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Le Bureau éphémère - Théâtre de Privas

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espectabilité ? Vous n’avez peut-être pas le temps, justement, <strong>de</strong> réfléchir à ce genre <strong>de</strong><br />

questions.<br />

LE BUCHERON : Mdame. On est débordés. Moi, j’ai vu ce que j’avais à voir. Après,<br />

comment vous dire. Je fais ce que j’ai à faire et puis c’est tout. C’est mon job.<br />

LA MERE : « Job ». Parlez moi <strong>de</strong> votre… « job », monsieur. Cela m’intéresse au plus haut<br />

point. Par exemple, si vous restez trop longtemps ici, qui vous en tiendra rigueur ? J’ai besoin<br />

<strong>de</strong> compagnie. Maintenant que vous avez vu, justement, vous avez une petite idée <strong>de</strong> la<br />

solitu<strong>de</strong> dans laquelle je me trouve.<br />

LE BUCHERON : Dans une <strong>de</strong>mi-heure, ils vont me biper. Pour le prochain client.<br />

LA MERE : Qui, qui vous bipe ?<br />

LE BUCHERON : La boîte.<br />

LA MERE : La boîte vous bipe.<br />

LE BUCHERON : La boîte me bipe. Un sms m’indique l’adresse.<br />

LA MERE : Un quoi ? Ah ! Moi je dis « texto ». Et vos « coéquipiers », comme vous dites,<br />

où sont-ils ?<br />

LE BUCHERON : Ben je les bipe si je peux pas honorer le ren<strong>de</strong>z vous et ils me remplacent<br />

sur le secteur. On est vingt par secteur et y a trois secteurs par zone. Y a dix zones pour un<br />

périmètre et y a huit périmètres dans le mon<strong>de</strong>. Oui, c’est complètement mondial. Bon, je vais<br />

les chercher les outils ?<br />

LA MERE : Atten<strong>de</strong>z. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’ai besoin <strong>de</strong> parler.<br />

D’écouter aussi…Il ne vient jamais personne. Racontez-moi.<br />

LE BUCHERON : Ben c’est que je vous ai tout dit.<br />

LA MERE : Et parfois entre collègues vous allez au bistrot, non ? Vous échangez <strong>de</strong>s<br />

anecdotes ? Vous vous retrouvez au coin d’un feu en fin <strong>de</strong> semaine et vous vous moquez<br />

gentiment <strong>de</strong>s clients. Vous comparez, entre vous, les situations. Il y a les débutants,<br />

j’imagine. Ceux qui ont besoin <strong>de</strong> conseils…Oui, vous vous êtes certainement constitué un<br />

petit clan, un petit cercle, mi-amical, mi-professionnel…Une respectueuse distance, un climat<br />

sympathique mais dans les règles…Et <strong>de</strong>s fêtes, <strong>de</strong>s anniversaires, <strong>de</strong>s surprises…<br />

LE BUCHERON : Ben… <strong>Le</strong>s co-équipiers je les vois jamais. On se bipe, c’est tout.<br />

LA MERE : C’est tout ?<br />

LE BUCHERON : C’est tout.<br />

LA MERE : Vous ne connaissez pas leur nom ?<br />

LE BUCHERON : <strong>Le</strong>ur nom <strong>de</strong> matricule.<br />

LA MERE : Donc vous ne connaissez pas leur nom. Enfin. Et où habitent-ils ? Vous ne le<br />

savez pas non plus ?<br />

LE BUCHERON : Ben non. On se bipe<br />

LA MERE : C’est tout<br />

LE BUCHERON : Bip<br />

LA MERE : Bip<br />

LE BUCHERON : Bip bip.<br />

LA MERE : Pas envie <strong>de</strong> parler, hein ? Vous me rappelez Kévin B. quand il <strong>de</strong>vait réciter son<br />

poème <strong>de</strong> Prévert <strong>de</strong>vant toute la classe. Il avait rougi, il baissait les yeux. Vous allez donc<br />

faire votre « job », comme vous dites. On <strong>de</strong>vrait quand même y mettre plus <strong>de</strong> formes. Ce<br />

n’est pas rien. Moi, je ne vais plus voir par la fenêtre parce qu’à chaque fois, je me mets à<br />

pleurer. Bon. En même temps, je suis la mère, c’est normal. Bon. Vous êtes pressé. Dites moi<br />

juste ce qu’il en est.<br />

LE BUCHERON : Ben. Il va falloir amputer.<br />

LA MERE : Amputer. A partir d’où.<br />

LE BUCHERON : <strong>Le</strong>s pieds. <strong>Le</strong>s bras. C’est enraciné profond.<br />

LA MERE : J’aurais dû faire appel à vous bien plus tôt. Mais j’avais…Honte.

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