l'île pour pdf..pub - la-bibliothèque Saint-Herblain

La civilisation parachutée par les colons, les militaires, les industriels, les missionnaires et les touristes et
que beaucoup d’îliens vécurent comme un bouleversement inouï, est au centre d’un stupéfiant album
d’Edy-Legrand, Macao et Cosmage ou l’expérience du bonheur, ou comment une petite île
paradisiaque ignorée du reste du monde bascule dans la modernité. Jacques Prévert et André François
reprendront ce même thème de l’île préservée puis exploitée dans Lettre des îles Baladar en proposant
une conclusion moins paisible, la révolte des « indigènes ». Sous une forme originale et déconcertante,
Albert Lemant évoque aussi dans ses Lettres des Isles Girafines l’acculturation des Girafawaras et les
effets de la conquête coloniale. Alexandre Grine, dans sa nouvelle L’Île empoisonnée, raconte le suicide
collectif des vingt-quatre habitants de l’île Farfont : s’agit-il d’un acte de démence ? D’une intervention
extérieure ? Pas du tout : l’enquête révèle que c’est l’écho de la boucherie de 14-18 apporté par un navire
de passage qui déprimera ces insulaires paisibles et heureux au point de leur ôter toute foi en l’avenir.
Et si vous voulez adopter le point de vue insulaire, je vous conseille la lecture d’un petit livre très
réjouissant, Le Papalagui : les propos de Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa, dans les mers du Sud
recueillis par Erich Scheurmann. C’est l’histoire vraie d’un Samoan qui, au cours d’une visite de l’Europe
avec un groupe folklorique, avait noté ses impressions sur la façon de vivre des Blancs. Touiavii,
« l’insulaire sans culture », mettait en garde ses compatriotes contre la fascination de l’Europe. « Vous
croyez nous apporter la lumière. En vérité, vous voulez nous entraîner dans vos ténèbres. »
U.G. : Déjà avec Pierre Loti, et je songe notamment à son roman poétique : Le Mariage de Loti, le
constat de la condamnation à mort de la civilisation maorie se profile sur fond d’idylle polynésienne.
J. F. : On est loin de la gentille distraction exotique que d’aucuns veulent y voir. Il y a là une dimension
presque tragique qui annonce des manifestes plus radicaux comme Les Immémoriaux de Segalen,
œuvre incantatoire où la parole est donnée à l’Autre, le Polynésien muselé ou comme Le Passage de
Jean Reverzy, récit d’un rêve réalisé mais déçu.
U.G. : Face aux nouvelles réalités imposées par les gouvernements coloniaux (économie de marché,
privatisation des terres, travail salarié…) qui bouleversaient l’ordre traditionnel, les cultes du Cargo furent
des mouvements de résistance aux pratiques et valeurs européennes et aussi des mouvements
d’adaptation aux transformations et ruptures engendrées par le système colonial.
J. F. : Gérald Messadié consacre un livre érudit et riche en anecdotes à Cargo, la religion des humiliés
du Pacifique. On y lit notamment que pour les Mélanésiens et les Micronésiens, il existerait des flux
célestes de marchandises – « cargo » – convoyés par des oiseaux d’argent et détournés par les Blancs.