You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
6<br />
Réflexion<br />
<strong>SINAÏ</strong>,<br />
LA MONTAGNE INTROUVABLE<br />
LE <strong>SINAÏ</strong> EST LE LIEU DU DON DE LA THORA AU PEUPLE<br />
D’ISRAËL. À CE TITRE, IL EST POUR LA CONSCIENCE<br />
HÉBRAÏQUE BEAUCOUP PLUS LE SIGNE THÉOLO-<br />
GIQUE DE LA RÉVÉLATION DE LA LOI QU’UN LIEU<br />
GÉOGRAPHIQUE DÉFINI.<br />
La proposition du pape Jean-Paul II de rassembler au mont<br />
Sinaï les hauts dignitaires des trois grandes religions monothéistes<br />
– judaïsme, christianisme, islam – à l’occasion<br />
du jubilé de l’an 2000, avait suscité des vives discussions.<br />
Pour les fidèles admirateurs du pontife romain, c’était un<br />
acte d’universalisme : réunir dans la fraternité des hommes<br />
de foi qui furent jadis des adversaires impitoyables, les associer<br />
dans une prière commune au pied de la montagne<br />
sacrée où, il y a trente-cinq siècles, Moïse donna au peuple<br />
d’Israël les Tables de la loi.<br />
Pour les critiques de cette initiative, il s’agit d’un geste de<br />
triomphalisme pontifical, le chef de l’Église romaine invitant,<br />
sans aucune concertation, sans aucun dialogue préalable,<br />
les autres confessions,<br />
choisissant par lui-même<br />
la date et le lieu de cette<br />
rencontre mondiale,<br />
censée commémorer le<br />
«quarantième jubilé», autrement<br />
dit , le deuxième<br />
millénaire de la nativité,<br />
événement christologique<br />
primordial dans l’histoire<br />
du salut selon la théologie<br />
chrétienne, certes,<br />
mais radicalement étranger<br />
à la foi d’Israël.<br />
Malgré tout, faisons un<br />
peu de théorie-fiction<br />
(pardonnez-nous l’horrible<br />
néologisme). Si,<br />
par le plus grand des hasards, le Grand rabbin d’Israël et<br />
le Grand mufti de Jérusalem se mettaient d’accord pour<br />
participer à ce grandiose conclave œcuménique, une incontournable<br />
question ne manquera pas de se poser : où se<br />
trouve le mont Sinaï ?<br />
Depuis un siècle et demi, géographes, archéologues et<br />
historiens, s’interrogent sur la localisation de la célèbre<br />
montagne. La Bible hébraïque l’appelle Horeb ou Sinaï,<br />
où Moïse, réfugié à Médian et conduisant le bétail de son<br />
beau-père Jethro au fond du désert, remarqua un buisson<br />
ardent qui ne se consumait point et entendit une voix céleste<br />
: c’était la révélation de l’Éternel (Exode III). Plus tard,<br />
après l’Exode d’Égypte, Le Mont Horeb ou Sinaï sera le lieu<br />
de la théophanie, la révélation divine au peuple d’Israël,<br />
le Don de la Torah : «Or, la montagne du Sinaï était toute<br />
fumante, parce que le Seigneur y était descendu au sein<br />
de la flamme ; sa fumée remontait comme la fumée d’une<br />
fournaise et la montagne entière tremblait violemment».<br />
(Exode XIX, 18).<br />
Description qui ne manquera pas de susciter de nombreuses<br />
interrogations de la part des géographes : s’agit-il<br />
d’un volcan ? D’un tremblement de terre ? D’un incendie<br />
gigantesque ?<br />
Neuf hypothèses<br />
Mais les esclaves hébreux libérés d’Égypte ne restèrent<br />
pas longtemps au pied de la montagne sacrée, qui ne fut<br />
qu’une parmi les quarante stations de la traversée du Désert.<br />
Ils n’y construisirent pas de temple pour commémorer<br />
le Don de la Loi.<br />
À travers les siècles et les millénaires, le Sinaï fut, pour la<br />
conscience hébraïque, beaucoup plus le signe théologique<br />
de la révélation de la Loi qu’un lieu géographique défini.<br />
Ni les juges, ni les rois, ni les scribes, ni les sages n’ont fait<br />
le pèlerinage au lieu où Moïse transmit au peuple d’Israël<br />
le Décalogue. Seul Elie le prophète accomplit, dans la solitude,<br />
le voyage mystique aux sources de la théophanie à<br />
travers les siècles. Le Sinaï fut, pour les Juifs, un étrange<br />
cercle ou le centre est partout et la circonférence nulle<br />
part, un «lieu de la géographie», l’événement majeur de<br />
l’histoire, l’extraordinaire rencontre où, selon les paroles<br />
d’Abraham Heschel, «Dieu en quête de l’homme» dialogue<br />
avec sa création, dans une «architecture du temps», non<br />
dans une « architecture de l’espace ». Mais les savants, mus<br />
par la passion de déchiffrer les mystères de l’antiquité, s’interrogent<br />
: où est le mont<br />
Sinaï ?<br />
Le XIXe siècle marque<br />
le début des vraies recherches.<br />
En 1844, le Pr.<br />
Constantin Tischendorf<br />
(1815-1874) arrive au monastère<br />
grec orthodoxe<br />
de Sainte-Catherine, dans<br />
la péninsule de Sinaï.<br />
Dans l’antique couvent,<br />
construit au VIe siècle par<br />
l’empereur Justinien de<br />
Byzance, il découvre des<br />
manuscrits anciens, dont<br />
une version de la Bible en<br />
grec, datant du IVe siècle,<br />
le Codex Sinaiticus. La recherche<br />
scientifique sur les trésors cachés du Sinaï commence !<br />
Les moines de Sainte-Catherine croient depuis toujours que<br />
leur monastère, situé à une altitude d’environ 1.660 m, est<br />
le lieu où Moïse donna les Tables de la Loi au peuple d’Israël.<br />
La bibliothèque des moines fourmille de manuscrits<br />
anciens, de papyrus de grande valeur historique, datant de<br />
l’époque romaine et byzantine, des premiers siècles de l’ère<br />
chrétienne. Mais Tischendorf ne trouve rien de l’époque biblique,<br />
aucun document de l’époque de Moïse<br />
Le djebel Moussa (montagne de Moïse, en arabe) où se<br />
trouve le célèbre monastère est-il vraiment la montagne de<br />
Moïse ? Rien ne le prouve.<br />
Un an plus tard, en 1845, l’égyptologue allemand Karl Richard<br />
Lepsius visite la région et propose une autre hypo-