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Leçon sur le rire sévignéen En dépit d'une année 1671 résolument ...

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la destinataire, une façon pour la marquise de ménager sa fil<strong>le</strong>.<br />

De plus, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est l'occasion d'éprouver l'efficacité de l'échange épistolaire. Il ne faut pas<br />

oublier qu'en <strong>dépit</strong> des soins diligents de Monsieur Dubois, des <strong>le</strong>ttres peuvent être perdues,<br />

peuvent parvenir au lieu de destination en retard. Le risque <strong>d'une</strong> conversation boiteuse est réel :<br />

« Quand on est si loin, on ne fait quasi rien, on ne dit quasi rien, qui ne soit hors de sa place. On<br />

p<strong>le</strong>ure quand il faut <strong>rire</strong>. On rit quand on devrait p<strong>le</strong>urer. » (p. 365, 06/12/71). Rire en temps voulu,<br />

rendre compte de son <strong>rire</strong> dans la bonne <strong>le</strong>ttre, c'est prouver à la marquise que la conversation<br />

fonctionne malgré la distance. Cette réf<strong>le</strong>xion explique <strong>le</strong> soin pris par, semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>le</strong>s deux femmes<br />

pour indiquer à sa destinataire que <strong>le</strong> récit comique l'a fait <strong>rire</strong>. Le 20 septembre, la marquise as<strong>sur</strong>e<br />

sa destinataire que son récit <strong>sur</strong> Carpentras était hilarant. De même, la marquise demande à sa fil<strong>le</strong><br />

si son étourderie – el<strong>le</strong> a pris un nob<strong>le</strong> de basse-Bretagne pour un maître d'hôtel – l'a fait <strong>rire</strong>, dans<br />

la <strong>le</strong>ttre du 4 octobre (p. 326). Le <strong>rire</strong> est aussi un moyen de réduire la distance qui sépare la mère<br />

de sa fil<strong>le</strong>, pour reprendre une rêverie de Madame de Sévigné, de monter <strong>sur</strong> un hypogriffe qui<br />

mènerait aux Rochers (15 juil<strong>le</strong>t, p. 244). <strong>En</strong> effet, pour faire <strong>rire</strong> sa fil<strong>le</strong>, la marquise utilise toutes<br />

<strong>le</strong>s ressources visuel<strong>le</strong>s ou sonores à sa disposition afin d'engendrer un fort effet de présence.<br />

Madame de Sévigné aime à pasticher l'accent de Madame de Ludres originaire de Lorraine. La<br />

marquise reproduit un de ses compliments dans la <strong>le</strong>ttre du 22 avril : « Ah ! Pour matame te<br />

Grignan, el<strong>le</strong> est atorab<strong>le</strong> » (p. 164). El<strong>le</strong> conclut <strong>le</strong> récit de la supposée maladie des fil<strong>le</strong>s de la<br />

Reine qui furent mordues par un chien enragé et plongées dans <strong>le</strong>s eaux de Dieppe, par cette<br />

remarque : « Ah, Jésus ! Matame te Crignan, l'étranse sose t'être zettée toute nue tans la mer. » (p.<br />

100, 13/03/71). El<strong>le</strong> fi<strong>le</strong> cette métaphore de la rage <strong>le</strong> 29 juil<strong>le</strong>t alors que Madame de Ludres vient<br />

d'apprendre <strong>le</strong> mariage du Comte d'Ayen avec Mademoisel<strong>le</strong> de Bournonvil<strong>le</strong>, en écrivant :<br />

« Matame te Ludres en est enrazée. » (p. 263, 29/07/71). Dans la même veine, l'épistolière transcrit<br />

<strong>le</strong> langage enfantin de Marie-Blanche afin d'offrir à sa mère <strong>le</strong> plaisir de ressentir, même<br />

facticement, la présence de son enfant : « El<strong>le</strong> par<strong>le</strong> plaisamment : et titata, tetita, y totata » (p. 382,<br />

25/12/71). A chaque fois, ces pastiches suscitent <strong>le</strong> <strong>rire</strong>, du moins, <strong>le</strong> sou<strong>rire</strong>, tout en effaçant la<br />

distance qui sépare <strong>le</strong>s deux femmes. Les ressources visuel<strong>le</strong>s sont el<strong>le</strong>s aussi convoquées pour<br />

créer cet effet de présence et, dans <strong>le</strong> même temps, supprimer la source de la déréliction de Madame<br />

de Sévigné, cette insoutenab<strong>le</strong> séparation. Pour rail<strong>le</strong>r la dévotion d'un c<strong>le</strong>rc de Livry, el<strong>le</strong> se met en<br />

scène. El<strong>le</strong> écrit <strong>le</strong> 27 juil<strong>le</strong>t : « Si j'avais présentement un verre d'eau <strong>sur</strong> la tête, il n'en tomberait<br />

pas une goutte. Si vous aviez vu notre homme de Livry <strong>le</strong> Jeudi saint, c'est bien pis que toute<br />

l'<strong>année</strong>. Il avait hier la tête plus droite qu'un cierge, et ses pas étaient si petits qu'il ne semblait pas<br />

qu'il marchât. » (p. 123). Bien que <strong>le</strong> lien entre sa propre personne et cet homme de Livry ne soit<br />

pas explicité, Madame de Sévigné laisse entendre que s'il avait lui-même un verre d'eau <strong>sur</strong> la tête,<br />

pas une goutte ne tomberait. Le procédé comique crée une image : Madame de Grignan peut<br />

visualiser sa mère en train de lui jouer une scène clownesque. A travers ces quelques exemp<strong>le</strong>s,<br />

nous cernons l'entreprise de rapprochement, de retrouvail<strong>le</strong>s imaginaires qui se cachent derrière <strong>le</strong><br />

<strong>rire</strong> des épistolières. Ainsi, <strong>le</strong> <strong>rire</strong> est un remède au mal de la séparation et une façon d'éradiquer<br />

concrètement cet éloignement.

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