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Le Bureau éphémère - Théâtre de Privas

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« Tu veux embrasser la vie, mais<br />

tu ne veux pas mettre la langue, et embrasser sans la langue, c’est<br />

embrasser ? Ce n’est pas embrasser, c’est embrasser ? »<br />

(Sans la langue - Sarah Fourage)


L’équipe artistique<br />

« On est douze. Deux fois six mais <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux et ça tourne. A la cloche ça tourne. A<br />

moins une ça cloche et à six recloche : on tourne »<br />

(Speed dating)<br />

Mise en scène A<strong>de</strong>line Benamara, Thomas Poulard<br />

Dramaturgie Sarah Fourage<br />

Lumière Bruno Marsol<br />

Son Régis Sagot<br />

Scénographie Au<strong>de</strong> Vanhoutte<br />

Costumes Marie-Frédérique Fillion<br />

Régie générale Manuella Mangalo<br />

Production Laurence Rotger, Aurélie Maurier<br />

(<strong>Le</strong> <strong>Bureau</strong> <strong>éphémère</strong>)<br />

Avec<br />

La femme poignante A<strong>de</strong>line Benamara<br />

La mère, La dame qui finit Sylvie Jobert<br />

Karl Kraft, Clamard Gilles Fisseau<br />

<strong>Le</strong> bûcheron-boucher, L’homme-aux-pinceaux Carl Miclet<br />

<strong>Le</strong> fils Thomas Poulard


I. Genèse du projet<br />

II. Résumé et propos<br />

III. Intentions <strong>de</strong> mise en scène<br />

IV. Ebauches scénographiques<br />

SOMMAIRE<br />

V. Paroles d’auteur(e) - Sarah Fourage<br />

VI. Histoire <strong>de</strong> compagnie<br />

VII. <strong>Le</strong>s auteurs - biographies<br />

VIII. L’équipe artistique<br />

IX. Pistes pédagogiques<br />

Annexes :<br />

Texte <strong>de</strong> Sarah Fourage « Sans ma langue »<br />

Texte <strong>de</strong> Sophie Lannefranque « Comment Karl Kraft s’est coupé<br />

en morceaux (et ce qu’il a fait <strong>de</strong> son âme) »<br />

Texte <strong>de</strong> Gilles Granouillet « Speed dating »<br />

1


I. GENESE DU PROJET<br />

«Sam ! Sam ! Ça y est, enfin, c’est arrivé ! Ici, dans ma propre vie… C’est arrivé, Sam !<br />

Un miracle ! On n’a pas une vie pour rien, non, la vie… la vie sert à quelque chose, oui,<br />

Sam, mais il faut trouver à quoi, trouver quelque chose, j’ai cherché à quoi sert ma vie,<br />

j’ai cherché Sam, oui, j’ai cherché et j’ai trouvé !<br />

Je l’ai trouvée.<br />

Hier soir, dans ma boîte aux lettres et je l’ai trouvée… Je la tenais dans mes mains, sans<br />

qu’elle bouge… Elle s’offrait à moi. Elle me disait « oui », oui, Sam. Elle m’a illuminé,<br />

moi, Karl. Bon sang, j’ai levé les <strong>de</strong>ux bras au ciel, en la voyant !<br />

J’ai trouvé.<br />

J’ai <strong>de</strong> la chance… Elle est belle, Sam. Elle est… tellement parfaite pour moi. Elle est<br />

comme une carte du mon<strong>de</strong> !<br />

(Karl Kraft)<br />

En 2008, dans le cadre <strong>de</strong> l’opération baptisée Saut en Auteurs, le groupe <strong>de</strong>s Vingt en<br />

Rhône-Alpes a passé une comman<strong>de</strong> d’écriture à six auteurs <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong> la région à partir <strong>de</strong><br />

trois thèmes au choix : « <strong>Le</strong> diable », « <strong>Le</strong>s communications mo<strong>de</strong>rnes » ou « <strong>Le</strong> diable dans<br />

les communications mo<strong>de</strong>rnes ». Après avoir été mis en espace en Novembre 2008, trois <strong>de</strong><br />

ces six textes ont été retenus. Un appel à projets a ensuite été lancé auprès <strong>de</strong>s compagnies<br />

rhône-alpes pour mettre en scène une ou plusieurs <strong>de</strong> ces pièces. C’est le projet <strong>de</strong> la<br />

compagnie du Bonhomme, créée et implantée à Lyon <strong>de</strong>puis 2000 qui a été choisi.<br />

2


II. RESUME DES PIECES ET PROPOS<br />

<strong>Le</strong> Bûcheron : Vous êtes la mère ?<br />

La Mère : Je suis la mère. Je suis tellement…<br />

<strong>Le</strong> Bûcheron : Vous en faîtes pas.<br />

La Mère : Maintenant vous avez vu.<br />

<strong>Le</strong> Bûcheron : J’ai vu.<br />

La Mère : Quel est le diagnostic ? Vous ne dîtes peut-être pas « diagnostic » dans votre<br />

métier…<br />

<strong>Le</strong> Bûcheron : J’ai vu.<br />

(Sans la langue)<br />

Sans la langue<br />

Une femme, la Mère, reçoit chez elle un artisan d’un genre un peu spécial, nommé le<br />

bûcheron-boucher pour désincarcérer son fils <strong>de</strong> l’écran <strong>de</strong> l’ordinateur <strong>de</strong>vant lequel il passe<br />

toutes ses journées.<br />

L’homme « nouveau » est arrivé. C’est un homme machine, en symbiose totale avec<br />

l’ordinateur. <strong>Le</strong> rêve <strong>de</strong>s pères fondateurs d’internet serait-il ici <strong>de</strong>venu réalité ?<br />

C’est l’histoire d’une double folie : celle d’une mère qui voudrait gar<strong>de</strong>r éternellement<br />

son fils auprès d’elle et celle d’un fils qui pour lui échapper se réfugie dans le mon<strong>de</strong><br />

virtuel <strong>de</strong> l’internet.<br />

Comment Karl Kraft s’est découpé en morceaux…<br />

Karl Kraft a enfin trouvé un sens à sa vie. Mais son rêve a un prix. Pour le réaliser, il <strong>de</strong>vra se<br />

dépossé<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tous ses biens. Mais sera t-il prêt à vendre son âme au diable ?<br />

Cette pièce énigmatique se présente comme un puzzle qui ne sera reconstitué qu’à la fin.<br />

C’est l’histoire d’une mutation, celle d’un homme qui se libère <strong>de</strong>s contraintes <strong>de</strong> sa vie<br />

antérieure pour renaître à une autre vie, dans un autre corps. <strong>Le</strong> mythe Faustien<br />

revisité !...<br />

Speed dating<br />

Imaginez un lieu qui ressemblerait à un commissariat <strong>de</strong> police et mettez-y : un célibataire<br />

dépressif menotté, une belle victime bien amochée, une commissaire expéditive en fin <strong>de</strong><br />

carrière et un peintre en radiateur, tous convoqués pour une reconstitution <strong>de</strong> rencontre<br />

amoureuse qui a mal tourné. Au final, vous obtenez un cocktail savoureux, mélange <strong>de</strong> jeu<br />

télévisé et <strong>de</strong> film d’humour noir.<br />

<strong>Le</strong>s histoires d’amour finissent mal… même lorsqu’elles n’ont pas encore commencé !<br />

3


III. LE TRIPTYQUE - INTENTIONS DE MISE EN SCENE<br />

« Triptyque. com ou… ma langue au diable » est la réunion <strong>de</strong> trois pièces, trois auteurs,<br />

trois univers aux atmosphères et aux styles différents. <strong>Le</strong>s rencontres y sont toutes aussi<br />

insolites les unes que les autres. Non sans humour, elles parlent encore et toujours<br />

d’amour - amour filial, amour sensuel, amour désespéré - mais aussi <strong>de</strong> notre solitu<strong>de</strong><br />

face aux choix <strong>de</strong> l’existence. A l’heure <strong>de</strong> l’hyper sophistication <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong><br />

communication, jusqu’où est-on prêt à aller pour se faire aimer <strong>de</strong> l’autre ?<br />

A l’instar d’un recueil <strong>de</strong> nouvelles, ce spectacle a la particularité <strong>de</strong> présenter en une<br />

même soirée ces trois pièces courtes. Elles n’ont a priori pas <strong>de</strong> liens entre elles mais<br />

seront interprétées par les mêmes comédiens et dans un même espace scénique<br />

modulable.<br />

L’idée commune aux trois textes est <strong>de</strong> représenter l’enfermement et l’isolement dans lequel<br />

tous ces personnages se trouvent.<br />

Pour Sans la langue et Karl Kraft, le travail <strong>de</strong> mise en scène tourne autour <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

questions. Comment passer du réel au fantastique ? Comment mettre en jeu la perte ou plus<br />

exactement la transformation du corps ? Dans Sans la langue, nous imaginons une cloison en<br />

transparence laissant <strong>de</strong>viner l’informe, le monstre en mutation. Tout sera en partie affaire <strong>de</strong><br />

suggestion pour rester au plus près <strong>de</strong> l’écriture et ne pas tomber dans la science fiction.<br />

Karl Kraft pourrait se bâtir autour <strong>de</strong> la présence imaginaire du personnage invisible <strong>de</strong> Sam.<br />

Notre paysan ne semble vivre et entreprendre sa transformation que pour lui. Qui est ce Sam ?<br />

Un autre ou peut-être un double ? A la fois proche et lointain, personnage réel ou imaginaire,<br />

c’est en essayant <strong>de</strong> le trouver qu’on pourra mieux comprendre dans quel univers situer cette<br />

histoire.<br />

Pour Speed dating, nous nous attacherons surtout à trouver le rythme, l’énergie du jeu, déjà<br />

présents dans l’écriture. Il n’y a qu’à se laisser gui<strong>de</strong>r par le fil <strong>de</strong>s dialogues extrêmement<br />

bien construits pour trouver la mécanique du rire. <strong>Le</strong>s répliques fusent, l’intrigue est cocasse :<br />

comique <strong>de</strong> répétition, <strong>de</strong> situation, <strong>de</strong> défaut <strong>de</strong> diction…. Ici, point <strong>de</strong> psychologie si ce<br />

n’est la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces personnages hauts en couleurs empêtrés dans une reconstitution <strong>de</strong><br />

drame absur<strong>de</strong> qui déraille et semble se répéter à l’infini.<br />

4


IV. EBAUCHES SCENOGRAPHIQUES<br />

La base scénographique se présente comme un îlot en milieu <strong>de</strong> plateau, délimité par un<br />

plancher surélevé et une armature qui <strong>de</strong>ssine le squelette d’une pièce aux murs virtuels. <strong>Le</strong>s<br />

objets et les éléments <strong>de</strong> décor seront les mêmes mais réutilisés <strong>de</strong> manière différente ou<br />

transformés à chaque fois.<br />

5<br />

Sans la langue<br />

Tout semble s’articuler autour <strong>de</strong> cette cloison <strong>de</strong>rrière laquelle se trouve ce fils incarcéré<br />

dans l’écran <strong>de</strong> son ordinateur. La présence <strong>de</strong> cette cloison est riche <strong>de</strong> sens. Elle symbolise<br />

la séparation, l’incompréhension entre une mère et son fils mais aussi la frontière<br />

infranchissable entre plusieurs mon<strong>de</strong>s, celui du virtuel et du réel, celui du passé et <strong>de</strong><br />

l’avenir, du normal et <strong>de</strong> la monstruosité.<br />

(Ebauches scénographiques – <strong>de</strong>ssin : Au<strong>de</strong> Vanhoutte)


6<br />

Karl Kraft<br />

Karl Kraft est chez lui, oui, bien sûr. Mais au fil du récit on a l’impression que cet espace<br />

<strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus abstrait pour atteindre quelque chose d’ésotérique. <strong>Le</strong> passage du noir<br />

à la lumière entre chaque séquence du texte, représente le temps qui passe et les neuf mois <strong>de</strong><br />

gestation au cours <strong>de</strong>squels sa sphère extérieure et intérieure se modifie jusqu’à la<br />

métamorphose finale. Nous avons envie <strong>de</strong> déconstruire cet intérieur en nous servant <strong>de</strong> notre<br />

décor modulable. En bref, les fenêtres, les meubles bougent, changent <strong>de</strong> fonction, se<br />

transforment, disparaissent, redéfinissent <strong>de</strong> nouveaux lieux pour accompagner le<br />

cheminement <strong>de</strong> Karl Kraft.<br />

« Je dois encore un peu grignoter les murs autour <strong>de</strong> moi, pour sortir, mais patience,<br />

chaque chose en son temps » (Karl Kraft)<br />

Nous avons envie d’utiliser <strong>de</strong> manière ludique et magique <strong>de</strong>s miroirs, insérés dans ces<br />

éléments <strong>de</strong> décor mobiles, pour traiter la question du Corps. <strong>Le</strong> miroir, par toute une série<br />

d’illusions optiques, évoque à la fois le reflet <strong>de</strong> soi, l’image qu’on voudrait donner à l’autre,<br />

une personnalité complexe susceptible <strong>de</strong> se modifier à l’infini (double, triple…), ainsi que le<br />

morcellement et la déliquescence du corps (grossissement, effets <strong>de</strong> loupe…). <strong>Le</strong> miroir est<br />

d’ailleurs associé à la psyché, le reflet <strong>de</strong> l’âme.<br />

(<strong>de</strong>ssin : Au<strong>de</strong> Vanhoutte)


7<br />

Speed dating<br />

Nous nous servirons <strong>de</strong> ces moments dits <strong>de</strong> Reconstitution pour une fois <strong>de</strong> plus déstructurer<br />

l’espace avec une bonne dose d’absur<strong>de</strong>, comme si l’on jouait les scènes sous un angle<br />

différent à chaque fois… <strong>Le</strong>s fenêtres changent <strong>de</strong> place, les tables aussi pendant que les<br />

personnages jouent <strong>de</strong> plus en plus vite.<br />

Nous imaginons une sorte <strong>de</strong> manège tournoyant au rythme <strong>de</strong>s portes qui claquent, <strong>de</strong>s bruits<br />

<strong>de</strong> sonnette, <strong>de</strong>s vases qui se cassent, un peu à l’image du vrai speed dating ou d’un ring <strong>de</strong><br />

boxe.<br />

« - Alors douze, douze <strong>de</strong>ux fois six, six mais cinq, cinq pendant six minutes et ça sonne et à<br />

cinq et ça sonne à moins une, bougies, tables, chaises, olives, bor<strong>de</strong>aux ou jus <strong>de</strong> fruit et ça<br />

tourne ![...]<br />

- …Alors, on tourne, à six on tourne même si on est douze […]<br />

- … et à moins une ça cloche » (Speed dating)<br />

(<strong>de</strong>ssin : Au<strong>de</strong> Vanhoutte)


V. MOTS D’AUTEUR(E) - SARAH FOURAGE<br />

J’aime écrire pour <strong>de</strong>s gens précis ou au service d’un thème que l’on me donne. La comman<strong>de</strong><br />

du Groupe <strong>de</strong>s 20 m’a permis d’écrire un texte qui, sinon, n’aurait pas vu le jour. <strong>Le</strong>s thèmes -<br />

« le diable », « les communications mo<strong>de</strong>rnes », ou le « diable dans les communications<br />

mo<strong>de</strong>rnes » - impliquaient un choix, une prise <strong>de</strong> position. Contraignant <strong>de</strong> fait, le thème<br />

donné est une clef pour déverrouiller un imaginaire parfois ronronnant.<br />

J’ai choisi le thème <strong>de</strong>s communications mo<strong>de</strong>rnes parce que je crois que le silence, les nondits,<br />

le ressentiment, les malentendus sont loin d’être mo<strong>de</strong>rnes et pourtant aussi largement<br />

utilisés qu’Internet. La question semble se poser <strong>de</strong> savoir si c’est l’époque qui fait l’homme.<br />

Mais quand bien même tous les moyens se perfectionnent pour mieux « dire », que veut-on<br />

dire et que dit-on, au juste ?<br />

Un film terrifiant, « Johnny s’en va-t-en guerre » <strong>de</strong> Dalton Trumbo, m’a beaucoup inspiré<br />

pour terminer le texte <strong>de</strong> Sans la langue et mo<strong>de</strong>ler le rôle du fils. Quant au personnage <strong>de</strong> la<br />

mère, j’ai essayé <strong>de</strong> ‘me mettre à la place’ <strong>de</strong> cette femme, qui a suivi toutes les étapes du<br />

progrès, qui se coupe du mon<strong>de</strong> par réaction et qui ne croit qu’à la parole, son arme et sa<br />

‘matière principale’.<br />

L’idée d’un individu prisonnier <strong>de</strong> son ordinateur m’a semblé loufoque, trop absur<strong>de</strong>, mais<br />

j’ai voulu y croire jusqu’au bout, car elle seule s’imposait à mes yeux. Homme-tronc, homme<br />

arbre, la végétation sous couvert d’action me semblait refléter la vacuité relative <strong>de</strong> nos<br />

échanges facilités.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux autres textes, celui <strong>de</strong> Gilles Granouillet et <strong>de</strong> Sophie Lannefranque, m’ont<br />

impressionnés lors <strong>de</strong> la lecture <strong>de</strong> novembre 2008, et en les relisant j’ai éprouvé le même<br />

plaisir et la même émotion. J’apprécie la virtuosité <strong>de</strong> Speed dating, farce efficace dont<br />

l’univers est néanmoins très singulier. <strong>Le</strong> langage y est malicieusement mis à l’épreuve<br />

(écoutons la « femme-poignante »…) et l’on s’élève vers une dimension poétique, un<br />

décalage tout à fait jubilatoire, où le tac au tac <strong>de</strong>s répliques fait mouche.<br />

Comment Karl Kraft s’est coupé en morceaux, relève d’une dimension beaucoup plus<br />

tragique. A travers la parole d’un personnage qui vend tout <strong>de</strong> lui (qui se vend « corps et<br />

âme ») on est touché en plein cœur. On assiste à la disparition totale d’un être au profit <strong>de</strong> son<br />

rêve. Faust est son parrain et la tendresse d’expression <strong>de</strong> ce Karl Kraft, qui ne veut pas<br />

renoncer à son âme car « elle lui tient chaud », rend ce personnage complètement attachant et<br />

sa disparition, lente et progressive, d’autant plus déchirante. Cela, par amour… Sensibilité et<br />

émotion dans Karl Kraft, humour et distance dans Speed dating : ces <strong>de</strong>ux textes me touchent<br />

dans leur radicalité, leur limpidité, leur côté ‘aiguisé’ mais aussi leur beauté.<br />

8


VI. HISTOIRE DE COMPAGNIE<br />

La compagnie du Bonhomme s'est créée à Lyon en 2000, à la sortie <strong>de</strong> l'ENSATT (Ecole<br />

Nationale Supérieure <strong>de</strong>s Arts et Techniques du <strong>Théâtre</strong>). Dans ce cadre, quatre textes <strong>de</strong><br />

Sarah Fourage ont été mis en scène par Marie-Sophie Ferdane :<br />

- Une Secon<strong>de</strong> sur Deux, créé en septembre 2000 et en tournée jusqu’en mars 2002 :<br />

L'Elysée, le Toboggan <strong>de</strong> Décines, <strong>Théâtre</strong> Kantor - Lyon, Comédie <strong>de</strong> Valence - CDN<br />

Drôme-Ardèche, le Grand Bleu - CDN jeune public, Lille.<br />

- Plexi Hôtel, créé en juin 2003 après une rési<strong>de</strong>nce aux Subsistances, à Lyon.<br />

- Loteries, créé en février 2003 au <strong>Théâtre</strong> du Point du Jour, repris en Novembre 2003 au<br />

<strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Villefranche-sur-Saône et au Toboggan <strong>de</strong> Décines.<br />

- On est mieux ici qu’en bas, créé en Janvier 2006 au théâtre <strong>de</strong>s Célestins <strong>de</strong> Lyon, et en<br />

tournée ATP (Amis du <strong>Théâtre</strong> Populaire) dans toute la France.<br />

« …Nous faisons sonner la langue <strong>de</strong> Sarah avec bonheur. Nous jouons pour <strong>de</strong>s gens qui<br />

ne connaissent pas la fin <strong>de</strong> l'histoire avant nous, qui ne savent pas comment on l'a raconté<br />

mieux que nous, avant nous, ailleurs, avant même que l'on ne soit né. Nous ne jouons pas<br />

pour prouver que nous sommes légitimes, conformes, aptes, tels qu'on nous voulait. Mais<br />

pour jouer cela - comme pour la première fois. Nous découvrons une langue, un auteur et<br />

son mon<strong>de</strong> peuplé toujours <strong>de</strong> mères terribles, d'enfants silencieux, <strong>de</strong> chansons tristes et<br />

<strong>de</strong> cauchemars boiteux… ».<br />

Marie-Sophie Ferdane<br />

Francis Bacon- Triptych, May-June, 1973<br />

9


VII. LES AUTEURS - BIOGRAPHIES<br />

Sarah Fourage<br />

Formée à l’ENSATT (Ecole Nationale <strong>de</strong>s Arts et Techniques du <strong>Théâtre</strong>) <strong>de</strong> 1997 à 2000.<br />

Comédienne, auteur, elle participe à la création <strong>de</strong> la compagnie du Bonhomme avec Marie<br />

Sophie Ferdane qui met en scène plusieurs <strong>de</strong> ses textes - Une secon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>ux, Plexi hôtel,<br />

Loteries et On est mieux ici qu’en bas (coproduction ATP en 2005).<br />

Elle a reçu plusieurs ai<strong>de</strong>s à l’écriture <strong>de</strong> l’Association Beaumarchais (1998), <strong>de</strong> la DMTDS<br />

(ai<strong>de</strong> à la création en 2005) et du Centre National du Livre (CNL - bourses d’encouragement<br />

en 2002 et bourse <strong>de</strong> création en 2007). Elle a été en rési<strong>de</strong>nce à la Chartreuse <strong>de</strong> Villeneuvelès-Avignon<br />

en 2003 et 2009. Suite à <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>s d’écriture, certains <strong>de</strong> ces textes ont été<br />

monté ou mis en chantier par la compagnie Zéotrope (Quand l’un pleure, l’autre essuie les<br />

larmes), Renaud <strong>Le</strong>scuyer (Clairières dans le ciel) et plus récemment Philippe Delaigue<br />

(Cahiers d’histoire). Elle vient <strong>de</strong> bénéficier d’une ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la DMTDS dans le cadre d’un<br />

projet <strong>de</strong> compagnonnage avec la compagnie Machine <strong>Théâtre</strong>.<br />

Comme comédienne, elle a travaillé avec Emilie Valantin (Castelets d’Hiver, L’Homme<br />

Mauvais), Michel Raskine (Barbe-bleue, espoir <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> Dea Loher), Jacques Rebotier<br />

(La tragédie <strong>de</strong> Pluto, De l’Omme), Dag Jeanneret (Fuck You Europa <strong>de</strong> Nicoleta Esinencu,<br />

Une nuit au Jardin d’Emmanuel Darley).<br />

Gilles Granouillet<br />

Il fon<strong>de</strong> en 1989 la compagnie Travelling <strong>Théâtre</strong> avec qui il réalise plusieurs mises en scène :<br />

Jacques le Fataliste d’après Di<strong>de</strong>rot, Fool for love <strong>de</strong> Sam Shepard, Germinal d’après Emile<br />

Zola, <strong>Le</strong> temps <strong>de</strong>s muets <strong>de</strong> Gilles Segal, Linge sale <strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> Grumberg, <strong>Le</strong> voyage du<br />

couronnement <strong>de</strong> Michel-Marc Bouchard, Mickey la torche <strong>de</strong> Natacha <strong>de</strong> Pontcharra…<br />

Très vite, il se tourne vers l’écriture théâtrale. Après <strong>Le</strong> poids <strong>de</strong>s arbres en 1992, il écrit et<br />

met en scène <strong>Le</strong>s anges <strong>de</strong> Massilia en 1995. Il a bénéficié, <strong>de</strong>puis, <strong>de</strong> plusieurs bourses<br />

nationales pour l’écriture dramatique et écrit notamment : Vodou (mise en scène <strong>de</strong> Gilles<br />

Chavassieux au théâtre les Ateliers <strong>de</strong> Lyon), Chroniques <strong>de</strong>s oubliés du Tour, Nuit<br />

d’automne à Paris (mise en scène <strong>de</strong> Guy Rétoré au <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> l’Est Parisien), Maman !<br />

(mise en scène <strong>de</strong> Anne-Laure Liégeois, dans le cadre du spectacle Embouteillages),<br />

L’incroyable voyage (mise en scène <strong>de</strong> Philippe Adrien, suite à un partenariat avec l’AFAA<br />

en Turquie), Six hommes grimpent sur la colline (mise en scène <strong>de</strong> Carole Thibaut, coproduit<br />

par les ATP en 2003), Ralf et Panini, Une saison chez les cigales, Trois femmes <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt<br />

vers la mer, Ma mère qui chantait sur un phare (lauréat <strong>de</strong>s journées d’auteur <strong>de</strong> Lyon).<br />

La pièce L’envolée a été mise en scène par Jean Clau<strong>de</strong> Berutti en 2008 à la Comédie <strong>de</strong><br />

Saint-Etienne. En 2009, François Rancillac a mis en scène Zoom dans le cadre du festival<br />

jeune public Odysées-78 au CDN <strong>de</strong> Sartrouville.<br />

Il est auteur associé à la Comédie <strong>de</strong> Saint Etienne <strong>de</strong>puis 1999. La plupart <strong>de</strong> ses pièces sont<br />

publiées aux éditions Actes Sud/ Papiers.<br />

10


Sophie Lannefranque<br />

Formée à l’école du Centre Dramatique National <strong>de</strong> Saint Etienne <strong>de</strong> 1989 à 1991.<br />

Comédienne, auteur et metteur en scène, elle crée le <strong>Théâtre</strong> du Cri en 1996. Elle a mis en<br />

scène ses propres textes - Ventre Amérique, <strong>Le</strong>s purs, Camisoles, camisoles, Opération<br />

Carman - mais aussi ceux <strong>de</strong>s autres (<strong>Le</strong>s Règles du Savoir-vivre… <strong>de</strong> Jean-Luc Lagarce,<br />

Dramuscules <strong>de</strong> Thomas Bernhard).<br />

Elle a reçu plusieurs ai<strong>de</strong>s à l’écriture du Centre national du Livre (CNL - bourses<br />

d’encouragement en 1997, bourse <strong>de</strong> création en 2001) et <strong>de</strong> la DMTDS (2001 et 2004). Elle<br />

a été en rési<strong>de</strong>nce à la Chartreuse <strong>de</strong> Villeneuve-lès-Avignon en 1997 et 2000. Suite à <strong>de</strong>s<br />

comman<strong>de</strong>s d’écriture, certains <strong>de</strong> ses textes ont été mis en scène par Eric Massé<br />

(Encouragements), Anne-Laure Liégeois (Embouteillages), Dominique Lar<strong>de</strong>nois (Encore<br />

Merci), Jean-Philippe Salério (Tourisme), Johanny Bert (Histoires <strong>de</strong> post-it), Gilles<br />

Granouillet pour la Comédie <strong>de</strong> Saint Etienne (Gimmick), etc.<br />

VIII. L’EQUIPE ARTISTIQUE<br />

A<strong>de</strong>line Benamara - Metteur en scène, comédienne<br />

Elle suit les ateliers <strong>de</strong> la Comédie <strong>de</strong> Saint Etienne. Elle suit également une formation à<br />

New York au Stella Adler Conservatory basée sur la métho<strong>de</strong> Actor Studio.<br />

Au sein du théâtre du Cri, elle a joué sous la direction <strong>de</strong> Sophie Lannefranque (Chaos<br />

etcetera, <strong>Le</strong>s Purs, Visions d’après Pasolini, Camisoles camisoles, Dramuscules <strong>de</strong> Thomas<br />

Bernhard, <strong>Le</strong>s règles du savoir-vivre dans la société mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> Lagarce) et par Natalie<br />

Royer (Gogo). Elle a aussi travaillé avec Arnault Mougenot (La visite <strong>de</strong> la vieille dame,<br />

Franck V <strong>de</strong> Dürrenmatt), Gilles Granouillet (Chronique <strong>de</strong>s oubliés du tour, <strong>Le</strong> cercle <strong>de</strong><br />

craie caucasien - Brecht, Caravanes), Jean-Philippe Salério (Tourisme), Claire Truche (<strong>Le</strong>s<br />

Z’habitants), Philippe Zarch (Médée), Béatrice Bompas (Ma Solange, La Tempête, A<br />

l’impossible…)...etc. Elle a récemment mis en scène le spectacle Appartements témoins<br />

d’après <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> Sophie Lannefranque.<br />

Thomas POULARD - Metteur en scène, comédien<br />

Diplômé <strong>de</strong> l’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure <strong>de</strong> Arts et Techniques du <strong>Théâtre</strong>) en<br />

2000.<br />

Il a collaboré avec <strong>de</strong> nombreuses compagnies et institutions basées en région Rhône Alpes. Il<br />

a notamment travaillé avec Marie-Sophie Ferdane <strong>de</strong> la Compagnie du Bonhomme (Une<br />

secon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>ux, Loteries, On est mieux ici qu’en bas <strong>de</strong> Sarah Fourage), Eric Massé (L’île<br />

<strong>de</strong>s esclaves <strong>de</strong> Marivaux), Simon Delétang (Woyzeck <strong>de</strong> Buchner, Shopping and Fucking <strong>de</strong><br />

Marc Ravenhill), mais aussi Christophe Perton (<strong>Le</strong>ar <strong>de</strong> Bond, Woyzeck), Jean Lacornerie<br />

(Monsieur <strong>de</strong> Pourceaugnac <strong>de</strong> Molière), François Rancillac (Kroum l’ectoplasme <strong>de</strong> Hanokh<br />

<strong>Le</strong>vin) ainsi qu’Emilie Valantin (Qui t’as rendu comme ça, Formation continue). Il a<br />

récemment mis en scène <strong>Le</strong> monologue d’Adramélech <strong>de</strong> Valère Novarina avec la compagnie<br />

grenobloise La Silencieuse.<br />

11


Gilles Fisseau - Comédien<br />

Comédien <strong>de</strong>puis 1977<br />

Au théâtre, il a principalement travaillé au théâtre avec Carlo Boso, Dominique Pitoiset,<br />

Georges Lavaudant, Christian Schiaretti, Philippe Delaigue, Dominique Lar<strong>de</strong>nois, Bernard<br />

Rozet, Anne Courel, Gilles Granouillet, etc…<br />

A la télévision, il a travaillé avec Michel Favard, Jean-Louis Bertucelli, Jean-Pierre Vergne,<br />

Alain Robillard, Michel Boisrond, Paul Planchon etc... Au cinéma, il travaille avec Jacques<br />

Audiard, Philippe <strong>Le</strong>guay, Jean Pierre Améris, Olivier Marchal, Eléonore Faucher.<br />

Sylvie Jobert - Comédienne<br />

Après une maîtrise <strong>de</strong> latin, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> piano et d’art dramatique au conservatoire <strong>de</strong><br />

Nancy, elle poursuit sa formation à l’Ecole Jacques <strong>Le</strong>coq et à l’Institut d’Etu<strong>de</strong>s Théâtrales<br />

<strong>de</strong> Paris III.<br />

Cofondatrice du <strong>Théâtre</strong> <strong>de</strong> Néon avec Catherine Alexis, en rési<strong>de</strong>nce plusieurs années au<br />

théâtre <strong>de</strong> l’Agora d’Evry. Elle a conçu et interprété le Cirque d’après Ramuz au théâtre du<br />

Lucernaire à Paris en 2010. Elle a également mis en scène L’ethnographe <strong>de</strong>vant le<br />

colonialisme <strong>de</strong> Michel <strong>Le</strong>iris et <strong>Le</strong> charme et l’Epouvante <strong>de</strong> Marcel Moreau (au Cargo -<br />

Maison <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> Grenoble et au TGP <strong>de</strong> Saint Denis). Comme interprète, elle a joué<br />

entre autres dans les spectacles <strong>de</strong> Jérôme Deschamps (La Veillée, Lapin-Chasseur), Clau<strong>de</strong><br />

Régy (Passagio), Bruno Meyssat (Orage <strong>de</strong> Strindberg ; Impressions d’Œdipe), Thierry<br />

Roisin (La grenouille et l’architecte), Pascale Henry (Un riche trois pauvres, <strong>Le</strong>s tristes<br />

champs d’asphodèle, Tabula Rasa, <strong>Le</strong> cochon est-il une série <strong>de</strong> tranches <strong>de</strong> jambon ?...),<br />

Thierry Bédart, Richard Dubelski, Jean-Michel Rivinoff, Moïse Touré…<br />

Carl Miclet - Comédien<br />

Formé à l’école <strong>de</strong> la Scène sur Saône à Lyon.<br />

Il a travaillé sous la direction d’Olivier Rey (compagnie Théarte) notamment dans La Maman<br />

et la putain <strong>de</strong> Jean Eustache, Parasites <strong>de</strong> Marius von Mayenburg, et Blanche neige <strong>de</strong><br />

Robert Walser. Avec la Compagnie du Bonhomme, sous la direction <strong>de</strong> Marie-Sophie<br />

Ferdane, il a participé à On est mieux ici qu’en bas et Plexi-hôtel <strong>de</strong> Sarah Fourage. Il a aussi<br />

travaillé avec Michel Belletante et Nino d’Introna (Vestiaires), Thierry Bor<strong>de</strong>reau (La<br />

grammaire <strong>de</strong>s mammifères), Emmanuel Daumas (L’échange <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>l), Roger Planchon<br />

(<strong>Le</strong> génie <strong>de</strong> la forêt <strong>de</strong> Tchékov), Marjorie Evesque (Je suis une radio…), Catherine Marnas<br />

(Liberté à Brême), Michel Véricel (Alertes).<br />

12


IX. PISTES PEDAGOGIQUES<br />

PROPOSEES PAR JEROME ANDRE, PROFESSEUR RELAIS<br />

I - IMAGES DE LA SCENOGRAPHIE (esquisses d’Au<strong>de</strong> Vanhoutte)<br />

Donner un titre à cette esquisse ; selon vous, que dit ou traduit-elle ?<br />

Essayez d’imaginer une histoire (drame <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong>, enfermement volontaire ou<br />

non, impossible liberté, le vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’être, un costume au musée et son histoire, la cage<br />

brisée,…), une intrigue, une fiction à partir <strong>de</strong> cette image qui reste très insaisissable.<br />

Selon vous, à laquelle <strong>de</strong>s trois pièces se réfère ce <strong>de</strong>ssin ? pourquoi ?<br />

13


A PARTIR DES TROIS ESQUISSES SUIVANTES, retrouvez les constantes, les lignes <strong>de</strong><br />

force <strong>de</strong> la scénographie, ce qui réunit les trois pièces dans une vision commune.<br />

Par ailleurs, mettez en lumière les éléments spécifiques <strong>de</strong> chacune et ce qui permet <strong>de</strong> donner<br />

un éclairage ou une dimension nouvelle à chacune <strong>de</strong>s trois pièces ;<br />

Comment comprenez-vous la pièce construite sur scène, à l’intérieur <strong>de</strong> celle-ci ? (mise en<br />

abyme, rétrécissement <strong>de</strong> l’espace, enfermement,…)<br />

GILLES GRANOUILLET<br />

SOPHIE LANNEFRANQUE<br />

SARAH FOURAGE<br />

14


II – LES INTENTIONS DU PROJET<br />

Sur le site du centre culturel <strong>de</strong> Vaulx-en-Velin, les « intentions » (en clair, ce qu’a cherché<br />

à dire ou montrer les auteurs, le metteur en scène) qui peut donner lieu à divers travaux<br />

d’écriture<br />

« Triptyque. com ou… ma langue au diable » est la réunion <strong>de</strong> trois pièces, trois auteurs,<br />

trois univers aux atmosphères et aux styles différents.<br />

<strong>Le</strong>s rencontres y sont toutes aussi insolites les unes que les autres.<br />

Non sans humour, elles parlent encore et toujours d’amour - amour filial, amour sensuel,<br />

amour désespéré - mais aussi <strong>de</strong> notre solitu<strong>de</strong> face aux choix <strong>de</strong> l’existence.<br />

A l’heure <strong>de</strong> l’hyper sophistication <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> communication, jusqu’où est-on prêt à<br />

aller pour se faire aimer <strong>de</strong> l’autre ?<br />

A l’instar d’un recueil <strong>de</strong> nouvelles, ce spectacle a la particularité <strong>de</strong> présenter en une<br />

même soirée ces trois pièces courtes. Elles n’ont a priori pas <strong>de</strong> liens entre elles mais seront<br />

interprétées par les mêmes comédiens et dans un même espace scénique modulable.<br />

L’idée commune aux trois textes est <strong>de</strong> représenter l’enfermement et l’isolement dans<br />

lequel tous ces personnages se trouvent.<br />

Pour Sans la langue et Karl Kraft, le travail <strong>de</strong> mise en scène tourne autour <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

questions.<br />

Comment passer du réel au fantastique ?<br />

Comment mettre en jeu la perte ou plus exactement la transformation du corps ? Dans<br />

Sans la langue, nous imaginons une cloison en transparence laissant <strong>de</strong>viner l’informe, le<br />

monstre en mutation. Tout sera en partie affaire <strong>de</strong> suggestion pour rester au plus près <strong>de</strong><br />

l’écriture et ne pas tomber dans la science fiction.<br />

Karl Kraft pourrait se bâtir autour <strong>de</strong> la présence imaginaire du personnage invisible <strong>de</strong><br />

Sam. Notre paysan ne semble vivre et entreprendre sa transformation que pour lui. Qui est<br />

ce Sam ?<br />

Un autre ou peut-être un double ?<br />

A la fois proche et lointain, personnage réel ou imaginaire, c’est en essayant <strong>de</strong> le trouver<br />

qu’on pourra mieux comprendre dans quel univers situer cette histoire.<br />

Pour Speed dating, nous nous attacherons surtout à trouver le rythme, l’énergie du jeu,<br />

déjà présents dans l’écriture. Il n’y a qu’à se laisser gui<strong>de</strong>r par le fil <strong>de</strong>s dialogues<br />

extrêmement bien construits pour trouver la mécanique du rire. <strong>Le</strong>s répliques fusent,<br />

l’intrigue est cocasse : comique <strong>de</strong> répétition, <strong>de</strong> situation, <strong>de</strong> défaut <strong>de</strong> diction…. Ici, point<br />

<strong>de</strong> psychologie si ce n’est la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces personnages hauts en couleurs empêtrés dans<br />

une reconstitution <strong>de</strong> drame absur<strong>de</strong> qui déraille et semble se répéter à l’infini.<br />

15


III - TRAVAUX A MENER A PARTIR DES TROIS TEXTES<br />

1 – SPEED DATING<br />

http://a<strong>de</strong>c29.free.fr/auteur%20granouillet.htm<br />

Rechercher le sens du mot, son acception récente. Quel lien peut-on retrouver<br />

entre ce genre <strong>de</strong> rencontre rapi<strong>de</strong> et comme le dit Granouillet lui-même, un<br />

« jeu télévisé » ?<br />

Définition : <strong>Le</strong> speed dating est une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> rencontres amoureuses<br />

rapi<strong>de</strong>s et en série. Ce terme pourrait être traduit en Français par "rencontres<br />

express" ou "rencontres rapi<strong>de</strong>s». Cette métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> rencontres est apparue<br />

dans les années 90 aux Etats Unis.<br />

Principe du speed dating : Des organisateurs commencent par effectuer un<br />

premier tri parmi plusieurs candidats inscrits à ce type <strong>de</strong> soirées. Seule la<br />

trentaine <strong>de</strong> candidats retenus seront avertis du lieu et <strong>de</strong> l'heure <strong>de</strong><br />

l'évènement.<br />

<strong>Le</strong> but est <strong>de</strong> réunir un grand nombre <strong>de</strong> célibataires <strong>de</strong> caractéristiques<br />

proches (âges, catégories socioprofessionnelles, revenus, etc.). Ils sont<br />

ensuite mis en rapport par <strong>de</strong>ux, autour d'une table selon une durée<br />

prédéterminée (environ 10 minutes). Au terme <strong>de</strong> cette entrevue un signal<br />

sonore retenti pour indiquer la fin du ren<strong>de</strong>z-vous. Chaque célibataire change<br />

alors <strong>de</strong> partenaire <strong>de</strong> discussion.<br />

<strong>Le</strong>s conversations doivent respecter <strong>de</strong>ux règles : pas d'échanges <strong>de</strong><br />

coordonnées personnelles, pas d'évocation <strong>de</strong> sentiments réciproques. À<br />

l'issue <strong>de</strong> chaque ren<strong>de</strong>z-vous, les célibataires émettent une appréciation<br />

confi<strong>de</strong>ntielle sur la personne qu'ils viennent <strong>de</strong> rencontrer.<br />

Au terme <strong>de</strong> la soirée, les organisateurs mettent en rapport ceux qui<br />

souhaitent se revoir mutuellement.<br />

Montrer comment la question <strong>de</strong> la rencontre est transformée, détournée,<br />

ressassée, mais au cœur même <strong>de</strong> la relation entre les personnages<br />

(Clamard et la femme-poignante ; la reconstitution et les figures <strong>de</strong><br />

substitution comme l’homme-aux-pinceaux, qui cherche à faire remonter la<br />

femme qu’il sent en lui !)<br />

faire un tableau ou un point sur les différentes relations existant entre les<br />

personnages, entre les difficultés <strong>de</strong> communication, la violence latente ou<br />

16


verbalisée (« A eule », répète à l’envi la femme-poignante) ; relations plus ou<br />

moins claires, mais qui permettent <strong>de</strong> faire surgir un ensemble <strong>de</strong><br />

comportements et rapports humains<br />

Analyser plus précisément le langage et la façon dont il est utilisé : à travers<br />

les noms (dame-qui-finit ; l’homme aux pinceaux,…) ; à travers les<br />

déformations et articulations rendues difficiles (phrases plus ou moins<br />

compréhensibles <strong>de</strong> la femme-poignante, difficulté <strong>de</strong> se faire entendre) ; à<br />

travers les multiples ressassements <strong>de</strong> phrases, <strong>de</strong> tournures, voire <strong>de</strong> textes<br />

répétés (Clamard et sa vision du laid et du beau, <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription récurrente<br />

<strong>de</strong> sa maison,…), comme une parole qui ennuie ou se vi<strong>de</strong><br />

S’intéresser <strong>de</strong> plus près aux noms <strong>de</strong>s personnages et étudier l’onomastique,<br />

en montrant les divers sens <strong>de</strong>s noms (raisons du choix du dramaturge) :<br />

absence ou refus <strong>de</strong> donner une i<strong>de</strong>ntité ; Robert « Bobby » Clamard (celui<br />

qui clame sans succès, ni atteindre celle sur laquelle il a jeté son dévolu en 6<br />

minutes à peine ?) ; Ançoise, qui n’est qu’un prénom en aphérèse (du fait <strong>de</strong><br />

la difficulté à articuler, mais qui <strong>de</strong>vient son « véritable » prénom par la<br />

suite ou la femme-poignante, qui vise d’abord à susciter pitié ou compassion ;<br />

ou les noms composés qui restent énigmatiques : l’adjectif homérique pour<br />

« l’homme-aux-pinceaux », la dame-qui-finit,…<br />

Par rapport aux annonces <strong>de</strong> Granouillet, retrouver l’aspect farcesque ou<br />

plutôt absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’univers créé, tout comme l’histoire narrée :<br />

La question <strong>de</strong>s vases –ca<strong>de</strong>aux amenés <strong>de</strong> la pièce à côté et brisés ; le<br />

décalage entre la réception donnée dans la pièce à côté (par la dame-qui-finit,<br />

semble-t-il) et la situation vaguement inquiétante jouée sur scène (homme<br />

menotté, « reconstitution » policière ? véritable histoire déroulée entre<br />

Clamard et Ançoise ?) est-ce une rencontre qui a mal tourné (port <strong>de</strong> la<br />

minerve), une <strong>de</strong>rnière chance donnée ? Rôle tout-puissant <strong>de</strong> la dame-quifinit<br />

par rapport aux autres (figure <strong>de</strong> démiurge, <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong> Diable ?) ; le<br />

ridicule visible dans lequel est plongé chaque personnage tour à tour (la<br />

féminité <strong>de</strong> l’homme aux pinceaux, le retour sur sa vie passée <strong>de</strong> Clamard, le<br />

discours incomplet <strong>de</strong> la femme-poignante)<br />

En vous inspirant <strong>de</strong> la didascalie initiale, vous établirez une esquisse ou<br />

croquis <strong>de</strong> votre propre théâtre intérieur, tel que vous vous représentez la<br />

scène sur laquelle s’ouvrirait le ri<strong>de</strong>au<br />

Par rapport au cahier <strong>de</strong>s charges <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong>, vous chercherez ce qui,<br />

dans cette pièce, peut renvoyer au Diable, à la communication mo<strong>de</strong>rne, et<br />

plus complet, le diable dans les communications mo<strong>de</strong>rnes :<br />

17


A la manière <strong>de</strong> cette présentation rapi<strong>de</strong> et efficace <strong>de</strong> la pièce (à la fois<br />

rappel <strong>de</strong>s personnages, intrigue générale et jugement positif), vous<br />

essaierez à votre tour, après avoir assisté au spectacle, <strong>de</strong> créer un texte<br />

court, sans résumé lourd ou présentation pesante, <strong>de</strong> dresser en quelques<br />

traits bien sentis une critique-présentation <strong>de</strong> Speed dating :<br />

Imaginez un lieu qui ressemblerait à un commissariat <strong>de</strong> police et mettez-y :<br />

un célibataire dépressif menotté, une belle victime bien amochée, une<br />

commissaire expéditive en fin <strong>de</strong> carrière et un peintre en radiateur, tous<br />

convoqués pour une reconstitution <strong>de</strong> rencontre amoureuse qui a mal tourné.<br />

Au final, vous obtenez un cocktail savoureux, mélange <strong>de</strong> jeu télévisé et <strong>de</strong><br />

film d’humour noir.<br />

2 - Comment Karl Kraft s’est coupé en morceaux (et ce qu’il a fait <strong>de</strong> son<br />

âme)<br />

<strong>Le</strong> texte sans doute le plus compliqué, qui laisse la part belle aux mystères et<br />

zones d’ombre, en suivant pas à pas le monologue et la quête <strong>de</strong> Karl Kraft<br />

pour trouver les 50000 billets nécessaires à l’obtention, auprès d’une étrange<br />

et indéfinie agence, d’une tout aussi énigmatique « Elle ». <strong>Le</strong> texte reprend <strong>de</strong><br />

façon détournée le mythe <strong>de</strong> Faust, puisqu’on y voit apparaître à la fin le<br />

Diable en personne, qui vient proposer les <strong>de</strong>rniers billets manquants en<br />

échange <strong>de</strong> l’âme du personnage (puisque tout le reste, biens, corps, a été<br />

vendu), proposition qui sera refusée par Karl.<br />

<strong>Le</strong>s questionnements sont nombreux, ou peuvent l’être pour vérifier la réception <strong>de</strong> l’œuvre<br />

par un collégien ou un lycéen :<br />

La façon dont le texte peut être vu d’une manière plus ou moins religieuse :<br />

présence <strong>de</strong> Dieu, du diable, mais aussi la transfiguration finale<br />

(ma<strong>de</strong>moiselle Angela, avec une paire d’ailes lumineuse !)<br />

Comment comprendre la quête financière <strong>de</strong> Karl Kraft : 50000 billets<br />

(monnaie ou valeur non signifiée), une somme énorme pour le personnage qui<br />

en vient à se vendre lui-même pour parvenir à la collecter ?<br />

Déterminer qui sont les personnages qui n’apparaissent jamais ou restent<br />

énigmatiques : Sam (un double ? un <strong>de</strong>stinataire muet ? un ami ? un<br />

conseiller ?une conscience ?) ; Elle (son idéal féminin ? une figure divine ? un<br />

sens à sa vie ?)<br />

18


Mettre en relation l’histoire et le mythe <strong>de</strong> Faust : procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s recherches<br />

sur les liens établis plus ou moins clairement entre l’histoire et le mythe ; estce<br />

une relecture contemporaine d’un mythe déjà ancien, dans la quête<br />

humaine <strong>de</strong> l’absolu ? Reprend-on les invariants mythiques ?<br />

mythe <strong>de</strong> Faust http://sites.univ-lyon2.fr/lettres/nte3/03-<br />

04/Faust/etapes/lestroisetapes.html<br />

Comment est traitée la fin, qui tombe dans le surnaturel par cette apparition<br />

angélique ? (à mettre en relation avec d’autres pièces qui usent du même<br />

procédé, comme par exemple Dom Juan <strong>de</strong> Molière)<br />

Réfléchir aux diverses significations qui peuvent être tirées du détachement<br />

progressif du héros, qui va abandonner ses terres, ses biens matériels, son<br />

métier, puis son corps en vendant un rein, puis toutes les autres parties du<br />

corps (vente à la découpe en anticipant sur sa mort !) : est-ce un dénuement<br />

christique ? un sage détachement <strong>de</strong> tout ce qui est physique ou matériel<br />

(ataraxie ?) en ne conservant que son âme, le bien ultime ? ou tout autre<br />

interprétation à faire surgir ou imaginer ?<br />

3 – SANS LA LANGUE<br />

Expliquez le titre au vu <strong>de</strong> la pièce et du thème traité :<br />

l’expression polysémique tourne autour <strong>de</strong> la communication (quelle langue ?<br />

quel langage commun ?), mais aussi au manque <strong>de</strong> relations entre les<br />

individus (ne plus se comprendre, fossé générationnel) ou bien l’absence d’un<br />

langage commun suffisant pour échanger et donc former un (micro-)société ;<br />

l’expression est aussi utilisée et mise en lumière par la mère : « tu veux<br />

embrasser la vie, mais tu ne veux pas mettre la langue, et embrasser sans la<br />

langue » : phrase riche qui peut donner lieu à discussion, voire débat au sein<br />

<strong>de</strong> la classe (mon<strong>de</strong> réel/mon<strong>de</strong> virtuel ; qu’apprend-on véritablement <strong>de</strong> la vie<br />

via l’ordinateur ou internet ?)<br />

Etudiez le langage ou plutôt les divers langages utilisés par les différents<br />

personnages :<br />

- Un langage « mo<strong>de</strong> » ou « tendance » inspiré <strong>de</strong> la technologie : « j’ai<br />

qu’une barre, je capte pas »<br />

- Un langage qui est parsemé d’anglicisme « trekking »<br />

- Des termes apparentés à une novlangue : « on se bipe »<br />

- Un jargon informatique mêlant technologie et termes extraits d’Internet :<br />

« panneaux <strong>de</strong> configuration », « mobiles », mail », et tout le discours du<br />

fils en général<br />

19


- Un langage réduit à sa plus simple expression : un coup pour oui, <strong>de</strong>ux<br />

coups frappés pour signifier quand l’enfant reste prostré<br />

- Une syntaxe et un vocabulaire constamment malmené (omission <strong>de</strong><br />

l’adverbe négatif « ne »,…)<br />

<strong>Le</strong>s personnages : comment les imaginez-vous ? Comment représenter un<br />

« bûcheron-boucher » ? une mère, institutrice à la retraite ? un addict – geek -<br />

no life adolescent rivé à son écran (et que d’ailleurs, on ne <strong>de</strong>vrait pas voir,<br />

parce qu’il est toujours <strong>de</strong>rrière une cloison (et mutilé qui plus est !) ?<br />

Examinez <strong>de</strong> près les relations et mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement entre les trois<br />

personnages (excepté le bûcheron et le fils qui ne communiquent pas)<br />

- Bûcheron et ses coéquipiers (ignorance et méconnaissance ; bip en lieu et<br />

place d’une vie et relation sociale riche)<br />

- Bûcheron et la mère : difficulté à se faire entendre ou comprendre ; ton<br />

didactique et réprobateur (quelque peu maîtresse d’école) au sujet du<br />

manques <strong>de</strong> relations, <strong>de</strong>s blessures infligées à la langue française, au<br />

manque d’humanité exacerbé dans la mutilation <strong>de</strong> son enfant<br />

- Mère et fils : la question <strong>de</strong> l’éducation ; le problème <strong>de</strong>s générations et<br />

leur mésentente ; adolescence et exclusion ; le besoin du fils pour la mère<br />

seule ; les efforts consentis pour opérer un rapprochement entre eux du<br />

point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la mère (acheter un ordinateur, communiquer à nouveau),<br />

mais en même temps une relation exclusive et étouffante pour le fils qui<br />

recherche un ailleurs (trouvé par l’ouverture d’Internet)<br />

Réfléchir à la façon dont la question <strong>de</strong> l’ordinateur et d’Internet est traitée<br />

dans la pièce ; en quoi le sujet vous semble-t-il mo<strong>de</strong>rne ? bien traité ? Est-il<br />

davantage dans la condamnation (registre épidictique) ou la distance ?<br />

- L’ouverture sur le mon<strong>de</strong> (les amis, la possibilité <strong>de</strong> « tchater », <strong>de</strong><br />

correspondre avec une myria<strong>de</strong> <strong>de</strong> personnes parfois très éloignées<br />

géographiquement)<br />

- <strong>Le</strong>s dangers : « traques », l’image <strong>de</strong> la toile d’araignée (web) qui<br />

emprisonne ; le temps passé <strong>de</strong>vant l’écran<br />

- La fascination exercée (attrait <strong>de</strong> l’image, besoin impérieux d’être face à un<br />

écran)<br />

- Se placer hors <strong>de</strong> la vie réelle : « vivre hors temps, hors champ »<br />

- <strong>Le</strong> problème <strong>de</strong> la dépendance : accro, addict, geek, no life<br />

20


<strong>Le</strong> sujet peut donner lieu à débat ou discussion avec les élèves, mais aussi<br />

être le point <strong>de</strong> départ d’un grand nombre <strong>de</strong> travaux d’écriture : dialogue<br />

(théâtral ou non) entre un parent et son enfant au sujet du temps passé sur<br />

Internet ; essai qui pointe les excès ou dérives, ou au contraire, vante les<br />

bienfaits d’Internet ; interview fictive d’un geek par un journaliste<br />

Travail à envisager (collège ou secon<strong>de</strong>) autour <strong>de</strong>s expressions imagées qui<br />

tournent autour <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties du corps désormais manquantes : le pied et<br />

la main ;<br />

en chercher ou trouver le sens et en inventer d’autres ;<br />

on peut faire retrouver aux élèves d’autres expressions imagées à partir<br />

d’autres parties du corps : tête / oreille (ex : faire la sour<strong>de</strong> oreille, dormir sur<br />

ses <strong>de</strong>ux oreilles ; tête <strong>de</strong> mule ; se prendre la tête (à <strong>de</strong>ux mains), sans<br />

queue ni tête, tête près du bonnet)<br />

Pour retrouver diverses expressions :<br />

http://www.linternaute.com/expression/recherche/tete/1<br />

http://www.linternaute.com/expression/cgi/recherche/recherche.php<br />

Autre type <strong>de</strong> travail à mener :<br />

- retrouver les différentes expressions, termes qui appartiennent à un jargon<br />

informatique et anglicisant, et essayer <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s termes plus adaptés<br />

ou correspondants dans la langue française<br />

- travail <strong>de</strong> réécriture : transcrire les phrases codées du fils en un équivalent<br />

correct du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la langue, <strong>de</strong> la syntaxe et du sens<br />

Ex : « Shift ! Alt supp, démarrer/arrêter ! Maman… »<br />

<strong>Le</strong>cture autour <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tira<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mère : les buts et intentions<br />

recherchés (apaiser sa douleur, comprendre la situation, ce qui lui a échappé,<br />

chercher <strong>de</strong>s solutions au changement radical survenu,…)<br />

<strong>Le</strong>cture analytique qui peut être envisagée : <strong>de</strong> « Ton oncle… » à «...une<br />

cloison nous sépare » (page 4)<br />

- Mettre à jour les arguments en faveur <strong>de</strong> l’informatique et <strong>de</strong>s bienfaits<br />

d’Internet (soutenu par la figure extérieure <strong>de</strong> l’oncle : figure masculine –<br />

père <strong>de</strong> remplacement- qui ouvre l’enfant vers le mon<strong>de</strong> extérieur et la<br />

socialisation)<br />

- Vision <strong>de</strong> la mère, sa difficulté face à l’enfer informatique, sa souffrance,<br />

les contre-arguments mis en place<br />

- Dénonciation <strong>de</strong> l’irruption <strong>de</strong> l’informatique dans la cellule familiale (ici<br />

monoparentale) ; difficulté <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité (face à une culture et éducation<br />

plus classique) ; le fossé entre les générations (penser aux BTS et au<br />

thème Génération(s)) ; l’impuissance à renverser le flux, les schémas<br />

installés<br />

-<br />

21


Imaginez un décor, une façon <strong>de</strong> mettre en scène cette pièce, et notamment<br />

le problème <strong>de</strong>s cloisons, <strong>de</strong> la séparation spatiale entre la mère et le fils<br />

Comme pour les autres pièces, dites en quoi Sarah Fourage a respecté le<br />

cahier <strong>de</strong> charges imposé par cette comman<strong>de</strong> : le diable ; les<br />

communications mo<strong>de</strong>rnes ; le diable dans les communications mo<strong>de</strong>rnes<br />

22


« Sans la langue »<br />

Personnages : La mère, le bûcheron-boucher, le fils.<br />

Lieu : Une cuisine, peut-être. A l’intérieur d’une maison <strong>de</strong> plain-pied.<br />

1. La mère, le bûcheron-boucher<br />

LE BUCHERON : Vous êtes la mère ?<br />

LA MERE : Je suis la mère. Je suis tellement…<br />

LE BUCHERON : Vous en faites pas.<br />

(temps)<br />

LA MERE : Maintenant vous avez vu.<br />

LE BUCHERON : J’ai vu.<br />

LA MERE : Quel est le diagnostic ? Vous ne dites peut-être pas « diagnostic » dans votre<br />

métier…<br />

LE BUCHERON : J’ai vu.<br />

LA MERE : Il y a pourtant du givre sur la fenêtre, on ne distingue pas très bien.<br />

LE BUCHERON : J’ai vu ce que j’avais à voir, mdame. La situation – urgent – mes outils -<br />

dans la fourgonnette.<br />

LA MERE : Urgent…Excusez-moi ça si longtemps…Pourriez-vous vous asseoir un instant ?<br />

LE BUCHERON : Prévenir mes coéquipiers – pas rester. On a un planning, mdame.<br />

LA MERE : Un planning, un timing, j’imagine. Un anglicisme, en fait.<br />

LE BUCHERON : Ouais…<br />

LA MERE : Mais moi j’ai tout mon temps.<br />

LE BUCHERON : Mmm mmm.<br />

LA MERE : Monsieur le bûcheron boucher, quand vous êtes arrivé, vous m’avez <strong>de</strong>mandé,<br />

« avez-vous une prise électrique ? » et puis vous avez dit, « j’ai qu’une barre je capte pas ».<br />

Vous avez bien dit cela ?<br />

LE BUCHERON : La prise électrique, c’est pour la tronçonneuse, mdame.<br />

LA MERE : Est-ce que vous pensez vraiment qu’en plus <strong>de</strong> vivre à l’écart du village, je n’ai<br />

pas l’électricité ? Vous ren<strong>de</strong>z-vous compte que les premiers mots que vous m’ayez donné à<br />

entendre sont totalement dépourvus <strong>de</strong> poésie ? « J’ai qu’une barre je capte pas ». La<br />

syntaxe ? En congé. <strong>Le</strong> vocabulaire ? Parti buller. « J’ai qu’une barre, je capte pas ».<br />

LE BUCHERON : Bon, je vais les chercher les outils ?<br />

LA MERE : J’ai beau être à la retraite, je n’oublierai jamais que j’ai passé trente ans <strong>de</strong> ma<br />

vie à apprendre à <strong>de</strong>s enfants la différence entre le « è » <strong>de</strong> poulet et le « é » <strong>de</strong> pré. Je ne<br />

peux pas croire qu’un gaillard comme vous ait échappé à cet enseignement. « Bijou, chou<br />

caillou genou » ça vous dit quelque chose ?<br />

LE BUCHERON : « Hibou…joujou… »<br />

LA MERE : « Pou ».<br />

LE BUCHERON : Mdame, les outils…<br />

LA MERE : Dans la fourgonnette, oui. Mais le temps du client n’est-il pas le plus important ?<br />

Savez-vous que la valeur que l’on accor<strong>de</strong> à notre temps est l’exacte mesure <strong>de</strong> notre


espectabilité ? Vous n’avez peut-être pas le temps, justement, <strong>de</strong> réfléchir à ce genre <strong>de</strong><br />

questions.<br />

LE BUCHERON : Mdame. On est débordés. Moi, j’ai vu ce que j’avais à voir. Après,<br />

comment vous dire. Je fais ce que j’ai à faire et puis c’est tout. C’est mon job.<br />

LA MERE : « Job ». Parlez moi <strong>de</strong> votre… « job », monsieur. Cela m’intéresse au plus haut<br />

point. Par exemple, si vous restez trop longtemps ici, qui vous en tiendra rigueur ? J’ai besoin<br />

<strong>de</strong> compagnie. Maintenant que vous avez vu, justement, vous avez une petite idée <strong>de</strong> la<br />

solitu<strong>de</strong> dans laquelle je me trouve.<br />

LE BUCHERON : Dans une <strong>de</strong>mi-heure, ils vont me biper. Pour le prochain client.<br />

LA MERE : Qui, qui vous bipe ?<br />

LE BUCHERON : La boîte.<br />

LA MERE : La boîte vous bipe.<br />

LE BUCHERON : La boîte me bipe. Un sms m’indique l’adresse.<br />

LA MERE : Un quoi ? Ah ! Moi je dis « texto ». Et vos « coéquipiers », comme vous dites,<br />

où sont-ils ?<br />

LE BUCHERON : Ben je les bipe si je peux pas honorer le ren<strong>de</strong>z vous et ils me remplacent<br />

sur le secteur. On est vingt par secteur et y a trois secteurs par zone. Y a dix zones pour un<br />

périmètre et y a huit périmètres dans le mon<strong>de</strong>. Oui, c’est complètement mondial. Bon, je vais<br />

les chercher les outils ?<br />

LA MERE : Atten<strong>de</strong>z. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’ai besoin <strong>de</strong> parler.<br />

D’écouter aussi…Il ne vient jamais personne. Racontez-moi.<br />

LE BUCHERON : Ben c’est que je vous ai tout dit.<br />

LA MERE : Et parfois entre collègues vous allez au bistrot, non ? Vous échangez <strong>de</strong>s<br />

anecdotes ? Vous vous retrouvez au coin d’un feu en fin <strong>de</strong> semaine et vous vous moquez<br />

gentiment <strong>de</strong>s clients. Vous comparez, entre vous, les situations. Il y a les débutants,<br />

j’imagine. Ceux qui ont besoin <strong>de</strong> conseils…Oui, vous vous êtes certainement constitué un<br />

petit clan, un petit cercle, mi-amical, mi-professionnel…Une respectueuse distance, un climat<br />

sympathique mais dans les règles…Et <strong>de</strong>s fêtes, <strong>de</strong>s anniversaires, <strong>de</strong>s surprises…<br />

LE BUCHERON : Ben… <strong>Le</strong>s co-équipiers je les vois jamais. On se bipe, c’est tout.<br />

LA MERE : C’est tout ?<br />

LE BUCHERON : C’est tout.<br />

LA MERE : Vous ne connaissez pas leur nom ?<br />

LE BUCHERON : <strong>Le</strong>ur nom <strong>de</strong> matricule.<br />

LA MERE : Donc vous ne connaissez pas leur nom. Enfin. Et où habitent-ils ? Vous ne le<br />

savez pas non plus ?<br />

LE BUCHERON : Ben non. On se bipe<br />

LA MERE : C’est tout<br />

LE BUCHERON : Bip<br />

LA MERE : Bip<br />

LE BUCHERON : Bip bip.<br />

LA MERE : Pas envie <strong>de</strong> parler, hein ? Vous me rappelez Kévin B. quand il <strong>de</strong>vait réciter son<br />

poème <strong>de</strong> Prévert <strong>de</strong>vant toute la classe. Il avait rougi, il baissait les yeux. Vous allez donc<br />

faire votre « job », comme vous dites. On <strong>de</strong>vrait quand même y mettre plus <strong>de</strong> formes. Ce<br />

n’est pas rien. Moi, je ne vais plus voir par la fenêtre parce qu’à chaque fois, je me mets à<br />

pleurer. Bon. En même temps, je suis la mère, c’est normal. Bon. Vous êtes pressé. Dites moi<br />

juste ce qu’il en est.<br />

LE BUCHERON : Ben. Il va falloir amputer.<br />

LA MERE : Amputer. A partir d’où.<br />

LE BUCHERON : <strong>Le</strong>s pieds. <strong>Le</strong>s bras. C’est enraciné profond.<br />

LA MERE : J’aurais dû faire appel à vous bien plus tôt. Mais j’avais…Honte.


LE BUCHERON : Ca peut arriver à tout le mon<strong>de</strong>, savez. – C’est mon job - c’est dire. Avant<br />

je coupais du bois pour le papier à lettres. De toutes les couleurs – imprimé – fleurs - oiseaux.<br />

Bûcheron-bûcheron. Pas bûcheron-boucher. Mais le courrier papier, bon…C’est plus rentable<br />

<strong>de</strong> désincarcérer les gens <strong>de</strong> leur ordinateur. On y passe nos journées…Y a plus <strong>de</strong> clients. Y a<br />

d’l’avenir dans cette branche.<br />

LA MERE : Tout est allé si vite. Je lui disais : « comment peux-tu prétendre être au courant<br />

<strong>de</strong> tout toi qui restes enfermé dans ta chambre ? » Je lui disais, « va prendre un peu l’air ». Il<br />

répondait : « je suis en plein trekking au Maroc ». Et moi : « très quoi ? » Je ne comprenais<br />

pas, rien, et finalement : « Pourquoi tu ne dis pas « randonnée sportive » plutôt que<br />

« trekking », est-ce que c’est si long à dire ? Quel temps veux-tu gagner ainsi ? » Je lui disais :<br />

« je ne te parle pas d’un trekking au Maroc, mais d’aller chercher du pain au centre du<br />

village. Tu pourrais y aller en courant. » Y aller en courant ! Quand je pense qu’il ne va plus<br />

avoir <strong>de</strong> pieds…<br />

LE BUCHERON : <strong>Le</strong>s pieds, encore. Moi j’ai vu bien pire. J’ai vu un type il avait la tête<br />

encastrée dans l’écran - l’image <strong>de</strong> fond sur le visage. Un paysage tyrolien. Alors, les pieds…<br />

LA MERE : Vous n’êtes pas compatissant. Vous n’êtes pas formé pour accompagner la<br />

douleur <strong>de</strong>s mères dans ces cas-là. Ce n’est pas un reproche, notez, c’est un constat. Il y a bien<br />

longtemps que j’ai renoncé à souffrir <strong>de</strong> la situation. Allez-y, allez chercher vos outils et<br />

qu’on n’en parle plus.<br />

2. La mère seule (elle parle au fils à travers la cloison)<br />

LA MERE : Je te disais autrefois, le marchand <strong>de</strong> sable va passer<br />

Je te dis aujourd’hui : le bûcheron-boucher va passer<br />

Il a fait le tour <strong>de</strong> la maison<br />

Il a collé sa face rougeau<strong>de</strong> contre la vitre au givre et il a vu<br />

Il a vu ce que moi je n’ai plus la force <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

Un enfant – mon enfant<br />

Aux pieds et aux mains enracinés dans la machine<br />

Tu ne te doutes <strong>de</strong> rien<br />

Depuis bien longtemps je ne fais plus le tour <strong>de</strong> la maison pour aller contempler à travers la<br />

vitre la masse informe qui te sert <strong>de</strong> corps et tes yeux rayonnants <strong>de</strong> lumière électrique<br />

Je te parle comme on parle aux plantes vertes, avec ce secret espoir qu’elles écoutent et<br />

comprennent, espoir invérifiable<br />

Et nous sommes au vingt et unième siècle et tu frappes un coup contre le mur quand tu as<br />

faim<br />

Tu as faim ?<br />

(temps-silence)<br />

Qu’un seul son sorte <strong>de</strong> ta bouche, et je le renvoie, tu entends ?<br />

Je ne sais pas ce qui me pousse à te préparer chaque jour les repas que je pose sur le rebord <strong>de</strong><br />

la fenêtre…<br />

<strong>Le</strong> bûcheron-boucher va passer…Et tu vas sortir <strong>de</strong> cette chambre, tu entends ?<br />

<strong>Le</strong>s premières branches qui apparaissaient sous la porte au début je trouvais cela plutôt<br />

flatteur d’avoir engendré un enfant un peu…Végétal ?<br />

Mais les feuilles d’un arbre bruissent sous le vent, toi tu m’a plongé dans le silence le plus<br />

épais. Et je ne m’étais pas rendu compte que le tronc <strong>de</strong> l’arbre c’était cette maudite machine.


Ton oncle, je l’entends encore, « vous êtes tellement isolés, ton fils, fais-lui plaisir, la<br />

télévision, ça ne suffit plus, sois dans le coup, ne fais pas ta mijaurée, ta timorée, avec un<br />

ordinateur et l’accès Internet tu verras, il mûrira, tu ne le reconnaîtras plus ! »<br />

Je ne t’ai plus jamais reconnu<br />

La télévision écran préparatoire, souviens-toi dans le meuble fermé à clef on ouvrait le<br />

panneau comme on ouvre <strong>de</strong>s volets pour le sacro-saint voyeurisme du journal <strong>de</strong> vingt<br />

heures…Une « fenêtre sur le mon<strong>de</strong> », comme ils disent, et si le mon<strong>de</strong> n’était pas le<br />

bienvenu à la maison, dans cette maison, je suis chez moi, chez moi !<br />

D’ouverture en ouverture ça finit par exploser, tu ouvres, tu ouvres, mais quand vas-tu<br />

l’ouvrir cette bouche dont sortiront <strong>de</strong>s crapauds pour me maudire ?<br />

Car tout est <strong>de</strong> ma faute, non ? Mais si…<br />

<strong>Le</strong> bûcheron-boucher tout <strong>de</strong> même, le bûcheron-boucher !<br />

Et ton oncle d’insister, « Tu verras, ton gamin ne sera plus le même, il se fera tout un tas<br />

d’amis… » Ca, pour ne plus être le même ! Combien d’amis t’es-tu faits exactement<br />

j’aimerais bien le savoir je ne sais rien, je ne sais que les factures <strong>de</strong> l’abonnement tout<br />

compris. J’ai même envisagé d’acheter moi aussi une machine pour te traquer à travers la toile<br />

car qui dit toile dit araignée mon petit !<br />

Aurais-je dû me soumettre et t’envoyer <strong>de</strong>s messages informatiques pour te parler ? Une<br />

cloison nous sépare !<br />

Sais-tu combien <strong>de</strong> conditionnels passés jalonnent mon existence, « j’aurais dû » est le motif<br />

principal <strong>de</strong> ma musique personnelle, la rhétorique du regret<br />

« J’aurais dû » ne pas avoir d’enfant, vaut-il mieux ne pas avoir d’enfant, avoir un enfant mort<br />

ou un enfant sans pieds ni bras<br />

Pourquoi on fabrique <strong>de</strong>s enfants<br />

On est au point où le bonheur nous échappe complètement on souhaite à nos enfants tout le<br />

bonheur qui nous échappe à nous<br />

Je ne peux plus entrer par la porte à cause <strong>de</strong>s branches<br />

Comment en est-on arrivé là ?<br />

Je t’ai enfumé dans ton terrier<br />

Tu vas sortir, il va te sortir <strong>de</strong> là, on va s’en sortir<br />

Si tu me dis un mot, un seul, au moins le début du début du « d » d’une discussion, j’annule,<br />

je reporte, le bûcheron-boucher ne passera pas<br />

Rose is a rose is a rose is a rose, écrit Gertru<strong>de</strong> Stein, un nom <strong>de</strong> voisine, <strong>de</strong> lointaine cousine,<br />

pendant la guerre d’Espagne elle a pris parti pour Franco, elle s’est brouillée avec son ami<br />

Picasso, sais-tu comment je l’ai appris ?<br />

Ecoute, du temps où je pouvais encore entrer dans ta chambre moi aussi j’étais séduite par la<br />

machine, et tu passais près d’elle un temps raisonnable, je me permettais <strong>de</strong> petites incursions,<br />

je saisissais sur le clavier n’importe quel mot, et j’avais une centaine <strong>de</strong> réponses à une<br />

question que je n’avais même pas posée ! Je faisais le tour <strong>de</strong> l’ordinateur, je tapotais sur sa<br />

carcasse plastique, j’essayais <strong>de</strong> comprendre d’où venaient toutes ces connaissances comme<br />

tu ouvres un piano pour savoir d’où vient la « Sonate au clair <strong>de</strong> lune » mais je me suis lassée/<br />

Ca m’a passé<br />

Pas toi - Pourquoi ?<br />

Un mot est un mot est un mot est un mot, et mes oreilles catastrophées subissent la violence<br />

inouïe <strong>de</strong> ce jargon informatique, « inouï » est un adjectif que j’associe irrémédiablement à<br />

« otite », acuité <strong>de</strong> la douleur, un mot est un mot est un mot est un mot, et tous ces « panneaux<br />

<strong>de</strong> configuration » et autres « fournisseurs d’accès » ne sont que <strong>de</strong> barbares borborygmes !<br />

Je dis : il n’y a <strong>de</strong> « fixes » que les étoiles, et <strong>de</strong> « portables » que les accordéons <strong>de</strong>s gitans <strong>de</strong><br />

l’arrêt <strong>de</strong> tram<br />

Il n’y a <strong>de</strong> « mobiles » que les jouets musicaux que l’on accroche au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s lits d’enfants


Il n’y a <strong>de</strong> « vision » que <strong>de</strong> près, et <strong>de</strong> « boîtes » que les discothèques en bordure <strong>de</strong><br />

nationale, ou les caissons <strong>de</strong>s petits cireurs <strong>de</strong> chaussures <strong>de</strong> Buenos Aires<br />

« En ligne » c’est pour moi une danse conviviale <strong>de</strong> sexagénaires sur <strong>de</strong> la musique<br />

« country »<br />

J’accepte ce qui a franchi les années je suis plutôt frileuse, le « courriel » me convient à peine<br />

J’abhorre « mail », « mailer » et toute cette grossière confrérie <strong>de</strong> rejetons consanguins conçus<br />

à la hâte<br />

Ce sont mes oreilles qui choisissent, peut-être s’agit-il d’une déformation professionnelle<br />

pourtant il m’a toujours semblé être une institutrice dans le vent, qui vivait avec son temps<br />

Est-ce que tu vis avec ton temps ?<br />

Enfin mon fils tu vis hors temps hors champ,<br />

Tu veux embrasser la vie, mais tu ne veux pas mettre la langue, et embrasser sans la langue,<br />

c’est embrasser ? Ce n’est pas embrasser, c’est embrasser ?<br />

Pour comprendre il faudrait que tu m’écoutes et tu te tais comment savoir<br />

Heureusement, le bûcheron-boucher va passer et il rapatriera ton corps <strong>de</strong>puis la chambre<br />

jusqu’à la cuisine. Ton corps et ses morceaux, ces doigts qui n’ont plus d’empreintes digitales<br />

à force <strong>de</strong> rester collés au clavier, ces genoux croisés ces pieds incrustés au linoléum, tes<br />

cou<strong>de</strong>s repliés auront tracé une large cavité dans tes côtes…<br />

Tu tapes un coup contre le mur quand tu as faim, tu as faim ?<br />

Te souviens-tu on avait construit un téléphone avec une ficelle et <strong>de</strong>ux pots <strong>de</strong> yaourt, tous les<br />

gamins fabriquaient ça à l’époque, et on faisait <strong>de</strong>s tests dans toute la maison<br />

Mais qu’est-ce qu’on se disait alors, qu’est-ce qu’on se disait<br />

3. le bûcheron-boucher, la mère<br />

LE BUCHERON : Mdame, je suis prêt. Faut juste que je vous parle du protocole. J’entre par<br />

surprise avec mon pistolet anesthésiant. Je découpe, il ressentira rien. Faut me signer une<br />

décharge là pasque votre ordi sera bousillé ça c’est certain. C’est un papier qui stipule que<br />

vous êtes d’accord. <strong>Le</strong>s pieds et les mains seront placés en sacs <strong>de</strong> glace et partiront ensuite en<br />

véhicule réfrigéré et conservés pour greffe éventuelle. Signez là, là, là, là. Marquez « lu et<br />

approuvé » mais lisez pas - personne ne lit.<br />

LA MERE : Quand se réveillera-t-il ?<br />

LE BUCHERON : Rapi<strong>de</strong>ment, il se réveille. Et c’est là, mdame, que vos ennuis commencent<br />

si je puis dire. Parce que la réaction est souvent très dure, très vive. Je vous donnerai <strong>de</strong>s<br />

cachets contre la douleur mais l’effet est quand même restreint. Enfin, mdame, votre fils<br />

pourrait bien vous haïr à tout jamais.<br />

LA MERE : Si vous êtes prêt…Allez-y.<br />

LE BUCHERON : Mdame, la compagnie Bûcheron-Boucher and Co vous présente ses plus<br />

sincères sentiments <strong>de</strong> compassion et regrette d’avance tous les dégâts irréparables qui se<br />

produiront sur votre terminal informatique et, par extension, sur votre enfant.<br />

4. Action : musique ou bruit <strong>de</strong> la tronçonneuse. La mère peut réciter à voix basse, comme<br />

un prière, la litanie <strong>de</strong>s expressions qui seront désormais inutilisables. Mais elle peut aussi<br />

rester absolument, résolument silencieuse.<br />

(LA MERE : Faire <strong>de</strong>s pieds et <strong>de</strong>s mains – prendre ses jambes à son cou – prendre son pied –<br />

avoir du doigté, <strong>de</strong>s doigts <strong>de</strong> fée, avoir le bras long, les doigts <strong>de</strong> pied en éventail – être bien<br />

dans ses baskets ou à côté <strong>de</strong> ses pompes ? Elever à la force du poignet, avoir les pieds sur


terre, mettre la main à la pâte…C’est son talon d’Achille le dossier est sous le cou<strong>de</strong> il s’en<br />

est fallu d’un doigt…Se tourner les pouces…)<br />

5. le bûcheron-boucher, la mère<br />

LE BUCHERON : Voilà, Mdame, ça n’a pas été facile. Il a plus <strong>de</strong> pieds, plus <strong>de</strong> mains, et<br />

ses yeux mettront du temps à s’habituer à l’obscurité.<br />

LA MERE : J’aimerais le voir.<br />

LE BUCHERON : Ben, je crois que c’est pas possible pour l’instant. Il se remet juste d’un<br />

évanouissement.<br />

LA MERE : Comment ça s’est passé ? Il a parlé ? Dites-moi qu’il a parlé.<br />

LE BUCHERON : Il a dit un mot. Ben, ça ressemblait à un « Gueu gueu gueu… »<br />

LA MERE : Un gargouillis ? « gueu gueu gueu… » Quel mot ?<br />

LE BUCHERON : Je crois qu’il a dit « Google ».<br />

LE MERE : « Google » ?<br />

LE BUCHERON : Il a dit « Google » et il est tombé dans les pommes.<br />

LA MERE : Dieu soit loué il a parlé.<br />

LE BUCHERON : Bon, mdame, j’ai fait mon job. Il est vivant, mais sous le choc. Je vous<br />

conseille pas d’aller y jeter un œil, c’est quand même un peu sanglant. L’infirmière <strong>de</strong> la boîte<br />

passera bientôt. En attendant, on accepte les règlements par carte bleue ou espèces – mais pas<br />

les chèques – et bon ben je veux bien m’en aller maintenant. Et puis voici un catalogue pour<br />

choisir un nouvel ordinateur qui peut être livré dans les 48 heures.<br />

LA MERE : Vous avez un catalogue <strong>de</strong> fils aussi ?<br />

LE BUCHERON : Pardon ?<br />

LA MERE : Rien.<br />

LE BUCHERON : Ah, oui, ben, non. Vous savez mdame, je crois que j’aurais eu une instite<br />

comme vous j’aurais été meilleur à l’école.<br />

LA MERE (elle compte les billets) : 500, 600, 760, 780, 799,90. Voilà.<br />

LE BUCHERON : Merci mdame. Bien le bonsoir.<br />

6. La mère, le fils<br />

LA MERE : Tape mon fils, pour me dire que tout va bien. (silence) Mais tout ne va pas bien.<br />

Tu gis dans ton sang. Mon fils, rampant, à une cloison. De nous <strong>de</strong>ux, qui souffre le plus ? Si<br />

je pouvais te serrer dans mes bras…<br />

LE FILS : http//<br />

LA MERE : Comment ?<br />

LE FILS : http// : wwwpoint<br />

LA MERE : Oui, je t’entends, je t’écoute mon fils !<br />

LE FILS : wwwpoint Mamamama…<br />

LA MERE : Dis-moi, parle-moi…<br />

LE FILS : Shift ! Alt supp, démarrer/arrêter ! Maman…<br />

LA MERE : Je suis là, parle…<br />

(Peut-être que l’imprimante crache <strong>de</strong>s pages et <strong>de</strong>s pages, qu’un téléphone portable reçoit le<br />

signal d’un nouveau message. Toujours est-il que le fils parle ! Depuis si longtemps qu’il<br />

n’avait pas parlé !)


LE FILS : On<strong>de</strong>s ! Mon<strong>de</strong>s ! Virtualité…Peinar<strong>de</strong> !<br />

LA MERE : Oui ! C’est bien, continue !<br />

LE FILS : Heureusement je suis équipé <strong>de</strong> mon logiciel <strong>de</strong> traduction simultanée, arobase !<br />

Au commencement était ton / Verbiage<br />

<strong>Le</strong>s 11 premières années / j’habitais un cahier 124 pages grands carreaux / dans la marge<br />

espace vital / le mon<strong>de</strong> dans les cases violettes, bleues, blanches / cette époque : la plus<br />

ennuyeuse / la plus heureuse – <strong>de</strong> ma vie<br />

LA MERE : Bravo !<br />

LE FILS : Point com, on m’appelle un no-life, un geek, un accro un addict, si tu préfères mais<br />

tu ne préfères pas, arobase ! Vieille chouette rétrogra<strong>de</strong> perchée, point fr, sur tes principes<br />

franco-latins, mon vocabulaire : binaire rudimentaire tu n’as pas suivi ? Pixel ! Méga ! Rome,<br />

ram !<br />

LA MERE : C’est bien !<br />

LE FILS : M’exprimer avec ton outil syllabique traditionnel et mortifère m’épuise aussi cette<br />

salve palabre s’étiolera fugitive<br />

LA MERE : Je suis fière <strong>de</strong> toi ! Encore un effort !<br />

LE FILS : Tu parles trop/ J’ai quitté ta langue comme on quitte avec soulagement une ville<br />

honnie où l’on ne s’est jamais senti bien<br />

LA MERE : Comment ?<br />

LE FILS : J’ai flashé sur l’international network. J’ai kiffé toutes les acceptions anglo-sax qui<br />

t’indisposent. Par ton mépris tu m’as fait les aimer / Par ta possessivité tu m’as fait fuir / Tu<br />

m’as fait taire par tes injonctions/ Tu m’as éclipsé par tes pas lourds sur le plancher<br />

J’ai trouvé un palace au soleil<br />

Je ne suis pas un enfant en déshérence je suis un homme, j’ai grandi dans le mon<strong>de</strong> que tu as<br />

construit pour moi avec ta cage <strong>de</strong> mots et tes mots en cage<br />

<strong>Le</strong>s parents font le lit <strong>de</strong>s grands cataclysmes, un lit à baldaquin,<br />

Prépare toi à une <strong>de</strong>scendance ultra-cérébrale,<br />

Je t’ai copié collé un fils qui peint <strong>de</strong>s maquettes d’automobiles désuètes dans le garage<br />

Je t’ai copié collé un fils qui ose inviter sous ton toit une petite amie<br />

Je t’ai copié collé un fils qui te sauve <strong>de</strong> ton ennui mortel<br />

J’ai pris le large,<br />

Ouais ! Web ! <strong>Le</strong>s autres tout ce que tu m’avais caché<br />

Se bala<strong>de</strong>r sur <strong>de</strong>s forums, naviguer en marin technologique – j’ai crié démocratie, j’ai hurlé<br />

liberté<br />

Je suis un spécial blogueur et un sérieux surfeur<br />

Là où j’avais pris racine il y avait <strong>de</strong>s pirates <strong>de</strong>s espions <strong>de</strong>s virus <strong>de</strong>s vies parallèles propres<br />

à anesthésier la perception <strong>de</strong> ma médiocrité<br />

Nous étions tous <strong>de</strong>s héros au milieu d’images porno en vase clos<br />

Je me suis marié avec une indienne, j’ai fait l’amour à 334 femmes et 12 hommes, j’ai appris<br />

l’allemand, j’ai caressé même un rêve, au pied <strong>de</strong>s pyrami<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> l’ex World Tra<strong>de</strong> Center<br />

J’ai aimé, oui, j’ai, oui, vécu, j’étais HEUREUX<br />

LA MERE : Mais sans la langue. Sans la langue ! Tu as posé notre maison au centre <strong>de</strong> la<br />

toile, ouverte aux quatre vents. Et tu m’as laissé seule dans ma cuisine. On ne sait jamais d’où<br />

vient la flèche…On a beau se préparer à tout. Je suis là, moi…Je suis là…<br />

LE FILS : Tu prétends aimer les mots, mais tu les fossilises ! Moi je spame je vocifère en<br />

MP3, je donne ma langue au tchat !<br />

LA MERE : Attends !<br />

LE FILS : Anéanti par ta glose perpétuelle…Veuillez patienter pendant l’arrêt <strong>de</strong>/ Tu as pris<br />

mes pieds, mes mains, tu n’auras pas ma tête/ fini suffi/ stand by, power off off off<br />

LA MERE : Chéri ? Tu m’entends ? Chéri ? Mon amour !


(temps, silence définitif du fils)<br />

LA MERE : Tu ne peux plus te déplacer. Et je veux pas te voir diminué. Un enfant mutilé<br />

amputé, non. Pourtant, dès que l’infirmière sera passée, nous nous retrouverons tous les <strong>de</strong>ux<br />

entre nous, si je puis dire. Peut-être pourrais-je investir dans un fauteuil roulant électrique.<br />

C’est une idée logique. Mais je pense que tu préfères un nouvel ordinateur. Seulement tu<br />

serais obligé <strong>de</strong> souffrir ma présence à tes côtés, je serais ta main sur le clavier, je partagerais<br />

tout avec toi. Non ? Tes amitiés, tes voyages, tes virées dans <strong>de</strong>s jeux où on ressuscite. Si tu<br />

acceptes cette proposition d’un nouvel ordinateur, tape un coup…Mais doucement, il te faut<br />

maintenant taper avec la tête, si j’ai bien compris. Mettons au point un co<strong>de</strong> ; un nouvel<br />

ordinateur, tape un coup, un fauteuil électrique tape <strong>de</strong>ux…<br />

(on entend un coup)<br />

LA MERE : Un nouvel ordinateur et ta mère en prime. C’est plus raisonnable en effet qu’un<br />

fauteuil électrique, et j’ai le catalogue. Nous allons enfin avoir quelque chose en commun. Je<br />

pourrai mieux te comprendre. Je suis là, moi. Tu sais que le silence assourdissant me rend<br />

mala<strong>de</strong>, je n'en n'ai pas fini <strong>de</strong> parler avec toi. Je te recouvrirai <strong>de</strong> paroles comme la pluie<br />

mouille. Tu m’entends ? Tape un coup si tu m’entends. (on entend un coup) Est-ce que tout<br />

cela t’a ouvert l’appétit ? Tape un coup si tu as faim. Est-ce que tu souffres ? Tape <strong>de</strong>ux<br />

coups. Est-ce que tu es fâché contre moi ? Tape, tape, tape…<br />

LA MERE : Il tape plusieurs coups, d’abord faiblement, puis <strong>de</strong> plus en plus vite. Je me<br />

souviens <strong>de</strong> ses colères <strong>de</strong> garçonnet quand il se roulait sur le tapis. <strong>Le</strong>s coups se transforment<br />

en un rythme régulier, pour se confondre finalement avec la pluie sur le carreau.


Comment Karl Kraft s'est<br />

coupé en morceaux<br />

(et ce qu'il a fait <strong>de</strong> son âme)<br />

Sophie Lannefranque


Lumière. Un homme d'une cinquantaine d'années est assis sur un sac <strong>de</strong> toile<br />

volumineux, au centre d'une petite pièce. Il pèle <strong>de</strong>s pommes <strong>de</strong> terre avec<br />

application. Autour <strong>de</strong> lui, s'entassent <strong>de</strong>s piles <strong>de</strong> journaux. Une ampoule nue<br />

pend au plafond. L'homme relève la tête. Noir.<br />

Lumière. L'homme tourne les pages d'un journal, puis le jette, en prend un autre<br />

et recommence, plusieurs fois. Il relève la tête. Noir.<br />

Lumière. L'homme marche <strong>de</strong> long en large avec nervosité. Il lève la tête. Noir.<br />

Lumière. L'homme est <strong>de</strong>bout. Il brandit un journal.<br />

KARL KRAFT<br />

Sam ! Sam ! ça y est, enfin, c'est arrivé ! Ici, dans ma propre vie... c'est arrivé, Sam !<br />

Un miracle ! On n'a pas une vie pour rien, non, la vie... la vie sert à quelque chose,<br />

oui, Sam, mais il faut trouver à quoi, trouver quelque chose, j'ai cherché à quoi sert<br />

ma vie, j'ai cherché Sam, oui, j'ai cherché et j'ai trouvé !<br />

Je l'ai trouvée.<br />

Hier soir, j'ai ouvert ma boîte aux lettres et je l'ai trouvée... Je la tenais dans mes<br />

mains, sans qu'elle bouge... Elle s'offrait à moi, Elle me disait "oui", oui, Sam, Elle<br />

m'a... illuminé, moi, Karl. Bon sang, j'ai levé les <strong>de</strong>ux bras au ciel, en la voyant !<br />

J'ai trouvé.<br />

J'ai <strong>de</strong> la chance... Elle est belle, Sam, Elle est... tellement parfaite, pour moi, Elle<br />

est... comme une carte du mon<strong>de</strong> ! Je peux tout voir en Elle, tu comprends, je peux...<br />

me voir, moi-même, en Elle..! Mais ce n'est pas simple, Sam. Elle est... Elle vient <strong>de</strong><br />

si loin, il y a <strong>de</strong>s frais... Beaucoup d'autres que moi la voudraient... Je dois payer, pour<br />

Elle, tu comprends ? 50 000 billets.<br />

Oui, c'est cher, mais je les aurai ! Je la veux. Je crois en Elle et tout ce qu'elle va faire<br />

à ma vie, je l'achète, tant pis. Puisque c'est possible, Sam !<br />

Je la veux, je paie. Après, nous verrons.<br />

Elle va me sauver, tu comprends ? J'espère que tu l'aimeras... 50 000 billets, bon, <strong>de</strong>s<br />

billets, j'en ai, je paie. C'est bien, je veux payer. Je vais vendre : les bêtes, la terre...<br />

J'en ai assez. Je peux payer en mensualités, sur douze mois, ils le disent, c'est écrit, là.<br />

Un an, ça me laisse le temps <strong>de</strong> voir, d'organiser... C'est bien. Je l'ai réservée à la<br />

première heure, ils me la gar<strong>de</strong>nt, c'est moi qui vais l'avoir ! dans un an. Tout ce que<br />

je vais <strong>de</strong>venir avec Elle, tu verras... Quand on veut on peut, mais il faut déci<strong>de</strong>r. J'ai<br />

signé. Elle est à moi. Mais je ne vais pas m'exciter. Je dois m'occuper <strong>de</strong>s formalités.<br />

Monsieur le conseiller d'agence, je vous remercie <strong>de</strong> bien trouver avec cette lettre la<br />

première mensualité <strong>de</strong> mon paiement. J'ai bien lu, j'ai bien signé et j'ai bien compris<br />

que "ma<strong>de</strong>moiselle A." me sera livrée chez moi, dans douze mois. D'ici là, j'aurais<br />

réuni la somme convenue. Avec tout mon respect et mes plus grands remerciements.<br />

Karl Kraft.<br />

Mes économies, Sam : 4 000 billets... Un douzième <strong>de</strong> son prix. J'aurai l'argent pour<br />

les onze autres. Tout se vend et tout s'achète... Je l'ai trouvée, mon temps s'est


accéléré. Regar<strong>de</strong>, je suis une fusée dans la nuit étoilée...<br />

Noir. Lumière.<br />

J'ai trouvé preneur pour les bêtes : les vaches, les porcs et même les volailles... 2700<br />

billets. J'ajoute les machines, le bois, l'étang... 4000. Tout y est. Bon. C'est réglé.<br />

Sam, ma <strong>de</strong>uxième mensualité ! C'est cher, oui, mais Elle est à ce prix et je dois la<br />

mériter. Tu ne peux pas comprendre, mais tu verras. Et toi, ça va ? Je continue. <strong>Le</strong>s<br />

terres. J'en aurai 1350 fois 12 égale...16 200. Bon sang, ça ne suffira pas ! Je dois tout<br />

vendre, tant pis. Il le faut ! La ferme est bonne, elle fait son prix, je la vends aussi.<br />

Noir.<br />

Tu es belle, tu es douce, tu es gran<strong>de</strong>, tu es souple, tu es claire, tu es forte, tu es pure,<br />

tu es calme, tu es lente, tu es creuse, tu es chau<strong>de</strong>, tu es noire, tu es le silence, tu es la<br />

nuit, tu es le vi<strong>de</strong> infini...<br />

Lumière.<br />

Chers employés, je suis heureux <strong>de</strong> vous annoncer une gran<strong>de</strong> transformation : je<br />

change <strong>de</strong> vie à partir d'aujourd'hui ! J'ai donc mis en vente l'exploitation, qui ne me<br />

sert plus à rien. Par conséquent, je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> rentrer tous chez vous, après<br />

que le <strong>de</strong>rnier aura fermé la porte <strong>de</strong>rrière lui... Profitez <strong>de</strong> ces beaux jours pour<br />

bien vous amuser tous ensemble, avec la prime ! Des horizons ensoleillés galopent<br />

vers nous, mes amis, il faut lâcher la pioche ! Vous pouvez partir tout <strong>de</strong> suite, inutile<br />

<strong>de</strong> vous fatiguer plus longtemps. Faites une promena<strong>de</strong> ! Ouvrez les yeux sur les<br />

belles choses ! Eh oui, la roue tourne... La vie s'est emparé <strong>de</strong> moi, je <strong>de</strong>viens content<br />

comme un petit enfant ! Avec toute ma sympathie, Karl Kraft.<br />

Tu aimes mon nouveau style, Sam ? Je me libère, j'avance ! Je me sens joyeux,<br />

intrépi<strong>de</strong> ! C'est grâce à Elle, grâce à ma décision ! Je peux faire cela, Sam, et tant<br />

d'autres choses encore, si j'y crois ! Et toi ? Tu ne réponds pas. Tu travailles ?<br />

Appelle-moi.<br />

Noir. Lumière.<br />

20 000 billets. Ce que m'a rapporté la ferme. 20 000 billets. 5 mensualités. 20 000<br />

billets et ça ne suffit pas... 20 000 billets : tout ce que j'avais. Tout ce que j'étais. Tout<br />

ce que j'ai fait : 20 000 billets. Tout ça, rien ! du vent, <strong>de</strong> la boue... Terminé. Aucune<br />

trace ! Tant mieux. Maintenant, Elle arrive, maintenant, tu vas te lever. Allez ! Tu dois<br />

te préparer, pour Elle, tu sais ce qu'Elle attend... Ho ! Lève-toi ! Tu croyais pouvoir<br />

rester comme ça, comme tu es, non ! Tu sais que non, plus jamais pareil ! Allez ! Ho !<br />

Prends une autre forme pour t'emboîter à Elle comme il faut, tu entends ! En avant !<br />

Au travail, allez ! Ho ! Courage, allez ! C'est à toi. Bien. C'est ça, calme, là... Avec<br />

Elle, Sam, je vais <strong>de</strong>venir Moi, dans neuf mois... Allez va ! Va !


Noir. Lumière. Karl assis sur son sac. <strong>Le</strong>s journaux ont disparu. La pièce est vi<strong>de</strong>.<br />

Je me suis mis au régime, Sam : plus <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> ! plus <strong>de</strong> sucre ! plus <strong>de</strong> vin ! J'étais<br />

gras autrefois, un boeuf, vautré dans ma tourbe, invisible sous ma couche <strong>de</strong> poils...<br />

Ce tas va se remuer, maintenant, il va vivre ! Je me délivre <strong>de</strong> tout, regar<strong>de</strong>, j'ai vendu<br />

l'armoire, le coffre, toutes ces foutues caisses en bois ! Bon débarras. Je vis dans une<br />

pièce vi<strong>de</strong>. Je peux enfin prendre ma place, exister, sauter en l'air, même, tu vois ? Tu<br />

ne ris pas ? Oui, on peut vivre enfoncé dans une caisse en bois et on ne le sait pas,<br />

mais un jour, vient la lumière... Quelle chaleur ! Je sue. C'est la sécheresse. Non, c'est<br />

la mue ! Tu comprends, Sam ? Je ne peux pas t'expliquer. Je dois encore un peu<br />

grignoter les murs autour <strong>de</strong> moi, pour sortir, mais patience, chaque chose en son<br />

temps... Elle aussi vient à peine <strong>de</strong> naître. Je vais sentir sa légèreté glisser dans mes<br />

mains... Quelle joie ! Et toi Sam, tu ne réponds plus, es-tu là ? Sam, es-tu heureux ?<br />

ou seulement abruti <strong>de</strong> joie, la tête dans une caisse en bois ?<br />

Noir. Lumière.<br />

Monsieur le conseiller d'agence, je vous remercie <strong>de</strong> bien trouver dans cette lettre ma<br />

cinquième mensualité, avec toutes mes salutations dévouées. Karl Kraft.<br />

Elle n'est pas ce que tu crois, Sam, Elle est spéciale, tu ne peux pas l'imaginer...<br />

Chut ! C'est une surprise ! Ne t'inquiète pas. Ces choses se font, d'autres que moi...<br />

Je l'ai choisie, rien à faire. C'est un secret. Tu verras. Je sais ce que je fais, crois-moi.<br />

Noir. Lumière.<br />

Monsieur le conseiller d'agence, malgré mon retard pris sur le septième mois <strong>de</strong><br />

"Ma<strong>de</strong>moiselle A.", me voilà enfin prêt à vous payer. Voici votre chèque, avec toutes<br />

mes excuses, ma considération et mes profon<strong>de</strong>s salutations. Karl Kraft.<br />

L'été se termine. Encore 20 semaines à l'attendre. J'ai froid. <strong>Le</strong> vent souffle. Je vais<br />

regar<strong>de</strong>r tomber les feuilles, après, on verra. Embrasse bien ta femme pour moi.<br />

Noir. Lumière.<br />

Trois mois... seulement trois mois et je n'ai plus rien... Je n'ai même pas une porte,<br />

<strong>de</strong>rrière moi, pour m'enfuir... Je n'ai plus rien. Je suis en ruines. Je ris.<br />

Noir.<br />

"Un oranger sur le sol irlandais, on ne le verra jamais.<br />

Un jour <strong>de</strong> neige embaumé <strong>de</strong> lilas, jamais on ne le verra.<br />

Qu'est ce que ça peut faire ? Qu'est ce que ça peut faire ? Tu dors auprès <strong>de</strong> moi,<br />

Près <strong>de</strong> la rivière, où notre chaumière bat comme un coeur plein <strong>de</strong> joie."<br />

Lumière.


Sam ! Sam, ça y est, j'ai la solution ! C'est tellement simple, c'est évi<strong>de</strong>nt, tu vas voir.<br />

Ecoute. J'ai encore quelque chose, oui, Sam, encore quelque chose, qui est à moi, que<br />

je peux vendre... Eh bien, qu'est-ce que c'est ? Tu ne vois pas ? Tu ne vois pas ? Non ?<br />

MON CORPS. Mon corps, Sam ! Mais oui, ces choses se font, qu'en sais-tu du fond<br />

<strong>de</strong> ta caisse aveugle ? Il faut t'ouvrir, t'ouvrir, Sam !<br />

( Karl ouvre son sac <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre et commence à le vi<strong>de</strong>r.)<br />

Donc : je me vends et j'ai l'argent... Je continue mon régime, je dois me détacher <strong>de</strong><br />

tout, rappelle-toi ! Elle le veut, je veux lui obéir. Je nettoie l'intérieur <strong>de</strong> moi : traces<br />

<strong>de</strong> boue, rien d'autre. Quelque chose <strong>de</strong> meilleur est <strong>de</strong>vant, qui m'emporte : Elle, ma<br />

joie, mon fracas. Ah ! Tu ne dis rien, bien sûr, c'est facile, mais je sens ce que tu<br />

penses, je l'entends, Sam : il ne faut pas que tu t'abîmes trop, Karl, tu dois être beau<br />

pour paraître avec elle, <strong>de</strong>vant tous... Oui, bon. Mais un rein par exemple, un rein en<br />

moins, ça ne gâte rien. Il y en a <strong>de</strong>ux, j'en enlève un : c'est terminé. Ni vu ni connu.<br />

Hop ! Réglé.<br />

Vends rein neuf en parfait état. Voilà.<br />

Noir. Lumière.<br />

Un client ! Ecoute ça...<br />

Cher monsieur, je veux vous acheter tout <strong>de</strong> suite votre rein. Votre prix sera le mien.<br />

A propos (vous ne précisez pas), est-ce le rein droit ?<br />

Moi : Monsieur, vous me voyez ravi <strong>de</strong> votre intérêt pour ma personne. Mais<br />

comment ça, rein gauche ou droit ? C'est bien les mêmes ? ou pas ?<br />

Lui : Monsieur, les reins sont <strong>de</strong>ux organes en forme <strong>de</strong> haricots, situés dans la partie<br />

postérieure <strong>de</strong> l'abdomen, <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> la colonne vertébrale, approximativement<br />

entre la douzième vertèbre dorsale et la troisième vertèbre lombaire. (Tu<br />

entends ça, Sam ?) Cet organe mesure 10 à 12,5 centimètres <strong>de</strong> long et 5 centimètres<br />

d'épaisseur environ, pour un poids <strong>de</strong> 100 à 150 grammes, en moyenne, chez l'adulte.<br />

En ce qui me concerne, j'ai une hypertrophie du rein droit. Il est grand comme une<br />

banane, je me réveille 6 à 7 fois la nuit et il m'arrive <strong>de</strong> pisser mousseux. Pour finir :<br />

remplacer un rein droit par le gauche, c'est comme mettre un pied dans la mauvaise<br />

chaussure : on ne va pas loin. Sachez que je prendrai soin <strong>de</strong> votre rein, comme si<br />

c'était le mien.<br />

Moi : Monsieur, dans ce cas je suis très satisfait et vous aurez votre rein, enfin le<br />

mien, gauche ou droit, comme vous voulez, c'est le même prix.<br />

Bon. Allons-y.<br />

Noir.<br />

Je veux me déshabiller <strong>de</strong>vant toi. Je veux tomber en pièces à tes pieds, pour renaître<br />

dans tes creux lumineux. Je veux sentir ta peau ample pénétrer dans mes replis.


Je veux voir ton ombre velue. Je veux entendre ton cliquetis dans la nuit. Je veux<br />

mordre ton flanc haletant. Je veux glisser à ta surface et m'évanouir dans ton<br />

épaisseur. Je veux me faufiler en toi, comme dans un autre mon<strong>de</strong>.<br />

Lumière. Karl, son sac plein à la main.<br />

C'est fait : 300 billets. C'est peu, oui, mais j'ai fait un heureux. Sam, dis-moi, je<br />

penche, non ? Ah ! Ah ! Tu ne ris pas ? Que dis-tu ? Parle plus fort, je ne t'entends pas<br />

bien. Fais un effort, je t'en supplie ! Nos langues sont si tristes, au fond <strong>de</strong> nos<br />

gorges... Tu es parti ? Il pleut... <strong>Le</strong> fleuve se jette dans la mer. Encore du vent...<br />

Parfois, je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si je rêve.Tout va si vite. Je vieillis, Sam. Je ne suis qu'un<br />

homme. <strong>Le</strong>s hommes pleurent, ils sont faibles, tout les emporte. Promets-moi <strong>de</strong> ne<br />

pas me haïr quand tu la verras. Promets-moi que tu comprendras. (...)<br />

Ecoute, j'ai une idée ! Je cesse <strong>de</strong> me faire charcuter ; je me vends, oui, mais ils<br />

récupèrent leur marchandise plus tard, Post Mortem : après ma mort. Qu'en dis-tu ?<br />

Fini <strong>de</strong> se casser les reins ! J'encaisse l'argent <strong>de</strong> mon vivant et à la fin, couic ! ils<br />

m'ouvrent comme une din<strong>de</strong> et récupèrent les marrons ! Tu ne ris pas ? Tu es mort,<br />

ou quoi ? Bon sang, mais réponds-moi !<br />

Noir. Lumière. <strong>Le</strong>s pommes <strong>de</strong> terre gisent au sol, éparpillées autour <strong>de</strong> Karl.<br />

Allo, Karl Kraft, j'écoute ? Oui madame. Un larynx ? Absolument. Pour offrir ?<br />

Désirez-vous <strong>de</strong>s photographies ? dos-face-profil ? Entendu, c'est moi qui vous<br />

remercie. (...) Karl Kraft à votre service ? Bonsoir Madame. Ma<strong>de</strong>moiselle. Oui,<br />

l'ossature est en parfait état : grosse charpente-chêne massif d'origine. Je plaisante.<br />

Deux vertèbres dorsales ? Ah, je regrette, je ne fracture pas la colonne. Oui, il faut<br />

prendre tout le morceau... C'est plus cher, oui, mais ça peut toujours servir. C'est un<br />

investissement, on ne sait pas ce qui nous attend. Vous n'avez personne avec qui<br />

partager ? une vieille tante ? un antiquaire ? C'est vous qui voyez. (...) Kraft and Co à<br />

l'appareil ? Une rate ? 500 billets. Une rate magnifique, Monsieur, je la connais<br />

<strong>de</strong>puis 54 ans. Une urgence ? Désolé, je ne peux pas vous ai<strong>de</strong>r. Oui, il faut patienter.<br />

Une bonne quarantaine d'années. (...) Kraft j'écoute, c'est pour ? Un oeil ?<br />

Noir. Lumière. Karl est entré dans son sac <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terres.<br />

"Je suis un arbre en hiver, ma sève s'endort au fond <strong>de</strong> mon corps..."<br />

Je <strong>de</strong>viens poète, tu ne trouves pas ? Ce doit être à cause <strong>de</strong> mon corps qui s'en va.<br />

Ce n'est pas triste. Il faut savoir perdre. Crois-tu au changement, Sam ? à l'évolution ?<br />

à la révolution ? Sam, veux-tu voir ma métamorphose ? Attends ! pas trop vite...<br />

J'ai peur, moi aussi, <strong>de</strong> ce que qu'il y a, en moi.<br />

Noir. Lumière. Karl est dans son sac jusqu'au cou.<br />

Bonjour, je m'appelle Karl et je me vends. Je me suis fait faire <strong>de</strong>s photographies <strong>de</strong><br />

mon corps que j'ai mises en réseaux, pour toucher un plus grand nombre <strong>de</strong> clients.<br />

C'est gratuit et très rapi<strong>de</strong>, on peut se projeter, soi-même, tout entier, ou en morceaux,


jusqu'au bout du mon<strong>de</strong>, en restant chez soi. C'est bien. Voilà, je fais mes petites<br />

transactions et j'en éprouve même du plaisir, oui, un plaisir étrange, nouveau, très<br />

fort... mais eux aussi, croyez-moi ! Je jette mon intestin sur la place du marché, il y a<br />

cinquante chiens pour se l'arracher ! On me répond <strong>de</strong>puis l'Afrique, la Colombie, le<br />

Japon... <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s, bien sûr, mais aussi <strong>de</strong>s scientifiques, <strong>de</strong>s riches, <strong>de</strong>s pervers...<br />

Je suis très <strong>de</strong>mandé. C'est la première fois, en 54 ans... Je vais vous dire, en ce<br />

mon<strong>de</strong>, personne n'est vraiment complet, il manque quelque chose, à chacun. Je me<br />

suis placé en plein coeur <strong>de</strong> ce manque : une place essentielle. Je suis au centre du<br />

mon<strong>de</strong>, mais je ne m'excite pas. Je reste en arrière, à contempler mes mille reflets. Tu<br />

les vois ? Si tu ne les vois pas, clique et tu les verras.<br />

Noir.<br />

Tu es dure, tu es froi<strong>de</strong>, coupante comme une lame. Es-tu mon ange ? Es-tu mon<br />

malheur ? Ils vont me maudire. Ils vont te frapper à mort, quand ils te verront. Ils<br />

vont nous abattre d'un coup <strong>de</strong> fusil et abandonner nos corps mous dans un trou.<br />

Lumière. Karl a disparu dans le sac.<br />

Bientôt le dixième mois ! Je me suis rasé tous les poils du corps. Je continue<br />

d'attendre, immobile, fixé sur mon support. J'aspire <strong>de</strong> l'air par la bouche. Je mange<br />

<strong>de</strong>s pommes <strong>de</strong> terre. Je tricote, pour ne pas m'engourdir. J'enroule sans fin mon fil<br />

autour <strong>de</strong> ma tête plate. Touche-moi, Sam, pour voir si je suis en vie... Tu ne ris pas ?<br />

Bah ! Qu'est-ce que la vie ? Qu'ai-je à faire d'un thorax ? d'une poignée <strong>de</strong> choses<br />

molles, baignant dans du liqui<strong>de</strong> gras ! Qu'est-ce qu'un corps si je ne peux pas en<br />

prendre un morceau et le donner à quelqu'un, pour qu'il l'emporte avec lui ? Un<br />

temple d'égoïsme ! Un drap sans joie. Que restera-t-il <strong>de</strong> nous, dis-le moi ? Un souffle<br />

d'air. Je ne suis qu'un passant dans l'univers, j'oublie mon visage, j'ouvre les bras, en<br />

larmes, <strong>de</strong>vant l'inconnu... Il neige. Je suis blanc moi aussi, tout propre à l'intérieur.<br />

Sam, tu as peur ? <strong>de</strong> quoi ? Qu'est-ce qu'il y a dans ta caisse en bois ?<br />

Noir.<br />

Je prolifère, je grouille, j'envahis, je croîs, je me reproduis, je croîs, j'éclate, je<br />

ralentis, j'éclate, je me multiplie, je grandis, je grouille, j'envahis, j'éclate, je me<br />

reproduis, j'éclate, je ralentis, j'éclate, je ralentis, j'éclate, j'éclate, j'envahis, j'éclate, je<br />

me multiplie, je me multiplie, je me multiplie... Je suis une symphonie.<br />

Lumière. Karl a percé son sac. Il sort sa tête et rampe au sol comme un insecte.<br />

Ah ! Quel froid ! La mer mugit, la terre est gelée, le vent glacial, mais je brûle, là,<br />

tout au fond <strong>de</strong> moi ! As-tu bien reçu le porc que je t'ai fait envoyer ? mon petit<br />

<strong>de</strong>rnier, il ne voulait pas me quitter, le pauvre, il hurlait... Il faudra le tuer à Noël et<br />

faire <strong>de</strong>s saucisses à madame ! Madame en veut, madame a faim, madame va te<br />

mordre au sang si tu ne la nourris pas, au travail Sam ! grimpe et laboure ! Je vais<br />

bien. J'attends, <strong>de</strong>rrière mon écran, suspendu à un fil, je caresse mes antennes, je


frappe mon clavier muet, je m'ennuie, je ris.<br />

Noir. Lumière.<br />

Tu penses que mon amour est insensé ? que je suis fou ? Je suis fou, oui. Il faut être<br />

fous. Il faut être tordus, secoués, affamés <strong>de</strong> la vie, il faut trembler dans tout le corps,<br />

bondir, bras en l'air, tomber à genoux dans la boue, il faut ramper, nous tortiller,<br />

courir nus à travers la plaine, beugler à la lune pour qu'elle nous aime ! Nous voulons<br />

que l'univers se tourne vers nous, il nous faut l'impossible, Sam, c'est l'impossible qui<br />

nous tire, qui nous arrache hors <strong>de</strong> nos caisses et nous jette dans la vie bouillante !<br />

L'impossible nous fait <strong>de</strong>venir meilleurs, <strong>de</strong>s hommes meilleurs, Sam, autres !<br />

Chaque nuit, nous rêvons <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir autres... Qu'est-ce qu'un homme ? Un fou rêvant.<br />

Même toi, tu rêves, dis-le ! Tu veux l'impossible, tu cours, défiguré, après ton désir !<br />

Il faut rêver et courir sans fin, sinon, qu'est-ce que nous sommes ? Des pierres.<br />

Je vous serre dans mes bras, ta femme, le porc et toi.<br />

Noir. Lumière.<br />

Monsieur le conseiller, je vous remercie <strong>de</strong> bien trouver dans cette lettre ma onzième<br />

mensualité. Votre Kraft.<br />

Ils m'atten<strong>de</strong>nt, assis dans leurs fauteuils, sans même tourner un oeil sur le cadavre<br />

qui pend à son clou : moi. Un jour, ils viendront me chercher et chacun aura son<br />

morceau.Tu gar<strong>de</strong>ras mon enveloppe, Sam, s'il te plaît, tu la donneras au porc, je lui<br />

dois bien ça. Chacun son tour ! Sur ma tombe, on écrira :<br />

"Ci gît celui qui n'y est pas."<br />

Noir. Lumière.<br />

ESTOMAC : Madame Pompe. 300 billets.<br />

CERVEAU : Monsieur <strong>de</strong> la Fosse. 450.<br />

POUMONS : Caillot. 700.<br />

INTESTIN GRÊLE, GROS INTESTIN, COLON, RATE, VÉSICULE B : 600.<br />

Famille Boileau. reven<strong>de</strong>urs en gros.<br />

SQUELETTE, MUSCLES, LANGUE, LARYNX, TRACHÉE, YEUX, OREILLES,<br />

DENTS, NEZ...<br />

Il me manque toujours 1500 billets.<br />

Noir.<br />

Mère, tu m'entends ? J'ai semé mes morceaux à tous les vents ! Tes fils seront <strong>de</strong>s<br />

milliers, dans tout l'univers, et toi, mille fois mère, mille fois recommencée, comme<br />

les cercles que fait la pierre, jetée dans l'eau immaculée... Père, es-tu là ? <strong>Le</strong>s oiseaux<br />

<strong>de</strong> mort... ils veulent mon coeur, ils vont le dévorer... Père ! je ne suis pas mauvais, je<br />

t'en supplie, donne-moi l'élixir qui rend invincible, ne me punis pas ! Père, s'il te plait,


econnais-moi ! Maman ? Papa ?<br />

Lumière. Karl est <strong>de</strong>bout. Il tient dans ses bras le sac.<br />

C'est fait. Tout est là.<br />

Monsieur, voici la <strong>de</strong>rnière mensualité que je vous dois. K. K.<br />

Noir. Lumière.<br />

Monsieur, j'ai bien reçu votre lettre. Vous parlez encore <strong>de</strong> 1000 billets que je vous<br />

dois. Sûrement une erreur. Merci <strong>de</strong> rectifier.<br />

Noir. Lumière. Karl lit.<br />

"le prix initial ne comprend pas l'appointement <strong>de</strong> 3,2 % versé à l'agence,<br />

l'assurance annulatoire prévisionnelle, ainsi que le forfait compensatoire à un taux<br />

<strong>de</strong> 17 % par année <strong>de</strong> remboursement."<br />

Absur<strong>de</strong> ! Et pourtant vrai. Il faut payer. 1000 billets à rajouter.<br />

Noir.<br />

ils crient tombent en pluie à travers ma gorge s'accrochent à mes artères mes nerfs<br />

s'allongent comme <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s mon corps est un océan <strong>de</strong> sang où nagent les vivants...<br />

Faible lumière. Karl dialogue avec une pomme <strong>de</strong> terre.<br />

- Bonsoir Karl.<br />

- Bonsoir. Qui es-tu ?<br />

- Je suis... le Diable.<br />

- Ah. D'accord.<br />

- Karl ?<br />

- Oui, diable ?<br />

- Je suis venu te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelque chose, quelque chose que j'aime beaucoup et que<br />

tu as avec toi.<br />

- D'accord.<br />

- Tu sais quelle est cette chose ?<br />

- Mon âme ?<br />

- Oui, ton âme. C'est très bien, Karl.<br />

- Oui. Qu'est-ce qu'une âme, diable ?<br />

- Une âme ? Pas grand chose. Un nuage, <strong>de</strong> l'air, rien d'important.<br />

- D'accord. On peut vivre sans ?<br />

- Bien sûr. Sans âme, on vit, on vit très bien. La preuve, moi. Je suis bien, calme,<br />

lointain, je traverse le temps, parallèle au mon<strong>de</strong>, aux choses... tiens ! comme si j'étais<br />

assis dans un train. Ah ! se tenir immobile à angle droit, voir le mon<strong>de</strong> dans un


ectangle, agiter la tête mollement, se repaître <strong>de</strong> sa propre o<strong>de</strong>ur, observer <strong>de</strong>s reflets<br />

morts, vibrer par le fond..!<br />

- Pourquoi veux-tu mon âme, diable ?<br />

- Eh bien... elle me plaît. Elle m'amuse. Elle me dépasse... Combien en veux-tu ? Il te<br />

faut cet argent, Karl... Fais ton prix.<br />

- Euuuuh... Rien.<br />

- Comment ? Pauvre idiot ! Allons, ce n'est qu'une âme, donne-la moi !<br />

- C'est mon âme, ne touche pas, d'accord ?<br />

- Ecoute, que veux-tu ? dis-moi. Jeunesse éternelle ? Gloire ? Infini Pouvoir ?<br />

- Merci, au revoir !<br />

- Attends ! Dis-moi, Karl, pourquoi veux-tu gar<strong>de</strong>r ton âme ?<br />

- Elle me tient chaud.<br />

Noir. Karl allume une bougie.<br />

SEXE : madame O, collectionneuse. 1 000 billets.<br />

Monsieur, voici mon sol<strong>de</strong>. Adieu. Kraft.<br />

Karl disparaît dans l'ombre. La lueur <strong>de</strong> la bougie éclaire encore la pièce.<br />

Elle approche. Je suis tranquille. Je respire très légèrement. Ma peau se fend tout le<br />

long du dos. Je me contracte doucement, plusieurs fois. La voici. Ecoute. Je me<br />

dilate. Ma peau glisse sur mon ventre, tombe à mes pieds. Je dégage mes membres,<br />

délicatement. Mon corps mou et chiffonné se libère. La voici. Elle vient. Je redresse<br />

la tête.Veux-tu la voir, maintenant ? Es-tu prêt ? <strong>Le</strong>s femmes sont meilleures que<br />

nous, elles nagent dans le vent et frôlent nos fronts brûlants. Es-tu prêt, maintenant ?<br />

Elle vient à toi. Ma<strong>de</strong>moiselle Angela.<br />

Musique. Karl apparaît, vêtu d'une robe étincelante, ornée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ailes<br />

immenses.<br />

Il s'avance, puis fait le tour <strong>de</strong> la scène, très lentement, jusqu'à revenir au centre.<br />

Il s'approche <strong>de</strong> la bougie.<br />

Je t'aime, Sam.<br />

Il danse autour <strong>de</strong> la flamme, les ailes déployées.


Speed dating<br />

(Farce)<br />

Gilles Granouillet<br />

Gilles Granouillet/ 17 rue Dombasle 42100 Saint-Etienne/<br />

granouillet.gil@wanadoo.fr/ 0033683596322<br />

1


Du même auteur:<br />

<strong>Le</strong>s Anges <strong>de</strong> Massilia: Espace 34<br />

Vodou suivi <strong>de</strong> Chroniques <strong>de</strong>s oubliés du tour: Actes Sud/Papiers<br />

Trabant: Inédit<br />

Combat: Inédit<br />

Nuit d’automne à Paris: <strong>Le</strong>s quatre vents<br />

L’incroyable voyage: Actes Sud/Papiers<br />

Six hommes grimpent sur la colline: Actes Sud/Papiers<br />

Lorène dans l’escalier: Espace 34 in Monologues pour<br />

Maman! : Théâtrales in Embouteillage<br />

Ralf et Panini: Actes Sud/Papiers<br />

L’envolée: Actes sud/ papiers parution 2008<br />

<strong>Le</strong> saut <strong>de</strong> l’ange: Lanzmann in 4 Comédie pour une Comédie<br />

Ma mère qui chantait sur un phare :Actes Sud/ Papiers parution 2008<br />

Une saison chez les cigales suivi <strong>de</strong> Trois femmes <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt vers la mer : Sud/Papiers<br />

Vesna suivi <strong>de</strong> La maman du petit soldat/ Actes Sud/ Papiers<br />

Speed Dating est une comman<strong>de</strong> du Groupe <strong>de</strong>s vingt<br />

dans le cadre <strong>de</strong> « Sauts en auteurs. »<br />

2


Clamard est menotté au radiateur. Il ne porte plus <strong>de</strong> lacet. <strong>Le</strong> radiateur est<br />

immense ou minuscule. <strong>Le</strong> héro est suspendu à un immense radiateur ou porte<br />

cette chose au poignet comme un gros sac à main. Ses vêtements laissent voir un<br />

homme dans la bonne quarantaine qui a fait un effort pour « plaire aux<br />

femmes » l'effort est surhumain ou sa perception du goût <strong>de</strong>s femmes toute<br />

particulière. L'homme-aux-pinceaux est là pour repeindre le radiateur, c'est son<br />

métier. C'est un artisan qui en a vu d’autre, taciturne et appliqué il est pourtant<br />

capable <strong>de</strong> s'enflammer sur certains sujets. La femme-poignante porte une<br />

énorme minerve qui s’ouvre sur un visage tuméfié et bandé. Sa silhouette nous<br />

laisse imaginer une femme assez jeune, plus jeune que Clamard. La dame-quifinit<br />

est d'une élégance stricte qui colle à son âge et à sa fonction. Elle entrera<br />

plus tard. L'endroit, triste et sale comme un vieux commissariat, est parsemé <strong>de</strong><br />

paquets ca<strong>de</strong>aux et <strong>de</strong> vases brisés.<br />

Clamard:<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

La femme-poignante :<br />

....<br />

Clamard:<br />

Si.<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon<br />

La femme-poignante:<br />

Borborygmes <strong>de</strong> colère.<br />

Clamard:<br />

Je comprends.<br />

3


Si.<br />

Et c'est parce que je comprends que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon!<br />

La dame-qui-finit entre. On entend, venus d'une autre pièce, les bruits feutrés<br />

d'une réception. Elle pose un paquet ca<strong>de</strong>au, en sort un vase, laid, très laid, le<br />

regar<strong>de</strong>, puis le brise d'un geste magistral et ressort, fière, sans porter attention<br />

aux autres qui eux-mêmes ne s'emblent pas surpris outre mesure.<br />

Clamard:<br />

C'était laid.<br />

Si.<br />

J'en ai eu chez moi <strong>de</strong>s comme ceux là et longtemps mais maintenant c'est fini,<br />

<strong>de</strong>puis que je vis seul j'ai ouvert les yeux, la solitu<strong>de</strong> m'a ouvert les yeux, oui! J'ai<br />

appris à voir, à partager le beau du laid, oh! Ça ne s'est pas fait en un jour, j'ai dû me<br />

démolir pour me reconstruire, c'est très laid et elle a bien fait, surtout celui là, celui là<br />

est mieux maintenant qu'avant, j'affirme parce ce que j'ai payé pour savoir et je paye<br />

encore! A quoi il ressemblait quand il tenait <strong>de</strong>bout, vous vous souvenez? Si laid,<br />

c'est pas humain, moi aussi j'ai eu <strong>de</strong>s amis, ils m'offraient <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, les salauds,<br />

débarrassé aujourd'hui, la vie est un combat, je suis seul aujourd'hui, ma femme m'a<br />

quitté, c'est elle, je ne vous l'avais pas dit, c'est un détail qui met en faiblesse et les<br />

femmes n'aiment pas, il faut savoir se taire sur certaines choses si on veut séduire,<br />

tout le laid je l'ai cassé, je suis libre mais j'ai souvent envie <strong>de</strong> chialer, surtout le soir<br />

quand je sors dans le jardin et que le ciel se couche <strong>de</strong>rrière les thuyas...<br />

La-dame-poignante:<br />

...A eule!<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Elle dit: ta gueule!<br />

Silence<br />

Clamard:<br />

J’ai entendu.<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

Si.<br />

Silence.<br />

J'avais fait construire plein ouest, elle et moi on voulait le soleil le plus tard possible<br />

sur la terrasse, il y en a qui choisissent la piscine, <strong>de</strong> toute façon c’était au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

nos moyens, on a pris couché <strong>de</strong> soleil, la vie n’est qu’un tas <strong>de</strong> compromis, je<br />

pouvais pas savoir que ça me ferait chialer...<br />

La-dame-poignante:<br />

A eule!<br />

4


Silence<br />

L'homme-au-pinceau:<br />

Elle dit...<br />

Clamard:<br />

...J'ai compris!<br />

Silence<br />

Il se couche juste <strong>de</strong>rrière les thuyas<br />

Silence.<br />

La dalle rend la chaleur, le soir on n'avait jamais froid.<br />

Silence<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

La dame-qui-finit entre à nouveau, même jeu.<br />

Clamard:<br />

Evi<strong>de</strong>ment le matin c'est tout à l'ombre, le matin on boit le café <strong>de</strong>dans, l'idéal c'est<br />

une maison qui tourne avec le soleil, qui suit le soleil, mais ce n'est pas le même prix<br />

et puis je pars à six heure, je me lève à cinq, je pars à six j'attaque à sept, le matin il<br />

fait encore nuit, quand on y pense le bonheur n'est pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, la vie n'es qu'un<br />

tas <strong>de</strong> compromis.<br />

A l'homme-aux-pinceaux. Ca fait six vases qu'on attend. A La femme-poignante.<br />

Vous, si vous râlez, elle va vous écouter.<br />

L'homme-aux- pinceaux:<br />

Dans votre état.<br />

Clamard:<br />

C'est ça : dans votre état?<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

J'ai un <strong>de</strong>ux pièces.<br />

Clamard:<br />

En hauteur, j'espère.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

L'immeuble est tout petit.<br />

Clamard :<br />

Alors même pas en hauteur.<br />

5


L’homme-aux-pinceaux :<br />

Non.<br />

Clamard:<br />

AVOIR DES GENS AU-DESSUS DE SA TETE!<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Plutôt crever?<br />

Clamard:<br />

Je n'ai pas dit ça.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Je préfère...<br />

Clamard:<br />

...C'est une question <strong>de</strong> moyens...<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

...Je préfère.<br />

La dame-poignante:<br />

Peut-ête cha lui souffit?<br />

Clamard:<br />

Quand on ne peut pas plus, quand on est pauvre, il faut que ça suffise.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Je suis locataire.<br />

Clamard:<br />

J''ai un gros crédit.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

A la fin c'est à vous.<br />

Clamard:<br />

Faut y arriver!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Et si vous ven<strong>de</strong>z, il vous en reste toujours un peu.<br />

Clamard:<br />

La vie n’est qu’un tas <strong>de</strong> compromis.<br />

6


L'homme-aux-pinceaux:<br />

...Ca ne perd pas, la pierre.<br />

Clamard:<br />

Je souffre...<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

...Surtout si elle est bien orientée...<br />

Clamard:<br />

PARLONS D’AUTRE CHOSE, JE SOUFFRE !<br />

Tu as entendu là ?<br />

L’homme-aux-pinceaux :<br />

J’ai entendu quoi ?<br />

Clamard :<br />

<strong>Le</strong> nombre <strong>de</strong> conneries qu’on vient <strong>de</strong> sortir, tu as entendu ? Parlons d’autre chose !<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Elle pourrait les offrir, elle pourrait faire <strong>de</strong>s heureux.<br />

Clamard:<br />

Ca ne s'offre pas, le laid.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

J'ai connu <strong>de</strong>s départs en retraite sans ca<strong>de</strong>au, à l'eau claire.<br />

Parfois c'est mieux.<br />

La dame-qui-finit entre à nouveau même jeu... mais avant <strong>de</strong> briser le vase...<br />

Clamard:<br />

NON!<br />

C'est art nouveau ça, c'est pas <strong>Le</strong>a<strong>de</strong>r Price! <strong>Le</strong> beau ça se regar<strong>de</strong> à distance, vous<br />

avez le nez <strong>de</strong>ssus. Toujours mettre <strong>de</strong> la distance entre soi et le beau, sinon c’est<br />

l’aveuglement ! Qu'est-ce que vous voyez maintenant? Regar<strong>de</strong>z bien vous êtes une<br />

femme <strong>de</strong> goût. Petit rire ironique <strong>de</strong> la-femme-poignante. La femme qui finit<br />

épargne le vase.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Reconstitution!<br />

Reconstitution, alors vous victime, vous coupable, vous peinture, alors endroit cosy<br />

cosy, petite lumière petite chan<strong>de</strong>lles, alors speed dating, speed dating, qu'est-ce qu'il<br />

7


se passe speed dating?<br />

Clamart:<br />

On se parle.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Ca veut dire quoi, speed dating?<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Date <strong>de</strong> vitesse.<br />

La femme-poignante:<br />

Enconte api<strong>de</strong>!<br />

La dame-qui-finit:<br />

A l'homme aux pinceaux: Sortez!<br />

La-femme-poignante:<br />

A l'homme aux pinceaux qui hésite: Ortez!<br />

L'homme aux pinceaux sort.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous souffrez?<br />

La femme-poignante:<br />

Eaucoup!<br />

Clamard:<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

La dame-qui-finit :<br />

Il vous a fait mal ?<br />

La femme-poignante :<br />

Eaucoup !<br />

La dame-qui-finit:<br />

Alors reconstitution, reconstitution! Alors speed dating, speed dating, on est seul,<br />

bien trop seul, on se rencontre, qu'est qu'il faut, speed dating ?<br />

Clamard:<br />

Une table.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Une table.<br />

8


Et puis?<br />

Clamard:<br />

Des chaises.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Des chaises!<br />

Clamard:<br />

Des petites bougies, <strong>de</strong>s olives, un verre <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux.<br />

La femme-poignante:<br />

Ou du us <strong>de</strong> fuit...<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous êtes six?<br />

Clamard:<br />

On est douze. Deux fois six mais <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux et ça tourne. A la cloche ça tourne. A<br />

moins une ça cloche et à six recloche: on tourne.<br />

Silence<br />

La femme-poignante:<br />

Chi minoutes avec un homme et puis cha toune, cinq fois, cha toune.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Cinq ou six?<br />

Clamard:<br />

Six minutes cinq fois. Et à cinq minute, ça cloche pour dire il n'en reste plus qu'une!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Pourquoi pas six fois, si vous êtes douze?<br />

Clamard:<br />

ON SE RENCONTRE PAS SOI MEME!<br />

La dame-qui-finit:<br />

ATTENTION CLAMARD! ATTENTTION!<br />

Clamard:<br />

PARDON MAIS JE SOUFFRE!<br />

La dame-qui-finit:<br />

ELLE AUSSI! MOI AUSSI! TOUT LE MONDE SOUFFRE ICI!<br />

9


RECONSTITUTION!<br />

Silence.<br />

Clamard:<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

La dame-qui-finit :<br />

Baissez d’un ton !<br />

La femme-poignante :<br />

Baichez d’un ton !<br />

Clamard :<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon, vous souffrez, aussi?<br />

La dame-qui-finit:<br />

Je souffre.<br />

Clamard:<br />

Vous êtes encore jeune, la retraite c’est pas le tombeau, vous êtes presque<br />

appétissante !<br />

La dame-qui-finit:<br />

Clamard?<br />

L'homme-aux-pinceaux <strong>de</strong> retour un ca<strong>de</strong>au dans les mains.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Ils vous atten<strong>de</strong>nt. Ils sont tous là, autour du pot.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Je travaille! Même le <strong>de</strong>rnier jour, et je souffre, jusqu'au bout!<br />

A Clamard, à propos du vase. Alors? Clamard fait non <strong>de</strong> la tête. A l'hommeaux-pinceaux:<br />

allez-y!<br />

L'homme-aux-pinceaux détruit le ca<strong>de</strong>au.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Il aurait pu faire <strong>de</strong>s heureux...<br />

Clamard:<br />

<strong>Le</strong> laid ne s'offre pas.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous avez entendu? Sortez!<br />

10


La-femme-poignante:<br />

Ortez!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

En sortant, tout bas... capitalistes...<br />

La dame-qui-finit:<br />

Reconstitution! Alors reconstitution, speed dating, speed dating, on est seul, toujours<br />

seul, cosy cosy, pour s'aimer un peu, pour s'aimer toujours, qu'est-ce que ça veut dire,<br />

speed dating?<br />

La femme-poignante:<br />

...Enconte api<strong>de</strong>...<br />

La dame-qui-finit:<br />

Alors douze, douze <strong>de</strong>ux fois six, six mais cinq, cinq pendant six minutes et ça sonne<br />

à et cinq et ça sonne à moins une, bougies, tables, chaises, olives, bor<strong>de</strong>aux ou jus <strong>de</strong><br />

fruit et ça tourne ! vous payez?<br />

Clamard:<br />

Cher.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Cher?<br />

Clamard:<br />

Surtout les hommes.<br />

La dame-qui-finit :<br />

Pourquoi les hommes ?<br />

Clamard :<br />

Dès qu’il y a <strong>de</strong>s femmes les hommes payent beaucoup plus cher.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Combien?<br />

Clamard:<br />

Ne parlons pas chiffres.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Pourquoi?<br />

Clamard:<br />

11


Il faut s'élever, au-<strong>de</strong>ssus, <strong>de</strong> l'argent! Rire ironique <strong>de</strong> La femme-poignante. <strong>Le</strong><br />

prix <strong>de</strong> l'amour, je le dis sans honte, toutes ces solitu<strong>de</strong>s, tous ces chagrins! Et pour<br />

chacun le même espoir: une présence, douce et attentive quand vient le soir...<br />

...sur la terrasse et que le soleil se couche à travers les thuyas, on se tient la main et on<br />

se dit qu'il fait encore bien chaud, je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon ma femme m'a quitté, je<br />

l'avais orientée plein ouest maintenant ça me fait chialer, le matin c'est tout à l'ombre<br />

mais je pars à six heure, si vous êtes luci<strong>de</strong>, si vous regar<strong>de</strong>z les choses en face, la vie<br />

n'est qu'un tas <strong>de</strong> compromis...<br />

La femme-poignante:<br />

A eule!<br />

L'homme-aux-pinceaux <strong>de</strong> retour, un ca<strong>de</strong>au dans les mains.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Encore!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Qu'est ce qu'on fait?<br />

On se consulte du regard, le ca<strong>de</strong>au est exécuté, l'homme-aux-pinceaux en s'en<br />

allant: Capitalistes...<br />

La dame-qui-finit:<br />

... Reconstitution, reconstitution, speed dating, speed dating, pour s'aimer un peu,<br />

pour s'aimer toujours...<br />

Clamard:<br />

...C'est dur <strong>de</strong> prendre ça retraite...<br />

La dame-qui-finit:<br />

...Speed dating, cosy cosy et grosses chan<strong>de</strong>lles...<br />

Clamard:<br />

...C'est d'un laid, je préfère travailler tôt et rester à l'ombre...<br />

La dame-qui-finit:<br />

... Speed dating, alors on paye, cher, surtout les hommes...<br />

Clamard:<br />

... quand je dis: je souffre, c'est pour l'humanité que je souffre...<br />

La dame-qui-finit:<br />

...Speed dating, olives, petites chan<strong>de</strong>lles et verre <strong>de</strong> bor<strong>de</strong>aux…<br />

Clamard:<br />

... pour tous, quelque soit l’âge...<br />

12


La dame-qui-finit:<br />

...alors on tourne, à six on tourne même si on est douze…<br />

Clamard :<br />

… je souffre, sans restriction…<br />

La dame-qui-finit :<br />

…et à moins une, ça cloche…<br />

Clamard:<br />

... Même vieux, la vie n'est qu'un tas <strong>de</strong> compromis...<br />

La dame-qui-finit:<br />

CLAMARD!<br />

Clamard:<br />

JE SOUFFRE!<br />

La dame-qui-finit:<br />

NOUS AUSSI, RECONSTITUTION!<br />

Silence.<br />

Alors?<br />

Clamard:<br />

Je lui ai dis bonjour.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Reconstitution.<br />

Clamard:<br />

Adressé à La femme-poignante. Bonsoir!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Bonjour ou bonsoir?<br />

Clamard:<br />

Bonsoir.<br />

La dame-qui-finit :<br />

Pourquoi bonsoir ?<br />

Clamard :<br />

C’était le soir.<br />

La femme-poignante :<br />

13


Avanchons !<br />

La femme-qui-finit:<br />

Après?<br />

Clamard:<br />

J'ai parlé dans le vague.<br />

La dame-qui-finit:<br />

C'est à dire?<br />

Clamard:<br />

L'endroit, les gens, la soirée...<br />

La dame-qui-finit:<br />

Reconstitution.<br />

Clamard:<br />

Adressé: C'est mignon comme endroit ici, les gens sont sympa, les olives sont<br />

bonnes, c'est une belle soirée.<br />

A La dame-qui-finit: C'est pas du Clau<strong>de</strong>l.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous lisez Clau<strong>de</strong>l?<br />

Clamard:<br />

Vous aimez Clau<strong>de</strong>l?<br />

La femme-poignante :<br />

J’ai mal, avanchons !<br />

La dame-qui-finit:<br />

Après !<br />

Clamard:<br />

Je lui ai <strong>de</strong>mandé comment elle s'appelait.<br />

La femme-poignante :<br />

Y <strong>de</strong>man<strong>de</strong> tous…<br />

Clamard :<br />

Comment vous vous appelez?<br />

La femme-poignante:<br />

Ançoise.<br />

14


Clamard:<br />

Moi c'est Robert. Robert Clamard. A La dame-qui-finit. Mais ça, je ne l'ai pas dit,<br />

pas dit parce qu'on n'a pas le droit <strong>de</strong> donner son vrai nom, ni son numéro ni rien du<br />

tout. Tant qu'on n'a pas été choisi. C'est à la toute fin, qu'on peut-être choisi. Si on a<br />

choisi quelqu'un qui nous a choisi, alors là, après on se revoit et on peut donner ce<br />

qu'on veut. On peut tout donner! Je sais comment ça se passe mais moi je n'ai jamais<br />

été choisi. J'ai souvent choisi, j’ai presque tout pris mais je n'ai jamais été choisi.<br />

La dame-qui-finit.<br />

Ca dure <strong>de</strong>puis longtemps? .<br />

Clamard:<br />

Quatre ans. C’était mon trente septième speed dating!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Pauvre homme...<br />

La femme-poignante:<br />

Avanchons!<br />

Clamard:<br />

Pourtant je m'accroche! Je suis un battant! Mais là... j'ai un petit coup <strong>de</strong> moins bien.<br />

Je ne désespère pas! Gros moral : je suis un battant! Mais pas... battant, battant! Je<br />

reste luci<strong>de</strong>... et j'y crois un petit peu moins...<br />

L'homme-aux-pinceaux <strong>de</strong> retour<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Il y en a qui commencent à partir! Dans la foulée il exécute le vase et va pour<br />

sortir. Capitalistes!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Elle s'arme d'un chronomètre.<br />

Reconstitution!<br />

Tout ce qui suit se joue très vite.<br />

Clamard:<br />

Bonsoir c'est mignon comme endroit ici, les gens sont sympa, les olives sont bonnes,<br />

c'est une belle soirée, comment vous vous appelez?<br />

La femme-poignante:<br />

Ançoise.<br />

Clamard:<br />

Moi c'est Robert pas très joli Robert, mes amis m'appellent Bobby, Ançoise, c'est<br />

15


ien Ançoise, Ançoise, appelez-moi Bobby, je préfère mais dites-moi Ançoise,<br />

qu'est-ce que vous faites donc dans la vie?<br />

La femme-poignante:<br />

Bibiothécaire.<br />

Clamard:<br />

Bibiothécaire? Mais c'est formidable ça, bibiothécaire! Vous voyez passer beaucoup<br />

<strong>de</strong> livres, moi je suis chef <strong>de</strong> travaux, je vois passer plein <strong>de</strong> camions, ah! Nous<br />

avons <strong>de</strong>s points communs, Ançoise, mais ne nous emballons pas, dites-moi Ançoise;<br />

vous avez certainement un hobby?<br />

La femme-poignante:<br />

Oui Bobby!<br />

Clamard:<br />

Je peux savoir Ançoise?<br />

La femme-poignante:<br />

La mache à pied.<br />

Clamard:<br />

La mache à pied? J'adore la mache, surtout à pied! Mais ne nous emballons pas<br />

Ançoise, je vais vous faire un aveu, reprenez une olive, je sais que c'est dur mais je<br />

préfère la lecture!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Trois vingt sept.<br />

La femme-poignante:<br />

Je ne souffe pas.<br />

Clamard:<br />

Moi non plus, Ançoise, crachez le noyau, reprenez du Bor<strong>de</strong>aux, vous êtes élégante et<br />

raffinée, ça saute aux yeux Ançoise...<br />

La femme-poignante:<br />

Vous allez me fai ouir! Bobby!<br />

Clamard:<br />

Oh! non, Ançoise! Ne ouyez pas! Je suis sensible à la beauté, à l'art! A tous ces<br />

trucs! Je me cultive, Ançoise!<br />

La femme-poignante:<br />

Du Bo<strong>de</strong>aux Bobby, ous me donnez oif!<br />

16


Clamard:<br />

Buvez Ançoise, buvons Ançoise, à l’esprit, aux belles lettres, à la culture, j'ai aussi<br />

une terrasse pleine ouest le soleil se couche <strong>de</strong>rrière les thuyas il ne fait jamais froid!<br />

La femme-poignante:<br />

QUÊQUE TU AURAS PU NOUS EMMERDER AVÊ TA TERRA ET TES<br />

THUYAS EST PAS DIEU POSSIBE UN QUETIN PAEIl!<br />

Silence.<br />

Clamard:<br />

A la dame-qui-finit: Je n'ai pas compris.<br />

La femme-poignante:<br />

QUÊQUE TU AURAS PU NOUS EMMERDER AVÊ TA TERRA ET TES TUYA<br />

EST PAS DIEU POSSIBE UN QUETIN PAREI!<br />

Clamard:<br />

A La femme-qui-finit: Je ne comprends pas...<br />

La femme-poignante:<br />

T'AS TÊ BEN COMPIS!<br />

Clamard:<br />

Je suis vraiment désolé, je ne peux pas continuer: je ne la comprends pas.<br />

La femme-qui-finit :<br />

CLAMARD ?<br />

Clamard :<br />

JE NE LA COMPRENDS PAS !<br />

La dame-qui-finit :<br />

Clamard, vous fuyez !<br />

Clamard :<br />

Je ne peux pas répondre, je ne la comprends pas !<br />

L'homme-aux-pinceaux entre, un ca<strong>de</strong>au dans les mains.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Il en reste trois! Ivres morts.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous êtes réquisitionnez! Speed dating, reconstitution, speed dating, prenez la place<br />

<strong>de</strong> la victime, on était à quatre vingt cinq, on reprend du début pour qu'il s'habitue!<br />

17


Clamard:<br />

On peut faire <strong>de</strong>s coupes?<br />

La femme-poignante:<br />

Ançoise!<br />

Clamard:<br />

Moi c'est Robert pas très joli Robert, Ançoise qu'est-ce que vous faite donc dans la<br />

vie?<br />

La femme-poignante:<br />

Bibiothécaire.<br />

Clamard:<br />

Bibiothécaire? Je vois passer plein <strong>de</strong> camions mais ne nous emballons pas Ançoise,<br />

vous avez certainement un hobby?<br />

La femme-poignante:<br />

Oui Bobby! La mache à pied.<br />

Clamard:<br />

Reprenez une olive, je sais que c'est dur, je préfère la lecture!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Trois vingt sept!<br />

La femme-poignante:<br />

Je ne souffe pas.<br />

Clamard:<br />

Crachez le noyau, reprenez du Bor<strong>de</strong>aux !<br />

La femme-poignante:<br />

Vous me faites ouir, Bobby!<br />

Clamard :<br />

Ne ouyez pas, j'aime tous ces trucs et j'ai aussi une terrasse pleine ouest!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Quatre vingt cinq! Long silence. L'homme-aux-pinceaux cherche à s'esquiver.<br />

Restez assis! A Clamard. Après?<br />

Clamard:<br />

...<br />

18


La dame-qui-finit:<br />

Après, clamard?<br />

Clamard:<br />

...<br />

La dame-qui-finit:<br />

<strong>Le</strong> silence ne plai<strong>de</strong> que pour les sourds, clamard!<br />

La femme-poignante:<br />

C'est un maa<strong>de</strong>!<br />

La dame-qui-finit:<br />

Clamard ? Silence. Trente ans <strong>de</strong> carrière, mon petit, les pervers, à la fin, ils me<br />

mangent toujours dans la main!<br />

Clamard:<br />

A propos <strong>de</strong> l'homme-aux-pinceaux: Il me bloque.<br />

La dame-qui-finit :<br />

Lui ?<br />

Clamard :<br />

Complètement et elle je ne la comprends pas.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Ecoutez, Clamard, six moins quatre vingt cinq, une trente cinq et on est tous rendus.<br />

Une trente cinq, c’est quoi une trente cinq ? C’est quoi dans la vie d’un homme ?<br />

Une trente cinq ? Dans l’histoire <strong>de</strong> France ? Dans la vie <strong>de</strong> la galaxie ? Rien ! Après<br />

c’est fini ! Vous comptez me faire suer longtemps?<br />

Clamard:<br />

Après... j'ai senti un coup <strong>de</strong> froid. J'ai voulu me relancer sur mon côté esthète, sur<br />

l'homme nouveau qui pousse en moi... mais…j'étais largué... trente septième speed<br />

dating! A la femme poignante. C'est d'une femme comme vous dont j'ai besoin, une<br />

tête! Une pensée! Une femme <strong>de</strong> culture avec qui avancer sur le long et difficile<br />

chemin...<br />

La femme-poignante:<br />

A eule!<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Elle a dit…<br />

19


Clamard:<br />

Je sais...<br />

Avec mon ex, on a vécu dans la boue, au début le sexe, le sexe, le sexe, le sexe,<br />

COMME DES CHIENS!<br />

Quand le sexe est parti...<br />

Plus rien.<br />

Un home vidéo.<br />

Elle m'a quitté et je me suis remis en question. A La-dame-qui-finit: j'ai fait comme<br />

vous, j'ai beaucoup jeté. A La-dame-poignante: Je vous ai cherchée, trente six<br />

échecs et vous étiez là, alors j'ai espéré, pendant près <strong>de</strong> cinq minutes! Trop d'espoirs<br />

déçus et la colère gagne! La bête tapis dans l'ombre se réveille en moi et voilà le<br />

résultat.<br />

Ca c'est refroidi aux thuyas, une femme d'esprit, bibliothécaire, j'aurai dû me taire sur<br />

les thuyas, cent quatre vingt cinq rencontres, j'avais l'expérience pour moi...<br />

J'aurais dû vendre <strong>de</strong>puis longtemps. Quand on est con l'expérience ne suffit pas. Lafemme-poignante<br />

acquiesce.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Reconstitution...<br />

Clamard:<br />

Elle est inaudible.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Et lui?<br />

Clamard:<br />

C'est un homme. Rédhibitoire.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Je fais ce que je peux.<br />

Clamard:<br />

Tu me bloques! Tu n'as rien <strong>de</strong> féminin, tu me bloques!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

A La-femme-qui-finit. On peut tout <strong>de</strong> même essayer?<br />

Clamard:<br />

Tu me bloques.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Je vais chercher la femme qui dort en moi.<br />

Clamard:<br />

20


Tu me bloques!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

A La-femme-qui-finit. Je suis sûr qu'il y une femme qui dort en moi!<br />

Clamard:<br />

Arrête!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Je la sens, il faut qu'elle remonte.<br />

La dame-qui-finit:<br />

En prenant la place <strong>de</strong> L'homme-aux-pinceaux. Poussez-vous!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Puisque je vous dis qu'il y a une femme qui dort en moi!<br />

La femme-poignante:<br />

Avanchons !<br />

La dame-qui-finit:<br />

A Clamard. Et comme ça?<br />

Silence, il l'observe.<br />

Clamard:<br />

Faut voir... vous n'êtes pas tout à fait le personnage...<br />

La dame-qui-finit:<br />

Ne soyez pas désagréable, Clamard, j'en ai plié <strong>de</strong>s plus rai<strong>de</strong>s. Je veux bien payer <strong>de</strong><br />

ma personne mais il faut que chacun y mette du sien!<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

MOI TOUT PAREIL!<br />

Silence.<br />

La femme-poignante:<br />

Je eu aire un eort d'atiulation ou soti <strong>de</strong> ce cul <strong>de</strong> sac! Silence. JE EU AIRE UN<br />

EORT D ATIULATION OU SOTI DE CE CUL DE SAC!<br />

Silence.<br />

Clamard:<br />

Voyez! Je ne fais pas d'obstruction. Même lui n'a pas compris.<br />

21


L'homme-aux-pinceaux:<br />

Si, à la fin, cul <strong>de</strong> sac.<br />

Clamard:<br />

Et bien ça ne suffit pas!<br />

Surtout qu'à partir <strong>de</strong> quatre vingt cinq, c'est elle qui a parlé, après les thuyas elle s'est<br />

sentie forte, après les thuyas elle m'a écrasé.<br />

Long, long silence. Dans le fond on entend les bruits d'une fin <strong>de</strong> fête <strong>de</strong> plus en<br />

plus débridée.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Clamard?<br />

Clamard:<br />

Plait-il?<br />

La dame-qui-finit:<br />

Vous n'êtes qu'une mer<strong>de</strong> qui sèche au bout d'un radiateur. Silence. Je voulais que ce<br />

soit dit.<br />

Clamart:<br />

Ca ne me vexe pas.<br />

La femme-poignante:<br />

Vous êtes le Ambo <strong>de</strong>s couchés <strong>de</strong> soleil!<br />

Silence<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

C'est sévère.<br />

La femme-poignante:<br />

Mais uste!<br />

Silence.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Nos vies ne sont que <strong>de</strong>s crépuscules absur<strong>de</strong>s.<br />

Clamard:<br />

Ca ne me vexe pas non plus.<br />

Silence.<br />

La-femme-poignante sans que personne ne relève sa parfaite diction:<br />

22


Je voudrais dire que même après une épreuve pareille, je crois encore à l'amour, au<br />

pouvoir <strong>de</strong> l'amour, peut-être y crois-je encore plus fort?<br />

La dame-qui-finit:<br />

Ançoise, vous êtes une conne.<br />

Clamard:<br />

Tous les <strong>de</strong>ux, ce ne sera plus possible, n'est-ce pas? .<br />

La dame-qui-finit:<br />

<strong>Le</strong> silence appartient aux sourds.<br />

Silence.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Qui brise le <strong>de</strong>rnier vase. Quel gâchis! Je suis sûr qu'il y a une femme qui dort en<br />

moi.<br />

Clamard:<br />

La vie n'est qu'un tas <strong>de</strong> compromis.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Je vais partir. Je reviendrais. Je vais revenir. J'en ai vu d'autre, ne prenez pas ça pour<br />

un abandon.<br />

Clamard:<br />

Ca ne me vexe pas.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Nous finirons tous comme <strong>de</strong>s mouches sous la tapette.<br />

Clamard...<br />

Clamard:<br />

...Je sais.<br />

La dame-qui-finit:<br />

Ançoise...<br />

La femme-poignante:<br />

...Je sais.<br />

Elle sort.<br />

L'homme-aux-pinceaux:<br />

Ca <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus long, <strong>de</strong> plus en plus dur, même!<br />

Je le dis ça sans gravité.<br />

23


La femme-poignante:<br />

J’ajoute que c'est un calvaire, surtout la nuit.<br />

Clamard:<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon.<br />

La femme-poignante<br />

....<br />

Clamard:<br />

Si.<br />

Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon<br />

La-femme-poignante:<br />

Borborygmes <strong>de</strong> colère.<br />

La dame-qui-fini’entre et brise un vase puis ressort.<br />

Clamard:<br />

C'était laid.<br />

Si!<br />

J'en ai eu chez moi <strong>de</strong>s comme ceux là et longtemps mais maintenant c'est fini,<br />

<strong>de</strong>puis que je vis seul j'ai ouvert les yeux, la solitu<strong>de</strong> m'a ouvert les yeux, oui! J'ai<br />

appris à voir, à partager le beau du laid, oh! Ça ne s'est pas fait en un jour, j'ai dû me<br />

démolir pour me reconstruire, c'est très laid et elle a bien fait, surtout celui là, celui là<br />

est mieux maintenant qu'avant, je peux le dire, j'ai payé pour ça et je paye encore!<br />

Vous vous souvenez à quoi il ressemblait quand il tenait <strong>de</strong>bout? Si laid, c'est pas<br />

humain, moi aussi j'ai eu <strong>de</strong>s amis, il m'offrait <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, les salauds, je suis seul<br />

parce que ma femme m'a quitté, c'est elle, je ne vous l'avais pas dit, c'est un détail qui<br />

met en faiblesse et les femmes n'aiment pas, j'ai fait comme elle, tout le laid je l'ai<br />

cassé, je suis libre maintenant mais j'ai souvent envie <strong>de</strong> chialer, surtout le soir quand<br />

je sors dans le jardin et que le ciel se couche...<br />

La femme-poignante:<br />

A eule!<br />

Noir.<br />

24

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