03.07.2013 Views

Horoscope de Septembre - Ballad'Ain

Horoscope de Septembre - Ballad'Ain

Horoscope de Septembre - Ballad'Ain

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Ballad’Ain - <strong>Septembre</strong> / 11 - Page n° 10<br />

Nouvelle <strong>de</strong> Paul Gambérini<br />

LES MYSTERES DE LA PEINTURE<br />

(Ou les secrets du patrimoine)<br />

Il m’arrive <strong>de</strong><br />

musar<strong>de</strong>r dans les<br />

méandres colorés <strong>de</strong> nos<br />

expositions <strong>de</strong> peintures.<br />

On y découvre <strong>de</strong>s<br />

tas <strong>de</strong> choses, plus ou<br />

moins réussies, <strong>de</strong>s<br />

plus réalistes aux plus<br />

imaginaires en passant<br />

par les plus fantaisistes.<br />

Ce sont souvent <strong>de</strong>s<br />

interprétations diverses,<br />

<strong>de</strong> sujets ou <strong>de</strong> styles,<br />

d’un art prestigieux<br />

qui fait la gloire du<br />

microcosme local <strong>de</strong> nos peintres émérites.<br />

Partagé entre l’admiration et la critique j’éprouve<br />

souvent le même désir, comme un appel<br />

irrésistible : celui <strong>de</strong> vouloir me lancer, moi aussi,<br />

dans les incertitu<strong>de</strong>s frustrantes ou prometteuses<br />

<strong>de</strong> la peinture. Une aventure en soi qui passe par<br />

les inévitables balbutiements <strong>de</strong> la barbouille.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier terme, un peu excessif, ne s’appliquant<br />

qu’à mes éventuels tâtonnements, n’est pas<br />

<strong>de</strong>stiné à agacer les plus talentueux. Ceux-ci,<br />

pénétrés par une sensibilité d’artiste, après s’être<br />

longtemps frottés à l’ouvrage, maîtrisent leurs<br />

œuvres avec une gestuelle qui force l’admiration.<br />

Ils font apparaître <strong>de</strong>s merveilles <strong>de</strong> compositions<br />

qu’ils livrent à la postérité comme autant <strong>de</strong><br />

témoignages précieux<br />

d’un art parfaitement<br />

achevé. Ils sont rares,<br />

souvent mo<strong>de</strong>stes et<br />

forcément inspirés.<br />

Entre la barbouille et<br />

eux, il existe un immense<br />

espace, ouvert à tous les<br />

plaisirs d’amateurs ou<br />

<strong>de</strong> talents potentiels.<br />

J’en étais là <strong>de</strong> mes<br />

élucubrations lorsque<br />

j’entamais la visite d’une<br />

nouvelle exposition<br />

locale.<br />

Après avoir fait le tour <strong>de</strong> ce qui me semblait<br />

être conforme aux bonnes expositions d’usage,<br />

je m’attardais sur <strong>de</strong> très belles aquarelles. L’une<br />

d’entre elles représentait l’église <strong>de</strong> Magnieu,<br />

elle était parfaite. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’image on percevait<br />

une certaine légèreté qui privait l’édifice <strong>de</strong><br />

pesanteur comme pour le confondre aux<br />

profon<strong>de</strong>urs bleutées d’un ciel infini… Une sorte<br />

d’aspiration spirituelle, vers un ailleurs aérien un<br />

peu évanescent, <strong>de</strong>stinée à combler <strong>de</strong> joie céleste<br />

n’importe quel bienheureux illuminé. En face <strong>de</strong><br />

cette représentation délicate, sur une autre paroi<br />

d’exposition, un autre artiste livrait <strong>de</strong>s œuvres<br />

laborieusement travaillées. Une étu<strong>de</strong> du pont<br />

<strong>de</strong> Bognens (photo) un peu sombre et imposante<br />

attirait l’attention. En la détaillant, soli<strong>de</strong>ment<br />

encadrée, on découvrait un ouvrage d’art<br />

complètement épuisé, les pieds dans l’eau et vouté<br />

à l’extrême, résistant tant bien que mal, <strong>de</strong> toute<br />

sa peinture épaisse, pour ne pas sombrer dans les<br />

eaux d’un Furans tumultueux. S’il <strong>de</strong>vait exister,<br />

tel que représenté, ce pont <strong>de</strong>vrait être mis à la<br />

retraite <strong>de</strong>s Ponts-et-Chaussées. Ce qui m’étonnait<br />

davantage c’était le vis-à-vis provi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>ux tableaux et leur complémentarité. C’était<br />

comme si l’église <strong>de</strong> Magnieu, en face, faisait<br />

tout son possible <strong>de</strong> légèreté ou <strong>de</strong> compassion<br />

pour soutenir un pont en phase terminale <strong>de</strong><br />

contribution routière. Entre les <strong>de</strong>ux, on sentait<br />

une sorte <strong>de</strong> communication, l’un dépendant<br />

<strong>de</strong> l’autre tel un vieux couple travaillé par le<br />

temps et par <strong>de</strong>s conceptions philosophiques<br />

complétement différentes. L’un sensibilisé par la<br />

misère du mon<strong>de</strong>, tourné vers le ciel, et l’autre à<br />

moitié enterré, exténué <strong>de</strong> fatigue, et menacé par<br />

un Furans vengeur. Si quelqu’un m’avait raconté<br />

que le curé <strong>de</strong> Magnieu <strong>de</strong>mandait à ses ouailles<br />

<strong>de</strong> prier pour le salut du pont <strong>de</strong> Bognens, je n’en<br />

aurais pas été étonné. Enfin, jugeant que ces <strong>de</strong>ux<br />

peintures étaient indissociables, je décidais d’en<br />

faire l’acquisition et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir, ainsi, <strong>de</strong> façon<br />

simultanée, par les seuls caprices <strong>de</strong> la peinture,<br />

l’heureux propriétaire <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Magnieu et<br />

du pont <strong>de</strong> Bognens…<br />

Installer les <strong>de</strong>ux édifices, au bon endroit et dans<br />

la bonne lumière, me semblait être important.<br />

Ils <strong>de</strong>vaient impérativement se faire face dans un<br />

espace resserré et astucieusement disposés pour<br />

que la lumière <strong>de</strong> l’église rejaillisse favorablement<br />

sur le pont. Si pour une raison quelconque je<br />

masquais l’église, l’image du pont apparaissait<br />

moribon<strong>de</strong> et fragile ; si j’enlevais le pont, l’aura<br />

délicat <strong>de</strong> l’église disparaissait, l’aquarelle <strong>de</strong>venait<br />

terne et triste comme un jour sans pain bénit.<br />

C’était étonnant je décidais d’en parler à une<br />

amie peintre, une célèbre artiste <strong>de</strong> renom :<br />

-«Il n’y a rien d’étrange, me dit-elle, les peintures<br />

expriment les impressions induites par les artistes,<br />

au moment <strong>de</strong> leurs élaborations. Il arrive que<br />

<strong>de</strong>s représentations différentes se complètent<br />

admirablement. L’une recevant <strong>de</strong> l’autre et<br />

réciproquement, pour rayonner ensemble, <strong>de</strong><br />

toute leurs perfections (ou imperfections), comme<br />

dans les plus admirables relations sentimentales.»<br />

Je trouvais qu’elle exagérait un peu d’autant<br />

qu’elle me raconta, ensuite, qu’elle avait eu, elle<br />

aussi, <strong>de</strong>s cas difficiles <strong>de</strong> peintures ignorées,<br />

car sans contreparties. Une <strong>de</strong> ses magnifiques<br />

représentations <strong>de</strong> chevaux, réalisée en mosaïques<br />

bleutées, était passée longtemps inaperçue,<br />

jusqu’au jour où elle avait décidé <strong>de</strong> faire le<br />

portrait d’un célèbre vétérinaire <strong>de</strong> la région.<br />

Exposées ensembles les <strong>de</strong>ux œuvres illuminaient<br />

sa galerie où elles avaient rapi<strong>de</strong>ment trouvé le<br />

même acquéreur enthousiaste. Elle m’affirma<br />

que le fameux sourire <strong>de</strong> la Jocon<strong>de</strong> soulignait<br />

sa mélancolie <strong>de</strong> femme délaissée par une autre<br />

peinture encore mystérieuse, peut-être une<br />

représentation encore inconnue <strong>de</strong> Brillat-Savarin ?<br />

Elle ajouta que les fameuses Demoiselles d’Avignon<br />

<strong>de</strong> Picasso trouvaient leur complémentarité dans<br />

une gouache lumineuse <strong>de</strong> la chapelle <strong>de</strong>s Dames<br />

<strong>de</strong> Bons : celle <strong>de</strong>s religieuses du XVII ème siècle,<br />

réputées coquines. C’était à peine croyable, ainsi<br />

les œuvres allaient souvent par paire, même<br />

réalisées par <strong>de</strong>s artistes d’époques ou <strong>de</strong> styles<br />

différents. Je <strong>de</strong>vais donc me rendre à l’évi<strong>de</strong>nce,<br />

l’église <strong>de</strong> Magnieu avait bien sa complémentarité<br />

avec le pont <strong>de</strong> Bognens.<br />

L’année suivante alors que je visitais une autre<br />

exposition similaire, j’examinais une nouvelle<br />

aquarelle, très belle, elle aussi. Il s’agissait d’une<br />

reproduction <strong>de</strong> l’église <strong>de</strong> Vieu-en-Valromey.<br />

Elle avait un formidable pouvoir d’attraction.<br />

En face, une peinture à l’huile, mo<strong>de</strong>stement<br />

réalisée, représentait une Gare <strong>de</strong> Culoz un peu<br />

tristounette. Le vis-à-vis <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux peintures me<br />

rendait perplexe. Etait-il possible qu’il y ait une<br />

affinité entre-elles ? Un visiteur, à côté <strong>de</strong> moi<br />

s’exclama :<br />

-«C’est curieux, mais il me semble que ces <strong>de</strong>ux<br />

tableaux communiquent ! C’est extraordinaire !»<br />

Immédiatement j’osais :<br />

-«Mais oui, c’est bien connu ! La gare <strong>de</strong><br />

Culoz n’existerait pas sans l’influence <strong>de</strong><br />

l’église <strong>de</strong> Vieu-en-Valromey !»<br />

Silence…Là j’ai pensé que j’allais,<br />

moi aussi, me mettre sérieusement<br />

à barbouiller les merveilles du<br />

patrimoine…<br />

Paul Gamberini

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!