l'île pour pdf..pub - la-bibliothèque Saint-Herblain

J. F. : Eh bien oui, au lieu d’être vécue sous la contrainte, la retraite peut être choisie. Les îles – et
singulièrement les îles du Sud – ont porté les rêves d’artistes en mal d’ermitage ou en quête de nouvelles
sources d’inspiration. Dieu sait si on a écrit sur Gauguin et son périple insulaire en Martinique, à Tahiti et
à Hiva Oa. Jean-Luc Coatalem (Je suis dans les mers du Sud) en explique les tenants et aboutissants.
En 1891, au cours d’une interview (citée par Françoise Cachin dans Gauguin « ce malgré moi de
sauvage » ), Gauguin disait : « Je pars pour être tranquille, pour être débarrassé de l’influence de la
civilisation… j’ai besoin de me retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur
vie… ». D’abord déçu par Tahiti et par le cénacle des coloniaux bornés, le peintre s’éloigne des
« civilisés » et s’installe dans une case isolée au sud de l’île où il lui sera plus facile de faire coïncider
Océanie rêvée et Océanie quotidienne. Bientôt la volonté de représenter l’île d’avant le péché originel
(d’avant colons et missionnaires) se manifeste à travers toute son œuvre. Celui qui signait ses
lettres « nous autres, indigènes des Marquises » rechercha avec application un paradis perdu des formes
et une sauvagerie naturelle que sans doute il ne trouva jamais tout à fait.
Victor Segalen qui sauva certaines de ses œuvres le prit d’ailleurs comme initiateur à la culture maorie
(dont il déplore l’agonie dans Les Immémoriaux) en même temps que comme exemple pour se libérer
des entraves de la morale et de la religion chrétiennes. L’étape océanienne sera capitale pour Segalen
dans sa découverte de lui-même, l’amenant à reconstituer l’image d’un paradis perdu, parfaite harmonie
entre nature et sacré, entre désirs et morale. Œuvre d’ethnologue autant que de romancier, Les
Immémoriaux dépeignent un mode de vie maori dénaturé par la civilisation occidentale.
U.G. : Avant eux, Herman Melville, désertant du baleinier où il s’était embarqué, avait vécu aux
Marquises une existence pour le moins aventureuse, dont un séjour dans une tribu cannibale, d’où il
ramènera des récits à succès comme Taïpi.
J. F. : Capitaine au long cours, Joseph Conrad voyagea sur presque toutes les mers, mais surtout dans
l’archipel malais où il situe son chef-d’œuvre, Lord Jim. C’est au sein d’une communauté villageoise que
Jim s’en va chercher la rédemption et l’oubli. La solitude de l’individu à la merci des coups aveugles du
destin (souvent symbolisés par la mer) est une constante chez Conrad. Ici encore le cadre insulaire
renforce cette impression d’isolement et de menace. Un autre marin se fera le chantre des aventures
exotiques : Pierre Loti, notamment dans Le Mariage de Loti qui se passe à Tahiti, île délicieuse mais
aussi mirage. Venu à Tahiti dans l’idée d’y retrouver son frère disparu, Loti mène une quête qui est en
même temps celle de l’île véritable derrière les artifices du mythe colonial. Robert Louis Stevenson a déjà
beaucoup voyagé lorsqu’il s’installe dans l’archipel des Samoa. Surnommé « Tusitala » (le conteur