Françoise Tomeno, VOUS CHANTIEZ ? EH BIEN - Revue Institutions
Françoise Tomeno, VOUS CHANTIEZ ? EH BIEN - Revue Institutions
Françoise Tomeno, VOUS CHANTIEZ ? EH BIEN - Revue Institutions
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
mère, comme la mienne, était couturière, elle-même aime les beaux habits, les belles coupes,<br />
et nous ne nous privons pas de commentaires sur nos tenues respectives, commentaires plus<br />
ou moins élogieux d’ailleurs mais toujours (presque...) au nom de ce savoir de l’artisanat de<br />
nos mères que nous sommes seules à partager. Chanter comme moi, avoir une mère comme la<br />
mienne, ce n’est déjà plus avoir ma voix.<br />
Ce thème de l’enveloppe, dans l’attitude en concert, dans les vêtements, on le retrouvera dans<br />
l’incapacité de Jacquotte à garder<br />
ses partitions : elle les perd, "on" lui vole, bien sûr ; et je deviens gardienne de cette feuille<br />
qui, n’étant pas la mienne, lui permet de s’éloigner un peu de moi lorsque nous travaillons ; je<br />
la reprends à chaque fin d’atelier, l’emporte avec moi, et la rapporte la fois suivante. Elle<br />
achètera un grand sac, tout rond comme le mien, et pourra pour un temps assurer elle-même<br />
ce gardiennage. Ca ne durera pas.<br />
Un jour, arrivant à l’atelier, elle me dit : "Ah ! ce matin ça n’allait pas du tout, j’avais mes<br />
voix. Et tout d’un coup j’ai pensé : mais c’est lundi, le jour de l’atelier chant et de <strong>Françoise</strong><br />
<strong>Tomeno</strong> ! Ca a été mieux parce que je savais que les voix allaient s’arrêter." Etre aussi bon<br />
que ce bon vieil Haldol, que rêver de mieux pour un travail thérapeutique ?<br />
Cependant, pour Jacquotte comme pour les autres, ce sont les liens de l’atelier avec le reste de<br />
l’institution, instances, autre lieux, autres ateliers, etc. qui ont permis certains aménagements.<br />
Je parlais tout à l’heure des concerts. Il y a eu aussi les déplacements de l’atelier chant dans la<br />
clinique. Plusieurs fois nous avons été donner une aubade dans les infirmeries, les ateliers, les<br />
lieux administratifs, la lingerie... Une fois très particulière, nous avons préparé un répertoire<br />
pour la garderie accueillant les enfants du personnel. Jacquotte y allait très régulièrement filer<br />
un coup de main. Quand elle y était, elle n’arrivait pas à quitter les enfants pour venir chanter.<br />
Cette fois là, nous l’avons accompagnée jusque là-bas et avons chanté avec elle pour les<br />
enfants.<br />
Odile. Elle est musicienne, et peut être très bonne pianiste avec un sens du phrasé très fin,<br />
cela quand elle ne va pas trop mal. Elle est alors très bonne accompagnatrice. Elle a une voix<br />
étonnante, bouleversante, quand elle chante : c’est entre le chant et le cri, ça ne ressemble à<br />
rien que j’aie jamais entendu. C’est à la fois beau et horrible, poignant. Elle ne peut chanter<br />
seule longtemps, ça la fait partir dans un état étrange, proche de la violence qui lui est si<br />
familière lorsqu’elle se sent persécutée par une phrase qu’on a adressée à quelqu’un d’autre,<br />
lorsqu’elle interprète de travers ce qu’on lui dit, ou les paroles d’une chanson qu’elle pense<br />
qu’on a choisie exprès contre elle. Sa voix semble près d’éclater comme elle-même, comme<br />
les petites taches rouges qui éclatent sur son visage avant l’orage.<br />
Odile a fait des études pour enseigner la musique. Elle dira plusieurs fois qu’elle a dérapé le<br />
jour de l’examen de direction de chœur. Je ne lui confierai jamais la direction de la chorale,<br />
mais elle pourra être répétitrice en mon absence, me restituant la "baguette" à mon retour<br />
hebdomadaire. Comme ça, ça peut tenir.<br />
Prise par le jeu de la belle musique, confiante dans les capacités musicales d’Odile, je lui ai<br />
proposé un jour de chanter avec moi à deux voix, de très jolies mélodies du XVIème. Ce fut<br />
une catastrophe. Cet à deux voix a été impossible : elle est partie brusquement et n’est plus<br />
revenue... pendant quatre années. Le temps de la psychose n’étant pas le nôtre, quand elle est<br />
revenue chanter avec la chorale, c’est comme si elle ne l’avait jamais quittée. Nous n’avons<br />
plus fait de duo. Elle n’a plus chanté en solo. C’est après son retour qu’elle a proposé de faire