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Leçon sur le rire sévignéen En dépit d'une année 1671 résolument ...

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Le <strong>rire</strong> est enfin une c<strong>le</strong>f vers l'intimité de l'épistolière : à travers lui, el<strong>le</strong> se dévoi<strong>le</strong>, se<br />

confie à sa destinataire.<br />

Grâce au <strong>rire</strong>, Madame de Sévigné transmet à sa fil<strong>le</strong> ce qui lui plaît, ce qui suscite chez el<strong>le</strong><br />

la joie de vivre. Par exemp<strong>le</strong>, presque toutes <strong>le</strong>s fois où el<strong>le</strong> par<strong>le</strong> de sa petite fil<strong>le</strong>, Marie-Blanche,<br />

la marquise emploie <strong>le</strong> verbe « <strong>rire</strong> ». Le 25 février, « Votre enfant embellit tous <strong>le</strong>s jours ; el<strong>le</strong> rit,<br />

el<strong>le</strong> connaît. », <strong>le</strong> 8 avril, « Votre petite devient aimab<strong>le</strong> ; on s'y attache. El<strong>le</strong> sera dans quinze jours<br />

une pataude blanche comme de la neige, qui ne cessera de <strong>rire</strong>. », <strong>le</strong> 15 avril, « El<strong>le</strong> est jolie, cette<br />

pauvre petite. El<strong>le</strong> vient <strong>le</strong> matin dans ma chambre ; el<strong>le</strong> rit, el<strong>le</strong> regarde. […] Je l'aime ; el<strong>le</strong><br />

m'amuse. » <strong>En</strong> effet, ce verbe « <strong>rire</strong> » dénote sans aucun doute l'enfance, ses joies et ses jeux. Mais<br />

loin de déc<strong>rire</strong> une caractéristique enfantine, Madame de Sévigné renvoie plutôt ici, il me semb<strong>le</strong>, à<br />

une relation entre sa petite-fil<strong>le</strong> et el<strong>le</strong> : Marie-Blanche rit car el<strong>le</strong> observe <strong>le</strong>s mimiques, <strong>le</strong>s farces<br />

de sa grand-mère. Le verbe opère donc une légère atténuation : au lieu de déc<strong>rire</strong> directement la<br />

relation, l'épistolière n'évoque que ses conséquences <strong>sur</strong> la petite fil<strong>le</strong>. Mais on l'a vu dans la<br />

dernière citation, Madame de Sévigné est capab<strong>le</strong> de nommer sans ambiguïté, sans effet de<br />

sourdine, son sentiment : el<strong>le</strong> l'aime. Ce sentiment est réciproque puisque la petite Marie-Blanche<br />

appel<strong>le</strong> sa grand-mère « maman » au mois de décembre <strong>1671</strong>, alors même qu'el<strong>le</strong>s furent séparées<br />

pendant presque sept mois : « On m'embrasse, on me connaît, on me rit, on m'appel<strong>le</strong>. Je suis<br />

Maman tout court, et de cel<strong>le</strong> de Provence, pas un mot. » (p. 378). Peut-être plus légère, l'affection<br />

de Madame de Sévigné pour <strong>le</strong>s Bretons se transmet éga<strong>le</strong>ment à sa fil<strong>le</strong> par <strong>le</strong> biais du <strong>rire</strong>. Après<br />

<strong>le</strong> début des États bretons, l'épistolière multiplie <strong>le</strong>s déclarations d'affection dans ses <strong>le</strong>ttres, el<strong>le</strong> qui<br />

rit de <strong>le</strong>ur repas bien trop alcoolisés (5 août, p. 268). El<strong>le</strong> conclut <strong>le</strong> 13 septembre : « J'aime nos<br />

Bretons ; ils sentent un peu <strong>le</strong> vin, mais votre f<strong>le</strong>ur d'orange ne cache pas de si bons cœurs. »<br />

(p. 307), la f<strong>le</strong>ur d'orange désignant métonymiquement <strong>le</strong>s Provençaux qui refusent de donner au<br />

comte de Grignan de quoi entretenir sa compagnie. Ainsi, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> apparaît bel et bien comme un<br />

langage du cœur puisque Madame de Sévigné utilise, dans ses <strong>le</strong>ttres, <strong>le</strong> mode du <strong>rire</strong> pour donner à<br />

entendre ses sentiments, son affection, sa sympathie.<br />

Le <strong>rire</strong> peut éga<strong>le</strong>ment être un vecteur de confidence, <strong>le</strong> signe distinctif d'un récit intime,<br />

qu'il serait diffici<strong>le</strong> de transmettre sans <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> du divertissement. C'est <strong>le</strong> cas pour <strong>le</strong>s mésaventures<br />

sexuel<strong>le</strong>s de Char<strong>le</strong>s. Le 8 avril, el<strong>le</strong> écrit à sa fil<strong>le</strong> : p. 134-135. L'impuissance de Char<strong>le</strong>s donne<br />

lieu à une scène de confidence, « Et ce qui vous paraîtra plaisant, c'est qu'il mourait d'envie de me<br />

conter sa déconvenue », <strong>le</strong> fils confie à sa mère son troub<strong>le</strong> et lui reproche l'héritage de sa froideur,<br />

tandis qu'el<strong>le</strong> tente de <strong>le</strong> ras<strong>sur</strong>er, sans parvenir ni à <strong>le</strong> conso<strong>le</strong>r ni à calmer son fou <strong>rire</strong>. Cette scène<br />

de confidence se trouve comme transposée au sein de l'échange épistolaire : la scène entre Char<strong>le</strong>s<br />

et sa mère engendre la confidence de la mère à la fil<strong>le</strong>. Nous percevons ce registre à travers un<br />

temps de suspens, d'attente toute remplie de joie anticipée, avant l'énonciation du problème : « et<br />

cependant oserais-je <strong>le</strong> dire ? Son dada demeura court à Lérida ». Dans cette perspective de<br />

confidence, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> a un rô<strong>le</strong> déterminant : <strong>le</strong> verbe est employé à deux reprises ce qui instaure pour<br />

la destinataire une atmosphère claire de divertissement. De plus, Madame de Sévigné multiplie <strong>le</strong>s<br />

références littéraires comiques. El<strong>le</strong> s'approprie une épître de Voiture <strong>sur</strong> l'échec militaire de Condé<br />

face à la vil<strong>le</strong> de Lérida, une scène de Bussy-Rabutin qui associe cet échec à l'impuissance, comme<br />

el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fait el<strong>le</strong>-même, el<strong>le</strong> convoque éga<strong>le</strong>ment Molière, puis <strong>sur</strong> <strong>le</strong> mode ironique, la tragédie en<br />

général et enfin la tragi-comédie sous la figure de Chimène. Nous pouvons aisément imaginer que<br />

l'ensemb<strong>le</strong> de ces références ne figurait pas dans la scène de confidence de Char<strong>le</strong>s mais a été<br />

introduit au moment de la rédaction de la marquise, afin <strong>d'une</strong> part, de faire <strong>rire</strong> sa destinataire, de<br />

communiquer l'enjouement et d'autre part, de parvenir à exprimer <strong>le</strong> sujet, qui est tout de même bien<br />

délicat à aborder dans ce milieu aristocratique. Le <strong>rire</strong> est donc un masque qui permet à l'épistolière<br />

de faire entendre une voix intime.<br />

<strong>En</strong>fin, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> offre la possibilité à la marquise de composer des scènes où el<strong>le</strong> ne tient pas un<br />

rô<strong>le</strong> très confortab<strong>le</strong>, et pour <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong> fait montre de dérision envers el<strong>le</strong>-même. Le 6<br />

septembre, el<strong>le</strong> se méprend <strong>sur</strong> <strong>le</strong> statut social d'un homme (p. 300) : « Je vis avant dîner, chez M.<br />

de Chaulnes, un homme au bout de la sal<strong>le</strong>, que je crus être <strong>le</strong> maître d'hôtel. J'allai à lui, et lui dis :<br />

« Mon pauvre Monsieur, faites-nous dîner ; il est une heure, je meurs de faim. » Cet homme me

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