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L'objet gardé, jeté, réinventé dans l'Art - Ville de Dijon

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>,<br />

<strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong><br />

Sophie JOLIVET<br />

Laura CHAMARANDE


<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

Pourquoi traiter ensemble l'objet et le déchet <strong>dans</strong> l'art ? Parce qu'ils ne sont que <strong>de</strong>ux états <strong>de</strong> la matière<br />

artistique, qui peuvent être à la fois matière première et sujet <strong>de</strong> représentation.<br />

I. Art et objet<br />

Le centre Pompidou met en ligne <strong>de</strong>s dossiers documentaires sur <strong>de</strong>s thématiques et <strong>de</strong>s travaux d'artistes.<br />

Ainsi, la synthèse proposée ici s'inspire du dossier « l'Objet <strong>dans</strong> l'art au XXè siècle » réalisé par Margherita<br />

LEONI-FIGINI, Vanessa MORISSET et la direction <strong>de</strong> l’action éducative et <strong>de</strong>s publics, mis en ligne en 2004.<br />

<strong>L'objet</strong> est présent <strong>dans</strong> l'art à toute époque, et <strong>dans</strong> tout contexte, mais c'est au XVIè siècle que la<br />

représentation <strong>de</strong> l’objet inanimé <strong>de</strong>vient autonome et constitue un genre à part entière, celui <strong>de</strong> la nature<br />

morte, peinture d’objets qui posent, comme suspendus <strong>dans</strong> le temps et agencés par la main <strong>de</strong> l’artiste.<br />

Crânes, instruments <strong>de</strong> musique, miroirs, corbeilles <strong>de</strong> fleurs et <strong>de</strong> fruits semblent enfermer le spectateur<br />

<strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> muet <strong>de</strong>s choses. Les XVIè et XVIIè siècles hollandais sont riches en tables servies <strong>de</strong><br />

verres transparents et <strong>de</strong> fruits épluchés, tandis que les vanités s’affirment en France où brille un siècle plus<br />

tard le génie incontesté <strong>de</strong> ce genre : Chardin.<br />

Cézanne fait <strong>de</strong> la nature morte, car elle présente un répertoire inépuisable <strong>de</strong> formes, <strong>de</strong> couleurs et <strong>de</strong><br />

lumières, le champ <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> sa création picturale. Les cubistes y voient le genre le mieux adapté<br />

pour rendre, en peinture, la question <strong>de</strong> la représentation <strong>de</strong> l’espace.<br />

Picasso, Nature morte à la chaise cannée, 1912 : Déjà en 1912 avec cette toile révolutionnaire, Picasso<br />

introduit <strong>dans</strong> le tableau un bout <strong>de</strong> toile cirée pour le cannage et une cor<strong>de</strong> pour matérialiser l’ovale du<br />

cadre. Des éléments prélevés au réel remplacent donc, par endroit, la représentation et dialoguent avec les<br />

parties peintes. L’objet ou plutôt <strong>de</strong>s fragments d’objets réels envahissent la représentation.<br />

Mais c’est à Duchamp que revient le geste radical transformant, par la seule déclaration <strong>de</strong> l’artiste, l’objet<br />

quotidien manufacturé en œuvre d’art. Les premiers ready-ma<strong>de</strong> datent <strong>de</strong> 1913. (Exemple Duchamp,<br />

Bottle, 1914). Depuis, l’objet sort du cadre <strong>de</strong> la peinture et envahit le mon<strong>de</strong> réel se présentant en tant que<br />

tel <strong>dans</strong> la scène <strong>de</strong> l’art. Il se prête aux détournements et aux assemblages les plus surprenants <strong>de</strong>s<br />

surréalistes, aux « accumulations », « compressions » et différents « pièges » <strong>de</strong>s Nouveaux réalistes, aux<br />

mises en scène <strong>de</strong> la nouvelle sculpture objective contemporaine, en passant par l’adhésion enthousiaste et<br />

critique à la fois du Pop art américain qui a fait d’une société <strong>de</strong> consommation et <strong>de</strong> ses objets le sujet<br />

principal <strong>de</strong> son art. L’objet interpelle l’art au XXè siècle, son statut et ses limites, qu’il repousse <strong>de</strong> plus en<br />

plus loin.<br />

I.1. Représenter l'objet : l'expérience cubiste<br />

Les cubistes, <strong>dans</strong> les années 1910 représentent l'objet quotidien en superposant <strong>dans</strong> le même plan leurs<br />

multiples facettes. <strong>L'objet</strong> ne bouge pas, mais en se déplaçant, le spectateur change la perspective qu'il a<br />

sur l'objet à tout moment. C'est ce que cherche à représenter l'art cubiste. Les recherches plastiques <strong>de</strong><br />

Georges Braque (1882-1963) et <strong>de</strong> Pablo Picasso (1881-1973) sont les plus connues. (Exemple Le<br />

Portugais <strong>de</strong> Georges Braque, 1912).<br />

Ils les mettent en pratique d’abord <strong>dans</strong> la phase dite analytique où domine une « réalité <strong>de</strong> conception », à<br />

laquelle se plie la représentation du mon<strong>de</strong>. A partir <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s papiers collés, inventés par Braque<br />

à l’automne 1912 et continuée par Picasso, commence l’autre phase dite synthétique du Cubisme qui se<br />

caractérise par un retour à la réalité et une autre façon <strong>de</strong> dire le réel. <strong>L'objet</strong> y est comme « résumé », d'où<br />

l'appellation synthétique.<br />

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

I.2. Détourner l'objet : <strong>de</strong> Duchamp aux surréalistes<br />

En 1913, Marcel Duchamp (1887-1968) expose une « sculpture » appelée Roue <strong>de</strong> bicyclette. (Duchamp,<br />

Roue <strong>de</strong> Bycyclette, 1913). Deux objets quotidiens sont assemblés et collés l’un sur l’autre par l’artiste :<br />

une roue <strong>de</strong> bicyclette et un tabouret. Ici rien ne sort <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> l’artiste, qui réalise un collage en<br />

assemblant <strong>de</strong>ux objets usuels. Si les cubistes avaient entrepris la « désacralisation » <strong>de</strong> l'œuvre d'art en<br />

incluant <strong>de</strong>s éléments bruts prélevés au réel (collages) <strong>dans</strong> la peinture, Marcel Duchamp introduit l'idée que<br />

l'œuvre n'a pas besoin d'être mo<strong>de</strong>lée plastiquement pour exister en tant que telle : c'est le regard que l'on<br />

porte sur la chose qui en fait une œuvre d'art. Dans ce cas, un simple urinoir peut <strong>de</strong>venir une œuvre d'art<br />

pour celui qui le regar<strong>de</strong>. Avec le mouvement <strong>de</strong>s surréalistes, l'objet entre <strong>dans</strong> une nouvelle aventure, à la<br />

recherche <strong>de</strong> l’irruption du rêve <strong>dans</strong> la réalité. (Exemple Duchamp, Fontaine, 1913).<br />

Fidèle au principe <strong>de</strong> leur esthétique, illustrée par la phrase <strong>de</strong> Lautréamont : « Beau comme la rencontre<br />

fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table <strong>de</strong> dissection », l’objet surréaliste est le fruit<br />

du collage d’objets les plus inattendus, issus <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux réalités différentes sur un plan qui ne<br />

leur convient pas. L’effet cherché est toujours la surprise, l’étonnement, le dépaysement comme celui<br />

provoqué par l’irruption du rêve <strong>dans</strong> la réalité. L’association d’objets se faisant au nom <strong>de</strong> la libre<br />

association <strong>de</strong> mots ou d’idées.<br />

Plusieurs artistes se rattachent à ce mouvement : Man Ray (1890-1976), Alberto Giacometti (1901-1966),<br />

Joan Miró (1893-1983), Victor Brauner (1902-1966), Max Ernst (1891-1976).<br />

(Exemple Giacometti, Femme égorgée, 1932).<br />

I.3. Une société d'objets : Pop art américain et nouveau réalisme<br />

Les années 60 s’ouvrent, aux Etats-Unis comme en Europe, à l’enseigne <strong>de</strong> l’objet. C’est un retour au réel<br />

que proposent les artistes pop, réel qu’ils i<strong>de</strong>ntifient à la société <strong>de</strong> consommation, s’emparant le plus<br />

souvent <strong>de</strong> ses images médiatiques pour la décrier et la proclamer en même temps. Pour les Nouveaux<br />

réalistes, qui définissent leur art comme une « nouvelle approche perceptive du réel », l’objet <strong>de</strong>vient un<br />

protagoniste à part entière <strong>de</strong> leur moyen d’expression.<br />

L’objet en tant que marchandise promu par la société <strong>de</strong> consommation se met en place, <strong>dans</strong> les années<br />

60, avec son langage publicitaire et ses mass-media. Malgré la promotion au rang d’œuvre d’art <strong>de</strong> tels<br />

objets ou <strong>de</strong> telles images, ce sont, le plus souvent, les rouages pervers d’une société <strong>de</strong> consommation que<br />

ces artistes révèlent avec humour, ironie et inquiétu<strong>de</strong>. Les caisses d’emballage <strong>de</strong> Warhol pour le jus <strong>de</strong><br />

tomates Campbell’s sont <strong>de</strong>s faux ready-ma<strong>de</strong>, car réalisés par l’artiste qui fait graver sur les caisses le<br />

graphisme publicitaire. Ces objets trompent l’œil et l’esprit, à l’image <strong>de</strong> la logique marchan<strong>de</strong>. Chez les pop<br />

artistes américains l’objet n’est que rarement introduit tel quel. Il est reproduit en trompe-l’œil ou sous une<br />

forme grotesque par <strong>de</strong>s agrandissements qui en altèrent le sens, en soulignent la trame, paraissant parfois<br />

plus réel que le réel lui-même jusqu’à toucher l’irréel et l’inquiétant.<br />

Claes Ol<strong>de</strong>nburg (1929) imite <strong>de</strong>s objets quotidiens, liés à l’univers <strong>de</strong> la marchandise alimentaire ou<br />

vestimentaire, qu’on achète <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s échoppes ou <strong>de</strong>s boutiques « bas <strong>de</strong> gamme ». Les répliques<br />

qu’Ol<strong>de</strong>nburg propose <strong>de</strong> ces objets sont agrandies, avec une mise à nu <strong>de</strong> la matière et une exacerbation<br />

<strong>de</strong> la couleur. Sucettes géantes, hamburgers, casquettes, vestes, façonnés en plâtre et peints grossièrement<br />

avec <strong>de</strong>s coulures, envahissent l’espace et s’imposent à l’enseigne du mauvais goût.<br />

Andy Warhol (1930-1987) est la figure la plus représentative du Pop Art. C’est à l’image <strong>de</strong> l’objet que<br />

s’attaque Warhol. Reproduisant à l’infini, par le procédé <strong>de</strong> la sérigraphie, l’image publicitaire ou <strong>de</strong>s massmedia,<br />

Warhol lui enlève sa substance, l’inscrivant <strong>dans</strong> le vertige du multiple, du banal, promu néanmoins<br />

au rang d’œuvre d’art. (Exemple Warhol, Campbell's Soup, 1968).<br />

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

« Je veux être une machine », proclame t-il, en légitimant son procédé mécanique <strong>de</strong> reproduction <strong>de</strong><br />

l’image, écho d’une société sans âme que son œuvre représente et par là-même critique. Il se fait le<br />

représentant d’une société capitaliste à son apogée mais qui est néanmoins troublée par l’image <strong>de</strong> la mort.<br />

Acci<strong>de</strong>nts routiers, chaises électriques incarnent l’autre face <strong>de</strong> son art.<br />

Le 27 Octobre 1960, chez Yves Klein, rue Campagne Première à Paris, advient la naissance officielle du<br />

Nouveau Réalisme qui réunit une dizaine d’artistes : Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Yves Klein,<br />

Martial Raysse, Daniel Spœrri, Jacques Mahé <strong>de</strong> la Villéglé, Jean Tinguely. Leur signature sera suivie <strong>de</strong><br />

celle du critique qui sera leur porte-parole, Pierre Restany. La déclaration, qui tient en <strong>de</strong>ux phrases,<br />

annonce le programme : « Le jeudi 27 Octobre les Nouveaux Réalistes ont pris conscience <strong>de</strong> leur<br />

singularité collective. Nouveau Réalisme = nouvelle approche perceptive du réel ».<br />

A ces premiers noms s’ajouteront ensuite ceux <strong>de</strong> César, Gérard Deschamps, Mimmo Rotella et Niki <strong>de</strong><br />

Saint Phalle. L’année suivante Restany, <strong>dans</strong> un texte intitulé 40° au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Dada, situait ce mouvement<br />

<strong>dans</strong> la filiation <strong>de</strong> Dada et <strong>de</strong> Duchamp.<br />

Tout en présentant <strong>de</strong>s démarches très différentes, ces artistes ont en commun le même intérêt porté à<br />

l’imagerie <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> masse dont ils s’approprient les objets. « Les Prisunics sont les musées d’art<br />

mo<strong>de</strong>rne » osera affirmer Raysse.<br />

Si Arman « accumule » ses objets selon une logique quantitative qui en efface la singularité, César, qui fait<br />

<strong>de</strong>s tôles <strong>de</strong> voiture son objet fétiche, les « compresse », pour aboutir à <strong>de</strong>s immenses parallélépipè<strong>de</strong>s qui<br />

tiennent au sol comme <strong>de</strong>s sculptures polychromes. Spœrri, avec ses « tableaux-pièges », capte <strong>de</strong>s<br />

instants du réel en s’appropriant les restes <strong>de</strong> repas qu’il place avec leur plateau à la verticale. Raysse<br />

élabore <strong>de</strong>s assemblages où l’image photographique <strong>de</strong> femmes, anonymes et stéréotypées, joue avec<br />

l’objet réel <strong>dans</strong> une véritable « poésie objective », tandis que Tinguely, avec ses machineries absur<strong>de</strong>s et<br />

complexes, agrégats d’objets mécaniques bruyants, enclenche <strong>de</strong>s mécanismes incohérents et infernaux à<br />

l’image <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> contemporain. (Exemple Tinguely, Machines, à partir <strong>de</strong> 1966).<br />

I.4. Mises en scène <strong>de</strong> l'objet<br />

<strong>L'objet</strong> est reconnu à la fois comme un sujet <strong>de</strong> représentation et une matière première. L'artiste s'en inspire<br />

et s'en sert librement en fonction <strong>de</strong> ses choix esthétiques, et <strong>de</strong>s messages qu'il souhaite transmettre.<br />

<strong>L'objet</strong> est employé pour réintéroger l'histoire <strong>de</strong> l'art contemporain, pour témoigner <strong>de</strong> son temps ou le<br />

dénoncer, pour ses qualités esthétiques, pour sa charge émotionnelle, ou encore en tant que paradigme<br />

d'une situation mise en scène par l'artiste.<br />

Une exposition, L’état <strong>de</strong>s choses, présentée au Musée <strong>de</strong>s Beaux-Arts <strong>de</strong> Nantes en 2003 questionnait les<br />

artistes et l'objet avec la présentation <strong>de</strong> quelque 200 pièces issues <strong>de</strong>s collections <strong>de</strong>s FRAC 1 .<br />

Nous proposons ici quelques portraits d'artistes, notamment bourguignons, qui proposent <strong>de</strong>s regards très<br />

personnels <strong>de</strong> l'utilisation d'objets <strong>dans</strong> l'art.<br />

- Christian Boltanski (1944) : Tous les objets qu'il convoque <strong>dans</strong> ses dossiers, ses livres, ses collections, au<strong>de</strong>là<br />

d'apparences mo<strong>de</strong>stes, confinant parfois à la dérision, sont les dépositaires d'un souvenir qui leur<br />

procure un fort pouvoir émotionnel. Qu'il présente ces objets sous forme <strong>de</strong> vitrines, d'archives, <strong>de</strong> réserves<br />

ou simplement d'expositions, il les met en scène <strong>dans</strong> l'espace, mais aussi <strong>dans</strong> le temps. (Exemple<br />

Boltanski Untitled Reserves, 1989). Chaque objet nous replonge à sa manière <strong>dans</strong> le passé : le passé<br />

personnel, réel ou fictif, dramatique ou comique, <strong>de</strong> l'artiste, le passé d'un objet, ou le passé <strong>de</strong> l'humanité<br />

entière. Ce sont <strong>de</strong>s reliques.<br />

1 http://www.cnap.culture.gouv.fr/in<strong>de</strong>x.php?<br />

page=presentation&rep=listeAnnuaire&type=<strong>de</strong>tail&idInstitution=658&idEvenement=2711&evenement=letat-<strong>de</strong>schoses-tresors-publics-20-ans-<strong>de</strong>s-frac<br />

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

- Bertrand Lavier (1949) s’inscrit <strong>dans</strong> le sillage ouvert par Duchamp questionnant avec ses ready-ma<strong>de</strong> la<br />

limite entre art et non art. Cette limite, <strong>de</strong>venue <strong>de</strong> plus en plus mince, est remise en question avec ses<br />

objets anodins <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> tous les jours : « frigidaires » ou armoires aux lignes rigi<strong>de</strong>s, pièces froi<strong>de</strong>s tirées<br />

<strong>de</strong> leur contexte et installées <strong>dans</strong> le musée. Avec ses objets peints <strong>de</strong>s années 80, Lavier résout le dilemme<br />

entre art et non art. La peinture acrylique appliquée en couche épaisse parodiant la touche <strong>de</strong> Van Gogh fait<br />

sortir ces objets du simple statut <strong>de</strong> ready-ma<strong>de</strong>. La peinture recouvre exactement, comme le souligne Jean-<br />

Hubert Martin, ce dont elle parle. L’objet qui repose au sol nous interpelle donc <strong>de</strong> son ambiguïté même :<br />

objet et peinture à la fois, donc ni totalement l’un ni totalement l’autre. Par le recours à la superposition d’un<br />

objet sur un autre, comme par exemple une chaise sur un réfrigérateur, Lavier renoue avec la thématique <strong>de</strong><br />

la sculpture et <strong>de</strong> son socle. Contrairement aux apparences, Lavier se réclame plus <strong>de</strong> Brancusi que <strong>de</strong><br />

Duchamp, et ses dispositifs subtils <strong>de</strong> mise en scène montrent, à travers l’objet, une remise en cause <strong>de</strong> la<br />

sculpture elle-même.<br />

- Le britannique Tony Cragg recompose, à partir d'objets en plastique courant, <strong>de</strong>s représentations figurées,<br />

comme la lune ou la palette, conservée au Frac <strong>de</strong> Bourgogne. (Cragg, Palette, 1985) 2 .<br />

- Piggy Banck -un cochon-tirelire géant- 1998, œuvre <strong>de</strong> Lilian Bourgeat, est présentée d'Avril à<br />

Septembre au Musée Ru<strong>de</strong>, <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la biennale Rhin-Rhône, en partenariat avec le Consortium <strong>de</strong><br />

<strong>Dijon</strong>.<br />

- Chris Jordan<br />

3 , Midway, message from Gyre, 2009, est présenté <strong>dans</strong> l'exposition Tout gar<strong>de</strong>r ? Tout<br />

jeter ? Et Réinventer ?, séquence « objets <strong>jeté</strong>s ».<br />

I.5. Art et <strong>de</strong>sign<br />

Les artistes <strong>de</strong>s années 80 analysent et s'intéressent aux frontières entre l'objet d'art et l'objet usuel. Ils<br />

interrogent « le statut paradoxal <strong>de</strong>s créations issues du <strong>de</strong>sign industriel ».<br />

A cette époque, <strong>dans</strong> les années 80-90, le <strong>de</strong>sign industriel, <strong>dans</strong> les lofts, petits appartements, ateliers<br />

d'artistes, sert à la fois <strong>de</strong> mobilier et <strong>de</strong> décor. Cette double fonctionnalité du <strong>de</strong>sign intrigue beaucoup les<br />

artistes du moment. Ils créent alors à cet égard, <strong>de</strong>s œuvres se situant « à la frontière du <strong>de</strong>sign et <strong>de</strong>s arts<br />

plastiques ». Ironiquement et <strong>de</strong> manière critique, les objets <strong>de</strong>meurent alors « désignés » ; ainsi que<br />

déplacer <strong>de</strong> leur champ d'utilité initial.<br />

Ainsi, le point <strong>de</strong> vue sur l'œuvre d'art change : il ne s'agit plus <strong>de</strong> contempler ce genre d'œuvre, mais d'y<br />

réfléchir. Les artistes réfléchissent à la place même <strong>de</strong> l'objet <strong>dans</strong> son environnement ainsi que <strong>dans</strong><br />

l'environnement, et à son utilité.<br />

Par exemple, Franz West s'interroge sur « la limite entre l'art et le magasin <strong>de</strong> meuble » (West, Auditorium,<br />

1992). Dans cette pièce, il a installé, négligemment (et volontairement) <strong>de</strong>s divans <strong>de</strong> métal réalisés à l'ai<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> tubes d'acier soudés. Ce mobilier -inconfortable- ne remplit donc pas sa fonction première <strong>de</strong> divan : il<br />

n'est pas confortable, et si un homme s'y installe il ressentira une gène. La distance avec la fonction<br />

habituelle <strong>de</strong> l'objet est ainsi établie, et inversement : la sculpture en elle-même prend une valeur d'usage.<br />

Les visiteurs peuvent s'assoir sur ces divans sculptés. « West propose ainsi au visiteur d'éprouver l'œuvre<br />

par le contact avec son corps ». Ce « contact », assez mo<strong>de</strong>rne, déroute le visiteur, qui n'y est pas habitué,<br />

et qui n'était venu que pour « admirer » une sculpture. « [I]l est amené à s'asseoir sur ce qu'il désirait<br />

regar<strong>de</strong>r ». « En somme, l'œuvre qu'il était venu voir disparaît au profit <strong>de</strong> son usage, l'intérêt visuel est<br />

évincé par la découverte tactile <strong>de</strong> l'objet » 4 . Ainsi, West fait disparaître toutes les normes préatablies<br />

concernant l'œuvre d'art et l'objet. Ici, ses divans tissent un lien entre l'art et la réalité. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>meurent<br />

dorénavant intrinsèquement liés.<br />

2 http://www.faux-mouvement.com/04Expositions/04_Pedagog/pedago/fiches/craggf.html<br />

3 http://www.chrisjordan.com/<br />

4 Art et <strong>de</strong>sign : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-ARTS-ET-DESIGN/ENS-arts-et-<strong>de</strong>sign.htm<br />

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

Tobias Rehberger, quant à lui, s'intéresse au lien entre l'objet et son environnement. Par exemple, avec son<br />

œuvre Outsi<strong>de</strong>rin et Arroyo gran<strong>de</strong> (2002), installée au Centre Pompidou, il étudie justement la relation<br />

objet-environnement. (Rehberger, Tobias Rehberger, Outsi<strong>de</strong>rin et Arroyo gran<strong>de</strong>, 2002). On remarque<br />

ici soixante-six lampes en verre jaune et vingt-<strong>de</strong>ux lampes en velcro. « Les lampes sont reliées à un<br />

capteur <strong>de</strong> lumière fixé à l'extérieur du Musée, ainsi qu'à un variateur d'intensité, <strong>de</strong> sorte que la lumière<br />

intérieure est modifiée en fonction <strong>de</strong> l'éclairage extérieur. […] Elle [l'œuvre] est en constante interaction<br />

avec son environnement ».<br />

On constate donc que les artistes <strong>de</strong> cette fin <strong>de</strong> XXè siècle jouent avec l'objet et ses références : le<br />

contexte, le cadre, l'environnement, sa fonction, son utilité... Travailler sur l'objet d'art et son <strong>de</strong>sign leur<br />

permet <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel ils évoluent, ou tout du moins, d'essayer <strong>de</strong> le comprendre.<br />

II. Art et déchet<br />

Cette présentation est un résumé partiel <strong>de</strong> l'ouvrage <strong>de</strong> Gérard Bertolini, Art et déchet : le déchet, matière<br />

d'artistes, en collaboration avec l'auteur 5 .<br />

Le déchet occupe une place importante <strong>dans</strong> l'art contemporain, <strong>de</strong>venu le matériau privilégié d'un grand<br />

nombre d'artistes. Certains sont connus, d'autres moins, et il n'est pas toujours facile <strong>de</strong> distinguer les<br />

productions artistiques <strong>de</strong> l'artisanat. Dans notre civilisation écartelée entre la sur-consommation et la<br />

préservation <strong>de</strong> la nature, le regard <strong>de</strong>s artistes est plus que jamais sollicité pour accompagner nos<br />

réflexions.<br />

L'artiste choisit le déchet souvent pour <strong>de</strong>s raisons économiques, c'est un multi-matériau facile à trouver, et<br />

généralement immédiatement disponible, mais aussi pour <strong>de</strong>s raisons idéologiques, par une démarche <strong>de</strong><br />

rejet d'une société <strong>dans</strong> laquelle il ne se reconnaît pas, ou qu'il entend critiquer. En mettant en scène le<br />

déchet <strong>dans</strong> une création artistique, il offre au spectateur sa propre réflexion pour l'amener à s'interroger à<br />

son tour. Les artistes travaillant autour du déchet, ne se revendiquent pas d'un courant artistique en<br />

particulier, mais d'une démarche personnelle.<br />

Ce dossier propose quelques repères et <strong>de</strong>s portraits d'artistes dont le parcours s'est librement inspiré <strong>de</strong><br />

déchets.<br />

II.1. Le déchet : invention d'un thème.<br />

Bien que <strong>de</strong> très nombreux artistes tout au long <strong>de</strong> l'histoire aient exploité <strong>de</strong>s ressources disponibles issues<br />

<strong>de</strong> déchets (la colle d'os), et que ceux-ci, surtout biologique, soit présent <strong>dans</strong> certaines œuvres (Bruegel,<br />

Jérôme Bosch), l'art académique n'abor<strong>de</strong> que très peu la thématique du déchet en tant que telle. C'est en<br />

gran<strong>de</strong> partie dû au fait que le terme même est relativement récent : il prend forme avec l'industrialisation,<br />

remplaçant l'immondice et l'ordure. Des démarches artistiques visant à mettre en scène le déchet ne<br />

<strong>de</strong>viennent tangibles qu'à partir <strong>de</strong> la première moitié du XXè siècle, au moment où les courants artistiques<br />

d'un genre nouveau (cubisme, dadaïsme, surréalisme, art brut...) s'intéressent à la valeur <strong>de</strong> l'art, à son objet<br />

et son corollaire, le déchet.<br />

5 Bertolini Gérard, Art et déchet, le déchet, matière d'artiste, Apre<strong>de</strong>/Le Polygraphe, 2002.<br />

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<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

II.2. Détourner l'objet : <strong>de</strong> Duchamp aux Surréalistes<br />

Ainsi les surréalistes, autour d'André Breton, à partir <strong>de</strong> 1924 s'intéressent aux « déchets » précisément en<br />

ce qu'ils témoignent du rejet, <strong>de</strong> la non-conformité aux normes sociales, morales ou esthétiques. En 1948, à<br />

l'initiative <strong>de</strong> Dubuffet, <strong>de</strong> Paulhan, et <strong>de</strong> Breton, nait la Compagnie <strong>de</strong> l'art Brut, qui sera dissoute en 1961.<br />

Aux racines anciennes, l'art brut, c'est à dire un art spontané, sans intention <strong>de</strong> faire œuvre, acquiert sa<br />

légitimité. Les artistes ont souvent exploité <strong>dans</strong> leur création les rebuts <strong>de</strong> toutes sortes : Hauterives, <strong>dans</strong><br />

la Drôme, connu pour le « palais idéal » du facteur cheval, est un exemple très célèbre. D'autres courants<br />

peuvent être cités, comme l'arte povera italien, ou encore le Trash art (littéralement art <strong>de</strong>s ordures), fruit <strong>de</strong><br />

la junk culture (culture <strong>de</strong> pacotille, du non-sens et du déchet).<br />

(Exemple d'Art Brut, avec Gérard Pascual, Véloterie du Père Gaston, 1975, Musée <strong>de</strong>s Beaux-arts <strong>de</strong><br />

<strong>Dijon</strong>).<br />

Depuis 1945, la société <strong>de</strong> consommation, industrielle et urbaine, constitue le thème dominant <strong>de</strong> l'art<br />

contemporain, quel que soit le courant <strong>dans</strong> lequel l'artiste s'inscrit. L'artiste renvoie à la société les images<br />

<strong>de</strong> ses dysfonctionnements et sa création participe <strong>de</strong>s grands enjeux <strong>de</strong> la condition humaine. Ainsi les<br />

guerres, totalitarismes, tensions mondiales ont marqué particulièrement les œuvres d'artistes comme Miró,<br />

Picasso, Dalí, <strong>Ville</strong>glé, Hains, Malevitch, Boltanski, Christo... Les mutations profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la société, comme<br />

l'industrialisation, l'exo<strong>de</strong> rural, la surconsommation, la mondialisation, l'augmentation considérable <strong>de</strong>s<br />

écarts entre riches et pauvres, entre Nord et Sud, inspirent les artistes, et certains s'expriment par la<br />

figuration du déchet.<br />

La vision <strong>de</strong> Baudrillard renvoie à un « nouvel ordre fécal » : la course au supermarché est assimilée à un<br />

va-et-vient digestif : il faut éviter la stagnation, assurer la circulation ; le ralentissement <strong>de</strong>s débouchés fait<br />

surgir le spectre <strong>de</strong> l'économie constipée ; l'accumulation <strong>de</strong>vient vite dangereuse. Comme jadis les<br />

mé<strong>de</strong>cins stércoraires, les conjoncturistes se penchant sur le contenu <strong>de</strong>s caddies. Durée <strong>de</strong> vie élevée et<br />

réemploi font figure <strong>de</strong> rétention anale, copromanie sinon coprophagie. Dans le contexte d'une filière<br />

inversée, l'homme est <strong>de</strong>venu anus d'un système <strong>de</strong> production-distribution. L'être humain apparaît aux<br />

contestataires comme déchet du système (Bertolini, p.16)<br />

II.3. Productivité, commercialisation, consommation, mondialisation, marges<br />

Alors que les « producteurs » ont tendance à considérer l'art comme improductif, le déchet constitue lui<br />

aussi un improductif <strong>de</strong> la société technologique. Or, les matières inutiles pour l'industrie, re<strong>jeté</strong>es par elles,<br />

alimentent l'art, lui-même considéré comme inutile, superflu. Pour ceux qui conviennent <strong>de</strong> l'utilité <strong>de</strong> l'art, en<br />

intégrant les déchets <strong>dans</strong> sa démarche, l'artiste les transforme, leur donne une nouvelle utilité. Les marges<br />

<strong>de</strong> la ville constituent <strong>de</strong>s lieux privilégiés à la fois <strong>de</strong> l'accumulation <strong>de</strong>s déchets et <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s marginaux.<br />

A l'affût <strong>de</strong>s failles du système, l'artiste entend explorer un territoire délaissé, relégué <strong>dans</strong> l'indignité par la<br />

culture traditionnelle. A partir <strong>de</strong> ce qui est re<strong>jeté</strong> comme sans utilité, sans intérêt, sans valeur économique,<br />

l'enjeu consiste à découvrir et à produire d'autres, ou <strong>de</strong> nouvelles richesses. L'artiste prend l'ordure à<br />

rebours, à contre-courant pour la magnifier, la sublimer, en extraire la poésie ou l'ironie.<br />

(Exemple, présentés <strong>dans</strong> cette exposition, les photographies et textes <strong>de</strong> Philip Poupin, concernant la<br />

décharge <strong>de</strong> Dandora, Nairobi, au Kenya.)<br />

(Exemple, Gaspard R. , Les Méduses, 1994).<br />

(Exemples, présentées <strong>dans</strong> cette exposition, Michèle Marlien, Mandalas <strong>de</strong> la vie quotidienne, 2001).<br />

Les mandalas sont constituées <strong>de</strong> sacs plastiques découpés en lanières crochetées.<br />

6


<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

II.4. L'engouement pour la récup'<br />

Le déchet est un matériau surabondant, qui « court les rues » <strong>de</strong>s villes (et les campagnes), gratuit (libre<br />

accès aux décharges, avec quelques réserves) ; il suffit <strong>de</strong> se baisser pour le cueillir, le glaner, le récupérer.<br />

Parmi les récupérateurs, on peut distinguer ceux qui le font par nécessité, et ceux qui le font par goût. Parmi<br />

ceux-là, il faut encore séparer ceux qui le font par snobisme <strong>de</strong> ceux qui choisissent la sobriété et l'esprit<br />

d'épargne.<br />

Ainsi certains artistes dits ferrailleurs, parmi lesquels César tient une place <strong>de</strong> choix, récupèrent leur<br />

matières premières <strong>dans</strong> les décharges et casses automobiles. Si l'artiste a avoué avoir récupéré par<br />

nécessité au début <strong>de</strong> son œuvre, il est resté fidèle à sa matière première une fois le succès venu. Le<br />

déchet est une source d'inspiration esthétique, un goût sensible pour la « trouvaille ». Ainsi Dubuffet est<br />

considéré comme un « cueilleur <strong>de</strong> hasards », et écrit : « je pris conscience que les moyens les plus simples<br />

et les plus pauvres sont les plus féconds en surprise. […] J'ai toujours aimé, c'est une espèce <strong>de</strong> vice, ne<br />

mettre en œuvre <strong>de</strong> matériaux que les plus communs, ceux auxquels on ne songe pas d'abord parce qu'ils<br />

sont trop vulgaires. […] Mon art est une réhabilitation <strong>de</strong>s valeurs décriées » 6 .<br />

Pour ses sculptures, Picasso, que Cocteau surnomma « roi <strong>de</strong>s chiffonniers », fouillait lui aussi <strong>dans</strong> les<br />

poubelles et les dépotoirs, pour en extirper <strong>de</strong>s choses dédaignées par les autres, et il aimait le hasard <strong>de</strong>s<br />

rencontres. (Exemple Picasso, Tête <strong>de</strong> Taureau, 1943).<br />

II.5. Le déchet : témoin et contre-témoin<br />

Arman, artiste éboueur, transvase le contenu <strong>de</strong> poubelles ou <strong>de</strong> corbeilles <strong>de</strong> ses amis ou <strong>de</strong> jeteurs<br />

anonymes et les met en vitrine, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s boites transparentes sous plexiglas (Petits déchets bourgeois,<br />

1959). « Si tu évites <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r ta poubelle, si tu te bouches le nez, c'est peut-être parce que tu ne veux<br />

pas te voir, te sentir », explique -t-il 7 .<br />

Pour l'université <strong>de</strong> Bourgogne, l'artiste a réalisé une œuvre monumentale en 1976. Il s'agit <strong>de</strong> Divionis<br />

Mechanica Fossilia.<br />

Daniel Spœrri a produit <strong>de</strong>s tableaux pièges, en fixant et en figeant <strong>de</strong>s « tranches <strong>de</strong> vie » à travers les<br />

restes <strong>de</strong> repas qu'il accroche au mur, acceptant leur décomposition.<br />

Dans le Trash-art, les tabous <strong>de</strong>viennent objet <strong>de</strong> provocation, jusqu'au malsain, au pornographique ou au<br />

sadique. Ces œuvres agressives témoignent sans doute du mal-être <strong>de</strong> l'artiste lui-même <strong>dans</strong> une société<br />

<strong>dans</strong> laquelle il ne se reconnaît pas. Provoquer, choquer, constitue un moyen d'affirmer son existence, en<br />

cherchant ce qui peut encore faire réagir. D'autres y voient les signes d'un art en complète décrépitu<strong>de</strong>. En<br />

réalité, le déchet en lui-même n'est pas obscène. Il le <strong>de</strong>vient lorsqu'il n'est pas ordinairement à la place qui<br />

lui est assignée. Ainsi le déchet est un objet qui n'est pas à sa place.<br />

Le plastique constitue le matériau fétiche <strong>de</strong> la société <strong>de</strong> consommation, produit en quantité industrielle,<br />

difficilement dégradé, symbole <strong>de</strong> pollution. Capable <strong>de</strong> se substituer pratiquement à toute autre matière, il<br />

<strong>de</strong>vient la matière par excellence. Polymorphe, il est matériau aux mille usages. En 1961, Martial Raysse<br />

<strong>dans</strong> « Objet », assemble ironiquement, en forme <strong>de</strong> bouquet, <strong>de</strong>s bouteilles, bidons et flacons en plastique,<br />

ainsi que <strong>de</strong>s brosses nylon à long manche. En 1967, lassé par les compressions, César se lance <strong>dans</strong> les<br />

expansions : <strong>de</strong>s coulées libres <strong>de</strong> polyuréthanne envahissant l'espace.<br />

6 Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits savants, Paris : Gallimard, 1967.<br />

7 Arman, cité <strong>dans</strong> Isabelle Lacomte-Depoorer, Le pop Art, flammarion, 2001.<br />

7


<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

III. Conclusion<br />

De la matière d'artiste au sujet <strong>de</strong> représentation, l'utilisation <strong>de</strong> l'objet et du déchet témoigne <strong>de</strong> pratiques<br />

artistiques parfois marginales, parfois dérangeantes, résultat <strong>de</strong> choix artistiques toujours ancrés <strong>dans</strong> le<br />

contexte social <strong>dans</strong> lequel l'artiste évolue.<br />

<strong>L'objet</strong> et le déchet peuvent être présentés tels quels ou transformés, peu importe le parti <strong>de</strong> l'œuvre choisi,<br />

car en <strong>de</strong>ça d'une transformation physique, le changement peut résulter d'un autre regard, porté sur les<br />

choses, y compris les plus courantes, les plus banales, les plus humbles.<br />

En cela, l'artiste est plus que jamais utile à la compréhension du mon<strong>de</strong>.<br />

8<br />

Sophie JOLIVET<br />

Laura CHAMARANDE


<strong>L'objet</strong> <strong>gardé</strong>, <strong>jeté</strong>, <strong>réinventé</strong> <strong>dans</strong> <strong>l'Art</strong> Sophie Jolivet ; Laura Chamaran<strong>de</strong><br />

Sources bibliographiques<br />

Centre Pompidou, site documentaire <strong>de</strong> l'exposition (détail <strong>de</strong>s liens) :<br />

- L'Objet <strong>dans</strong> l'art au Xxè siècle, 2004 : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-objet/ENS-objet.htm<br />

- Le Cubisme : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-cubisme/Cubisme.htm<br />

- L'œuvre<br />

<strong>de</strong> Marcel Duchamp : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Duchamp/ENS-duchamp.htm<br />

- L'Art surréaliste : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-surrealisme/ENS-surrealisme.htm<br />

- Le Pop Art : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-newrea-EN/ENS-newrea-EN.htm<br />

- Le Nouveau Réalisme : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-nouvrea/ENS-nouvrea.htm<br />

- Yves Klein : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-yves_klein/ENS-Yves_Klein.htm<br />

- Christian Boltanski : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-boltanski/ENS-boltanski.htm<br />

- Art et <strong>de</strong>sign : http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-ARTS-ET-DESIGN/ENS-arts-et-<strong>de</strong>sign.htm<br />

Autres liens<br />

- Dossier sur le plastique du MAM <strong>de</strong> Saint-Etienne : http://www.mam-st-etienne.fr/data/documents/Le-plastique-est<strong>de</strong>sign.pdf<br />

- Musée <strong>de</strong> l'objet, à Blois : http://www.musee<strong>de</strong>lobjet.org/musee/presentation.php<br />

- Vidéo <strong>de</strong> Patrick Sapin : http://patricksapin.org/vi<strong>de</strong>o/<br />

- L'ingénioserie <strong>de</strong> Véronique Devif : http://www.ingenioserie.com/<br />

- Catherine Scellier : http://catherinescellier.over-blog.com/<br />

- Michèle Marlien : http://web.mac.com/michele.gaspart/iWeb/michele%20marlien.com<br />

- Gérard Bertolini, Art et déchet. Le déchet, matière d'artiste, Angers : APREDE ; le Polygraphe, 2002.<br />

- Gérard Bertolini, Déchets et Design. Les ambassa<strong>de</strong>urs du futur, Société Alpine <strong>de</strong> Publication, Grenoble, 1998.<br />

- Léa Vergine, Quand les déchets <strong>de</strong>viennent art, Editions Skira, 2007.<br />

Dans le salon <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong> cette exposition<br />

A votre disposition :<br />

- La Fabuloserie, Art hors les normes, art brut, Albin Michel, 2009, (Bibliothèque municipale <strong>de</strong> <strong>Dijon</strong>)<br />

www.fabuloserie.com<br />

- L'art et le recyclage, Institut <strong>de</strong> retraitement <strong>de</strong>s matières potentiellement créatives, IRMAPOC, Blois : Ecole d'art <strong>de</strong><br />

Blois, 2002.<br />

- L'art du recyclage, actes du colloque, Saint-Etienne, 28-29 novembre 2006, Publications <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Saint-<br />

Etienne.<br />

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