Aurore BERLAND
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Les Carnets de la Persagotière<br />
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<strong>Aurore</strong> <strong>BERLAND</strong><br />
Communication et intégration sociale<br />
d’adolescents sourds porteurs d’un<br />
implant cochléaire en intégration scolaire<br />
Publication de<br />
l’Institut public la Persagotière<br />
NANTES<br />
www.la-persagotiere.fr<br />
N° 25-2010<br />
Mai 2010
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Résumé :<br />
Ce travail se veut être une première approche de l’intégration sociale des adolescents sourds<br />
porteurs d’un implant cochléaire en intégration scolaire, nous permettant de sensibiliser les équipes<br />
et les parents d’enfants implantés sur les difficultés engendrées par la surdité, notamment à<br />
l’adolescence, et ainsi de pouvoir les anticiper relativement tôt.<br />
Mots clés : intégration sociale ; moyens de communication ; adolescence ; surdité ; implant<br />
cochléaire ; inclusion scolaire.<br />
Abstract :<br />
This work is intended as a first approach to the social integration of deaf adolescents who hold a<br />
cochlear implant in school integration, allowing us to educate staff and implanted children’s parents<br />
to the difficulties caused by deafness, during adolescence, and so to be able to anticipate them quite<br />
early.<br />
Key-words : social integration, communication skills, adolescence, deafness, cochlear implant,<br />
inclusive education.<br />
<strong>Aurore</strong> <strong>BERLAND</strong> est orthophoniste, doctorante chargée d’enseignement à l’Université de Toulouse.<br />
Ce texte est tiré du mémoire de Certificat de Capacité en Orthophonie présenté par l’auteure à<br />
l’Université François Rabelais, Faculté de médecine de Tours, année universitaire 2007-2008.<br />
<strong>Aurore</strong> <strong>BERLAND</strong> © Tous droits réservés.<br />
<strong>Aurore</strong> <strong>BERLAND</strong> autorise la diffusion de ce texte par photocopie à des fins de formation, aux conditions expresses que son nom et l’origine de ce<br />
texte figurent sur chaque page, et que ce texte ne soit pas transformé. Toute autre publication, sur tout support, est soumisse à son agrément préalable.<br />
Toute publication non autorisée s’expose à des poursuites judiciaires.<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
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<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
INTRODUCTION<br />
Dans le cadre d’un mémoire d’orthophonie, co-dirigé par Mmes Delore et Bombert, nous souhaitions<br />
dresser un tableau de l’intégration sociale des adolescents sourds profonds porteurs d’un implant<br />
cochléaire et scolarisés en intégration, et de leurs éventuelles difficultés. En effet, les orthophonistes<br />
du Centre d’implantation du CHU de Tours avaient régulièrement recueilli les témoignages de jeunes<br />
porteurs d’implant, qui leur ont exprimé, au moment des bilans, leurs difficultés d’intégration. Etant<br />
donné la multiplicité de facteurs qui influent à la fois sur l’intégration et sur l’adolescence, nous<br />
avons dû recentrer notre recherche, et avons étudié plus spécifiquement, le lien existant entre le<br />
développement, la qualité de la communication (sur les plans de l’intelligibilité, de la richesse du<br />
lexique, du niveau de compréhension), l’appétence à communiquer et l’intégration sociale de ces<br />
jeunes sourds porteurs d’un implant cochléaire et scolarisés en milieu ordinaire.<br />
Les premières implantations cochléaires réalisées chez les enfants datant d’environ vingt ans, nous<br />
avons aujourd’hui un certain recul sur cette technique, désormais courante chez les enfants sourds<br />
congénitaux sévères et profonds, mais aucune étude à notre connaissance ne s’intéresse à<br />
l’intégration sociale de ces enfants devenus adolescents. Or, à l’heure où la surdité est dépistée de<br />
plus en plus précocement, et où une majorité des enfants sourds congénitaux est implantée, nous<br />
sommes face à une nouvelle problématique : des enfants sourds profonds qui «entendent avec un<br />
implant cochléaire». Pour leur entourage, ces jeunes entendent, on a «réparé» leur handicap, ils ont<br />
appris à parler et sont intégrés dans le milieu scolaire ordinaire, alors que l’on sait bien qu’ils ont, par<br />
exemple, des problèmes en conversation en groupe, ou encore sur le plan de leur identité.<br />
Par ailleurs, depuis la loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation<br />
et la citoyenneté des personnes handicapées (Chirac & al., 2005), le système éducatif «ordinaire» est<br />
appelé à accueillir tous les enfants porteurs de handicap. De plus en plus d’enfants sourds sont donc<br />
en inclusion.<br />
Pour réaliser ce travail, nous avons choisi de rencontrer ces jeunes à travers un questionnaire que<br />
nous avons élaboré, complété par des tests.<br />
Cela nous a permis d’identifier les difficultés qu’ils sont amenés à rencontrer au quotidien, et nous<br />
donne ainsi la possibilité de mieux cerner leurs besoins, afin de les accompagner en orthophonie,<br />
dans leurs capacités à y faire face de la manière la plus adéquate possible.<br />
BREFS RAPPELS THEORIQUES<br />
1. Adolescence et surdité.<br />
L’adolescence est, dans nos sociétés occidentales, la période entre 11-12 ans et 19 ans, à laquelle<br />
interviennent d’importantes transformations somatiques et physiques, ainsi que des changements<br />
profonds d’ordre psychologique, cognitif, familial, social. C’est une période de développement, de<br />
mutation, et de recherche d’équilibre.<br />
Sur le plan social, l’adolescent s’autonomise et l’influence familiale diminue. On assiste alors à une<br />
transition vers le groupe de pairs : avec ses amis, ses semblables, il va trouver des repères au sein<br />
d’une bande avec ses codes et son langage, se construire des savoirs et savoir-faire nécessaires, dans<br />
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<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
le contexte d’interaction sociale, à l’établissement des liens sociaux (Berthelot, 1988), et ainsi,<br />
inventer sa propre manière de se situer dans le monde. Au travers de leurs expériences partagées,<br />
les adolescents se construisent ensemble un sentiment d’appartenance, qui va leur permettre de<br />
structurer par la suite, leur identité (Fisher, 1988).<br />
Aux incertitudes de cette période déjà complexe chez les adolescents entendants, se rajoutent<br />
d’autres difficultés engendrées par la surdité.<br />
« Avec l’adolescence, arrive souvent la prise de conscience des limitations imposées par la surdité »<br />
(Laborit, 2001: 55) : limites dans les relations sociales, dans le choix des études et d’un métier, dans<br />
les possibilités de rencontres amoureuses… Ceci ne fait donc qu’accentuer le malaise souvent<br />
présent à cet âge.<br />
Parce que la communication se complexifie à ce stade de la vie (les adolescents ne partagent plus des<br />
jeux, mais d’autres préoccupations : conversations en groupe, relations amoureuses…), le jeune<br />
sourd peut se sentir exclu, et être confronté à des moqueries ou à l’indifférence des autres jeunes de<br />
son âge : la surdité, même si elle est invisible, « gêne souvent les adolescents entendants et les<br />
amène à avoir un regard et des attitudes d’évitement » (Virole, 2005). Mais il peut aussi arriver que<br />
ce soit le jeune sourd lui-même qui tende à rejeter ses camarades entendants.<br />
Ceci étant dit, il est important de garder à l’esprit que chaque enfant sourd est unique et que sa<br />
manière de vivre sa surdité est singulière : l’adolescence est vécue différemment en fonction du<br />
degré de surdité, du gain apporté ou non par l’appareillage, de l’étiologie de la surdité, de l’âge de sa<br />
survenue, des réactions de la famille, des choix éducatifs, de leur(s) mode(s) de communication…<br />
2. Le langage à l’adolescence.<br />
Peu d’études existent sur le développement du langage à l’adolescence et donc peu d’outils<br />
d’évaluation ciblés. Les coûts personnels et sociétaux (versants scolaire, social…) des troubles du<br />
langage à cet âge sont pourtant très importants.<br />
En effet, à l’adolescence, les jeunes se retrouvent en groupe pour discuter de passions communes,<br />
partager des expériences nouvelles. Comme dans tout phénomène de groupe, ils développent à ce<br />
moment un langage commun, partagé qui leur permet de s’identifier aux autres membres de ce<br />
groupe. C’est ainsi que se développe leur autonomie et que se construit leur identité.<br />
Or, la surdité introduit un rapport différent au langage. Celui-ci est en effet d’abord «articulé, ce qui<br />
rend son accès pour les sourds médié soit par le codage, la traduction ou la lecture labiale. Quelles<br />
que soient les voies, l’accès est ainsi marqué par l’effort et le dépassement de la contrainte »<br />
(Laborit, 2001 : 46).<br />
Les règles conversationnelles sont donc difficiles à maîtriser pour les jeunes sourds congénitaux<br />
puisque, comme l’expliquent les interactionnistes, elles sont, pour l’enfant entendant, « acquises<br />
progressivement dès la naissance, mais sans faire pour la plupart d’entre elles l’objet d’un<br />
apprentissage systématique » (Kerbrat-Orecchioni, 1996 : 9), et sont, en règle générale, appliquées<br />
de manière inconsciente. Le petit sourd, lui, va devoir les apprendre.<br />
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en intégration scolaire.<br />
Par ailleurs, plus le nombre d’individus dans le groupe est important, plus les situations de<br />
colocutions, de chevauchements, de changements de thème etc… sont susceptibles de se produire.<br />
Les conversations sont rapides, « du tac au tac », la sélection des locuteurs pour le changement de<br />
tour, se fait de manière floue (Traverso, 1999 : 32).<br />
Kerbrat-Orecchioni (1990 : 197) ajoute que « pour être en mesure d’enchaîner correctement, il faut<br />
avoir au préalable écouté, ou du moins entendu, les propos précédemment énoncés » : une<br />
attention soutenue, ainsi que de bonnes facultés de perception et de compréhension des messages<br />
émis, sont donc nécessaires afin de construire un échange cohérent.<br />
Or, dans toute situation de communication, le jeune sourd implanté doit écouter : il ne possède pas<br />
la capacité qu’ont les entendants d’écouter de manière passive. Il ne peut pas localiser un son, a des<br />
difficultés importantes de perception dans le bruit et à distance («l’efficacité complète de l’implant<br />
demande de bonnes conditions acoustiques», Juarez-Sanchez, 2005 : 221) , doit nécessairement être<br />
concentré pour entendre ce que son interlocuteur lui dit, et utilise la lecture labiale surtout pour les<br />
conversations en groupe (Vieu, 2004) : il doit prendre des indices visuels rapides, afin d’analyser la<br />
nouvelle situation de communication, et ainsi suivre au mieux la conversation, en essayant de laisser<br />
passer le moins d’informations possibles. Il est également gêné, comme le précise Beaussant (2003 :<br />
25), pour repérer les « unités fonctionnelles qui se combinent au message », telles que les chutes<br />
d’intonation de la voix de son interlocuteur, qui introduisent une alternance dans la communication :<br />
il ne peut donc pas savoir d’emblée que c’est à son tour de parler et peut ainsi se retrouver en<br />
décalage dans l’interaction.<br />
Toutes ces données vont donc influer sur la réception du message, ce qui rend donc les échanges<br />
verbaux plus laborieux.<br />
Sur le plan de la production du message oral, la surdité va également influer : le niveau<br />
d’intelligibilité du jeune va lui permettre de pouvoir communiquer aisément ou non. Si l’adolescent<br />
est peu intelligible, son interlocuteur doit prêter une grande attention pour le comprendre, ce qui<br />
entraîne une fatigue du récepteur.<br />
Par ailleurs, les autres évolutions langagières à l’adolescence que sont par exemple l’apprentissage<br />
de mots nouveaux et la maîtrise de l’argumentation, sont des capacités qui vont aussi générer des<br />
difficultés et nécessiter, de la part de ces jeunes, des efforts considérables.<br />
Et si l’on convient que le langage propre aux adolescents ne s’apprend pas dans les livres, mais<br />
s’acquiert en situation, nous pouvons aisément comprendre les difficultés que peuvent avoir les<br />
jeunes sourds à l’acquérir. Or certains auteurs démontrent que ceux qui ne possèdent pas le code<br />
spécifique instauré au sein du groupe, peuvent s’en trouver exclus.<br />
Cela peut d’ailleurs être accentué par les nouveaux médias : en effet, les adolescents communiquent<br />
aujourd’hui beaucoup par téléphone. De nombreuses informations s’échangent, plus affectives<br />
qu’informatives, mais ce type de communication est devenu un moment privilégié de partage. Or, il<br />
est difficile pour un adolescent sourd implanté de comprendre une conversation téléphonique. Par<br />
ailleurs, l’utilisation des S.M.S. (short message service), peut également s’avérer compliquée au vu de<br />
leurs difficultés à maîtriser l’écrit, et ici, le code phonétique.<br />
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en intégration scolaire.<br />
3. L’intégration sociale.<br />
D’après Tap (1988 : 12-13), « être intégré, c’est accepter les règles du jeu et se montrer prêt à<br />
s’adapter aux modalités de fonctionnement et aux exigences de l’organisation qui vous accueille »,<br />
tout en nécessitant également une adaptation de la part du groupe d’accueil.<br />
L’intégration sociale découle donc en partie de la socialisation, qui est le plus souvent définie comme<br />
un processus adaptatif développemental : celui par lequel l’enfant tend à acquérir par apprentissage<br />
et à intérioriser, « les moyens d’action et de connaissance, les règles et les habitudes comme les<br />
modes de pensée, les idéaux, et les croyances conformes à ses milieux de vie ou à ses groupes<br />
d’appartenance » (Tap, 1988 : 93).<br />
L’intégration sociale n’est donc véritable que s’il y a interaction entre l’individu et le groupe et donc<br />
adaptation réciproque.<br />
Différents facteurs influencent donc l’intégration sociale des adolescents sourds :<br />
- La scolarité notamment, va être un facteur important dans le développement de l’intégration<br />
sociale de ces jeunes : elle va en effet permettre à l’enfant puis à l’adolescent de travailler et<br />
de vivre en groupe, favoriser leur autonomie et les amener à se créer un cercle d’amis. Le<br />
collège, puis le lycée, ainsi que ce qui les accompagne (trajets, activités périscolaires),<br />
«constituent certes des lieux d’apprentissage scolaire, mais aussi d’expérimentation de<br />
nouveaux rôles, de nouvelles relations sociales et de comparaison aux autres » (Florin, 2003 :<br />
106).<br />
- L’aisance de communication avec les entendants, le degré d’autonomie, la capacité à aller<br />
vers les autres sont autant d’autres facteurs entrant en jeu dans la création de liens sociaux.<br />
Il faudra considérer également les facteurs extérieurs aux jeunes sourds, car ils influencent<br />
eux aussi l’intégration, puisqu’elle ne peut se réaliser que dans le cadre d’une adaptation<br />
mutuelle : le degré d’information des autres (élèves comme enseignants) est un des<br />
éléments qui permettra à tous de mieux comprendre et ainsi de mieux s’adapter au<br />
handicap.<br />
Nous supposons également que le sentiment d’intégration sociale que développe chaque individu<br />
sera prédictif de son intégration. Certaines variables seraient donc communes au sentiment<br />
d’intégration et à l’intégration sociale : le sexe, l’âge, le régime scolaire, le niveau de communication<br />
déclaré par les professeurs, le vécu personnel et relationnel de leur surdité…<br />
HYPOTHESES DE TRAVAIL<br />
Compte tenu des éléments théoriques que nous connaissions, nous supposions que les jeunes sourds<br />
de notre population présenteraient des difficultés d’intégration sociale, et ce, d’autant plus si leur<br />
niveau de langage était faible.<br />
Par ailleurs, nous pensions que les jeunes étant peu intelligibles seraient moins bien intégrés que les<br />
autres.<br />
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en intégration scolaire.<br />
METHODOLOGIE DE RECHERCHE<br />
Protocole expérimental<br />
Pour notre étude, nous avons travaillé avec une population cible comprenant douze adolescents<br />
sourds profonds (5 garçons et 7 filles), porteurs d’un implant cochléaire, âgés de 12 ans 3 mois à 19<br />
ans 3 mois. Leur âge d’implantation varie alors entre 3 ans 5 mois et 15 ans 1 mois (avec une<br />
moyenne à 6 ans 1 mois).<br />
Nbre d'adolescents<br />
Répartition de la population en fonction du nombre<br />
d'années post-implantation<br />
7<br />
6<br />
5<br />
4<br />
3<br />
2<br />
1<br />
0<br />
2ans 8mois et 4ans 1mois<br />
5ans 5mois et 6ans 10mois<br />
8ans 2 mois et 9 ans 7mois<br />
Nbre d'années postimplantation<br />
10ans11 mois et 12ans 3mois<br />
Comme le montre ce graphique, le nombre d’années post-implantation varie donc entre 2 ans 8 mois<br />
et 14 ans 9 mois (moyenne : 9 ans 2 mois).<br />
La majorité de notre population est scolarisée au collège : sept y sont en intégration totale 1 et un<br />
jeune y est en intégration partielle 2 accompagnée ; trois jeunes sont au lycée et une jeune est en<br />
première année d’IUT.<br />
Tous utilisent préférentiellement le langage oral, certains ayant besoin du LPC. Deux jeunes peuvent<br />
utiliser la LSF pour parler à des amis sourds signants.<br />
Selon des études épidémiologiques (notamment belges et anglaises), citées par Loundon (2002), plus<br />
un enfant est implanté tôt, meilleure est son intégration. Nous n’avons plus désormais de doute sur<br />
le niveau de langage des jeunes implantés précocement : les études se recoupent pour dire qu’un<br />
enfant sourd, sans trouble associé, implanté tôt, développe un langage plus riche qu’un enfant<br />
implanté plus tardivement. Mais que se passe-t-il pour lui lorsqu’il converse en groupe ? Quels sont<br />
les obstacles qui s’opposent à lui ?<br />
1 Intégration individuelle dans une classe ordinaire avec le même programme que les autres élèves.<br />
2 Temps de scolarité divisé entre deux classes : certaines matières sont abordées avec les élèves entendants, en<br />
intégration dans une classe ordinaire ; d’autres, comme le français par exemple, sont enseignées par un<br />
professeur spécialisé, au sein d’une petite classe, qui regroupe les enfants sourds de l’établissement.<br />
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13ans 8mois et 15ans
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en intégration scolaire.<br />
Il nous a paru important d’amorcer une réflexion sur l’intégration sociale des enfants implantés plus<br />
tôt, et sur les éventuelles difficultés qu’ils pourront présenter à l’adolescence compte tenu de leur<br />
évolution actuelle.<br />
C’est pourquoi, parallèlement à notre population d’adolescents, nous avons constitué un échantillon<br />
de quatre enfants âgés de 7 ans 5 mois à 8 ans 8 mois, porteurs d’une surdité profonde bilatérale gr.<br />
III, implantée en moyenne à 28 mois.<br />
Outils méthodologiques.<br />
Après avoir étudié les dossiers médicaux et orthophoniques des patients inclus dans notre étude,<br />
nous les avons rencontrés afin de leur faire passer un bilan orthophonique de langage oral ainsi que<br />
de les questionner sur leur intégration. Faute de tests de langage oral étalonnés de 7 à 19 ans, nous<br />
avons utilisé deux outils différents :<br />
- le Test de Langage Oral Complexe pour Collégiens (ou T.L.O.C.C de Maurin, 2007) pour les<br />
adolescents ;<br />
- l’Evaluation du Langage Oral (E.L.O, de Khomsi, 2001) pour les plus jeunes.<br />
Afin de valider ou d’invalider l’une de nos hypothèses, il nous a paru également important de<br />
mesurer leur intelligibilité avec l’échelle d’intelligibilité de Nottingham, quantifiée de 1 (parole non<br />
intelligible) à 5 (parole intelligible pour tous dans tous les moments de la vie quotidienne).<br />
Puis, lors d’un entretien, nous les avons interrogés sur leur intégration sociale, à partir d’un<br />
questionnaire que nous avions préalablement élaboré, à partir de diverses sources (Michel, 1999;<br />
Colleau, 2006; Lhomer & Veau, 2006; observations cliniques).<br />
Afin de pouvoir transformer les réponses obtenues lors de ces entretiens en résultats quantifiables et<br />
comparables, nous avons créé deux échelles. La première évalue l’intégration sociale et le sentiment<br />
d’intégration, et dégage deux scores distincts : le score de sentiment d’intégration correspondant à la<br />
perception qu’a le jeune de son intégration, et le score d’intégration dite réelle, obtenu grâce à la<br />
confrontation des réponses du jeune avec les dires de ses parents ou/ et d’un orthophoniste qui le<br />
suit (orthophoniste qui le suit en rééducation ou orthophoniste du centre d’implantation), recueillis<br />
de manière plus informelle.<br />
La deuxième échelle évalue quant à elle les compétences et l’appétence du jeune à la<br />
communication orale en groupe, à partir de neuf affirmations de type « j’aime discuter en groupe<br />
avec beaucoup de personnes ».<br />
Les autres variables prises en compte sont le vécu de la surdité et les relations à la<br />
culture sourde ainsi que le degré d’information de l’environnement du jeune,<br />
facteurs qui entreraient en compte dans l’intégration sociale de ces jeunes.<br />
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en intégration scolaire.<br />
RESULTATS ET ANALYSES<br />
Analyse qualitative<br />
Notre travail comportant un petit nombre de sujets, il est essentiellement qualitatif et descriptif.<br />
Nous avons alors pu relever dans le contenu de chaque entretien des éléments discursifs prégnants,<br />
nous permettant de déterminer, pour notre analyse qualitative, trois axes directeurs : l’intégration<br />
sociale, la communication et l’identification.<br />
• Intégration sociale.<br />
Les plus jeunes d’entre eux (11-14 ans) nous disent généralement qu’ils ne s’ennuient pas. Seule une<br />
adolescente exprime son désir de voir d’autres sourds. « J’aimerais bien connaître d’autres sourds,<br />
c’est mieux, on peut parler l’implant, et tout. On peut partir en colo avec ! »<br />
Les plus grands, eux, parlent d’isolement : parfois de leur fait, « ben c’est moi qui m’mets en retrait,<br />
mais bon euh…pfff…j’sais pas si eux…j’m’entends pas très bien avec eux en fait…Oui, ils sont pas très<br />
matures en fait (…) » (A.), d’autres fois, à cause d’une méconnaissance et d’une intolérance à la<br />
différence : « Par exemple, il y avait un gars de ma classe, il est sourd d’une oreille, il est bizarre, des<br />
fois il est sympa avec moi, mais des fois, il est très méchant. Des fois par exemple : ‘Ah ah ah, on<br />
n’avait pas fini la conversation et toi tu parles’, ou encore par exemple, ça lui arrive d’articuler comme<br />
ça n’importe quoi et moi je croyais qu’il parlait, qu’il articulait des vraies phrases, mais en fait c’était<br />
du n’importe quoi ! Moi je me forçais à comprendre, à lire sur ses lèvres et il rigolait de me voir<br />
m’embêter à ça…Ou bien il faisait comme ça, il parlait comme ça (main devant la bouche) et puis il<br />
disait à ses potes de faire comme ça et ils rigolaient tous en groupe et moi ça me faisait mal…Au<br />
début ça me faisait rire, mais à la longue c’est lourd ! Et donc j’ai peu de copains. Ils me laissent tous<br />
de côté, car ils n’acceptent pas la différence». (D.)<br />
Tous ne disent pas être exposés à des moqueries, mais leurs relations avec leurs pairs,<br />
majoritairement entendants, restent complexes, et leurs rencontres sociales sont relativement<br />
pauvres. Les relations amoureuses, ne sont abordées que par un seul jeune : « Pour sortir avec une<br />
fille, c’est difficile parfois, y’en a qui disent non pa(r)ce que t’es sourd» (C.).<br />
Mais sur le plan amical, on observe pour tous qu’ils voient peu d’amis pendant leurs vacances.<br />
Certains bricolent ou jouent avec de la famille (parents, frères, oncles…), d’autres partent en<br />
vacances chez leurs grands-parents ; Les uns lisent ou font du sport seuls, tandis que les autres<br />
jouent sur Internet ou avec des jeux vidéo.<br />
Beaucoup de jeunes parmi les plus âgés disent s’ennuyer : « mes parents ne veulent pas que j’sorte,<br />
c’est pareil pour les autres que vous avez vus ? C’est injuste, mon frère prend le train et pas moi, ils<br />
ont pas confiance pa(r)ce que j’suis sourde. J’peux pas aller voir mes copines alors j’suis toute<br />
seule…». (E.)<br />
Bien sûr les moyens de communication actuels favorisent les échanges entre les jeunes, mais chez les<br />
sourds, peu utilisent le téléphone. Deux adolescentes nous disent qu’elles appellent parfois des<br />
copines, mais les autres l’utilisent uniquement avec leur famille, pour ceux qui acceptent de<br />
décrocher. C., qui présente la plus grande aisance communicative, explique: « je peux pas facilement<br />
téléphoner… j’comprends juste une phrase, c’est tout, alors je décroche pas ».<br />
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<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Quant à MSN, même si la plus grande majorité des jeunes rencontrés l’utilise et apprécie son usage<br />
(D. explique que, là au moins, « les gens ne s’arrêtent pas aux apparences»), certains restent déçus<br />
de ces échanges virtuels.<br />
L’une des trois jeunes de notre population qui ont plus d’amis sourds que d’amis entendants<br />
explique : « J’ai plus d’amis sourds, mais je les vois que par msn, et ça manque de pas les voir en<br />
vrai ».<br />
• Communication.<br />
Les réflexions faites sur l’intégration sociale portent essentiellement sur les difficultés de<br />
communication. Elles nous ont donc amené à nous interroger sur l’aisance des adolescents de notre<br />
population lors des échanges langagiers en groupe. Tous disent qu’ils peinent lorsqu’il y a beaucoup<br />
de bruit autour d’eux. Selon B., « Dans les repas de famille, c’est difficile. Y’a trop de bruit, ils font<br />
pas attention à moi. Alors…j’attends que le temps passe, pa(r)ce que j’sais pas pourquoi ils<br />
rigolent…J’pars au bout d’un moment avec mes p’tits cousins…euh pa(r)ce qu’eux ils jouent avec moi,<br />
ils parlent pas ». E. ajoute : « Tout se mélange, y’a des gens, ils posent des questions et ils coupent la<br />
parole, c’est dur ». Alors K. a trouvé un moyen de compensation : « Je fais comme si y’avait pas de<br />
bruit, et je m’occupe de la lecture labiale… mais ça me fatigue plus ».<br />
J., quant à elle, explique qu’en récréation « ça va », mais qu’en repas de famille, les échanges sont<br />
plus difficiles. Elle nous dévoile par la suite, qu’en récréation elle «préfère être avec une seule<br />
copine», sourde sévère, avec qui elle code quand elle ne comprend pas, ce qui explique qu’elle ne<br />
mentionne pas les difficultés qu’elle peut rencontrer en groupe plus important.<br />
D’après les commentaires de la plus grande partie des jeunes rencontrés, le bruit est donc une<br />
entrave à leur compréhension, ce qui peut les amener à s’isoler, si leurs interlocuteurs ne s’adaptent<br />
pas. Or, peu de jeunes font répéter leurs interlocuteurs (notamment les copains) de manière<br />
explicite, lorsqu’ils ne comprennent pas et aucun ne le fait systématiquement, même s’ils savent que<br />
cela améliorerait leur compréhension.<br />
Dans un groupe, le nombre idéal de locuteurs varie en fonction des enfants, mais la majorité des<br />
adolescents préfère discuter en groupe restreint (voire très restreint), au calme, avec des<br />
interlocuteurs qui s’adaptent à eux, car les situations de co-locutions sont particulièrement gênantes<br />
pour leur compréhension.<br />
Par ailleurs, nous pouvons assurer, grâce à notre entretien, que les procédés qui ralentissent le<br />
rythme des échanges et annoncent le changement de thème ne sont pas systématiquement repérés<br />
par ces jeunes, ce qui est également une entrave à la bonne tenue de l’échange, car la majorité des<br />
adolescents, lors d’un changement de thème implicite, persévère sur l’ancien thème.<br />
Les situations de changement de thèmes s’avèrent malgré tout difficiles à analyser. Car même si nos<br />
suppositions se trouvent renforcées par la clinique, nous ne pouvons pas réellement savoir comment<br />
se passent les discussions entre adolescents puisque nous n’en avons pas observé par nous-même.<br />
La même conclusion peut être portée pour apprécier le respect des tours de rôle, même si, en<br />
confrontant nos réponses aux travaux de De Beaucorps & Prouteau (2000), nous sommes persuadée<br />
que les situations de tours de rôles sont difficiles à aborder pour ces jeunes.<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
10
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Toutes ces constatations cliniques nous permettent de consolider notre hypothèse de départ<br />
consistant à dire que les situations de communication en groupe, avec des entendants, sont<br />
particulièrement difficiles pour les jeunes sourds porteurs d’un implant cochléaire et influent donc<br />
sur leur intégration sociale.<br />
Mais, l’entretien nous permet également de nous apercevoir que les échanges entre les jeunes<br />
sourds ne sont pas non plus aisés. « Avec M. (sourd profond implanté) je signe, il comprend pas bien.<br />
Avec Elsa (sourde sévère), on code parce qu’elle articule mal » nous dit H. Par contre, avec Marie,<br />
sourde signante, c’est plus difficile : « on signe un peu, mais on ne va pas souvent avec elle ».<br />
• Identification.<br />
Ceci nous a alors amené à nous intéresser à l’identification des jeunes adolescents : se considèrent-ils<br />
plus comme sourds ou comme entendants ? Le mode de communication influence-t-il leur<br />
identification ?<br />
Selon Baud’huin (2006 : 71), « les adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire s’identifient<br />
plus fortement à la communauté entendante qu’à la communauté sourde », donc se rapprocheraient<br />
plus de la culture dominante.<br />
Mais dans notre étude, les résultats qualitatifs ne se sont pas révélés aussi catégoriques. Ainsi, si une<br />
jeune fille nous confiait « Je me considère comme une entendante, j’ai tendance à penser comme une<br />
entendante, pour moi l’implant a toujours existé », elle explique ensuite « Je parle à l’oral, j’ai oublié<br />
la LSF, mais j’ai envie de m’y remettre. Les petits implantés devraient continuer les deux pour qu’ils<br />
aient le choix et garder avec ses racines ». D’autres nous disaient qu’ils ressentaient des limites<br />
(comme pour téléphoner), d’autres encore ayant davantage d’amis sourds, et pouvant communiquer<br />
aisément en langue des signes s’identifiaient davantage à la communauté sourde, s’opposant ou non<br />
au choix d’implantation de leurs parents.<br />
L’un des plus âgés de l’étude enfin expliqua qu’il se sentait « partagé entre les deux » : « j’suis entre<br />
le milieu » mais « c’est difficile à dire aux autres que j’suis sourd et puis que j’entends ». Ces<br />
différences de point de vue peuvent également être retrouvées sur des forums sur internet (comme<br />
sur ceux de la Fédération Francophone des Sourds de Belgique) à travers les divers témoignages de<br />
jeunes sourds implantés.<br />
A la question « Te sens tu différent des autres adolescents ? », les plus grands, ayant acquis une<br />
autonomie de pensée, réussissent à élaborer une réponse et à l’étayer: « Juste la mentalité. Je me<br />
sens plus intelligent avec les sourds. Avec les entendants, j’ose pas des choses, je me sens immature ».<br />
(F.)<br />
Cette question de maturité est reprise par d’autres jeunes d’une façon différente : « Oui, je me sens<br />
différente, ce n’est pas uniquement sur le plan de la surdité en fait…j’ai vécu plus de choses sur le plan<br />
social qu’eux…Par exemple, les moqueries…Et sur le plan scolaire, j’ai beaucoup travaillé : j’avais<br />
quatre années de retard et je les ai rattrapées. J’suis plus mûre qu’eux, mais plus immature d’un côté<br />
surtout l’affectif : j’ai besoin de ma famille parce qu’ils ont toujours été là pour moi ! Ce sont les seuls<br />
qui m’aient soutenu du début jusqu’à la fin… Donc euh, j’ai du mal à couper euh…le cordon ». (D.)<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
11
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Les plus jeunes quant à eux ont un avis, mais ne réussissent pas véritablement à l’expliquer : « Oui<br />
(…) j’sais pas pourquoi » (G.) ; « Pas pareil…j’sais pas…j’ai pas la même voix que L.…H. c’est pareil ! »<br />
(J.) ; « Pas pareil…Ben…je crois pas…H., c’est pas pareil, pa(r)ce que quand elle parle, c’est pas pareil<br />
que moi » (L.)<br />
La question de la construction identitaire est une notion extrêmement complexe et nécessiterait une<br />
étude spécifique. Elle ne relève pas directement du domaine de l’orthophonie, mais certains<br />
commentaires nous ont amené malgré tout à nous interroger sur les impacts que peut avoir la<br />
communication sur l’identification.<br />
Analyse quantitative.<br />
Intégration sociale dite « réelle » et sentiment d’intégration.<br />
J<br />
K<br />
I<br />
Comparaison entre le sentiment d'intégration<br />
sociale des jeunes et leur intégration réelle.<br />
L<br />
H<br />
A<br />
80<br />
60<br />
40<br />
20<br />
0<br />
G<br />
B<br />
F<br />
C<br />
E<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
12<br />
D<br />
Sentiment d'intégration des<br />
adolescents<br />
Intégration dite réelle<br />
En étudiant les résultats<br />
obtenus à partir de l’échelle<br />
évaluant l’intégration sociale<br />
des jeunes, nous avons pu<br />
constater que les adolescents de<br />
notre population ont une<br />
meilleure perception de leur<br />
intégration que celle que l’on<br />
pourrait considérer comme<br />
réelle, ce que l’on observe<br />
nettement sur le graphique cicontre.<br />
Deux hypothèses nous sont donc apparues comme plausibles pour expliquer le fait que les plus<br />
jeunes des adolescents (sur le graphique : A. le plus âgé et L. le plus jeune) ont une meilleure<br />
perception de leur intégration que celle qui semble être réelle :<br />
- d’une part, les adolescents les plus âgés (A. à D. ont entre 16 et 19 ans) ont acquis une<br />
pensée autonome : ils peuvent alors dire ce qu’ils vivent de manière plus indépendante. Les<br />
plus jeunes (G. à L.) seraient, à notre sens, encore trop dans le désir de leurs parents : par<br />
leur discours plus ‘optimiste’ que leurs aînés, ils retraduiraient ainsi les attentes de leur<br />
famille.<br />
- Une autre hypothèse serait de dire qu’un adolescent en début de collège n’a pas encore été<br />
confronté aux difficultés des plus âgés : en 6 ème les enfants sont encore dans le jeu et non<br />
réellement dans des échanges discursifs, ce qui expliquerait leur meilleur sentiment<br />
d’intégration.
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Intégration sociale et intelligibilité.<br />
Nous avons ensuite montré que le niveau d’intelligibilité est étroitement lié avec l’intégration sociale<br />
du jeune. Les jeunes ayant un niveau d’intelligibilité inférieur à 5 présentent un score d’intégration<br />
sociale faible, tandis que ceux pouvant être aisément compris par tous s’intègrent plus facilement.<br />
Score<br />
"intégration<br />
réelle"<br />
Influence du niveau d'intelligibilité sur l'intégration<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
A B C D E F G H I J K L<br />
Adolescents<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
13<br />
5<br />
4<br />
3<br />
2<br />
1<br />
0<br />
Niveau<br />
d'intelligibilité<br />
(SIR)<br />
Intégration sociale<br />
Intelligibilité SIR<br />
Cependant, l’intelligibilité n’est pas le seul facteur qui influe sur l’intégration sociale, puisque l’on<br />
observe aussi deux jeunes, qui, avec un niveau d’intelligibilité de 3,5 et de 4, sont aussi bien voire<br />
mieux intégrés que trois autres jeunes, qui pourtant peuvent être compris facilement par tous.<br />
Intégration sociale et niveau de langage.<br />
A partir de nos résultats, nous n’avons pas pu mettre en évidence de corrélation entre l’intégration<br />
sociale des jeunes et<br />
Influence du niveau de langage sur l'intégration<br />
leur niveau de<br />
langage oral.<br />
Score "intégration<br />
réelle"<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
n’est donc pas validée.<br />
A B C D E F G H I J K L<br />
Adolescents<br />
Nous constatons<br />
donc que le niveau<br />
de langage est un<br />
facteur peu<br />
significatif sur<br />
l’intégration sociale<br />
des jeunes sourds.<br />
Notre hypothèse<br />
Cependant, n’ayant pas pu établir de corrélation entre le niveau de langage oral et l’intégration<br />
sociale, nous avons posé une autre hypothèse : nous continuions à penser que certaines variables<br />
entrant en jeu dans la communication influent sur leur intégration sociale. Ceci a effectivement pu<br />
être mis en évidence par les résultats obtenus à l’échelle d’appétence à la communication.<br />
2<br />
1<br />
0<br />
-1<br />
-2<br />
-3<br />
-4<br />
Scores obtenus aux<br />
tests de langage<br />
phrase totale<br />
lexique total<br />
Intégration
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Score<br />
"intégration<br />
réelle"<br />
Influence des compétences et appétence à la communication en<br />
groupe sur l'intégration sociale<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
A B C D E F G H I J K L<br />
Adolescents<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
14<br />
Résultat global intégration<br />
sociale<br />
Résultat global<br />
compétences et appétence<br />
à la communication en<br />
groupe<br />
Nous nous sommes alors interrogée sur le lien causal entre les deux mécanismes : est-ce parce que le<br />
jeune réussit à communiquer aisément et aime discuter en groupe qu’il est bien intégré ou,<br />
réciproquement, est-ce parce qu’il est bien intégré qu’il se sent à l’aise pour communiquer<br />
oralement ?<br />
Au vu des items de notre échelle, nous avons supposé que si le jeune ne ressent pas de difficulté<br />
pour communiquer en groupe (bonne compréhension sans lecture labiale et avec du bruit<br />
environnant, compréhension lors des changements de thèmes, identification des tours de rôles…), il<br />
appréciera ces situations, et ira plus facilement vers les autres, donc, sera mieux intégré.<br />
Autres facteurs influant sur l’intégration sociale de ces jeunes:<br />
Les témoignages des jeunes rencontrés nous prouvent également que d’autres facteurs influent sur<br />
l’intégration sociale des adolescents sourds. Nous avons par exemple constaté que les jeunes<br />
scolarisés en intégration totale avec aide, sont relativement mieux intégrés que ceux qui ne sont pas<br />
accompagnés dans leur intégration.<br />
Par ailleurs, nous avons également pu mettre en évidence, grâce aux questions abordant le vécu de<br />
la surdité et les relations aux autres sourds, que les jeunes qui ont un contact avec d’autres sourds se<br />
sentent généralement mieux intégrés.<br />
L’intégration scolaire groupée (fait d’être intégré avec d’autres sourds dans sa classe, voire dans son<br />
établissement), semble donc être un facteur qui favoriserait l’intégration sociale du jeune sourd<br />
implanté.<br />
Nous pouvons donc nous interroger sur le bien fondé des intégrations totales isolées. Ne faudrait-il<br />
pas repenser l’intégration des enfants sourds implantés ? La loi du 11 Février 2005 stipule que<br />
chaque enfant bénéficie d’un projet personnalisé de scolarisation. En effet, il est indispensable<br />
d’envisager l’intégration de chaque jeune au cas par cas. Mais, ne pourrait-on pas proposer alors<br />
d’intégrer les jeunes sourds en milieu ordinaire de manière collective ?<br />
Cela serait bénéfique autant sur le plan de la communication que pour leur construction identitaire :<br />
à plusieurs, ils peuvent parler de leurs doutes, et ainsi se sentir compris.<br />
Bien entendu, le risque est qu’ils restent entre eux et ne s’ouvrent pas aux entendants. J. par<br />
exemple, a tendance aux récréations, à ne discuter qu’avec son amie sourde sévère, en codant. Elle<br />
est très gênée pour communiquer dans le bruit, et peine en communication en groupe. Elle se
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
retrouve donc avec cette autre jeune. Ceci ne favorise donc pas son intégration sociale avec les<br />
autres entendants, mais elle peut prendre plaisir à échanger : coder ne lui demande pas d’effort, elle<br />
peut ainsi mobiliser moins d’attention sur ce qui est articulé.<br />
Prendre plaisir à communiquer reste une joie qui n’est pas encore offerte aux jeunes implantés en<br />
intégration. Ils doivent toujours faire des efforts, porter attention à ce qui est dit, et à qui le dit, ce<br />
qui est extrêmement fatigant pour eux. Il paraît donc important de réfléchir aux moyens à mettre en<br />
place pour leur laisser cet espace de parole plus libre.<br />
Résultats de notre échantillon d’enfants implantés :<br />
A l’instant T où a été réalisée l’étude, nous avons pu dire que les jeunes rencontrés étaient bien<br />
intégrés dans leur classe. En effet, même si la passation du questionnaire s’est avérée infructueuse,<br />
car les notions abordées étaient trop complexes et parfois même inadaptées pour des enfants de<br />
primaire (ils ne voient, par exemple, pas forcément de copains pendant les vacances, cela dépendant<br />
beaucoup à cet âge des souhaits des parents), les échanges que nous avons eus avec ces enfants<br />
nous ont montré des enfants souriants, curieux et épanouis. Aucune difficulté majeure n’a été<br />
pointée par leurs parents par ailleurs.<br />
Lors des tests de langage oral, nous avons mis en évidence un décalage compris entre 2 et 4 ans,<br />
relativement homogène en expression comme en réception, ce qui correspond au décalage normal<br />
admis chez les enfants sourds. Sur le plan de l’intelligibilité, deux enfants sur quatre ont une<br />
intelligibilité de 5 sur l’échelle de Nottingham, ce qui signifie qu’ils peuvent être compris par tous. Les<br />
résultats paraissent donc satisfaisants, même si des difficultés langagières restent présentes.<br />
Cependant, après avoir contacté l’orthophoniste de deux d’entre eux, certains obstacles ont pu être<br />
mis en évidence. Leurs observations cliniques se recoupent pour dire que les enfants sourds<br />
scolarisés en intégration ne communiquent que peu avec les autres jeunes sourds (notamment s’ils<br />
oralisent peu) : les échanges passent essentiellement par l’adulte, et quand ils sont sollicités pour<br />
interagir entre eux, un enfant sourd ne fait pas forcément attention à ce que l’autre comprenne bien<br />
ce qu’il dit (parle la main devant la bouche, de dos…). Ils se trouvent alors démunis pour<br />
communiquer, avec leurs pairs oralisants qui « articulent mal » ou avec les sourds signants.<br />
Or, même si les bilans annuels réalisés par les équipes d’implantation permettent de faire le point et<br />
de repérer si l’enfant ou le jeune a des difficultés majeures, ils ne permettent pas de dépister les<br />
difficultés plus fines des enfants. Seules des observations répétées de l’enfant dans différents types<br />
de situations (en groupe avec des copains, en classe, lors d’activités extra-scolaires…) nous<br />
permettent de les mettre en exergue.<br />
Des questions s’imposent également à nous quant à la construction de leur identité. Tous se posent à<br />
un moment donné la question de leur identité : se sentent-ils sourds? S’identifient-ils davantage aux<br />
entendants ? Le contact d’autres sourds leur permet d’échanger autour de leur quotidien et ainsi de<br />
commencer à construire leur identité.<br />
Nous pensons alors que plus les jeunes s’interrogeront tôt sur cette question, moins ils auront de<br />
difficultés à l’adolescence, même si ceci reste à prouver par une étude psychologique… Mais cela ne<br />
sera possible que lorsque, dans les équipes soignantes et dans l’environnement des jeunes sourds<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
15
<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
implantés (ni sourds, ni entendants, mais «sourds implantés») seront présents des adultes sourds<br />
congénitaux porteurs d’implant auxquels ils pourront s’identifier !<br />
DISCUSSION<br />
On peut opposer des réserves à ce travail, notamment quant aux tests employés : en effet, ils sont<br />
destinés à des enfants entendants. Or, même si ces jeunes sont en intégration, les tests ne sont pas<br />
adaptés, pas étalonnés pour cette population. Cela révèle le cruel manque de tests spécifiques en<br />
orthophonie.<br />
Par ailleurs, nous avons travaillé sur des données subjectives, puisqu’il s’agissait de quantifier des<br />
réponses liées à une passation de questionnaire. De plus, l’échantillon de sujets, est limité à 12<br />
patients adolescents et 4 enfants plus jeunes. Le travail quantitatif reste donc limité. Cependant,<br />
l’analyse qualitative nous permet de réfléchir à des pistes de travail à mettre en place, notamment<br />
en orthophonie, afin d’aider ces jeunes à faire face aux obstacles qu’ils rencontrent.<br />
La rééducation orthophonique porte principalement, chez les jeunes sourds, sur l’entraînement<br />
auditif, la rééducation de la parole, et l’apprentissage de la lecture labiale pour les enfants, puis pour<br />
les adolescents plus âgés, sur la construction lexicale et morphosyntaxique. Elle s’adapte bien sûr à<br />
chaque jeune en fonction de ses besoins, de son niveau, ainsi que de ses attentes. Cependant, dans<br />
le cadre de notre travail, nous avons mis en évidence que le niveau de langage oral n’influerait pas<br />
sur l’intégration sociale de chaque jeune. Bien sûr, ce travail est indispensable pour que le jeune<br />
sourd acquière un niveau de langage qui lui permette de suivre des études et, par la suite, de<br />
développer son autonomie. Mais l’intégration sociale de ces adolescents est aussi primordiale pour<br />
leur construction adulte.<br />
Nous avons alors dégagé quatre pistes de travail, quatre axes de réflexion permettant de faciliter<br />
l’intégration sociale de ces jeunes : informer sur le handicap auditif et sur ses répercussions, travailler<br />
sur le langage propre aux adolescents, faire des séances de rééducation en groupe et proposer aux<br />
jeunes de se rencontrer.<br />
1/ Informer sur le handicap et ses répercussions.<br />
Nous avons constaté que les jeunes scolarisés en intégration totale avec aide, sont relativement<br />
mieux intégrés que ceux qui ne sont pas accompagnés dans leur intégration.<br />
Cela peut s’expliquer par le fait que les personnes accompagnant les jeunes sourds en intégration<br />
sensibilisent l’équipe enseignante qui a en charge de les encadrer. Cependant, l’information de leurs<br />
professeurs n’engendre pas systématiquement une bonne intégration avec les pairs : elle s’avère<br />
donc nécessaire, mais pas suffisante. En effet, si la classe n’est informée que succinctement du<br />
handicap du jeune, un sentiment d’injustice peut être ressenti par les autres adolescents (« il a eu<br />
une bonne note, mais c’est normal, il est sourd et on l’aide ! »).<br />
Il paraît donc indispensable qu’une information sur le handicap du jeune et les répercussions de<br />
celui-ci, leur soit également donnée, de manière fournie, mais concrète, afin que son intégration<br />
puisse être meilleure. Certaines équipes de type SSEFIS interviennent déjà dans les classes de cette<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
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<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
manière, et ont remarqué un changement sensible des comportements des élèves vis-à-vis de leur<br />
camarade sourd, même si ceci ne règle pas toutes les difficultés.<br />
2/ Travailler sur le langage propre aux adolescents.<br />
Nous avons rappelé dans notre partie intitulée « brefs rappels théoriques », que les adolescents<br />
développent à cette période un langage commun, qui leur est propre, employé essentiellement entre<br />
eux, leur permettant de s’identifier aux autres membres de ce groupe. C’est ainsi que se développe<br />
leur autonomie et que se construit leur identité.<br />
Nous n’avons pas pu, par l’intermédiaire de notre étude, évaluer l’emploi de ce langage par les<br />
jeunes de notre population. Pour ce faire, il faudrait les observer dans leur environnement quotidien<br />
avec leurs pairs.<br />
Cependant, lors de la discussion « à bâtons rompus » que nous avons eue avec chaque jeune, seuls<br />
deux ont employé un lexique de ce type (« mes potes », « casser la gueule », « ça me saoule, c’est<br />
chiant »…), alors que tous étaient dans le même contexte d’évaluation. Il nous semble donc que les<br />
jeunes sourds implantés y ont peu accès et nous supposons qu’ils ne l’utilisent que peu. Il pourrait<br />
donc être intéressant de travailler le lexique, les expressions ou encore des textes, employant ce type<br />
de langage.<br />
Le travail en équipe est alors primordial : il peut être intéressant de proposer au codeur ou à l’AVS<br />
qui accompagne le jeune en classe, de retranscrire (pour ceux qui ne le font pas déjà) ce qui est dit<br />
par ses camarades derrière lui -même ce qu’il y a de plus informel- afin qu’il puisse accéder à la vie<br />
de classe et donc à toutes ces réactions en langage courant voire familier. Nous ne parlons pas ici de<br />
l’interprète, car son rôle est déjà de traduire la totalité de ce qui est dit, alors qu’un codeur ou un<br />
AVS sélectionne subjectivement ce qu’il transmet pour des raisons essentiellement techniques.<br />
Si les expressions employées par leurs camarades ne sont pas comprises, il sera important de les<br />
reprendre afin qu’il puisse accéder au sens, et ensuite se les réapproprier.<br />
3/ Faire des séances de rééducation en groupe.<br />
Nous avons aussi mis en évidence dans notre analyse de l’intégration sociale des enfants implantés<br />
avant 3 ans, qu’ils présentent des difficultés pour communiquer entre eux : en effet, ils peinent à<br />
utiliser les règles conversationnelles de base, indispensables à la bonne réussite de l’interaction (se<br />
regarder pour parler, ne pas parler en même temps que l’autre…).<br />
Il pourra donc être intéressant de leur proposer des séances de rééducation en groupe afin de<br />
travailler tous ces aspects de la communication orale.<br />
4/ Proposer aux jeunes de se rencontrer.<br />
Cependant tous ces échanges à l’oral restent difficiles pour eux : ils leur demandent une attention<br />
constante sur ce qui est dit, car même si « son implant lui fournit une audition de bonne qualité,<br />
l’enfant reste un enfant sourd » (Juarez & Montfort, 2001 : 54). Communiquer ne peut donc pas être<br />
un plaisir, ni pour le jeune sourd, ni pour son interlocuteur.<br />
Il nous paraît donc indispensable qu’ils aient des moments où ils se retrouvent entre sourds pour<br />
parler de ce qu’ils souhaitent, sans faire d’effort.<br />
Les Carnets de la Persagotière n° 25-2010 – Institut public la Persagotière<br />
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<strong>Aurore</strong> Berland – Communication et intégration sociale d’adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire<br />
en intégration scolaire.<br />
Des rencontres peuvent alors être pensées comme des après-midi autour de loisirs décidés entre eux<br />
avec l’adulte, ou encore comme des groupes de parole, et ce dès qu’ils sont enfants. Ainsi, ils<br />
pourront se créer des liens avec leurs pairs sourds. Bien entendu, ce ne sont pas les mêmes choses<br />
qui se jouent dans un groupe d’enfants et dans un groupe d’adolescents : des jeux communs<br />
pourront être proposés aux plus jeunes, tandis que des temps de discussion en LSF pourront être<br />
offerts aux plus grands. Dès lors, même si les adolescents ne viennent plus à ces groupes après un<br />
certain âge, ils connaîtront d’autres sourds et auront une langue qu’ils pourront utiliser entre eux s’ils<br />
le souhaitent. Qui nous dit alors qu’ils ne se retrouveront pas entre eux hors de ce cadre imposé par<br />
l’adulte ?<br />
Mais cela ne sera possible que lorsque tous les enfants implantés pourront, conjointement à<br />
l’apprentissage de la langue orale, continuer à apprendre la Langue des Signes Française,<br />
apprentissage qui est, pour eux, plus facile. Ainsi tous pourront communiquer entre eux sans effort.<br />
Et pourquoi ne pas imaginer même que la langue des signes puisse être apprise par tous, sourds<br />
comme entendants, en tant que langue vivante ? Cela permettrait alors aux jeunes sourds qui<br />
l’utilisent ou qui n’osent pas l’utiliser de peur d’être remarqués, de ne pas se sentir stigmatisés, et<br />
ainsi, peut-être, d’être mieux intégrés dans la société.<br />
CONCLUSION ET PERSPECTIVES<br />
L’intégration sociale des adolescents sourds porteurs d’implant, pour être abordée sous tous ses<br />
angles, demanderait plusieurs années de travail, et des études pluridisciplinaires. Cependant, grâce<br />
aux témoignages des jeunes et aux résultats obtenus, cette étude nous a permis d’apporter des<br />
réflexions cliniques. C’est une première approche, permettant de sensibiliser les équipes et les<br />
parents sur les difficultés engendrées par la surdité à l’adolescence. Car, s’il facilite beaucoup de<br />
choses, l’implant, même posé très tôt, ne règle pas tout pour autant : bien sûr les enfants implantés<br />
tôt seront plus intelligibles que leurs aînés implantés plus tard, et développeront leurs acquisitions<br />
plus facilement. Cependant, nous ne pourrons jamais supprimer tous les obstacles que rencontrent<br />
les jeunes implantés en intégration. En effet, à l’adolescence, les interactions sociales s’établissent<br />
entre pairs et, les interactions verbales en groupe sont un type d’interaction sociale particulièrement<br />
prisé à cette période.<br />
C’est pourquoi il nous paraît nécessaire que tous les enfants sourds implantés aient des moments<br />
pour se retrouver, afin de pouvoir communiquer sans entrave et avec plaisir. Cela sera également<br />
positif pour leur construction identitaire.<br />
Il est donc de notre rôle d’orthophoniste d’alerter les parents des enfants qui vont ou viennent d’être<br />
implantés sur l’importance du bilinguisme : ainsi, devenus adolescents, les jeunes pourront choisir la<br />
modalité de communication qu’ils souhaitent utiliser, en fonction de leurs interlocuteurs. Ils pourront<br />
alors communiquer plus facilement, autant avec les entendants qu’avec leurs homologues sourds.<br />
Bibliogaphie<br />
Amado G. & Guittet A. (1975) Dynamique des conversations en groupe. Armand Colin, Paris, ré-ed.<br />
4ème édition 2003.<br />
Baud’huin C. (2007) « L’estime de soi chez les adolescents sourds porteurs d’un implant cochléaire ».<br />
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