce n’est pas du tout la honte, Amélie.<br />

AMÉLIE : Quand je pense que j’ai des copines qui couchent et que moi j’ai même pas le droit<br />

d’aller en boîte.<br />

55


ÉRIC : Laisse-les coucher, elles n’en sont pas plus heureuses, elles ont juste mal au cul après<br />

mais ça elles le disent pas.<br />

AMÉLIE : Mouais…<br />

ÉRIC : Tu as déjà vu ma photo, non ? Je ne suis pas si moche.<br />

AMÉLIE : Oui mais tu es trop vieux pour moi.<br />

ÉRIC : Toi aussi tu es trop jeune pour moi, ce n’est pas ça que je voulais dire.<br />

AMÉLIE : Oui, bon tu es très beau alors.<br />

ÉRIC : N’exagère pas non plus. Mais me trouves-tu quelque chose de repoussant ?<br />

AMÉLIE : Pas vraiment.<br />

ÉRIC : Sais-tu à quel âge j’ai eu ma première copine ?<br />

AMÉLIE : Non ?<br />

ÉRIC : 23 ans.<br />

AMÉLIE : C’est tard en effet.<br />

ÉRIC : Tu n’as pas envie de te moquer de moi ?<br />

AMÉLIE : Non, je te respecte trop.<br />

ÉRIC : Donc tu n’es pas en retard. Profite de la vie, tu as tout pour être heureuse.<br />

AMÉLIE : Si tu le dis. Mais ma mère n’arrête pas de m’enfoncer.<br />

ÉRIC : Ne te plains pas trop, tu pourrais avoir pire, comme parents.<br />

AMÉLIE : La semaine dernière, premier concours en extérieur du club hippique. Je me classe<br />

2 ème et 5 ème . Mon père me félicite, ma grande sœur et ma petite sœur aussi, même ma cousine<br />

et mon mono, et ma mère me claque « Tu pouvais faire mieux ».<br />

ÉRIC : Ne lui en veux pas pour ça. Elle ne veut pas trop te complimenter pour que tu gardes<br />

la tête froide et que tu t’améliores encore.<br />

AMÉLIE : Elle veut surtout pas que je ressemble à mes cousins.<br />

ÉRIC : Tes cousins ?<br />

AMÉLIE : Oui, elle vient d’une famille d’alcooliques et de cas sociaux. Je te raconte pas les<br />

réunions de famille.<br />

ÉRIC : Quel est son métier ?<br />

AMÉLIE : Institutrice.<br />

ÉRIC : Elle veut sortir de sa classe sociale, et t’en tirer par la même occasion. Cela explique<br />

sa sévérité.<br />

AMÉLIE : Je m’en fiche de comment ça s’explique ! Je veux qu’elle me foute la paix, ma<br />

mère qui m’engueule, ma mère qui me surveille, ma mère qui m’interdit tout…<br />

ÉRIC : Ta mère qui te paie ton équitation et qui repasse tes pantalons.<br />

AMÉLIE : Et que j’emmerde !<br />

ÉRIC : Amélie !<br />

AMÉLIE : Et là va falloir que je te laisse, les maths et la physique m’appellent.<br />

ÉRIC : Travaille bien !<br />

JOCELYN : Merci, mon amour, pour cet instant d’intimité partagée.<br />

ISADORA : Merci à toi pour ton écoute.<br />

Ils s’embrassent. Noir. Jocelyn est avec Smatch.<br />

SMATCH : C’est non ?<br />

JOCELYN : C’est non.<br />

SMATCH : Tu veux pas rejoindre mes soudards ?<br />

JOCELYN : J’ai d’autres projets.<br />

SMATCH : Avec <strong>Isadora</strong>.<br />

JOCELYN : En effet.<br />

SMATCH : Tu vas t’enterrer ici et mener une vie de petit bourgeois avec ta femme.<br />

JOCELYN : <strong>Le</strong> bonheur n’est jamais grandiose.<br />

SMATCH : Tu la supportes, la petite ?<br />

56


JOCELYN : Quelle question ! Bien sûr que oui ! Pourquoi, elle t’insupporte, à toi ?<br />

SMATCH : Elle est gentille, mais je la supporte pas dans sa manière d’être quand il y a trop<br />

de monde. Sa façon de vouloir se mettre en avant absolument, n’acceptant aucune remarque et<br />

devenant désagréable si jamais on la chatouille trop.<br />

ÉRIC : Elle est jeune.<br />

Entre Sutulle. XXX est derrière, dans l’ombre, avec son PC.<br />

SMATCH : Là je te laisse, en voilà une autre que je ne supporte pas.<br />

JOCELYN : Ça en fait beaucoup, dis donc !<br />

SMATCH : Méfie-toi, j’ai le flair. Celle-ci ne m’inspire pas confiance.<br />

Il sort.<br />

SUTULLE : Encore seul, beau blond ?<br />

JOCELYN : T’as pas eu ton compte, toi ?<br />

SUTULLE : Isa te délaisse encore ?<br />

JOCELYN : Elle a de bonnes raisons pour ce faire.<br />

SUTULLE : Il n’y a pas de bonne raison pour esquiver l'Amour. <strong>Le</strong> dieu d'Amour est un dieu<br />

vigilant.<br />

JOCELYN : Laisse tomber, tu me fatigues.<br />

SUTULLE : Au fait, ma réponse est non.<br />

JOCELYN : Je ne t’ai rien demandé.<br />

SUTULLE : Si, tu viens de me poser une question.<br />

JOCELYN : Laquelle ?<br />

SUTULLE : Si j’avais eu mon compte. La réponse est non.<br />

JOCELYN : Non ?<br />

SUTULLE : Non, j’en veux encore.<br />

JOCELYN : De quoi ?<br />

SUTULLE : Je veux que tu me marques le croupion.<br />

JOCELYN : Tu aimes ça ?<br />

SUTULLE : J’adore.<br />

JOCELYN : Tu plaisantes ?<br />

SUTULLE : Non je ne plaisante pas. Viens, traite-moi comme la dernière des chiennes !<br />

Frappe-moi au sang ! Fouette-moi ! Oblige-moi à faire des choses ! Rappelle-moi que je suis<br />

une femme soumise et obéissante !<br />

JOCELYN gêné : Mais… je ne sais pas si c’est le moment et l’endroit pour…<br />

SUTULLE lui tendant un fouet : C’est toujours le moment avec toi. Vas-y, je sens que tu<br />

aimes ça, et moi j’adore.<br />

JOCELYN prenant le fouet : Mais envers Isa ce n’est pas…<br />

SUTULLE : Isa n’en saura rien ! Frappe-moi comme tu sais si bien le faire !<br />

JOCELYN : J’aurais mauvaise conscience !<br />

SUTULLE : Oublie ta bonne conscience ! Il n’y a rien de malsain puisque nous sommes tous<br />

deux consentants ! C’est pour vivre nos fantasmes que nous sommes ici !<br />

JOCELYN : Bon ben… si tu le dis. Enlève ta robe !<br />

SUTULLE feignant l’excitation : Oh oui oh oui ! Si tu savais comme tu m’excites !<br />

Continue !<br />

JOCELYN : Je t’ai donné un ordre.<br />

SUTULLE enlevant sa robe : J’ai le clito qui frétille quand on me parle comme ça !<br />

JOCELYN : Tourne-toi !<br />

SUTULLE s’exécutant : Sans compter que je mouille de partout.<br />

JOCELYN : Mets tes mains sur la tête !<br />

SUTULLE s’exécutant : Ah comme tu sais parler aux femmes, toi !<br />

JOCELYN : Dans un instant, tu ne parleras plus aussi aisément !<br />

57


SUTULLE : Fais-moi crier ! Vas-y ! Fais-moi mal Johnny !<br />

JOCELYN la fouettant très sérieusement : Tiens ! Prends ça ! Prends ça ! Et ne t’avise pas de<br />

te dérober ! Tiens, les chevilles, là, danse un peu ! Et les jambes ! Et les fesses ! Et le dos !<br />

XXX : Printscreen, printscreen, printscreen.<br />

SUTULLE : Et la tête alouette.<br />

JOCELYN : C’est que tu t’avises d’être insolente !<br />

SUTULLE : T’as encore rien vu !<br />

JOCELYN : Attends que je te termine !<br />

SUTULLE : Tu ne m’as même pas commencée. Et à ta place, je me méfierais.<br />

JOCELYN s’arrêtant : Pourquoi ?<br />

XXX : Parce que j’ai effectué un copyscreen de tous tes exploits et que j’ai tout le matos en<br />

main pour porter plainte. T’es pas dans la merde, petit.<br />

JOCELYN et ÉRIC simultanément : Merde !<br />

JOCELYN : Non, attends, arrête.<br />

SUTULLE : On se reverra devant les tribunaux, beau blond.<br />

Elle disparaît. Jocelyn et Éric se prennent simultanément la tête à deux mains. Noir. Jocelyn<br />

est au centre, cloué à un pilori. <strong>Le</strong>van, juge d'Artois, prononce son verdict devant tous les<br />

Azincourtois réunis, notamment <strong>Isadora</strong>, Charles, Smatch, Sutulle, Wolfy.<br />

LEVAN : En vertu des droits qui me sont conférés par notre empereur, en vertu de la plainte<br />

déposée par dame…<br />

SUTULLE : Sutulle.<br />

LEVAN : Sutulle, ainsi qu’en vertu des preuves indiscutables fournies par elle, accusons le<br />

sieur Jocelyn ici présent de coups et blessures volontaires, de trouble à l’ordre public, de<br />

pratiques sadomasochistes proscrites dans les Empires Renaissants, et le condamnons à 200<br />

écus d’amende ainsi qu’à une semaine d’exposition publique au pilori. J’ai dit.<br />

SUTULLE applaudissant : Bravo Votre Honneur, bravo !<br />

<strong>Le</strong>s autres restent stoïques. <strong>Le</strong>van se retire.<br />

ISADORA : Bravo, alors là bravo, en effet.<br />

AMÉLIE : <strong>Le</strong> salaud ! <strong>Le</strong> pervers ! L’obsédé !<br />

JOCELYN : Isa, laisse-moi t’expliquer, je…<br />

ISADORA : N’essaie pas de te justifier.<br />

ÉRIC : Et elle est rancunière, hélas.<br />

JOCELYN : J’ai été bêtement piégé, Isa, ça ne change rien à mes sentiments.<br />

ISADORA : Ose parler de sentiment ! Tu cachais bien ton jeu ! Tu fais les jolis cœurs, le gros<br />

romantique, et à la première occasion, paf ! Du n’importe quoi !<br />

SUTULLE avec la voix de XXX : Ah oui, <strong>vous</strong> qui vouliez paraître inoffensif et amical, <strong>vous</strong><br />

le trentenaire lisse, le grand frère, le confident, elle <strong>vous</strong> a percé, sous votre masque !<br />

JOCELYN : Que… qui parle ainsi ?<br />

ÉRIC : Elle mélange le réel et le virtuel, cette Sutulle.<br />

JOCELYN : Isa, je t’en supplie.<br />

ISADORA s’éloignant : Supplie en vain et pleure.<br />

SMATCH s’approchant de Jocelyn : Je t’avais bien dit de te méfier ! Enfin… te bile pas pour<br />

si peu, tant pis pour elle si elle s’effarouche pour une simple séance de SM. Laisse-la tomber<br />

et dès que tu seras sorti de ce carcan, au propre comme au figuré, viens sur les routes avec<br />

moi.<br />

JOCELYN : Mais je… mais je l’aime.<br />

SUTULLE avec la voix de XXX : C’est curieux comme il y tient, à cette ado.<br />

AMÉLIE : Hey, sur le jeu je suis pas censée être une ado.<br />

CHARLES s’approchant d'Isa : Ne sois pas trop dure, sœurette, il a juste eu un moment<br />

d’égarement, et puis ce n’était pas strictement de l’infidélité.<br />

58


ISADORA explosant : Non, c’est de la perversion ! C’est pire !<br />

CHARLES revenant vers Jocelyn : Laisse passer l’orage, elle te reviendra.<br />

JOCELYN : J’en doute, elle est rancunière.<br />

SUTULLE avec la voix de XXX : C’est qu’il la connaît bien, en plus.<br />

ISADORA : Smatch ! Charles ! Sortez ! Laissez-moi régler mes comptes !<br />

SMATCH : Avec plaisir, je t’ai assez entendue aujourd’hui.<br />

CHARLES : Laissons le couple se raccommoder, ce ne sera pas long, les connaissant.<br />

SUTULLE : Laissez-moi <strong>vous</strong> accompagner, je ne resterai pas un instant de plus en présence<br />

de ce monstre, entravé ou pas.<br />

Smatch, Charles et Sutulle sortent. Wolfy va pour les suivre, mais Isa le retient.<br />

ISADORA : Dis-moi beau brun, tu fouettes les femmes, toi ?<br />

WOLFY : Moi ? Non ?<br />

ISADORA : A la bonne heure, voilà un type normal.<br />

WOLFY : Mais je suis tout sauf normal.<br />

ISADORA : Au moins tu n’es pas un pervers sado-maso, comme d’autres.<br />

JOCELYN : Isa…<br />

ISADORA prenant Wolfy par le bras : Et toi au moins t’es brun, pas comme d’autres.<br />

WOLFY : Je sais, je séduis toutes les femmes.<br />

ISADORA : Toi au moins tu m’as séduite, pas comme d’autres qui m’ont dégoûtée.<br />

WOLFY : Laisse-moi te faire oublier ces méchants.<br />

ISADORA : Embrasse-moi veux-tu ?<br />

WOLFY : De bon cœur.<br />

Wolfy embrasse <strong>Isadora</strong> sous l’œil choqué de Jocelyn impuissant.<br />

ISADORA prenant la voix d’Amélie : Tu as quel âge dans la vie réelle ?<br />

WOLFY : 15 ans.<br />

ISADORA même jeu : 15 ans ? C’est parfait.<br />

XXX : Ça va la changer des trentenaires célibataires qui fantasment, non ?<br />

ÉRIC : Mais qui… qui parle ?<br />

ISADORA même jeu : J’ai une mère chiante et je voudrais bien quitter la maison. Voudrais-tu<br />

m’épouser pour de vrai ?<br />

WOLFY : Heu… je ne suis pas certain que…<br />

ISADORA même jeu : Je me sens si seule, mes copines me traitent de gamine parce que je<br />

n’ai pas le droit de sortir. Mais je m’entends bien avec les mecs.<br />

WOLFY : Et réciproquement je suppose.<br />

ISADORA même jeu : Tu habites où dans la vie réelle ?<br />

WOLFY : En Belgique.<br />

ISADORA même jeu : C’est pas loin de chez moi ! Je suis Picarde ! Viens me chercher dans<br />

ma ville, et emmène-moi fuguer, ça va faire criser ma mère !<br />

XXX : T’aurais bien voulu qu’elle demande ça à toi, non ?<br />

ÉRIC : Il commence à m’énerver celui-là !<br />

WOLFY : Holà doucement. Pour l’instant je te propose autre chose !<br />

ISADORA reprenant sa voix normale : Oh oui ! Quoi donc ?<br />

WOLFY : On va fuguer sur le jeu, ce sera un beau commencement.<br />

ISADORA : Quelle bonne idée ! Je commençais justement à étouffer, ici !<br />

WOLFY : Je t’emmène à Bertincourt pour une torride lune de miel.<br />

ISADORA : Oh oui ! Et puis on refera notre vie là-bas !<br />

WOLFY : Et nous serons heureux.<br />

ISADORA l’embrassant : Avec beaucoup d’enfants !<br />

JOCELYN : Isa…<br />

59


AMÉLIE : T’as tout vu, tout entendu, j’espère que tu souffres. Je te dis adieu, reste à tes<br />

fantasmes, moi je me barre et je t’embrasse pas, hein, tu comprendras pourquoi.<br />

WOLFY : Désolé Joce, mais sois certain que je saurai m’en occuper, de ton Isa.<br />

<strong>Isadora</strong> et Wolfy sortent en se bécotant. Jocelyn reste seul. Eric paraît triste.<br />

XXX : C’est vraiment pas de chance.<br />

ÉRIC : Mais qui êtes-<strong>vous</strong> enfin ?<br />

XXX : <strong>Le</strong> justicier masqué.<br />

ÉRIC : Et quel compte comptez-<strong>vous</strong> régler ?<br />

XXX : <strong>Le</strong> vôtre.<br />

ÉRIC : <strong>Le</strong> mien ? Pour quelle raison ?<br />

XXX : Vous draguez les ados sur le Net.<br />

ÉRIC : C’est <strong>vous</strong> qui interprétez. Je ne drague pas du tout la personne qui joue <strong>Isadora</strong>.<br />

XXX : Alors que font ses photos personnelles sur votre disque dur ?<br />

ÉRIC surpris : Elles sont prélevées depuis son blog, rien d'illégal.<br />

XXX : En faites-<strong>vous</strong> le même usage que vos vidéos d’éducation anglaise ?<br />

ÉRIC vraiment frappé : Ne… ne mélangez pas tout.<br />

XXX : Vous êtes un vilain tonton fesseur et <strong>vous</strong> rêvez de rougir le popotin de vos petites<br />

élèves en fleur, n’est-ce pas ?<br />

ÉRIC : Vous savez que…<br />

XXX : Et vos directrices, Mesdames Vergères et Mariéthoz, seraient ravies de connaître votre<br />

conception de l’éducation des jeunes filles.<br />

ÉRIC effondré : Arrêtez.<br />

XXX : Et si les parents d'élèves savaient que <strong>vous</strong> menez en bateau sur le Net une charmante<br />

enfant qui n’a pas 18 printemps ?<br />

ÉRIC : Je… je ne la mène pas en bateau. Elle connaît mon âge, je ne lui cache rien.<br />

XXX : Vous lui aviez caché votre fantasme, et j’ai été assez habile pour le révéler.<br />

ÉRIC : Vous êtes surtout habile pour hacker les PC des autres joueurs, apparemment.<br />

XXX : Pitoyable Arnolphe !<br />

ÉRIC : Ne dites pas ça ! Je n’ai jamais eu l'intention de la rencontrer. Je mène une vie<br />

parfaitement rangée.<br />

XXX : C’est ça, <strong>vous</strong> <strong>vous</strong> engoncez dans une respectabilité bourgeoise qui sauve les<br />

apparences, mais une fois chez <strong>vous</strong>, seul dans votre petit studio <strong>vous</strong> embobinez les mineures<br />

depuis votre PC.<br />

ÉRIC : Pensez ce que <strong>vous</strong> voulez.<br />

XXX : Je ne me contente pas de penser, je fais. Si par malheur Isa, ou plutôt Amélie, commet<br />

l’erreur de <strong>vous</strong> revenir, je viendrai, moi, <strong>vous</strong> rendre une petite visite au volant de mon van<br />

aux vitres teintées, et non sans m’être muni dans une armurerie de Genève de quelques<br />

ustensiles dont le port à la frontière est prohibé. Je frapperai au 16 avenue Hermann-Geiger,<br />

1950 Sion, Suisse.<br />

ÉRIC s’emportant : Espèce de sale malhonnête ! Tu ne vas pas m’impressionner en citant ces<br />

renseignements ! Tu n’es qu’un no-life qui pourris la vie des autres !<br />

XXX : On est fâché ? On me tutoie alors qu’on n’a pas gardé les cochons ensemble ? On chie<br />

de trouille c’est ça ? Je le sens !<br />

ÉRIC : Va te faire voir.<br />

Noir. Amélie et Thierry sont ensemble.<br />

THIERRY : Qu’est-ce qu’il se passe, Amélie ? T’as pas l’air jouasse ?<br />

AMÉLIE : Rien, Thierry, rien.<br />

THIERRY : C’est à cause de Florian, c’est ça ?<br />

AMÉLIE : Non non, c’est pas ça.<br />

THIERRY : C’est Rachel qui te fait des misères ? Je ne l’aime plus pourtant.<br />

60


AMÉLIE : Non non, je ne la vois plus, Rachel.<br />

THIERRY : C’est moi ?<br />

AMÉLIE : Même pas.<br />

THIERRY : Alors quoi ?<br />

AMÉLIE : Laisse tomber, tu peux pas comprendre.<br />

THIERRY : C’est encore un ami qui t’a trahie ?<br />

AMÉLIE : Oui… si on veut… Mais ne cherche pas à en savoir plus.<br />

THIERRY : Toi, avec tes petits secrets…<br />

AMÉLIE : Je sais, je suis une grosse pénible et j’énerve tout le monde.<br />

THIERRY : Pour te changer les idées, je te propose un jeu sur Internet.<br />

AMÉLIE : Ah non ! On ne m’y reprendra plus !<br />

THIERRY : Si je t’emmenais au cinéma voir « Kick Ass » ? Je pense que tu aimeras.<br />

AMÉLIE retrouvant le sourire : T’es un vrai pote, Thierry.<br />

Noir. Eric et Pascal.<br />

PASCAL : T’en tires une tête, Eric.<br />

ÉRIC : Vraiment ?<br />

PASCAL : Une histoire de cœur ?<br />

ÉRIC : Non puisque j’ai arrêté de chercher.<br />

PASCAL : Quoi d’autre ?<br />

ÉRIC : Rien qu’un menu souci.<br />

PASCAL : Vu la gueule que tu pousses, c’est plutôt toute la carte que le menu.<br />

ÉRIC : Je m’adresse au diététicien.<br />

PASCAL : Vas-y.<br />

ÉRIC : Juridiquement, je peux faire quoi si un type, depuis un jeu, réussit à investir mon<br />

disque dur et à me harceler, me menacer en se servant des informations qu’il y a recueillies ?<br />

PASCAL : Est-ce que par hasard ça aurait quelque chose à voir avec la question de juste pour<br />

savoir, comme ça, théoriquement, juste pour la culture générale et que ça te concerne pas du<br />

tout de chez pas du tout, que c’est pas légalement répréhensible d’avoir des rapports sexuels<br />

virtuels avec une mineure sur Internet, par personnages interposés dans un jeu ?<br />

ÉRIC : Ah non rien à voir.<br />

PASCAL : Je t’avais dit d’être prudent.<br />

ÉRIC : Alors ?<br />

PASCAL : Fais scanner ton disque dur et informe la police cantonale de toutes les<br />

cochonneries que tu as pu y trouver.<br />

ÉRIC : Merci, vieux. Et les amours ?<br />

PASCAL : Je sors avec Anne.<br />

ÉRIC surpris : Je pensais qu’elle craignait les garçons.<br />

PASCAL : Il faut croire que j’ai su la rassurer.<br />

ÉRIC : Oui, un avocat à plein temps c’est plus rassurant qu’un prof à 40%.<br />

PASCAL : Dis pas ça, elle est prof à 40%.<br />

ÉRIC : Justement, à ce taux il lui faut un avocat.<br />

Noir. <strong>Le</strong>van prononce une autre sentence. <strong>Isadora</strong>, visiblement blessée, est soignée par<br />

Charles. Smatch observe la scène.<br />

LEVAN : En vertu des droits qui me sont conférés par notre empereur, en vertu de la plainte<br />

déposée par dame…<br />

CHARLES : <strong>Isadora</strong>, Votre Honneur.<br />

LEVAN : <strong>Isadora</strong>, ainsi qu’en vertu des preuves indiscutables fournies par elle, accusons le<br />

sieur Wolfy d’agression volontaire, de vol et de viol sur la personne de la plaignante, les faits<br />

ayant eu lieu sur la route reliant Azincourt à Bertincourt, où l’accusé avait attiré la victime,<br />

61


sous prétexte de l’emmener vivre en la ville de Bertincourt. Nous le condamnons à 500 écus<br />

d’amende, à un mois de prison ferme ainsi qu’à son bannissement à vie du territoire artésien.<br />

CHARLES : Bravo Votre Honneur, bravo !<br />

SMATCH : Oui, c’est un point positif de l’affaire : on est débarrassés de ce triste sire.<br />

CHARLES : Isa, je peux pas tourner le dos sans que tu fasses des bêtises ! Tout le monde<br />

t’avait mis en garde au sujet de ce brigand ! Que ça te serve de leçon ! J’espère que pour cette<br />

fois, Isa, t’auras compris que les mauvaises fréquentations, ça se solde pas toujours par<br />

quelques coups de cuillère sur les doigts, hein ? Sans compter que tu as brisé le cœur de ce<br />

pauvre Jocelyn.<br />

ISADORA : Tu sais aussi bien que moi ce qu’il a fait.<br />

CHARLES : Lui aussi le sait et le regrette amèrement. Tout comme toi, il s’est fait piéger.<br />

SMATCH : D’ailleurs, elle est devenue quoi, l’autre fondasse ?<br />

LEVAN : Je n’avais pas terminé.<br />

CHARLES : Continuez, votre Honneur.<br />

LEVAN : Toujours en vertu des droits qui me sont conférés par notre empereur, en vertu de la<br />

plainte déposée notamment par sieur Jocelyn…<br />

CHARLES : Notamment ?<br />

LEVAN : Ainsi qu’en vertu des preuves indiscutables fournies par lui, reconnaissons dame<br />

Sutulle coupable de sorcellerie au dernier degré.<br />

CHARLES : Au dernier degré ?<br />

SMATCH prenant une autre voix : Oui, j’en ai parlé avec Jocelyn. En fait, c’est un hacker qui<br />

a piraté son disque dur et qui a commencé à le menacer HRP en se servant des informations<br />

trouvées sur son PC.<br />

CHARLES : Ça fait peur, ça.<br />

SMATCH : Je me disais que ça sentait le soufre.<br />

LEVAN : Laissez-moi continuer.<br />

CHARLES : Je <strong>vous</strong> en prie, Votre Honneur.<br />

LEVAN : Nous avons donc éradiqué définitivement son compte des Empires Renaissants.<br />

CHARLES : Ah bravo ! Bravo !<br />

LEVAN : Voilà j’ai fini.<br />

Il se retire. Apparaît Jocelyn.<br />

CHARLES : Bien joué Joce !<br />

Apparaît Sutulle, avec XXX en arrière-plan.<br />

SUTULLE avec la voix de XXX : Ah mais non, mal joué ! Très mal joué ! On ne se débarrasse<br />

pas de moi comme ça ! Je me suis déjà réinscrit sous un autre pseudo ! Alors ? On a été<br />

raconter à papa – maman ses misères et on a osé m’éradiquer alors que j’allais passer au<br />

niveau 3 ? Ça ne se passera pas comme ça ! J’arrive ! Vous entendez ? J’arrive ! Isa, ou plutôt<br />

Amélie, je vais t’enlever !<br />

ISADORA se levant et parlant avec la voix d’Amélie : Monsieur Sutulle !<br />

SUTULLE : Plaît-il ?<br />

ISADORA même jeu : Monsieur Sutulle, ou qui que <strong>vous</strong> soyez, votre petit jeu a assez duré.<br />

SUTULLE : Ce n’est pas un petit jeu, il va y avoir meurtre.<br />

ISADORA même jeu : Que <strong>vous</strong> nous pourrissiez la vie de votre stupidité, passe encore, mais<br />

que <strong>vous</strong> profériez des menaces réelles, je dis non. Vous savez que ce genre d’attitude est<br />

pénalement répréhensible, et ce quelle que soit votre nationalité.<br />

SUTULLE : Vous ne la connaissez même pas ! Je <strong>vous</strong> fais peur n’est-ce pas ?<br />

ISADORA même jeu : En tant qu’informaticien émérite, <strong>vous</strong> savez qu’en y mettant le temps<br />

et le prix, il est possible de cerner votre identité, même si <strong>vous</strong> utilisez des proxys ou des<br />

adresses IP d’autres personnes. Sutulle se tait. Sachez donc que si <strong>vous</strong> poursuivez vos<br />

menaces envers Jocelyn, ou envers qui que soit d’autre, j’encouragerai cette personne à porter<br />

62


plainte, mais pas dans le jeu cette fois, dans la réalité, afin de <strong>vous</strong> faire cesser vos<br />

agissements nauséabonds.<br />

XXX : Espèces de petits bourgeois prétentieux ! Je <strong>vous</strong> retrouverai !<br />

Sutulle et XXX disparaissent.<br />

CHARLES : Il a terminé de nous chercher en tout cas. Quel malade.<br />

SMATCH à Isa : Une véritable Hit Girl !<br />

ISADORA reprenant sa voix normale : Que veux-tu je me débrouille bien quand il faut.<br />

CHARLES : Nous allons laisser les tourtereaux ensemble, je crois qu’ils ont bien des choses à<br />

se dire. A Jocelyn. Je te l’ai pansée comme il faut. Elle est à toi mais vas-y mollo !<br />

SMATCH : Allons en taverne, ça m’a donné soif, cette histoire.<br />

Charles et Smatch sortent. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn restent seuls.<br />

JOCELYN : Tu as quelque chose à me dire ?<br />

ISADORA : D’abord arrête de me parler comme si on faisait chambre à part.<br />

JOCELYN : Tu m’en veux ?<br />

ISADORA : J’ai surtout réalisé que j’y suis allée un peu, voire carrément trop loin.<br />

JOCELYN : Ça ne t’a pas porté bonheur.<br />

ISADORA : En effet, et je m’excuse d’avoir autant poussé le bouchon. Ne pars pas.<br />

JOCELYN : C’est drôle, c’est ce que j’allais te demander.<br />

ISADORA : Tu sais… Charles me répète que j’ai un mari parfait, une vie qui ne peut qu’être<br />

parfaite et que tout ce que je fais, c’est emmerder le monde.<br />

JOCELYN : Charles te dit ça ?<br />

ISADORA : Mais moi, cette vie parfaite, je ne l’ai jamais souhaitée, ça m’est tombé dessus<br />

comme ça, c’est tout.<br />

JOCELYN : Rien ne te force à rester avec moi.<br />

ISADORA : Laisse-moi finir s’il te plaît.<br />

JOCELYN : Très bien, excuse-moi, mon Isa.<br />

ISADORA : Et maintenant, je dois porter ce poids sur mes épaules, celui d’être une femme<br />

parfaite, à l’image de la perfection de ce couple, de cette vie, de tout ça. Un temps. Et moi…<br />

c’est trop pour moi. Un temps. S’il n’y avait pas tous les autres autour de nous pour toujours<br />

m’enfoncer, me dire la conduite que je dois adopter, me réprimander… Ou se moquer parce<br />

que je joue les vampirettes et que ça a pas grand effet. Tout ce que j’arrive à faire maintenant,<br />

c’est me rebeller pour montrer que je peux agir par moi-même. Un temps. Mais ça ne suffit<br />

pas. Je monte sur mes grands chevaux, je pars avec Wolfy et je m’en prends plein la gueule<br />

pour rien… Smatch n’arrête pas de me traiter de pétasse prétentieuse. Tout ce que réussit à<br />

dire Charles, c’est que je suis vraiment affreuse avec toi.<br />

Un temps. Jocelyn lui prend les mains. La tirade passe imperceptiblement de la bouche<br />

d’<strong>Isadora</strong> à celle d’Amélie.<br />

AMÉLIE : Et moi… je sais que tout ce que je fais, ce n’est pas bien, mais vu que je ne peux<br />

rien faire, c’est la seule manière de leur montrer que j’existe.<br />

Elle se tait et <strong>Isadora</strong> se met à sangloter. Jocelyn lui essuie les yeux.<br />

JOCELYN : Je t’aime Isa, et tu le sais. Je t’aime comme tu es. <strong>Isadora</strong> et Amélie sourient.<br />

Ah ? Tu souris ! C’est le premier rayon de soleil après la pluie ! Moi, je te connais, et je sais<br />

que tu es nantie d’un bon fond, même si tu ne veux pas le reconnaître. Tu te montres si<br />

adorable quand tu le veux. Un temps. Dans ces moments, je me dis que j’ai bien de la chance<br />

d’être avec toi, que tu es le plus merveilleux cadeau que la vie m’ait offert.<br />

La tirade passe imperceptiblement de la bouche de Jocelyn à celle d’Eric.<br />

ÉRIC : J’ai compris que quand tu te montres désagréable, c’est surtout toi qui souffres, parce<br />

que tu manques de confiance en toi.<br />

JOCELYN : Tu n’as pas à être une femme parfaite. Je suis loin d’être un homme parfait, moi,<br />

tu l’as vu. Sois toi-même, je t’apprécie telle que tu es.<br />

63


ISADORA : Et les autres ?<br />

JOCELYN : <strong>Le</strong>s autres ? Laisse-les dire et penser ce qu’ils veulent. Nous nous suffisons à<br />

nous-mêmes. Mais ne prends plus d’amants, ça me rend trop triste.<br />

ISADORA : Je n’en serai plus capable, surtout après ce qui m’est arrivé.<br />

JOCELYN : Tu es si belle, si drôle, si spontanée, alors il est normal que tu attises les<br />

convoitises des autres mâles.<br />

ISADORA : Tu es chou.<br />

JOCELYN : Et je te demande pardon pour ce que j’ai fait. C’était inacceptable.<br />

ISADORA : C’est déjà pardonné.<br />

ÉRIC : De plus, à présent que je suis conscient de l’option « copyscreen », tu peux être<br />

certaine que je me tiendrai toujours à carreau quoi qu’il advienne.<br />

ISADORA : Prends-moi plutôt dans mes bras !<br />

Ils s’embrassent.<br />

ÉRIC : Je me sens plus surveillé sur Internet que par toutes les vidéocaméras du monde. C’est<br />

marrant, je risque moins de faire le con dans le virtuel que dans le réel.<br />

AMÉLIE : Parce que dans le réel, tu te permets des trucs comme ce que t’as fait, toi ?<br />

ÉRIC : Heu, joker.<br />

AMÉLIE : OK, comme pour la taille de mon soutif alors.<br />

Ils rient.<br />

JOCELYN : Nous allons pouvoir dire à Charles que nous sommes réconciliés.<br />

ISADORA : Et même davantage.<br />

JOCELYN : Davantage ?<br />

ISADORA : Tu sais qu’il vient d’être sacré prêtre.<br />

JOCELYN : Ah ?<br />

ISADORA : On va carrément pouvoir lui demander de nous marier.<br />

JOCELYN : De tout cœur mon Amour.<br />

Ils s’embrassent. Noir. Luc et Eric.<br />

LUC : Tu tires ta tête des grands jours ! Tu as conclu avec Sandrine ?<br />

ÉRIC : Ah non, celle-la tu l’oublies et je te remercie de ne plus me présenter des cas sociaux.<br />

LUC : Pourtant je <strong>vous</strong> aurais bien vus ensemble.<br />

ÉRIC : En rêve seulement.<br />

LUC : Dommage.<br />

ÉRIC : Et ça me va bien comme ça.<br />

LUC : Tu souris quand même ?<br />

ÉRIC : Je me réjouis surtout des vacances.<br />

LUC : Ah ouais, j’oubliais que tu es prof.<br />

Noir. Amélie et Florent.<br />

FLORENT : T’as le sourire jusqu’aux oreilles, ce matin, Amélie.<br />

AMÉLIE : Et ça déchire ma gueule en deux c’est ça ?<br />

FLORENT : Non pas du tout, c’est chouette de te voir comme ça.<br />

AMÉLIE : Merci bien.<br />

FLORENT : Surtout que tu paraissais tirer la tête, ces derniers jours. Thierry était tout inquiet.<br />

AMÉLIE : Il a su me remonter le moral.<br />

FLORENT : Ça sent le petit copain, ça.<br />

AMÉLIE : Ça se pourrait, ça !<br />

FLORENT : Tu te maries quand ?<br />

AMÉLIE : Ce samedi.<br />

FLORENT : C’est ça !<br />

AMÉLIE : Et pourtant c’est vrai quelque part, mais t’en sauras pas plus, grand dadais !<br />

FLORENT : Et ta mère est au courant ?<br />

64


AMÉLIE : Sois gentil, arrête de me parler d’elle, ça me fatigue.<br />

Noir. <strong>Le</strong> mariage d’<strong>Isadora</strong> et de Jocelyn. Ils sont côte à côte, face à l’autel, tandis que<br />

Charles officie et que tous les Azincourtois disponibles assistent à la cérémonie.<br />

CHARLES : Mes chers amis et concitoyens, bienvenue à <strong>vous</strong> tous. Nous sommes<br />

aujourd’hui réunis en ce lieu saint pour célébrer l’union de deux âmes, pour <strong>vous</strong> unir, toi<br />

Jocelyn, et toi <strong>Isadora</strong>, devant le Très Haut. Oui, enfin ce grand jour est arrivé ! Qui ici à<br />

Azincourt ne connaît pas ce couple magnifique ? Qui n’a pas connu l'amour incroyable de ces<br />

deux tourtereaux ? Qui n’a pas suivi les péripéties de leur si belle histoire ? Et surtout qui ne<br />

s’est pas demandé un jour : « Mais est-ce qu’ils vont enfin se décider, ceux-là ? Qu’est-ce<br />

qu’ils attendent ? <strong>Le</strong> Déluge ? » Et bien, ce fameux jour tant attendu est enfin arrivé, car forts<br />

de leur amour, de leur confiance mutuelle, de leur tendresse partagée, ils ont enfin décidé de<br />

franchir ce pas important. C’est une grande joie pour moi, un bonheur intense que de pouvoir<br />

<strong>vous</strong> donner, à toi Jocelyn, et à toi <strong>Isadora</strong>, le sacrement du mariage sous l'aile et la<br />

bénédiction d’Aristote. Aujourd’hui, je marie ma sœur de cœur à mon meilleur ami. Bas à<br />

<strong>Isadora</strong>. Je t’avais dit d’être belle à ressusciter les morts... mais là j’ai peur que tu ne rendes<br />

vie aux statues de l’Eglise, ma jolie. Tu t’es surpassée... Splendide ! Si c’est pas la preuve que<br />

tu rêvais de cet instant… Et tiens-toi droite. Haut. Dans le Livre des Vertus, chapitre de la<br />

Création, il nous est dit : « Lorsque deux êtres s’aiment d'un amour pur et qu’ils souhaitent<br />

perpétuer notre espèce par la procréation, Dieu leur permet, par le sacrement du mariage, de<br />

vivre leur amour. Cet amour si pur, vécu dans la Vertu, glorifie Dieu, parce qu’il est Amour et<br />

que l’Amour que les humains partagent est le plus bel hommage qui puisse lui être fait. Mais,<br />

comme le baptême, le mariage est un engagement à vie. » Retenez bien ces mots, toi Jocelyn,<br />

et toi <strong>Isadora</strong>, et prenez bien conscience qu’en <strong>vous</strong> unissant l’un à l’autre devant Dieu, <strong>vous</strong><br />

<strong>vous</strong> engagez à vivre dans la vertu, en suivant le chemin tracé par Aristote et ceci pour toute<br />

votre vie.<br />

OLIBRIUS : C’est qui Aristote ?<br />

SMATCH : C’est le prophète de l’Eglise aristotélicienne.<br />

OLIBRIUS : Et c’est quoi l’Eglise aristotélicienne ?<br />

SMATCH : C'est l’Eglise officielle des Empires Renaissants.<br />

CHARLES : <strong>Le</strong> mariage suppose que les deux époux s’engagent l’un envers l’autre librement<br />

et sans contrainte, qu’ils se promettent amour mutuel et respect pour toute leur vie, qu’ils<br />

accueillent les enfants que Dieu leur donnera, et les éduquent dans le Bien et la Vertu. Se<br />

tournant vers Jocelyn. Jocelyn, veux-tu prendre pour épouse <strong>Isadora</strong>, dans la sainteté et la<br />

confiance, pour vivre avec elle dans l’amour de chaque jour ? Veux-tu faire dépendre ton<br />

bonheur de son bonheur et donner par l’exemple de votre union un signe visible de l'Amour<br />

Divin sur terre ? Bas à Jocelyn. Attention, j’ai mon épée à portée de main, fais pas le mariole.<br />

JOCELYN : Oui je le veux.<br />

CHARLES bas : Et d’un ! Haut à <strong>Isadora</strong>. Et toi <strong>Isadora</strong>, veux-tu prendre pour époux<br />

Jocelyn, dans la sainteté et la confiance, pour vivre avec lui dans l’amour de chaque jour ?<br />

Veux-tu faire dépendre ton bonheur de son bonheur et donner par l’exemple de votre union un<br />

signe visible de l'Amour Divin sur terre ?<br />

ISADORA : Oui je le veux.<br />

OLIBRIUS : Ça rapporte des points, le mariage ?<br />

SMATCH : Non c’est purement pour le rp.<br />

OLIBRUS : Ça sert à rien alors.<br />

SMATCH : Pour les tamagos comme toi, non.<br />

CHARLES : <strong>Le</strong>s consentements furent donnés, et nous l’avons entendu. Aujourd’hui, l’amour<br />

a atteint son but ! Maintenant, que les mauvaises langues s’étouffent, que les envieux se<br />

nouent dans leur fiel, et que flétrisse le cœur de quiconque complotera contre ce bonheur<br />

divin. Car en ce jour, je scelle cette alliance et je sanctifie cette union. Au nom du Très Haut,<br />

65


d’Aristote, de tous les Archanges et de tous les Saints, je <strong>vous</strong> déclare mari et femme !<br />

Répandez vos vœux de bonheur et de prospérité, faites pleuvoir les fleurs et les prières sur<br />

leurs têtes, que l’amitié se déroule comme un tapis sous les pas de l'amour... Allez en paix<br />

mes amis ! Vive les mariés !<br />

TOUS : Vive les mariés !<br />

JOCELYN à <strong>Isadora</strong> : N’aie pas peur, mon aimée. Je suis là et je m’occupe de tout. Sois<br />

rassurée, nous avons désormais toute la vie pour nous aimer. Rien ne pourra t’arriver tant que<br />

je serai à tes côtés. Détends-toi et fais bonne figure ! Si tu savais combien tu es belle et<br />

combien je t’aime ! Il l'embrasse puis s’adresse à la foule. Parents, famille, amis,<br />

Azincourtoises et Azincourtois, je me permets de <strong>vous</strong> prendre en main pour la suite ! A<br />

présent que la partie officielle est terminée, place à la fête et au banquet ! Je <strong>vous</strong> invite à<br />

<strong>vous</strong> rendre à la salle des fêtes pour le festin du mariage ! Allons, haut les cœurs et en route !<br />

<strong>Le</strong>s pâtés et les vins nous attendent !<br />

Lumière sur Amélie et Eric.<br />

ÉRIC : Bon anniversaire au fait.<br />

AMÉLIE : Merci. J’ai reçu un appareil photo pour mes 17 ans.<br />

ÉRIC : Tu passes où tes vacances ?<br />

AMÉLIE : En Normandie en famille.<br />

ÉRIC : On se revoit à la rentrée ?<br />

AMÉLIE : Evidemment.<br />

ÉRIC : Bon été.<br />

AMÉLIE : Bon été à toi.<br />

<strong>Isadora</strong> et Jocelyn s’embrassent. Brefs aperçus des étés respectifs d’Amélie et d’Eric. Lui en<br />

train de bouquiner. Elle sur la plage, avec sa mère qui lui fait des remarques et sa petite<br />

sœur.<br />

AGNÈS : Tu vas rentrer en terminale ?<br />

AMÉLIE : Oui.<br />

AGNÈS : Et à la fin de l’année, tu auras ton bac ?<br />

AMÉLIE : Oui.<br />

AGNÈS : Et tu vas quitter la maison, comme Aline ?<br />

AMÉLIE : Oui.<br />

AGNÈS : Et je resterai seule avec les parents ?<br />

AMÉLIE : Oui et je ne t’embêterai plus.<br />

AGNÈS : Tu ne m’embêtais pas tant que ça.<br />

AMÉLIE : Mais là je ne t’embêterai plus du tout.<br />

AGNÈS : Si les week-ends quand même.<br />

AMÉLIE : Oui mais je ne rentrerai pas tous les week-ends. C’est du boulot, la prépa.<br />

AGNÈS : Je me sentirai seule.<br />

AMÉLIE : Pleure pas, t’auras la belle vie, avec la maison et le PC pour toi toute seule.<br />

AGNÈS : Elle me semblera bien vide, la maison.<br />

AMÉLIE : Parce que t’es pas contente que je me barre ?<br />

AGNÈS : Non pas tellement.<br />

AMÉLIE : Est-ce que je dois te rappeler toutes les fois où tu t’es plainte de moi ?<br />

AGNÈS : J’exagérais.<br />

AMÉLIE : Tu sais pas ce que tu te veux, toi.<br />

AGNÈS réprimant un sanglot : Amélie, je veux pas que tu partes.<br />

AMÉLIE la prenant dans ses bras : T’inquiète, je t’écrirai.<br />

AGNÈS : Vrai ?<br />

AMÉLIE : Promis.<br />

Elles se câlinent. Noir. Eric et Sylvie.<br />

66


SYLVIE : C’est décidé ?<br />

ÉRIC : Oui, l’année prochaine, je pars pour la Chine.<br />

SYLVIE : Tu enseigneras où ?<br />

ÉRIC : Dans une Alliance Française. Ce ne sont pas les places qui manquent, avec mes<br />

papiers.<br />

SYLVIE : Génial, c’est super, d’avoir des projets.<br />

ÉRIC : C’est mon célibat qui me permet d’en avoir.<br />

SYLVIE : Oui, on s’en rend pas compte tant qu’on l’est.<br />

ÉRIC : Tant qu’on l’est quoi ?<br />

SYLVIE : Célibataire.<br />

ÉRIC : Certes.<br />

SYLVIE : T’auras quand même le temps de jouer dans le « Roméo et Juliette » ?<br />

ÉRIC : Bien sûr.<br />

SYLVIE : Gina est aussi partante.<br />

ÉRIC : Chouette.<br />

SYLVIE : Je te verrai bien en Frère Laurence, l’herboriste qui donne le poison à Juliette.<br />

ÉRIC : Moi aussi.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn sont côte à côte.<br />

JOCELYN chantonnant : « Rien qu’un dimanche au bout de la semaine, et de l’encre bleue<br />

plein les mains, et des récréations qui traînent, au milieu des journées sans fin. Parfois tu<br />

m’écris une lettre, que tu ne signes que d’un point, ça met du soleil à ma fenêtre, mais pour toi<br />

ça ne résout rien. »<br />

ISADORA : T’as pas un peu fini avec tes chansonnettes à deux balles ?<br />

JOCELYN : C’est une chanson de Philippe Châtel qui me fait beaucoup penser à toi.<br />

ISADORA : Pour moi c’est de la musique de vieux et ça ne me fait pas du tout penser à moi.<br />

JOCELYN : Alors écoute celle-ci : « Dans tes classeurs de lycée, y’a tes rêves et tes secrets,<br />

tous ces mots que tu ne dis jamais, des mots d’amour et de tendresse, des mots de femmes,<br />

que tu caches et qu’on condamne, que tu caches petite Anne. »<br />

AMÉLIE : De quand ça date cette merde ?<br />

ÉRIC : De 1973 et du film « Diabolo Menthe ».<br />

AMÉLIE : En 19 avant moi ! La Préhistoire ! Tu vas pas me faire écouter ça !<br />

ÉRIC : Tu écoutes quoi toi ?<br />

AMÉLIE : Ça par exemple.<br />

On entend « Girlfriend » d’Avril Lavigne.<br />

ÉRIC : Ouh c’est de la musique pour ados. Moi c’est plutôt dans ce registre.<br />

On entend « <strong>Le</strong> dîner » de Bénabar.<br />

AMÉLIE : Bénabar ? Beurk ! Ma mère est fan de Bénabar. J’entends que ça dans sa voiture.<br />

ÉRIC : Désolé de te rappeler des mauvais souvenirs.<br />

JOCELYN d’une voix neutre : Je t’aime.<br />

ISADORA même jeu : Je t’aime.<br />

Ils s’embrassent. Arrivée d’Olibrius.<br />

OLIBRIUS : Salut les amoureux ! Où <strong>vous</strong> en êtes, de votre cursus ? Moi j’ai atteint le<br />

maximum dans chacune de mes trois caractéristiques : 255 en intelligence, 255 en force, 255<br />

en charisme ! Je vais tout à la fois entreprendre une carrière universitaire, militaire et<br />

politique ! Elle est pas belle, la vie ?<br />

ÉRIC : Au fait, j’ai vu « Twilight » avec l’école.<br />

AMÉLIE : T’en as pensé quoi ?<br />

ÉRIC : Bof, du cinéma pour ados.<br />

AMÉLIE : Normal, t’es trop vieux pour comprendre.<br />

ÉRIC : Je préfère les films sur les ados que pour les ados. J’ai bien aimé « LOL » par contre.<br />

67


AMÉLIE : Ça ne m’étonne pas de toi, ma mère a aimé aussi.<br />

ÉRIC : Je finirai par croire que je lui ressemble, à ta mère.<br />

AMÉLIE : Et c’est bien ça ce qui m’inquiète.<br />

OLIBRIUS : Je crois que je vais privilégier la voie académique. J’ai commencé médecine.<br />

JOCELYN : Pourtant les maladies ne sont pas encore codées, sur le jeu.<br />

OLIBRIUS : Quand elles le seront, je serai paré. J’ai déjà 100% en bases de biologie et 100%<br />

en anatomie. Pour la fin du mois, j’atteins les 100% en bases de médecine et j’attaque ensuite<br />

le rhume et la grippe.<br />

ÉRIC : Tu as commencé ta terminale ?<br />

AMÉLIE : Ouais.<br />

ÉRIC : Et tu auras le bac à la fin de l’année ?<br />

AMÉLIE : Ouais.<br />

ÉRIC : Et après ?<br />

AMÉLIE : Une année de prépa, à Reims ou à Paris.<br />

ÉRIC : Pour quoi faire ?<br />

AMÉLIE : Vétérinaire équestre.<br />

ÉRIC : La passion du cheval. C’est bien.<br />

OLIBRIUS : Smatch est en passe de devenir comte, savez-<strong>vous</strong> ? Il est porté au pinacle par<br />

ses succès militaires et moissonne les points d’Etat. Charles aussi grimpe les échelons de la<br />

hiérarchie ecclésiastique.<br />

ISADORA : Charles ? Ça fait un bout de temps que je l’ai plus vu, le frérot. Il faudra que je<br />

l’avertisse que sa soeurette ne pourra plus être très présente cette année.<br />

ÉRIC : Tu ne pourras plus être très présente cette année ?<br />

AMÉLIE : Non, le bac c’est du boulot, et pour la prépa je te dis pas. Sans compter que de là<br />

où je serai, je ne serai pas certaine de disposer d’une connexion Internet.<br />

ÉRIC : Tu me donneras quand même des nouvelles de temps en temps ?<br />

AMÉLIE : Une fois tous les 36 du mois ça ira ?<br />

ÉRIC : Non ça ira pas.<br />

AMÉLIE : Pleure. On dirait ma petite sœur.<br />

ISADORA d’une voix neutre : Au fait, Jocelyn, mon doux époux, tu sais quoi ?<br />

JOCELYN même jeu : Non ?<br />

ISADORA même jeu : Je suis enceinte.<br />

OLIBRIUS : Enceinte ? Je n’avais encore jamais vu de femme enceinte dans les Empires<br />

Renaissants ? Comment se déroule une grossesse ? Et l’enfant, est-il joué par un PNJ ou un PJ<br />

? Quelles sont ses caractéristiques à la naissance ? Se développent-elles avec l’âge ?<br />

L’hérédité joue-t-elle un rôle ?<br />

JOCELYN : Je ne sais pas. Consulte plutôt le règlement du jeu, cher Olibrius.<br />

Arrivée de Sonia.<br />

SONIA : Amélie ! Qu’est-ce que tu fabriques encore ?<br />

AMÉLIE : Rien Maman, rien.<br />

ISADORA : Je dois filer, ciao.<br />

Elle disparaît.<br />

SONIA : Je me demande ce que tu fais toujours devant ce PC.<br />

AMÉLIE : Rien Maman, je te le promets.<br />

SONIA : Tu passes cette année ton bac, et je vais drastiquement te limiter l’accès au PC. File<br />

dans ta chambre, je sais que tu as un TE de maths ce mercredi.<br />

Noir. Gina et Eric.<br />

GINA : T’assures, toi dis donc, en Frère Laurence.<br />

ÉRIC : Et toi t’es pas mal non plus, en lady Montaigu.<br />

GINA : J’espère qu’on aura du succès.<br />

68


ÉRIC : Moi aussi.<br />

GINA : Pis comment avec celle du Web ?<br />

ÉRIC : Rien de particulier. Elle a la quarantaine en fait, et on n’a pas exactement les mêmes<br />

centres d’intérêt, ça va un moment.<br />

GINA : Tu penses la voir un jour ?<br />

ÉRIC : Ça sera difficile : l’année prochaine, je pars enseigner le français en Chine.<br />

GINA : Tu pars enseigner le français en Chine ?<br />

ÉRIC : Oui.<br />

GINA : Génial ! Raconte !<br />

Noir. Amélie et Rachel.<br />

RACHEL : Salut Amélie !<br />

AMÉLIE : Salut Rachel.<br />

RACHEL : Je ne sais pas si ça t’intéresse, j’ai la donnée du TE de maths qu’on a eu dans la<br />

classe, et comme t’as le même prof, j’ai pensé que ça pouvait t’intéresser.<br />

AMÉLIE : C’est gentil mais non merci, je m’en passe.<br />

RACHEL : Je te promets, c’est pas un piège.<br />

AMÉLIE : Je sais mais c’est non quand même. J’ai toujours appris à me débrouiller toute<br />

seule.<br />

RACHEL : C’est un reproche ?<br />

AMÉLIE : Mais non penses-tu.<br />

RACHEL : Et au fait, tu revois Thierry ?<br />

AMÉLIE : Oui, toutes les semaines, au club.<br />

RACHEL : Il va bien ?<br />

AMÉLIE : Oui super et on se fait des bons rires.<br />

RACHEL : Il te parle de moi ?<br />

AMÉLIE : Non jamais, mais il ne te critique pas non plus.<br />

RACHEL : Et toi tu sors avec ?<br />

AMÉLIE : Non, on est trop des bons potes.<br />

RACHEL : Il a une copine alors ?<br />

AMÉLIE : Ça je sais pas.<br />

RACHEL : Quand tu le verras… tu lui diras que je suis désolée pour le mal que je lui ai fait.<br />

AMÉLIE : Je lui dirai, mais il a pas l’air traumatisé.<br />

RACHEL : Et euh… Amélie…<br />

AMÉLIE : Oui ?<br />

RACHEL : Je tenais aussi à m’excuser envers toi, je n’ai pas toujours été très chic envers toi.<br />

AMÉLIE : Oh pas de souci !<br />

RACHEL : Tu sais ce que c’est, la vie n’est jamais facile, alors on transfère son mal de vivre<br />

sur une autre personne qu’on juge une cible idéale, contre laquelle on ligue tout le monde et<br />

qui s’en prend plein la gueule. Et toi, je t’ai prise à parti parce que t’étais la seule qui se<br />

maquillais pas et qui pouvais pas sortir. Mais j’ai toujours su que tu n’y pouvais rien. Et au<br />

fond de soi, on se sent mal et pas du tout fière de ce qu’on a fait. Et puis un jour, c’est toimême<br />

qui t’en prends plein la gueule.<br />

AMÉLIE : Ah oui ? Tu t’en es pris plein la gueule ?<br />

RACHEL : Carrément. Tous mes mecs m’ont larguée et je passe pour la salope du lycée.<br />

AMÉLIE : T’y es plus pour très longtemps de toute façon.<br />

RACHEL : Je sais… Et je ferai plus attention dorénavant.<br />

AMÉLIE : Moi aussi. Quand on grandit, on réalise des choses.<br />

RACHEL : Oui oui… Tu m’en veux encore ?<br />

AMÉLIE : Pas le moins du monde.<br />

RACHEL : On fait la paix ?<br />

69


AMÉLIE : On fait la paix. Donne-le moi ce TE !<br />

Elles se serrent la main. Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn.<br />

JOCELYN : Tu veux une pomme, Isa ?<br />

AMÉLIE : Voyons le jeu que Thierry m’a conseillé. On peut vraiment y jouer un personnage<br />

des « X-Men » ? Jouer la vampirette sur les Empires Renaissants, c’est pas top. Zou, je<br />

m’inscris.<br />

JOCELYN : Parce que je t’ai amené un panier de pommes, Isa.<br />

AMÉLIE : Pseudo ? Celui-ci. Mot de passe ? Facile… Mon mail ? Aucun souci… Sexe ?<br />

Femme jusqu’à preuve du contraire. Age ? 17 ans. Je clique ici et… c’est partiiiii ! Je vais<br />

jouer… une ado à la vie normale terrorisée de se découvrir des pouvoirs… et j’espère qu’un<br />

gentil Wolverine va me prendre en charge.<br />

ISADORA : Merci pour les pommes.<br />

AMÉLIE : Comment ça se présente ? Un forum ? Ça, je peux le montrer à maman. Allez, je<br />

rédige mon premier message.<br />

JOCELYN : Comment se déroule ta grossesse ?<br />

AMÉLIE : Déjà une réponse ? Hé bien, ça bouge plus que sur les Empires Renaissants ici ! Et<br />

quel âge il a, ce joueur ? 19 ans ? Ah ben ça va me changer, j’en avais marre de passer pour<br />

une gamine.<br />

ISADORA : Bien je te remercie.<br />

ÉRIC : Et ta terminale ?<br />

AMÉLIE : Ah il est sympa celui-là ! Il me prend bien en charge. Je continue… on va dire<br />

que… j’ai des pouvoirs télékinésiques… et que j’ai assassiné ma mère involontairement… et<br />

que je suis restée traumatisée par cet accident… et que je vis en marge de la société… et que<br />

du coup je suis la seule à ne pas avoir de petit copain…<br />

ISADORA : Bien je te remercie.<br />

AMÉLIE : Du coup… l’autre, il a le pouvoir de télépathie… et il me comprend… et il me<br />

considère comme sa petite sœur, ah ben ça me rappelle quelque chose… et il m’invite à partir<br />

avec lui… ça bouge, sur ce jeu.<br />

Arrivée de Smatch.<br />

SMATCH : Bonjour les tourtereaux ! Je dérange ?<br />

JOCELYN : Pas vraiment, vu ce qu’on fait.<br />

SMATCH : Isa, qu’est-ce qu’elle raconte ?<br />

JOCELYN : Pas grand-chose justement.<br />

SMATCH : C’est inquiétant, d’habitude elle a la langue si pendue.<br />

JOCELYN : Ces derniers temps elle se tait.<br />

SMATCH : Alors, Mademoiselle « <strong>Le</strong>s gens de ma famille sont des loups-garous et moi je<br />

veux être le centre du monde sinon je fais une crise » ?<br />

AMÉLIE : Ah ouais… là on est en route… mais la police est à nos trousses parce que les<br />

mutants sont des hors-la-loi… il faut qu’on se trouve un refuge… en attendant on est des<br />

fugitifs… Il faudra que je retrouve le personnage joué par Thierry.<br />

SMATCH : Aucune réponse, effectivement c’est grave, d’habitude elle part au quart de tour à<br />

la moindre remarque.<br />

JOCELYN : Isa… Isa… Qu’est-ce qui ne va pas ?<br />

Arrivée de Sonia.<br />

SONIA : Amélie ! Je t’y prends !<br />

AMÉLIE : Regarde Maman, je ne te cache rien ! C’est un jeu que m’a proposé Thierry.<br />

J’écris sur un forum qui prend pour thème les X-Men et j’invente des histoires avec d’autres<br />

fans.<br />

SONIA : Ce n’est pas un chat ?<br />

AMÉLIE : Pas du tout.<br />

70


SONIA : Et les autres joueurs ne connaissent pas ton identité ?<br />

AMÉLIE : Absolument pas. Sauf Thierry mais lui je le connais dans la vraie vie.<br />

SONIA : Tu me rassures ! Avec toutes ces histoires d’ados qui se font piéger, j’ai tellement<br />

peur qu’il ne t’arrive quelque chose.<br />

AMÉLIE : Ne t’en fais pas, je suis pleine de bon sens.<br />

SONIA : Mais c’est l’heure de ton cours de guitare, Amélie, et <strong>vous</strong> avez concert ce samedi.<br />

AMÉLIE : Je sais Maman, j’y vais.<br />

ISADORA : Je <strong>vous</strong> laisse, ciao.<br />

Elle disparaît.<br />

JOCELYN : Pas un regard, pas un bisou, rien !<br />

SMATCH : Mon bon Jocelyn, c’est pas avec un fantôme que tu mèneras une vie de couple<br />

heureuse.<br />

JOCELYN : Hélas.<br />

SMATCH : Si tu rejoignais plutôt mon équipe gouvernementale ? Je suis en passe d’être élu<br />

comte.<br />

JOCELYN : Non merci, ça ne m’intéresse pas.<br />

Noir. Florent et Amélie.<br />

FLORENT : Bravo Amélie ! Tu joues de la guitare aussi bien que tu chevauches !<br />

AMÉLIE : Merci Florent ! C’est vraiment gentil d’être venu.<br />

FLORENT : Bon anniversaire, en passant.<br />

AMÉLIE : Merci ! Je n’arrive pas à croire que j’ai enfin 18 ans !<br />

FLORENT : Sinon ça se présente bien, ce bac ?<br />

AMÉLIE : Pas mal, oui.<br />

FLORENT : Et t’as toujours le projet de faire vétérinaire équestre ?<br />

AMÉLIE : Toujours, et bientôt c’est moi qui soignerai tes canassons.<br />

FLORENT : Et la prépa ?<br />

AMÉLIE : Reims ou Paris, on verra.<br />

FLORENT : Je te regretterai, Amélie.<br />

AMÉLIE : Moi aussi, Florent, mais nous nous reverrons.<br />

FLORENT : Plus autant qu’avant, hélas.<br />

AMÉLIE : Tu es si triste de me perdre ?<br />

FLORENT : Entre nous, et si je peux te confier un secret…<br />

AMÉLIE : Vas-y.<br />

FLORENT : Tu me donnais l’occasion de voir régulièrement quelqu’un que j’aimais<br />

beaucoup mais qui ne l’a jamais su et ne le saura jamais.<br />

AMÉLIE : Ne me dis pas que tu flashais sur ma grande sœur !<br />

FLORENT : Pas exactement ta grande sœur.<br />

Arrive Sonia.<br />

SONIA : Amélie ? Il est tard et il va falloir rentrer.<br />

FLORENT : Bonne soirée, Madame Delavague.<br />

Il glisse un sourire complice à Amélie.<br />

AMÉLIE : Toi, je savais que tu étais maso, mais à ce point !<br />

SONIA : Amélie ! Comment tu parles à ton moniteur !<br />

FLORENT : Laissez Madame, elle a raison !<br />

Arrivée de Thierry.<br />

THIERRY : Bravo Amélie !<br />

AMÉLIE : Hey, mon amoureux !<br />

Ils s’embrassent.<br />

FLORENT : Ah, parce que, <strong>vous</strong> deux… <strong>vous</strong>…<br />

AMÉLIE : Hé oui, c’est en quelque sorte le cadeau de mes 18 ans.<br />

71


SONIA : Ce cadeau, elle a été le cueillir toute seule.<br />

THIERRY : Oh, j’y suis pour quelque chose aussi !<br />

FLORENT : Et après c’est moi le masochiste !<br />

AMÉLIE : T’as bien raison, on est tous des sado-masos dans le coin !<br />

Noir. Bastien et Eric.<br />

BASTIEN : Bien joué, Eric ! La pièce était géniale.<br />

ÉRIC : Salut Bastien ! C’est sympa d’être venu me voir.<br />

BASTIEN : Tu jouais super bien le Frère Laurence.<br />

ÉRIC : Merci beaucoup.<br />

BASTIEN : Par contre, celle qui jouait Lady Montaigu, elle était à chier.<br />

ÉRIC : Dis-le pas trop fort.<br />

BASTIEN : Et pour la suite ?<br />

ÉRIC : Y’aura pas de suite, c’était la dernière.<br />

BASTIEN : Non mais dans ta vie je veux dire, c’est vrai que tu pars pour la Chine ?<br />

ÉRIC : Oui, dans deux mois, enseigner le français.<br />

BASTIEN : Pour combien de temps ?<br />

ÉRIC : Un an. Ils gardent ma place au lycée.<br />

BASTIEN : Tu vas nous ramener une Chinoise !<br />

ÉRIC : C’est drôle, ils me disent tous cela en ce moment. <strong>Le</strong> pire, c’est que j’ai pas<br />

spécialement le fantasme de l’Asiatique.<br />

BASTIEN : Moi si mais je les cherche ici. Passe Catia. Hey Catia !<br />

CATIA : Tiens ? Salut les deux.<br />

ÉRIC : Comment t’as trouvé la pièce ?<br />

CATIA : Franchement quand c’est du classique on voit beaucoup plus que <strong>vous</strong> êtes une<br />

troupe amateur mais Patrick il était génial.<br />

ÉRIC : Merci pour la critique. Et tu repars en voyage ?<br />

CATIA : Finis les voyages, je suis enceinte.<br />

ÉRIC : Bon courage pour la longue aventure qui t’attend.<br />

Noir. <strong>Isadora</strong> et Jocelyn.<br />

JOCELYN : Mon Isa, tu vas bientôt accoucher. Nous allons élever ensemble ce petit être qui<br />

illuminera notre quotidien et nous apprendrons ensemble le métier de parents. Je serai aux<br />

petits soins avec toi pour t’épargner le plus de tâches ménagères possible.<br />

ISADORA : Jocelyn ?<br />

JOCELYN : Oui mon amour ?<br />

ISADORA : Il faut qu’on parle.<br />

JOCELYN : Je t’écoute.<br />

AMÉLIE : Je me suis enfin trouvé un petit copain !<br />

ÉRIC : Bravo ! J’en suis très heureux pour toi ! C’est qui l’heureux élu ?<br />

AMÉLIE : Thierry tu penses bien. Depuis le temps que ça mijotait. Je l’ai embrassé le jour de<br />

mon anniversaire.<br />

ÉRIC : Quel cadeau tu t’es offert ! J’espère que ça va durer !<br />

AMÉLIE : Ensuite tu devineras jamais la meilleure : mon mono d’équitation était amoureux<br />

de ma mère.<br />

ÉRIC : Comme quoi elle est pas complètement à jeter, ta mère !<br />

AMÉLIE : Tu parles ! C’est lui qui a des goûts de chiotte ! Quand je pense que je l’ai dragué !<br />

Je me dégoûte !<br />

ÉRIC : De mon côté, j’ai terminé avec le Roméo et…<br />

AMÉLIE : Avec mes potes ça va mieux. Même Rachel est venue me demander pardon.<br />

ÉRIC : C’est comme pour Thierry : il fallait laisser le temps faire les choses, plutôt que de<br />

t’acharner stupidement.<br />

72


AMÉLIE : J’ai cartonné au concert avec ma guitare.<br />

ÉRIC : Tu as mis une photo sur ton blog. C’est marrant, tu portes des lunettes.<br />

AMÉLIE : Oui parce que j’étais malade alors je pouvais pas mettre les lentilles.<br />

ÉRIC : Tu es toute chou avec les lunettes. Il en a de la chance, Thierry.<br />

AMÉLIE : Je dois te dire encore autre chose.<br />

ÉRIC : Quoi donc ?<br />

AMÉLIE : Je vais être franche.<br />

ÉRIC : Vas-y.<br />

AMÉLIE : J’arrête les Empires Renaissants.<br />

ÉRIC : Non ?<br />

AMÉLIE : Oui, désolée.<br />

ÉRIC : Mais pourquoi ?<br />

AMÉLIE : D’abord, l’année prochaine, je serai en prépa à Reims…<br />

ÉRIC : Donc à Reims en fin de compte ! Moi c’est la Chine et…<br />

AMÉLIE : Oui, et je ne pense pas pouvoir me connecter régulièrement, ça casse un peu ma<br />

motivation pour le jeu.<br />

ÉRIC : Rien ne t’empêche de te connecter pendant les week-ends.<br />

AMÉLIE : Là il y a un autre problème.<br />

ÉRIC : <strong>Le</strong>quel ?<br />

AMÉLIE : J’en ai marre de mentir à ma mère… et à Thierry aussi.<br />

ÉRIC : Je comprends.<br />

AMÉLIE : Depuis quatre ans, je commence à me lasser du jeu. La plupart de mes potes ont<br />

arrêté, même Charles je ne le vois quasiment plus. Il y a pas mal de trentenaires, tout le<br />

monde me traite de gamine. Tandis qu’avec Thierry je me suis inscrite sur un autre jeu où les<br />

joueurs ont mon âge, c’est beaucoup plus fun.<br />

ÉRIC : Ce jeu, ça ne te pose pas de problème par rapport à ta mère ?<br />

AMÉLIE : Non, parce que c’est un forum, pas un chat, et ça elle le tolère.<br />

ÉRIC : Pourtant la frontière est floue.<br />

AMÉLIE : Oui mais c’est comme ça.<br />

ÉRIC : Bon tu arrêtes… et dans le réel, on garde le contact ? Vu que t’as enfin 18 ans…<br />

AMÉLIE : Je ne sais pas… je ne pense pas.<br />

ÉRIC : Je t’ai déçue à ce point-là ?<br />

AMÉLIE : Mais non gros bêta ! J’ai passé de merveilleux moments avec toi, seulement je<br />

pense qu’on a un peu fait le tour de ce qu’on avait à se dire. Notre différence d’âge nous<br />

rattrape, on aura de plus en plus de peine à communiquer. Je ne veux plus jouer à la Barbie<br />

maintenant que j’ai un vrai Ken.<br />

ÉRIC : Sans compter que tu ne veux pas marcher dans les traces de ta mère !<br />

AMÉLIE : Pardon ?<br />

ÉRIC : Ben oui, tu veux pas te marier avec un type sensiblement plus âgé que toi.<br />

AMÉLIE riant : C’est pas faux.<br />

ÉRIC : De mon côté, ce fut un plaisir que de faire ta connaissance et de parler avec toi de<br />

certaines choses. Dire que si tu avais été ma voisine de palier, nous n’aurions pu bâtir une<br />

telle complicité.<br />

AMÉLIE : C’est la magie d’Internet. Tu as permis de m’évader un peu du quotidien.<br />

ÉRIC : J’ai été très flatté par ta confiance. Tu resteras pour moi liée à de beaux souvenirs.<br />

AMÉLIE : Moi aussi, tu m’as fait rêver.<br />

ÉRIC : Mais on ne rêve pas sa vie.<br />

AMÉLIE : Hé non. Faut qu’on se dise adieu, on a partagé un peu nos délires, c’était chouette,<br />

mais tu vois, le temps file et je crois que nos chemins vont diverger.<br />

73


JOCELYN : Allons, mon épouse. Ne prolongeons pas indûment ces adieux. Mourons<br />

ensemble afin de sublimer notre amour dans l’éternité.<br />

AMÉLIE : Parce que toi aussi tu…<br />

ÉRIC : Sans toi le jeu n’a plus d’intérêt.<br />

ISADORA : Oui, et Charles prononcera notre oraison funèbre. Il dira que je suis morte en<br />

couches et que tu n’as pas survécu à mon décès. Vaut mieux que je le voie pas, il pourrait tout<br />

faire pour que je reste et je risque de lui céder.<br />

JOCELYN : Suicidons-nous dans un dernier baiser, comme Roméo et Juliette.<br />

ISADORA : Notre mort commune n’en sera que plus douce.<br />

JOCELYN : Je t’aime.<br />

ISADORA : Je t’aime.<br />

Ils s’embrassent et meurent.<br />

ÉRIC : Bonne continuation, Amélie. Sois heureuse, tu le mérites.<br />

AMÉLIE : Bonne continuation, Eric. Je ne t’oublierai pas.<br />

Noir. Charles prononce son oraison devant les corps de Jocelyn et d’<strong>Isadora</strong>, accompagné de<br />

Smatch et d’Olibrius.<br />

CHARLES : Tels Pyrame et Thisbé, tels Tristan et Yseult, tels Roméo et Juliette, Jocelyn et<br />

<strong>Isadora</strong> ont ensemble mis fin à leurs jours, expirant d’un commun accord afin de transcender<br />

leur flamme, qui à jamais scintillera au Paradis, veillée par notre prophète Aristote, et dont la<br />

beauté étincelante nous guidera à travers les ténèbres.<br />

SMATCH : Quelle dèche pour une soi-disant immortelle.<br />

CHARLES : <strong>Le</strong> souvenir de cette passion pure et profonde restera gravé dans notre tête et<br />

notre cœur, et nous le conserverons précieusement, comme exemple d’accomplissement<br />

ultime, de sacrifice suprême. <strong>Isadora</strong> était ma sœur de cœur, je l’ai menée moi-même devant<br />

l’autel et l’y ai mariée à mon ami Jocelyn, qui me fut le moins beauf des beaufs. <strong>Isadora</strong> était<br />

enceinte et je me réjouissais déjà de baptiser le petit être qui allait naître, lorsque les<br />

circonstances tragiques ont simultanément tranché ces deux jeunes pousses qui à peine<br />

s’étaient entrelacées, à peine allaient bourgeonner. Prions donc pour l’assomption de leurs<br />

âmes et le renouvellement pérenne de leur union.<br />

SMATCH : En rajoute pas, le cureton, déjà qu’au mariage, il était trop long, ton sermon.<br />

CHARLES : Pour qui tu te prends ?<br />

SMATCH : Pour le comte pardi.<br />

CHARLES : Pardon ?<br />

SMATCH : J’ai enfin réalisé mon projet. J’ai été élu ce matin.<br />

OLIBRIUS : A quelle majorité ?<br />

CHARLES : Monsieur le comte, <strong>vous</strong> ne m’impressionnez même pas.<br />

SMATCH : Ah bon ?<br />

CHARLES : Puisque j’ai été nommé archevêque ce matin.<br />

SMATCH : Respect, Excellence !<br />

OLIBRIUS : Moi j’ai atteint tous les scores maximums partout.<br />

CHARLES : Quand même, elle va me manquer, Isa. Elle était marrante. Et j’aimais bien jouer<br />

son grand frère.<br />

OLIBRIUS : Médecine avancée : 100% Reconnaître la dysenterie : 100%.<br />

SMATCH : Sympa mais un peu gamine par moments. Jocelyn était cool aussi. Bah il y en<br />

aura d’autres, le jeu continue.<br />

OLIBRIUS : Reconnaître la peste 100%, et j’ai conjointement amorcé des études de<br />

navigation et de théologie.<br />

CHARLES bénissant les corps : Voilà qui est fait. A présent, allons poursuivre la cérémonie<br />

en taverne.<br />

SMATCH : Bien volontiers, c’est ma tournée.<br />

74


OLIBRIUS : Je viens de recevoir la croix d’honneur.<br />

Noir. Remise des diplômes. D’un côté, Eric termine un discours, de l’autre, Amélie attend,<br />

assise, avec sa famille, ses amis et son petit copain.<br />

ÉRIC : Au terme de cette partie officielle, je vais appeler un par un les heureux lauréats par<br />

ordre alphabétique, afin qu’ils reçoivent en mains propres leur diplôme de commerce,<br />

consacrant un tournant dans leur vie : Albasini David, Balet Géraldine, Constantin Isabelle…<br />

Une voix off annonce « Delavague Amélie ». Amélie se lève sous les applaudissements de ses<br />

proches. Noir. Scènes croisées : Agathe et Eric d’un côté, Sonia et Amélie de l’autre. Eric et<br />

Amélie portent chacun un gros sac de voyage.<br />

AGATHE : Tu repars, mon fils.<br />

ÉRIC : Hé oui.<br />

SONIA : Tu as eu ton bac haut la main, je suis fière de toi.<br />

AMÉLIE : Merci Maman.<br />

AGATHE : J’espère que ça se terminera mieux que la dernière fois.<br />

SONIA : Et tu t’en vas à ton tour, ma fille.<br />

ÉRIC : Ne t’inquiète pas, Maman, je serai prudent.<br />

AMÉLIE : Oui, ça va être une nouvelle vie pour moi.<br />

AGATHE : Je m’inquiète toujours, quand tu t’en vas.<br />

SONIA : Tu vas rejoindre Aline à Reims.<br />

ÉRIC : Je te comprends, mais je dois vivre ma vie.<br />

AMÉLIE : Je ne serai pas trop dépaysée.<br />

SONIA : Tu rentreras les week-ends.<br />

AGATHE : Tu ne rentreras peut-être plus jamais.<br />

ÉRIC : Penses-tu Maman ! Cette fois ce sera différent : je travaillerai.<br />

AMÉLIE : Oui, et je retrouverai mon Thierry !<br />

SONIA : Promets-moi quand même de bien travailler.<br />

AGATHE : Mais que tu voyages ou que tu travailles, tu risqueras toujours quelque chose.<br />

AMÉLIE : Tu verras comme je me débrouille sans toi !<br />

ÉRIC : Je peux tout aussi bien mourir d’un accident ici.<br />

SONIA : C’est une page qui se tourne.<br />

AGATHE : J’ai un pincement au cœur.<br />

SONIA : Tes quatorze ans, c’est comme si c’était hier.<br />

AGATHE : Quand tu es revenu, j’espérais que tu ne partirais plus.<br />

ÉRIC : Il faut s’y faire, Maman.<br />

AMÉLIE : La vie continue.<br />

ÉRIC : On ne peut pas retenir les gens que nous connaissons, que nous aimons.<br />

AMÉLIE : Moi aussi, j’ai dû me séparer de gens que j’appréciais beaucoup.<br />

AMÉLIE et ÉRIC simultanément : Mais on en rencontre d’autres et ainsi va la vie.<br />

SONIA : Allez, va ma fille.<br />

AGATHE : Et ne te laisse pas repousser les cheveux.<br />

AMÉLIE et ÉRIC simultanément : Je te donnerai de mes nouvelles, Maman.<br />

Ils embrassent leurs mères respectives et s’en vont.<br />

Rideau<br />

75<br />

Etienne Fardel, 25 mai – 14 juin 2010

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!