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Leçon sur le rire sévignéen En dépit d'une année 1671 résolument ...

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personnage molièresque. Mais si Madame de Kerlouche ou Mélusine sont prétextes à la moquerie<br />

acerbe, au <strong>rire</strong> méchant, la rail<strong>le</strong>rie peut éga<strong>le</strong>ment être plus douce. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Bretons se<br />

trompent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> nom de la comtesse de Grignan (p. 283, 19/08/71) : « un Breton ayant voulu<br />

nommer votre nom et ne <strong>le</strong> sachant pas, s'est <strong>le</strong>vé, et a dit tout haut : « C'est donc à la santé de<br />

Madame de Carignan. » Cette sottise a fait <strong>rire</strong> M. de Chaulnes et d'Harouys jusqu'aux larmes. Les<br />

Bretons ont continué, croyant bien dire, et vous ne serez d'ici à plus de huit jours que Madame de<br />

Carignan ; quelques-uns disent la comtesse de Carignan ; voilà en quel état j'ai laissé <strong>le</strong>s choses. »<br />

La marquise rit de la « sottise » sans pour autant se permettre de reprendre <strong>le</strong> Breton à l'origine de la<br />

nouvel<strong>le</strong> dénomination, alors même qu'el<strong>le</strong> se plaît à corriger Mademoisel<strong>le</strong> du P<strong>le</strong>ssis, signe de son<br />

adhésion à la sottise. L'exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus frappant de cette douce rail<strong>le</strong>rie reste néanmoins Brancas<br />

qui suscite par ses étourderies nombre de fous <strong>rire</strong>s mais auquel la marquise est profondément<br />

attachée. El<strong>le</strong> écrit <strong>le</strong> 8 juil<strong>le</strong>t (p. 240) : « Vous savez comme Brancas m'aime ; il y a trois mois que<br />

je n'ai de ses nouvel<strong>le</strong>s. Cela n'est pas vraisemblab<strong>le</strong>, mais lui, il n'est pas vraisemblab<strong>le</strong> aussi. » Il<br />

semb<strong>le</strong> bien dans cette phrase que <strong>le</strong> sentiment qu'el<strong>le</strong> attribue à Brancas soit valab<strong>le</strong> dans l'autre<br />

sens. La moquerie est, dans ce cas, dénuée de toute hostilité et rejoint presque <strong>le</strong> second usage du<br />

<strong>rire</strong> dans <strong>le</strong>s cerc<strong>le</strong>s mondains.<br />

Se réjouir, se divertir, <strong>rire</strong> de bon cœur constituent un véritab<strong>le</strong> ciment social dans <strong>le</strong>s salons<br />

que fréquente Madame de Sévigné. Les <strong>le</strong>ctures des <strong>le</strong>ttres de sa fil<strong>le</strong> à Monsieur de La<br />

Rochefoucauld sont l'occasion de maintenir <strong>le</strong> souvenir de Madame de Grignan, de flatter l'ego de<br />

Madame de Sévigné, si fière de l'éloquence de sa fil<strong>le</strong>, et d'inclure la comtesse dans la société<br />

mondaine qu'el<strong>le</strong> a dû quitter. El<strong>le</strong> écrit <strong>le</strong> 1er février : « Je n'ai jamais rien vu de si plaisant que ce<br />

que vous m'écrivez là-dessus. Je l'ai lu à M. de la Rochefoucauld ; il en ri de tout son cœur. » Ces<br />

scènes de <strong>le</strong>cture se multiplient et pas uniquement pour <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres de Madame de Grignan, <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />

de Char<strong>le</strong>s sont éga<strong>le</strong>ment lues et appréciées dans <strong>le</strong>s salons (p. 131). Les <strong>le</strong>ttres circu<strong>le</strong>nt,<br />

participent à une émulation comique, maintiennent la présence des êtres absents, permettent de faire<br />

corps, de resserrer <strong>le</strong>s liens de la communauté. Plus encore, <strong>le</strong>s farces sont l'occasion d'un <strong>rire</strong> de<br />

groupe. Madame de Sévigné rapporte par exemp<strong>le</strong> la farce faite au père Desmares (20 mars, p.<br />

112) : « On donna l'autre jour au P. Desmares un bil<strong>le</strong>t en montant en chaire. Il <strong>le</strong> lut avec ses<br />

lunettes. C'était : De par Monseigneur de Paris, On déclare à tous <strong>le</strong>s maris Que <strong>le</strong>urs femmes on<br />

baisera, Al<strong>le</strong>luia ! Il en lut plus de la moitié ; on pensa mourir de <strong>rire</strong>. Il y a des gens de bonne<br />

humeur, comme vous voyez. » La marquise participe même à l'une de ces farces, en faisant croire à<br />

La P<strong>le</strong>ssis qu'el<strong>le</strong> est jalouse de l'une de ses amies. La farce se fait ici aux dépens de<br />

« l'exagéreuse », comme la marquise l'appel<strong>le</strong>, mais permet à la mère et à la fil<strong>le</strong> de ressouder <strong>le</strong>ur<br />

relation. Le <strong>rire</strong> apparaît éga<strong>le</strong>ment comme un signe de reconnaissance de nob<strong>le</strong>sse de sang et<br />

d'esprit. Madame de Sévigné rencontre Madame de Chaulnes, accompagnée de Pomenars et de la<br />

Murinette beauté, c'est-à-dire Marie-Anne du Murinais, en riant (26 juil<strong>le</strong>t, p. 256) : « Je vois ouvrir<br />

ma porte par une grande femme de très bonne mine ; cette femme s'étouffait de <strong>rire</strong>, et cachait<br />

derrière el<strong>le</strong> un homme qui riait plus fort qu'el<strong>le</strong> ; cet homme était suivi <strong>d'une</strong> femme fort bien faite<br />

qui riait aussi ; et moi, je me mis à <strong>rire</strong> sans <strong>le</strong>s reconnaître et sans savoir ce qui <strong>le</strong>s faisait <strong>rire</strong>. » Le<br />

<strong>rire</strong> est donc bel et bel un langage mondain que maîtrise parfaitement la marquise de Sévigné. Les<br />

<strong>le</strong>ttres se font l'écho de cette pratique socia<strong>le</strong> et deviennent dès lors une chronique mondaine à<br />

l'attention de Madame de Grignan. Néanmoins, <strong>le</strong>s usages du <strong>rire</strong> dans la correspondance avec sa<br />

fil<strong>le</strong> ne se limitent pas à cet exercice de sty<strong>le</strong>, la marquise s'approprie cette ressource du <strong>rire</strong> et la<br />

détourne de ses visées habituel<strong>le</strong>s afin de créer un échange épistolaire spécifique.

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