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Leçon sur le rire sévignéen En dépit d'une année 1671 résolument ...

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La <strong>le</strong>ttre témoigne du <strong>rire</strong> mondain à l'œuvre à Paris et à Vitré, du <strong>rire</strong> comme « geste<br />

social » d'après l'expression d'Henri Bergson.<br />

Dans la société aristocratique du 17e sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> revêt deux fonctions, dont d'ail<strong>le</strong>urs la<br />

définition de Furetière rend compte. D'un côté, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est vecteur de cohésion mondaine, permet aux<br />

membres de l'aristocratie de faire corps, de se retrouver autour d'un sujet de divertissement,<br />

d'enjouement. A l'exact opposé, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est un moyen de condamner un individu, de l'exclure du<br />

groupe pour un motif lié <strong>le</strong> plus souvent à la représentation socia<strong>le</strong> qu'il donne de lui-même, jugée<br />

par <strong>le</strong>s autres ridicu<strong>le</strong>. Ainsi, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est ambiva<strong>le</strong>nt : il introduit comme il peut exclure, il permet de<br />

faire consensus comme il peut bannir. Par conséquent, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est un outil <strong>d'une</strong> extrême subtilité, un<br />

outil que nous pourrions qualifier d'« ironique » car sous l'apparence d'un <strong>rire</strong> de cohésion, une<br />

personne peut être raillée, peut devenir l'objet du mépris col<strong>le</strong>ctif. Celui qui rit cache son attaque<br />

sous l'aspect de l'attachement même.<br />

Dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres de Madame de Sévigné, ces deux figures du <strong>rire</strong> sont représentées. La<br />

rail<strong>le</strong>rie se porte <strong>sur</strong> deux personnes en particulier. A Paris, c'est « Mélusine », c'est-à-dire Madame<br />

de Montalais, qui suscite souvent <strong>le</strong> <strong>rire</strong> moqueur ou désapprobateur. Aux Rochers, c'est<br />

Mademoisel<strong>le</strong> du P<strong>le</strong>ssis, alias Madame de Kerlouche, qui reçoit <strong>le</strong>s foudres du <strong>rire</strong> <strong>sévignéen</strong>.<br />

Mélusine et Madame de Kerlouche incarnent dans <strong>le</strong> système épistolaire de Sévigné deux emplois<br />

de théâtre comique qui, quoi qu'ils fassent, tombent sous <strong>le</strong> coup du ridicu<strong>le</strong>. Le <strong>rire</strong> s'applique en<br />

premier lieu au comportement que Madame de Sévigné juge ridicu<strong>le</strong>. La nouvel<strong>le</strong> coiffure à la<br />

mode est considérée comme une terrib<strong>le</strong> faute de goût : « Mme de Nevers y vint [chez la duchesse<br />

de Ventadour], coiffée à faire <strong>rire</strong> ; il faut m'en croire, car vous savez comme j'aime la mode. […]<br />

Ma fil<strong>le</strong>, c'était la plus ridicu<strong>le</strong> chose qu'on peut imaginer. » écrit-el<strong>le</strong> <strong>le</strong> 18 février, p. 107-108. La<br />

marquise reviendra plus tard <strong>sur</strong> ce jugement hâtif afin d'approuver fina<strong>le</strong>ment la nouvel<strong>le</strong> tendance.<br />

Bien que la marquise apprécie la nouvel<strong>le</strong> coiffure à la mode, l'exemp<strong>le</strong> de Madame de Montalais<br />

ne parvient pas à emporter son adhésion. El<strong>le</strong> écrit <strong>le</strong> 8 mars <strong>1671</strong> (p. 137) : « La Marans disait<br />

l'autre jour chez Mme de La Fayette : « Ah, mon Dieu ! Il faut que je me fasse couper <strong>le</strong>s cheveux »<br />

Mme de La Fayette lui répondit bonnement : « Ah, mon Dieu ! Madame, ne <strong>le</strong> faites point ; cela ne<br />

sied bien qu'aux jeunes personnes. » La réplique cinglante de Madame de La Fayette, à laquel<strong>le</strong><br />

Madame de Sévigné adhère entièrement, sanctionne l'entorse à un règ<strong>le</strong> implicite de la mondanité<br />

qui est de se vêtir et de se coiffer en fonction de son âge, de ne pas prétendre ressemb<strong>le</strong>r à une jeune<br />

femme alors qu'on est âgée, comme la comtesse de Marans, de 38 ans. Et lorsque malgré<br />

l'avertissement de Madame de La Fayette, Mélusine se fait couper <strong>le</strong>s cheveux, <strong>le</strong> châtiment social<br />

s'abat sous la forme du <strong>rire</strong> : « Pour moi, je riais sous ma coiffe » écrit Madame de Sévigné, <strong>le</strong> 22<br />

avril (p. 159-160) et quelques pages plus loin (p.162) « La Marans a paru ridicu<strong>le</strong> au dernier point ;<br />

on riait à son nez de sa coiffure. » Le ridicu<strong>le</strong>, et en premier lieu physique, purement visuel, est un<br />

sujet de moquerie, source de fous <strong>rire</strong>s moqueurs que Madame de Sévigné se plaît à communiquer à<br />

sa fil<strong>le</strong>, d'autant plus que Madame de Montalais s'est rendue coupab<strong>le</strong> de médisance envers la<br />

comtesse de Grignan. La paro<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s propos sont aussi la cib<strong>le</strong> des rail<strong>le</strong>ries. C'est <strong>le</strong> cas de<br />

Courcel<strong>le</strong>s, époux trompé, qui explique innocemment qu'il ne peut enfi<strong>le</strong>r sa perruque car il a deux<br />

« bosses », <strong>le</strong> 20 février <strong>1671</strong> (p. 76). L'épistolière écrit : « Cette sottise nous a tous fait sortir de<br />

tab<strong>le</strong>, avant qu'on eût achevé de manger du fruit, de peur d'éclater à son nez. » Le pronom indéfini<br />

« tous » qui vient renforcer <strong>le</strong> pronom personnel de 4e personne accentue <strong>le</strong> contraste entre ceux qui<br />

connaissent <strong>le</strong> comportement de Madame de Courcel<strong>le</strong>s et l'homme trompé qui profère des propos<br />

sans se rendre compte de <strong>le</strong>ur doub<strong>le</strong> sens. De même, Mademoisel<strong>le</strong> du P<strong>le</strong>ssis, que Madame de<br />

Sévigné fréquente dans son domaine breton, est risib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> même motif. El<strong>le</strong> fait du langage,<br />

comme Courcel<strong>le</strong>s, un usage maladroit mais éga<strong>le</strong>ment dans son cas, malhonnête. L'épistolière écrit<br />

<strong>le</strong> 5 juil<strong>le</strong>t (p. 235) : « el<strong>le</strong> tomba dans <strong>le</strong> malheur de mentir <strong>sur</strong> je ne sais quoi ; en même temps, je<br />

la re<strong>le</strong>vai et lui dis qu'el<strong>le</strong> était menteuse. El<strong>le</strong> me répond en baissant <strong>le</strong>s yeux : « Ah ! Oui,<br />

madame, je suis la plus grande menteuse du monde, je vous remercie de m'en avertir. » Nous<br />

éclatâmes tous, car c'était du ton de Tartuffe : Oui, mon frère, je suis un misérab<strong>le</strong>, un vase<br />

d'iniquité, etc. » L'intertextualité certainement non souhaitée de Mademoisel<strong>le</strong> du P<strong>le</strong>ssis souligne<br />

son travers et l'inscrit dans une filiation comique. Sous la plume de la marquise, el<strong>le</strong> devient

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