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Patrice Normand<br />
Pierpoljak<br />
ON LE SURNOMMA : PIERROT LE FOU, PETER PAN, BRADA PETER, PÉKAH, CHEPER,<br />
GÉNÉRAL INDIGO… AUTANT DE SURNOMS QUE DE FACETTES. BIEN PLUS QUE SES<br />
PSEUDONYMES COLORÉS, ON RETIENDRA SURTOUT L’ANONYME PIERPOLJAK QUI FIT SA GLOIRE.<br />
Il vient de sortir un disque, Légendaire<br />
sérénade, alors il enchaîne les concerts<br />
et donne des interviews. Simple ? En apparence,<br />
le processus action / promotion<br />
est bien huilé. Cruel paradoxe que de vouloir<br />
résumer un artiste à son œuvre, récente<br />
en général. En la matière, il est d’une transparence<br />
évidente : “Je n’ai aucun plan de<br />
carrière ; ce disque je l’ai fait à l’instinct,<br />
sans me poser de question.” Et sa biographie<br />
plaide en ce sens.<br />
Bassiste punk à ses débuts, il part vivre à<br />
Londres de l’air du temps et de l’énergie dévastatrice<br />
d’un mouvement en marche : The<br />
Clash, Sex Pistols, Sham 69, le reggae que<br />
ses voisins de squat lui font découvrir… De<br />
retour en France, un petit passage à Fleury-<br />
Mérogis puis la mer l’emporte aux Antilles<br />
françaises, comme équipier sur un cargo<br />
marchand. Il apparaît dans le milieu underground<br />
du reggae tricolore sous différents<br />
noms, mais c’est en 1995 que commence<br />
l’histoire à succès de Pierpoljak. Barclay le<br />
remarque et signe son premier album, éponyme,<br />
enregistré chez lui dans la Nièvre. Il<br />
jouera sa musique aux Transmusicales de<br />
Rennes en 1997, jusqu’au single Je sais pas<br />
jouer tiré de Kingston Karma, enregistré au<br />
célèbre studio jamaïcain Tuff Gong avec les<br />
musiciens du cru. C’est une percée et l’es-<br />
pérance d’une reconnaissance hexagonale<br />
d’un genre qui aspire à devenir populaire.<br />
2001, un disque de platine et un double<br />
disque d’or, mais les tournées incessantes,<br />
les excès et le succès ont raison de lui. Il<br />
tombe malade. Epuisé par les promos et le<br />
show business, Pierre-Matthieu Vilmet<br />
laisse Pierpoljak de côté et reprend la mer<br />
pendant quatre ans.<br />
En 2010, il est toujours très actif, mais<br />
moins présent en haut de l’affiche. Son onzième<br />
album est une singularité, délaissant<br />
le style qui fit son nom : “J’avais envie de<br />
changer de rythme, au propre comme au figuré.”<br />
Il ignore les avis éclairés, se jouant<br />
des conseils avisés : “On m’a dit que ça<br />
n’est pas un disque auquel on s’attend et<br />
que je vais décevoir mon public, mais si<br />
j’avais fait un album de reggae d’autres auraient<br />
dit : “Pfff ! Toujours la même chose,<br />
il ne change rien…” Premier album sans<br />
Dean Fraser, le tonton jamaïcain qui l’accueillit<br />
sur son île, Légendaire sérénade est<br />
un disque surprenant et déroutant qui pourrait<br />
décevoir les aficionados, mais à le voir<br />
jouer ces chansons en concerts, on ne<br />
constate aucune déception dans le public !<br />
A ce moment-là, l’entretien quitta la route<br />
des interviews convenues : “Ma vie est un<br />
11<br />
cauchemar”, avoue-t-il, ses yeux profondément<br />
bleus fixés sur un horizon lointain…<br />
Bribes d’explication : “Pour ce disque, je me<br />
suis attaché à re-travailler les paroles, à préciser<br />
ce que je voulais dire, à être plus universel.<br />
Mais les histoires d’amours qui<br />
finissent mal… on est des millions ! Ce que<br />
j’ai vécu, les conneries que j’ai faites… on est<br />
des millions !” répète-t-il comme un mantra.<br />
La drogue ? “Je suis clean depuis trois ans.”<br />
Le succès ? “Tu as des amis à ce moment-là,<br />
mais quand il n’y a plus rien à manger sur la<br />
table…” La mort ? “J’y pense au moins un<br />
jour sur deux. Ce qui me retient ? Mes enfants,<br />
ma mère.” Le public ? “Sur scène, j’oublie<br />
tout, je mets le chaos de ma vie entre<br />
parenthèses ; c’est agréable de se sentir<br />
aimé. En même temps, je ne vis pas avec<br />
lui…” Cette politesse lucide dont il témoigne<br />
est celle du désespoir, l’instinct de l’animal<br />
blessé, le cœur en écharpe. Aujourd’hui, il<br />
fait face au réel, en prise directe avec lui.<br />
Repartir en mer ? “J’en meurs d’envie, mais<br />
j’ai revendu mon bateau.” Alors pas d’avenir<br />
? “J’étais punk au départ. Et avec mon<br />
bassiste et mon guitariste, on y pense souvent…<br />
Je n’ai pas dis mon dernier mot.”<br />
Yan Pradeau<br />
“Légendaire sérénade” - Barclay<br />
www.pierpoljak.fr