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Marylène Eytier<br />
dients : le beatmaking (aller chercher des échantillons, les re-découper<br />
et les faire groover d’une certaine manière), mais aussi le<br />
deejaying. J’ai l’impression que l’on est le groupe de rap français<br />
qui met le plus de scratch dans sa musique, et je te l’assure,<br />
j’écoute beaucoup de choses ! Chez nous, le DJ sur scène a une<br />
place prépondérante, alors que dans le rap français, son rôle est<br />
généralement de balancer des bruits de verre brisé ou des instrus<br />
au début des morceaux ; ambianceur et faire-valoir ! Les DJ techniques<br />
actuels font de l’électro et de la drum’n’bass, ils ont un peu<br />
boudé le rap parce que c’est parfois quelque chose de très cliché<br />
et assez pauvre musicalement parlant.”<br />
Dés lors, les questions polémiques peuvent commencer : quelle<br />
légitimité dans le rap pour des petits gars de la campagne ? “On a<br />
pu nous reprocher de ne pas avoir une “street credibility”, on se<br />
considère plutôt comme des banlieusards des champs, mais souvent<br />
c’est par des gens qui nous<br />
“On se considère<br />
plutôt comme<br />
des banlieusards<br />
des champs.”<br />
connaissent mal où qui ont une fausse<br />
idée de ce que l’on fait. Ces gens-là ont<br />
eu l’impression que l’on marchait sur<br />
leurs plates-bandes, alors que l’on a<br />
vraiment toujours fait les choses de manière<br />
sincère et honnête, avec du cœur,<br />
en étant fidèle, en ne s’inventant pas<br />
une personnalité. Finalement nous<br />
sommes aussi légitimes que des mecs qui ont eu une vie difficile<br />
et qui se revendiquent du rap pour ce côté très rugueux.” Le rap,<br />
comme le jazz et le blues en leurs temps, tendrait donc vers l’universalité<br />
? “A partir d’un moment où un style grandit, franchit des<br />
frontières et commence à se populariser, forcément des gens se<br />
l’approprient, parfois de manière commerciale et purement stratégique,<br />
parfois parce qu’ils sont tombés amoureux et qu’ils en font<br />
leur truc, comme il peut y avoir du jazz nordique, avec une couleur<br />
très particulière.” Comme en écho à Casey dans le dernier numéro<br />
de <strong>Longueur</strong> d’Ondes qui disait : “Pas besoin de toucher le RMI<br />
pour avoir une conscience sociale.” Quand la légitimité devient<br />
une posture, celle du rappeur de banlieue, c’est que la musique du<br />
ghetto devient le ghetto de la musique : “On ne s’approprie pas<br />
que le rap et le jazz, mais également la chanson française et on les<br />
emmène ailleurs. Nous restons fidèles aux origines du hip-hop en<br />
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le faisant évoluer. C’est un style qui s’est construit sur le recyclage,<br />
par le biais du scratch et du sample, sur le message et la poésie. Il<br />
n’y a pas plus libre comme style. Après, on le ghettoïse, on le stigmatise,<br />
mais là où il restera fort et créatif, c’est justement en allant<br />
se mélanger, en allant voir au-delà de ses frontières. Il se stigmatise<br />
un peu lui-même aussi, au même titre que le rock parfois.<br />
Quelque soit le style, il y a une stigmatisation extérieure dont les<br />
médias sont responsables, mais ils ne l’inventent pas toujours. Ce<br />
serait mentir que de dire que certains rappeurs ne jouent pas le<br />
rôle que l’on attend qu’ils jouent. Et c’est nécessaire pour qu’existent<br />
tous les musiciens qui ont envie de montrer qu’il existe autre<br />
chose.” Car, au final, la justesse et l’honnêteté du propos, plus que<br />
la justice, donne au groupe toute légitimité : “Notre musique ne<br />
parle pas de rues, de guerres de gangs, mais évoque des choses<br />
qui nous touchent tous les jours et en ça, je pense que notre démarche<br />
est honnête. J’ai eu des discussions avec des gars qui viennent<br />
du rap plus street et ils respectent<br />
énormément <strong>Hocus</strong> <strong>Pocus</strong>, pour la transparence<br />
de ce que nous sommes.”<br />
Est-ce que le fait de vivre en Bretagne<br />
constitue l’un des ingrédients du mélange<br />
<strong>Hocus</strong> <strong>Pocus</strong> ? “Quand on passe<br />
un peu de temps à Paris, on se laisse vite<br />
prendre par cette vision terre à terre et<br />
commerciale de la musique où, d’un seul coup, il faudrait rentrer<br />
dans certaines cases, dans un certain moule, dans certains réseaux,<br />
connaître telle ou telle personne, et je pense que si j’étais<br />
parisien je ne ferais pas forcément la même musique, je me serais<br />
embarqué dans une dynamique différente. Je pense que la notion<br />
du temps n’est pas la même à Nantes qu’en région parisienne. Le<br />
temps que l’on s’autorise à prendre, c’est aussi celui du futur :<br />
l’histoire de cette tournée, de cet album, va sans doute s’achever<br />
fin 2010. Ensuite, on va essayer de se réserver chacun un peu de<br />
temps pour s’épanouir dans nos projets individuels, s’enrichir<br />
d’autres atmosphères et revenir plus frais !”<br />
Yan Pradeau<br />
“16 pièces” - On and On Records<br />
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