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174 enquêtes<br />

Il ne faudrait pas se méprendre au ton du Voyage au bout de la nuit et tenir ce livre souvent satirique<br />

jusqu’à la férocité pour un pamph<strong>le</strong>t. L’auteur conte de la manière la plus humb<strong>le</strong> et la<br />

plus candide : <strong>le</strong>s esprits non prévenus devront s’incliner devant la fidélité de son témoignage.<br />

C’est à partir de cet indice ténu que Marie-Christine Bellosta a bâti, de manière très convaincante,<br />

cette supposition audacieuse dans son étude du roman (Céline ou l’art de la contradiction, <strong>le</strong>cture de<br />

Voyage au bout de la nuit, Paris, PUF, 1990, p. 17-35). El<strong>le</strong> considère qu’« au total, Candide et Voyage<br />

rendent un son voisin. Certes, Céline se laisse al<strong>le</strong>r par moments, surtout dans la deuxième partie<br />

du roman, au lyrisme qui se déploiera dans la suite de son œuvre. Mais, dans la première partie, et<br />

par moments dans la seconde, on reconnaît <strong>le</strong> ton voltairien, cette étonnante façon de raconter <strong>des</strong><br />

horreurs scherzando ma non troppo » (p. 21) et el<strong>le</strong> en vient à se demander si Céline « n’a pas tâché de<br />

devenir lui-même <strong>le</strong> Voltaire “émotif” d’un sièc<strong>le</strong> de barbarie » (p. 24). Suivons son argumentation,<br />

que nous ne faisons que résumer.<br />

3<br />

Il y a tout d’abord indubitab<strong>le</strong>ment une parenté d’ambition et de structure. Il s’agit dans <strong>le</strong>s deux<br />

cas de faire œuvre « philosophique » dans un genre littéraire narratif, <strong>le</strong> roman ou « <strong>le</strong> conte ».<br />

Ces deux « romans philosophiques » jettent un regard particulier sur <strong>le</strong> monde et sa marche, et proposent<br />

une façon singulière d’en faire <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au : ce sont deux variations sur la « grande question »,<br />

cel<strong>le</strong> du mal, dans une même approche fictionnel<strong>le</strong> qui ne craint jamais de mettre la vraisemblance<br />

de côté. On s’avise au moins ainsi que <strong>le</strong> Voyage n’est pas seu<strong>le</strong>ment un roman (post)-naturaliste et<br />

« prolétarien » : <strong>le</strong> monde décrit est, certes, celui <strong>des</strong> misères populaires, <strong>des</strong> masses exploitées par<br />

la grande machine capitaliste, industriel<strong>le</strong> et colonialiste, mais il est vu à travers <strong>le</strong> prisme fantasmatique<br />

d’un incompréhensib<strong>le</strong> acharnement contre l’homme, comme un grand capharnaüm de<br />

la désespérance. Certains épiso<strong>des</strong> virent franchement au fantastique, à l’imaginaire noir débridé,<br />

avec une touche très XVIIIe sièc<strong>le</strong>. C’est <strong>le</strong> cas, en particulier, quand Bardamu, <strong>le</strong> héros, se retrouve<br />

en p<strong>le</strong>in XXe sièc<strong>le</strong> à bord d’une galère roya<strong>le</strong>, l’Infanta Combitta (chap. XIV) : <strong>le</strong> rapprochement<br />

avec la chiourme du dernier voyage de Candide vers Constantinop<strong>le</strong> (chap. XXVII), où <strong>le</strong> héros<br />

retrouve parmi <strong>le</strong>s galériens Pangloss et <strong>le</strong> frère de Cunégonde, est sans doute ici plus éclairant que<br />

toute autre considération de transposition documentaire, nécessairement hors-jeu.<br />

La narration surtout est organisée de la même manière dans <strong>le</strong> cadre commun du roman d’apprentissage<br />

et du voyage au long cours : césure binaire du récit par laquel<strong>le</strong> la première partie, constituée<br />

de dix-neuf chapitres dans <strong>le</strong>s deux romans, concentre la part aventureuse, traumatique et spectaculaire<br />

(la guerre, l’outre-mer), tandis que la seconde, dans un mouvement de retour à la réalité plus<br />

bana<strong>le</strong>, tire de plus en plus clairement <strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons d’une sagesse durement acquise. Dans <strong>le</strong> Voyage,<br />

<strong>le</strong> pendant de l’Eldorado de Candide n’est autre que l’Amérique, paradis du développement <strong>des</strong><br />

richesses.<br />

L’économie <strong>des</strong> personnages participe à cette parenté, el<strong>le</strong> explique même la maturation du projet<br />

célinien. On y voit deux héros « candi<strong>des</strong> » confrontés à la ru<strong>des</strong>se du monde et prenant progressivement<br />

conscience de l’inanité <strong>des</strong> représentations idéologiques. La même causticité se manifeste<br />

dans la transcription caricatura<strong>le</strong> et malintentionnée <strong>des</strong> théories en vogue expliquant l’ordre du<br />

monde : optimisme d’obédience <strong>le</strong>ibnizienne (Pangloss) dans Candide ; ridicu<strong>le</strong> du discours historique<br />

(Princhard, Parapine) ou psychiatrique (Bestombes, Baryton) dans <strong>le</strong> Voyage. Deux héros<br />

aussi qui connaissent ce dédoub<strong>le</strong>ment caractéristique <strong>des</strong> apprentissages douloureux : Candide<br />

flanqué de Pangloss, d’un côté ; Bardamu hanté par Robinson de l’autre. Figures de doub<strong>le</strong> qui<br />

finissent toujours tristement, comme l’élimination de la mauvaise part du héros : Pangloss en vieux<br />

radoteur pitoyab<strong>le</strong>, Robinson tué par son dégoût radical. Cette construction en miroir dans <strong>le</strong><br />

Voyage était absente de L’Église, première tentative romanesque avortée de Céline. C’est en méditant

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