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dimanche 10 juillet

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Uiiiiiti LE <strong>10</strong> JUILLET 1932<br />

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIItlIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIMIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII niiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii iiiMiiiiiiiiiiii H DIMANCHE-ILLUSTRÉ •■••■■in<br />

LES ROMANS DE LA VIE<br />

CHARLES D'ORLÉANS, LE PRINCE POÈTE<br />

LE 26 mai 1391, l'hôtel royal de Saint-<br />

Paul retentissait de joyeuses rumeurs.<br />

Un enfant venait de naître :<br />

c était Charles, le fils de Valentine<br />

de Milan et de Louis, duc d'Orléans,<br />

irere du roi Charles VI. Le voisinage du<br />

trône devait apporter, à ce malheureux<br />

prince des tourments tels qu'un concert de<br />

pleurs à l'entour de son berceau eût cent<br />

fois mieux convenu que le chant des ménestrels<br />

et le son des musiques.<br />

Charles d'Orléans avait un an à peine<br />

lorsque la tragédie s'emparait de sa vie. Le<br />

13 juin 1392, alors qu'il revenait d'une fête<br />

donnée à l'hôtel Saint-Paul, le connétable de<br />

Clisson tombait sous les poignards de quarante<br />

bandits. Le roi Charles VI, son maître,<br />

jura de le venger et partit pour la Bretagne,<br />

où l'assassin, Pierre de Craon, s'était réfugié.<br />

Quelques jours plus tard, c'était la terrible<br />

rencontre au sein des bois... « Arrête,<br />

noble roi ! Ne chevauche plus avant. Retourne,<br />

tu es trahi !... » Le roi Charles VI<br />

était devenu fou.<br />

Dès lors le gouvernement du royaume devint<br />

l'objet d'âpres ambitions. Les plus ardents<br />

à la poursuite du pouvoir vacant<br />

furent Louis d'Orléans et ]ean Sans Peur,<br />

duc de Bourgogne. Aussitôt, la France fut<br />

en proie à la guerre civile. Les deux cousins<br />

cherchèrent des alliés. Jean Sans Peur s'appuya<br />

sur la bourgeoisie de Paris, et le frère<br />

de Charles VI sur les seigneurs, qu'il attirait<br />

par les séductions de son esprit, par le luxe<br />

de ses habitudes.<br />

Ces ambitieux luttèrent pendant des<br />

années, avec des fortunes diverses. Enfin,<br />

pour mettre un terme à ces combats sanglants,<br />

le duc de Berry, leur oncle commun,<br />

tenta de les réconcilier. Le 22 novembre<br />

1407, Jean Sans Peur et Louis d'Orléans<br />

rompirent ensemble l'hostie sainte, s'embrassèrent,<br />

se jurèrent paix et amitié devant le<br />

conseil du roi.<br />

Le lendemain, comme il sortait de l'hôtel<br />

Barbette, où il était venu rendre visite à la<br />

reine Isabeau de Bavière, le duc d'Orléans<br />

fut assailli par une troupe d'assassins gagés.<br />

Il fut retrouvé dans la boue, la tête brisée, le<br />

corps couvert de blessures, une main séparée<br />

du bras. Le duc de Bourgogne suivit en pleurant<br />

le convoi du prince, son cousin. Mais<br />

lorsque la justice royale commença son enquête,<br />

il jeta tout à coup le masque : « C'est<br />

moi qui l'ai fait ! cria-t-il. Le diable m'a<br />

tenté ! » Et il quitta Paris au galop.<br />

Charles d'Orléans était alors âgé de seize<br />

ans. Depuis l'année précédente, il se trouvait<br />

marié avec Isabelle de France, sa cousine,<br />

veuve de Richard II, roi d'Angleterre. Sa<br />

mère, Valentine de Milan, entreprit de venger<br />

seule son malheureux époux ; constatant<br />

son impuissance, elle mourut de désespoir<br />

quelques mois plus tard. Les coups du sort<br />

s'acharnaient sur le triste neveu du roi fou.<br />

Presque en même temps, Isabelle de France<br />

mourait en couches, à vinqt ans. Bien avant<br />

sa majorité, veuf, deux fois orphelin, aîné<br />

de cinq enfants, Charles se voyait chef de la<br />

lus grande maison du royaume, roi d^<br />

P<br />

'rance possible.<br />

La politique ne tarda pas à peser de tout<br />

son poids sur ces épaules débiles, et<br />

l'effrayante politique de cette époque exiqeait<br />

impérieusement une réconciliation entre<br />

les nobles rivaux. Charles d'Orléans — et ce<br />

faisant, il savait qu'il risquait sa vie — repoussa<br />

la main tendue, la main ensanglantée<br />

de Jean Sans Peur. Bien mieux, pour montrer<br />

son irréductibilité, en 14<strong>10</strong>, il épousa la<br />

fille du comte d'Armagnac. La haine de ses<br />

nouveaux alliés égalait sa haine. Désormais<br />

il se trouvait à la tête d'un parti puissant ;<br />

lui ne succomberait pas comme sa mère dans<br />

le désespoir d'une vengeance impossible à<br />

accomplir.<br />

Armagnacs contre Bourguignons ! Dès<br />

lors, la France devient un vaste champ clos<br />

que le roi d'Angleterre projette d'envahir en<br />

soudoyant tour à tour les deux partis. En<br />

1415, Henri V débarque à Harfleur et, cette<br />

fois,' ce n'est plus de quelques provinces<br />

qu'il va s'emparer, c'est presque de tout le<br />

royaume. Tandis que l'héritier légitime, fugitif,<br />

s'appellera dérisoirement le roi de<br />

Bourges, le fils de Henri V sera le roi de<br />

France et régnera à Paris.<br />

Mais l'entreprise était périlleuse. Si les<br />

Bourguignons acceptaient la tutelle étrangère<br />

plutôt que de voir leurs ennemis français les<br />

dominer, les Armagnacs — et, avec eux,<br />

tous les éléments sains du pays — se dressaient<br />

contre l'envahisseur. Hélas ! le<br />

25 octobre, Henri V remportait la victoire<br />

d'Azincourt. Ce fut un combat fait d'exploits<br />

individuels, la dernière bataille où des<br />

hommes luttèrent comme les héros d'Homère.<br />

On a gardé le souvenir de ces dixhuit<br />

gentilshommes qui, ayant fait vœu de<br />

mourir ou d'abattre la couronne du roi d'Angleterre,<br />

s'acharnèrent contre lui et succombèrent<br />

tous dans la lutte Le duc d'Alençon<br />

fut plus heureux ; il perça jusqu'au souverain,<br />

fendit en der,x la couronne qui décorait<br />

son casque et pé dt de sa main. Le duc de<br />

Brabant, frère du 'lue de Bourgogne, déses-<br />

siiiiniHiHiiiiniiiiiiN^<br />

par ÉMILE PAGÈS<br />

| Lorsque nous parlons du prince Charles d'Orléans des bribes de |<br />

1 ballades, d'odes, remontent à nos mémoires ; mais nous savons bien 1<br />

I peu de la vie de cet écrivain délicat du quinzième siècle. Nous igno- §<br />

| rons que Charles d'Orléans fut avant tout un rude guerrier dont |<br />

| l'existence se passa d'abord dans les camps et les combats. Ce n'est f<br />

1 qu'après la bataille d'Azincourt, où il combattit vaillamment, fut I<br />

| fait prisonnier et emmené en Angleterre, que Charles d'Orléans, |<br />

1 ainsi que va nous le montrer Emile Pagès, se découvrit ce don de |<br />

| poète qui devait traverser les âges pour venir jusqu'à nous. 1<br />

■finiiHiiiniuinniiuuiiHiuuiiuuiiliiiinuiiijiiiin<br />

péré de la trahison des siens, se jeta dans la<br />

mêlée sans revêtir son armure, saisit sa bannière,<br />

y fit un trou, y passa la tête et se rua<br />

sur les Anglais, qui le tuèrent à l'instant<br />

même.<br />

Avec lui périrent le duc de Nevers, celui<br />

de Bar et ses deux frères, le connétable<br />

d'Albret. Toute la noblesse française, étincelante<br />

d'or, d'acier, vêtue de velours, était<br />

étendue dans la boue et le sang. Dans ce<br />

eût atteint sa majorité... et Henri VI avait<br />

neuf mois !<br />

Au fond de son cachot, le chef du parti<br />

des Armagnacs ne connut qu'une consolation.<br />

En 1419, il apprit que l'assassin de son<br />

père, Jean Sans Peur, avait succombé à son<br />

tour sous le poignard lors de son entrevue<br />

avec le Dauphin, fils de Charles VI, au pont<br />

de Montereau. Il pouvait donc se flatter de<br />

n'être pas oublié en France. Peut-être un<br />

LE PRINCE CHARLES D'ORLÉANS (D'après une enluminure du temps.)<br />

désastre, Charles d'Orléans, qui avait combattu<br />

à la tête de l avant-garde et recherché<br />

la mort en accomplissant de chevaleresques<br />

exploits, ne put mettre un terme à une vie<br />

déjà emplie de tant d'amertume. Il fut fait<br />

prisonnier et emmené en Angleterre.<br />

Le jeune prince avait alors vingt-quatre<br />

ans. Il ne pouvait soupçonner que sa captivité<br />

allait durer un quart de siècle, car un<br />

instant il put croire que son vainqueur accepterait<br />

de le libérer en échange d'une rançon<br />

royale. Mais Henri V voyait en lui l'homme<br />

susceptible de lui causer les plus grands embarras<br />

politiques sur la terre de France.<br />

Aussi commença-t-il par lui imposer une<br />

prison très rigoureuse. Surveillé nuit et jour,<br />

sans communication avec l'extérieur, Charles<br />

d'Orléans visita toutes les geôles d'Angleterre<br />

; on le traîna de château en château, de<br />

Windsor à Bolingbroke, de Pomfret à la<br />

Tour de Londres, de Hampthill à Wingfield.<br />

Le triste prisonnier languit ainsi pendant plusieurs<br />

années, et bientôt il ne vit plus comme<br />

terme à sa misère que la mort de son persécuteur.<br />

Hélas ! cet espoir même devait s'évanouir,<br />

car Henri V à l'agonie, en 1422, ordonna<br />

par son tesfament de ne jamais relâcher<br />

le duc d'Orléans avant que son, fils<br />

secours était-il à espérer de ce jeune prince,<br />

son cousin, au jour où il monterait sur le<br />

trône après avoir ' reconquis son royaume ?<br />

Mais les années passèrent et la captivité du<br />

duc d'Orléans continua, selon le désir du<br />

défunt Henri V.<br />

Dans cette situation désespérante, l'ancien<br />

combattant d'Azincourt demanda consolation<br />

à une amie jusqu'alors inconnue de lui,<br />

la Muse. Il avait tout ce qu'il fallait pour<br />

entretenir un commerce agréable avec elle,<br />

car il avait jjrandi dans une cour élégante.<br />

Son père, Louis d'Orléans, et sa mère,<br />

Valentine de Milan, aimaient passionnément<br />

les œuvres d'art de tout genre : émaux, bijoux,<br />

reliures, tapisseries, broderies. Dans<br />

cette atmosphère raffinée, Charles avait acquis<br />

un goût très sûr et un sentiment artistique<br />

fort développé. Aussi ses premiers<br />

essais furent-ils concluants. Par sa naissance,<br />

il était poète autant que prince.<br />

Mais sa lyre ne va pas vibrer pour nous<br />

dire ses malheurs, chanter son triste sort,<br />

nous attendrir dans de sublimes plaintes.<br />

Aussi bien n'était-ce pas le ton de cette époque.<br />

Ce qu'on demandait à la poésie était<br />

surtout une distraction élégante aux ennuis<br />

et aux misères de la vie, en quelque sorte<br />

d'emporter l'esprit dans une région sereine<br />

et idéale, étrangère à toutes les réalités douloureuses.<br />

Charles d'Orléans se trouvait tout<br />

disposé à agir ainsi. La poésie devient donc<br />

pour lui le délassement d'un pauvre cœur<br />

souffrant, le baume sacré qui endormira ou<br />

du moins calmera l'angoisse de la captivité.<br />

Mieux que personne, Petit de Julleville<br />

nous a dit très exactement ce que nous pouvions<br />

trouver dans l'œuvre de ce grand seigneur<br />

:<br />

« Que mettra-t-il dans ses vers ? Rien que<br />

les rêves délicats de son imagination. Il chantera<br />

les peines et les joies de l'amour, non<br />

celles de la passion violente qu'il n'a jamais<br />

connues, peut-être ; mais, jeune, il dira la<br />

tendresse discrète d'un cœur doucement<br />

épris ou, vieilli, le détachement souriant d'un<br />

cœur doucement désabusé. »<br />

Peu à peu, les années s'ajoutent aux<br />

années ; la liberté devient une chimère, et<br />

pourtant, dans les sombres prisons, Charles<br />

d Orléans écrit et berce sa peine. Aujourd'hui<br />

encore, en relisant les vers du noble<br />

prisonnier, on ne peut s'empêcher d'admirer<br />

son courage, car il fallait qu il fût bien grand<br />

pour s'exprimer ainsi en rimes légères :<br />

Comment se peut un pauvre cœur défendre<br />

Quand deux beaux yeux le viennent assaillir ?<br />

Le cœur est seul, désarmé, nu et tendre.<br />

Et les yeux sont bien armes de plaisir.<br />

Amour aussi est de leur alliance.<br />

Contre tous deux ne pourrait pied tenir.<br />

Nul ne tiendrait contre telle puissance.<br />

A l'orthographe près, dont je vous fais<br />

grâce, qui pourrait croire qu'une telle poésie<br />

remonte à plusieurs siècles tant sa grâce est<br />

demeurée légère, sœur par la sensibilité de<br />

celles de nos chantres les plus modernes ?<br />

Et surtout, oh ! surtout, je ne puis résister<br />

au plaisir de vous remettre en mémoire le<br />

délicieux, le délicat rondeau, cent fois cité,<br />

sur le retour du printemps. Il sauvera de<br />

l'oubli le nom de Charles d'Orléans tant le<br />

sentiment de la nature s'y trouve joliment<br />

exprimé.<br />

Le temps a laissé son manteau<br />

De vent, de froidure et de pluie,<br />

Et s'est vêtu de broderie.<br />

De soleil luisant, clair et beau...<br />

Rivière, fontaine et ruisseau<br />

Portent en livrée jolie.<br />

Gouttes d'argent d'orfèvrerie...<br />

E<br />

<br />

T pendant que le printemps s'épanouit<br />

ainsi dans 1 âme du poète, se fixe sur le<br />

parchemin en vers aériens. Charles<br />

oublie pendant quelques heures qu'il ne verra<br />

pas de ses yeux le triomphe du soleil luisant,<br />

clair et beau. Enfin, après vingt-cinq ans de<br />

séjour dans les geôles anglaises, il obtint<br />

enfin le droit de respirer l'air libre. Mais un<br />

dernier coup lui était réservé ; il lui fallut se<br />

déclarer l'ami de Philippe le Bon, fils de<br />

Jean Sans Peur. Il avait alors cinquante ans ;<br />

la couronne s'était éloignée de sa tête sans<br />

espoir de retour. Qui donc songeait encore<br />

au pauvre vaincu d'Azincourt ?' Pour avoir<br />

le droit de vivre enfin en paix, il accepta. En<br />

1440, il revit les côtes de France.<br />

Le repos ! maintenant c'était là son seul<br />

désir. Il resta peu à la cour, où la jeunesse<br />

regardait d'un œil étonné ce revenant d'une<br />

époque révolue. Sagement, il entreprit de se<br />

créer des plaisirs conformes à ses goûts et,<br />

réfugié au château de Blois, en fit un séjour<br />

délicat pour tous les amis des lettres et des<br />

arts. Les fêtes et les jeux s'y succédaient<br />

sans relâche ; les ménestrels, les musiciens,<br />

les danseurs, les poètes, les artistes y venaient<br />

en foule et s'y voyaient toujours bien<br />

accueillis. Ce n'étaient que visites princières,<br />

promenades, excursions, pèlerinages. En vérité,<br />

on eût dit que Charles d'Orléans voulait<br />

rattrpper le temps perdu, le temps passé.<br />

Pourtant un dernier nuage attrista cette<br />

existence à son déclin ; Louis XI était monté<br />

sur le trône, et le nouveau roi, défiant, ombrageux<br />

de tous les grands noms, se montra<br />

particulièrement dur envers son cousin. Le<br />

duc d'Orléans subit sans se l'expliquer cette<br />

inimitié et s'éteiqnit enfin le 4 janvier 1465,<br />

après avoir coulé une vie d'homme dans les<br />

luttes sanglantes des partis et des haines<br />

politiques, dans les rigueurs des fers et de<br />

l'exil, dans l'élévation de son cœur et de son<br />

esprit par la pratique de la poésie.<br />

Et c'est par ce dernier point qu'il a survécu.<br />

La France, avant lui, n avait pas<br />

entendu ce langage fait de douceur et de<br />

qrâce qui console dans les pires moments et<br />

lui donne l'assurance de son esprit immortel.<br />

Qu'importe le prétendant à la couronne, le<br />

vaincu et le prisonnier ! Charles d'Orléans<br />

reste pour nous le poète au grand cœur qui<br />

sut chanter dans sa misère<br />

Pendant trois siècles, il fut oublié comme<br />

le fut sa contemporaine Christine de Pisan.<br />

Mais les bons ouvriers de la langue ne sombrent<br />

pas ainsi dans la mémoire des hommes.<br />

Leurs œuvres existent, qui parlent pour eux.<br />

Et un jour, tout frais, tout pimpant, leur<br />

nom éclate, retentit au grand jour, car pour<br />

eux Le temps a laissé son manteau<br />

De vent, de froidure et de pluie.<br />

1 ~>" EMILE PAGES.

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