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188 enquêtes<br />
dont l’influence sur la littérature du XIX e sièc<strong>le</strong> justifierait un travail de longue ha<strong>le</strong>ine : la diversité<br />
<strong>des</strong> fiches s’inscrit donc dans ce qui est devenu une heureuse tradition de cette section. Souhaitons<br />
que la moisson de 2010 soit dépassée en 2011 !<br />
1797-1848 « Combien [eût-il] gagné à être chrétien ! » : <strong>le</strong> Voltaire de Chateaubriand,<br />
Essai sur <strong>le</strong>s révolutions, Génie du christianisme, Mémoires d’outre-tombe 1<br />
1<br />
En 1797, Chateaubriand, émigré en Ang<strong>le</strong>terre, publie à Londres son premier livre, l’Essai sur<br />
<strong>le</strong>s révolutions. Ce texte illustre l’épuisement d’une forme littéraire, <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong> comparatif. Pratiqué<br />
depuis la Renaissance, à partir de modè<strong>le</strong>s anciens, il transcrit une conception de l’histoire<br />
fondée sur <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong>. Par analogie entre l’histoire et la croissance organique, il établit la lisibilité <strong>des</strong><br />
âges de l’humanité par ceux de l’homme, mettant ainsi en relation <strong>le</strong>s productions et <strong>le</strong>s mérites <strong>des</strong><br />
diverses époques, devenues comparab<strong>le</strong>s et mesurab<strong>le</strong>s selon un critère de perfection. Une nouvel<strong>le</strong><br />
expérience de l’histoire vient substituer au temps cyclique l’irréversibilité. S’abolit la mesure<br />
intemporel<strong>le</strong> et la possibilité de comparaison. Les références perdent <strong>le</strong>ur pertinence car el<strong>le</strong>s ne<br />
sont plus opératoires. El<strong>le</strong>s s’exténuent dans la mort du passé, s’accumu<strong>le</strong>nt en ruines offertes à la<br />
méditation nostalgique, mais privées de sens constructif.<br />
En embrassant cinq révolutions de l’antiquité et sept de l’ère moderne, l’Essai entreprend encore la<br />
réactivation du comparatisme. Mais la dispersion <strong>des</strong> remarques, la multiplication <strong>des</strong> aperçus font<br />
éclater <strong>le</strong> propos en brisures du sens. Le commentaire qu’il ajoutera en 1826 pour la reparution de<br />
l’ouvrage dans <strong>le</strong>s Œuvres complètes affirmera sans ambages l’illégitimité de la comparaison, prenant<br />
acte d’une victoire définitive, cel<strong>le</strong> de l’historicisme. L’histoire ne se répète plus, ne se dérou<strong>le</strong> pas<br />
selon une circularité p<strong>le</strong>ine d’enseignement, mais en une spira<strong>le</strong> infinie. En 1797 pourtant, Chateaubriand<br />
se place dans <strong>le</strong> cadre du comparatisme et met en scène l’histoire comme réitération.<br />
Cette répétition transforme <strong>le</strong> présent en regroupement d’éléments passés, de figures réincarnées,<br />
de lois effectives dans <strong>des</strong> lieux, climats et circonstances différents. Le rassemb<strong>le</strong>ment qu’opère<br />
la Révolution française est à la fois constitué d’ancien et de nouveau par son occurrence même.<br />
Unique en sa réitération, el<strong>le</strong> s’exerce comme résurrection, chimère et exaltation, éco<strong>le</strong> d’humilité<br />
et d’énergie. Profondément ambiguë, contradictoire, la Révolution défie l’analyse tout en l’autorisant<br />
par ses composantes. Totalité décomposab<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> se donne comme entité fabu<strong>le</strong>use. Mobilisatrice,<br />
source d’émerveil<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> déconcerte et confirme. El<strong>le</strong> génère la distance comme<br />
l’implication, l’absence et la fascination.<br />
L’ambition de Chateaubriand entend prendre en compte <strong>le</strong>s conditions mêmes de la vie <strong>des</strong> sociétés.<br />
À la fois stupéfait et satisfait, il découvre une loi imprescriptib<strong>le</strong> du changement perpétuel. La<br />
fatalité n’est que cette mystérieuse propension à faire et défaire, dont procède l’actuel<strong>le</strong> Révolution.<br />
La société primitive a été irrémédiab<strong>le</strong>ment corrompue alors que <strong>le</strong>s Lumières progressaient, et ce<br />
thème rousseauiste insiste sur la contradiction inhérente à la société. Suite de révolutions enchaînées,<br />
causes et effets <strong>le</strong>s unes <strong>des</strong> autres, l’histoire humaine n’est que la force <strong>des</strong> choses, idée clé<br />
d’une certaine Contre-Révolution, présente chez Mal<strong>le</strong>t Du Pan, retravaillée par Maistre, naturalisée<br />
par Bonald.<br />
Vision désespérée de l’histoire, mais aussi fondatrice du moi. Car la fatalité gît dans <strong>le</strong> cœur humain.<br />
1. Les références de cette notice seront prises dans l’édition de la Bibliothèque de la Pléiade : Essai sur <strong>le</strong>s révolutions<br />
et Génie du christianisme, éd. Maurice Regard, 1978 (EG) ; Mémoires d’outre-tombe, éd. Maurice Levaillant et Georges<br />
Moulinié, 1951, 2 vol. (MOT).