L 108, C
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GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE<br />
M<br />
Collection de Documents inédits et d'Etudes<br />
sur l'Histoire de l'Algérie<br />
III" SÉRIE —<br />
Tome I<br />
ÉTUDES<br />
LES BUREAUX ARABES<br />
ET<br />
EVOLUTION des GENRES de VIE INDIGENES<br />
DANS<br />
L'OUEST DU TELL ALGÉROIS<br />
(DAHRA, CHÉLIF, OUARSENIS, SERSOU)<br />
.PAR<br />
Xavier YACONO<br />
DOCTEUR ES -LETTRES<br />
EDITIONS LAROSE<br />
11, rue Victor-Cousin<br />
- PARIS<br />
(V«)<br />
1953<br />
-<br />
L <strong>108</strong>, C<br />
I
LES BUREAUX ARABES<br />
ET L'EVOLUTION DES GENRES DE VIE INDIGENES<br />
-<br />
DANS L'OUEST DU TELL ALGEROIS<br />
Page 4, ligne 20, lire : Dërmenghem.<br />
Page 14, ligne 19, lire : logements.<br />
ERRATA<br />
Page 14, référence (2), ligne 3, lire : premières.<br />
Page 17, ligne 13, lire :, inscription.<br />
Page 18, dernière ligne, lire : modifiée.<br />
Page 20, ligne 19, et page 21 (références), lire : Trinquand.<br />
Page 20, ligne 24, lire 1871 au lieu de. 1870.<br />
Page 22, ligne 2.7, lire : parfois.<br />
Page 36, ligne 2, lire : surtout.<br />
Page 52, référence (1), lire : possession.<br />
Page 53,"<br />
ligne 19, lire : bled el baroud.<br />
Page 56, ligne 17, lire : eaux du Nahr Ouassel.<br />
Page 84, ligne 13, lire : condition officielle.<br />
Page 85 l'rne 23, lire : bureau arabe. » (3)<br />
Page 89, ligne 1, lire : seulement.<br />
Page 110, ligne 16, lire : des existences.<br />
Page 113. ligne 31, lire : s'être opposés.<br />
Page 114, ligne 2, lire : inspirée.<br />
Page 174, ligne 5, lire : il travailla.<br />
Page 184, ligné 26, lire : On retrouve.<br />
Page 190,<br />
ligne 19,. lire : prendraient.<br />
Page 269, ligne 15, lire : le travail.<br />
Page 271,<br />
ligne"<br />
5, lire : pommes de terre.<br />
Page 275. ligne 28, lire : la pépinière.<br />
Page 276. ligne 11, lire : autorité française ; et ligne 14 : en villages.<br />
Page 284, dernière ligne, lire : diminué.<br />
Page 296, ligne 5, lire : s'améliorer.<br />
Page 302 référence (2), lire : les sorghos à grains.<br />
Page 320 ligne 31, lire : des touizas.<br />
Page 385, ligne 14, lire : soulèvent.<br />
Page 396, ligne 6 du titre 443, lire -.Déliais (crieurs publics).<br />
Page 402, ligne 2,3, lire : cercle de Ténès.<br />
Page 411, au N» 22, lire : Richard.<br />
Page 413, au N° 36, lire : algérienne.<br />
Page 417, au N° 74, supprimer la première ligne et la remplacer par :<br />
£,. de La Sicotière : Rapport au nom de la Commission d'en-<br />
Page 431, ligne 36, lire : étude des Bureaux:<br />
Page 444, lire : Trinquand.
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE<br />
Collection de Documents inédits et d'Etudes<br />
sur l'Histoire de l'Algérie<br />
II 1« SÉRIE -<br />
Tome I<br />
ÉTUDES<br />
LES BUREAUX ARABES<br />
ET<br />
*** ' i<br />
-io%j<br />
L'EVOLUTION des GENRES de VIE INDIGENES<br />
DANS<br />
L'OUEST DU TELL ALGÉROIS<br />
(DAHRA, CHÉLIF, OUARSENIS, SERSOU)<br />
PAR<br />
£ Xavier YACONO<br />
*L<strong>108</strong>/C/I*<br />
ilIliilNII lilil!<br />
BUAlger<br />
DOCTEUR ES -LETTRES<br />
_J[<br />
-<br />
EDITIONS LAROSE<br />
11,<br />
- PARIS<br />
rue Victor-Cousin<br />
(V*)<br />
1953<br />
-<br />
*LGER<br />
/ ^ 1
AVERTISSEMENT<br />
Dans les documents cités nous avons respecté l'orthogra<br />
phe des noms arabes et par suite le même nom peut se pré<br />
senter sous des formes sensiblement différentes lorsqu'il s'agit<br />
de documents n'ayant pas la même origine. En ce qui nous<br />
concerne, nous avons adopté, chaque fois que la chose était<br />
possible, l'orthographe du Bulletin Officiel.<br />
Les termes d'Arabes et de Kabyles sont employés avec le<br />
sens que leur accordent les documents de l'époque, le premier<br />
désignant le plus souvent l'ensemble de la population indigène<br />
et le second seulement les populations montagnardes. Nous<br />
avons reculé devant l'emploi systématique de l'expression « les<br />
Arabo-Berbères » qui constituerait ici un anachronisme.<br />
Pour les références bibliographiques au bas des pages<br />
nous avons utilisé les abréviations suivantes :<br />
B. O. = Bulletin Officiel du Gouvernement Général de l'Al<br />
gérie (1).<br />
N. = Archives Nationales de la sous-série F. 80; la lettre N<br />
est suivie du numéro du carton, de l'année et du lieu.<br />
Exemple : N.475, 1856, Miliana.<br />
M. G. = Archives du Ministère de la Guerre, les lettres MG<br />
étant suivies du numéro du carton.Exemple : M.G. 208.<br />
G. = Archives du Gouvernement Général de l'Algérie ;<br />
sauf indications contraires, il s'agit de la série I.<br />
S. C. = Archives du Sénatus-Consulte de 1863 (2).<br />
D. A-<br />
= Archives départementales d'Alger. Exemple :
— 8 —<br />
Pour préciser les dates nous employons T pour trimestre<br />
et q. pour quinzaine. Lorsqu'il y a lieu nous donnons, après les<br />
abréviations, le titre du document intéressé.<br />
Les références aux ouvrages imprimés sont indiquées par<br />
le nom de l'auteur suivi de deux nombres : le premier, placé<br />
entre parenthèses, renvoie au numéro correspondant de la<br />
bibliographie pour toutes précisions sur l'ouvrage; le second<br />
indique la page : Richard (18) 58.<br />
A la page 432 un petit Lexique donne le sens des mots indi<br />
gènes que l'on trouve dans le texte.<br />
Pour la situation des tribus et des douars-communes on se<br />
reportera à la carte et au tableau hors-texte à la fin de l'ouvrage.
INTRODUCTION<br />
Objet et limites de cette étude<br />
Ce travail a une double origine : une suggestion de M.<br />
Isnard, professeur à la Faculté d'Aix, qui a attiré notre atten<br />
tion sur l'intérêt que pouvait présenter l'étude des Bureaux<br />
arabes, et une conférence (1) de M. Despois, professeur à la<br />
Faculté d'Alger, soulignant l'affaiblissement du paysanat nord-<br />
africain sous les coups des Arabes, à partir du XIe siècle surtout.<br />
Cette classe paysanne s'effaçant devant une société no<br />
made, dans les régions de plaines notamment, c'est là un phé<br />
nomène essentiel sur lequel historiens et géographes ont attiré<br />
l'attention, et souvent brillamment (2). Mais ce qui, à notre<br />
sens, est resté dans l'ombre, ce sont les tentatives faites pour<br />
reconstituer ce paysanat ou tout au moins pour l'étendre lors<br />
que l'élément sédentaire avait pu se maintenir. Actuellement,<br />
en 1950, le Gouvernement Général de l'Algérie s'enorgueillit<br />
de l'oeuvre des Secteurs d'amélioration rurale couvrant déjà<br />
plus de 540.000 hectares (sans compter les S.A.R. d'élevage),<br />
de dizaines de milliers d'oliviers plantés pour les nouveaux<br />
fellahs, de la construction de plusieurs villages d'éleveurs ou<br />
s'<br />
de cultivateurs ajoutant à celle de 18 fermes-pilotes, de l'équi<br />
pement de nombreux points d'eau... Les projets se multiplient,<br />
visant à recaser ou à éduquer les fellahs du Tell, à sédentariser<br />
les pasteurs du Sud. On envisage en particulier la création<br />
d'agglomérations rurales de 60 à 250 maisons groupées autour<br />
du centre civique, avec écoles, maison commune, bureau de<br />
poste,<br />
salle de consultations et aussi ferme-modèle (3).<br />
(1) En avril 1947 au Centre d'études économiques et sociales de l'Afrique<br />
française.<br />
(2) Par exemple :<br />
E.-F. Gautier : Le passé de l'Afrique du Nord,, p. 409-423.<br />
J. Despois : La Tunisie orientale. Sahel et Basse Steppe, p. 177 à 183 surtout.<br />
G. Marçais : La Berbérie musulmane et l'Orient au Moyen Age,<br />
suivantes.<br />
p. 208 et<br />
(3) Documents algériens n° 69 du 25 avril 1950 - Essor de VAlgérie. Al<br />
ger 1947.
— 10 —<br />
Mais si l'œuvre semble devoir en imposer par son ampleur,<br />
et ses conséqsuences économiques et sociales,<br />
c'est à tort qu'on<br />
lui attribue un caractère de nouveauté, oubliant une tentative<br />
déjà ancienne, celle des Bureaux arabes, sous la Seconde Répu<br />
blique et le Second Empire. Le succès n'a pas souvent couronné<br />
les efforts de ces militaires, et nous en chercherons les raisons,<br />
mais l'œuvre .entreprise méritait d'être étudiée,<br />
un échec pou<br />
vant être aussi riche d'enseignements que la plus remarquable<br />
des réussites.<br />
Origine des> Bureaux arabes (1)<br />
On sait comment furent créés les Bureaux arabes. Le pro<br />
blème de l'administration des Indigènes se posa,<br />
au lendemain<br />
même de la conquête, à un commandement manquant d'infor<br />
mations comme de doctrine et qui,<br />
ayant détruit toute l'orga<br />
nisation turque, se trouva brusquement en plein chaos. Les<br />
Affaires arabes furent d'abord traitées dans le cabinet du<br />
général en chef, mais, faute de compétence, les officiers de<br />
l'Etat-Major ne tenaient pas à conserver cette besogne et la<br />
tâche capitale de gouverner les Indigènes fut confiée à un<br />
« agha des Arabes » chargé des relations avec les tribus. Ins<br />
pirée, semble-t-il, à l'intendant en chef Denniée, par l'exemple<br />
des Turcs, cette idée pouvait être excellente, mais il eût fallu<br />
faire un bon choix et s'y tenir. Or, chacun des trois premiers<br />
commandants en chef eut son agha. Avec Bourmont ce fut<br />
Hamdane ben Aminé el Secca, un marchand maure d'Alger,<br />
malhonnête et timoré, méprisé par les Indigènes et qui ne pou<br />
vait réussir. Clauzel le remplaça par le chef d'escadron de gen<br />
darmerie Mendiri, lequel, ignorant la langue, la religion et les<br />
mœurs du pays, se montra, pour des raisons différentes, aussi<br />
médiocre que son prédécesseur. Berthezène crut avoir trouvé<br />
l'homme qu'il fallait en la personne de Mahi ed Dine es Seghir<br />
ben Embarek, d'une famille maraboutique de Koléa, mais, si<br />
le choix était meilleur, il ne put en résulter cependant aucune<br />
(1) II1 s'agit des Bureaux arabes du territoire militaire, à l'exclusion des<br />
Bureaux arabes départementaux placés sous l'autorité du préfet et s'occu-<br />
pant de l'administration des Indigènes du territoire civil. Ces Bureaux ara<br />
bes départementaux n'existèrent d'ailleurs que de 1854 à 1868 : leur origine<br />
a fait l'objet d'un article très documenté de P. Boyer dans la Revue Africaine,<br />
1" et 2" trimestres 1953.
11<br />
conséquence heureuse, car Mahi ed Dine, furieux par suite de<br />
l'arrestation de ses cousins, rompit avec le commandement<br />
français.<br />
Rovigo, qui succéda à Berthezène, avait constitué avec son<br />
secrétaire et des interprètes plus ou moins qualifiés un « cabi<br />
net arabe où se traitaient sous les yeux du duc, qui n'y voyait<br />
rien, toutes les affaires diplomatiques avec les gens du<br />
pays » (1). Mais ce n'était là qu'un « service secret » n'ayant<br />
aucune existence officielle. Lorsque Rovigo, malade, regagna la<br />
France, le commandant en chef, par intérim, Avizard, conseillé<br />
par le général Trézel, chef d'état-major, voulut régulariser<br />
ce qui se faisait auparavant et, en mars 1833, il institua un<br />
« bureau particulier des affaires arabes » pour « suivre avec<br />
sûreté et succès les relations avec les tribus » (2). Le fonc<br />
tionnement du bureau reposa sur le capitaine La Moricière,<br />
le seul officier ayant alors une sérieuse connaissance de l'arabe<br />
et que l'on avait pris l'habitude de consulter sur toutes choses;<br />
il réussit parfaitement dans sa tâche, visitant les Indigènes<br />
dans les douars, rassemblant les renseignements sur les tribus<br />
et effectuant une habile propagande auprès d'elles jusqu'au<br />
jour où il renonça à ses fonctions pour participer à l'expédition<br />
de Bougie, cédant la place au vieil orientaliste Delaporte qui,<br />
faute de pouvoir monter à cheval, ne fut qu'un homme de<br />
cabinet (3).<br />
Vint Drouet d'Erlon et avec lui un nouveau changement :<br />
la fonction d'agha des Arabes fut rétablie en 1835 au profit<br />
du lieutenant-colonel Marey-Monge, très qualifié d'ailleurs<br />
pour administrer les Indigènes et dans lequel Cottenest voit<br />
le « premier chef de Bureau arabe » ; mais comme on continua<br />
à utiliser les officiers de l'ancien bureau, les Indigènes eurent<br />
l'impression d'un double commandement, d'où une certaine<br />
confusion. De plus, le nouvel agha parcourant sans cesse la<br />
Mitidja pour faire prédominer l'autorité française, le comman<br />
dant supérieur d'Alger ne pouvait être à tous moments rensei<br />
gné sur le détail des affaires (4).<br />
(1) La Moricière cité dans Keller (72) 80.<br />
(2) Avizard cité par Azan (34) 104.<br />
(3) Keller (72) 79-83. Hugonnet (6) 175-176. Bernard (41) 249.<br />
(4) Cottenest (3) 87. Azan (34) 140-141. H Hugonnet (6) 174-189.
--12 —<br />
Aussi Damrémont condamna cette<br />
1837, l'ancien Bureau arabe se trouva<br />
institution et, en avril<br />
rétabli sous l'étiquette<br />
plus importante de «<br />
arabes »<br />
Direction des affaires<br />
ayant<br />
pour but « de faciliter et d'étudier nos rapports avec les tribus<br />
de l'intérieur, de les attirer sous notre<br />
domination en respec<br />
tant leurs usages, en protégeant leurs intérêts, en leur faisant<br />
rendre bonne et exacte justice, en maintenant parmi elles 1 or<br />
dre et la paix » (1). Le capitaine Pellissier de Reynaud, l'auteur<br />
des « Annales Algériennes », déjà attaché au premier Bureau<br />
arabe, dirigea cet organisme dont il fit un service important.<br />
Mais il ne s'entendit pas avec Valée, successeur de Damré<br />
mont, et, en mars 1839, la Direction des affaires<br />
arabes était<br />
abolie et ses attributions conférées à l'Etat-Major général, pres<br />
que comme aux premiers jours de la conquête; du Service des<br />
Affaires indigènes en voie de création, il ne resta,<br />
après Pellis<br />
sier, que des fonctions de police qu'exerça surtout le capitaine<br />
d'AUonville.<br />
Il faut attendre Bugeaud pour voir s'instaurer un régime<br />
plus stable. II comprend la nécessité de créer, à côté de l'Etat-<br />
Major s'occupant des opérations militaires,<br />
un organisme dif<br />
férent, de caractère plutôt administratif et chargé plus spécia<br />
lement des tribus. Selon le nouveau gouverneur, l'organisation<br />
d'Abd-el-Kader, avec sa hiérarchie de chefs, pouvait être con<br />
servée et les tribus gouvernées par des notables indigènes à<br />
condition de contrôler ces derniers. Cet organisme de contrôle<br />
fut la « Direction des affaires arabes » rétablie par un arrêté<br />
du 16 août 1841 et confiée à un officier ayant autorité sur tous<br />
les fonctionnaires indigènes. Par ses qualiltés, le rôle qu'il<br />
avait joué comme consul de France à Mascara lors de l'appli<br />
cation du traité de la Tafna, la manière dont il avait dirigé<br />
la politique indigène dans la province d'Oran, le crédit dont<br />
il jouissait auprès de Bugeaud, le commandant Daumas, pro<br />
mu directeur, contribua beaucoup au prestige de cette institu<br />
tion naissante (2).<br />
(1) Cité dans Foucher (67) 12.<br />
(2) Daumas avait créé dans la province d'Oran, dirigée par La Moricière,<br />
un bureau de renseignements parfaitement organisé qui servit de modèle.<br />
PEYRONNET (87) II, 121-128. ROUSSET (93) 287.
-13 —<br />
La conquête fit le reste. Le service central créé en 1841<br />
s'avéra vite insuffisant. L'extension du territoire soumis à<br />
l'autorité française provoqua la création de bureaux arabes<br />
dans les principaux centres de l'intérieur : 21 dès 1844, nés<br />
de la force des choses et non en vertu d'un système préconçu<br />
qu'on voulut imposer au pays. Et bientôt Bugeaud disposa<br />
d'une administration dont les fonctions grandissaient tous les<br />
jours, mais qu'aucun statut ne régissait. D'où l'arrêté minis<br />
tériel du lep<br />
février 1844 considéré à juste titre comme l'acte<br />
de naissance des Bureaux arabes. Complété par un véritable<br />
code des mesures administratives et judiciaires applicables<br />
aux tribus (1), cet arrêté fut la charte de la nouvelle institu<br />
tion jusqu'à la circulaire de Mac Mahon du 21 mars 1867 qui<br />
devait le modifier et surtout le préciser.<br />
Organisation des Bureaux arabes<br />
Des bureaux arabes étaient institués dans les principales<br />
localités, les uns dits de première classe et se trouvant auprès<br />
des généraux commandant les subdivisions, les autres de<br />
deuxième classe,<br />
et assistant les officiers supérieurs placés à<br />
la tête des cercles : au total une trentaire vers 1852, 41 et 5<br />
annexes à la fin du Second Empire. Ces bureaux dépendaient<br />
de la Direction des affaires arabes de leur province laquelle<br />
était sous l'autorité du général commandant la Division. Indé<br />
pendamment de ses attributions comme Direction division<br />
naire, la Direction d'Alger centralisait le travail des Directions<br />
d'Oran et de Constantine; fonctionnant sous le contrôle immé<br />
diat du Gouverneur Général, elle prenait le titre de Direction<br />
centrale des affaires arabes. Par la suite,<br />
cette centralisation<br />
fut assurée par un organisme spécial appelé Bureau politique.<br />
(1) Ce code rédigé par Daumas et approuvé par Bugeaud comporte tout<br />
d'abord l'étude des diverses races qui peuplent l'Algérie, puis celle des bases<br />
de l'organisation d'Abd-el-Kader et de l'organisation française. Il précise<br />
longuement les attributions des autorités et en particulier celles des officiers<br />
chargés des affaires arabes. Il consacre un chapitre à la justice et un autre<br />
aux impôts. Il se termine par la reproduction de plusieurs arrêtés, instruc<br />
tions et circulaires, notamment les trois circulaires fondamentales de Bu<br />
geaud des 2 janvier, 17 septembre et 15 novembre 1844 (4).
— 14 —<br />
Chaque bureau de cercle ou de<br />
personnel peu nombreux si l'on<br />
toire administré et la variété des<br />
subdivision comportait un<br />
considère l'étendue du terri<br />
attributions. Pour ne prendre<br />
qu'un exemple, le bureau très important de la subdivision<br />
d'Orléansville comptait en 1852 : un chef d'escadron respon<br />
sable du bureau, un lieutenant d'infanterie adjoint titulaire,<br />
un sous-lieutenant d'infanterie adjoint, un sous-lieutenant de<br />
spahis indigènes,<br />
un officier de santé, un interprète, un cadi,<br />
un khodja, deux secrétaires copistes, un chaouch, soit au total<br />
11 personnes, et, comme troupes, 25 spahis et 8 mekhazenis (1).<br />
La présence côte à côte de fonctionnaires français et de fonc<br />
tionnaires indigènes traduisait le rôle de trait d'union entre<br />
les deux populations que Bugeaud, dès le début,<br />
au bureau arabe.<br />
avait assigné<br />
L'installation matérielle était aussi satisfaisante que pos<br />
sible et l'on a souvent représenté le chef du bureau arabe ins<br />
tallé dans son bordj comme le seigneur féodal dans son châ<br />
teau-fort. A Orléansville, les bâtiments abritaient : les loge<br />
ment des officiers, les salles de rapports, une bibliothèque (2),<br />
une salle d'archives, une pharmacie, les écuries et les prisons.<br />
Du bureau arabe dépendait également le dar ad diaf, hôtelle<br />
rie gratuite, toujours ouverte, et qui hébergeait tous les Indi<br />
gènes que leur service ou leurs affaires privées amenaient au<br />
bureau arabe (3).<br />
Tous les bureaux arabes que nous avons étudiés (Orléans-<br />
ville, Ténès, Miliana, Cherchel, Téniet-el-Had) donnent l'im-<br />
(1) N 447, 1852, Orléansville et Miliana, Inspections. Les mekhazenis<br />
étaient les cavaliers faisant le service auprès des bureaux arabes. On les dé<br />
signaient aussi, suivant les localités, sous les noms de deîra, kriéla, mekahelia.<br />
asker.<br />
On trouvait au bureau de la subdivision de Miliana à peu près le même<br />
personnel qu'à Orléansville : 11 agents auxquels s'ajoutaient 15 spahis et 1<br />
brigadier. Les bureaux des cercles disposaient d'un personnel sensiblement<br />
moindre.<br />
(2) Nous avons trouvé aux Archives Nationales (F. 80, 1713 F. Inspec<br />
tion générale des bureaux arabes de 1852. Rapport d'ensemble du Gl Randon)<br />
la liste des ouvrages déposés dès les premires années, dans les bibliothèques<br />
des bureaux arabes. Ce sont des livres d'histoire, de géographie et de linguis<br />
tique mais, fait extraordinaire Ibrsque l'on songe à ce que l'on exigea de ces<br />
officiers, aucun traité sur l'art de bâtir, de cultiver ou de pratiquer l'élevage<br />
Cette lacune n'est peut-être pas étrangère aux échecs que nous enregistre<br />
rons.<br />
(3) Rinn (26) Livre X, 1" chapitre.
15 —<br />
pression de cellules bien constituées et pleines de vitalité. Leurs<br />
archives nous font connaître dans son infinie variété l'immense<br />
labeur accompli par les officiers auxquels Bugeaud avait<br />
confié le monde indigène. Ce sont ces archives, consultées à<br />
Alger et à Paris, qui ont servi de base à cet ouvrage.<br />
Fonctions des Bureaux arabes<br />
Daumas définissait ainsi le bureau arabe : « Cette insti<br />
tution a pour objet d'assurer la pacification durable des tribus.<br />
par une administration juste et régulière,<br />
comme de préparer<br />
les voies à notre colonisation, à notre commerce, par le main<br />
tien de la sécurité publique, la protection de tous les intérêts<br />
légitimes et l'augmentation du bien-être chez les indigènes.<br />
Ses agents doivent tendre de plus en plus à préparer la solution<br />
pacifique de toutes les difficultés qui n'ont que trop souvent<br />
exigé l'emploi de la force, et à surmonter tous les obstacles que<br />
nous oppose une société si différente de la nôtre par les mœurs<br />
et la religion. Par l'étude du pays et l'appréciation de tous les<br />
intérêts qui font mouvoir la population arabe, ils parviendront<br />
à indiquer l'emploi le plus utile et le plus opportun de la force<br />
militaire en cas d'insurrection, et prépareront la répression de<br />
toute révolte par les moyens les plus expéditifs et les moins<br />
onéreux. Enfin ils doivent s'efforcer d'amener les indigènes à<br />
accepter avec le moins de répugnance possible et notre domi<br />
nation et les éléments du gouvernement qui doivent l'affer<br />
mir » (1).<br />
Ce sont là les instructions d'un Directeur d'administra<br />
tion. Voici maintenant l'énumération un peu fastidieuse, mais<br />
fort instructive, des fonctions d'un bureau arabe d'après le<br />
colonel commandant la subdivision de Miliana en 1852 (2).<br />
Selon cet officier le service se partage en service actif et ser-<br />
(1) Cité par Foucher (67) 25 Hugonnet, chef de bureau arabe à La<br />
Calle, a défini le bureau arabe en une formule lapidaire souvent reprise de<br />
puis : « Le bureau arabe, écrit-il, est le trait d'union entre l'a race euro<br />
péenne qui s'est implantée en Algérie depuis 1830 et l'indigène qui occupait<br />
auparavant ce pays et l'occupe encore » (6) 5-6.<br />
(2) N 447, 1852, Miliana, Inspection.
16<br />
vice sédentaire ayant pour objets<br />
tuellement) :<br />
principaux (nous citons tex<br />
« Service actif : recensement sur le terrain de la pop<br />
tion arabe par tribus et fractions de tribu (habitants des mai<br />
sons, tentes ou gourbis); recensement à l'époque des labours<br />
des charrues (1) qu'ils cultivent ;<br />
successives<br />
tournées<br />
pour<br />
constater l'état des récoltes;<br />
de l'année des propriétés des indigènes en<br />
moutons, chèvres; vérification des<br />
recensement au commencement<br />
renseignements à prendre pour compléter les<br />
cessaires à l'établissement des statistiques;<br />
chameaux, bœu s,<br />
premiers résultats obtenus,<br />
documents né<br />
courses dans les<br />
tribus lors de la perception des impôts pour s'assurer qu'il n y<br />
a pas de malversations commises;<br />
étude du pays avec la carte<br />
pour se mettre en mesure de diriger les colonnes, reconnaître<br />
les cours d'eau, les sources, les constructions, les silos,<br />
les en<br />
droits propres aux bivouacs des troupes en colonne; surveil<br />
lance des marchés; reconnaissance des terres du beylik soit<br />
pour en prendre possession,<br />
tion; étude des forêts qui doivent revenir au gouvernement et<br />
être remises à l'administration; présidence des medjelès (2)<br />
soit pour les livrer à la colonisa<br />
importants ayant pour but de régler les limites entre les tribus<br />
limitrophes ou quelquefois entre les fractions d'une même<br />
tribu; recherche des emplacements où doivent se faire des<br />
constructions; surveillance de ces constructions lors de leur<br />
achèvement et ensuite des réparations à y faire; surveillance<br />
des plantations; étude sur les lieux des travaux d'utilité publi<br />
que; surveillance et police des routes;<br />
tions militaires ».<br />
absences pour expédi<br />
« Service sédentaire : audition des réclamations portées<br />
soit par des Européens, soit par des Arabes, suite à leur don<br />
ner; contestations; correspondance du général commandant la<br />
subdivision avec la Division et les commandants supérieurs<br />
des cercles (affaires arabes); élaboration des questions sou-<br />
(l)La i charrue » est en principe la superficie labourable par une char<br />
mais-<br />
rue. Cette superficie varie évidemment avec le sol et le aussi<br />
relief,<br />
avec la force de l'attelage et le temps dont on a disposé pour les labours.<br />
Dans notre région elle se tient entre 7 et 16 hectares.<br />
(2) Les medjelès sont des juridictions composées de eadis, muphtis et<br />
ulémas.
— — 17<br />
mises à l'examen des commandants de territoires;<br />
mise au net<br />
des renseignements recueillis dans les tournées ou autrement;<br />
établissement des statistiques ; notes historiques et adminis<br />
tratives sur les tribus; biographies des chefs arabes; établis<br />
sement de listes contradictoires pour servir à la confection des<br />
rôles d'impôts; établissement des listes par douars pour le<br />
prélèvement de l'impôt; rédaction des rapports mensuels; tra<br />
duction et vérification des carnets des chefs indigènes pour<br />
les amendes; règlement et comptabilité des amendes; surveil<br />
lance et contrôle du medjelès; vérification des jugements ren<br />
dus soit par le medjelès, soit par le cadhy du Bureau, soit enfin<br />
par les cadhys des tribus; comptabilité de la maison des hôtes;<br />
surveillance des prisons ; inscripion et versement des armes<br />
confisquées; tenue du carnet des courriers extraordinaires ;<br />
comptabilité du service de la solde; enregistrement des bons<br />
de munitions de guerre, des bons de fourrages; transmission<br />
des ordres de l'autorité supérieure aux chefs arabes, éclaircis<br />
sements à leur donner pour en faciliter et en assurer l'exécu<br />
tion; élaboration des questions devant être soumises à la com<br />
mission consultative,<br />
préparation des renseignements à donner<br />
à la commmission pour lui permettre de prononcer avec con<br />
naissance de cause ;plus tous les autres détails moins importants.<br />
mais cependant indispensables du service journalier » (1).<br />
Et nous pouvons ajouter que l'énumération est incomplète<br />
ne serait-ce qu'en omettant tout ce qui concerne l'enseigne<br />
ment et la religion dont s'occupèrent sans cesse les officiers des<br />
Affaires arabes. Telle qu'elle est cependant,<br />
elle suffit à donner<br />
une idée de ce que fut l'activité des Richard, Moullé, Margue<br />
rite, Salignac-Fénelon, Lapasset, Capifali...,à la fois hom<br />
mes de guerre, diplomates, administrateurs, directeurs de tra<br />
vaux publics, inspecteurs des contributions, conseillers agrico<br />
le i„fl« et'c L'un des officiers les plus distingués ayant<br />
servi dans l'administration des Indigènes, Azema de Montgra-<br />
vier, a pu dire<br />
que jamais maître Jacques au service d'Harpa-<br />
rm trouvera encore, sous des formes diverses, le tableau des attriliés<br />
bureaux arabes dans Daumas (4) 74-80 ; Ideville (69) III, 242butions<br />
a<br />
gl2 .<br />
eirculaire du 21 mars 1867 (140) 19-23 ; Warnier<br />
?115J<br />
«S»! Cottenest (3) 89-91.
■18-<br />
gon ne remplit des fonctions plus variées (1). Aussi<br />
on trouver dans l'action des Bureaux arabes la matière de<br />
plusieurs études.<br />
Limites du Sujet<br />
Nous avons strfctement limité l'objet de la nôtre à l'in<br />
fluence que les Bureaux arabes ont pu exercer sur l'évolution<br />
des genres de vie indigènes. D'autres, avant nous, ont signalé<br />
cette influence (2), mais sans jamais beaucoup y insister, sans<br />
donner de grandes précisions et surtout sans faire état des<br />
documents les plus propres à nous<br />
renseigner : les archives<br />
des différents cercles et subdivisions que l'on trouve partie<br />
à Paris (les plus anciennes), partie à Alger (les plus récentes,<br />
postérieures à 1856). D'où notre désir de combler une lacune.<br />
Une première difficulté est la délimitation exacte de notre<br />
champ d'investigation.<br />
Dans l'espace nous nous sommes tenus aux subdivisions<br />
d'Orléansville et de Miliana (3)<br />
parce que nous avons pu<br />
rassembler pour ces territoires tous les documents nécessaires<br />
à une analyse approfondie et parce que aussi il s'agit là d'un<br />
ensemble régional présentant, d'une part, une certaine unité<br />
et, d'autre part, une variété propre à en faire comme le résumé<br />
de toutes les conditions géographiques rencontrées dans le Tell<br />
algérien.<br />
Peu importe d'ailleurs la délimitation précise : il serait<br />
vain de suivre une limite administrative que la volonté du<br />
législateur a modifié plus d'une fois. Disons simplement que<br />
(1) Azéma de Montgravier (1) 13.<br />
(2) En particulier Démontés (49) et Tinthoin (183).<br />
(3) Miliana et Orléansville n'eurent d'abord que des commandants supé<br />
rieurs. Miliana devint subdivision en 1848 et Orléansville en 1858. En 1871,<br />
les deux subdivisions furent fondues en une seule dénommée subdivision<br />
d'Orléansville, mais dont le siège fut à Miliana jusqu'en 1876. D'après Peyronnet<br />
(87) I, 773.
C.KMmis<br />
r.n.<br />
V<br />
Msfes<br />
%m<br />
\<br />
j A»J.A<br />
Çrogmi «t'enjeiw bte de la oi'«n etudréc- au 'Aoq.oqo<br />
^Sn,-&nvûCe. C+_+.t-+^ £&t -&ti&££ù- d'aAvto umJL- ceuiAx. au-<br />
Vlao.aoo"'<br />
du. qen4ta£ 5^M*W ■<br />
el& 4a, Saowmi 4/Jltqto. -kuM&e e*. 4îCo4vu, t/uUe.<br />
Jfb*M a*m& *n*Cûi*u-
— — 19<br />
notre région englobe, dans la province d'Alger, le massif mon<br />
tagneux<br />
s'<br />
étirant du Cap Kramis au Chenoua, la plaine du<br />
Chélif, le massif de l'Ouarsenis et les Hautes Plaines du Ser-<br />
sou (1). Entre ces diverses individualités géographiques le<br />
Chélif et ses affluents tissent des liens parfois ténus, mais tou<br />
jours visibles. Au total, c'est moins d'un sixième de l'Algérie<br />
au nord de l'Atlas saharien, mais, de la lecture de documents<br />
concernant d'autres régions, nous croyons pouvoir affirmer<br />
qu'il est possible d'étendre nos conclusions au Tell algérien<br />
tout entier.<br />
Dans le temps il est assez facile d'assigner une origine à<br />
l'œuvre des Bureaux arabes : l'époque de la conquête et de la<br />
pacification. Si l'on veut une date assez précise et uniforme,<br />
on peut opter pour l'automne 1846 marquant la fin de l'insur<br />
rection de Bou-Maza qui avait ruiné un grand nombre de tribus<br />
et anéanti l'œuvre de transformation à peine entreprise (2).<br />
Mais il est beaucoup<br />
plus délicat de fixer le terme de<br />
notre étude. Dans l'Ouest du Tell algérois, l'administration<br />
militaire a subsisté longtemps après l'avènement de la Troisiè<br />
me Bépublique. C'est seulement en 1875 que le général com<br />
mandant la subdivision de Miliana cesse de traiter les affai<br />
res indigènes et il faut attendre 1880 pour que la subdivision<br />
d'Orléansville (englobant alors les anciennes subdivisions de<br />
Miliana et d'Orléansville) ne comprenne plus de territoires<br />
administrés militairement (3). C'est cependant pour la date<br />
de 1870 que nous opterons, sans lui attribuer toutefois une<br />
valeur absolue.<br />
Aux yeux des Indigènes « le bureau arabe est resté la<br />
caractéristique de toute la période qui va du départ des fils<br />
du Boi jusqu'à la grande crise de 1870-1871 » (4). Après<br />
(1) Voir la carte ci-jointe donnant les limites pour l'année 1860.<br />
(2) La reddition de Bou-Maza entre les mains de Saint-Arnaud est du<br />
13 avril 1847, mais le calme était revenu dès 1846. Les mouvements ultérieurs,<br />
chez les Béni-Zoug-Zoug par exemple en 1848 et 1851, restèrent circonscrits<br />
et sans grande importance.<br />
(3)<br />
Peyronnet (87) I 43 et II 773.<br />
(4) Rinn (26) livre X, chapitre 1.
— — 20<br />
l'effondrement de l'Empire, les Bureaux<br />
arabes peuvent sub<br />
sister , ils n'occupent plus le premier plan et c'est en vain qu'ils<br />
essayeront de s'opposer à la désagrégation du<br />
territoire mili<br />
taire (1). Détestés par les Français d'Algérie qui leur repro<br />
chaient, souvent avec raison, d'entraver l'œuvre de la coloni<br />
sation, honnis par les libéraux pour lesquels ils représentaient<br />
Je régime du sabre, ils se virent accuser<br />
tiquer une politique « antinationale » et leur<br />
officiellement de pra<br />
puissance fut<br />
considérablement amoindrie par plusieurs décrets pris sous<br />
l'influence de Crémieux,<br />
ministre de la Justice. Une partie du<br />
territoire militaire passa directement sous l'autorité civile.<br />
La nomination des commandants supérieurs,<br />
mais administrateurs, fut subordonnée à<br />
dénommés désor<br />
l'approbation du<br />
Commissaire extraordinaire et les officiers des Bureaux arabes<br />
se trouvèrent ramenés à un rôle<br />
administratif subalterne. Les<br />
préfets eurent la haute main sur tous les fonctionnaires du<br />
départements y compris les militaires (2).<br />
L'opinion publique fit chorus. Le massacre de l'Oued<br />
Mahouine et le jugement du capitaine Trinquant,<br />
se suivant<br />
à quelques mois, avaient fait renaître l'ambiance hostile qui,<br />
une quinzaine d'années auparavant,<br />
de l'affaire Doineau. Les civils,<br />
avait entouré les débats<br />
exaspérés par la crainte de<br />
révoltes, insultaient les officiers et leur reprochaient l'insur<br />
rection de 1870. Le procès des Bureaux arabes devant le jury<br />
en 1871, et l'acquittement des journaux accusateurs, frappè<br />
rent de mort l'institution de Bugeaud déjà bien accablée de-<br />
(1) Dans leurs rapports les officiers des Bureaux arabes s'attacheront à<br />
montrer que, dans les tribus réunies au territoire civil, les impôts ne rentrent<br />
plus régulièrement, la fréquentation scolaire est mauvaise, les Indigènes re<br />
fusent de remplir leurs silos de prévoyance, les crimes et délits se multiplient,<br />
bref il y<br />
règne une espèce d'anarchie ». Et cette tendance à la désobéis<br />
sance se ferait sentir dès que les tribus sont prévenues de leur prochain pas<br />
sage en territoire civil (en particulier : G. Orléansville, juillet à novembre<br />
1872, février 1873, octobre 1878 ; Ténès 2"" T. 1872).<br />
(2) Il s'agit notamment du décret du 24 octobre 1870, des deux décrets<br />
du 2A décembre 1870, des décrets du 30 décembre 1870, 1" janvier 1871 et 6<br />
février 1871. On les trouvera dans Menerville (140).
— 21 —<br />
puis la famine de 1867-1868 (1). Officiellement Crémieux dé<br />
clara qu'il fallait donner « une satisfaction complète à l'opi<br />
nion publique ». Aussi la colonisation passa au premier plan<br />
des préoccupations gouvernementales reléguant dans l'oubli<br />
l'idée impériale du Royaume arabe, si favorable à l'adminis<br />
tration militaire.<br />
De plus, il est incontestable que, dans les dernières années<br />
de l'Empire, les Bureaux arabes changent de caractère, d'es<br />
prit même. L'affaire Doineau, en 1856, les avait mis un moment<br />
à l'index, mais ils n'avaient pas perdu pour autant leur dyna-<br />
(1) Le capitaine DOINEAU, chef du bureau arabe de Tlemcen, fut accu<br />
sé d'être l'instigateur de l'assassinat de l'agha des Béni-Abdallah, en sep<br />
tembre 1856. Traduit devant la Cour d'Assises d'Oran, il fut condamné h<br />
mort en août 1857, mais bénéficia d'une commutation de peine, puis fut gra<br />
cié en novembre 1859. L'affaire eut un retentissement énorme et, avec la<br />
plaidoirie de Jules Favre, défenseur d'un des accusés indigènes, elle apparut<br />
comme le procès des Bureaux arabes. La condamnation de Doineau ébranla<br />
un moment l'institution : des officiers abandonnèrent les affaires indigènes<br />
et le recrutement devint d'autant plus difficile que la culpabilité de Doineau<br />
ne paraissait pas évidente ou tout au moins pas aussi entière qu'on voulut<br />
bien le dire. Mais la crise fut passagère. Voir surtout (47) et (123).<br />
LE MASSACRE DE L'OUED MAHOUINE eut lieu en avril 1869 et le<br />
procès un an après. Une caravane de sujets de la Régence de Tunis, ayant<br />
liberté de commerce sur notre territoire, avait été attaquée à main armée<br />
par le caïd des Brarchas et les cavaliers des goums, alors qu'elle revenait de<br />
Tébessa sur Gafsa ; 27 personnes sur les 35 du convoi avaient péri. Le com<br />
mandant du cercle de Tébessa. Edouard Sériziat, ancien chef du bureau<br />
arabe d'Orléansville, fut accusé d'avoir donné les instructions pour commet<br />
tre l'attaque. Il ne fut pas informé contre le chef du bureau arabe de Tébes<br />
sa, le général commandant la division militaire de Constantine ayant estimé<br />
que les faits reprochés « ne consisteraient que dans l'exécution des ordres<br />
qu'il pourrait avoir reçu de son chef immédiat, le commandant supérieur de<br />
Tébessa ». Le procès se termina d'ailleurs, au conseil de guerre, par un ac<br />
quittement général, mais l'opinion publique n'en condamna pas moins le gou<br />
vernement militaire. Voir (124).<br />
L'AFFAIRE DU CAPITAINE TRINQUANT est d'avril 1871. Adjoint de<br />
1" classe au bureau arabe de Sétif, le capitaine Trinquant avait reçu l'ordre<br />
d'aller s'installer à Aïn-Tagrout pour assurer le service de la correspondance<br />
entre Sétif et la colonne opérant dans la Medjana. On l'accusa d'avoir laissé<br />
tomber entre les mains des indigènes révoltés un convoi de vivres dont il<br />
avait la garde et qu'il devait transporter à Sétif. Le conseil de guerre de<br />
Constantine acquitta Trinquant dont le procès semble avoir été déterminé<br />
surtout par une campagne de presse. Voir (125).<br />
En 1871, quatre journaux (le Moniteur de l'Algérie, le Tell, l'Akhbar et<br />
l'Algérie française) furent attaqués en diffamation par le général Wolf, com<br />
mandant la division d'Alger pour avoir reproduit un article de VEvening<br />
Standard accusant les Bureaux arabes de maintenir « leur influence perni<br />
cieuse au moyen d'un système de vol organisé et au moyen des insurrections<br />
qu'ils amènent habilement... Le procès des BUREAUX ARABES DEVANT<br />
LE JURY passionna l'opinion et se termina par un verdict d'acquittement.<br />
Voir (126).
— 22-<br />
misme comme nous le constaterons au cours de cette étude.<br />
Par contre, à la fin de l'Empire et plus encore au début de la<br />
Troisième Mac-Mahon du<br />
République, alors que la circulaire<br />
21 mars 1867 venait d'en préciser l'organisation, les Bureaux<br />
arabes semblent ne plus avoir foi en leur<br />
destinée. Soit que<br />
l'extension du territoire civil ait fait comprendre à leurs offi<br />
ciers que, dans le Tell, l'heure des militaires était passée, soit<br />
que les échecs et les critiques aient rebuté un<br />
la qualité n'était peut-être plus la même, il est<br />
lecture de rapports devenus parfois très courts et<br />
personnel dont<br />
certain qu'à la<br />
souvent très<br />
superficiels (1), on retire l'impression d'un organisme qui s'est<br />
figé. Même lorsque l'activité reste assez comme dans<br />
grande,<br />
le cercle d'Orléansville, il s'agit surtout d'une activité admi<br />
nistrative et on ne retrouve plus la volonté de faire progresser<br />
l'économie indigène. Aussi n'est-ce pas sans raison que les Indi<br />
gènes ont distingué les bureaux arabes<br />
mekraznya ou de gou<br />
vernement des bureaux arabes hekkam ou d'administration<br />
qui succédèrent aux premiers (2).<br />
Dès les années qui précèdent la guerre de 1870, et surtout<br />
dans celles qui la suivent, le bureau arabe semble être devenu<br />
plutôt un organe d'information que de transformation. Plus de<br />
suggestions personnelles comme celles que l'on relevait sous<br />
la plume d'un Richard, d'un Lapasset ou d'un Margueritte,<br />
mais le ton grisaille cher au fonctionnaire soucieux avant tout<br />
d'éviter les nouveautés, sources d'ennuis. Aux espoirs, souvent<br />
injustifiés, mais propres à la jeunesse,<br />
succèdent la noncha<br />
lance et parfos le découragement d'une administration qui a<br />
déjà trop vécu. Pas de progrès à espérer de l'agriculture indi<br />
gène, pas de modifications à apporter, pas même d'encourage<br />
ments à envisager, tout est parfait quand les Indigènes, pré-<br />
Ci ) Trois ou quatre pages d'une grosse écriture bien appliquée de bureau<br />
crate au lieu des dix ou douze pages d'une calligraphie moins soignée, mais<br />
riches de pensée. On peut comparer par exemple les rapports de Richard à<br />
Orléansville et ceux de ses successeurs de 1877-1880.<br />
(2) Rinn (25) 19-21. Suivant Rirai, les Indigènes appellent « époque des<br />
bureaux arabes » celle qui va de la Révolution de février 1848 à la Révolu<br />
tion du 4 septembre 1870 avec une coupure en 1858 marquée par le départ<br />
de Randon : avant ce sont les Bureaux Arabes Mekraznya qui exercent une<br />
véritable action gouvernementale, pacifient et organisent le pays ; après<br />
c'est l'époque des Bureaux Arabes hekkam qui se contentent d'administrer<br />
« suivant les règles étroites imposées par la métropole ».
— 23-<br />
venus qu'ils doivent payer Vachour (l'impôt sur les récoltes),<br />
ne font aucune demande en dégrèvement (1). A la philosophie<br />
de l'action s'est substituée celle de l'inertie.<br />
Aussi, dès 1870, alors que les Bureaux arabes commencent<br />
seulement à disparaître des régions du Tell, on peut considérer<br />
que leur temps est révolu. Et ainsi se trouve sommairement<br />
fixé le cadre historique de notre étude dont nous avons déli<br />
mité antérieurement le cadre géographique.<br />
(1) G. Cherchel 2« et 3« T. 1872 ; Orléansville 1" T. 1876 ; Téniet-el-<br />
Had 3" T. 1874. L'absence d'initiative se traduit par exemple dans le fait<br />
que, à une ou deux années d'intervalle, les rapports se recopient les uns les<br />
autres,<br />
totalement ou en grande partie, surtout dans les dernières années,<br />
au début de la 3» République.
CHAPITRE I<br />
Le Pays<br />
et les Genres de vie indigènes<br />
au moment de la Conquête
Pour apprécier l'action des Bureaux arabes sur les genres<br />
de vie indigènes il faut nécessairement, au départ, avoir présent<br />
à l'esprit l'état de la contrée vers 1845, alors que les colonnes<br />
de Bugeaud en achèvent la prise de possession. Double évoca<br />
tion : le pays et surtout les hommes et leurs activités. Comment<br />
l'Indigène s'était-il adapté au cadre imposé par la nature ? Voilà<br />
la question à laquelle on doit répondre avant de rechercher<br />
quelles adaptatons nouvelles, considérées comme progressistes,<br />
ont désiré implanter les Bureaux arabes et dans quelle mesure<br />
ils ont réussi.
— — A<br />
LE PAYS<br />
La carte, même la plus sommaire,<br />
oppose deux types de<br />
régions : les pays montagneux et les pays de plaines,<br />
les uns et les autres alternant. Le bombement du Dahra, sensu<br />
lato (1), et celui de l'Ouarsenis isolent la dépression chélifienne<br />
et les hautes plaines du Sersou. Quatre compartiments au total :<br />
Dahra, Chélif, Ouarsenis, Sersou,<br />
que l'on peut rapprocher deux<br />
à deux, quitte à souligner les différences en même temps que les<br />
similitudes de ces deux pâtés de montagnes et de ces deux<br />
étendues de plaines.<br />
Dahra.<br />
I. —<br />
LES PAYS DE MONTAGNES<br />
Dahra et Ouarsenis couvrent les quatre cinquièmes de la<br />
région étudiée et lui donnent ses caractères majeurs : pays<br />
rude, difficile et cela malgré des altitudes relativement faibles,<br />
surtout pour le Dahra.<br />
Ce « dos » montagneux entre la mer et le Chélif déploie<br />
des bombements dépassant rarement 500 mètres et dominés<br />
très exceptionnellement par des croupes d'un millier de mètres.<br />
Sauf le Djebel Bissa,<br />
aucun point n'atteint 1.100 mètres jus<br />
qu'à l'oued Damous. Mais vers l'Est, les massifs plus élevés<br />
sont fréquents et dans cette région qui, à proprement parler,<br />
(1) Le terme de Darha ne doit pas être étendu au delà de l'Oued Da<br />
mous. Ici cependant, faute d'une autre dénomination, nous l'employons pour<br />
désigner toute la région montagneux au nord du Chélif. Les reliefs qui s'al<br />
longent à l'E. de l'Oued Damous sont parfois appelés Monts de Miliana, ex<br />
pression qui convient assez mal vu la position de Miliana. Nous proposerions<br />
de la remplacer par celle de Monts des Béni-Menasser, ces Indigènes occu<br />
pant toute la région comprise entre Cherchel et Miliana (douars-communes<br />
d'El Gourine, Sidi-Slimane, Zaccar et Bou-Mad, carte à la fin de l'ouvrage).
— — 38<br />
n'est plus le Dahra, les chaînons abrupts aux<br />
formes acciden<br />
tées courent d'Ouest en Est : celui du Djebel Bou Maad, parti<br />
culièrement bien marqué, culmine à 1.415 mètres. Si l'on excepte<br />
la vallée de l'Oued Damous et celle de l'Oued el Hachem pré<br />
sentant une petite plaine alluviale dans leur cours inférieur, les<br />
oueds s'enfoncent dans des ravins qui creusent autant d'obsta<br />
cles à la circulation.Et, accentuant encore le caractère tourmenté<br />
de ce pays, les deux Zaccars, Rarbi et Chergui, profondément<br />
déchiquetés, dressent leurs sommets<br />
1.500 mètres.<br />
calcaires au-dessus de<br />
Au Nord, c'est le pays des Beni-Menasser : montagnes<br />
ardues, hachées de sentiers taillés dans des rocs escarpés où<br />
se rencontraient nombre de sangliers labourant de leur hure<br />
les champs des malheureux^^Ttivàteurs et que des battues<br />
monstres détruiront par 30 ou 40 à la fois (1). Avant l'arrivée<br />
des soldats de Changarnier ni les Turcs, ni Abd-El-Kader<br />
n'avaient osé pénétrer dans ces repaires où les montagnards<br />
belliqueux étaient une menace constante au-dessus de la<br />
Mitidja (2).<br />
Les routes ont traversé difficilement le pays et encore au<br />
jourd'hui les deux artères principales sont à la périphérie, l'une<br />
longeant la côte et l'autre la vallée du Chélif. Dans le sens nord-<br />
sud, pour des raisons stratégiques et économiques, la voie Orléansville-Ténès<br />
s'ouvrit rapidement, dès 1843, sous la pioche des<br />
soldats-terrassiers, mais elle resta seule : malgré les demandes<br />
réitérées des officiers des Bureaux arabes qui voulaient<br />
faire de Cherchel le port de la vallée orientale du Chélif, la<br />
route directe Duperré-Cherchel (3), toujours en projet, ne fut<br />
jamais menée à bien; et de nos jours il n'existe pas de vérita<br />
ble route entre Carnot ou Littré et la mer (4).<br />
Les sols favorables à l'agriculture couvrent peu d'étendue.<br />
La carte géologique montre la prédominance des terrains cré-<br />
(1) N. 469, 1850, Cherchel, février G. Cherche» 4» T. 1861. On y trou<br />
vait aussi quelques lions.<br />
(2) G. 2 EE2, : lettres de Bugeaud au Ministre de la Guerre le 13-6-1842.<br />
(3) Avant la création de Duperré, c'était le pont d'El Kantara qui de<br />
vait en être l'aboutissement.<br />
(4) Outre la voie Orléansville-Ténès, le seul chemin départemental ache<br />
vé unit Affreville à Cherchel par Miliana et Zurich.
— 29 —<br />
tacés dans la partie orientale, au delà de l'Oued Damous, tandis<br />
que les assises miocènes, localisées au nord et au sud clans les<br />
monts de Miliana, forment l'ossature même du Dahra, de part<br />
et d'autre de la route Ténès-Orléansville.<br />
Les marnes dures du Crétacé,<br />
parfois coupées de bancs<br />
quartziteux, offrent à l'agriculture des conditions précaires et<br />
la végétation naturelle traduit la pauvreté du sol : déjà, à 600<br />
mètres, des croupes entièrement dénudées; au-dessous, des brous<br />
sailles, des chênes-verts, des thuyas, des oléastres avec des chê<br />
nes-lièges sur les grès et des pins d'Alep<br />
plus riche en calcaire (1). Les cultures,<br />
lorsque le terrain est<br />
en particulier celle de<br />
l'orge, ne trouvent des conditions propices que dans les calcai<br />
res marneux du Sénonien, malheureusement assez rares.<br />
Conditions plus variées dans les terrains tertiaires, mais<br />
souvent défavorables. Les marnes du Cartennien (Miocène infé<br />
rieur) presque toujours compactes et mal aérées ne conviennent<br />
guère à la culture indigène. Les calcaires du Miocène moyen<br />
qui dominent la plaine du Chélif ne portent que des bois de<br />
pins clairsemés. Les terres les plus recherchées sont les argiles<br />
de l'Helvétien qui livrent de bonnes moissons quand elles sont<br />
cultivées. On peut y ajouter les marnes bleues du Sahélien<br />
lorsque le gypse ne stérilise pas les terres de cet étage. En<br />
somme un espace réduit pour la vie agricole dans la région<br />
orientale surtout,<br />
encore très délaissée par la colonisation (2).<br />
Et les conditions climatiques ne sont pas ce que l'on pour<br />
rait imaginer. La pluviosité, évidemment aussi capricieuse que<br />
partout ailleurs en Algérie, ne laisse pas au total une grosse<br />
quantité d'eau à l'agriculture (3). La station de Miliana, à 750<br />
mètres, enregistre, il est vrai, 950 millimètres et on estime que<br />
la masse calcaire du Zaccar Rarbi reçoit une moyenne de 900<br />
millimètres (4) dont les deux tiers s'écoulent par les sources<br />
jaillissant plus au sud, au contact des schistes. Mais c'est là<br />
(1) Dalloni (131) 614, 650, 674, 679 ; Peyerimhoff (134) ; Maire (133).<br />
(2) Aucun village en montagne à l'Est de l'Oued Damous jusqu'à la val<br />
lée de l'Oued El Hachem où se rencontrent Marceau (créé en 1881) et Zu<br />
rich (colonie agricole de 1848).<br />
(3) Voir diagrammes, p. 31.<br />
(4) Estimation de Koulomzine (132).
— — 30<br />
un cas privilégié. Déjà dans la même région, à Sidi-Medjahed,<br />
à 905 mètres cependant, le pluviomètre ne donne que 880 milli<br />
mètres. Dans la zone occidentale on trouve des totaux que l'on<br />
peut qualifier d'étonnamment faibles,<br />
comparables à ceux de<br />
la plaine du Chélif: 447 millimètres à Fromentin, à 540 mètres;<br />
372 à Paul Robert, à 464 mètres. Les vents marins abandonnent<br />
une grande partie de leur humidité dès leur contact avec la<br />
côte (Ténès : 545 m/m; Gouraya : 600)<br />
et les altitudes sont en<br />
suite insuffisantes pour déterminer d'abondantes condensations.<br />
S'ajoutant à une condition lithologique souvent défavorable<br />
cela explique que les nappes aquifères ne permettent pas tou<br />
jours les établissements humains. Le niveau le plus important<br />
se présente au contact des grès pliocènes et des marnes bleues,<br />
dans la partie occidentale de notre région (1),<br />
mais à l'Est de<br />
l'Oued Damous, dans l'axe crétacé du Dahra, les sources man<br />
quent parfois presque complètement. On conçoit que les chefs<br />
des bureaux arabes de Ténès et de Cherchel se soient souvent<br />
heurtés à de grandes difficultés dans leurs essais de colonisa<br />
tion indigène.<br />
Ouarsenis.<br />
De la terrasse de Miliana, la masse sombre de l'Ouarsenis<br />
apparaît dans sa grandeur majestueuse, énorme pâté monta<br />
gneux qui se détache sur le bleu très clair d'un ciel du Sud.<br />
Masse imposante par ses dimensions : plus de cent cinquante<br />
kilomètres d'Ouest en Est, entre la Mina et l'Oued Deurdeur (2),<br />
une soixantaine du Nord au Sud, entre la plaine du Chélif et le<br />
Sersou,<br />
avec un rétrécissement dans la partie orientale.<br />
Architecture simple. Dans la région médiane une arête<br />
jalonnée d'émergences plus ou moins dentelées comme le Dje<br />
bel Ech Chaouch (1804 m.), le Djebel Rhilas (1621 m.), le Djebel<br />
el Meddad (1787 m.), et surtout le Kef Sidi Amar dont l'impo<br />
sante pyramide (1985 m.) domine de 800 mètres les reliefs envi<br />
ronnants. Pour les Indigènes c'est « l'Œil du Monde », pour les<br />
(1) C'est la région qui a pu être colonisée : Fromentin, Rabelais, Chasseriau,<br />
etc..<br />
(2) A l'Est de l'Oued Deurdeur, faisant liaison avec les Monts du Titteri,<br />
c'est le Massif des Matmata qui prolonge l'Ouarsenis sans aucune solution<br />
de continuité.
"\fcaiaA.. $83 wi.<br />
JFMAMJJA.SO/YJ)<br />
DIAGRAMMES THERMO-PLUVIOMETRIQUES<br />
\j-&rviet- el- %-ojL. -néo»}.<br />
Ces diagrammes ont été établis avec les chiffres du Climat de l'Algérie de Seltzer.<br />
Le nombre placé à côté du nom de la station indique l'altitude et celui qui est au<br />
bas du diagramme donne le total pluviométriqué annuel. La température est notée<br />
à gauche en degrés centigrades et la pluie à droite en millimètres.
— — 32<br />
soldats de Changarnier, c'était « la Cathédrale » avec une nef<br />
imposante et des clochers latéraux (1). Vers le Nord et le Sud,<br />
au pied de ces silhouettes colossales, les reliefs<br />
descendent avec<br />
des formes monotones de croupes et de plateaux^ haches par<br />
les vallées profondes des Oueds Deurdeur, Rouïna, Fodda, Sly<br />
et tant d'autres qui, dévalant parallèlement vers le Chélif, ren<br />
dent les communications longitudinales précaires sans créer<br />
de véritables axes de vie parce que les fonds,<br />
sains à cause des eaux stagnantes, font fuir les<br />
en général mal<br />
populations ;<br />
celles-ci préfèrent s'établir sur les hauteurs, à mi-pente le plus<br />
souvent.<br />
Ce gros bombement crétacé n'offre pas aux établissements<br />
humains des conditions bien favorables. La masse en est cons<br />
tituée par des formations argileuses ou<br />
marno-schisteuses peu<br />
fertiles. Au pied du massif, les coteaux tertiaires présentent des<br />
aptitudes agricoles toutes différentes,<br />
relativement restreintes.<br />
mais sur des surfaces<br />
Hydrologiquement la situation est parfois meilleure. Des<br />
placages de terrains perméables, des grès notamment, consti<br />
tuent, au-dessus des faciès imperméables du Crétacé, d'impor<br />
tants réservoirs aquifères. D'où,<br />
Had,<br />
clans la région de Téniet-el-<br />
par exemple, des sources nombreuses alimentant les<br />
oueds tributaires du Chélif et qui, jointes aux forêts imposantes,<br />
évoquaient aux soldats de 1842, les paysages montagnards de<br />
France.<br />
Et le climat pouvait contribuer à entretenir l'illusion. La<br />
pluviosité reste médiocre, à peine supérieure à celle du Dahra<br />
(506 millimètres à El Nouadeur, à 850 mètres; 628 à Téniet-el-<br />
Had à 1.160 mètres), mais les hivers ont un cachet de haute mon<br />
tagne. Alors que Miliana compte en moyenne moins de quatre<br />
jours d'enneigement, les stations de l'Ouarsenis dépassent la<br />
vingtaine : 22 à Molière, 27 à Letourneux, 22 à Téniet-el-Hads<br />
avec certaines années des maxima de 30 à 40, et Margueritte,<br />
évoquant son séjour dans la région, parle des « neiges de notre<br />
petite Sibérie » (2). Comment imaginer que dans des conditions<br />
pareilles, on ait pu songer à implanter le coton et cela malgré<br />
(1) La Sra de Sidi Abd Allah, au centre, serait la nef tandis que le Kef<br />
Sidi Amar et le Bel Kheîrat figureraient les clochers.<br />
(2) Margueritte (12) 227.
— — 33<br />
l'antipathie des Indigènes pour cette culture si peu rémuné<br />
ratrice !<br />
Le manteau forestier demeure sans doute l'élément le plus<br />
pittoresque. Chênes-verts sur les terres assez argileuses et pins<br />
d'Alep sur les rochers calcaires beaucoup plus secs, le sol impose<br />
son empreinte, mais moins cependant que l'altitude. Dans les<br />
parties basses, dans les zones où la forêt a été à peu près dé<br />
truite, c'est la brousse habituelle avec lentisques et oliviers. Audessus,<br />
quand le diss (Ampelodesmos tenax) n'envahit pas le<br />
terrain, commence la véritable forêt où domine sans conteste<br />
le pin d'Alep exploité actuellement pour sa résine. A partir de<br />
900 mètres, les chênes prennent de plus en plus d'extension<br />
surtout le chêne-vert et, à un moindre degré, le chêne-liège et<br />
le chêne zéen. Au-dessus de 1.300 mètres, ils s'effacent complè<br />
tement devant le cèdre qui, apparaissant d'abord en bouquets<br />
isolés au milieu des chênes, finit par constituer toute la forêt.<br />
Il ne forme d'ailleurs que des peuplements sporadiques dans<br />
la région de Molière et surtout dans celle de Téniet-el-Had<br />
dénommée pour cette raison Djebel el Meddad, c'est-à-dire « la<br />
Montagne des Cèdres ».<br />
Le temps n'est pas très éloigné où ces forêts abritaient le<br />
gros gibier. Margueritte, chef du bureau arabe de Téniet de<br />
1844 à 1851, a laissé d'émouvants récits de chasses. Selon lui,<br />
c'était la partie de l'Algérie, qui comptait le plus de lions; on en<br />
tuait trois ou quatre en moyenne par année et ils étaient la<br />
terreur des tribus dont ils dévastaient les troupeaux. Les pan<br />
thères ne manquaient pas non plus, attaquant les bestiaux dans<br />
l'enceinte même des douars et il faudra les chasses répétées<br />
des militaires pour faire disparaître ces fléaux devant lesquels<br />
les Indigènes demeuraient le plus souvent désarmés (1).<br />
(1) Margueritte déclare dans son ouvrage p. 14-15 avoir fair un relevé<br />
de la moyenne des bestiaux mangés en onze ans par les lions et panthères<br />
aux Béni-Mahrez, tribu qui ne comptait pas plus de cent tentes. Voici les<br />
chiffres établis par année :<br />
Chevaux, juments ou poulains 3<br />
Bœufs ou vaches 25<br />
Moutons ou brebis 75<br />
En général les Indigènes combattaient peu les fauves. Cependant Mar<br />
gueritte en cite un auquel la notoriété publique accordait 14 lions et 3 pan<br />
thères. On conçoit que certains aient exagéré l'importance des fauves dans<br />
la région. Guyon, en 1843, affirme que lies lions étaient si nombreux dans<br />
cette région qu'une compagnie entière n'avait pas d'autre mission que celle<br />
de les tenir éloignés ! (Examen des 14 propositions de M. le Général Duvivier,<br />
p. 14).
IL —<br />
La plaine du Chélif.<br />
34-<br />
LES PAYS DE PLAINES<br />
Aux reliefs accidentés, variés, voire audacieux et parfois<br />
tapissés d'épaisses frondaisons, la plaine oppose l'implacable<br />
monotonie de son horizontalité et de sa nudité. Sur plus de 130<br />
kilomètres c'est à peine si, en deux points, des rides montagneu<br />
ses l'interrompent et la morcellent en trois sections, affectant<br />
plus ou moins la forme d'anneaux elliptiques. A l'Est, la région<br />
la plus élevée (250-270 mètres), la plaine du Djendel, reçoit le<br />
Chélif qui, après avoir abandonné le massif de l'Ouarsenis,<br />
emprunte un ancien golfe mio-pliocène et adopte la direction<br />
E.-O. qu'il conservera jusqu'à la mer. A l'extrémité occidentale<br />
de cette plaine, le massif schisteux et calcaire du Doui dont les<br />
flancs ravinés sont souvent dépourvus de végétation, acquiert<br />
un aspect imposant par suite de son isolement. Ayant franchi<br />
l'obstacle au nord, le fleuve aborde la plaine des Attafs, sensi<br />
blement moins large et un peu plus accidentée. Les collines des<br />
Béni-Rached ou des Ouled-Abbès la ferme au nord-ouest<br />
d'Oued-Fodda et, c'est après un parcours encaissé dans les grès<br />
et sables du Pliocène que le Chélif parvient dans la plaine d'Or<br />
léansville dont l'altitude dépasse à peine 100 mètres et qui ter<br />
mine le chapelet des plaines algéroises.<br />
Les matériaux alluvionnaires qui ont achevé le remblaie<br />
ment du golfe pliocène donnent au paysage ses notes essentiel<br />
les. Les alluvions les plus récentes, de teinte grise, tracent une<br />
longue traînée de part et d'autre du Chélif, dans la zone mé<br />
diane de la plaine. Elles reposent sur les alluvions plus ancien<br />
nes dont la couleur rougeâtre borde les deux côtés de la plaine<br />
et grimpe sur les coteaux qui précèdent les abrupts montagneux.<br />
Le Chélif, profondément encaissé au pied de berges verticales,<br />
ne s'aperçoit que des hauteurs; il coule sur des terrains vaseux,<br />
entre des tamaris vigoureux, réduit à peu de chose en été, mais<br />
roulant des flots jaunâtres imposants dès que commence la<br />
saison des pluies.
— — 35<br />
Paysage triste encore aujourd'hui, mais bien plus il y a<br />
un siècle. Comme végétation, des scilles maritimes, des aspho<br />
dèles, quelques graminées et surtout les branches grisâtres de<br />
grêles jujubiers et les rudes éventails des palmiers nains. Plaine<br />
sombre en hiver, sans maisons, sans arbres, sans verdure. En<br />
été le scintillement d'un air surchauffé par un soleil accablant,<br />
une « chaleur torréfiante » (1),<br />
une atmosphère irrespirable.<br />
Par contre, un printemps splendide pendant lequel le sol<br />
s'émaille de fleurs et se couvre de verdure, tandis que grues,<br />
canards sauvages, vanneaux et bécassines font leur apparition.<br />
C'est à cette époque de l'année, en mai 1842, que, pour la pre<br />
mière fois, Bugeaud traversa la plaine d'Ouest en Est et il fut<br />
séduit : il l'estime « cent fois préférable à la plaine de la<br />
Mitidja» et il affirme que, cultivée par des Européens, elle serait<br />
alors comparable « aux plus belles parties de nos vallées de la<br />
Loire, de la Garonne ou de la Seine », elle deviendrait en « un<br />
demi-siècle, un des plus beaux pays du monde » (2).<br />
Les conditions naturelles sont-elles donc ici si favorables<br />
par rapport à celles du Dahra et de l'Ouarsenis ? La réponse<br />
doit être nuancée.<br />
Les ruines romaines qui jalonnent la plaine entre Malliana<br />
(Affreville) et Castellum Tingitanum (Orléanville) apportent un<br />
témoignage de poids en faveur de la richesse de la plaine. Il<br />
faut, d'autre part,<br />
en ce qui concerne la plaine du Chélif tout<br />
au moins, abandonner le traditionnel diptyque opposant, au<br />
moment de la conquête, des massifs montagneux relativement<br />
surpeuplés à des plaines abandonnées par suite de l'insécurité.<br />
La plaine du Chélif comptait parmi les régions à population<br />
nombreuse et nous pourrions en appeler encore au témoignage<br />
de Bugeaud (3).<br />
Ce qui reste vrai, c'est qu'il s'agissait d'une agriculture<br />
pleine d'aléas. Le sol peut être profond et riche en éléments<br />
fertilisants, le climat fait peser sur la récolte une menace per<br />
pétuelle,<br />
non seulement parce que la quantité totale d'eau<br />
(1) L'expression est dans le rapport du bureau arabe d'Orléansville de<br />
juillet 1862 (Archives G.).<br />
-<br />
(2) G. 2 EE2 lettre du 13-6-1842 au Ministre de la Guerre.<br />
(3) Par exemple dans ses lettres au Ministre de la Guerre du 13 juin<br />
1842 et du 25 janvier 1843 (G. 2 EE 2, 2 EE 3).
— — 36<br />
tombée annuellement reste faible (400 millimètres à Orléans-<br />
ville),, mais surout parce que l'humidité peut manquer aux<br />
périodes les plus décisives,<br />
en octobre-novembre ou en mars-<br />
avril. Jusqu'au dernier moment, la récolte n'est jamais assurée<br />
et voici, par exemple, ce qu'écrivait fin avril 1873, le Comman<br />
dant Supérieur du Cercle d'Orléansville : « On ne peut encore<br />
définir sérieusement la situation agricole. Tantôt elle est très<br />
compromise par suite de la sécheresse, tantôt elle se relève<br />
après quelques heures de pluie. La sécheresse et les vents du<br />
Sud qui ont régné du 1"<br />
au 24 avril avaient, au dire des Euro<br />
péens et des Indigènes, presque détruit les récoltes; la pluie est<br />
arrivée le 25, a continué le 26 et voilà l'espoir qui renaît par<br />
tout. Quel sera l'effet réel de ces dernières pluies ? nous l'igno<br />
rons; aussi pensons-nous sage de nous abstenir d'émettre au<br />
jourd'hui un avis favorable ou défavorable ». (1).<br />
L'eau, il est vrai, ne manque pas dans la région : si on ne<br />
rencontre que rarement des eaux artésiennes, les nappes phréa<br />
tiques peuvent être atteintes par des sondages peu profonds<br />
et, à quelques dizaines de mètres des champs desséchés, le<br />
Chélif roule annuellement à la mer plus de 500 millions de<br />
mètres cubes d'eau. Des énergies sommeillent et il appartient<br />
à l'homme de les libérer, mais cela suppose des moyens d'action<br />
et une technique que l'on possède seulement aujourd'hui et<br />
auxquels ne pouvaient songer, il y a un siècle, ni les Indigènes,<br />
ni les officiers des Bureaux arabes.<br />
Le Sersou.<br />
Avec le Sersou nous abordons une contrée d'un type très<br />
particulier. On admet communément que la limite méridionale<br />
du Tell longe le versant méridional de l'Ouarsenis, courant de<br />
Tiaret à Boghari et rejetant par conséquent, dans la zone pré<br />
désertique, tous les pays du Nahr-Ouassel qu'englobe la région<br />
que nous étudions. Et cependant l'on peut encore considérer<br />
(1) Archives G., série I.
— — 37<br />
comme tellienne cette fraction du « Petit Sahara » qui s'allonge<br />
entre Tïaret et le Kef er Rebiba (1).<br />
C'est d'abord une question de climat. Entre le Sersou occi<br />
dental et la mer, les hauteurs dépassent rarement 1.000 mètres<br />
et les vents du N. O. qui atteignent les Hautes Plaines, par le<br />
couloir de la Mina notamment, restent encore suffisamment plu<br />
vieux} : 429 millimètres à Vialar, 443 à Bourbaki et 455 à Bur-<br />
deau (sans parler des 622 millimètres de Tiaret, un peu en<br />
dehors de nos limites), voilà qui suffirait à nombre de colons<br />
de la plaine du Chélif. Mais dès qu'on s'éloigne vers l'Est ou le<br />
Sud-Est, la pluviosité se raréfie : 319 millimètres à Réchaïga,<br />
291 à Reibell, 250 à Aïn-Oussera. Les Hautes Plaines du Nahr<br />
Ouassel supérieur constituent donc une zone privilégiée d'éten<br />
due limitée, collectant à la fois les eaux du Nord, descendues<br />
de l'Ouarsenis, et aussi celles du Sud lui arrivant par la voie<br />
des oueds souterrains.<br />
Et la végétation en confirme l'originalité : au lieu de la<br />
steppe d'alfa et d'armoises qui, plus au sud, domine à peu près<br />
sans mélange, la carte phytogéographique (2) mentionne ici<br />
une zone se rétrécissant d'ouest en est, de Tiaret à Boghari et<br />
caractérisée par la formation du zizyphus lotus, autrement dit<br />
la brousse à jujubiers; et ainsi cette partie du Sersou s'appa<br />
rente aux plaines de Sidi-Bel-Abbès, Mascara, Orléansville et<br />
Affreville. Là existaient, il y a un siècle, d'extraordinaires terri<br />
toires de chasse : le Canardville et le Lapinbourg de Margue<br />
ritte que fréquentèrent Bugeaud, Pélissier, Bosquet, Rivet,<br />
Yousouf (3).<br />
Situation particulièrement favorable aussi au point de vue<br />
hydrologique. Ici l'évaporation est intense, 8 millimètres par<br />
jour pendant les six mois d'été; pour qu'une nappe aquifère<br />
importante se constitue, il faut donc une roche particulièrement<br />
favorable et un vaste impluvium. Ces conditions se trouvent<br />
(1) L'idée n'est pas nouvelle. Pour Carette et Warnier (en 1846) la li<br />
mite suivait la rive droite du Nahr-Ouassel et le décret du 20 février 1873 la<br />
fixait à 30 km. plus au sud, englobant par conséquent toute la région qui nous<br />
intéresse : Bernard et Lacroix (170) 14-17.<br />
(2) De R. Maire (133).<br />
(3) Margueritte (12) 221-253.
— — 38<br />
réalisées à deux reprises au moins. Plus au sud d'abord, dans<br />
la région du Djebel Nador, les calcaires du Jurassique supérieur<br />
et du Crétacé forment au-dessus des argiles<br />
important niveau de sources dont les eaux<br />
oxfordiennes un<br />
s'écoulent vers le<br />
Sersou par de grandes artères, en particulier l'Oued Souf Sellem,<br />
au nom évocateur (« La rivière qui se cache ») dont le lit<br />
alimente toute une série de puits allant chercher leur eau à<br />
10 ou 15 mètres de profondeur. Mais le niveau<br />
région de Vialar, Taine, Bourbaki,<br />
essentiel pour la<br />
c'est celui qui se rencontre<br />
au contact du soubassement argilo-marneux de l'Eocène et des<br />
grès du Cartennien, lesquels s'étendent sur des surfaces considé<br />
rables avec une perméabilité accrue par la présence de nom<br />
breuses fissures. Les conditions sont moins bonnes dans le Ser<br />
sou oriental où la nappe se morcelle tandis qu'à l'ouest, dans<br />
la région de Tiaret, les grès du Vindobonien au-dessus des argi<br />
les helvétiennes engendrent des sources de première impor<br />
tance (1). Si on se rappelle la différence climatique signalée<br />
plus haut, on voit qu'à bien des égards on peut distinguer deux<br />
Sersous.<br />
Il n'est pas jusqu'au sol qui ne favorise les pays du Nahr<br />
Ouassel. Les affleurements argileux de l'Eocène donnent des<br />
terres fortes et fraîches, riches en phosphates, se couvrant d'ar<br />
tichauts sauvages ou de graminées et qui, bien travaillées, four<br />
nissent de bonnes récoltes. En Oranie sur les sols du Sénonien<br />
et du Miocène, s'est constituée une terre végétale rouge ou noire<br />
formant un sol épais et riche. Le calcaire pliocène qui se déve<br />
loppe sur une grande partie du Sersou présente, en surface,<br />
une pellicule de terre végétale dont on a expliqué l'existence<br />
par des apports éoliens déposés ici au contact des régions humi<br />
des; ce sont des sols légers et peu profonds que l'on a été jusqu'à<br />
comparer aux meilleures terres de la Beauce (2). Aussi la colo<br />
nisation européenne s'engagea avec de grands espoirs à la con<br />
quête de ces régions.<br />
Mais les déceptions vinrent vite. En effet, si les conditions<br />
que nous venons d'exposer permettent de classer les pays du<br />
(1) Voir la carte géologique de l'Algérie au 1/500.000", feuille Alger. Pour<br />
l'hydrologie et l'agrogéologie nous renvoyons à Dalloni (131).<br />
(2) Berthault cité dans Dalloni (131) 727.
39<br />
Nahr Ouassel supérieur dans le Tell, il ne faut pas oublier que<br />
nous sommes ici à la limite extrême des terres cultivables sans<br />
irrigation, sur un front géographique pourrait-on dire. D'une<br />
année à l'autre les conditions prédésertiques sont susceptibles<br />
de reprendre le dessus et, la sécheresse régnant, le sol ne rend<br />
même pas la semence. De plus la couche de terre végétale reste<br />
le plus souvent trop mince pour assurer de bons rendements,<br />
surtout dans le Sersou Oriental. Il faut compter aussi avec la<br />
carapace qui se forme sur le sol des pays arides; épaisse de<br />
deux à trente centimètres, elle est si dure que, dans l'Est en<br />
particulier, elle a fourni de véritables dalles pour la construc<br />
tion des fermes. Tout cela explique évidemment les aptitudes<br />
médiocres de bien des sols. Nous comprenons pourquoi l'action<br />
des Bureaux arabes fut ici de peu d'importance et pourquoi il<br />
a fallu attendre jusqu'au début du vingtième siècle pour que<br />
le Sersou ne soit pas exclusivement « le pays du mouton ».<br />
Région difficile, sol médiocre, climat hostile, eau peu abon<br />
dante, voilà ce que nous avons répété au cours de ces premières<br />
pages, et, au terme de notre panorama, nous restons sur l'impres<br />
sion que, des quatre régions constituant l'Ouest du Tell algé<br />
rois, aucune ne s'offrait comme un champ particulièrement<br />
favorable aux expériences agricoles.
B —<br />
GENRES DEVIE DES INDIGÈNES<br />
Comparant les genres de vie des Indigènes avec celui qu'ils<br />
connaissaient des campagnes de France , les officiers des<br />
Bureaux arabes furent surtout frappés par deux différences<br />
essentielles : d'une part, le caractère mouvant, instable de la<br />
vie indigène où gens, bêtes et cultures semblaient ne pouvoir<br />
se fixer nulle part de manière permanente; d'autre part, les<br />
formes très primitives de l'économie résultant d'une adaptation<br />
élémentaire à un milieu hostile que l'homme s'avérait incapable<br />
de modifier. Ces deux observations devaient orienter l'activité<br />
des Bureaux arabes; aussi nous guideront-elles pour évoquer<br />
les genres de vie indigènes à cette époque.<br />
I. —<br />
L'INSTABILITE<br />
Les déplacements.<br />
DE LA VIE INDIGENE<br />
Comme aujourd'hui, les mouvements les plus spectaculai<br />
res étaient alors ceux des grands nomades sahariens venant<br />
estiver dans le Tell. Nous sommes ici essentiellement dans le<br />
champ d'action des Arbaa (1)<br />
campant l'hiver dans la région<br />
des Dayas, au sud de Eaghouat, et dont la zone d'estivage s'éten<br />
dait à l'Ouest, jusqu'à Tiaret, à l'Est jusqu'à Boghari, au Nord<br />
jusqu'à Téniet-el-Had et même au-delà. Poussés par l'absence<br />
des pâturages, par la nécessité de s'approvisionner en céréales<br />
et en produits divers Comme le goudron par exemple (pour soi-<br />
(1) Cette orthographe adoptée actuellement est plus logique que celle de<br />
La'rbaa qui a longtemps prévalu. Le nom de cette tribu provient en effet de<br />
la division originelle en quatre fractions : Maamra, Hadjadj, Ouled-Salah,<br />
Ouled-Zid. Philebert (15) 125 ; LehurauX (Le nomadisme et la colonisa<br />
tion, Paris, 1931, p. 33).
— 42 —<br />
gner la gale des chameaux), les nomades,<br />
pratique toujours,<br />
ainsi que cela se<br />
remontaient vers le Nord dès le printemps<br />
et on n'a pas oublié la page colorée de Fromentin décrivant la<br />
Rahla (ou migration) des Arbaa (1).<br />
Arrivés dans le Tell, les nomades s'établissaient,<br />
après la<br />
moisson, au milieu des tribus qui les recevaient, chaque fraction<br />
des Arbaa fréquentant de préférence une tribu bien déterminée<br />
du Tell (2). Les transactions commençaient. Les nomades<br />
offraient des dattes, des moutons, de la laine et surtout une<br />
grande quantité de tissus, soit de laine (burnous, haïk, guettaïf,<br />
zorbia, oussada), soit de poil de chèvre ou de chameau (tellis,<br />
flidj, grara, amara) (3). Le plus souvent de qualité très supé<br />
rieure à tout ce que fabriquaient les tribus telliennes,<br />
ces tissus<br />
trouvaient facilement acheteur lorsque la récolte avait été<br />
bonne. Comme en échange les Sahariens faisaient des achats<br />
massifs de grains, ils étaient attendus avec impatience : dès<br />
leur arrivée les prix du blé et de l'orge montaient et doublaient<br />
dans certains cas (4).<br />
(1) Un été dans le Sahara, p. 229. On trouve également une belle des<br />
cription de cette marche vers l'Achaba dans Lehuraux (op. cité), p. 154-159.<br />
(2) Bernard et Lacroix (170) 217-218 notent par exempte que « Les<br />
Maamra achètent chez les Ighout, les Ouled-Sidi-Sliman et les Ouled-Zian<br />
chez les Béni-Maîda, les Oulled-ben-Chaâ chez les Douï Hasni, les Hadjadj chez<br />
les Béni-Naouri, les Ouled-Sidi-Attalah chez les Béni-Lent. Les Zekaska vont<br />
chez les Ouled-Bessem Chéraga, les Sofran et les Ouled-Salah chez les Ouled-<br />
Amar... » Il s'agissait là d'habitudes très anciennes et le rapport cité précise<br />
qu'on ne remarque aucune modification.<br />
(3) Les tellis sont de grands sacs doubles renfermant les provisions et<br />
pouvant contenir en moyenne 150 kilogs de grains ; on désigne aussi par ce<br />
mot des tapis ras à raies de couleurs.<br />
Le flidj, pièce essentielle de la tente, est une bande d'étoffe faite avec<br />
de la laine et parfois du poil de chèvre, noire le plus souvent, large de 75 cm.<br />
à un mètre et de longueur variable.<br />
grara : bissac de laine et de poil dans lequel on met le grain.<br />
amara : étoffe complètement garnie de dessins variés.<br />
haïk : pièce de laine unie faisant deux fois le tour du corps et venant<br />
envelopper la tête.<br />
guettaïf grand tapis du Sud à longue laine.<br />
zorbia : mot qui désigne les tapis en général et, en particulier, des tapis<br />
à laine courte.<br />
oussada : coussin dans lequel on place les objets précieux (d'après Villot).<br />
(4) N 472, 1853, Téniet-el-Haad, juillet. Les rapports entre Arbaa et Telliens<br />
aboutissaient parfois à des alliances familiales, mais selon Bernard et<br />
Lacroix (170) 282, 287, aucun groupe d'<br />
Arbaa ne se fixait dans le Tell.
— — 43<br />
Le commerce se pratiquait parfois directement avec les<br />
propriétaires au milieu même des tribus où campaient les no<br />
mades, mais le plus souvent en des points précis, les marchés,<br />
où se rencontraient Telliens et Sahariens.C'étaient par exemple<br />
les marchés de la région de Téniet (Ouled-Ayad, Ouled-Ammar)<br />
ou celui particulièrement notable du Djendel; lieux de graud<br />
intérêt au point de vue politique sur lesquels Carette écrivait<br />
dès 1844 : « S'il est établi qu'une nécessité impérieuse pousse<br />
chaque année la population mobile des oasis algériennes dans<br />
la zone des terres de labour, les points où s'arrête cette marée<br />
annuelle deviennent des centres d'action dont l'importance est<br />
irrécusable; c'est là que, comme autant de fils, les intérêts du<br />
Sud viennent se rattacher aux intérêts du Nord, c'est de là que<br />
l'Algérie méridionale peut être conduite à longues guides » (1).<br />
On peut supposer aussi que les tribus recevant les nomades<br />
achetaient non seulement pour leur consommation particulière,<br />
mais également pour les tribus les plus septentrionales, de la<br />
région de Miliana, par exemple, auxquelles elles devaient ser<br />
vir d'intermédiaires, pour les laines du Sud notamment (2).<br />
La période de grande activité commerciale s'achevait en<br />
septembre ou octobre lorsque, après quelques semaines pas<br />
sées dans le Tell, les nomades reprenaient le chemin de leurs<br />
campements d'automne et d'hiver.<br />
Ces migrations n'avaient pas, il y a un siècle, la régularité<br />
qu'elles affectent aujourd'hui et qui s'explique par l'interven<br />
tion administrative. Les itinéraires manquaient de fixité et les<br />
Arbaa qui s'arrêtaient une année dans la région de Téniet se<br />
rejetaient l'année suivante vers le marché de Loha ou El Louha<br />
(près de Tiaret) s'ils l'estimaient mieux approvisionné, privant<br />
alors des produits du Sud les tribus qui les attendaient.<br />
(1) Carette : Du Commerce de l'Algérie avec l'Afrique Centrale et les<br />
états barbaresques, p. 19. Pour donner une idée de l'importance des échanges<br />
signalons qu'en 1847, sur le marché de Toukria (Ouled-Ayad) étaient vendues<br />
aux tribus sahariennes, en un espace de trois mois, 6.000 charges de droma<br />
daires, ou environ 12.000 quintaux de blé et d'orge, au prix moyen de 20<br />
francs le quintal. (Note de Carbuccia, Ct supérieur de Téniet-el-Haad, 28-1-<br />
1848,<br />
in N. 443).<br />
(2) Les officiers du bureau arabe de Miliana mentionnent ce trafic com<br />
me s habituel » et dans N. 539, 1848, les Siouf et les Blaëls sont signalés<br />
comme jouant ce rôle d'intermédiaires.
— — 44<br />
Les nomades fréquentant habituellement les pays du Nahr<br />
Ouassel pouvaient être amenés par les nécessités de leur appro<br />
visionnement à pousser leurs troupeaux beaucoup plus au Nord.<br />
On les voyait alors par Tiaret et la vallée de l'Oued Riou<br />
descendre vers la plaine du Chélif, puis obliquer vers<br />
l'Est ou l'Ouest. Des convois d'une centaine de chameaux se for<br />
maient et, au total, la plaine hébergeait parfois un millier de<br />
ces animaux qui retrouvaient d'ailleurs ici un autre paysage<br />
steppien à quelque cinquante kilomètres de la mer. Lorsque<br />
les grains abondaient c'était une bonne fortune pour le Chélif<br />
que la venue des caravanes. Les nomades réalisaient leur char<br />
gement de céréales en quelques jours, puis repartaient vers leurs<br />
campements souvent très lointains,<br />
car on comptait parmi ces<br />
migrateurs « des Arab Saïd de l'Oureguela et des Oulad<br />
Chaïb » (1).<br />
A côté de ces migrations d'un développement majestueux,<br />
l'Ouest du Tell algérois connaissait des mouvements de moindre<br />
envergure conditionnés par le contact des régions de plaines<br />
et de montagnes. Entre la plaine du Chélif et les reliefs voisins,<br />
les mouvements ne présentaient pas une grande ampleur, mais<br />
il est certain que les déplacements signalés par la suite n'avaient<br />
pas un caractère de nouveauté et qu'en année sèche notamment<br />
les Indigènes allaient s'établir en azibs dans les régions monta- il<br />
gneuses plus favorisées (2). Par contre, au moment des moissons, i<br />
les montagnards du Dahra descendaient dans la plaine pour<br />
y prêter leurs bras en attendant que chez eux la récolte fût |<br />
prête à moissonner; certaines tribus mêmes, comme celle des<br />
Zatima dans le cercle de Cherchel, y<br />
qu'elles venaient labourer (3).<br />
Entre l'Ouarsenis (avec les monts des Matmata)<br />
possédaient des terres<br />
et les Hau<br />
tes Plaines, les migrations présentaient plus d'importance et<br />
(1) N. 463, 1847, Orléansville 1". q. septembre ; 468, 1849, Orléansville<br />
2"* 2"'<br />
q. septembre et q. octobre. M. Capot-Rey a étudié avec précision dans<br />
la Revue Africaine (3m°<br />
et 4-» T. 1941) le déplacement des Saîd-Atba entre<br />
la région d'Ouargla et celle de Tiaret. Nous croyons que dans le passé cette<br />
migration a eu parfois une ampleur encore plus considérable.<br />
(2) Les troupeaux en azibs sont confiés à des bergers qui peuvent rece<br />
voir en paiement une certaine partie des produits des bêtes dont ils ont la<br />
garde. Parfois l'azila est un véritable contrat qui consiste à confier les trou<br />
peaux à un tiers pour un an au moins.<br />
(3) N. 465, 1848, Cherchel 1" q. février.
— — 45<br />
plus de fréquence. En 1849, les tribus du cercle de Miliana (il<br />
s'agit évidemment des plus méridionales) se plaignent de sup<br />
porter « pendant tout le cours de l'année (c'est nous qui souli<br />
gnons) la lourde charge de donner sans indemnité asile à toutes<br />
les populations de la limite du Tell lorsque celles-ci manquent<br />
de pâturages » (1). Certaines tribus, comme les Béni-Maïda ou<br />
les Aziz, avaient une partie de leur territoire en zone monta<br />
gneuse et l'autre partie dans le Sersou, se déplaçant avec les<br />
saisons pour mener paître leurs troupeaux tantôt au Sud et<br />
tantôt au Nord. Pour l'ensemble du massif de l'Ouarsenis et des<br />
Hautes Plaines il s'agissait d'un mouvement dans les deux sens :<br />
si les pasteurs des Hautes Plaines montaient vers les régions<br />
élevées en saison sèche, par contre, pour éviter les grands froids<br />
et la mortalité chez les agneaux et les chevreaux, beaucoup de<br />
propriétaires de l'Ouarsenis confiaient leurs troupeaux, dès le<br />
début de novembre, à des bergers qui les conduisaient dans le<br />
Sersou . (2) Et ainsi, par suite de cette transhumance, les Hautes<br />
Plaines hébergaient en hiver les troupeaux de tribus telliennes<br />
alors qu'elles recevaient, en été, les Ouled-Naïl, les Arbaa et<br />
les Saïd-Atba.<br />
Le Tell connaissait-il la vie sédentaire comportant la<br />
fixité de l'habitat et des cultures ? On la trouvait, plus ou moins<br />
bien réalisée, dans les tribus de la région montagneuse septen<br />
trionale, entre Ténès et Cherchel. Dans le cercle de Ténès les<br />
habitants de la tente ne se déplaçaient que « dans un rayon<br />
très faible et toujours dans un pays, leur propriété, ou loué par<br />
eux » ; et beaucoup habitaient toute l'année des chaumières en<br />
diss ou en pisé dans lesquelles ils ensilotaient leurs grains (3).<br />
Cette sédentarité s'explique essentiellement par la culture des<br />
arbres (amandiers, figuiers, pêchers)<br />
et des jardins qui deman<br />
dent des soins constants et une garde vigilante. De même dans<br />
la région de Cherchel les « populations Kabaïles » habitaient<br />
(1) N. 468, 1849, Miliana 1 q. septembre.<br />
(2) G. Téniet 4me T. 1861. Il est probable aussi que les bêtes étaient con<br />
fiées à des tribus sahariennes qui en assuraient la garde pendant l'hiver<br />
moyennant une certaine quantité de beurre et de laine. Bernis, en 1852, si<br />
gnale cette coutume comme un fait à peu près général (137) 7.<br />
(3) N. 468, 1849, Ténès 2m« q. août.
46-<br />
des maisons en pierre et en terre entourées de vergers, de jar<br />
dins et de vignes (1),<br />
et ils ajoutaient à cela les glands doux<br />
et les produits de maigres troupeaux composés d'un petit nom<br />
bre de chèvres et de moutons auxquels on abandonnait les terres<br />
souvent incultes. Les maisons ici étaient suffisamment nom<br />
breuses pour qu'en 1848-1850 le lieutenant Moullé, commandant<br />
le Bureau arabe de Cherchel,<br />
pût estimer inutile de faire aucune<br />
construction nouvelle à une époque où l'ordre était de pousser<br />
les Indigènes à bâtir (2).<br />
Sur les pentes dominant la plaine du Chélif s'agrippaient<br />
également quelques villages, tel celui des Medjadja vivant de<br />
ses vergers et de ses ruches et qui comptait des maisons bien<br />
entretenues et trois mosquées. La plaine elle-même, en bordure<br />
des montagnes, nous offrirait aussi l'exemple de quelques frac<br />
tions de tribus fixées par la pratique de l'irrigation, l'entretien<br />
des jardins et des arbres fruitiers (3).<br />
Mais, pour la grande masse des Indigènes, la ressource<br />
essentielle était, avec l'exploitation du troupeau, la culture des<br />
céréales qui peut s'allier à une combinaison de la vie sédentaire<br />
et de la vie nomade. Chaque tribu disposait d'un espace déter<br />
miné sur lequel elle pouvait effectuer ses déplacements dont<br />
l'ampleur ne dépassait pas quelques kilomètres (4). Au cours de<br />
l'année, les Indigènes, groupés par fractions de tribus, chacune<br />
sous la direction d'un cheikh, changeaient plusieurs fois de<br />
campement. Chaque groupe comportant une dizaine de tentes<br />
disposait, à l'intérieur du territoire de la tribu, d'un espace<br />
bien défini fixé par la tradition ou par des titres écrits.<br />
Le campement le plus stable était celui d'hiver, établi par<br />
fois dès le début octobre et où le douar pouvait se maintenir<br />
pendant quatre ou cinq mois (5). On recherchait à cet effet<br />
un lieu sec, abrité des vents froids par un flanc de montagne,<br />
(1) Il existait, même une variété de raisin dite zatima (du nom de la<br />
région) et qui était utilisée à la préparation des raisins secs.<br />
(2) N. 465, 1849, Cherchel, 2me q. août ; 469, 1850, Cherchel, août.<br />
(3) N. 449, 1854, Orléansville, Inspection.<br />
(4) 5 à 20 suivant Hugonnet (6) 125. Voir aussi Tinthoin (183) et Isnard<br />
(153), qui décrivent des genres de vie analogues et dans MG 208, l'étu<br />
de du général Deligny : Simple discours sur l'Algérie.<br />
(5) Margueritte (12) 36.
souvent à proximité d'un bois,<br />
— 47 —<br />
et l'installation se faisait aussi<br />
confortable que possible. Comme habitations des tentes, mais<br />
aussi dans nombre de tribus, des gourbis de pisé ou mecheta<br />
(1). Pour la construction des murs, la terre glaise était foulée<br />
entre deux planches servant de moules jusqu'à une certaine<br />
hauteur. Recouverts en terrasse, suffisamment solides, ils<br />
étaient plus confortables que les tentes trop froides pendant la<br />
mauvaise saison. Une véritable vie de village s'organisait et<br />
c'est alors que les tolba gagnaient leur vie en apprenant à lire<br />
aux enfants sous la tente ou le toit paternel. A proximité du<br />
campement s'étendaient les champs ensemencés soit individuel<br />
lement, soit en association.<br />
Au printemps, les tentes quittaient leur emplacement hiver<br />
nal où les ordures accumulées, si elles fertilisaient le sol, ren<br />
daient le séjour difficile. On choisissait alors un lieu plus aéré<br />
et on se préoccupait surtout de faire paître les troupeaux sur<br />
les terres que l'on désirait ensemencer à l'automne. Le soir, les<br />
bestiaux étaient parqués près des tentes, dans une enceinte de<br />
broussailles; le jour, ils pacageaient à peu près librement.<br />
Comme l'enceinte abritant le troupeau la nuit, changeait d'em<br />
placement tous les deux ou trois jours, on fumait peu à peu<br />
à livrer prochainement à la culture. A<br />
l'ensemble du champ<br />
l'approche de l'été, il fallait songer à la moisson. On retournait<br />
vers les champs à moissonner et, à proximité d'un point d'eau,<br />
les tentes établissaient un troisième campement que l'on aban<br />
donnait à l'automne pour retrouver un lieu propice à l'établis<br />
sement d'hiver,<br />
au voisinage des terres précédemment fumées.<br />
Ce genre de vie excluait évidemment la maison de pierre,<br />
mais non le gourbi (du moins pour le campement d'hiver) que<br />
l'on pouvait bâtir rapidement soit avec les terres argileuses des<br />
plaines, soit avec les matériaux fournis par les forêts. Pour la<br />
région étudiée,<br />
une statistique des Bureaux arabes de 1852 per-<br />
(1) Le mot mecheta (ou mechta) pris ici dans le sens d'habitation d'hiver<br />
est aussi employé pour désigner l'ensemble du campement pendant la mau<br />
vaise saison.
— — 48<br />
met d'évaluer le nombre des gourbis à 16.903 contre 14.966<br />
tentes (1).<br />
La répartition mérite d'attirer l'attention. Un cercle mon<br />
tagneux comme celui de Cherchel,<br />
développée, ne comptait que des gourbis,<br />
où la vie sédentaire était<br />
mais dans le cercle<br />
voisin, et à beaucoup d'égards semblable, de Ténès, on trouvait<br />
1755 tentes pour 1885 gourbis. Les cercles d'Orléansville et de<br />
Miliana s'étendant à la fois en plaine et en montagne possé<br />
daient , le premier, 3.935 tentes contre 5.695 gourbis, et le second<br />
5.798 tentes contre 4.474 gourbis. Quant au cercle de Téniet,<br />
malgré l'importance des territoires accidentés, il n'abritait que<br />
269 gourbis contre 3.678 tentes. Des tribus de plaine comptaient<br />
nombre de gourbis : 51 pour 271 tentes chez les Hachems (futur<br />
douar Oued Deurdeur) 139 pour 52 tentes chez les Sbahias; 109<br />
pour 57 tentes chez les Harrar; 548 pour 526 tentes chez les<br />
Attafs; 716 pour 933 tentes chez les Ouled Kosseïr (de la région<br />
d'Orléansville)... Toutes ces tribus, plus ou moins, présentaient,<br />
il est vrai, soit au Nord, soit au Sud, des territoires sur les pre<br />
miers abrupts du Dahra ou de l'Ouarsenis.<br />
Mais si nous prenons des tribus purement montagnardes<br />
nous relevons des faits aussi concluants, les tentes y jouant cette<br />
fois un rôle non négligeable, parfois même essentiel : 107 tentes<br />
et 283 gourbis chez les Béni-Rached; 133 tentes et 42 gourbis<br />
chez les Béni-Derdjin (E. de Hanoteau) ; 129 tentes et 27 gourbis<br />
chez les Khobbaza (N."W. de Téniet) ; 236 tentes et 6 gourbis chez<br />
les Haraouat (S."W. de Pont du Caïd) ; dans le cercle de Téniet,<br />
tous les gourbis se trouvaient dans la tribu des Béni-Chaïb, tra<br />
versée par le cours supérieur de l'Oued Fodda, et les autres<br />
tribus, même celles qui étaient exclusivement montagnardes<br />
comme les Béni-Méharez (autour de Téniet),<br />
d'autre demeure que la tente.<br />
ne connaissaient<br />
(1) N. 447, 1852, et N. 539, statistiques. En 1848 on évaluait le nombre<br />
de gourbis à 16.202 et celui des tentes à 13.369. Il est impossible de comparer<br />
ces chiffres avec ceux que l'on peut relever dans le Tableau des établisse<br />
ments français de 1844-1845 qui, pour toute la subdivision d'Orléansville et<br />
une partie de celle dé Miliana, ne distingue pas entre tentes et gourbis, don<br />
nant pour l'ensemble des habitations un chiffre global. Pour les exemples<br />
particuliers que nous citons ensuite nous utilisons les chiffres de 1852 qui<br />
paraissent offrir plus de garantie et sont plus complets.
— 4ft —<br />
On ne saurait donc établir une relation étroite entre l'oro<br />
graphie et l'habitation. On ne peut non plus, dans tous les cas,<br />
considérer le gourbi comme caractéristique des populations<br />
fixées en permanence. Aussi, quand les officiers des Bureaux<br />
arabes entreprendront de sédentariser la population, ils s'effor<br />
ceront de remplacer la tente par la maison maçonnée en même<br />
temps qu'ils tenteront de créer une économie nouvelle.<br />
La Propriété.<br />
Dans quelle mesure la propriété pouvait-elle exister dans<br />
des sociétés aussi instables ? Certains, au début, nièrent jusqu'à<br />
l'existence des droits de propriété chez les Indigènes parce que,<br />
imbus de droit romain, ils ne pouvaient concevoir les modes<br />
d'appropriation prévus par le droit musulman, et peut-être aussi<br />
parce que la négation de droits de propriété aux Indigènes<br />
résolvait de manière radicale le problème de l'acquisition des<br />
terres par les Européens. Nous déborderions considérablement<br />
le cadre de cette étude en exposant la question de la propriété<br />
foncière dans le Tell algérien. Nous nous bornerons à souligner<br />
les deux faits qui déterminèrent et conditionnèrent l'action des<br />
( Bureaux arabes : l'existence incontestable des droits de pro-<br />
\ priété et le caractère souvent incertain de ces droits.<br />
Même les nomades estivant dans le Tell pouvaient reven<br />
diquer certains droits d'usage sinon de propriété. Uachaba<br />
n'entre pas dans ce cas puisqu'il apparaît en somme comme<br />
une location de terrains de parcours (1). Mais parfois les noma<br />
des venaient estiver dans le Tell sur des terres bien définies et<br />
pour l'usage desquelles ils ne payaient aucun droit. Telle était,<br />
par exemple, la situation des Arbaa dont les droits paraissent<br />
assez forts pour être réservés lors de l'application du Sénatus-<br />
Consulte de 1863 malgré la charge qu'ils représentaient pour<br />
les tribus telliennes. Le texte officiel mentionne,<br />
en effet, que<br />
« chez les Ouled-Ammar, le territoire de la tribu est grevé d'un<br />
(1) Administrativement on désigne aussi sous le nom û'achaba le dépla<br />
cement des nomades vers le Nord. (Capot-Rey : Le nomadisme pastoral dans<br />
le Sahara français, extrait des Travaux de l'Institut de Recherches Saharien<br />
nes, tome I 1942, p. 7).
— 50 —<br />
droit d'estivage au profit de la tribu des Larbâ et notamment<br />
des fractions Sofran et Ouled-Salah. Il résulte des renseigne<br />
ments très circonstanciés fournis par le<br />
commissaire délimita-<br />
teur dans son rapport d'ensemble que les habitants du douar<br />
Ammari, tout en reconnaissant ce droit,<br />
exercice immodéré et non réglementé. Le<br />
sont lésés par son<br />
commissaire délimi-<br />
tateur a proposé d'apporter un remède à cette situation en main<br />
tenant les nomades sur la rive droits du Nahr-Ouassel,<br />
où ils<br />
pourraient trouver de quoi se suffire jusqu'à l'époque de l'en<br />
lèvement des récoltes par les Ouled-Ammar ». Et un peu plus<br />
loin le même procès-verbal donne un autre exemple : « Chez<br />
les Ouled-Bessem-Chéraga une partie du territoire est grevée<br />
de droits d'estivage au profit des indigènes des fractions Ze-<br />
kaska et Ouled-Ziane de la confédération des Larbâ; ils font<br />
pacager leurs troupeaux principalement dans la région au sud<br />
du douar et sur une superficie d'environ 6.000 hectares comprise<br />
entre la tribu des Béni-Maïda, le douar Ighoud, le cours supé<br />
rieur de l'Oued Lelied, la fraction des Ouled-Bouzid et la tribu<br />
des Ouled-Bessem-Gharaba . . . » (1).<br />
Si ce ne sont pas là de véritables droits de propriété, mais<br />
seulement des servitudes, c'est qu'il s'agit de tribus dont l'habi<br />
tat principal se trouve hors du Tell. Pour les Indigènes séjour<br />
nant en permanence dans la région tellienne,<br />
on ne pouvait<br />
mettre en doute leur qualité de propriétaires. Dans notre région,<br />
comme ailleurs, les officiers des Bureaux arabes reconnurent<br />
rapidement, d'une part, les biens du Beylik (2) et, d'autre part,<br />
les terres collectives et les propriétés particulières présentant<br />
(1) Procès-verbal du Sénatus-Consulte cité dans Bernard et Lacroix (170)<br />
38-39. De même, lors de l'application du sénatus-consulte aux Ouled-Bessem<br />
Gharaba (B.O. 1897) et aux Béni-Maïda (B.O. 1902), des droits d'estivage fu<br />
rent reconnus sur le territoire de ces tribus au profit des Arbaa sous la ré<br />
serve cependant que des droits d'hivernage seraient accordés aux Outed-Bes-<br />
sem Gharaba et aux Béni-Maïda sur les terres des Arbaa.<br />
(2) Ces biens n'avaient une certaine importance que dans la plaine du<br />
Chélif. En montagne les Turcs ne réussirent jamais à s'établir solidement et<br />
dans le cercle de Cherchel par exemple le Beylik ne possédait qu'une seule<br />
propriété de 90 à 100 hectares. N- 467, 1852, Cherchel, Inspection ; et N. 465,<br />
1848, Cherchel 1 q. février.
— 51 —<br />
parfois le caractère de habous (1). Ils soulignèrent notamment<br />
l'importance des biens melk (ou propriété privée) que l'appli-<br />
sation du Sénatus-Consulte devait plus tard mettre en relief (2)<br />
et ils insistèrent sur l'existence de titres de propriété remontant<br />
parfois aux époques les plus reculées (3) et provenant d'achats,<br />
de successions ou de dons.<br />
Le mode d'appropriation cependant était variable et Mar<br />
gueritte écrit, en 1852, à propos du cercle de Téniet-el-Had :« La<br />
constitution de la propriété individuelle dans les tribus n'a pas<br />
de bases uniformes : dans la montagne, elle est assez régulière<br />
parce qu'elle est comprise dans les héritages et que chaque héri<br />
tier prend possession de son terrain délimité et spécifié sur un<br />
acte qu'on lui remet, mais il n'en est pas de même dans le pays<br />
de plaine qui forme la majeure partie du Cercle et où la pro<br />
priété territoriale demeure à l'état 'indivis par famille » (4).<br />
Et voici comment le chef du Bureau arabe de la subdivision de<br />
(1) Le habous est un acte par lequel un bien est retiré du commerce<br />
en faveur d'une personne morale d'ordre religieux, le donataire en conser-<br />
vant l'usufruit. Dans certaines régions le nombre des habous était considéra<br />
ble : un rapport de 1852 relatif au cercle de Cherchel mentionne que « dans<br />
le cercle, meubles et immeubles sont presque tous habbous » et par suite « il<br />
arrive toujours que lorsque le cadi vient pour recueillir une succession il la<br />
trouve inaliénable ». N. 447, 1852, Cherchel, Inspection). Par contre dans le<br />
cercle de Ténès les habous se réduisaient à 1.500 hectares (N. 465, 1848, Ténès<br />
ln<br />
q. février).<br />
(2) De l'examen des procès-verbaux du Sénatus-consulte publiés au B.O.<br />
on peut, en effet, tirer quelques conclusions intéressantes. D/albordJes terres<br />
collectives^ de culture ou terre§4Kgfc_nejerenconîrejat que^âânsn&^SsSïï-et<br />
encore^non lînTCrmélnjHli^ouventïesTndîgènes protesteront lorsque l'on<br />
voudra àTfKWef"âTëûrs terres le caractère collectif et ils obtiendront gain<br />
de cause, tels les Béni-Lente (B.O. 1899), Doui-Hasseni (B.O. 1902), Béni- t \<br />
Maïda (B.O. 1902), Aziz (B.O. 1908). En second lieu,vles communaux.ne jouent<br />
jamais qu'un rôle secondaire et parfois infime relativement "a"ùx"meZfc desti<br />
nés à la culture : cfegt seutemenjt*jdan£.îâ,plajne_^<br />
possède<br />
montagneWse<br />
réduisent souvent à quelques dizaines d'hectares et dans quelques tribus com<br />
me celle des Béni-Férah (à 20 Km. au Sud de Gouraya), faute de terrains af<br />
fectés spécialement au parcours, les Indigènes ne disposent pour leurs trou<br />
peaux que des portions de terres melk laissées en jachère (B.O. 1898).<br />
(3) N. : 465, 1848, Cherchel, février ; 447, 1852, Miliana, octobre ; 448, 1852,<br />
Orléansville, novembre ; 448, 1863, Miliana, novembre ; 448, 1853, Cherchel.<br />
novembre ; 449, 1854, Orléansville, octobre. Lors de l'application du Sénatus-<br />
consulte chez les Aziz, en 1908, les Indigènes feront état de titres remontant<br />
à 1768 et même à 1554 (B.O. 1908).<br />
(4) N 447, rapport du 7 octobre 1852 de Margueritte alors Commandant<br />
supérieur du Cercle de Téniet-el-Had.<br />
,<br />
(,'
— 52 —<br />
Miliana précisait la situation, en 1855, à l'occasion du canton<br />
nement envisagé : « Les propriétés communales existent, mais<br />
elles rentrent, pour la question qui nous occupe, dans le même<br />
cas que la propriété privée qui est la plus commune et qui ne<br />
repose pas, comme on l'avance souvent d'une manière erronée,<br />
seulement sur la longue possession, mais qui est bien assise sur<br />
dies actes généralement authentiques et incontestables comme<br />
ceux de France (1). En entrant dans le détail de la propriété<br />
on trouve de suite un propriétaire unique et incontesté du sol.<br />
Ce propriétaire a une habitation d'hiver (mechta)<br />
et une tente<br />
qu'il habite lui et sa famille pendant l'été; sa migration ne va<br />
pas au delà de quelques kilomètres; une réunion de pareils pro<br />
priétaires constitue une fraction de tribu pu<br />
une tribu ayant<br />
sonpropre sol,_ses limites, ses actes de propriété et son acte<br />
de limite générale » (2).<br />
Mais cette existence de titres,<br />
comme on le crut parfois,<br />
ne suffisait pas cependant,<br />
pour opérer rapidement un lotisse<br />
ment total. Les actes étaient souvent mal rédigés et mention<br />
naient d'une manière incomplète les limites de propriétés. D'au<br />
tre part, la. confusion avait été jetée sur ces limites par des<br />
empiétements qui s'étaient produits à des époques différen<br />
tes (3). D'où, à chaque instant, de nombreuses et longues dis<br />
cussions à propos des droits de possession. C'étaient souvent des<br />
conflits entre particuliers,<br />
mais parfois aussi des collisions<br />
entre tribus ou fractions de tribus surtout lorsqu'il s'agissait<br />
de terres susceptibles d'irrigation.<br />
Les exemples ne manquent pas. Au sud de Mibana, les<br />
Béni-Zoug-Zoug, les Hachem et les Béni-Fatem se disputaient<br />
un terrain vague que chaque tribu voulait labourer seule (4).<br />
Dans le cercle de Téniet-el-Had. la contestation portait sur la<br />
totalité des 12.000 hectares<br />
occupés'<br />
par la fraction des Ouled-<br />
(1) Vrai également pour le Cercle de Ténès où les propriétaires ont des<br />
tilres et où : « exceptionnellement quelques-uns des détenteurs actuels du<br />
sol n'ont à produire d'autres titres qu'une longue posesssion et la notoriété<br />
publique » N 448, 1853, Ténès, Inspection.<br />
(2) G. série I, Dossier : « Colonisation 1845-70 », Rapport sur le cantonrement<br />
des tribus du chef de bureau arabe de Miliana (1" novembre 1855).<br />
(3)N 465, 1848, Téniet-el-Had, 1" q. février.<br />
(4) N 462, 1848, Miliana 2"* q. octobre.<br />
~
— 63 —<br />
Amran (155 tentes) et celle des Ouled-Ziad (138 tentes) ; un<br />
arrangement à l'amiable aurait pu aboutir à un partage accor<br />
dant 41 hectares, c'est-à-dire une grande propriété, à chaque<br />
tente; au lieu de cela on exhibait de chaque côté des « actes<br />
faux et fabriqués à plaisir » et des gens mouraient au sujet de<br />
ces terres (1). Même situation dans la subdivision d'Orléans-<br />
ville. Le capitaine Richard, chef du Bureau arabe, écrit dans<br />
un de ses ouvrages : « Une des causes permanentes qui agitent<br />
et divisent les Arabes c'est l'incertitude des limites qui séparent<br />
les diverses parties du territoire. Le vieux caïd des Béni Mer-<br />
zoug, interrogé sur le point de savoir comment il se faisait qu'un<br />
vaste terrain situé entre sa tribu et celle des Béni Menna restait<br />
toujours sans culture, répondit que, de temps immémorial, ce<br />
champ de souvenir funèbre, n'avait jamais été ensemencé que<br />
de leurs cadavres. Ce vieux caïd faisait ainsi comprendre d'un<br />
mot l'importance des limites dans ce pays. »<br />
L'on conçoit alors le programme tracé, en conclusion, par<br />
le capitaine Richard, pour faire disparaître ces « pays de pou<br />
dre » (bled et baroud)<br />
: « Le Bureau arabe a donc à poursuivre<br />
d'une manière permanente la délimitation des diverses parties<br />
du territoire, de manière à tarir à sa source, une des causes les<br />
plus abondantes en procès et en disputes souvent sanglantes.<br />
Un autre travail doit être exécuté par lui parallèlement à celui-<br />
là, c'est la vérification et la légalisation des titres de propriété<br />
des Arabes. » (2). Et ainsi va se trouver posée la question du<br />
cantonnement que d'autres considérations devaient également<br />
mettre au premier plan comme nous le verrons plus loin.<br />
Les céréales.<br />
II. —<br />
L'EXPLOITATION<br />
PRIMITIVE<br />
Les terres mises en culture ne forment vers 1850 qu'une<br />
fraction relativement faible du territoire : environ un huitième<br />
(1) N 476. Rapport annuel de 1857 sur le cercle de Téniet-el-Had.<br />
(2) Richard (18) 66-67. Les Béni-Merzoug et les Béni-Menna se trouvent<br />
à l'Ouest de Ténès ; ces derniers ont constitué les douars Baache et Talassa<br />
(voir carte à la fin de l'ouvrage).
— — 54<br />
dans le cercle de Ténèst à peine un peu plus dans celui de<br />
Miliana (1) ; rares sont les tribus qui, comme celles du Djendel<br />
et des Ouzaghera (douar Ouaguenay), cultivent presque le quart<br />
de leur sol; certaines, en territoire montagneux, tels les Ha-<br />
raouat Gheraba et Cheraga (au N. E. de Téniet-el-Had) n'ense<br />
mencent que un vingt-cinquième ou un trentième des terres<br />
dont elles disposent (2). La nature du terrain,<br />
favorable, explique en partie cette situation,<br />
souvent peu<br />
mais intervient<br />
aussi le caractère extensif d'une agriculture basée essentielle<br />
ment, et parfois exclusivement (3), sur l'orge et le blé dur, avec<br />
le souci constant de réserver aux troupeaux les plus vastes<br />
espaces.<br />
La culture des céréales ne présente pas des caractères<br />
très différents de ceux que l'on peut observer ailleurs,<br />
en Algé<br />
rie, à la même époque (4). Les propriétaires labourent parfois<br />
eux-mêmes, mais, dès qu'ils s'estiment suffisamment riches, ils<br />
recherchent des métayers auxquels ils font les avances néces<br />
saires pour la mise en culture et qui reçoivent, à la moisson, un<br />
cinquième de la récolte. Trouver des khamniès est le gros pro<br />
blème à résoudre avant le commencement de la campagne agri<br />
cole. Lorsque la récolte précédente a été favorable, les kham-<br />
mès ayant quelques disponibilités veulent ensemencer pour<br />
leur propre compte et se montrent exigeants. Mais si l'année<br />
a été mauvaise, c'est le khammès qui cherche le fellah et celui-<br />
ci peut, dans une certaine mesure, choisir selon ses intérêts.<br />
Les instruments aratoires sont vite en état. Parfois, dans<br />
les montagnes des Zatima par exemple (cercle de Cherchel), on<br />
laboure simplement à la pioche. Comme charrue on ne connaît<br />
que l'araire en bois et ce sont les montagnards, surtout ceux de<br />
l'Ouarsenis,<br />
qui fournissent les tribus manquant du bois dur<br />
(1) N. 447, 1852, Inspections. Pour le cercle de Ténès, il s'agit d'une statis<br />
tique globale : 14.561 hectares culUvés et 100.550 non cultivés ; pour le cercle<br />
de Miliana nous avons totalisé les renseignements donnés sur 21 tribus :<br />
32.850 hectares cultivés et 214.450 non cultivés.<br />
(2) Ouzaghera : 2.000 cultivés et 6.750 non culUvés — Djendel<br />
: 4.000<br />
Gheraba : 900 cultivés et 21.600<br />
Chéraga : 650 cultivés et 19.350 non cultivés.<br />
cultivés et 13.500 non cultivés — Haraouat<br />
non cultivés — Haraouat<br />
(3) Dans le cercle de Téniet-el-Had par exemple : G. 3°>e T. 1856.<br />
(4) Voir par exemple Tinthoin (183) 42-45.
— 55 —<br />
nécessaire, olivier sauvage surtout. La préparation du terrain,<br />
lorsqu'elle a lieu, consiste en brûlis : si on doit ensemencer la<br />
même terre, on brûle les chaumes afin de donner au sol un<br />
léger engrais et aussi dans le but de faciliter l'action de la<br />
charrue; s'il s'agit de terrains nouvellement défrichés on incen<br />
die sur place les amas de broussailles coupées en les couvrant<br />
parfois de terre pour éviter les incendies et les cendres sont<br />
ensuite répandues sur le sol.<br />
Puis on attend les pluies. Souvent elles sont longues à<br />
venir : fin octobre on ne désespère pas encore et il suffit que<br />
le féraoun (espèce d'oignon sauvage) ait poussé sa tige pour<br />
que les Arabes prétendent que l'année sera bonne (1), mais, si<br />
la sécheresse persiste en novembre et décembre, le sol reste<br />
impénétrable à la charrue arabe et les labours trop retardés ne<br />
permettent pas d'espérer une récolte normale. Certaines années,<br />
au contraire, ce sont les pluies torrentielles, qui empêchent les<br />
labours : les cantons marécageux, comme on en trouve par<br />
exemple dans les Braz et les Attafs, sont envahis par les eaux;<br />
l'intensité de la pluie peut même retarder la pousse de l'herbe<br />
et les animaux affamés mangent alors le diss ou le chaume des<br />
toits qui les abritent, s'exposant ainsi à être décimés par les<br />
intempéries (2).<br />
Parfois, en décembre, les labours se poursuivent au milieu<br />
des averses; le soc de la charrue déplace alors une terre mouillée<br />
qu'il n'ameublit pas, les mottes ne se brisent point, les semences<br />
prises dans une sorte de mortier ne pourront étendre convena<br />
blement leurs racines, mais l'Arabe craint encore davantage les<br />
labours trop<br />
tardifs. Il se hâte donc de faire un labour d'ense<br />
mencement, et il enfouit ses grains dans des sillons peu pro<br />
fonds, mal dirigés,<br />
et laissant entre eux des espaces inutilisés.<br />
Les labours se succèdent souvent plusieurs années sur la même<br />
terre qu'ils épuisent et qu'on abandonne alors. Parfois les<br />
champs laissés en friche tous les deux ou trois ans peuvent se<br />
(1) N : 471, 1852, Téniet, octobre ; 470, 1851, Ténès, août ; 468, 1849, Or<br />
léansville, 2e q. octobre. D'après Trabut (136) 263 le féraoun est Vurginea<br />
vulgairement<br />
maritima, la scille maritime : « le nom indigène de féraoun ou<br />
faraoun aurait été donné en souvenir d'une invasion d'un peuple d'Orient qui<br />
su nourrisait de très gros oignons ».<br />
(2) G Miliana 1" T. 1857.
— 56--<br />
poser. Dans la subdivision de Miliana l'assolement le plus<br />
néral est celui d'une année de culture pour deux de jachère,<br />
où de vastes étendues non cultivées (1). La seule fumure<br />
nnue est celle que procurent les animaux pacageant sur les<br />
rres à ensemencer.<br />
Le grain confié au sol, l'Indigène attend la récolte. Rares<br />
nt ceux qui s'occupent des champs pendant la longue période<br />
îi sépare les semailles des moissons. Les irrigations n'étaient<br />
Lère pratiquées ;<br />
cependant nous savons que dans la région<br />
i Nahr-Ouassel, les Doui-Hasseni obtenaient de belles récoltes<br />
âce à leurs barrages et de nombreux canaux d'irrigation très»<br />
iles au printemps. Les Aziz possédaient sur le Nahr-Ouassel<br />
sur l'Ain Fegoussin quatre barrages construits d'une manière<br />
es simple en branchages formant fascines et consolidés par des<br />
erres et des piquets; ces barrages nécessitaient tous les ans<br />
îs réparations (d'ailleurs peu coûteuses), mais ils permettaient<br />
amener les eaux Nahr-Ouassel sur les terres de labour (2).<br />
Fait plus important : il est très probable que, dans le cercle<br />
î Téniet-el-Had, les Indigènes connaissaient les labours pré-<br />
iratoires avant l'arrivée des Français. Un rapport du premier<br />
imestre 1867 mentionne en effet que « les indigènes du<br />
ercle ont une excellente méthode qui est très peu pratiquée<br />
Heurs, c'est celle des labours préparatoires ; ils ont profité des<br />
lelques pluies de mars pour labourer tous les terrains qui doi-<br />
mt être ensemencés l'année prochaine... » S'il s'agissait d'une<br />
inovation due à l'action des Bureaux arabes, elle serait soi-<br />
neusement mise en valeur par le chef du bureau de Téniet, ce<br />
ni n'est pas. D'ailleurs, un autre rapport du premier trimestre<br />
$68 signale également ces labours préparatoires comme chose<br />
abituelle après avoir noté que l'agriculture ne fait aucun pro-<br />
rès (3).<br />
Ces exceptions mises à part, l'Indigène est peu préoccupé de<br />
i récolte future. Le plus souvent, il s'éloigne des terres ense-<br />
lencées, les préservant ainsi des dégâts que pourraient com-<br />
(1) N 463, 1847, Miliana 1" q. décembre.<br />
(2) N 447, 1852, subdivision de Miliana, Inspection.<br />
(3) G Téniet, 1" T. 1867 et 1" T. 1868.
— 57 —<br />
ettre les troupeaux. Et le grain lève et se développe selon la<br />
donté d'Allah. Des hannetons à l'état de larves,<br />
connues sous<br />
nom de vers blancs, attaquent parfois les semences dont les<br />
ïtournements du khammès avaient pu déjà réduire la quan-<br />
:é ; deux ensemencements consécutifs sont ainsi certaines an-<br />
;es détruits coup sur coup par les insectes ; les fellahs les<br />
us attentifs essayent d'éviter ce désastre en mêlant à la semen-<br />
: des terres calcaires réduites en poudre ou des feuilles de lau-<br />
er hachées ou encore répandent de l'eau avec du goudron<br />
rsqu'il s'agit de sauvegarder une récolte déjà avancée (1).<br />
k, comme ailleurs, les sauterelles constituent un autre danger,<br />
irtout dans les régions méridionales, et c'est une des raisons<br />
>ur lesquelles on redoute les labours tardifs car au moment<br />
;s éclosions les céréales n'ont point alors acquis assez de for-<br />
; pour braver la voracité des criquets.<br />
Mais c'est le climat qui fait peser sur la récolte les plus grands<br />
ingers.Que des pluies diluviennes surviennent après les semail-<br />
s et les semences sont emportées par des torrents d'eau ou<br />
jurrissent dans le sol, les silos « boivent » , selon l'expression<br />
rabe,<br />
et subissent de grandes pertes. Surtout il faut compter<br />
/ec la sécheresse du printemps qui compromet même une récol-<br />
ayant bénéficié de bonnes pluies automnales et dont les<br />
égâts sont particulièrement graves lorsqu'elle s'accompagne<br />
; siroco : le blé en paille peut alors demeurer superbe, mais<br />
grain ne se forme pas, se réduisant parfois à l'enveloppe,<br />
icapable de fournir de la farine.<br />
Avec les chaudes journées de juin, l'Indigène est revenu<br />
rès de ses champs et, muni de sa faucille primitive, coupant<br />
blé haut pour faciliter ensuite le dépiquage, il entreprend<br />
l moisson.Dans la plaine du Chélif on fait appel à des mékariin<br />
noissonneurs) de la montagne et, pour éviter des discussions<br />
ître travailleurs et propriétaires, le prix de la journée du mois-<br />
»nneur est fixé chaque année, en mai, dans une grande réunion<br />
; cultivateurs, ce qui ne va pas sans difficultés lorsque le ren-<br />
ement est différent d'une région à une autre (2). En bonne<br />
(1) G Ténès, 1« T. 1858, lir T. 1859, 1" T. 1861 et Téniet-el-Had 2"e T.<br />
50.<br />
(2) N 468, 1849, Orléansville 2"»» q. mai.
— 58 —<br />
nnée celui-ci atteint 10 quintaux à l'hectare pour le blé et 16<br />
aur l'orge ; en mauvaise année, notamment dans la plaine du<br />
hélif, le fellah trouve parfois plus d'avantages à faire manger<br />
;s récoltes par les bestiaux et,<br />
s'il insiste pour que la moisson<br />
it lieu, il arrive que le khammès refuse de la faire sous pré-<br />
îxte que la récolte n'en vaut pas la peine (1) .<br />
Et les conséquences d'une mauvaise année se répercutent<br />
mjours sur l'année suivante même si les conditions atmosphé-<br />
ques sont alors favorables : les semences manquent, les ani-<br />
taux se trouvent affaiblis par la rareté des fourrages ; par<br />
îite « la charrue » se réduit par rapport à l'année précédente,<br />
i récolte reste faible et, comme l'Indigène veut consacrer beau-<br />
jup de grains aux ensemencements, il continue à connaître la<br />
isette en attendant la bonne récolte qui doit lui rendre une<br />
rospérité relative. Si le malheur veut qu'il y ait alternance de<br />
onnes et de mauvaises années, l'agriculteur se trouve pris dans<br />
n cycle infernal, disposant d'emblavures étendues en mauvai-<br />
; année et d'emblavures réduites en année féconde.<br />
Les conflits sociaux naissent de la misère après une récolte<br />
éficitaire. Si le khammès ne contracte pas de lourds emprunts,<br />
ne peut se libérer auprès de son fellah et celui-ci le poursuit,<br />
nsissant la totalité de la récolte pour rentrer dans une partie<br />
es fonds qu'il avait avancés (2). Réduit à la misère, le kham-<br />
îès n'obtient ensuite que très difficilement des prêts de grains<br />
ue rien ne peut garantir et que le propriétaire perdrait en<br />
as d'une autre mauvaise récolte. Trop<br />
malheureux il se mon-<br />
:e alors indifférent au succès des labours lorsqu'il ne va pas<br />
îsqu'à refuser tout simplement le travail (3).<br />
Comme ressources d'appoint ou de secours en mauvaise<br />
nnée, l'Indigène peut compter sur certains produits naturels.<br />
es glands doux en particulier sont abondamment consommés<br />
ans le Dahra comme dans l'Ouarsenis. Si leur récolte est insuf-<br />
sante en mauvaise année de céréales, la famine menace les<br />
idigènes. Ils doivent alors vivre de racines et notamment de<br />
(1) N 475, 1856, Miliana, juin.<br />
(2) Pour l'étude du Khammesat voir Rectenwald Le contrat de Kham-<br />
esat dans l'Afrique du Nord, Paris 1912, surtout p. 39 et suivantes.<br />
(3) G Miliana 3e T. 1858 et 1" T. 1859.
— 59 —<br />
celles appelées talrouda etbekoilka qu'ils mêlent à l'orge ou<br />
bien qu'il font torréfier puis moudre et convertir en une espè<br />
ce de pain dont la consommation occasionne des enflures dans<br />
le gosier et des engorgements dans le tube digestif (1). Seules<br />
peuvent échapper à cette affreuse misère, les tribus, peu nom<br />
breuses d'ailleurs, qui joignent aux céréales quelques autres<br />
cultures.<br />
Les autres cultures.<br />
Elles comptaient assez peu. Quelques tribus, comme les<br />
Béni-Rached, cultivaient des légumes et un grand nombre de<br />
melons et de pastèques. On trouvait également, dans les mon<br />
tagnes du Nord en particulier, des pois chiches, des lentilles<br />
(de très mauvaise qualité) et surtout des fèves; ces dernières,<br />
dans le cercle de Cherchel, étaient d'une grande ressource pour<br />
les habitants auxquels elles servaient de nourriture au moins<br />
pendant trois mois de l'année (2).<br />
Les arbres fruitiers entouraient les habitations des mon<br />
tagnards du Dahra ou de la région de Cherchel. Les oliviers<br />
et les figuiers tenaient la première place. Chez les Beni-Menas-<br />
ser on voyait des abricotiers et des amandiers bien entretenus<br />
ainsi que quelques pieds de vigne, dont les raisins étaient sur<br />
tout destinés à être séchés ; chez les Medjadja, des vergers de<br />
figuiers, d'amandiers et de pêchers; chez les Béni-Rached, une<br />
grande quantité d'orangers et de citronniers. Dans les monta<br />
gnes de Ténès, où la récolte de céréales était toujours médiocre,<br />
les bonnes années se marquaient par une surabondance de fruits,<br />
malheureusement toujours de qualité très inférieure. Chez les<br />
(1) D'après Trabut (136) 38 et 51, le tubercule volumineux désigné sous<br />
le nom de talrouda (ou talrhouda) est le Bunium incrassatum et le Bunium<br />
mauritanicum. Quant au bekouka (ou begouga) c'est l'Arum italicum vul<br />
gairement appelé gouet ou pied de veau.<br />
(2) N : 468, Cherchel, 2m° q. février ; 472, 1853, Cherchel, avril. Sans doute<br />
faudrait-il signaler aussi l'utilisation de la fève sauvage que le Docteur Tra<br />
but a découvert, vers 1910, dans les jachères du Sersou où les femmes arabes<br />
récoltaient les gousses et faisaient cuire les graines dont la taille et l'aspect<br />
rappelaient certaines féverolles (Truet : Traité de culture potagère pour<br />
l'Afrique du Nord, Alger, 1945, Tome II, p. 127).
— «0 —<br />
Béni-Bou-Khannous, du cercle d'Orléansville, l'importance des<br />
jardins et des arbres fruitiers l'emportait sur celle des céréa<br />
les. Les ruches jouaient un rôle non négligeable dans plusieurs<br />
tribus : Medjadja, Béni-Rached, Ouarsenis, Mchaïa, Dahra sur<br />
tout qui obtenaient un miel très estimé (1).<br />
Comme culture industrielle, seul le tabac avait quelque im<br />
portance. Beaucoup de tribus en produisaient dans le Dahra<br />
et l'Ouarsenis, mais en quantité souvent très faible, un kilo ou<br />
même moins par année. Le Cercle d'Orléansville comptait ce^<br />
pendant quelques producteurs plus considérables : les Ouarse<br />
nis, les Dahra, les Cheurfa, les Ouled-Younès et les Ouled-Abd-<br />
Allah qui totalisaient plusieurs centaines de kilos. Sur les mar<br />
chés du cercle de Téniet, le tabac jouait également un rôle nota<br />
ble dans les échanges (2).<br />
L'élevage.<br />
Mais pour l'Indigène toutes ces cultures ne fournissaient<br />
qu'un appoint aux ressources essentielles : céréales et troupeaux.<br />
Pour apprécier l'importance de ces derniers nous disposons de<br />
nombreuses données numériques fournies par les Bureaux ara<br />
bes, renseignements très complets, en particulier pour les an<br />
nées 1845, 1848, 1852 et que nous résumons très sommairement<br />
dans le tableau suivant (3).<br />
(1) N : 468, 1849, Cherchel, 2me q. mars et 2m« q. juin ; 447, 1852, subdivi<br />
sion d'Orléansville, Inspection ; 472, 1853, Ténès, juillet ; 449, 1854, Orléansville,<br />
Inspection.<br />
(2)N 447, 1852, subdivision d'Orléansville, Inspection ; 449, 1854, Orléans-<br />
vijle, Inspection ; 475, 1856, Orléansville, mars.<br />
(3) Pour 1845 les statistiques se trouvent dans le Tableau des établisse<br />
ments de 1844-45 p. 494 et suivantes ; les chiffres sont donnés pour les tribus<br />
et fractions de tribus ; afin de pouvoir comparer les résultats avec ceux des<br />
autres années nous avons écarté de la subdivision de Miliana toutes les tri<br />
bus qui par la suite n'y furent iilus englobées, à savoir : les Hadjoutes, Ghellaîe,<br />
Féroukia, Béni-Salah et Béni-Messaoud. Les statistiques de 1848 et 1852<br />
se trouvent respectivement dans N 447 et N 539. De l'étude détaillée et<br />
comparée de ces divers documents, il résulte qu'ils ne doivent être utilisés<br />
qu'avec circonspection, certains renseignements étant manitestement erro<br />
nés. Malgré leur extraordinaire précision apparente ces tableaux ne peuvent<br />
fournir qu'une vue d'ensemble de la situation.
Années<br />
Moutons<br />
et Chèvres<br />
Bœufs<br />
et Vaches<br />
•61-<br />
Chevaux Mulets Chameaux<br />
1845 575.732 61.020 8.193 3.126 1.216<br />
1848 590.760 71.419 5.401 4.462 1.183<br />
1852 847.700 90.371 6.907 4.904 1.153 (1)<br />
(1) Non<br />
500 et 600.<br />
compris ceux du cercle de Miliana que l'on peut estimer entré<br />
Les moutons forment l'élément essentiel,<br />
surpassant les<br />
chèvres, même dans les tribus au territoire entièrement mon<br />
tagneux : chez les Soumata, les Béni-Menad et les Chenoua,<br />
par exemple, on dénombre respectivement 783, 1723 et 590 mou<br />
tons contre 277, 935 et 174 chèvres (chiffres de 1845). Dans les<br />
tribus de plaine, la disproportion s'accentue : 17.500 moutons<br />
contre 2.057 chèvres chez les Attafs. Les bœufs et les vaches<br />
viennent loin derrière les moutons et les chèvres comme élé<br />
ment constitutif du troupeau : en 1845 le rapport est à peu près<br />
de 1/9 et si dans certaines tribus dû Nord, comme les Bou-<br />
Hallouan, il s'élève à 1/4 par contre, dans le Sersou, chez les<br />
Doui-Hasseni entre autres, il tombe à 1/164. Les chevaux et les<br />
mulets étaient en nombre véritablement faible pour une popu<br />
lation dépassant 165.000 habitants. Quant aux chameaux ils<br />
n'avaient de l'importance que dans quelques tribus : les Aziz<br />
de l'aghalik du Djendel en comptaient 370, les Ouled-Ayad 122,<br />
les Doui-Hasseni 230, les Béni-Maïda 153, les Béni-Linte 230,<br />
toutes tribus situées au contact du Tell et des Hautes Plai<br />
nes (1).<br />
Comme les céréales, et en grande partie pour les mêmes rai<br />
sons, le troupeau constituait une richesse essentiellement varia<br />
ble. Les renseignements que nous possédons pour 1845, 1848 et<br />
1852<br />
nous permettent de faire quelques remarques sur la situa<br />
tion au cours des premières années. Même si nous n'accordons<br />
aux chiffres qu'un crédit très limité, il semble impossible de<br />
nier la croissance du cheptel en moutons et chèvres, boeufs et<br />
(1) Il s'agit toujours des chiffres de 1845.
— — 62<br />
vaches, et aussi mulets : pour tous ces animaux, instruments de<br />
travail et capital en réserve de l'agriculteur, le progrès serait<br />
de l'ordre de 50 %<br />
de chevaux a sensiblement diminué et pour expliquer cette évo<br />
entre 1845 et 1852. Au contraire le troupeau<br />
lution, très brutale entre 1845 et 1848 notamment, il suffit d'in<br />
voquer l'insurrection de Bou-Maza et les combats meurtriers<br />
qui suivirent. Longtemps d'ailleurs le nombre de chevaux avait<br />
varié en sens inverse du reste du cheptel car, comme l'écrivait<br />
en 1849 le capitaine Richard,<br />
chef du bureau arabe d'Orléans-<br />
ville : « Quand l'Arabe craint les troubles, il vend ses moutons<br />
et achète un cheval et des armes » (1). Par la suite on n'obser<br />
ve plus ces discordances dans l'évolution des diverses espèces<br />
et, avec la pluviosité très incertaine en plaine, les hivers sou<br />
vent très rigoureux en montagne, le fait dominant restera l'ex<br />
traordinaire variation du troupeau indigène.<br />
Les méthodes d'élevage ne pouvaient pallier les inconvé<br />
nients naturels. Nous avons déjà dit comment,<br />
pour trouver<br />
une nourriture suffisante en toutes saisons, les troupeaux étaient<br />
contraints à de continuels déplacements, soit à l'intérieur du<br />
territoire même de la tribu,<br />
soit entre la plaine et la montagne,<br />
soit du Tell vers le Sud ; migrations qui n'étaient pas sans avan<br />
tages, développant le système musculaire ainsi que la force de<br />
résistance des animaux et leur permettant d'échapper à la sé<br />
cheresse de l'été ou aux rigueurs de l'hiver. Par contre l'absence<br />
d'abris se faisait cruellement sentir. A l'exception des agneaux,<br />
protégés sous la tente pendant quinze ou vingt jours, le trou<br />
peau n'avait le plus souvent, pour se garantir des excès du cli<br />
mat ou de la dent des bêtes féroces, qu'une haie de branches<br />
épineuses. Aussi un hiver particulièrement froid prenait les<br />
proportions d'une véritable catastrophe. Pour nous en faire une<br />
idée nous avons l'exemple de celui de 1857 : dans le Cercle de<br />
Téniet-el-Had les pertes des troupeaux atteignent parfois les<br />
2/3 ; dans celui d'Orléansville les intempéries déterminent la<br />
mort de 126.000 moutons, de 98.000 chèvres et de près de 11.500<br />
bœufs sur un troupeau total d'environ 300.000 têtes pour les<br />
moutons et les chèvres, de moins de 30.000 pour les bovins (2).<br />
(1) N 468, 1849, Orléansvilli 2""' q. janvier.<br />
(2) G Orléansville 1" T. 1857 et N 475, 1857, Téniet-el-Had, janvier.
— 63 —<br />
Et un pareil désastre est lourd de conséquences : l'année sui<br />
vante, faute de bœufs pour tirer la charrue et faute de moutons<br />
à échanger sur les marchés contre des semences, l'étendue des<br />
cultures se restreint considérablement.<br />
Le troupeau décimé va se reconstituer à la diable car si l'In<br />
digène pratique la castration (1), il le fait suivant des métho<br />
des primitives et choisit avec peu de discernement les animaux<br />
à opérer. Donc point de véritable sélection. L'Indigène ne pré<br />
voit pas à longue échéance ; il vend lorsqu'on lui offre un bon<br />
prix ou lorsque la nécessité l'y contraint, sans chercher à con<br />
server les bêtes qui progressivement pourraient contribuer à<br />
l'amélioration qualitative de son troupeau. De là, pour les mou<br />
tons par exemple, des résultats très médiocres aussi bien en ce<br />
qui concerne la viande que la laine. Les animaux sont amenés<br />
sur les marchés sans trop se préoccuper de leur poids ; il n'y<br />
a guère que les Sbéah et les Ouled-Kosseïr qui achètent, des bes<br />
tiaux et les engraissent avant de les revendre (2). Quant à la<br />
laine, elle se trouvait dépréciée par les procédés de la tonte.<br />
Celle-ci, pratiquée avec des couteaux ou la faucille, mutilait<br />
souvent les bêtes, tiraillait la toison et en laissait près du quart<br />
inutilisé sur le corps de l'animal. De plus, loin de laver la laine,<br />
l'Indigène pratiquait la tonte sur un sol terreux et malpropre<br />
afin d'accroître le poids du produit par l'incorporation d'une<br />
assez grande quantité de corps étrangers ; parfois il ajoutait<br />
sciemment de l'eau, du sable, de la terre et des pierres ou enle<br />
vait un peu de laine de chaque toison lorsqu'il pensait les céder<br />
à la pièce et non au poids.<br />
L'industrie.<br />
Elle vient loin derrière les céréales et l'élevage. C'est une<br />
industrie de la tente dans laquelle les femmes jouent un rôle<br />
primordial et qui vise à satisfaire les besoins essentiels de la<br />
communauté familiale. Peu de différences d'une tribu à une<br />
(1) Voir dans (137) 5-11 le rapport de Bernis, vétérinaire principal de<br />
l'Armée d'Afrique en 1852.<br />
(2) G Orléansville 2» T. 1856.
— 64 —<br />
autre et par suite peu d'échanges : certes nous signalerons plus<br />
loiu un certain nombre de spécialités, mais pour en apprécier<br />
l'importance il faut se souvenir qu'il s'agit d'une énumération<br />
à peu près complète et que notre enquête porte sur un total de<br />
105 tribus (1). Un rapporï d'inspection des Bureaux arabes<br />
note d'une façon catégorique que dans le Cercle de Miliana<br />
l'industrie se borne à la fabrication des objets de première uti<br />
lité et qu'il n'y a pas de spécialité. Son de cloche identique<br />
dans un rapport relatif au Cercle de Cherchel et énumérant<br />
pour diverses tribus les mêmes industries : poteries en terre,<br />
vanneries en palmier nain, haïks, burnous, charbon, huile d'oli<br />
ve et instruments aratoires grossiers. En somme une économie<br />
qui se suffit à elle-même ((2).<br />
De ce premier caractère en dérive un second : le peu de<br />
développement de l'activité industrielle. Pour les vêtements,<br />
dans le cercle de Téniet surtout, on comptait en partie sur ceux<br />
que les nomades apportaient. Dans les montagnes de Cherchel,<br />
sur treize tribus, seuls paraissent devoir être mentionnés comme<br />
ayant une activité industrielle les Chenoua fabriquant en quan<br />
tité appréciable des vases rudimentaires et des nattes de pal<br />
mier nain. Dans les agglomérations,<br />
même les plus importan<br />
tes, les ouvriers sont peu nombreux. En 1849 dans la ville ara<br />
be de Ténès, malgré les encouragements du bureau arabe, on<br />
trouve en tout et pour tout : un forgeron, un armurier et un<br />
teinturier. A Cherchel, à la même époque, la seule industrie<br />
assez renommée est celle de la poterie (3).<br />
Il faut noter également le caractère intermittent des indus<br />
tries indigènes. Pour le Cercle de Ténès, l'industrie principale<br />
consiste dans la confection, avec de l'alfa, de quelques nattes,<br />
paniers, couffins, mais comme personne ne s'y<br />
livre de manière<br />
permanente, ces articles ne se rencontrent sur les marchés qu'à<br />
l'époque des labours et à celle des moissons. Le travail indus<br />
triel, lorsqu'il existe, apparaît, en effet, le plus souvent, comme<br />
(1) Elles se répartissent ainsi : cercle de Ténès : 12 ; cercle d'Orléans-<br />
ville : 23 ; cercle de Téniet-el- Had : 11 ; cercle de Miliana : 46 ; cercle de<br />
Cherchel : 13. N 448, 1853, rapport du Général Camou sur la division d'Alger.<br />
(2) N 447, 1852» Miliana et Cherchel, Inspections.<br />
(3) N 468, 1849, Ténès 2"' q. mars ; N 469, 1860, Cherchel, septembre.
— — 65<br />
une occupation de morte-saison. Par exemple, chez les Béni-<br />
Haoua (cercle de Ténès), les 80 individus qui font des nattes,des<br />
cribles, des paniers, des couffins en alfa et en palmier nain<br />
s'adonnent à cette besogne seulement lorsque les travaux de<br />
culture ne réclament pas leurs soins (1).<br />
Si nous voulons apporter quelques précisions sur les diver<br />
ses industries,<br />
nous devons commencer évidemment par celles<br />
qui sont en relation directe avec l'agriculture. La place préémi<br />
nente revient à la mouture du grain, travail des femmes utili<br />
sant un mortier ou un petit moulin à bras ;<br />
corvée rude et fas<br />
tidieuse demandant chaque jour des heures entières et pour<br />
laquelle on a invoqué la nécessité de la polygamie ou évoqué<br />
la tâche des 6.000 esclaves enfouis dans les souterrains de Rome<br />
(2). A côté de cette besogne capitale les autres industries<br />
agricoles méritent à peine une mention : préparation des figues<br />
sèches, des raisins secs, du tabac et surtout fabrication de l'hui<br />
le. Ce dernier travail, confié aux femmes et aux enfants, se pra<br />
tiquant d'une manière très imparfaite, les pertes étaient lour<br />
des et le produit obtenu de qualité très médiocre; il jouait ce<br />
pendant un rôle notable dans les échanges du cercle de Cher<br />
chel (3).<br />
Beaucoup<br />
d'industries se retrouvent dans presque toutes<br />
les tribus tel le travail de la laine,<br />
autre occupation des fem<br />
mes. Outre les pièces mêmes de la tente ou flidj, elles font les<br />
tapis qui constituent à peu près tout l'ameublement, les haïks<br />
et les burnous pour leur époux et leurs enfants, les djelals pour<br />
les chevaux, les tellis pour les provisions. Les Medjadja fabri<br />
quent également les métiers nécessaires à cette industrie tex<br />
tile. La vannerie s'ajoute à l'industrie textile pour fournir à<br />
l'Indigène les objets les plus indispensables : avec l'alfa, le pal<br />
mier nain ou même le jonc on fabrique des nattes, des couffins,<br />
des grands paniers aux usages les plus divers. L'industrie de<br />
la poterie grossière se retrouve dans la plupart des tribus, mais<br />
quelques-unes seulement,<br />
(1) N 449, 1854, Ténès, Inspection.<br />
(2) Richard (18) 60.<br />
(3) G Cherchel 4* T. 1856 et 1" T. 1857.<br />
comme les Béni-Zioui du cercle de
— 66 —<br />
Cherchel, ont acquis quelque renommée pour leur habileté dans<br />
la fabrication des ustensiles de cuisine. La préparation du sa<br />
von, importante chez les Medjadja, les Béni-Rached et les Béni-<br />
bou-Khannous (cercle d'Orléansville) par exemple,<br />
paraît ce<br />
pendant plus localisée. Les Chouchaoua tannent des peaux de<br />
boucs qu'ils vont vendre sur les marchés environnants (1).<br />
Les spécialisations pouvant engendrer un véritable commerce<br />
restent peu nombreuses. Le bois surtout donne lieu à des indus<br />
tries variées qui alimentent les échanges avec les gens des plai<br />
nes. Plusieurs tribus montagnardes préparent du charbon, com<br />
me les Sendjès et les Ouled-Sidi-Salah, où, tels les Béni-bou-<br />
Khannous, livrent du goudron. Certaines confectionnent des<br />
objets variés allant depuis les cuillères en bois jusqu'aux âges<br />
de charrues, en passant par les montants de tentes, les plats,<br />
les planchettes pour les tolba, les baguettes de fusil...; c'est le<br />
cas des Ouled-Boufrid et des Talassa du cercle de Ténès, des<br />
Béni-Zoug-Zoug du cercle de Miliana, des Heumis et des Ouar<br />
senis du cercle d'Orléansville, des Béni-Linte et des Doui-Has<br />
seni du cercle de Téniet-el-Had. La préparation des planches<br />
pour cercueils pratiquée notamment par les Chouchaoua (cer<br />
cle d'Orléansville) donne lieu, dans les bois de thuya, à une ex<br />
ploitation dévastatrice parce que, faute d'outils pour extraire<br />
quelques planches, les Indigènes sont obligés d'abattre des ar<br />
bres de belle venue qui convenablement débités pourraient en<br />
fournir dix fois plus (2).<br />
L'exploitation des autres matières premières a des con<br />
séquences plus limitées. Les Medjadja fabriquent de la chaux.<br />
Dans les Béni-Merzoug, grâce à une carrière fournissant de la<br />
très bonne pierre, une vingtaine d'individus font des meules de<br />
moulins à bras qu'ils colportent sur les marchés. Le fer donne<br />
lieu à une petite industrie dans les régions où l'on trouve un peu<br />
de minerai : chez les Béni-Chaïb de l'Ouarsenis qui fabriquent<br />
(1) N : 447, 1852, Orléansville et Téniet-el-Had, Inspection ; 449, 1854,<br />
Orléansville, Inspection ; 539, 1848, statistiques.<br />
G Ténès 2* et 3" T. 1856, Cherchel 4* T. 1856.<br />
On appelle djelal la couverture utilisée pour le cheval.<br />
(2) N : 469, Orléansville, mars ; 447, 1852, Téniet et Miliana, Inspections;<br />
449, 1854, Orléansville, Inspection.
67 —<br />
des haches, des couteaux, des licols en fer et des anneaux ;<br />
chez les Béni-Zioui de la région de Cherchel qui font des ins<br />
truments de jardinage et des sabots pour renforcer le bois des<br />
charrues. Les Berbères de l'Ouarsenis extraient du plomb; avec<br />
leurs voisins! des Béni-Bou-Attab du cercle de Miliana,ils produi<br />
sent également du salpêtre suivant une méthode très simple : on<br />
laisse longtemps du fumier à l'humidité et il se forme des mot<br />
tes terreuses qui sont couvertes de salpêtre. La fabrication de<br />
la poudre était importante chez les Sbéah qui, suivant le capi<br />
taine Richard, avaient pour principale industrie le vol et le<br />
pillage comme les Ouled-Sidi-Salah la mendicité (1).<br />
Les échanges.<br />
Avec une population convaincue que celui qui possède du<br />
blé et de l'orge n'a plus rien à désirer, considérant les légumes<br />
comme superflus (2), le commerce ne pouvait avoir une bien<br />
grande extension. Chaque tente vivait de son grain, fabriquait<br />
le plus souvent ses ustensiles de ménage et confectionnait ses<br />
effets d'habillement ; les excédents, en grains et en laine notam<br />
ment,<br />
n'alimentaient que de faibles transactions. Celles-ci se<br />
nouaient sur les marchés où la population s'approvisionnait<br />
en denrées qui lui manquaient et qu'apportaient des marchands<br />
venus le plus souvent des tribus voisines.<br />
Nous avons dénombré 42 marchés en 1848 (3), c'est dire<br />
que beaucoup de tribus possédaient le leur. Certaines cepen<br />
dant, à cause de leur pauvreté,<br />
n'en avaient jamais eu : daus<br />
tout le cercle de Ténès par exemple on n'en complaît que deux.<br />
D'autres, comme les Béni-Ghomerian et les Béni-Ferrah,<br />
avaient vu le leur décroître puis disparaître. Par contre quel<br />
ques-unes telles les Braz, les Sendjès ou les Gouraya en tenaient<br />
(1) N 469, 1850, Cherchel, décembre. N 447, 1852, Ténès, Orléansville et<br />
Téniet-el-Had, Inspection. N 448, 1853, Orléansville, Inspection. N 472, 1853,<br />
Miliana, février. N 449, 1854, Ténès, Inspection. G Cherchel, 4» T. Richard<br />
(17) 25.<br />
(2) N 468, 1849, Ténès 1 q. avril.<br />
(3) N 539, 1848,<br />
statistique des tribus.
— 68 —<br />
deux et on en comptait jusqu'à trois chez les Sbéah du Nord et,<br />
semble-t-il, chez les Béni-Menasser.<br />
Nombre de ces marchés étaient davantage des lieux de<br />
réunion que de commerce et les places vers lesquelles conver<br />
geaient des courants commerciaux plus intenses se comptaient<br />
aisément. Dans le Nord, Ténès paraît avoir eu une importance<br />
notable pour les céréales,<br />
mais c'est le marché des Béni-Mer-<br />
zoug qui est signalé comme jouant le rôle essentiel. Sur le ver<br />
sant nord de l'Ouarsenis le marché le plus considérable était<br />
celui des Béni-Zoug-Zoug qui se tenait le mercredi et, plus au<br />
sud, marchands et acheteurs se rendaient chez les Béni-Lent,<br />
les Béni-Chaïb, les Ouled-Ayad et plus encore chez les Ouled-<br />
Ammar. Bien alimentée en sel, savon, sucre et café ainsi qu'en<br />
substances tinctoriales et eiî cotonnades, Miliana recevait des<br />
Béni-Zoug-Zoug, des Haraouat, des Bou-Rached, des Djendel,<br />
des Béni-Menasser, des Bou-Hallouan...<br />
Mais c'est surtout vers les marchés de la plaine du Chélif<br />
qu'affluaient les sans (1) de grains, les toisons de laine, les<br />
charges de tabac, les bœufs et les moutons, l'huile, le beurre, le<br />
miel, les volailles... A l'Ouest, les Ouled-Kosseïr étaient réputés<br />
particulièrement commerçants. Au centre, les Attafs possédaient<br />
deux marchés très fréquentés par les Kabyles de l'Ouarsenis<br />
et du Dahra comme par les populations de la plaine. Mais au<br />
cun de ces marchés ne pouvait se comparer à l'Arba des Djen<br />
del qui recevait des Ghribs, des Ouarsenis, des Ouled-Ayad,<br />
des Blaëls, des Soumata, des Hachem, des Bou-Hallouan, des<br />
Béni-Zoug-Zoug, des Attafs et même des Ouled-Kosseïr, des<br />
Sendjès et des Ouled-el-Abbès ; à la belle saison, il n'était pas<br />
rare d'y voir réunis 6.000 Indigènes.<br />
Si l'on cherche à discerner la nature de ces courants com<br />
merciaux, mis à part le trafic avec les nomades signalé anté<br />
rieurement, on note la prédominance des échanges entre la plai<br />
ne et la montagne. Lorsque la récolte était déficiente dans la<br />
vallée du Chélif, les Arabes de la plaine, en juillet et août,<br />
allaient chez les montagnards (du Nord surtout) chercher des<br />
(1) Mesure du pays équivalant à peu près à un quintal en orge et à un<br />
quintal et 12 à 15 kilogs en blé.
— — 69<br />
glands ou du grain ; mais c'était plus une forme de mendicité<br />
que de commerce (1). Dans le sens opposé, de la montagne<br />
vers la plaine, les rapports avaient un autre caractère et une<br />
plus grande ampleur. Outre les moissonneurs qu'elles déver<br />
saient chaque année sur la plaine, les montagnes du Nord et du<br />
Sud fournissaient aux gens du Chélif nombre de produits agri<br />
coles et même industriels. Les Kabyles de l'Ouarsenis ou de<br />
la région de Cherchel apportaient des légumes, des figues et<br />
aussi de l'huile qu'ils échangeaient contre des grains ; certains<br />
écoulaient également des laines, des vases grossiers, des usten<br />
siles en bois, mais au total ce commerce se trouvait limité par<br />
la pauvreté des populations et par le mauvais état des sentiers<br />
arabes.<br />
Il s'agit jusque là, comme pour la circulation des nomades, de<br />
courants Nord-Sud ou Sud-Nord (2). La vallée du Chélif ou<br />
vre une voie E-0 qui devait nécessairement constituer aussi<br />
un axe commercial. C'est en l'empruntant que venaient les mar<br />
chands de l'Oranie avec des tissus et des tapis et sans doute<br />
aussi avec des charges de sel (3) ; leurs caravanes emportaient<br />
au retour le blé et l'orge des tribus du Chélif. Dans le sens inver<br />
se, les Kabyles des Zatima, (cercle de Cherchel), lorsque la récol<br />
te d'olives avait été bonne, partaient avec leur huile jusque dans<br />
la région de Mascara (4) pour se procurer,<br />
par des échanges<br />
avantageux, le blé ainsi que les laines et les étoffes dont ils<br />
étaient dépourvus.<br />
Les populations côtières ne pratiquaient guère le cabotage.<br />
Cependant les grosses barques de Cherchel ou « sandals »<br />
(Pretot) apportaient à Alger des poteries, des fruits et du bois.<br />
(1) N : 462» 1846, 1 et 2n"> q. août ; 469, 1850, Orléansville, juillet.<br />
(2) On pourrait ajouter, comme suivant à peu près cette direction, le com<br />
merce des esclaves ; ceux-ci étaient considérés comme indispensables parce<br />
qu'ils aidaient les femmes dans leurs travaux, allant en particulier au bois<br />
et à l'eau, corvées que ne pouvaient assurer les filles de grande tente. Les<br />
marchands d'esclaves venaient parfois de très loin, du Gourara par exem<br />
ple. Ils essayèrent de maintenir leur trafic après la conquête française et en<br />
1J-48 on en arrêtait sur le marché d'Orléansville. N : 463, 1847, Orléansville<br />
2m" q. septembre ; 465, 1848, Ténès, 2me q. septembre ; 465, 1848, Orléansville<br />
2" q. juin.<br />
(3) N 469, 1850, Orléansville, février.<br />
(4) Et certains aussi vers Tiaret. G Cherchel 3e T. 1858.
— 70 —<br />
Quant à Ténès, avant même la conquête, c'était le port du Chélif<br />
et, en voulant en faire le débouché d'Orléansville, Bugeaud, en<br />
1843, ne fera que renforcer un courant commercial déjà exis<br />
tant. Chaque année, en effet, d'août à novembre, on transportait<br />
à Ténès de grosses quantités de céréales que des bâtiments<br />
d'Alger ou d'Espagne venaient charger (1).<br />
Regard vers l'extérieur certes, mais combien discret, com-i<br />
bien furtif ! Au total le pays demeurait recroquevillé sur luimême,<br />
était<br />
la tribu et parfois même la famille. Or, à la même époque,<br />
rEurope et la France en particulier? voyait se lever l'aurore<br />
d'une économie nouvelle caractérisée par la puissance de la<br />
ankylosé dans nnejîgnrinrmp arriérée dont le.cadre<br />
production avec la machine à vapeur et l'intensité des échanges!<br />
avec la voie ferrée (2). La religion du progrès industriel recru- \<br />
tait des fidèles et les Saint-Simoniens entonnaient un hymne<br />
à la production. Comment les officiers des Bureaux arabes,<br />
dont certains avaient appartenu à la jeunesse intellectuelle de<br />
Paris, auraient-ils pu s'accommoder d'une économie moyenâ<br />
geuse ? Pour des raisons que nous allons maintenant essayer<br />
de préciser et avec des méthodes imposées par la structure<br />
économique et sociale du pays, ils entreprirent la transformation<br />
radicale des genres de vie indigènes. ^^<br />
(1) M.G. 1314, notices de Pretot et notice sur Cherchel de 1841. N 465,<br />
1848, Ténès 2m" q. octobre. G Cherchel 1" T. 1866.<br />
(2) L'industrie française qui n'employait que 65 machines à vapeur en<br />
1820, en utilisait déjà plus de 8.000 en 1848.<br />
La première ligne française Paris-St-Germain date de 1837 ; la loi<br />
Guizot de 1842 donna l'impulsion nécessaire à un développement rapide et en<br />
1848 le réseau français approchait des 2.000 kilomètres contre 4.000 en Alle<br />
magne et 6.000 en Angleterre.
CHAPITRE II<br />
Les Bureaux arabes
Pour juger l'œuvre des Bureaux arabes et surtout la com<br />
prendre, il faut étudier avec quelque précision l'organisme lui-<br />
même. Nous en avons très rapidement fait l'historique, dénom<br />
bré les attributions et décrit les rouages. Reste à voir l'essentiel :<br />
l'esprit dans lequel les Bureaux arabes ont<br />
entrepris leur action<br />
et les moyens qu'ils mirent en œuvre pour atteindre le but fixé.<br />
On les a accusés de s'être isolés dans l'armée au point de for<br />
mer une confrérie, une franc-maçonnerie, une «Société d'admira<br />
tion mutuelle » (1) ; on a dit qu'ils recherchaient le désordre,<br />
razziant les tribus sans raison, sinon pour faciliter l'avance<br />
ment des officiers (2) et allant jusqu'à provoquer les insurrec<br />
tions pour justifier la présence leur administration ; on a<br />
âffirme que ces « Templiers modernes » (l'Txpfélssiôn est de J.<br />
régnaient sur les Indigènes par la corruption des chefs \<br />
Favre)<br />
et qu'ils ne haïssaient rien autant que la colonisation européen-<br />
ne ;<br />
on a admis communément que les chefs des Bureaux ara-<br />
bes étaient des sabreurs s'enivrant de leur autorité et paradant<br />
y<br />
y<br />
à la tête des goums.<br />
Toutes ces accusations soulèvent des questions qu'il<br />
faut aborder si l'on veut saisir les modalités de l'action<br />
des Bureaux arabes et en apprécier les résultats. Aussi<br />
nous proposons-nous, tout d'abord, d'examiner le rôle des Bu<br />
reaux arabes dans leurs rapports avec le reste de l'armée; puis,<br />
de rechercher la doctrine, ou, tout au moins, les idées maîtresses<br />
qui ont inspiré les Richard et les Lapasset; ensuite, de définir<br />
les méthodes utilisées par une poignée d'officiers pour mettre<br />
en branle des dizaines de milliers d'Indigène^; et, enfin, d'évo<br />
quer, dans la mesure du possible, les chefs les plus représenta<br />
tifs dont l'autorité s'est exercée dans l'Ouest du Tell algérois.<br />
(1) Pour toutes ces accusations, voir notamment : les Bureaux arabes<br />
devant le jury (126) ; Les Arabes et les bureaux arabes (118) ; articles de<br />
Bézy (42) ; Dûval et Warnier (58) ; A. Duvernois (59) ; Cl. Duvernois<br />
(60). Ce dernier s'adressant au prince Napoléon, et parlant des officiers des<br />
Bureaux arabes,<br />
chands du temple ! »<br />
s'écrie : « si vous êtes un réformateur, chassez les mar<br />
(2) Voir dans Hugonnet (1) 236-238 les pages relatives à la « razzia de<br />
pied ferme ». Il décrit comment un officier qui désire de l'avancement pro<br />
voque les Indigènes pour avoir l'occasion d'une razzia.<br />
\<br />
j
A —<br />
LE ROLE DES BUREAUX ARABES<br />
On a pu soutenir contradictoirement, d'une part, que les<br />
Bureaux arabes, demeurés confondus avec les autres éléments<br />
de l'armée, étaient de simples agents d'exécution sous les or<br />
dres du commandement militaire, de modestes intermédiaires<br />
chargés de transmettre aux Indigènes les décisions des chefs res<br />
ponsables, pour tout dire, rien de plus que l'instrument ou l'ou<br />
til des commandants de Cercle, de Subdivision et de Division<br />
dont ils se bornaient à refléter l'autorité (1) ; et, d'autre part,<br />
qu'ils passaient par-dessus la hiérarchie militaire, dominaient<br />
le gouvernement, constituaient un état dans l'état « avec son<br />
budget, son personnel, ses bureaux, son journal, ses cavaliers<br />
réguliers et irréguliers, disposant de tout le sol, de la liberté<br />
des administrés » sans être soumis à aucune espèce de contrôle,<br />
« habitués à considérer l'Algérie comme leur propriété et les<br />
Arabes comme leur chose ». On a parlé d'« un filet inextricable<br />
jeté sur la colonie » (2).<br />
Où est la vérité ? Il ne semble pas impossible de se faire une<br />
idée nette à condition de distinguer les principes de la réalité.<br />
I. —<br />
LES<br />
Les textes.<br />
BUREAUX ARABES, AGENTS D'EXECUTION<br />
Faire des Bureaux arabes de simples agents d'exécution<br />
tel est le but visé par tous ceux qui se sont occupés de l'organi-<br />
(1) Hugonnet (6) 8 ; Foucher (67) 14 à 17 ; Bureaux arabes devant le<br />
jury (126) 83 ; Peyronnet (87) I 934.<br />
(2) RiNgel (91) 96 ; Duval et Warnier (58) 50-54 ; Bureaux arabes de<br />
vant le jury (126) 26, 31, 77.
—<br />
— 74<br />
sation des Bureaux arabes depuis leur origine jusqu'à leur<br />
disparition.<br />
(Dès 1841, lorsqu'il établit la Direction des affaires arabes,<br />
Bugeaud s'attache à marquer la subordination du nouveau Di<br />
recteur au Gouverneur Général (1). L'arrêté fondamental de<br />
1844 ne laisse planer aucun doute sur ce point et l'article 5<br />
énonce sans ambiguïté que : « Partout et à tous les degrés, les<br />
affaires arabes dépendront du commandant militaire qui aura<br />
seul qualité pour donner et signer les ordres,<br />
dre avec son chef immédiat,<br />
chie ». Dans les instructions qu'il rédige,<br />
officiers des Bureaux arabes d'<br />
et pour correspon<br />
suivant les règles de la hiérar<br />
Daumas qualifie les<br />
« organes de notre autorité<br />
auprès des indigènes » jet il ajoute : « Il est bien entendu d'ail<br />
leurs que l'officier chargé des affaires arabes ne peut être que<br />
le représentant du commandant supérieur,<br />
et que son premier<br />
devoir est de tenir celui-ci au courant des événements, même<br />
les plus minimes, et à plus forte raison, de ne rien décider de<br />
grave sans son ordre » (2). Le nom même de bureau arabe n'im-<br />
plique-t-il pas une fonction secondaire, subordonnée à une direc<br />
tion supérieure ? )<br />
De 1847 à 1852 on songe à préciser la position des offi<br />
ciers des Bureaux arabes |afin d'améliorer leur situation et<br />
on envisage alors la création d'un corps spécial d'officiers<br />
employés aux affaires arabes. Mais, pour maintenir entière l'ini<br />
tiative du commandement dans le choix des officiers des Bureaux<br />
arabes, ce corps n'est pas organisé. On craignit de relâcher<br />
les liens de la subordination. Les officiers des Bureaux arabes<br />
continuèrent donc à compter dans leurs corps respectifs et fu<br />
rent simplement considérés comme employés dans un service<br />
spécial qualifié d'<br />
« auxiliaire le plus puissant du pouvoir mili-<br />
(1) Trois articles sur quatre affirment cette subordination. Texte dans<br />
Menerville (140) I 59.<br />
(2) Daumas (4) 74-75. Le Général Rivet, l'un des aides de camp de Bu<br />
geaud, écrit dans le même sens : « Le bureau arabe dans la pensée du maré<br />
chal Bugeaud ne devait pas être une autorité proprement dite, mais comme<br />
un état-major chargé des affaires arabes auprès du commandant supérieur et<br />
n'agissant qu'au nom et par ordre de celui-ci... » cité par Ringel (91) 32.
— — 75<br />
taire dans la réalisation de tout progrès et dans la marche régu<br />
lière du commandement » (1).<br />
L'affaire Doineau est l'occasion pour le ministère de la<br />
guerre de rappeler dans plusieurs notes que les Bureaux ara<br />
bes constituent « une sorte de service d'état-major », qu'ils doi<br />
vent « avoir, pour ainsi dire, la main sur le pouls des tribus »<br />
afin de renseigner l'autorité supérieure,<br />
mais qu'« on a soigneu<br />
sement évité de leur donner le rôle et les attributions d'un ser<br />
vice à part ayant une action propre sur les tribus », cette der<br />
nière phrase étant soulignée d'un gros trait afin de montrer<br />
que là se trouve l'idée maîtresse d'une étude de treize pages sur<br />
l'organisation des Bureaux arabes (2).<br />
En 1865, Napoléon III, dans sa lettre au Maréchal de Mac-<br />
Mahon sur la politique de la France en Algérie, insistait sur le<br />
fait que les Bureaux arabes n'étaient qu'un corps subalterne :<br />
« Les bureaux arabes, écrivait-il, ne sauraient être considérés<br />
comme une institution administrative ayant une action et une<br />
autorité propres. Les officiers qui les composent doivent tout<br />
à fait rentrer dans le commandement, mais il est essentiel que<br />
ce commandement au lieu de recevoir d'eux l'impulsion, soit<br />
capable de la leur imprimer. De cette manière les officiers des<br />
bureaux arabes ne seront que les officiers d'état-major du com<br />
mandement pour les affaires arabes. Leur rôle consiste à trans<br />
mettre aux populations les intentions, les conseils, les vues du-<br />
commandement » (3).<br />
Quant à la circulaire, de 1867, la charte des Bureaux ara<br />
bes, elle souligne dès le début le caractère subordonné des offi<br />
ciers des affaires indigènes : « Partout et à tous les degrés, les<br />
affaires arabes dépendent du commandant militaire qui, seul,<br />
a qualité pour signer les ordres et correspondre avec son chef<br />
immédiat', ses subordonnés et les différents services suivant les<br />
guerre, .<br />
(1) Décret du 11 juin 1850 et Rapport de Saint-Arnaud, ministre de la<br />
précédant le décret du 18 mars 1852 Ménerville (140) 160. N. 1676 :<br />
Projet d'organisation des bureaux arabes sous le nom de corps de gouverne<br />
ment arabe (5-7-1847). N. 442 : Note du capitaine Boissonnet, directeur des<br />
affaires arabes de la Province de Constantine (17-8-1847).<br />
(2) N 1713 F : note du ministère de la guerre du 28-8-1857 ; lettres du<br />
Ministre de la guerre au Maréchal Randon du 20 août et du 7 septembre 1857.<br />
(3) Napoléon III (84) 73.
— — 76<br />
règles de la hiérarchie... Il est interdit au chef de bureau ara<br />
be de faire usage d'un cachet particulier (1).<br />
« Les officiers des bureaux arabes sont sous les ordres di<br />
rects des commandants militaires et dans des<br />
conditions ana<br />
logues à celles des officiers de l'état-major général par rap<br />
port aux commandants des corps d'armée et de division. C'est<br />
par eux que les ordres des commandants militaires sont donnes<br />
aux chefs indigènes; c'est par eux que l'exécution en est assurée.<br />
Mais c'est toujours au commandant militaire que les chefs indi<br />
gènes adressent leurs rapports ou leurs lettres ayant trait au<br />
service... »<br />
Et dans rénumération des fonctions des bureaux de cercles<br />
notamment, il n'est presque pas un paragraphe qui ne note<br />
expressément la prépondérance du commandant supérieur au<br />
près duquel le chef de bureau arabe se rend au moins une fois<br />
par jour pour exposer les faits survenus et prendre connaissan<br />
ce des décisions et instructions (2).<br />
Le décret du 24 décembre 1870, si hostile aux Bureaux ara<br />
bes dont il voulait préparer la disparition,<br />
ne fait cependant<br />
que reprendre, parfois presque dans les même termes, les tex<br />
tes antérieurs lorsqu'il spécifie dans son article 2 que : « Les<br />
officiers des bureaux arabes maintenus, jusqu'à dispositions<br />
contraires, auprès des commandants chargés de l'administra<br />
tion des territoires dits militaires, sont les agents de ces com<br />
mandants, ils n'ont pas personnellement l'autorité... » (3).<br />
On peut dire qu'il n'est pas un texte relatif aux Bureaux<br />
arabes qui n'affirme leur subordination à l'autorité militaire.<br />
Les opinions.<br />
Cette subordination, les chefs de l'armée, dans les premières<br />
années tout au moins, ont tenu à la souligner.<br />
(1) Ce qu'il faisait sans doute couramment jusque là si l'on en croit<br />
Pein qui, dans ses Lettres familières sur l'Algérie, écrit en parlant du Bureau<br />
arabe : « on commit la maladresse de lui donner un cachet ; il devint une<br />
puissance » (13) 254.<br />
(2) Texte dans Ménerville (140) III 19.<br />
(3) Ménerville (140) III 10.
**<br />
— 77 —<br />
Le général Camou, commandant la division d'Alger, écrit<br />
dans son rapport d'inspection de 1853 : « Le chef du bureau<br />
arabe est le chef d'état-major du commandant supérieur pour<br />
toutes les affaires concernant les indigènes et cette définition<br />
si simple indique de suite ses devoirs, ses attributions... Toutes<br />
les décisions importantes sont prises et doivent l'être par le<br />
commandant supérieur, seul responsable vis-à-vis de l'autori<br />
té ; celles ne concernant que le service courant sont données<br />
par les chefs de bureau qui en rendent compte en temps utile.<br />
Partout, le rapport qui a lieu tous les matins et des rencontres<br />
fréquentes dans la journée permettent au commandant supé<br />
rieur d'être exactement et convenablement renseigné sur tout<br />
ce qu'il veut connaître... » (1).<br />
A l'échelle de lajsubdivisign on entend le même son de<br />
cloche. En 1852, le colonel commandant la subdivision de Milia<br />
na définit lui aussi le bureau arabe comme 1'<br />
« organe de l'auto<br />
rité supérieure » et son collègue d'Orléansville, particulièrement<br />
explicite dans son rapport de 1853, note que : « Le chef du<br />
bureau arabe est chef de service ; il reçoit du commandant la<br />
direction générale et l'impulsion et se comporte en toutes cir<br />
constances comme un délégué de l'autorité locale, livrant tous<br />
ses actes à son contrôle, faisant remonter à elle toute responsa<br />
bilité... S'il se présente une affaire importante à traiter, le chef<br />
du bureau arabe s'efface et le commandant intervient... Dans<br />
les tournées au milieu des tribus, le chef du bureau arabe accom<br />
pagne le commandant supérieur et se tient sur la réserve... Inu<br />
tile d'ajouter que l'autorité jalouse de ses droits ne souffrirait<br />
pas la plus petite apparence d'empiétement sur la moindre de<br />
ses prérogatives » (2).<br />
Les officiers subalternes, commandant les cercles, ne sont<br />
pas moins attachés à cette autorité. Il suffira de rapporter ici<br />
ce qu'écrivait le capitaine Margueritte, commandant supérieur<br />
(1) N 448 : Affaires arabes, Inspection, Alger 1853 ; et encore N. 450 :<br />
Affaires arabes, Inspections, Alger 1854.<br />
(2) N 447 et 448, Aff. arabes, inspections, Alger 1852 et 1853. De même,<br />
devant le jury d'Oran, le général de Beaufort commandant la subdivision de<br />
Tlemcen parle de Doineau, chef du bureau arabe, comme d'un subordonné et<br />
n'hésite pas à prendre la responsabilité des exécutions sommaires (123) 201-<br />
205.
—<br />
— 78<br />
du cercle de Téniet-el-Had et ancien chef du bureau arabe : « Les<br />
rapports entre le chef des affaires (arabes)<br />
et le commandant<br />
supérieur sont tels que le veulent les diverses ordonnances sur<br />
la matière. Il est rendu compte au commandant supérieur de<br />
toutes les affaires qui ont quelque importance et il en décide à<br />
son gré. Les chefs vont chez lui toutes les fois qu'ils viennent à<br />
Téniet et prennent ses instructions et ses ordres. C'est lui qui<br />
donne les burnous d'investiture et, en résumé, c'est à lui qu'ap<br />
partient toute l'initiative des affaires... Il arrive souvent qu'une<br />
décision prise au bureau arabe ne plaisant pas à l'individu qui<br />
en est l'objet, il va exposer de nouveau sa réclamation au com<br />
mandant supérieur qui maintient ou change la première solu<br />
tion » (1).<br />
Cette affirmation répétée de la condition auxiliaire des<br />
Bureaux arabes et de leur rôle officiel d'intermédiaires n'est<br />
jamais niée par ceux-ci,<br />
au contraire. On peut dire que les<br />
commandants militaires en faisant état de leur autorité se bor<br />
nent à entériner les rapports des officiers des affaires indigè<br />
ne. Ceux-ci, désireux de satisfaire leurs supérieurs, ont toujours,<br />
lorsqu'ils écrivent, le respect de la hiérarchie (2). Avec une pru<br />
dence très administrative et le souci de ménager les suscepti<br />
bilités, ils s'abritent derrière les ordres reçus et rendent hom<br />
mage à leurs supérieurs des initiatives heureuses. Il serait facile<br />
de multiplier les citations,<br />
qu'il s'agisse de la mise en état des<br />
moyens de communication (3) ; de la construction et de l'en<br />
tretien des maisons et des édifices publics (4) ; de la culture<br />
de la pomme de terre (5), de la vigne (6), du coton (7) ; des<br />
méthodes de labours (8) ; de la récolte des fourrages (9) ; de<br />
(1) N 447 ; même opinion du Ct supérieur de Cherchel, N 447 et N 448.<br />
(2) On pourrait citer les raDports des années 1852, 1853, 1854 dans N 447,<br />
448, 449.<br />
(3) G, Ténès 4- T. 1865 et Cherchel 3« T. 1858.<br />
(4) N 471 (cercle de Miliana) ; G. Orléansville sept. 1865 et 3- T. 1866.<br />
(5) G. Téniet 4* T. 1861.<br />
(6) G. Ténès 2> T. 1861.<br />
(7) G. Ténès 1" T. 1861.<br />
(8) G. Cherchel 4« T. 1859.<br />
(9) G. Ténès 2" T. 1858 et Téniet 2' T. 1859.
— — 79<br />
l'amélioration de la race ovine (1) ; ou encore de la multiplica<br />
tion des écoles (2) et de la lutte contre la misère (3). Toujours,<br />
par une incidente, le chef du bureau arabe s'efface habile<br />
ment derrière ceux que le règlement place au-dessus de lui.<br />
Et ce qui parait encose plus significatif, c'est que dans les<br />
projets de réforme que les plus éminents d'entre eux sont appe<br />
lés à formuler, les chefs de bureau arabe semblent conserver le<br />
même état d'esprit.<br />
Pour Richard, le bureau arabe c'est « le moyen<br />
.<br />
d'action, les jambes de nos idées » et il souscrit à la su<br />
bordination du bureau arabe : « Quels seront les rapports de<br />
dépendance du bureau arabe envers l'autorité locale qui l'em<br />
ploiera ? La réponse est des plus simples ;<br />
elle est dictée par<br />
l'intérêt de la discipline identifiée avec l'intérêt de la chose<br />
publique. Le Bureau arabe ne peut et ne doit être, que l'agent<br />
immédiat de celui qui, ayant toute la responsabilité, a besoin de<br />
toute l'autorité... Le chef du Bureau arabe ne peut espérer que<br />
l'influence que sa valeur personnelle peut lui donner et que la<br />
raison accepte toujours avec plaisir » (4).<br />
Tel est bien également l'avis de Lapasset,<br />
chef du bureau<br />
arabe de Ténès. S'bccupant de l'organisation des Indigènes en<br />
territoire militaire, il réprouve toute innovation tendant à mo<br />
difier le caractère de dépendance des bureaux arabes : « Les<br />
bureaux arabes doivent-ils agir par eux-mêmes ? Non. Ce serait<br />
détruire tout contrôle, toute hiérarchie militaire; ils ne sont que<br />
les agents, les chefs d'état-major (avec une certaine liberté<br />
d'action) du chef militaire qui a le commandement du pays ou<br />
d'une portion du pays et auprès duquel ils sont placés » (5).<br />
(1) G. Téniet 1" T. 1866.<br />
(2) N 447 (cercle de Miliana).<br />
(3) G. Orl. 1" T. 61 et 4« T. 1871 ; Ténès 3« T. 1857 ; Cherchel 1" T. 1859.<br />
(4) Richard (18) 20, 28.<br />
(5) Lapasset (10) 5-7. Devenu commandant de la subdivision de Bel-Abbès,<br />
dix ans plus tard, Lapasset demeure catégorique dans son jugement sur<br />
les Bureaux arabes qu'il qualifie d'institution admirable, mais dans laquelle<br />
il ne voit qu'un « trait d'union » entre vaincus et vainqueurs, un rouage »<br />
du cercle ou de la subdivision. Pour lui tant vaut le commandement tant<br />
vaut le bureau arabe » (121) 269-270.
— — 80<br />
Comment, en présence de textes aussi formels, a-t-on pu<br />
dire que le pouvoir des Bureaux arabes était indéfini, absolu,<br />
sans contrôle ? Comment a-t-on pu parler d'arbitraire et de<br />
despotisme ? C'est qu'il faut distinguer entre les principes et<br />
les faits, entre les textes officiels et la réalité. Le problème des<br />
Bureaux arabes soulève une deuxième question. La médaille<br />
a un revers.<br />
II. —<br />
LA<br />
L'esprit de corps.<br />
« PUISSANTE CONFRERIE » DES BUREAUX<br />
ARABES<br />
Jamais, officiellement, les Bureaux arabes,<br />
n'ont constitué<br />
un corps spécial, mais il eût été étonnant qu'une institution aussi<br />
spécialisée ne fît pas naître chez ceux qui la servaient, un cer<br />
tain esprit de solidarité, et ce, d'autant plus vivement que, dans<br />
les premières années tout au moins, jalousés par les autres<br />
corps, ils se trouvaient en somme isolés dans l'armée.<br />
Celle-ci leur reprochait d'être devenus des administrateurs,<br />
de s'occuper de comptabilité, de jouer aux diplomates et d'igno<br />
rer le métier des armes. De là des mesquineries : la mauvaise<br />
volonté des corps empêchait par exemple Lapasset à Ténès de<br />
trouver un bon caporal copiste (1) ; certains voyaient leur<br />
carrière compromise, tel le capitaine Charras au mérite incon<br />
testable,<br />
mais renié pas le corps de l'artillerie depuis son en<br />
trée dans les Bureaux arabes et pour lequel La Moricière solli<br />
citait en vain le grade de chef d'escadron. Tel aussi Hanoteau,<br />
capitaine du génie à 26 ans et qui resta 18 ans dans ce grade,<br />
malgré les efforts des Gouverneurs généraux et de Daumas au<br />
ministère parce que, nous dit Peyronnet, sa direction d'arme<br />
refusait de s'intéresser au sort d'un technicien entré dans<br />
le service des Bureaux arabes. Tels encore Margueritte, Moullé,<br />
(1) N 468, 1849, Ténès 2* q. août.
— 81-^<br />
Richard et bien d'autres dont l'avancement se trouva plus ou<br />
moins retardé (1).<br />
Il fut une période où l'hostilité des chefs de corps contre<br />
les officiers détachés était telle que les jeunes officiers crai<br />
gnaient de se présenter pour être employés dans les Bureaux<br />
arabes ; comme on exigeait d'eux des connaissances étendues<br />
et des qualités nombreuses, ils n'étaient pas sûrs de réussir et,<br />
s'ils retournaient à leurs corps, ils devaient alors craindre pour<br />
leur avancement (2). Comment s'étonner, dans ces conditions,<br />
de l'existence d'un esprit propre aux Bureaux arabes ? le sim<br />
ple réflexe de défense suffirait à l'expliquer (3).<br />
De plus, au début, les Bureaux arabes eurent, administrati-<br />
vement parlant, une forte individualité. Richard écrivait : « Ce<br />
qui fait la valeur des spécialités et l'importance même des ser<br />
vices qu'elles rendent, c'est la sauvegarde et l'impulsion intel<br />
ligente qu'elles trouvent dans les centralisations particulières<br />
dont elles dépendent. Supprimez ces dernières et vous n'au<br />
rez plus que le désordre et l'arbitraire. Il faut donc que le<br />
Bureau arabe, comme représentant d'une spécialité, et certes<br />
on conviendra que c'en est une des plus délicates, soit aussi<br />
sauvegardé par une centralisation qui lui soit propre » (4).<br />
Cette centralisation existe de 1841 à 1848 et ces quelques années<br />
suffirent pour donner une véritable cohésion à la nouvelle ad<br />
ministration et la marquer du sceau de la forte personnalité de<br />
Daumas qui resta à la tête des Affaires arabes jusqu'après le dé-<br />
(1) Keller (72) 323 ; G. série 21 H et Peyronnet (87) II. Walsin-Estbr-<br />
iiazt se plaint également de l'opposition systématique des chefs de corps à<br />
l'avancement des officiers des bureaux arabes dont le recrutement pour cette<br />
raison s'avérait difficile (30) 275-277.<br />
(2) N 447,<br />
rapport de septembre 1852 du colonel Borel de Brétizel com<br />
mandant la subdivision d'Orléansville.<br />
(3) Et suivant O. Keun cet esprit de corps s'est maintenu jusqu'à nos<br />
jours dans les Bureaux arabes du Sud. Signalant les rivalités qui existent<br />
entre leurs officiers, l'auteur ajoute : « Les bureaux arabes sont compara<br />
bles à ces troupeaux de buffles sauvages qui se battent à mort lfun contre<br />
l'autre, mais qui, à l'approche d'un intrus, font cercle, et présentent, tous en<br />
même temps, leurs cornes meurtrières en une souveraine et infranchissable<br />
défense ». (78) 597.<br />
(4J Richard (18) 29.
— 82 —<br />
part de Bugeaud (1). Une quinzaine d'années plus tard, Lapas<br />
set se souviendra encore, avec admiration, des circulaires du col<br />
laborateur de Bugeaud, invitant les chefs des bureaux arabes à<br />
pousser les Indigènes aux défrichements,<br />
aux plantations, aux<br />
constructions, jetant ainsi les bases de la doctrine des Bureaux<br />
arabes, doctrine qui unira tous ceux qui s'efforceront de la<br />
mettre en pratique,<br />
à la réalisation d'une grande œuvre.<br />
communiant dans le même enthousiasme<br />
A partir de décembre 1848, la Direction centrale des Affai<br />
res arabes perdit son titre et ses attributions : le Secrétaire géné<br />
ral du Gouvernement général de l'Algérie fut chargé de centra<br />
liser toutes les affaires arabes ainsi que toutes les affaires des<br />
colons du territoire militaire. Les défenseurs des Bureaux ara<br />
bes crièrent à la désorganisation et à l'incompétence des civils<br />
et ils réclamèrent le rétablissement de la Direction centrale<br />
avec son personnel d'officiers (2). En réalité toute centralisa<br />
tion militaire n'avait pas disparu et, bien que ses attributions<br />
fussent inférieures à celles de l'ancienne Direction, le Bureau<br />
politique, qui lui succéda,<br />
continua à assurer un rôle de coordi<br />
nation avec des chefs éprouvés comme Durrieu ou Fénelon. En<br />
1869 Duval et Warnier accuseront le Bureau politique de tout<br />
dominer en matière indigène « gouvernement général, comman<br />
dement et bureaux arabes » (3).<br />
L'autorité.<br />
Ces officiers devaient d'autre part se sentir différents du<br />
reste de l'armée par le rôle considérable qu'ils furent appelés<br />
à jouer et qui leur conféra une grande autorité.<br />
(1) Le colonel Rivet remplaça Daumas. Celui-ci, devenu général de bri<br />
gade, fut chargé, dès le commencement de 1850, de la direction du service de<br />
l'Algérie au ministère de la guerre, fonction qu'il exerça jusqu'en 1858, con<br />
tinuant par conséquent à peser sur les destinées des Bureaux arabes.<br />
(2) (121) 415, 489. Déjà avant la Révolution de 1848 la suppression de la<br />
Direction centrale, avait été envisagée pour anéantir ses prétentions à se<br />
constituer en une administration à part,<br />
« en une sorte de gouvernement<br />
pour les indigènes » ; on voulait affirmer la prééminence du commandement<br />
militaire qui paraissait menacée (note du Ministère de la guerre du 8-7-1847<br />
dans N 1676).<br />
(3) (58) 43.
-83 —<br />
Cette autorité paraissait indispensable même à ceux qui<br />
admettaient formellement la subordination du bureau arabe.<br />
Voici, à ce sujet, comment Richard conçoit le bureau arabe :<br />
« L'action du gouvernement dans notre constitution se trans<br />
met par l'exercice de trois autorités : l'administrative, la judi<br />
ciaire et la militaire. Gouverner le peuple arabe, c'est donc le<br />
soumettre, avec les ménagements qu'il demande, à l'action de<br />
ces trois autorités... L'action de ces trois autorités fondamenta<br />
les est bien implantée ici par l'administration civile,<br />
mais on<br />
remarquera qu'elle ne peut s'exercer que sur la population co<br />
loniale, et qu'arrivée au peuple indigène, elle se trouve arrê<br />
tée brusquement comme par un abîme, semblable à divers ca<br />
naux d'irrigation qui, après avoir commencé leurs ondulations<br />
intelligentes à travers les campagnes qu'ils fécondent, se trou<br />
vent arrêtés tout à coup<br />
par un ravin profond au moment de<br />
passer aux terres les plus arides : il leur faut alors un pont, un<br />
conduit qui, en les mêlant un instant, leur ouvre une libre circu<br />
lation sur l'autre bord et les empêche de se perdre sans effet<br />
dans l'obscur courant des eaux. Ce conduit, ce pont qui doit faire<br />
communiquer ainsi les rives opposées de l'abîme qui sépare les<br />
deux peuples en présence, c'est le Bureau arabe; c'est lui qui<br />
doit servir de moyen de transmission à l'action gouvernemen<br />
tale et, comme les trois autorités dont elle émane ont besoin de<br />
marcher simultanément et de se réunir au passage, il doit les<br />
exercer toutes les trois à la fois, et les concentrer dans une puis<br />
sante autorité : » (1).<br />
Une telle autorité les textes la déniaient aux Bureaux arabes.<br />
Mais décrets et circulaires n'étaient pas toujours respectés. Un<br />
détail, d'importance d'ailleurs, nous montrera la vanité des pres<br />
criptions officielles : la circulaire du 23 mars 1867, reprenant<br />
textuellement une des phrases de la lettre de l'Empereur, ordon<br />
nait que le commandement des goums fût laissé aux chefs indi<br />
gènes;<br />
et cependant les officiers des Bureaux arabes continuè<br />
rent à cavalcader à la tête des goums, entourés du respect des<br />
Indigènes pour celui qui apparemment était le chef (2). De<br />
plus, jusqu'en 1867, les textes n'ont jamais défini avec grande<br />
(1)<br />
Richard (18) 23-24.<br />
(2) Estoublon et Lefébure (139) 332.
— 84 —<br />
précision les attributions des Bureaux arabes. Bugeaud, pour<br />
sauvegarder l'autorité de la nouvelle institution, ne voulait pas<br />
insérer dans son arrêté d'article sur les fonctions dévolues aux<br />
officiers des Bureaux arabes; s'il accepta le texte de Soult, c'est<br />
que l'article 3 relatif à ces fonctions demeurait suffisamment<br />
imprécis pour laisser une grande liberté d'action à ceux qu'il<br />
concernait (1).<br />
Que devenait alors la condition auxiliaire des Bureaux<br />
arabes ? Le fait même que les textes soulignent leur subordina<br />
tion à maintes reprises (jusqu'à plusieurs fois dans un même<br />
article) dénote déjà que cette subordination était chose diffi<br />
cile à obtenir. Pour réduire les Bureaux arabes à leur condi<br />
tion officiel d'auxiliaires, il eût fallu que le commandement fût<br />
capable d'imprimer l'impulsion, mais la lettre de Napoléon III<br />
en 1865 (voir p. 75) prouve suffisamment qu'il n'en était rien,<br />
et cela faute d'une compétence suffisante, faute surtout pour<br />
les officiers supérieurs de connaître la langue arabe. C'est<br />
comme représentant d'une spécialité difficilement accessible<br />
que l'officier de bureau arabe s'impose tout d'abord : sans lui le<br />
monde indigène reste fermé. Aussi dès l'époque du premier bu<br />
reau arabe, La Moricière pouvait écrire : « On me consulte sur<br />
tout, on fait à peu près ce que je veux... » (2). Il en sera de<br />
même avec les Bureaux arabes de Bugeaud : dans la plupart<br />
des cercles, le commandant supérieur ayant pleine confiance<br />
dans son chef de bureau arabe, et surtout se sentant moins apte<br />
que lui, lui abandonnera l'administration des Indigènes et si<br />
gnera les yeux fermés (3). Aux échelons supérieurs, subdivi<br />
sion, division ou direction centrale, le rôle des officiers des<br />
Bureaux arabes reste toujours essentiel ; eux seuls peuvent<br />
élaborer les mesures soumises à l'approbation des officiers<br />
supérieurs, des généraux et du gouverneur : pour être occulte<br />
(1) Démontés (48) 502-503. Voici le texte de l'art. 3 d'après Ménerville<br />
(140) I 60 : « Les directions divisionnaires et les bureaux de leur ressort se<br />
ront spécialement chargés des traductions et rédactions arabes, de la prépa<br />
ration et de l'expédition des ordres et autres travaux relatifs à la conduite des<br />
affaires arabes, de la surveillance des marchés et de l'établissement 'des<br />
comptes de toute nature à rendre au gouverneur général sur la situation poli<br />
tique et administrative du pays » (c'est nous qui soulignons).<br />
(2) Keller (72) 83.<br />
(3) Hugonnet (6) 241-242 ; Du Barail (174) II 3.
— es-<br />
ton a parlé de maires du palais sans responsabilité) leur inter<br />
vention n'en reste pas moins déterminante (1).<br />
Et ainsi naquit, au bénéfice des Bureaux Arabes, et à ren<br />
contre des textes, une puissance presque sans limites. Richard<br />
lui-même (2) reconnaissait que la légalité manquait au chef<br />
de bureau arabe; la légalité, mais non l'autorité. Souvent il<br />
demeurait longtemps dans le même poste et acquérait une con<br />
naissance complète du pays, des habitants et des affaires qui<br />
faisaient de lui l'homme indispensable- Les textes s'inclineront<br />
devant cette évidence et la circulaire de 1867 recomman<br />
dera aux généraux chargés des provinces de « ne proposer que<br />
le plus rarement possible des mutations concernant les chefs<br />
de bureau ». Il y a bien le contrôle du commandant supérieur,<br />
mais peut-il être effectif ? Selon le général Cousin de Montau-<br />
ban, qui commanda la province d'Oran, les chefs indigènes<br />
étaient « abandonnés à l'arbitraire des bureaux arabes en dehors<br />
desquels ces chefs arabes n'oseraient jamais paraître chez le<br />
commandant supérieur. Mais fussent-ils admis, ils ne peuvent<br />
confier leurs secrets ou exposer leurs plaintes, car le corps des<br />
interprètes est au service des bureaux arabes et aucun de ses<br />
membres n'oserait garder pour lui la conversation du chef<br />
arabe, ni surtout traduire une plainte formulée contre l'officier<br />
du bureau arabe (3).<br />
On peut donc croire Walsin-Esterhazy, bien placé à la<br />
Direction des Affaires arabes à Oran, lorsqu'il écrit que c'est<br />
« par une fiction nécessaire peut-être à l'unité de commande-<br />
(1) Richard insistait sur l'importance de cette action occulte (18) 29-30.<br />
Girault (150) 138.<br />
F. Lacroix, cependant favorable à l'institution des bureaux arabes, les<br />
représente comme « les maîtres de la fortune, de la position et de la vie<br />
des indigènes » et lui aussi parle de « gouvernement occulte<br />
dons l'Etat ». (N 442, note du 23-7-1847).<br />
et d'Etat<br />
(2) (18) 100.<br />
(3) Propos rapportés par le fils du général, général lui-même ; cités dans<br />
Belayen (47) 46-47. Quant aux inspections elles étaient illusoires et Hugon<br />
net (6) 257 en donne la raison : « Le général commandant une province est<br />
l'inspecteur général de ses bureaux arabes. Il délègue les commandants de<br />
ceux-ci le commandant supérieur de chaque cercle. Or comment<br />
admettre que le commandant d'un cercle, dans le compte qu'il a à rendre de<br />
subdivision ;<br />
l'action de son bureau arabe, c'est-à-dire d'un service qu'il doit surveiller et<br />
diriger, puisse dire autre chose, sinon que tout est pour le mieux ».
^-86 —<br />
ment » que « les bureaux arabes sont censés n'être que des<br />
instruments entre les mains des commandants supérieurs des<br />
subdivisions et des cercles souvent étrangers aux choses ara<br />
bes » (1). Et, sous la plume de Rinn, ancien chef de bureau<br />
arabe et historien, nous relevons ces lignes : « Les indigènes<br />
habitués à n'avoir qu'un seul chef, le bureau arabe, alors inter<br />
médiaire forcé de tous les services publics (génie, ponts et chaus<br />
sées, forêts, justice, finances, etc..) le tenaient en très haute<br />
considération et ils n'avaient qu'un souci relatif des autorités<br />
dont dépendait le bureau. Ils savaient bien que le commandant<br />
supérieur était le chef de leur circonscription et qu'au-dessus<br />
il y avait encore des généraux : un petit (à la subdivision), un<br />
grand à la division et, plus haut encore, le maréchal, c'est-à-dire<br />
le gouverneur; mais ils voyaient rarement ces hauts personna<br />
ges et ils n'avaient guère affaire à eux, si ce n'est pour les actes<br />
de courtoisie, et le bureau arabe était tout » (2). Aussi, dès 1847,<br />
certains militaires protestaient contre les empiétements des<br />
bureaux arabes sur les pouvoirs de l'autorité supérieure (3).<br />
De cette grande autorité, les officiers des Bureaux arabes<br />
devaient s'enorgueillir et parfois même s'enivrer. « L'institu<br />
tion du bureau arabe, écrit Hugonnet, n'est comparable à rien<br />
dans le passé... On compare quelquefois le bureau arabe à l'au<br />
torité des pachas d'Orient, le bureau arabe a sur les musulmans<br />
un pouvoir plus étendu puisque, en outre de tout ce que peut<br />
faire un pacha, il contrôle en Algérie tout ce qui touche à la<br />
religion musulmane et cela avec bien plus d'indépendance que<br />
ne pourrait le faire un successeur des satrapes. » Et plus loin :<br />
«Cette vie de chef à l'orientale a bien d'autres séductions encore;<br />
ce prestige extraordinaire dont on est entouré; cette soumission<br />
mêlée de dignité, et qui va cependant jusqu'aux attentions per<br />
sonnelles dans l'intimité, des chefs et agents indigènes;<br />
(1) Walsin-Esterhazy (30) 283.<br />
ces gran-<br />
(2) Rinn (26) livre X chap. 1. N'est-ce pas sous une autre forme la pen<br />
sée exprimée, au cours du procès Doineau, par un avocat qui, parlant des pou<br />
voirs du général commandant la subdivision, pouvait dire que pour les Ara<br />
bes, frappés surtout par la réalité du fait, ces pouvoirs étaient purement con<br />
templatifs, cachés dans les nuages ; seule comptait la volonté toute puissante<br />
du chef du bureau arabe (123) 334-335.<br />
(3) Thomas (99) 37-40.
— 87 —<br />
des et somptueuses tentes; ces beaux chevaux; en un mot, cette<br />
constante disposition du sujet musulman à garder pour lui<br />
toutes les misères et à reporter vers ses chefs toutes les jouis<br />
sances; ces sensations nouvelles pour nous ont un attrait qu'il<br />
est difficile de méconnaître... » (1).<br />
Comment certains n'auraient-ils pas abusé de cette situation<br />
exceptionnelle ? Considérés comme des sultans par les Indigè<br />
nes, ils agissent parfois à la manière des despotes orientaux,<br />
inspirant à leurs administrés une terreur que nous avons peine<br />
à concevoir. Quelques réponses d'accusés, relevées dans le procès<br />
Doineau, sont à cet égard particulièrement édifiantes :<br />
— Le<br />
— Bel<br />
— Le<br />
— Bel<br />
— Le<br />
— Bel<br />
Président : Vous avez dit que vous aviez obéi au capitaine<br />
parce que, ayant ordonné l'assassinat de Bel-Abdallah,<br />
il pouvait ordonner le vôtre.<br />
Hadj (un agha, officier de la Légion d'Honneur) : Le<br />
capitaine pouvait tout ce qu'il voulait- Nous étions<br />
tous de cette idée et c'est pour cela que nous lui obéis<br />
sions en tout.<br />
Ou encore :<br />
Président : Comment n'avez-vous pas fait des repré<br />
sentations au capitaine ? (à propos de l'ordre d'as<br />
sassinat).<br />
Kheîr (un caïd) : Des représentations au sultan ! Je<br />
n'aurais peut-être pas passé la nuit !<br />
Président : Le capitaine se permettait donc de faire pas<br />
ser des hommes par les armes ?<br />
Kheir : Oh ! oui. Douze exécutions ont été faites à ma<br />
connaissance; j'en parle savamment et je puis vous<br />
citer tous les noms (2).<br />
(1) Hugonnet (6) 5, 189.<br />
(2) (123) 155. Dans ses Souvenirs Algériens, Aumerat raconte une exécu<br />
tion sommaire qui eut lieu au bureau arabe d'Orléansville en 1854 : accusé<br />
d'assassinat un Indigène est abattu en prétextant une imaginaire tentative<br />
d'évasion. (Rapporté dans l'hebdomadaire Le Progrès du 8-5-1902).
88 —<br />
De même le khodja du capitaine se disculpe ainsi : « Je<br />
ne suis pas un homme de grande tente; je ne suis qu'un simple<br />
khodja. Le capitaine c'était notre sultan. Je faisais tout ce qu'il<br />
me disait et je craignais de lui désobéir. »<br />
Et un troisième accusé, cependant pillard endurci, répond<br />
au président lui demandant s'il avait peur du capitaine : « Sans<br />
doute. Le capitaine aurait pu me faire disparaître comme une<br />
mouche. » (1).<br />
n dj^Éteùrf,<br />
.♦>.<br />
jusqulajjHa. exécutions sommaires;<br />
confondu devant une telle puissance allant<br />
on oublie les textes précé<br />
demment cités et invoqués par les défenseurs des Bureaux<br />
arabes. a<br />
Mais cette autorfflé indéniable, et dont ils abusèrent parfois,<br />
, les Bureaux arabes font-ils utilisée à poursuivre un but qui leur<br />
'fut propre ? Ont-ils agi indépendamment de l'armée ? En par<br />
ticulier ont-ils été'seuls à vouloir modifier les genres de vie des<br />
III. —<br />
LES BUREAUX ARABES, EXPRESSION DE L'ARMEE<br />
Il faut tout d'abord se rappeler que les officiers des Bureaux<br />
arabes étaient des soldats avant d'être des administrateurs. A<br />
l'origine leur tâche consistait surtout à renseigner le comman<br />
dement sur la valeur de l'ennemi et l'état du pays; à la tête des<br />
goums, ils tentaient les coups de main les plus aventureux et<br />
s'imposaient surtout par leurs qualités militaires. Pour repren<br />
dre l'expression d'Azéma de Montgravier ils étaient « l'âme des<br />
(1) Cité dans Delàyen '<br />
(47) 211-227. On trouvera de multiples autres<br />
exemples dans le Procès (123) surtout p. 53, 123, 140, 172. Dans le même sens<br />
(124) 297.<br />
Cette autorité était telle qu'aux yeux des Indigènes tous ceux qui<br />
approchaient le chef du bureau arabe en étaient également investis. Le<br />
chaouch du bureau arabe de Dra-el-Mizan (en Kabylie), se faisait craindre<br />
des plus grands chefs et il commit de telles exactions qu'en 1867 l'officier res<br />
ponsable du bureau arabe se suicida. (Voir les Débats au Corps Législatif du<br />
15-7-1868, discours de Lanjuinais).
— 89^-<br />
colonnes » (1). C'est seulemeent plus tard qu'ils furent chargés<br />
de l'administration du pays conquis, toujours prêts d'ailleurs à<br />
reprendre le combat. Richard joue un rôle actif dans la répres<br />
sion de l'insurrection du Dahra en 1845-1846 et il a pu laisser<br />
un récit vécu de ces événements. En 1845, Lapasset, nommé<br />
chef du Bureau arabe de Ténès en remplacement du capitaine<br />
Béatrix qui venait d'être massacré, se trouve immédiatement au<br />
cœur même de la lutte contre Bou Maza; il se distingue par la<br />
rapidité de ses mouvements, combat avec Canrobert autour<br />
Mazouna et reçoit une balle à la main au mome|n^Dutl§, fraj<br />
à mort un ennemi d'un coup de sabre (2). : -**,<br />
Ce caractère d'hommes d'action, ils voulurent le conserver<br />
même après la pacification complète du p|ys. Leur rôle, ils le<br />
concevaient surtout, au milieu des tribus, sans cesse en contact<br />
avec les Indigènes. Lapasset proteste énergiquement, et à plu<br />
sieurs reprises, contre la multiplication des^ états à fournir (3).É<br />
Richard lui-même, qui maniait cependant <br />
l'û4 plume avec une<br />
remarquable facilité, se déclare hostile aux travaux sédgBtaj-<br />
res : « Il ne faut pas oublier, écrit-il, (4)<br />
que les bureaux<br />
arabes"^<br />
sont plutôt des bureaux actifs que des bureaux administratifs<br />
et que, s'ils perdaient une. partie de leur premier caractère en<br />
faveur du second, ils diminueraient dans la même proportion<br />
les services qu'ils sont appelés à rendre. Il est incontestable que<br />
les bureaux arabes manquent d'une certaine règle, d'une hiérar<br />
chie qui sauvegarde leur spécialité et assure une centralisation<br />
éclairée, mais il faut que ces diverses conditions soient remplies<br />
de façon à permettre au chef de bureau arabe de courir, de<br />
voir et surtout de faire beaucoup, ce qui ne ressemble en rien<br />
à écrire beaucoup. Il nous semble donc que 13 registres à rem<br />
qu'<br />
et) (1) 13. Thuillier, adversaire du gouvernement militaire dit s à<br />
l'origine le bureau arabe n'était qu'un bureau de police à cheval » (100) 11.<br />
Une note du général Guiod (M.G. 230) montre bien comment au début le ser<br />
vice des affaires arabes n'était qu'une branche de l'état-major général de<br />
Parmée ayant pour objet d'étudier le pays, les habitudes des populations et<br />
leurs moyens de résistance ; la fonction administrative ne commença qu'avec<br />
la soumission des tribus et elle incomba naturellement à ceux qui, pour en<br />
trer en relation avec les Indigènes, avaient appris leur langue.<br />
(2) (121) 23 à 35.<br />
(3) N 465, 1848, Ténès 2" q. juillet. N 468, 1849, Ténès 2e q. mars.<br />
(4) N 465, 1848, Orléansville, 2e q. septembre.
— — 90<br />
plir et 40 casiers à surveiller (1) sont une fort grosse besogne<br />
pour un fonctionnaire qui a déjà tant d'autres choses à faire<br />
réellement; en termes plus ronds, c'est tuer à moitié le bureau<br />
arabe et étouffer son activité que de le jeter dans la paperasse,<br />
une des plus mauvaises maladies de notre temps. »<br />
Soldats, les officiers des Bureaux arabes doivent d'ailleurs<br />
le rester parce que tous sont appelés à quitter un jour les<br />
bureaux pour retourner dans l'armée. Beaucoup prennent en<br />
suite la direction d'un cercle : c'est la carrière normale. Ils<br />
peuvent d'ailleurs revenir aux affaires arabes comme direc<br />
teurs d'une division ou du Bureau politique jusqu'au jour où,<br />
à nouveau, ils seront appelés à un commandement (2). Hano-<br />
teau reprend même son poste de commandant supérieur du cer<br />
cle de Fort-Napoléon après avoir dirigé pendant un certain<br />
temps les affaires arabes de la division d'Alger. On assiste ainsi<br />
à une continuelle ventilation de l'armée aux bureaux arabes<br />
et des bureaux arabes à l'armée-<br />
Fait encore plus caractéristique : les chefs des bureaux<br />
arabes sont fréquemment nommés au commandement supé<br />
rieur de leur propre cercle ou y reviennent peu après : c'est<br />
le cas de Pein à Bou-Saada, mais c'est aussi celui de Margueritte<br />
à Téniet-el-Had puis, plus tard, de Charton et de Galland à<br />
Cherchel. Comment, dans ces conditions, la politique indigène<br />
du commandant supérieur aurait-elle pu différer de celle du<br />
bureau arabe ? Mieux que cela : on voit Du Barail nommé chef<br />
du bureau arabe de Blida et conserver en même temps le com<br />
mandement de son escadron de spahis qui passe ainsi au service<br />
du bureau arabe (3). Margueritte faillit assurer à la fois les<br />
fonctions de commandant supérieur et celles de chef de bureau<br />
arabe et c'est seulement pour ne pas l'accabler qu'on lui évita<br />
cette double charge; mais, à la fin du Second Empire, ces scru<br />
pules semblent avoir disparu et Duval et Warnier citent trois<br />
(1) Il s'agit d'observations sur les instructions relatives au classement<br />
des archives.<br />
(2) Certains interrompent même leur carrière dans les Bureaux arabes<br />
pour faire un ou deux stages dans l'armée. Peyronnet (87) II 450, exemple<br />
de Cantarrade.<br />
(3) Du Barail (174) I, 337.
— — 91<br />
capitaines et trois lieutenants qui cumulent les deux fonc<br />
tions (1).<br />
De plus, nombre de chefs des Bureaux arabes ont atteint<br />
par la suite les plus hautes positions dans l'armée d'Afrique.<br />
A côté des Margueritte et des Lapasset qui débutèrent dans<br />
l'Ouest du Tell algérois, on peut citer les La Moricière, Chanzy,<br />
Du Barail, Hanoteau, Cérez, Durrieu, Deligny, etc. (2). Fai<br />
sant remarquer que sur 22 commandants des divisions, subdi<br />
visions ou cercles importants on trouve 14 officiers généraux<br />
ou supérieurs sortant des Bureaux arabes contre 8 provenant<br />
des rangs de l'Armée, Duval et Warnicr en concluent que « le<br />
noviciat des affaires arabes est la condition obligée de tout<br />
aspirant à un commandement en Algérie et ils ajoutent : « La<br />
distinction théorique qu'on veut établir entre le commandement<br />
et les bureaux arabes n'est donc qu'une fiction » (3). Quand<br />
ces derniers sont attaqués par la presse en 1871, c'est le général<br />
Wolf, commandant la division d'Alger, qui prend leur défense<br />
devant les tribunaux : lui aussi a été un « néophyte de la puis<br />
sante confrérie » à laquelle, disent ses adversaires, il doit sa<br />
haute fortune militaire (4).<br />
On ne peut donc s'étonner de voir les officiers de troupe,<br />
colonels et généraux, animés du même esprit que les chefs des<br />
Bureaux arabes alors que, dans les premières années de la con<br />
quête, ils avaient une manière de voir très différente. Le conflit<br />
entre les Bureaux arabes et le reste de l'Armée ne fut qu'un<br />
épisode passager.<br />
Et ce qui prouve encore cette solidarité entre l'Armée et les<br />
Bureaux arabes,<br />
c'est que le programme de ces derniers nous<br />
le trouvons en grande partie tracé par les grands chefs de la<br />
conquête : La Moricière, Bedeau, Randon et surtout Bugeaud. A<br />
(1) G. 21 H carton 330, dossier Sériziat, lettres du général Camou et du<br />
Ministre de la guerre, 1852. Duval et Warnier (58) 43.<br />
(2) Voir Peyronnet (87) II.<br />
(3) (58) 42-43.<br />
(4) (126) 36. La carrière du général Wolf est particulièrement démons<br />
trative des rapports de l'armée et des Bureaux arabes puisqu'il fut notam<br />
ment chef de bureau arabe, commandant supérieur, chef du Bureau politique,<br />
général commandant une division. Pour détails (87) II, 325.
— 92 —<br />
cet égard nous croyons utile de citer, malgré sa longueur, la<br />
fameuse circulaire de Bugeaud, du 5 juillet 1845, qui se pré<br />
sente comme une proclamation aux Indigènes.<br />
Pour réparer les maux de la guerre, leur disait Bugeaud,<br />
l'essentiel,<br />
« c'est de vous occuper avec activité et intelligence<br />
d'agriculture et de commerce. Etablissez des villages, bâtissez<br />
de bonnes maisons en pierre et couvertes en tuiles, pour n'avoir<br />
pas tant à souffrir des pluies et du froid en hiver, de la chaleur<br />
en été; faites de beaux jardins et plantez des arbres fruitiers<br />
de toute espèce, surtout l'olivier greffé et le mûrier pour faire<br />
de la soie. Vous vendrez très bien l'huile et la soie, et du produit<br />
de la vente vous vous procurerez tout ce qui est nécessaire pour<br />
vous habiller et meubler vos maisons-<br />
« Faites de grandes provisions de paille, de foin pour nour<br />
rir vos bestiaux pendant la mauvaise saison. Construisez des<br />
hangars pour abriter vos troupeaux contre les pluies et les neiges<br />
qui en détruisent beaucoup. Castrez les jeunes veaux et les<br />
agneaux sauf ceux qui sont réservés pour la reproduction et ce<br />
doivent être les plus beaux. Les veaux et les agneaux castrés<br />
profitent davantage et se vendent mieux au marché parce que<br />
la viande est meilleure.<br />
Ayez de meilleures charrues pour labourer la terre. Donnez<br />
un ou deux labours préparatoires aux terres que vous voulez<br />
ensemencer la même année : le premier en février ou mars, le<br />
second en mai. Par ce moyen, vous n'aurez pas cette grande<br />
quantité de mauvaises herbes qui nuisent tant à vos récoltes.<br />
Avec des terres ainsi préparées, vous pourrez semer aux pre<br />
mières pluies d'automne, et vos blés n'auront plus à craindre<br />
la sécheresse de mai, ils seront en épi au milieu d'avril. Vos<br />
récoltes auront d'autant moins à redouter les sauterelles, ce fléau<br />
n'arrivant ordinairement qu'en mai; il trouvera vos orges mûres<br />
et vos froments bien près de l'être.<br />
« Je ne saurais trop<br />
vous recommander de ne pas détruire<br />
vos forêts comme vous le faites; il viendra une époque, je vous<br />
le prédis, où vous y trouverez une grande richesse. Il s'établira<br />
autour de vous des villes populeuses où vous vendrez à bon<br />
prix vos bois de construction et de chauffage... » (1).<br />
(1) Ménerville (140) I, 68.
— — 93<br />
Ces prescriptions s'adressaient en fait aux officiers des<br />
Bureaux arabes qui ne les oublièrent point et s'efforcèrent de<br />
les suivre, en accord avec les responsables de l'Armée comman<br />
dant les cercles, les subdivisions ou les divisions.<br />
Il semble donc peu exact de considérer les Bureaux arabes<br />
comme une caste à part dans l'Armée. Ils ont cherché à traduire<br />
dans les faits les idées de l'Armée dont ils furent un rouage<br />
principal ou plus exactement l'émanation la plus vive et la plus<br />
énergique. Les règlements établissant leur subordination au<br />
raient-ils été appliqués à la lettre que,<br />
sauf dans les premières<br />
années, ils en eussent peu souffert, car les chefs de l'Armée, issus<br />
le plus souvent des Bureaux arabes, faisaient confiance à ceux<br />
qui suivaient leurs traces. Rapidement le Bureau arabe fut<br />
comme l'incarnation de l'Armée, le symbole même du régime<br />
du sabre. Pour reprendre l'expression de Lapasset c'est la « ma<br />
chine militaire arabe » (1). Et cette communauté d'idées entre<br />
les officiers administrant les Indigènes et le reste de l'Armée va<br />
nous apparaître maintenant en étudiant ce que nous appelons<br />
la doctrine des Bureaux arabes.<br />
(1) (121) 345.
— B<br />
—<br />
LA DOCTRINE DES BUREAUX ARABES<br />
Peut-on parler de doctrine des Bureaux arabes ? Y a-t-il<br />
jamais eu un système cohérent de principes qui ait guidé les<br />
officiers des Affaires arabes ? On serait tenté de répondre par<br />
la négative. Richard se plaint du manque de « règle », de l'ab<br />
sence d'un « code d'action » (1), et Hugonnet parle de « la va<br />
riété inïinie » des diverses manières dont est compris le com<br />
mandement (2). On pourrait même, sur quelques points impor<br />
tants, montrer que les idées d'un Richard ne sont pas celles d'un<br />
Hugonnet (3). Mais tout cela ne prévaut pas contre le fait qu'un<br />
Bugeaud et un Daumas ont tracé, dès le début, un programme<br />
précis aux Bureaux arabes et qu'ils ont donné une impulsion<br />
qui se fera sentir longtemps encore après leur départ et que<br />
Randon notamment renouvellera. Surtout, placés dans des con<br />
ditions très comparables, ayant à résoudre les mêmes problè<br />
mes, il est normal que les officiers des Bureaux arabes aient<br />
presque partout réagi de la même façon. Et ainsi se sont déga<br />
gées quelques idées maîtresses, quelques principes admis à peu<br />
près par tous, quelques comportements majeurs, semblables<br />
dans tous les cercles, les mêmes causes ayant produit les mêmes<br />
effets. Ce sont ces idées directrices, ces principes simples, ces<br />
comportements caractéristiques, que nous voudrions dégager.<br />
A défaut d'une véritable doctrine nous trouverons ainsi ce que<br />
Richard appelle : « les bases qui doivent servir de point d'aji-<br />
pui » (4).-<br />
(1) Richard (18) 100. A noter que Richard écrit dans les toutes premiè<br />
res années des Bureaux arabes. Son jugement est d'ailleurs excessif si l'on<br />
songe à l'ouvrage de Daumas (4).<br />
(2)<br />
cercles,<br />
Hugonnet (6) 150. Mais il s'agit essentiellement des commandants de<br />
subdivisions et provinces.<br />
(3) Hugonnet par ex. (6) 125, 129 à 132, fait beaucoup de réserves sur la<br />
construction des maisons auxquelles il préfère la tente.<br />
(4) Richard (17) 174.
I. —<br />
LA<br />
SECURITE,<br />
96-<br />
PROBLEME FONDAMENTAL<br />
Le Bureau arabe, comme le reste de l'Armée, vise essen<br />
tiellement à obtenir la soumission définitive des Indigènes. « La<br />
pacification du pays, voilà notre but actuel... l'autorité fran<br />
çaise veut l'ordre public, la paix... », dit Daumas dans ses ins<br />
tructions; « la domination est le premier but de la politique »,<br />
écrit Richard, en théoricien de la nouvelle institution (1). Ce but<br />
éminemment militaire commandera l'action des Bureaux ara<br />
bes;<br />
c'est pour l'atteindre qu'ils vont essayer de modifier les<br />
genres de vie indigènes.<br />
L'officier de bureau arabe peut être un grand idéaliste et<br />
rêver de « donner au monde l'exemple inattendu d'une conquête<br />
qui a horreur de la spoliation et de la violence » ou penser, avec<br />
Montesquieu, que « la conquête laisse toujours à payer une<br />
dette immense pour s'acquitter envers la nature humaine » (2) ;<br />
il n'en reste pas moins vrai que, en face des Indigènes, « un des<br />
peuples les plus barbares de cette terre » (3), il demeure sur ses<br />
gardes. Il pense que la conquête, à laquelle il vient de contribuer<br />
par les armes, n'est pas forcément définitive. Formé à l'école<br />
de Bugeaud, il sait que les Indigènes sont affaiblis, mais non<br />
résignés.<br />
Tel est l'avis de Margueritte insistant, dans un rapport de<br />
1851, sur le fait que les Indigènes ne sont soumis qu'en surface<br />
et qu'ils ne considèrent pas notre domination comme irrévoca-<br />
'<br />
(1) Daumas (4) 44-47 ; Richard (18) 41.<br />
A rapprocher de ce qu'écrivait Bugeaud le 25 janvier 1843 dans une<br />
lettre au Ministre de la Guerre : « Je crois que l'objet de la gderre ne doit<br />
pas être seulement la colonisation quelle qu'elle soit, mais encore la domi<br />
nation et le gouvernement des Arabes, double condition sans laquelle un éta<br />
blissement colonial de quelque importance ne -pourrait pas se fonder ou ne<br />
se fonderait qu'avec des siècles et par suite avec des dépenses énormes (G.<br />
2 EE3).<br />
(2) Richard (18) 67, 110.<br />
(3) Richard (18) 6. Richard a jugé très sévèrement les Indigènes et sur<br />
tout leurs chefs. A leur égard, il conseille de se montrer indulgent, mais aussi<br />
d'éviter toute illusion qui nous les montrerait autres qu'ils ne sont en réalité.<br />
Voir en particulier l'introduction de (21).
— — 97<br />
ble (1). Selon Walsin-Esterhazy et Azéma de Montgravier, nous<br />
devons travailler à amener progressivement les Indigènes à des<br />
idées de civilisation tout en nous tenant prêts à les trouver, d'un<br />
moment à l'autre, devant nous comme ennemis . (2) Tel<br />
est aussi<br />
le sentiment de Richard que son désir de régénérer le peuple<br />
arabe n'aveugle pas et qui écrit : « Montrons-nous faibles quel<br />
que part, éprouvons un échec, et ces mêmes populations alliées<br />
la veille deviendront ennemies le lendemain. Ainsi seront les<br />
choses pendant bien longtemps encore. Soyons oonc forts pour<br />
être tranquilles ». Si cette tranquillité vient à êtreStooublée par<br />
des récalcitrants comme les Ouled-Younès, il agitNen soldat,<br />
entreprend le blocus des rebelles, les empêchant de coinmercerN<br />
avec les autres tribus, n'ijéstlant pas à « leur faire<br />
mal possible » quitte ensuite à s'écrier : « Il y aura pour\mus<br />
un sentiment profond de bonheur de pouvoir enfin traiterai<br />
amis des gens que les lois rigoureuses de la guerre nous ont<br />
forcés de châtier jusqu'à ce jour. » (3).<br />
Donc s'imposer partout, établir l'ordre par la force. Puis,<br />
et c'est là en somme la fonction essentielle du Bureau arabe,<br />
maintenir la sécurité si péniblement acquiSe^ Le bureau arabe,<br />
écrit un officier des affaires indigènes, doit organiser la paix<br />
bien plus que préparer la guerre. Il doit se concilierïes^Arabes,<br />
ses administrés, et leur donner la tranquillité et le repos. »<br />
Pour cela, d'abord, se faire craindre en mettant les tribus<br />
à même de comparer nos forces à leur faiblesse. Mais ne nous<br />
illusionnons pas sur l'action produite par l'aspect des murailles<br />
que nous plaçons sur le sol : « On ne se doute pas que le Kabyle<br />
hausse les épaules de mépris quand, du haut de son rocher, il<br />
aperçoit bien loin dans la plaine et sous ses pieds, ces quelques<br />
points blancs, d'où nous nous proclamons les maîtres du pays.<br />
Oubliant devant le spectacle qui s'offre à lui, le sanglant sou<br />
venir de ses défaites et notre puissance invincible, il établit<br />
(1) N 470, 1851, Téniet-el-Had, décembre et aussi N 447, 1852, Téniet, oc<br />
tobre.<br />
(2) Walsin-Esterhazy (30) 268-269, Azéma de Montgravier (1) 8.<br />
(3) N 463; 1847, Orléansville 1 q. mars ; N 465, 1848, Orléansville 2» q.<br />
octobre ; N 469, 1850, Orléansville, janvier.<br />
(4) Cottenest (3) 89.
— — 98<br />
entre les chances de sa délivrance et celle de sa soumission irré<br />
vocable, le rapport qui s'offre à lui entre l'espace de terrain<br />
encore libre de notre contact et celui que nous occupons. Cette<br />
idée fait briller un instant à ses yeux tous les rayons de l'espé<br />
rance et donne un nouvel aliment à sa haine. » (1).<br />
Donc, la force ne suffit pas. Il faut de l'habileté : un apport<br />
de grain au bon moment qui empêche les céréales de renchérir<br />
profite à notre domination (2). Surtout pas de brimades inutiles<br />
et Richard, dans un de ses rapports de quinzaine, proteste avec<br />
grande énergie contre les corvées de bois infligées aux Kabyles<br />
de l'Ouarsenis,<br />
parlant d'<br />
« un état déplorable de choses qui, en<br />
soumettant à une espèce de torture constante une population<br />
tout entière, compromet à la fois les intérêts de la politique et<br />
de l'humanité », et ajoutant : « Les tribus de l'Ouarsenis ne<br />
peuvent rien faire au milieu du calme général qui règne autour<br />
d'elles, mais leur indignation se concentre et éclatera tôt ou<br />
tard si nous ne faisons rien pour l'apaiser » (3).<br />
Force, habileté, modération, sont les caractères d'un bon<br />
gouvernement. Mais, pour assurer la tranquillité définitive du<br />
pays, il faut davantage, il faut régénérer le peuple arabe (4).<br />
Et cette régénération se fera par le -travail. Quand l'Indigène<br />
laboure, c'est qu'il croit à la paix (5). Il est donc nécessaire de<br />
fournir du travail : « Un de nos grands ennemis dans la vie<br />
arabe est le temps de repos pendant lequel les imaginations<br />
travaillent et sont exploitées contre nous. A ce point de vue les<br />
travaux d'utilité générale ou privée que l'on fait faire aux Ara<br />
bes pendant les saisons mortes pour l'agriculture servent parti<br />
culièrement nos intérêts et on ne saurait trop songer à préparer<br />
de semblables travaux. » (6). Combattons donc l'oisiveté et<br />
nous aurons la sécurité si nous parvenons à « ne pas laisser un<br />
seul bras sans travail, une seule bouche sans pain » (7).<br />
(1) Richard (18) 21-22.<br />
(2) N 465, 1847, Ténès 2" q. février (Lapasset). De même Richard (17) 75.<br />
(3) N 463, 1847, Orléansville 2* q. novembre.<br />
(4) (121) 69.<br />
(5) Rapport de Capifali, G Orléansville, octobre 1864. Salignac-Fénelon<br />
s'exprimait à peu près de même dans un rapport de juin 1847 (N 463, Miliana).<br />
(6) N 468, 1849, Orléansville 1"> q. juillet.<br />
(7) Richard (18) 22,-23.
II. —<br />
LA<br />
— — 99<br />
SECURITE PAR LA TRANSFORMATION<br />
DU GENRE DE VIE<br />
Mais le travail ne doit pas seulement occuper les esprits.<br />
Il faut qu'il assure l'existence de ceux qui s'y adonnent, car<br />
« l'ordre est le produit de la satisfaction publique » et celle-ci<br />
s'obtient par « la satisfaction des besoins légitimes ». Le travail<br />
devra donc être productif et, pour cela, il est nécessaire d'amener<br />
le peuple indigène « à des transformations qui améliorent son<br />
état et le rapprochent de nous », autrement dit, il faut entre<br />
prendre la transformation de son genre de vie (1).<br />
Et rapidement les Bureaux arabes conçoivent une double<br />
action concourant vers ce but : d'une part fixer les Indigènes -<br />
au sol et, d'autre part, améliorer les conditions de leur exploi<br />
tation, c'est-à-dire agir sur les deux traits les plus saillants de j<br />
la vie indigène, la mobilité et la médiocrité des rendements. Ce-<br />
faisant, ils feront entrer les Indigènes dans la voie du progrès<br />
« en s'en servant comme d'un élément de colonisation » pour<br />
reprendre une formule chère à Lapasset.<br />
La fixation au sol.<br />
ensuite,<br />
Dans l'esprit de Bugeaud d'abord et des Bureaux arabes<br />
vers 1845,<br />
c'est la condition sine qua non de la sécurité. Jusque<br />
l'Administration s'était peu préoccupée de ses em<br />
piétements sur les territoires occupés par les Indigènes, faisant<br />
appel aux ressources du Domaine ou aux expropriations. Dans<br />
aucun cas on ne se demandait ce que deviendraient les familles<br />
qui avaient jusque là vécu sur cette partie du sol à un titre<br />
quelconque; l'Administration usait de son droit et ne s'occupait<br />
plus de ceux qu'elle avait chassés (2). C'était le refoulement à<br />
(1)<br />
Richard (18) 22-23.<br />
(2) Documents ayant servi à l'établissement du rapport du Ml Randon à<br />
l'Empereur en novembre 1862. N 1805.
— — 100<br />
la manière yankee, mesure inhumaine et dangereuse pour la<br />
tranquillité du pays.<br />
Bugeaud le combat avec son énergie habituelle. Dès 1843<br />
il signale que le refoulement engendrera une guerre continuelle<br />
car on s'en prend à des « guêpes dont il ne fait pas bon<br />
troubler la demeure »; il condamne la politique de la tache<br />
d'huile parce qu'il « faudrait qu'une armée marchât toujours<br />
en avant de la tache,<br />
et quand cette tache aura trente lieues<br />
de diamètre quelle armée faudra-t-il pour garder la circonfé-<br />
'<br />
rence ? » 11^attire l'attention du Ministère de la Guerre sur le<br />
fait que les Européens ont besoin des bras des Indigènes et il<br />
1 demande le retour des tribus que la guerre a chassées de la<br />
I Mitidja (1). Dans les considérants d'un arrêté du 11 juillet<br />
1845 relatif à la création du premier village indigène, il estime<br />
; juste et politique de laisser « place aux indigènes, au milieu des<br />
populations européennes en les astreignant à nos habitudes<br />
fixes d'habitation et de cultures » (2).<br />
A ces conceptions applaudissent les chefs des Bureaux ara<br />
bes hostiles au refoulement (3). Et ainsi on s'achemine vers<br />
l'idée de partager le sol avec les Indigènes, c'est-à-dire vers la<br />
théorie du cantonnement que nous étudierons plus loin. Nous<br />
voudrions simplement montrer ici que cette théorie, dont les<br />
conséquences furent importantes,<br />
besoin de sécurité.<br />
est issue essentiellement du<br />
Charton, chef du bureau arabe de Téniet-el-Had, le prouve<br />
lorsque, pour faire disparaître un pays de baroud, il propose<br />
que le cantonnement y soit fait le plus vite possible après prise<br />
de possession par le Domaine (4).<br />
Hugonnet s'exprime de manière explicite sur cette ques<br />
tion : Les Indigènes, écrit-il, « craignent qu'on leur enlève<br />
leurs terres et il est important de les rassurer en prenant nous-<br />
mêmes l'initiative, en nous hâtant d'assigner en toute propriété<br />
(1) G. série EE, lettres de Bugeaud : du 25 janvier 1843 dans 2 EE 3 ; du<br />
3 juillet et du 25 novembre 1845 dans 2 EE 6 ; du 17 avril 1843 dans 2 EE 9.<br />
(2) N 1805 - Documents du rapport Randon 1862. Il s'agit d'un village de<br />
la Mitidja à établir sur les territoires des Guerouaou et des Mechdoufa.<br />
(3) Hugonnet (6) 119 et Lapasset (9) 56-58.<br />
(4) N 476, 1857, Téniet-el-Had, rapport annuel.
— 101 —<br />
aux tribus inquiètes une partie de leur territoire et d'améliorer,<br />
par certains travaux, cette partie, en dédommagement de celle<br />
qu'on leur prendra. Il devrait y avoir tout un service public<br />
uniquement occupé de cette mission; elle en vaut la peine, car<br />
il y a là, ne l'oublions pas, un intérêt fort grave en notre pré<br />
sence, et si, pour l'avoir négligé, un souffle d'insurrection venait<br />
à agiter en masse toutes les populations indigènes de l'Algérie,<br />
nous ne reprendrions pas le dessus sans éprouver de grandes<br />
pertes de toutes sortes.... » (1).<br />
En termes plus brefs, c'est ce que dit le général comman<br />
dant la division d'Oran lorsqu'il écrit en 1856 : « Le cantonne<br />
ment est une mesure essentiellement et uniquement politi<br />
que. » (2).<br />
Lorsqu'on aura assuré une fraction du territoire aux Indi<br />
gène en délimitant les biens de chaque tribu, il faudra, toujours<br />
pour assurer la tranquillité du pays et éviter les contestations,<br />
constituer la propriété indigène. Chaque individu devra obtenir<br />
une propriété déterminée et progressivement on dressera un<br />
véritable cadastre (3). Le but poursuivi par les Bureaux arabes<br />
et par l'Armée nous le trouvons clairement défini dans un rap<br />
port du 17 mai 1854 du Ministre de la Guerre : « En conférant<br />
à chaque tribu la propriété collective d'un périmètre déterminé,<br />
écrit celui-ci, mon département se réserve de constituer, dans<br />
ce périmètre même, la propriété individuelle, en faveur des<br />
familles qui s'en montrent dignes par leurs travaux de culture.<br />
Or, la propriété individuelle ainsi conquise,<br />
en modifiant radi<br />
calement l'état social des indigènes, les liera irrévocablement<br />
à notre cause par leurs propres intérêts. Née. du travail et de<br />
l'esprit de progrès, elle ouvrira les voies à toutes les améliora<br />
tions sociales et agricoles;<br />
l'assimilation des deux peuples. » (4).<br />
(1) Hugonnet (6) 268.<br />
elle sera le plus sûr point d'appui de<br />
(2) N 1805. Documents ayant servi au Rapport Randon 1862. Azéma de<br />
Montgravier, 2" lettre p. 20, exprime la même idée lorsqu'il écrit que le can<br />
tonnement doit être fait lors de la soumission des tribus et comme garantie<br />
de leur fidélité.<br />
(3) N 450, 1854, Rapport d'ensemble de la division d'Alger -<br />
N<br />
465, 1848,<br />
Orléansville 1 q. février N 1675, rapport de Walsin-Estherhazy du 23-12<br />
1844.<br />
(4) Cité dans Pellissier de Reynaud (14) III, 372.
—<br />
— 102<br />
Mais délimiter le territoire des tribus ou même celui de<br />
chaque propriétaire, ce n'est qu'une première phase de la fixa<br />
tion au sol. Celle-ci ne sera vraiment réalisée que lorsque l'Indi<br />
gène habitera une maison, sera membre d'un village. Et c'est<br />
là encore une condition essentielle de la pacification. Les textes<br />
ne laissent aucun doute sur le but essentiel que l'on poursuivait.<br />
Déjà en 1848, Bugeaud écrivait : « Il me vient une idée que je<br />
crois très politique et qui nous conduirait à deux buts à la fois :<br />
ce serait de faire des troupes_ou les condamnésjdes_villa-<br />
ges pour les Arabes en_jnême_ temps que nous en feripn^dans<br />
le'vôisinagëTpour les Européens. Ce. cadeau pourrait,leur faire<br />
prendre patience sur notre établissement et,<br />
en mêmejiemps,<br />
les attachëfàrflîû^ôT^TêuFdonnerait des intérêts permanents<br />
et ïixës"qûi les rendraient bien moins disposés à la révolte. C'est<br />
je crois une chose à tenter » (î).<br />
Les officiers des Bureaux arabes abondèrent dans ce sens<br />
car ils virent dans la construction des maisons et l'agglomération<br />
en villages le moyen de rendre saisissables les intérêts des<br />
Indigènes. Richard met l'accent sur la nécessité politique de<br />
grouper la population indigène lorsqu'il écrit : « Une chose qui<br />
frappe de prime abord l'homme qui observe ce pays, c'est, sans<br />
contredit, le grand éparpillement de la population sur le sol.<br />
Cette circonstance malheureuse enlève aux Arabes toute cohé<br />
sion, leur donne une mobilité qui nous les rend insaisissables et<br />
leur permet en quelque sorte de glisser entre nos doigts. Cette<br />
absence d'agrégation a, en outre, un inconvénient bien grave,<br />
c'est qu'il (sic) les livre pieds et poings liés au premier aventu<br />
rier qui sait exploiter leur fanatisme ou leur soif de pillage^.<br />
La première chose à faire pour enlever aux agitateurs leurs<br />
leviers, c'est d'agglomérer les membres épars du peuple, d'orga<br />
niser toutes les tribus qui nous sont soumises en zemalas et de<br />
mettre à cette condition leur paix définitive avec nous... » (2).<br />
Margueritte ne pense pas autrement et estime que : « La<br />
stabilité à laquelle nous engageons les Arabes est le meilleur<br />
moyen de les soumettre complètement par la crainte où nous<br />
(1) Lettre du 17 avril 1843 au Directeur de l'Intérieur, G. 2 EE 9.<br />
(2) Richard (17) 188-189. Le mot zemalas est pris ici dans le sens de vil<br />
lages et plus particulièrement de villages de tentes.
— — 103<br />
les tenons de se voir privés des intérêts qui les attachent au<br />
sol. » (1). Pour Lapasset également la fixation des Indigènes<br />
au sol par la construction de villages « rend les révoltes presque<br />
impossibles en mettant les terres dans notre main » (2). Walsin-<br />
Esterhazy voit la question de plus haut, mais toujours sous l'an<br />
gle de la sécurité, et, à propos de la construction d'habitations<br />
fixes aux Douaïrs et aux Zmélas (à l'Ouest d'Oran), il écrit :<br />
« Au moment où l'Arabe consent à se fixer au sol, il accepte<br />
implicitement, sans en apprécier peut-être toute la portée, une<br />
modification profonde à ses habitudes et à ses mœurs; il se<br />
crée des intérêts communs et solidaires avec les nôtres, il entre<br />
dans le mouvement colonisateur et devient aussi intéressé que<br />
l'Européen lui-même à la tranquillité et à la sécurité du<br />
pays » (3).<br />
Le groupement des Indigènes dans des villages n'est-ce<br />
pas, d'autre part, le moyen le plus efficace de surveiller les<br />
suspects et de porter secours à ceux qui sont attachés à notre<br />
cause ? Ce sont les riches d'abord qui se feront construire des<br />
maisons et « les hommes les plus influents de chaque tribu se<br />
trouveront par là réunis sous la surveillance immédiate du<br />
kaïd dont le commandement va devenir plus facile. En cas de<br />
guerre, les tentes trouveront toujours une protection puissante<br />
autour du village qui sera disposé de manière à la leur assurer.<br />
Ceux qui sont disposés à nous rester fidèles viendront naturel<br />
lement s'y réfugier » (4).<br />
On aurait tort de croire que la construction des villages<br />
augmentera les possibilités de résistance des Indigènes. D'abord<br />
ces villages ne seront pas bâtis « sur un plan défensif comme<br />
(1) N 465, 1848, Téniet-el-Had 1" q. de janvier.<br />
(2) Lapasset (9) 55-56. On pourrait citer dans le même sens le rapport<br />
de la 2" quinzaine de février 1849 de Salignac-Fénelon.<br />
(3) Walsin-Esterhazy (30) 231-232. Dans un rapport à Bugeaud du 24-<br />
12-1844, il disait déjà : « L'agriculture et la vie sédentaire ne doivent pas<br />
être oubliées dans l'énumération des moyens les plus puissants à employer<br />
pour rappeler les Arabes à des habitudes pacifiques et les rendre dociles à<br />
notre joug... » et il ajoutait « Admettons l'hypothèse que la propriété soit<br />
devenue individuelle et héréditaire, que la tente soit remplacée par la maison,<br />
en quoi leur état social différerait-il du nôtre ? »<br />
(4) Rapport de Richard de la 2» q. de juin 1848 (N 465). Lapasset pense<br />
de même (9) 40.
— 104 —<br />
le seront les nôtres » (1). Et puis « a-t-on jamais vu une ville<br />
arabe nous résister ? Toutes,<br />
au contraire, au moment des insur<br />
rections, recherchaient notre protection, car leur existence est<br />
liée à des idées d'ordre, de paix, de prospérité commerciale<br />
dont se soucient fort peu les tentes arabes. Nous serions vrai<br />
ment trop heureux si les indigènes,<br />
au lieu d'être nomades,<br />
insaisissables, habitaient de bonnes et fortes villes, fussent-elles<br />
même inexpugnables comme Constantine. Alors,<br />
serait depuis<br />
longtemps tranché le problème de la domination, aujourd'hui<br />
encore mal résolu,<br />
et toujours mis en question par une insur<br />
rection, comme il y en a eu et comme probablement il y en<br />
aura encore » (2).<br />
Les Indigènes fixés seront plus paisibles et, par conséquent,<br />
plus faciles à gouverner. Notre administration ne peut, en effet,<br />
s'accommoder de la vie errante des Arabes. Il est pratiquement<br />
impossible de faire régner l'ordre dans une société aussi mou<br />
vante. Avec la fixation, toutes les difficultés ne disparaîtront<br />
pas du jour au lendemain, mais on comprend « que s'il est quel<br />
quefois difficile d'exercer une police sévère sur un centre de<br />
population, d'y faire exécuter les ordres, les instructions de<br />
l'autorité, à plus forte raison, la chose est-elle peu aisée à l'égard<br />
des tribus dont les tentes sont quelquefois éparses sur une éten<br />
due de plus de vingt-cinq lieues carrées et qui, aujourd'hui sur<br />
un point, seront demain sur un autre » (3).<br />
L'amélioration de l'exploitation.<br />
Donc pas de véritable administration sans une fixation<br />
définitive au sol de l'élément indigène. Et de grandes transfor<br />
mations suivront cette révolution dans l'habitat : « comme il<br />
(1) Bugeaud cité par Démontes (48) 486.<br />
(2) Lapasset (9) 54.<br />
(3) Lapasset (9) 64. n est à remarquer que ce désir d'assurer la sécurité<br />
par la fixation au sol des Indigènes se retrouvera plus tard dans l'adminis<br />
tration des territoires du Sud, héritière des Bureaux araabes, et l'on pourrait<br />
citer nombre de rapports signalant que « les tribus se déplaçant moins faci<br />
lement deviennent moins aptes à la guerre », ou que * les tendances des indi<br />
gènes à se fixer au sol rendent plus faciles, au point de vue politique, la sur<br />
veillance et l'administration des tribus ». Voir Bernard et Lacroix (170) en<br />
particulier p. 135, 294, 297, 299.
— 105 —<br />
est dans la nature de l'homme de chercher constamment à aug<br />
menter la somme de son bien-être, écrit Fauvelle, chef du<br />
bureau arabe de Miliana en 1852, il en résultera ceci que l'Arabe<br />
fixé au sol cherchera à lui faire produire le plus possible; pour<br />
cela il devra adopter nos instruments, nos procédés : c'est une<br />
question de temps » (1). La production augmentera et, avec<br />
elle, le bien-être et la tranquillité car améliorer l'exploitation<br />
c'est encore renforcer la sécurité, affermir la conquête.<br />
Ces conséquences, éminemment politiques, Bugeaud les<br />
avait vues très nettement lorsqu'il voulait intéresser les Arabes<br />
à la conquête par l'appât du gain et le désir de jouir de meil<br />
leures conditions d'existence. Il conseillait surtout les travaux<br />
d'utilité publique (barrages, routes, ponts, fontaines, puits...) qui<br />
donneraient aux Indigènes des facilités commerciales ou aug<br />
menteraient leurs richesses agricoles et les commodités de la<br />
vie (2). La « bonne politique, celle qui vise à rendre les révoltes<br />
plus rares et moins dangereuses, doit procurer aux Arabes les<br />
avantages de notre état social et agricole avancé en même temps<br />
qu'on nuit à d'autres intérêts » (3). En développant le goût de<br />
la propriété bâtie et des cultures soignées on fera naître un<br />
état de résignation et de calme : « La belle et bonne culture<br />
rend les peuples sédentaires et moins disposés au combat<br />
parce qu'ils craignent de compromettre des jouissances agrico<br />
les de tous les jours qui sont aussi morales que matérielles. On<br />
aime avec ardeur ses prairies artificielles, ses plantations, ses<br />
prairies naturelles bien arrosées, ses bestiaux bien entretenus<br />
en toute saison, et l'on craint d'abandonner tout cela pour l'ex<br />
poser aux hasards d'une guerre ruineuse... » (4).<br />
Là comme ailleurs, les Bureaux arabes emboîtent le pas à<br />
leur fondateur. Dès que la situation matérielle s'améliore, à la<br />
suite par exemple d'une bonne récolte de glands doux, l'état de<br />
paix s'affermit,<br />
constate Lapasset. Pour faire bénir notre domi<br />
nation il suffit donc de travailler à accroître la richesse du pays<br />
(1) N 471, rapport d'août 1852.<br />
(2) Circulaire du 15-11-1844 Ménerville (140) I, 67 ou Daumas (4) 165-<br />
169.<br />
(3) Lettre du 1" décembre 1845 au Ministre de la guerre : G 2 EE 6.<br />
(4) Lettre du 25-1-1843 au Ministre de la guerre : G 2 EE 3.
— — 106<br />
en encourageant les cultures (1). En épigraphe à l'un de ses<br />
ouvrages, Richard met la phrase de Tite-Live : « La domination<br />
la plus assurée est celle qui est agréable à ceux-là sur qui on<br />
l'exerce ». Faisant remarquer les progrès réalisés en 1847, dans<br />
le cercle de Miliana (augmentation de 34 % des charrues culti<br />
vées, et de plus de 100 % de la quantité des semences en blé<br />
et orge), Salignac-Fénelon écrit : « Quand l'augmentation de<br />
la richesse a lieu dans de telles proportions,<br />
elle constitue un<br />
fait de nature à détruire, même dans l'esprit des Arabes les<br />
plus prévenus, les préoccupations fâcheuses contre notre gou<br />
vernement. » (2).<br />
Les officiers des Bureaux arabes pensent avec Walsin-<br />
Esterhazy<br />
que les populations prospères ne sont pas fanatiques<br />
et que les hommes s'attachent « d'autant plus aux institutions<br />
qui les régissent que ces institutions leur offrent plus de sécu<br />
rité, de bien-être et de plus sûres garanties pour leurs inté<br />
rêts » (3). Aussi, pour que la paix ne fût pas une simple trêve,<br />
après la chute d'Abd-el-Kader, ils entreprirent de modifier les<br />
habitudes des Arabes, de leur créer des besoins nouveaux, de<br />
les attacher au sol,<br />
par l'appât d'une agriculture de plus en<br />
plus productive et qui rendrait nécessaire le maintien de la<br />
tranquillité (4).<br />
Le souci d'assurer l'ordre se manifeste même dans les pro<br />
jets dont l'inspiration paraît la plus généreuse. On sait com<br />
ment, après la famine de 1867, le général Liébert, commandant<br />
la subdivision de Miliana,<br />
entreprit de propager dans le monde<br />
(1) Rapports de : Lapasset 1" q. février 1848 ; Richard 1" q. novembre<br />
1847 et 1 q. décembre 1849 dans N 465, 463, 468.<br />
(2) N 463, 1867, 1 q. décembre.<br />
(3) Walsin-Esterhazy (30) 236-237. N'est-ce pas ce que disait Daumas<br />
dans ses instructions (4) 47-48 lorsqu'il écrivait : « Parmi tous les moyens<br />
politiques de l'Emir nous en choisirons un seul celui qui avait pour but de rat<br />
tacher les tribus à l'autorité par le lien des intérêts matériels ; c'est sous ce<br />
rapport que notre gouvernement doit éclipser le sien et la protection intelli<br />
gente accordée aux hommes et à la propriété, l'encouragement de toutes les<br />
transactions, l'augmentation du bien-être et les besoins mêmes du luxe sont<br />
seuls capables de remplacer un jour pour nous, jusqu'à un certain point, les<br />
influences dont disposait l'Emir ».<br />
(4) Et cette œuvre fut poursuivie en communauté d'idées avec le com<br />
mandement militaire comme le prouvent les rapports d'inspection du général<br />
commandant la division d'Alger : N 448, 1853 et N 450, 1854.
— — 107<br />
indigène les pratiques d'assistance et de mutualité par l'instal<br />
lation de silos des pauvres et la création d'une caisse de prêts<br />
mutuels. Les sociétés qu'il ébaucha (1) sont considérées comme<br />
les premières sociétés indigènes de prévoyance,<br />
appelées à un<br />
grand avenir. Mais, ce que l'on sait moins, c'est que Liébert ne<br />
faisait que reprendre une idée lancée dès 1847 par Lapasset,<br />
alors chef du bureau arabe de Ténès. Pour Lapasset, il s'agit<br />
de prêter, à chaque campagne, des semences aux pauvres et,<br />
pendant les mauvaises années, d'approvisionner tous ceux qui<br />
en auraient besoin. On constituerait dans ce but des silos dej<br />
prévoyance alimentés annuellement par des versements en na-l<br />
ture (blé ou orge) variant pour chacun avec le nombre de char<br />
rues cultivées et avec l'importance de la moisson; pour aug<br />
menter les réserves, les prêts seraient toujours rendus avec un<br />
certain supplément. L'administration des silos confiée aux<br />
caïds, avec l'aide du bureau arabe, fonctionnerait sous le con<br />
trôle d'une commission consultative municipale.<br />
On ne peut qu'admirer l'économie du projet (2), mais il<br />
est juste d'ajouter que son inspiration n'était pas uniquement,<br />
peut-être même pas essentiellement, charitable. Lapasset le dit<br />
sans ambages : « Les avantages de ce projet sont politiques et<br />
matériels,<br />
mais il me semble que les premiers l'emportent sur<br />
les seconds » . En effet, situés dans le rayon de défense des villes<br />
ou des postes français administrant les tribus, les silos de ré<br />
serve constituent des gages de fidélité préférables aux otages<br />
qui sont une garantie peu commode et coûteuse. Et Lapasset<br />
précise nettement sa pensée : « Dans un temps d'inquiétude, de<br />
malaise politique, on restreindrait les prêts; et les dons, on les<br />
suspendrait même tout à fait si l'autorité supérieure jugeait la<br />
mesure opportune. On agirait de même à l'égard d'une tribu<br />
dont la fidélité inspirerait quelques doutes... Certes, il serait<br />
bien préférable d'avoir entre les mains tous les approvisionne<br />
ments des tribus; nous y avons même pensé; mais nous avons<br />
reculé devant cette mesure vexatoire qui entraverait, au plus<br />
haut point, les travaux d'agriculture et nous nous sommes bor<br />
nés à présenter ce diminutif de l'idée première, dont l'intérêt<br />
(1) Voir par exemple Arippe (167) 10-17.<br />
(2) Voir détails dans (9) 85 à 95.
— — <strong>108</strong><br />
est cependant assez fort pour donner à réfléchir à la tribu. Si<br />
donc elle venait à oublier la foi jurée, ses silos reviendraient de<br />
droit à l'Etat, et elle en serait prévenue à l'avance... » (1). On<br />
s'explique aisément le titre mis par Lapasset en tête de son<br />
exposé « Projet d'établissement de silos de prévoyance pour les<br />
tribus servant en même temps de garantie de leur fidélité ».<br />
Il semble donc incontestable que c'est autour de la question<br />
de la sécurité que se sont cristallisées les idées dont l'ensemble<br />
forme ce que nous avons appelé la doctrine des Bureaux arabes.<br />
Avant tout, ils voulurent défendre la conquête,<br />
tranquillité. Et,<br />
maintenir la<br />
plus ou mpinsr-ils-eur-ent conscience que, pour<br />
garder l'Agérie, il fallait y créer une paysannerie prospère qui<br />
ait intérêt au niaintien de l'ordre établi. De là, le désir^de^trans former complètement le genre de vie des Indigènes en les fixant<br />
et en améliorant les conditions de leur exploitation.<br />
III. —<br />
LE<br />
TERME DE L'EVOLUTION<br />
Les Bureaux arabes assignaient-ils une fin à l'œuvre qu'ils<br />
entreprenaient ? Imaginaient-ils ce que serait la société indi<br />
gène au terme de l'évolution ? Bien que l'œuvre n'ait pas été<br />
menée à bien, la question mérite de retenir l'attention.<br />
La marche progressive.<br />
Il faut tout d'abord remarquer que les officiers des Bureaux<br />
arabes ne se faisaient pas d'illusion sur les difficultés à surmon<br />
ter. Ils savaient que la transformation désirée n'aurait pas lieu<br />
à un rythme accéléré car « toute mesure est sûre de rencontrer,<br />
comme obstacle à son application, en dehors de l'inertie qu'of<br />
frent les masses à toute innovation, une méfiance ombrageuse,<br />
un sentiment de répulsion énergique, une haine fanatique contre<br />
(1) Lapasset (9) 91. Si le projet de Lapasset ne fut pas retenu, il est à<br />
remarquer que l'administration militaire s'efforça toujours de contrôler les<br />
silos dits « sauvages » qui échappaient à la surveillance : N 468, 1849, Téniet-<br />
el-Had, 2? q. juillet - N 469, Téniet-el-Had, juillet -<br />
let - N 471, 1852, Ténès, juillet.<br />
N<br />
470, 1851, Miliana, juil
— — 109<br />
les nouveautés impies; toutes les résistances à la fois : celle de<br />
l'instinct naturel, celle de la foi religieuse, celle enfin de l'hos<br />
tilité qu'inspire la domination étrangère » (1).<br />
Aussi, les chefs les plus éminents des Bureaux arabes con<br />
seillaient-ils d'agir avec modération, de procéder par étapes.<br />
Telle était déjà l'opinion de Pellissier de Reynaud pour qui :<br />
« Il y aurait de la témérité à tout attendre de la génération ac<br />
tuelle. C'est beaucoup de l'avoir mise à peu près sur la voie, le<br />
reste est une question de temps et de persévérance » (2). Selon<br />
Richard : « Il est évident pour tout homme sensé, que nos insti<br />
tutions ne peuvent entrer, sans quelques modifications, dans le<br />
milieu dont il s'agit; il y aurait un travail de la plus haute im<br />
portance à entreprendre, ce serait précisément de déterminer<br />
d'une manière claire quelles sont ces modifications transitoires<br />
qui doivent servir de passage à nos institutions. » (3). Et Ri<br />
chard l'a tenté dans un ouvrage que nous analysons plus loin.<br />
En termes plus modestes, Capifali, après les troubles de<br />
1864, définit ainsi sa tâche : « Les diriger (les Indigènes) avec<br />
mesure et précaution vers tous les progrès possibles soit agri<br />
coles, soit industriels,<br />
soit intellectuels et moraux. Ne jamais<br />
rien imposer, mais tâcher d'obtenir tout par la persuasion et le<br />
raisonnement » (4).<br />
Mais nul à cet égard n'a été aussi explicite que Lapasset<br />
dans ses rapports de chef de bureau arabe ou dans ses publi<br />
cations. Il déconseille de supprimer brutalement les esclaves<br />
qui aident au ménage et sont encore indispensables aux femmes<br />
de grande tente qui ne peuvent aller ni à l'eau ni au bois (5).<br />
Pourquoi vouloir contraindre les « Kabyles » à ensiloter hors<br />
(1)<br />
Richard (18) 19.<br />
(2) Pellissier de Reynaud (14) III, 400.<br />
(3)<br />
Richard (18) 14 et aussi (17) 183 où il écrit notamment : « Un peu<br />
ple ne peut pas passer subitement de l'état barbare à l'état civilisé. Un enfant<br />
n'acquiert pas dans un jour l'instruction et l'expérience d'un homme de trente<br />
ans. La méthode d'éducation facilite certainement beaucoup ce développe<br />
ment de l'intelligence ; mais elle a beau faire, elle ne peut supprimer le se<br />
cours de cet élément qu'on appelle le temps... » Même idée dans Azéma de<br />
Montgravier (1) 2» lettre p. 18.<br />
(4) G. Orléansville, 1864, novembre.<br />
(5) N 465, 1848, Ténès 2e q. septembre 1848.
— 110-<br />
de leurs chaumières : « A force de demander des innovations,<br />
on tire trop la corde, elle pourrait casser » . Même dans les cons<br />
tructions, il faut réduire les exigences, car le pays est pau<br />
vre (1). « La routine d'un peuple est immense, écrit-il. On ne<br />
redresse pas en un seul jour un arbre tordu et déjà fort; si l'on<br />
forçait trop, il se romprait. Suivons donc les coutumes actuel<br />
lement en vigueur, en y améliorant ce qui est mauvais et n'effa<br />
rouchons personne par des nouveautés qui paraîtraient excen<br />
triques à un peuple primitif. » (2). Et,<br />
pour mieux faire com<br />
prendre sa pensée à son ami Lacroix, Lapasset ne recule pas<br />
devant les images hardies : « Y a-t-il en fait de nourriture quel<br />
que chose de plus sain et de plus nutritif que le bifteck ? Et<br />
cependant, il ne vient pas à la pensée des mères d'en donner à<br />
leurs enfants nouveau-nés. Si chaque âge de l'homme a des ali<br />
ments qui lui sont convenables, vouloir aller trop<br />
vite en ali<br />
ments, comme en idées, c'est risquer de briser de existences... » ;<br />
ou encore, à propos du désir d'introduire d'un coup nos institu<br />
tions : « Cette situation ressemble à celle d'un cuisinier nova<br />
teur qui, voulant faire autrement que ses confrères, mettrait des<br />
denrées excellentes dans son pot-au-feu, mais ne voudrait lui<br />
accorder que quelques minutes de cuisson lorsqu'il faudrait<br />
plusieurs heures. Il obtiendrait un bouillon exécrable, quoique<br />
ayant employé d'excellentes choses parce qu'il n'aurait tenu<br />
aucun compte de l'élément nécessaire à tout : le temps. » (3).<br />
L'assimilation.<br />
Au contraire, en agissant progressivement, en ménageant<br />
les transitions, on évitera les heurts; et, au lieu de dresser face<br />
à face les deux populations, on parviendra d'abord à créer une<br />
solidarité d'intérêts. Bugeaud et Daumas avaient toujours songé<br />
(1) N 468, 1849, Ténès 2e q. août et N 468, 1849, Ténès, 2P q. octobre. Mar<br />
gueritte exprime la même idée dans un rapport de la 2e q. d'avril 1849 : N<br />
468, Téniet-el-Had.<br />
(2) Cité par Peyronnet (87) II, 266.<br />
(3) Lettres du 29 décembre 1858 et du 11 mai 1859 dans (121). La même<br />
idée développée presque dans les mêmes termes se retrouve dans Azéma de<br />
Montgravier (1) 2" lettre p. 7.
— — 111<br />
à enchaîner les Indigènes à notre cause par les liens de l'intérêt.<br />
Telle fut aussi la pensée des Bureaux arabes. Dans la vérifica<br />
tion des titres de propriété et la sanction que donnera l'autorité<br />
française, Richard voit le moyen d'unir les intérêts indigènes<br />
aux nôtres « en les compromettant » et, s'il propose aux colons<br />
des fermiers indigènes, c'est pour « jeter entre les deux peuples<br />
les premiers anneaux de la chaîne qui peut les lier ». (1). Sous<br />
la plume de Lapasset on trouve plus d'une fois exprimée l'inten<br />
tion d'établir une « solidarité d'intérêts » (2), d'<br />
« amener la<br />
connexion des intérêts européens et indigènes » (3), de créer<br />
un « trait d'union » entre les vaincus et l'élément colonisa<br />
teur (4). Et, pour cela, il propose,<br />
sur la surface du vaste échi<br />
quier qu'on appelle Algérie, de faire occuper les cases blanches<br />
par les Européens et les cases noires par les Indigènes (5), au<br />
trement dit, de mettre un village indigène auprès du village<br />
européen : des échanges de services s'établiront forcément, car<br />
les Européens ont besoin des bras indigènes et « cette suite non<br />
interrompue de relations, cette solidarité d'intérêts, amèneront<br />
plus sûrement la fusion rêvée que ce titre de citoyen français<br />
qu'on a proposé de donner aux indigènes » (6).<br />
Car si la solidarité d'intérêts est la première étape, la fusion<br />
paraît être la seconde pour les Bureaux arabes (7). Ils envisa<br />
gent, en particulier, des réformes qui introduiront peu à peu<br />
nos institutions chez les Indigènes. Bichard veut « jeter les bases<br />
de la municipalité dans la tribu » (8). Capifali désire « accor-<br />
(1)<br />
Richard (18) 68-69.<br />
(2) Lapasset (9) 9 et N 469, 1850, Ténès, mars.<br />
(3) Cité par Peyronnet (87) H, 266.<br />
(4) (121) 268, Lettre au général Fleury du 19-11-1860.<br />
(5) (121) 150, Lettre à F. Lacroix de juillet 1860. Le choix de la couleur<br />
des cases n'implique aucune idée péjorative chez Lapasset car ailleurs, dans<br />
une lettre à F. Lacroix du 31-7-1860 (p. 235 du même ouvrage) il établit les<br />
Indigènes sur les cases blanches du damier et les Européens sur les cases<br />
noires.<br />
(6)<br />
Lapasset (9) 53-54.<br />
(7) Walsin-Esterhazy le dit nettement (30) 287 : « La colonisation<br />
arabe rapprocherait de nous les indigènes et ce serait un premier moyen de<br />
fusion entre eux et nous, en rendant entre eux et nous, les intérêts communs<br />
et solidaires ».<br />
(8) Richard (18) 66 et aussi (21) p. XVII.
— — 112<br />
der aux indigènes la plus grande somme de liberté compatible<br />
avec l'ordre et la sécurité publique » (toujours le même sou<br />
ci) (1). Et Jubault, chef du bureau arabe de Téniet en 1862,<br />
trace un programme qui est une véritable anticipation : « Il<br />
faut, écrit-il, que les populations viennent d'elles-mêmes au<br />
progrès et dans ce sens nous croyons n'avoir pas de meilleure<br />
voie à suivre que de créer une sorte de conseil communal indi<br />
gène partout où la chose sera possible. Les éléments de ce<br />
conseil se trouvent dans les djemaa des tribus; il suffirait de<br />
les employer. Le meilleur moyen d'apprendre aux hommes à<br />
connaître leurs intérêts est de les charger eux-mêmes de les<br />
discuter... Cette méthode forcerait le peuple indigène à sortir<br />
de l'état d'engourdissement moral et de stagnation dans lequel<br />
il est plongé en lui donnant le sentiment de la vie sociale et de<br />
la vie politique. » (2). Ainsi on amènera progressivement les<br />
Indigènes à notre état de civilisation comme le recommandent<br />
les chefs de l'Armée et comme semblent l'accepter certains Indi<br />
gènes eux-mêmes (3). L'Algérie deviendra l'image de la Mé<br />
tropole. (4).<br />
Mais l'assimilation ne se bornera pas à la communauté<br />
d'institutions, ni même de civilisation. Elle doit être totale. Pour<br />
Pellissier de Reynaud « il n'y a de conquêtes légitimes et dura<br />
bles que là où le peuple vainqueur élève à lui le peuple vaincu,<br />
de manière à ce que l'avenir amène une fusion complète » et<br />
il se déclare partisan des mariages mixtes et même de la poly<br />
gamie (5). Bugeaud, dans ses instructions aux bureaux arabes<br />
à propos des Indigènes, dit qu'il espère « leur faire supporter<br />
d'abord notre domination, les y accoutumer plus tard et à la<br />
longue les identifier avec nous, de manière à ne former qu'un<br />
(1) G. 1864, Orléansville, novembre.<br />
(2) G. Téniet-el-Had, 1" T. 1862.<br />
(3) N 450, 1854, Rapport du Gl Camou.<br />
N 1805. Randon dans son rapport à IPEmpereur de novembre 1862<br />
rapporte les paroles d'un conseiller général indigène disant : « mes compa<br />
triotes comprendront que la conquête de la France n'a pas eu pour objet de<br />
les asservir, mais de les assimiler ». Le désir d'assimilation se retrouve même<br />
dans le Sénatus-consulte de 1863 : Duval et Warnier (57) 125.<br />
(4) A. de Montgravier (1) 2e lettre p. 26.<br />
(5) Pellissier (14) 424.
— 113 —<br />
seul et même peuple sous le gouvernement paternel du roi des<br />
Français » (1).<br />
Azéma de Montgravier donne son approbation à une doc<br />
trine visant à « rechercher les moyens d'apporter à l'état social<br />
des vaincus des modifications radicales dont le dernier terme<br />
sera la fusion des races,<br />
peut-être dans un avenir plus ou moins<br />
éloigné, et certainement l'absorption de l'élément barbare et<br />
réfractaire dans l'élément civilisateur » (2).<br />
Richard, toujours visionnaire, rêve aussi de l'absorption du<br />
peuple indigène par les Français, de sa dissolution dans nos<br />
masses. Il voit l'Algérie peuplée de 15 millions d'habitants, es<br />
sentiellement européens, et alors le nombre vaincra. Il écrit<br />
textuellement : « Il est donc bien manifeste que nous pouvons<br />
marcher vers notre but, sans trop<br />
nous préoccuper de cette<br />
grave affaire de la fu'sion des races qu'une certaine philanthropie<br />
timide avait établie devant nous comme une barrière infran<br />
chissable- Si nous n'opérons pas la fusion du peuple arabe avec<br />
le nôtre, nous opérerons à coup sûr son absorption par nos mas<br />
ses, résultat parfaitement identique au point de vue de nos<br />
intérêts et même de ceux de la civilisation que nous voulons<br />
implanter.» Rien d'étonnant par conséquent à le voir recomman<br />
der les mariages mixtes qui se contracteraient,<br />
au choix des<br />
époux, tantôt suivant la loi française, tantôt suivant la loi mu<br />
sulmane, et Richard pense même que la seconde aurait la pré<br />
férence. La religion d'ailleurs ne saurait être un obstacle :<br />
« Nous avons des citoyens français qui sont juifs, protestants,<br />
catholiques; pourquoi n'ajouterions-nous pas à cette liste les<br />
musulmans ?» (3).<br />
Comment dans ces conditions a-t-on pu accuser les Bureaux<br />
arabes d'avoir voulu isoler systématiquement le peuple conquis,<br />
de s'être opposé à toute assimilation, d'avoir combattu l'intro<br />
duction des Européens dans les tribus ? (4). L'accusation est-<br />
(1) Circulaire du 17 septembre 1844 : Ménerville (140) I, 65.<br />
(2)<br />
(3)<br />
(4)<br />
A. de Montgravier (1) 4, 14.<br />
Richard (18) 9-10, 59-61 et (19) 5.<br />
Voir par ex. : Duvernois (60).
— — 114<br />
elle sans fondement ? Non. Sur ce point, et toujours semble-t-il<br />
inspirés par les considérations de sécurité, l'attitude des offi<br />
ciers des Bureaux arabes se modifia. Nous verrons plus loin,<br />
à propos du cantonnement, comment ils en vinrent à considérer<br />
les Européens comme un élément de trouble et à monter la<br />
garde au seuil des tribus. Alors qu'ils voyaient au début dans<br />
les Européens et les Indigènes deux éléments appelés à collabo<br />
rer, puis à fusionner, ils en arrivèrent à les traiter comme deux<br />
adversaires qu'il fallait empêcher d'en venir aux mains (1).<br />
(1) Et par un curieux retour des choses ce sont les civils ennemis du ré<br />
gime militaire qui mettront en avant certaines des réformes préconisées par<br />
les Bureaux arabes au début. Par exemple Cl. Duvernois (148) 103, 268-274.
— c<br />
LES MÉTHODES DES BUREAUX ARABES<br />
Un des reproches les plus fréquents formulés contre les<br />
Bureaux arabes est d'avoir usé avec les Indigènes de méthodes<br />
peu susceptibles de nous attirer leur sympathie. On les accuse<br />
d'avoir fait preuve d'une autorité excessive, d'être apparus<br />
comme les «bourreaux; des Arabes» et surtout de s'être servi des<br />
chefs indigènes comme d'un moyen de tyranniser et de pressurer<br />
les tribus. Tout n'est pas inexact dans ces reproches, mais, avant<br />
d'examiner les modalités de l'action des Bureaux arabes, il<br />
faut, si l'on veut comprendre, évoquer la situation dans laquelle<br />
se trouvèrent ces officiers disséminés sur tout le territoire<br />
algérien.<br />
pements.<br />
I. —<br />
LA<br />
DEMOGRAPHIE COMMANDE<br />
Les nombres sont ici plus explicites que de longs dévelop<br />
D'un côté la masse indigène. On estime que vers 1845 la<br />
population algérienne comptait 2 millions d'habitants, évalua<br />
tion très approximative d'ailleurs. Sur le sens de l'évolution<br />
démographique, on n'était pas d'accord. Par suite des troubles<br />
qui suivirent la chute du gouvernement turc, de la guerre contre<br />
Abd-El-Kader, des insurrections comme celle de Bou-Maza, il<br />
est certain que la population avait diminué, mais chiffrer ce<br />
recul à un million d'habitants relève de la fantaisie . (1) De<br />
bons<br />
esprits ont pu penser que cette population manquait de vitalité<br />
et qu'elle était vouée à la décadence, sinon à la disparition : on<br />
s'explique ainsi le rêve de Richard la voyant absorber par l'im-<br />
(1) Dans l'ouvrage sur Lapasset (121) 60, l'auteur estime que la popu<br />
lation indigène était passée de 4 millions au temps des Turcs à 3 millions vers<br />
1846 : on voudrait bien savoir sur quoi reposent de pareilles estimations.
— 116 —<br />
migration française (1). Mais d'autres, comme Pellissier de Rey<br />
naud, virent bien que l'élément indigène avait tendance à s'ac<br />
croître et prophétisèrent même qu'il s'accroîtrait plus rapide<br />
ment que l'élément européen (2). L'avenir leur a donné raison<br />
et le dénombrement de 1861 totalisait plus de 2.700.000 Indigè<br />
nes, soit une augmentation de 400.000 par rapport à celui de<br />
1856.<br />
Or, quelle était la force numérique des Bureaux arabes en<br />
face de cette masse de près de trois millions d'individus ? Si<br />
l'on en croit Hugonnet, qui écrit en 1858,<br />
on ne possédait pas<br />
alors plus de 20 officiers aptes aux affaires arabes et il déclare<br />
urgent d'en former 150 ou 200 (3). Reste à savoir évidemment<br />
ce que Hugonnet appelle « officiers aptes aux affaires ». Mais<br />
Warnier donne une évaluation qui ne laisse place à aucun<br />
doute. Il écrit en 1865 et l'on compte alors pour l'administration<br />
des tribus 41 bureaux et 5 annexes. A raison de un chef, un<br />
adjoint, un stagiaire par bureau et un adjoint par annexe, on<br />
arrive à un total de 128 officiers. Avec le personnel des direc<br />
tions divisionnaires et du Bureau politique, Warnier estime que<br />
l'effectif de tout le corps peut s'élever à 150 officiers envi<br />
ron (4). Ce nombre paraît encore plus infime si l'on songe à<br />
l'étendue du territoire, à l'importance de la population indigène<br />
et aux multiples devoirs imposés aux officiers des Bureaux<br />
arabes.<br />
A l'échelle de notre région, les nombres restent aussi signi<br />
ficatifs. Dans l'Ouest du Tell algérois, le relèvement démogra<br />
phique paraît avoir été assez rapide après la reddition de Bou-<br />
Maza. On peut en donner quelques preuves. Par exemple, en<br />
1852, Margueritte, commandant supérieur du cercle de Téniet-<br />
el-Had, estime que les indigènes vont se trouver resserrés pour<br />
leurs labours si le développement démographique se poursuit<br />
(1) Des civils firent la même erreur : Duval (56) 7, Warnier (114) 29.<br />
(2) Pellissier (14) III, 402.<br />
(3) Hugonnet (6) 256.<br />
(4) Warnier (115) 238-239. Rouher précise qu'en 1868, il y avait 194<br />
officiers dans les Bureaux arabes (J.O. du 17-7-1868). Leblanc de Prébois<br />
(78) 28-29 donne pour 1870 les nombres suivants : 49 bureaux dont le Bu<br />
reau, politique, les 3 bureaux divisionnaires, 45 bureaux, répandus dans tout<br />
le pays arabe ; au total environ- 2Û0 officiers y compris les interprètes. Ces<br />
nombres sont confirmés par les documents d'archives M.G. 238,
— — 117<br />
au rythme des quatre années précédentes (1). Dans le cercle<br />
de Ténès, le plus affecté par l'insurrection de Bou-Maza, Lapas<br />
set, qui dirigeait le bureau arabe au moment des troubles, éva<br />
luait la population à 16.000 âmes (2). Elle est de 22.000 en 1852.<br />
Même en faisant des réserves sur l'exactitude des recensements,<br />
le sens de l'évolution ne paraît pas douteux et le dénombrement<br />
de 1853 accuse encore un excédent de 848 unités par rapport à<br />
celui de 1852. De même dans le cercle de Téniet-el-Had, dont<br />
Margueritte estimait la population à 14.000 âmes en 1848 et<br />
qui en compte 20.103 au recensement de 1853 (3). Il est probable<br />
que l'accroissement s'explique en partie par le retour de ceux<br />
qui avaient abandonné le pays aux époques troublées. Quoi<br />
qu'il en soit, si l'on compare pour l'ensemble de la région étu<br />
diée, le dénombrement de 1844-45 (4) à celui de 1852 (5) on<br />
trouve pour le premier 165.659 Indigènes et pour le second<br />
185.377.<br />
C'est donc une population de près de 200.000 habitants,<br />
répartis sur un territoire de 12.500 kilomètres carrés (soit envi<br />
ron la superficie de deux départements français)<br />
qu'eurent à<br />
administrer les officiers résidant à Orléansville, Ténès, Miliana,<br />
Cherchel et Téniet-el-Had. Or il est certain qu'en comprenant<br />
médecins, secrétaires et interprètes, le personnel français de ces<br />
bureaux arabes n'a jamais totalisé plus d'une trentaine de per<br />
sonnes,<br />
avec un maximum de 19 officiers en 1870. Quant aux<br />
cavaliers indigènes réguliers attachés aux bureaux, on peut esti<br />
mer leur nombre à environ une centaine pour l'ensemble et sans<br />
doute est-ce encore une évaluation excessive (6).<br />
(1) N 447, 1852, rapport du 7 octobre.<br />
(2) Lapasset (10) 15.<br />
(3) N 465, 1848, Téniet-el-Had, 1" q. février N 468, 1853, statistiques<br />
du 15 novembre.<br />
(4) Donné pour chaque tribu dans le Tableau (185) de 1844-1845. p. 494<br />
et suivantes. Avec Carette (173) 442, on obtient 167.100.<br />
(5)<br />
D'après les rapports des bureaux arabes N 447.<br />
(6) En 1870 les 19 officiers attachés au service des bureaux arabes dans<br />
l'Ouest du Tell algérois se répartissaient ainsi : 4 à Miliana, 5 à Cherchel, 4<br />
à Téniet-el-Had, 3 à Orléansville, 3 à Ténès ; en 1861 on en comptait seule<br />
ment 11 au total (M G 239 et 240).<br />
Pour le nombre de cavaliers indigènes, un rapport du général Camou<br />
de 1853 (N 448) précise que les bureaux arabes ont à leur disposition : à Or<br />
léansville et à Miliana 15 spahis ; dans les bureaux de 2" classe, 10 spahis. Un<br />
autre rapport du colonel commandant la subdivision d'Orléansville donne 25<br />
spahis pour le bureau d'Orléansville.
— 118 —<br />
Eparpillés ainsi au milieu d'une population souvent hostile<br />
et sans une règle d'action toujours précise,<br />
on conçoit que les<br />
officiers des Bureaux arabes aient organisé leur administration<br />
sans trop se soucier des garanties d'ordre qui entourent nos<br />
institutions civiles. On leur a reproché d'avoir restauré le sys<br />
tème barbaresque renversé par la conquête, de s'être faits Turcs,<br />
de n'être que « le rejeton du gouvernement turc » (1). C'est<br />
peut-être qu'ils se sont trouvés dans une situation comparable<br />
à celle des Turcs administrant une population de 2 millions à<br />
2.500.000 habitants avec 18.000 hommes. Et, comme les Turcs,<br />
ils durent faire appel au Makhzen et aux Chefs indigènes.<br />
IL —<br />
L'ACTION<br />
PAR LE MAKHZEN ET PAR LES CHEFS<br />
C'est un fait que les officiers des Bureaux arabes recon<br />
naissaient certains mérites aux Turcs et qu'ils n'en désavouaient<br />
pas toutes les méthodes. Walsin-Esterhazy recommande d'em<br />
prunter à la politique de l'ancien gouvernement ce qu'elle avait<br />
de bon et d'utile, notamment l'institution du Makhzen (2) qui<br />
fut, dit-il, l'appui le plus solide de l'autorité des anciens domi<br />
nateurs. Richard pense à peu près de même (3). Lapasset, à<br />
plusieurs reprises, attire l'attention sur la situation des Turcs<br />
qui, pendant près de trois siècles, ont tenu l'Algérie avec des<br />
troupes insignifiantes et, tout en condamnant leurs méthodes<br />
despotiques, il a tendance à s'en inspirer, louant non seulement<br />
le Makhzen, mais aussi la touiza, autrement dit la corvée, qu'il<br />
conseille d'utiliser pour la construction des villages indigènes<br />
(1) Thuillier (100) 11 ; Procès Doineau (123) 335 ; Bureaux arabes de<br />
vant le jury (126) 102 ; Feuillide (66) 72.<br />
(2) Walsin-Esterhazy (30) 233-234, 262-263, et plus encore (29) où dans<br />
l'avant-propos notamment il reproche aux premiers gouvernants de ne pas<br />
avoir recherché quels étaient dans la constitution gouvernementale des Turcs<br />
les principes que l'on eût pu s'approprier, montrant qu'avec 45.000 soldats<br />
nous n'avons établi notre autorité que sur une faible partie du territoire tenu<br />
par les Turcs avec moins de 15.000 hommes ; et cela faute d'avoir compris et<br />
maintenu l'institution du makhzen (il écrit maqrzen).<br />
(3) Richard (20) 53.
— — 119<br />
et européens (1). Rien d'étonnant par conséquent à ce que,<br />
subissant les conditions du milieu, les Bureaux arabes aient<br />
entrepris les transformations projetées en faisant appel à l'appui<br />
d'une minorité, essayant de diviser pour régner et pour réussir.<br />
Le Makhzen.<br />
Aux officiers des affaires arabes, Bureau arabe et Makh<br />
zen apparaissent comme deux institutions liées : « deux idées<br />
indivises : l'un est la tête, la pensée, le cœur du gouvernement<br />
indigène; les autres sont les yeux, les oreilles, les bras, les jam<br />
bes de ce gouvernement » (2). Or, qu'est-ce que le Makhzen<br />
tel que le conçoivent les Bureaux arabes ? Lapasset le définit<br />
en essayant, sans beaucoup réussir d'ailleurs, de le différencier<br />
du Makhzen turc : « Le Makhzen sous les Turcs, écrit-il, était<br />
la réunion d'un certain nombre de tribus exemptes d'impôts,<br />
montant à cheval, et aidant les vainqueurs à opprimer les vain<br />
cus, partageant avec eux leurs dépouilles. Sous notre gouverne<br />
ment plus juste, moins oppressif,<br />
mais qui doit être aussi fort<br />
que celui qui nous a précédés, ce sera la réunion par tribu, d'un<br />
certain nombre d'hommes d'élite, liés à notre cause par une<br />
solidarité d'intérêts, par une répugnance moins grande à se<br />
conformer à nos usages. Ils monteront à cheval avec nous, nous<br />
accompagneront dans nos expéditions, nous aideront à faire la<br />
police du pays, à le désarmer; ils seront les colporteurs, les pre<br />
neurs de nos idées et, liés d'intérêts à notre gouvernement, jouis<br />
sant, sous lui, de certains privilèges, de certains honneurs, ils<br />
défendront ses actes, repousseront les attaques de ses enne<br />
mis » (2).<br />
Diviser pour régner, voilà bien l'essence même du Makhzen.<br />
Il s'agit de créer le parti français en rattachant par des faveurs,<br />
par l'intérêt, une partie du peuple vaincu à la cause du peuple<br />
(1) Lapasset (9) 82-83. fce mot touiza qui est pris ici dans le sens de cor<br />
vée est employé dans d'autres cas pour désigner l'assistance que les Indigènes<br />
se prêtent les uns aux autres en vue de la construction d'une maison ou de<br />
l'exécution des travaux agricoles.<br />
(2) -<br />
Lapasset (10) 3-4 Montgravier (1) 2" lettre p. 28, exprime la mê<br />
me idée. Signalons aussi que les chefs de l'armée ne sont pas hostiles à l'ins<br />
titution du makhzen et Bosquet par exemple le défend.
— — 120<br />
vainqueur pour pouvoir l'opposer, si nécessaire, à l'autre partie<br />
de la population. En traitant inégalement les tribus, l'hostilité<br />
éclaterait entre elles et, selon Richard, nous obtiendrions un<br />
résultat de la plus haute importance : nous arriverions à diviser<br />
la population de l'Algérie en deux classes hostiles parfaitement<br />
distinctes, nous jetterions une ligne de démarcation infranchis<br />
sable entre deux masses d'individus jusque-là unies pour nous<br />
combattre (1). Tel est l'avis de Walsin-Esterhazy qui voit dans<br />
le Makhzen la résurrection des auxiliaires romains (2). Azéma<br />
de Montgravier pense de même et définit le Makhzen comme un<br />
« corps de cavalerie indigène, auxiliaire, irrégulière et privilé<br />
giée » (3). Il aura avant tout un rôle militaire s'efforçant de<br />
faire régner la sécurité, devenant « l'instrument de l'ordre entre<br />
les mains du Bureau arabe » (4).<br />
Pour atteindre plus sûrement ce but, les officiers des<br />
Bureaux arabes veulent donner une base sociale à l'institution<br />
du Makhzen. Les corps indigènes réguliers ne peuvent satisfaire<br />
les fils de grandes familles qui craignent notre discipline mili<br />
taire; le Makhzen ouvrirait une issue légitime à leur ambition,<br />
à leur amour des charges et des honneurs. Ils accepteraient plus<br />
facilement d'endosser le burnous bleu des mekhazenis que le<br />
burnous rouge des spahis. Et puis, : « dans toutes les sociétés<br />
les gens qui possèdent et qui possèdent beaucoup, sont particu<br />
lièrement ceux qui décident l'ordre et la paix. Pour établir le<br />
calme quelque part, la chose essentielle à faire est donc d'en<br />
confier les intérêts à cette classe de gens » (5). Ainsi compris, le<br />
Makhzen n'est pas autre chose qu'une des formes de l'action par<br />
les Chefs, la forme militaire si l'on veut.<br />
Mais il y a plus : le makhzen sera l'élément colonisateur.<br />
« Je désirerais voir, écrit Lapasset, la nation vraiment divisée<br />
en deux parties : l'une que l'on appellerait Zemoul (c'est-à-dire<br />
gens de la Smala) ou Makhzen, le nom fait peu à la chose ;<br />
(1) Richard (17) 185-187.<br />
(2) Walsin-Esterhazy (30) 285-289. Il admet l'existence de makhzens à<br />
pied ou à cheval suivant la nature du pays.<br />
(3) Montgravier (1) 2r lettre p. 9.<br />
(4) Richard (18) 93.<br />
(5) Richard (18) 92. Mêmes idées dans Walsin-Esterhazy (30) 265-268
— — 121<br />
l'autre serait nommé Meferoukine (c'est-à-dire habitant séparé<br />
ment, épars) ou Raïas (sujets). Les Zemoul habiteraient nos vil<br />
lages (1), auraient le droit de porter des armes, de monter à che<br />
val; on les exempterait des corvées, d'une certaine portion d'im<br />
pôts:; ils formeraient dans le village une espèce de milice, la gar<br />
de des chefs qui y habitent; ils feraient la police des routes, des<br />
marchés, le service d'escorte, de courriers, opéreraient les arres<br />
tations, la rentrée des impôts, etc..<br />
« Les Raïas ne pourraient avoir ni armes,<br />
ni chevaux de<br />
guerre (les Zemoul se chargeraient de faire exécuter cette clause<br />
si importante pour notre sûreté), ils paieraient tous les impôts<br />
et pourraient même être commandés de corvée dans la saison<br />
morte, pour aider les Zemoul, dans la construction ou répara<br />
tion de leur village, pour les travaux d'utilité générale, etc.. »<br />
Conception intéressante d'après laquelle le fait de changer<br />
de genre de vie entraînait une promotion politique et sociale.<br />
Nous verrons que ces idées reçurent un commencement d'exé<br />
cution et que, dans la région de Ténès et celle d'Orléansville, les<br />
Makhzens jouèrent un certain rôle agricole et colonisateur.<br />
Cependant, la fonction militaire demeure toujours prépon<br />
dérante. C'est pour la remplir que, sans avoir d'existence légale,<br />
les Makzens se constituèrent et se développèrent spontané<br />
ment. Daumas, dans ses instructions officielles ne voyait dans<br />
le Makhzen qu'un corps limité de cavaliers soldés sous les ordres<br />
des chefs indigènes : pour la province d'Alger tout entière leur<br />
nombre était de 390 seulement (2). Mais les chefs des Bureaux<br />
arabes s'aperçurent rapidement que pour agir sur la masse indi<br />
gène il leur fallait disposer très librement d'un nombre suffisant<br />
de cavaliers d'élite. Ils firent appel à des hommes de grande<br />
tente auxquels ils accordèrent certains avantages : exemptions<br />
d'impôts, indépendance à l'égard des caïds, considération parti<br />
culière. L'effectif varia suivant l'importance des tribus com<br />
mandées et l'influence personnelle des chefs de bureaux ara<br />
bes : certains eurent jusqu'à cinquante cavaliers à leur dispo-<br />
(1)<br />
la construction.<br />
Lapasset (9) 35. Il s'agit des villages indigènes dont Lapasset propose<br />
(2) Daumas (4) Chap. IV et p. 128-139.
— — 122<br />
sition sans compter les Makhzens existant autour des chefs<br />
indigènes et auxquels ils pouvaient faire appel. A peu près à<br />
la manière turque ressuscita ainsi le Makhzen à défaut duquel,<br />
selon Richard, il était impossible d'agir sur le pays et qui assura<br />
la prompte exécution des ordres, sans reculer même devant<br />
l'arbitraire (1).<br />
Les Chefs. (2).<br />
Le souci d'agir par l'intermédiaire d'une élite est bien le<br />
trait le plus saillant de la méthode d'action des officiers des<br />
Bureaux arabes.<br />
A vrai dire ceux-ci n'avaient pas dans les Chefs<br />
indigènes en général une grande confiance et tous auraient sous<br />
crit au jugement de Richard selon lequel les Chefs indigènes<br />
« sont obligés, dans leur position délicate, d'avoir, comme JanUs,<br />
deux faces opposées. Pour nous, qui les employons et qui payons<br />
leurs services au poids de l'or, ils ont la face du dévouement<br />
et de l'intelligence avancée qui comprend nos idées et veut nous<br />
aider à les appliquer; pour le peuple qu'ils administrent, ils<br />
ont celle de la pureté musulmane qui souffre à notre contact et<br />
ne supporte notre domination que comme une calamité passa<br />
gère à laquelle il faut se soumettre jusqu'à ce que Dieu l'ait fait<br />
disparaître » (3). Sous le masque des visages empressés il y<br />
a donc bien des faux dévouements, des serviteurs fatigués et<br />
usés dont la fidélité ne résisterait pas à l'apparition du Moulé<br />
(1) Pour éviter les exactions commises par les agents irréguliers du<br />
makhzen, on essaya de les remplacer progressivement par des spahis, mais<br />
l'évolution se fit lentement car des conflits constants éclataient entre les com<br />
mandante supérieurs et les officiers de spahis. M. G. 208 : Note du Ministère<br />
de la Guerre (1870).<br />
(2) Le mot chef n'implique pas forcément une autorité politique ou ad<br />
ministrative : il s'agit plus exactement des notables. Si nous nous en tenons<br />
au rôle administratif nous savons que les Turcs gouvernaient par l'intermédiaires<br />
de caïds et de cheikhs, les premiers ayant les seconds sous leurs or<br />
dres. Abd-el-Kader y ajouta toute une hiérarchie (aghas, bach-aghas, khalifas)<br />
que les Bureaux arabes conservèrent tout d'abord pour éviter de se<br />
trouver, comme au lendemain de la conquête, dans une situation anarchique.<br />
(3) Richard (18) 7-8 revient souvent sur cette idée du machiavélisme<br />
ues chefs dans (17), (20), (21). Hugonnet porte un jugement aussi sévère.
— — 123<br />
Saa . (1) Les Chefs religieux surtout paraissent suspects et, citant<br />
une fois de plus les Turcs en exemple, Lapasset propose de leur<br />
opposer l'aristocratie territoriale et militaire (2).<br />
Mais pourquoi ne pas se passer des uns et des autres en<br />
s'adressant sans intermédiaire à la masse ? Pourquoi, après les<br />
avoir utilisés pour la conquête, ne pas délaisser les Chefs indi<br />
gènes pour agir directement sur le peuple ? « C'est dans le pro<br />
grès social que nous pourrons faire faire à l'imparfaite société<br />
arabe, en développant peu à peu le principe de l'égalité chez<br />
ce peuple organisé féodalement, en cherchant avec tous les mé<br />
nagements possibles à séparer,<br />
en nous substituant insensible<br />
ment à ceux-ci, la cause des grands, de celle du peuple, que se<br />
trouve la sécurité et la stabilité de l'avenir », et Walsin-Ester<br />
hazy conseille de ne point laisser, en dehors de notre action<br />
immédiate, le peuple arabe commandé par ses Chefs, mais au<br />
contraire de rendre nos relations directes avec lui de plus en<br />
plus fréquentes (3).<br />
Cet avis ne fut pas suivi. Certains pensaient que l'aristo<br />
cratie était utile et nécessaire et qu'en décapitant la société<br />
arabe on favoriserait les insurrections (4). A la suite de Bu<br />
geaud, les officiers les plus marquants des Bureaux arabes con<br />
sidéraient que la masse opposerait la force d'inertie à toutes les<br />
nouveautés, se refusant à sacrifier ses habitudes séculaires<br />
même quand elles ont pour rançon la servitude. Tous les essais<br />
que l'on pourra tenter pour améliorer la condition matérielle<br />
des Indigènes échoueront sans le concours des Grands.On estime<br />
que « l'action de la civilisation se fera sentir plus aisément sui<br />
tes groupes constitués par l'intermédiaire de leurs chefs que sur<br />
qui-<br />
(1) Le Mouîé-Saa, c'est-à-dire le maître de l'heure, celui doit venir<br />
à l'heure indiquée par les prophètes pour délivrer les musulmans.<br />
(2) (121) 38.<br />
(3) Walsin-Esterhazy (30) 297. Il reconnaît cependant lui aussi qu'il est.<br />
difficile de se passer de l'influence des grandes familles p. 207. De même Ri<br />
chard qui envisage une substitution progressive des officiers français aux<br />
chefs indigènes, ceux-ci lui paraissant indispensables au début (21) xvi-xvn,<br />
(20) 41-52, (22) 11-14. Voir aussi Hugonnet (6) 188-189, 191.<br />
(4) C'est par exemple l'opinion de Bosquet, alors commandant, qui invo<br />
que aussi l'exemple des Turcs et attribue l'insurrection du Dahra à la dispa<br />
rition des chefs de grande famille (Lettre d'Orléansville du 5 mai 1847, p. 125-<br />
127, dans Bosquet, Lettres, Paris 1894, 400 p.).
— 124<br />
des individus isolés mis en contact immédiat avec les autorités<br />
et les institutions françaises ». Ce n'est pas l'administration<br />
directe, mais le régime du protectorat. D'un mot, Montgravier<br />
explique cette attitude : « C'est que dans ce pays l'aristocratie<br />
est tout et le peuple n'est rien ». (1).<br />
Donc, agir sur la masse par les Chefs. Mais comment tenir<br />
les Chefs ? Tâche délicate. L'argent a un rôle à jouer, mais non<br />
le seul. Bichard pense que le meilleur « moyen de les mater<br />
d'abord et de les conduire ensuite avec une certaine facilité, est<br />
de connaître leurs secrets les plus compromettants et de leur<br />
montrer, dans des entretiens confidentiels, qu'il n'y<br />
a rien de<br />
si simple que de les faire pendre. Les hautains deviennent alors<br />
d'une souplesse sans égale, et les rusés, se sentant pris, com<br />
prennent que le rôle d'<br />
anguille devient inutile » (2). L'appât<br />
des honneurs vaut sans doute mieux. Les chefs sont sensibles<br />
à la considération extérieure : aussi non seulement on évitera<br />
les manières brutales, mais on les flattera et, pour récompenser<br />
ceux qui dans le cercle de Téniet-el-Had développent leur éle<br />
vage, Margueritte conseille : « que dans le prochain Mobacher<br />
il leur soit fait quelques compliments; personne n'ignore com<br />
bien les Arabes sont sensibles aux témoignages de satisfaction<br />
venant de l'autorité supérieure et combien on peut obtenir d'eux<br />
en stimulant à propos leur amour-propre » (3).<br />
A ces Chefs soumis et respectueux quel rôle fera-t-on jouer<br />
pour engager la société indigène dans la voie des transforma<br />
tions désirées ? Ils devront donner l'exemple et l'impulsion. A<br />
eux incomberont les essais des cultures nouvelles et des procé<br />
dés agricoles nouveaux : les bons résultats qu'ils obtiendront<br />
décideront les autres Indigènes à les imiter. A eux aussi appar<br />
tiendra la tâche de harceler leurs administrés, de les pousser<br />
dans la voie du progrès.<br />
(1) Montgravier (1) 2e lettre 6. Rappelons-nous la circulaire de Bugeaud<br />
du 17 septembre 1844 sur les chefs indigènes et la nécessité de prendre en<br />
considération la naissance : « Eloigner du pouvoir les familles influentes,<br />
serait s'en faire des ennemis dangereux ; il vaut mieux<br />
les'<br />
avoir dans le camp<br />
qu'au dehors... » Daumas (4) 157 ou Ménerville (140) 65. Urbain (104) 46.<br />
(2) Richard (18) 37.<br />
(3) N 471, 1852, Téniet-el-Had, avril.
— 125 —<br />
Les résultats ont-ils répondu aux espérances ? Certes on<br />
peut citer plus d'une défaillance : ici c'est un caïd qui laisse<br />
dépérir la pépinière de l'Ouarsenis plantée par le Bureau arabe;<br />
ailleurs quelques chefs qui ne comprennent pas la nécessité de<br />
changer de charrue ; presque partout le manque d'initia<br />
tive (1). Mais, au total, même quand la bonne volonté n'y est<br />
pas, les Chefs répondent à ce que l'on attend d'eux, faisant un<br />
effort pour paraître progressistes, estimant que c'est là un<br />
sacrifice qu'ils doivent à leur position.<br />
Et on les voit installant des norias, créant des jardins, se<br />
procurant des plants à la pépinière d'Orléansville ou à celle de<br />
Blida, demandant des moniteurs pour la culture de la vigne et<br />
de la pomme de terre, constituant enfin de belles entreprises<br />
agricoles entourées de fossés de clôture.<br />
On pourrait multiplier les exemples de ces Chefs en qui les<br />
Bureaux arabes trouvèrent des collaborateurs dévoués : l'un,<br />
dans les Ouled-Farès,<br />
pour ses cultures maraîchères et ses arbres<br />
fruitiers, fait rechercher des sources perdues dans un grand<br />
marécage et crée un vaste bassin pour la réunion de leurs eaux;<br />
un autre, dans les Sbéah, se consacre aux orangers et à la vigne;<br />
l'agha des Zatima s'occupe sérieusement de la culture du coton;<br />
un caïd des Béni-Bou-Khannous plante en quelques années des<br />
milliers d'arbres... etc.. etc.. Deux aghas et huit caïds du cercle<br />
d'Orléansville demandent même, en 1862, à faire partie de la<br />
Société Impériale d'Agriculture d'Alger, preuve qu'ils recon<br />
naissent les avantages des méthodes agricoles françaises et<br />
qu'ils désirent suivre le progrès (2).<br />
Il est donc inexact de dire que les Chefs indigènes ont fait<br />
preuve d'<br />
« une bonne volonté graduée, depuis zéro jusqu'à un<br />
chiffre médiocrement élevé » (3). Ce qui est exact, c'est qu'ils<br />
furent peu suivis. Partout, il n'y a qu'une faible minorité qui<br />
répond à l'exemple donné. Alors que tous les Chefs indigènes<br />
du cercle de Cherchel acceptent, en 1859, d'opérer deux labours,<br />
(1) G. Orléansville 3" T. 1862, 4" T. 1856 et 2» T. 1867.<br />
(2) G. : entre autres, Orléansville i" T. 1861, 1" T. 1862, juin et septem<br />
bre 1862 ; Ténès 3» T. 1861.<br />
(3) Berbrugger (11) 436.
— — 126<br />
la plupart des cultivateurs refusent d'adopter cette nouvelle<br />
méthode agricole. C'est en vain que l'agha Si Kaddour El Gho-<br />
brini de Cherchel emploie les charrues françaises; ses adminis<br />
trés ne le suivent pas. Situation analogue dans le cercle de<br />
Ténès, où, en 1862, à l'exception des Chefs indigènes, il n'y a<br />
que quelques fellahs qui aient adopté nos instruments aratoi<br />
res (1). Incontestablement, et malgré les efforts des Chefs, la<br />
méthode d'action des Bureaux arabes n'a donné que des résul<br />
tats très partiels. Nous rechercherons plus loin les causes de<br />
cet échec.<br />
(1) G : entre autres, Téniet-el-Had 2' T. 1863 ; Ténès 4* T. 1862 ; Cher<br />
chel 4" T. 1865...<br />
Il faut ajouter que le nombre des chefs (du moins des chefs adminis<br />
tratifs) était réduit : en 1870, pour l'Algérie entière, on comptait : 9 khalifats,<br />
8 bach-aghas, 34 aghas et 656 caïds, soit au total 706 fonctionnaires indi<br />
gènes. Leblanc de Prébois (78) 29.
— D<br />
—<br />
LE PERSONNEL<br />
Napoléon III pensait que les Bureaux arabes devaient leur<br />
réputation à la valeur de leur personnel (1). Ce service, parti<br />
culièrement difficile, nécessitait des officiers non seulement une<br />
instruction élevée, mais aussi une énergie sans défaillance, une<br />
intelligence souple, une bienveillante compréhension du monde<br />
indigène. Et il est vraiment remarquable que, dans les premières<br />
années surtout, cette institution ait compté tant d'hommes de<br />
grand mérite.<br />
Dans la région qui nous intéresse, il serait facile<br />
d'évoquer la figure d'un Moullé, ce Parisien devenu un vétéran<br />
des affaires indigènes et qui dirigea pendant plus de douze ans<br />
le bureau arabe de Cherchel, ne le quittant que pour mourir;<br />
celle d'un Capifali, Corse plein de cœur et d'esprit, animé d'un<br />
véritable feu sacré et pour lequel ses supérieurs, dans leurs<br />
rapports, semblent avoir épuisé la gamme des adjectifs élogieux,<br />
lui reprochant seulement de trop se passionner pour son travail;<br />
ou encore celle de Salignac-Fénelon, polytechnicien, chef du<br />
bureau arabe de Miliana pendant six ans, puis directeur divi<br />
sionnaire à Blida, chef du Bureau politique et terminant sa car<br />
rière comme général de corps d'armée ; et combien d'autres<br />
dont le nom mériterait plus qu'une simple mention ! (2). Mais<br />
trois hommes éclipsent tous les autres et feront seuls l'objet<br />
d'une particulière attention : Margueritte, Lapasset et Richard.<br />
(1) (84) 72.<br />
(2) G. 21 H cartons n"<br />
303, 260, 332.
I. —<br />
•128<br />
LE LIEUTENANT MARGUERITTE (1)<br />
Le futur général Margueritte eut, on le sait, des débuts<br />
particulièrement difficiles. Originaire de la Meuse, il vient en<br />
1831 en Algérie avec son père qui, comme gendarme, sert sur<br />
tout à Kouba. Il reçoit, sur lé bureau paternel, les premiers<br />
rudiments de français et de calcul, mais il ne fréquente aucune<br />
école et ce n'est pas une des choses les moins extraordinaires<br />
de sa carrière que de le voir, par ses propres moyens, acquérir<br />
une instruction supérieure qui fera de lui l'égal de ses collègues<br />
sortant des grandes écoles.<br />
Jeunesse libre et agitée. Dès l'âge de huit ans, il fréquente<br />
couramment les petits Arabes et il arrive à parler leur langue<br />
aussi bien qu'eux-mêmes; plus tard, il approfondira ses con<br />
naissances au point de laisser des notes sur la poésie arabe.<br />
Pour l'heure, il joue souvent le rôle d'interprète à une époque<br />
où les Français parlant arabe sont rares. Son caractère se forme<br />
et ses qualités physiques s'affirment. Menant une vie tourmen<br />
tée, il devient rapidement un cavalier intrépide et un tireur<br />
incomparable.<br />
A quinze ans, il s'engage aux gendarmes maures en qualité<br />
d'interprète. Il tient garnison à Kouba et à Boufarik, prend part<br />
à plusieurs engagements dans la Mitidja et à une expédition sur<br />
Cherchel. A dix-sept ans, il est nommé brigadier et obtient sa<br />
première citation. Il continue à se distinguer dans le ravitaille<br />
ment de Médéa et de Miliana et, à dix-huit ans, devenu sous-<br />
lieutenant, on lui confie le commandement de la ligne de l'Har-<br />
rach et de la Maison-Carrée pendant l'hiver 1840-1841. L'année<br />
suivante, il fait partie de la colonne que Bugeaud mène contre<br />
les Béni-Ménasser, puis il suit Changarnier dans l'expédition<br />
fameuse qui aboutit à la jonction, dans la plaine du Chélif, des<br />
troupes de la province d'Alger et de celles de la province d'Oran.<br />
A ce moment, Margueritte compte déjà quatre citations.<br />
(1) Philibert (15) 5 à 101 est la source principale.
— — 129<br />
Brusquement sa carrière est brisée. En 1842, les gendarmes<br />
maures sont licenciés et remplacés par les régiments de spahis.<br />
Les officiers des gendarmes versés aux spahis ne pouvaient<br />
servir qu'à titre indigène et se voyaient condamnés à ne pas<br />
dépasser le grade de lieutenant. Margueritte préfère recommen<br />
cer une carrière et il s'engage comme simple soldat aux chas<br />
seurs d'Afrique à Toulon. Revenu en Algérie, nous le retrouvons<br />
aux spahis avec les galons de brigadier, puis de maréchal des<br />
logis. Malgré son grade modeste, en septembre 1842, on lui<br />
confie la direction des affaires arabes de la place de Miliana<br />
dont Saint-Arnaud vient de prendre le commandement comme<br />
lieutenant-colonel.<br />
Margueritte continue à mener la vie de soldat : il organise<br />
les convois de la grande expédition de 1842 dans l'Ouarsenis;<br />
à la tête du goum, il participe à des expéditions contre les Béni-<br />
Menasser et les Béni-Ferah, prend part à de nombreux combats<br />
à la suite de Saint-Arnaud, Changarnier et Bugeaud. Cependant<br />
il n'oublie pas qu'il se doit à l'administration des Indigènes.<br />
S'étant lié d'amitié avec un jeune maure, Si Sliman ben Siam,<br />
le futur agha de Miliana, il apprend à lire et à écrire l'arabe,<br />
s'intéresse à la société indigène et à l'Islam, amasse une quantité<br />
prodigieuse de documents sur les Khouans et les çoffs et, con<br />
naissant ainsi les moyens d'agir sur les tribus, il exerce une<br />
action si profonde que, lorsqu'il doit quitter le cercle, les Indi<br />
gène font une démarche auprès de Bugeaud pour lui demander<br />
de le conserver à la tête des affaires arabes de Miliana. Mais les<br />
Bureaux arabes s'organisent : un simple maréchal des logis ne<br />
peut commander à Miliana où l'on nomme le capitaine Salignac-<br />
Fénelon. Margueritte, en 1844, se voit ainsi attribuer le bureau<br />
arabe de Téniet-el-Had. Peu de mois après, il sera sous-lieu<br />
tenant.<br />
C'est à Téniet-el-Had qu'il donne sa mesure comme chef<br />
de bureau arabe. Il forme, avec les Béni-Méharez notamment,<br />
un makhzen de cavaliers dévoués avec lequel il parcourt les<br />
tribus, vivant comme les Arabes, s'informant de tout et faisant<br />
régner la sécurité. Les chefs indigènes s'attachent à sa personne,<br />
le suivent partout, lui constituant une véritable « maison » pour<br />
reprendre l'expression du général Philebert (1). L'insurrection<br />
(1) Philebert (15) 60.
— — 130<br />
de Bou-Maza donne à nouveau à Margueritte l'occasion de met<br />
tre en valeur ses qualités de soldat. Il réprime un commence<br />
ment de révolte dans le cercle de Téniet-el-Had, livre plusieurs<br />
combats, reçoit une blessure à la main droite et,<br />
en 1847, avec<br />
quelques cavaliers, il attaque Bou-Maza lui-même, lui inflige<br />
des pertes, est sur le point de le prendre. A cette époque, il est<br />
déjà lieutenant. Nommé capitaine en 1851, il prend le comman<br />
dement du cercle de Téniet-el-Had où il poursuit, jusqu'en 1855,<br />
l'œuvre entreprise comme chef de bureau arabe.<br />
Cette œuvre est considérable. Il a pratiquement créé Téniet-<br />
el-Had. Le poste avait été fondé, sur l'ordre de Bugeaud, comme<br />
passage important entre le Tell et le Sud, à proximité de nom<br />
breuses vallées ouvrant des voies vers le Chélif (O. Deurdeur,<br />
O. Massin, O. Zeddine) ou vers le Nahr-Ouassel (O. Mrila, O. El<br />
Ghoul, O. Issa). Changarnier"<br />
y avait établi un camp permanent<br />
en 1843 et quelques marchands, quelques ouvriers,<br />
comme tou<br />
jours en pareil cas, étaient venus s'installer autour des militai<br />
res. Quand Margueritte y arriva le village n'existait que sous<br />
la forme de quelques baraques. Le chef de bureau arabe va en<br />
achever l'installation en utilisant indigènes,<br />
soldats et colons.<br />
Il s'occupe de tout. Par des arrangements, il obtient des<br />
tribus les terres indispensables aux premiers colons. Il entre<br />
prend la fabrication de chaux, de plâtre, de briques, et, maniant<br />
lui-même la scie ou la hache, il transforme Téniet-el-Had en un<br />
vaste chantier dont il est le chef. Des bains sont construits. Dans<br />
toutes les tribus importantes on élève des maisons de comman<br />
dement. Les labours,<br />
abandonnés pendant les années de guerre,<br />
reprennent de l'extension. Les marchés se peuplent et les tran<br />
sactions se multiplient. Des routes s'ouvrent de Téniet-el-Had<br />
à Miliana et de Toukria (1) à Téniet-el-Had; celle de Téniet à<br />
Boghar est tracée. Surtout Margueritte comprend toute l'impor<br />
tance de l'eau : il multiplie les fontaines et construit des bar<br />
rages.<br />
L'un de ces derniers, établi sur le Nahr-Ouassel, fut un<br />
ouvrage remarquable. Dans la plaine qui s'étend en aval du<br />
confluent du Nahr-Ouassel et de l'Oued Mrila, les Indigènes<br />
(1) Le point d'eau d'Ain-Toukria est devenu le centre de Bourbakl.
— — 131<br />
pendant longtemps, avaient sauvegardé leurs récoltes par la<br />
pratique desi irrigations. Mais le Nahr-Ouassel ayant peu à peu<br />
profondément creusé son lit, les moyens dont disposaient les<br />
Doui-Hasseni étaient devenus insuffisants pour leur permettre<br />
d'édifier un barrage. Ils s'adressèrent à Margueritte, offrant<br />
15.000 francs et 60 animaux de transport pour ce travail. Le<br />
chef du bureau arabe comprit l'intérêt de l'œuvre à entrepren<br />
dre : nos communications avec le Sud possibles en toutes saisons<br />
grâce au rôle de pont que jouerait le barrage; les migrations<br />
des troupeaux du Tell dans te Sersou assurées pendant l'hiver;<br />
plus de bien-être pour le pays et par conséquent la tranquillité<br />
assurée (1).<br />
Margueritte mit en action de nombreuses tribus divisées en<br />
deux groupes, l'un au nord, l'autre au sud. Aux tribus du nord<br />
incombait le travail le plus pénible : le transport des arbres de<br />
la forêt de Téniet-el-Had qui se trouvait à 12 ou 15 lieues de là.<br />
Le gros œuvre devait, en effet, être formé par cinq rangées de<br />
pieux de 10 mètres de long sur 0 m. 25 à 0 m. 30 de diamètre,<br />
plantés à 0 m. 50 de distance les uns des autres avec un inter<br />
valle de quatre mètres entre chaque rangée; soit, au total, une<br />
largeur de 16 mètres ce qui, en réalité, avec l'épaisseur des talus<br />
placés en avant de la première rangée et en arrière de la der<br />
nière, faisait environ 24 mètres; il fallait 320 arbres par rangée,<br />
soit 1.600 au total,sans compter ceux de moindre importance que<br />
nécessitait la construction, de chaque côté, d'une digue d'un<br />
kilomètre de long. Pas de voitures et pas de routes. Les arbres<br />
devaient être transportés à travers champs et bien des mulets<br />
succombèrent à la tâche.<br />
Pour relier les arbres entre eux et accroître leur force de<br />
résistance, on confectionna des clayonnages avec les branchages<br />
longs et flexibles des tamaris et des lauriers-roses qui couvraient<br />
la vallée du Nahr-Ouassel. Les tribus du Sud fabriquèrent plus<br />
de cinquante mille saucissons en corde d'alfa qui furent éten<br />
dus le long des clayonnages. Il fallait ensuite verser dessus du<br />
sable très fin qui, pénétrant entre les fibres de l'alfa, formerait<br />
avec l'eau un bloc dense et homogène.<br />
(1) N 465, 1848, Téniet-el-Had, 2» q. octobre.
— 132 —<br />
Margueritte vint alors s'installer avec sa tente au milieu<br />
des milliers de travailleurs et on assista à un spectacle étrange,<br />
mais qui ne manquait pas de grandeur : « Chaque chef de tribu,<br />
portant son drapeau et suivi de ses musiciens et de ses chan<br />
teurs, conduisait ses travailleurs et les excitait; on apportait<br />
les saucissons et chaque indigène, à défaut de brouettes ou d'au<br />
tres instruments, allait remplir son djenah (pan de burnous) du<br />
sable de la dune. Puis tous, groupés par tribu et accompagnant<br />
de leurs chants la musique sauvage de leur chef, revenaient au<br />
barrage, grimpaient sur les saucissons et y déversaient le sable<br />
en damant le terrain avec leurs pieds » (1).<br />
Et ainsi, avec un remblai de 30.000 mètres cubes, fut édifié<br />
un barrage de 160 mètres de long, 24 de large et 8 de haut. Il<br />
assura un moment la fertilité de la région, mais ne fut malheu<br />
reusement pas entretenu par les successeurs de Margueritte.<br />
C'est peut-être à un travail de ce genre que pensait Mar<br />
gueritte lorsqu'il écrivait à sa femme : « Je crois que ma véri<br />
table vocation n'est pas d'être sodat. Je n'aime pas la guerre,<br />
j'en ressens l'entraînement quand je suis soumis à son action,<br />
mais de sang-froid j'en ai horreur : bâtir, planter, faire des<br />
travaux d'utilité, voilà ce qui me convient et c'est à cela que j'ai<br />
trouvé satisfaction dans ma carrière ». Son fils aurait voulu<br />
que ces lignes fussent gravées sur le piédestal de la statue élevée<br />
à Kouba (2).<br />
II. —<br />
LE CAPITAINE LAPASSET<br />
Comme Margueritte, Lapasset était appelé à une brillante<br />
carrière, mais celle-ci se poursuivit plus normalement. Né en<br />
1817 dans l'île de Ré, à Saint-Martin, où son père était capitaine,<br />
(1) Philebert (15) 93.<br />
(2) V. Margueritte (81) 5 et 218-231. Par la suite Margueritte confirma<br />
ses qualités d'administrateur dans le cercle de Laghouat où il demeura jus<br />
qu'en 1860. Puis il participa à l'expédition du Mexique, revint en Afrique pour<br />
lutter contre l'insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh et fut tué à Sedan en 1870,<br />
à 47 ans, alors qu'il était le plus jeune général de division de l'armée fran<br />
çaise.
—133 —<br />
il fait de bonnes études et devient sous-lieutenant après son<br />
passage à Saint-Cyr.En 1840,il débarque en Algérie avec le grade<br />
de lieutenant et participe activement aux opérations de la con<br />
quête : on le trouve au combat du col de Mouzaïa de 1841, dans<br />
les expéditions de ravitaillement de Miliana, dans la campagne<br />
du Gontas et celle de la plaine du Chélif, plus tard, en Oranie,<br />
luttant contre Abd-el-'Kader; en 1844,<br />
sous le commandement<br />
de Bugeaud, il combat les Flitta et le gouverneur général le cite<br />
l'un des premiers dans son rapport.<br />
Entre temps, il a appris à fond la langue arabe et lorsque,<br />
en 1845, le capitaine Béatrix est massacré par les révoltés du<br />
Dahra, on songe à Lapasset pour le remplacer comme chef du<br />
Bureau arabe dé Ténès. Il arrive et se trouve immédiatement<br />
au cœur de l'insurrection. Commandant les goums dans les<br />
colonnes Ladmirault, Saint-Arnaud et Canrobert, il joue un<br />
rôle de premier plan. En janvier 1846, à Tadjena, dans une<br />
reconnaissance qu'il dirigeait avec 120 hommes, il se heurte<br />
à 25 cavaliers et près de 700 Kabyles à pied,<br />
commandés par<br />
Bou-Maza en personne; il soutient le choc et inflige à l'ennemi<br />
de grosses pertes. Un mois plus tard, près de Mazouna, dans<br />
une charge à la tête de ses mekhazenis, il tue de sa main trois<br />
ennemis et reçoit un coup de fusil à la main droite. Il est noté<br />
comme un officier d'élite, infatigable au travail, ne reculant<br />
devant aucune difficulté, apte à toutes les besognes (1).<br />
Le rapport d'inspection signale en particulier que Lapasset<br />
a mis son cercle à la tête du progrès. C'est qu'il avait plus que<br />
tout autre le sens des réalités. Il pensait, ainsi que nous l'avons<br />
déjà vu,<br />
qu'il fallait opérer graduellement les transformations<br />
projetées : vouloir aller trop vite, « ce serait donner de la viande<br />
et de la dinde truffée à un enfant encore à la mamelle. Le<br />
temps est un élément indispensable à toute chose. Modérons<br />
donc notre impatience ou sinon nous ferons des sottises ». (2).<br />
Mais n'allons pas croire qu'il fut un timoré,<br />
(1) G. 21 H carton 298.<br />
(2) (121) 151.<br />
aux conceptions
— — 134<br />
étriquées : le seul reproche que lui adressaient ses chefs, c'était<br />
d'avoir trop d'imagination. Et, en effet,<br />
s'intéressant à tout,<br />
il avait une solution pour chaque problème, écrivant des mémoi<br />
res sur la colonisation indigène et la colonisation européenne,<br />
proposant une réorganisation des Bureaux arabes, dressant un<br />
projet d'établissement de silos de prévoyance, envoyant au gou<br />
verneur général une étude sur « l'emploi des indigènes comme<br />
domestiques, bergers, métayers chez les Européens », travail<br />
si intéressant que le Ministre de la guerre le réclama.<br />
Surtout Lapasset aime passionnément les choses de la terre.<br />
Il lui arrive même de regretter de ne point vivre en bon paysan<br />
propriétaire et il avoue que si son fils pouvait devenir un petit<br />
Dombasle ou un Gasparin en miniature, il en serait fort satis<br />
fait. Jamais il n'est aussi heureux que lorsqu'il se trouve dans<br />
sa propriété de Montauriol, dans l'Aude, au milieu de ses plan<br />
tations:* J'aime tant les arbres ! écrit-il, je connais presque tous<br />
les miens, quoi qu'ils soient nombreux. Je les ai tous plantés.<br />
Je sais leurs défauts et leurs qualités; je m'arrête cinq minutes<br />
devant chacun d'eux, je passe, je repasse; je calcule ce qu'ils<br />
ont grandi depuis ma dernière visite, ce qu'ils grandiront jus<br />
qu'à la prochaine, ce qu'ils pourront me donner d'ombre lors<br />
de ma retraite... » C'est la veine de Bugeaud et Lapasset méritait<br />
bien le surnom de Tityre que lui donnèrent dès l'enfance ses<br />
camarades et qui lui resta par la suite auprès de ses condisciples<br />
ou de ses supérieurs le taquinant sur ses goûts agricoles ou pas<br />
toraux. On conçoit qu'avec de telles dispositions Lapasset se<br />
soit livré corps et âme à l'œuvre de transformation agricole<br />
entreprise par les Bureaux arabes (1).<br />
Pour être demeuré de goûts paysans, Lapasset n'en est pas<br />
moins de son temps et plus même qu'il ne le croit. Il se défend<br />
énergiquement d'être socialiste car, selon lui, les socialistes qui<br />
poursuivent la chimère de l'égalité parfaite n'obtiendront que<br />
l'égalité de la misère. Cependant, il est incontestable qu'il a subi<br />
l'influence des idées de l'époque et plus particulièrement celles<br />
de Fourier. L'association n'a peut-être pas trouvé en Algérie un<br />
(1) (121) 233, 303, 304, 348, 357,
— 135 —<br />
défenseur aussi ardent. Lapasset approuve une pétition parue<br />
dans YAkhbar, signée par des ouvriers favorables au travail<br />
en commun et demandant qu'on utilise leurs bras. Par l'asso<br />
ciation il pense résoudre non seulement le problème de la colo<br />
nisation arabe, comme nous le verrons plus loin, mais aussi<br />
celui de la colonisation européenne. Voici comment il conçoit<br />
l'établissement d'un village après l'arrivée des premiers colons :<br />
« Aussitôt les charpentiers, les maçons, les manœuvres se<br />
mettent à l'œuvre, construisent d'abord avec les ressources du<br />
pays, non des maisons à l'européenne, mais des abris en pisé,<br />
sauf à remplacer plus tard ces simples abris par des habitations<br />
plus commodes. Les cultivateurs vont aux champs. Sur les fonds<br />
de la masse on a acheté des bœufs de labour, quelques trou<br />
peaux, des voitures, des outils, des grains de semences. Les jar<br />
diniers s'occupent des légumes; les femmes sont employées en<br />
partie aux légers travaux de la campagne,<br />
en partie aux tra<br />
vaux de couture de l'association. Une petite salle d'asile pour les<br />
enfants en bas âge dispensera les mères de famille des soins<br />
constants à leur donner. Quant aux enfants d'un certain âge,<br />
ils pourront être utilisés,<br />
soit pour les travaux de culture, soit<br />
comme manœuvres, soit comme bergers. Il y aura, dans le prin<br />
cipe une écurie commune, une étable commune. Une infirmerie<br />
sera établie pour soigner les malades dont le traitement ne<br />
nécessiterait pas l'entrée à l'hôpital le plus voisin » (1).<br />
C'est seulement par la suite que sera constituée la pro<br />
priété particulière et ceux qui le désireront pourront d'ailleurs<br />
continuer à pratiquer l'association.<br />
Ces idées, Lapasset s'efforcera de les mettre en pratique<br />
lors de la création du village de Montenotte (au sud de Ténès)<br />
et, dès 1849, il assura le succès de cette colonie agricole. Aussi<br />
fut-il reçu triomphalement, en 1851,<br />
par les colons alors qu'il<br />
traversait le village pour mener campagne contre les Achacha.<br />
(1) Lapasset (9) 69 à 72. Un peu plus loin p. 77-78, il fait un tableau idyl<br />
lique du nouveau village au travail, ajoutant que sa description est confor<br />
me à la vie de la Smala de Ténès que nous étudierons plus loin.
— 136 —<br />
A cette époque, Lapasset était chef du Bureau arabe d'Orléans-<br />
ville où il avait succédé à un homme éminent : le capitaine<br />
Bichard (1).<br />
III. —<br />
LE CAPITAINE RICHARD<br />
C'est sans doute la personnalité la plus attachante et à coup<br />
sûr la plus originale. Méridional, né à Toulon en 1815, il entre<br />
à Polytechnique au lendemain de la Révolution dans laquelle<br />
l'Ecole avait joué son rôle (2) et à l'époque où la jeunesse<br />
étudiante s'enflammait pour les idées de Saint-Simon et de<br />
Fourier. Il prend part à cette exaltation et toute la vie, chez cet<br />
(1) Lapasset poursuivit en Algérie une brillante carrière comme direc<br />
teur des affaires arabes à Oran, commandant de la subdivision de Bel-Abbès<br />
puis de celle de Mostaganem. Par l'intermédiaire du général Fleury, confi<br />
dent de l'Empereur, il exerça une action considérable sur la politique algé<br />
rienne de Napoléon III. Il contribua notamment à renverser le Ministère de<br />
l'Algérie et des Colonies (121) L 365 ; puis fut un des artisans de la politique<br />
du Royaume Arabe. L'examen des textes ne laisse aucun doute à ce sujet.<br />
A côté du rôle prépondéiant d'Urbain dans la rédaction de la fameuse<br />
lettre du 6 février 1863 à Pélissier, on pourrait relever celui de Lapasset. Et<br />
dans la lettre du 20 juin 1865, adressée à Mac-Mahon, et relative à la politique<br />
de la France en Algérie, M. Emerit (61) a raison de soupçonner l'intervention<br />
de Lapasset. En voici la preuve : Au cours de son voyage en Algérie, l'Empe<br />
reur s'était longuement entretenu avec Lapasset à Mostaganem. De retour à<br />
Paris, il fit mander à Lapasset, par l'intermédiaire de Fleury, de lui consi<br />
gner par écrit les idées développées lors de la conversation de Mostaganem<br />
Un passage de la lettre de Lapasset datée du 6 juin 1865 disait :<br />
« Ne point considérer les bureaux arabes comme une institution ad<br />
ministrative ayant une action et une autorité qui leur soient propres. Les<br />
officiers qui les composent doivent tout à fait rentrer dans le commande<br />
ment, mais il faut que ce commandement, au lieu de recevoir l'impulsion soit,<br />
par son expérience, capable de l'imprimer. De cette manière les officiers des<br />
bureaux arabes ne seront que des officiers d'Etat-major du commandement<br />
pour les affaires arabes ».<br />
Que l'on rapproche ce texte de celui de la lettre de Napoléon III que<br />
nous citons p. 75 et l'on conviendra avec Fleury (lettre du 23 juin 1865) que<br />
l'Empereur avait tenu grand compte des idées de Lapasset. Napoléon III en<br />
voya d'ailleurs sa brochure au commandant de la subdivision de Mostaganem.<br />
pour lui demander son avis. (On trouvera les textes dans l'ouvrage cité sur<br />
Lapasset volume II p. 86-89 et 438-444).<br />
(2) G. 21 H : Le rapport d'inspection de 1848 mentionne que le cap. Ri<br />
chard est entré « au service » en 1832.
— 137 —<br />
homme qui fut un soldat énergique,<br />
on retrouvera les idées<br />
utopistes de ceux qui devinrent les « hommes de 48 » (1).<br />
Lieutenant en 1838, il part pour l'Afrique en 1840 Chargé<br />
des affaires arabes à Bougie, il y reste moins d'un an, mais<br />
affirme ses qualités militaires, et, en 1842, il a un cheval tué<br />
sous lui. Dès la fondation d'Orléansville, il prend la direction<br />
des affaires arabes de la région et jusqu'à son départ, en décem<br />
bre 1850, il joue un rôle de premier plan. Du Barail, qui le vil<br />
en 1849, nous en a laissé un rapide portrait. « Le chef du bureau<br />
arabe, figure très originale, était le capitaine Bichard, du génie,<br />
officier de la Légion d'Honneur, distinction assez rare dans son<br />
grade. C'était ce qu'on appelle un joli homme, avec de longs<br />
cheveux blonds, bouclés, rejetés en arrière, des traits fins, un<br />
œil bleu et rêveur, des manières exquises,<br />
une parole facile et<br />
entraînante, d'une douceur pénétrante. Il avait une très vive et<br />
très haute intelligence, mais une imagination qui nuisait parfois<br />
à son jugement. Toujours maître de lui dans les discussions, il<br />
développait ses idées avec une ténacité rare et, malheureuse<br />
ment, ces idées étaient celles de Saint-Simon, de Fourier, de<br />
Considérant » (2).<br />
Richard se fait remarquer à la fois comme soldat et comme<br />
administrateur. Comme soldat, il commande à plusieurs repri<br />
ses des opérations isolées avec des troupes régulières ou irré<br />
gulières. Bras droit de Saint-Arnaud dans la lutte contre l'in<br />
surrection du Dahra en 1845, il est blessé à deux reprises : une<br />
première fois à la tête et une deuxième fois au talon alors qu'il<br />
attaquait la smala de Bou-Maza (3). Administrateur, il était<br />
classé par tous ses chefs comme un homme supérieur, s'impo-<br />
sant par sa parfaite connaissance de l'arabe, son habileté à<br />
l'égard des Indigènes dont il avait conquis les sympathies, son<br />
(1) En pleine insurrection du Dahra par exemple, il exprimera son es<br />
poir < que le chemin de fer qui représentée le génie de l'industrie tuera, en<br />
fin, parmi nous, le canon qui représente le génie de la guerre » (17) 167.<br />
(2) Du Barail (174) I, 353.<br />
(3) Dans une lettre à son frère du 24 avril 1847 Saint-Arnaud présente<br />
Richard comme « un homme de mérite, doux comme un mouton, brave com<br />
me un lion, parlant l'arabe comme le français, mais neuf et connaissant peu<br />
le monde » (181) 2* vol. 146.
indéniable talent d'écrivain (1),<br />
— — 138<br />
sa bienveillance extrême pour<br />
ses inférieurs qu'il maintenait cependant dans l'accomplisse<br />
ment de leurs devoirs. Martimprey (2), très hostile aux théories<br />
sociales de son subordonné et dont le caractère pondéré et méti<br />
culeux ne pouvait s'accorder avec celui plein d'enthousiasme<br />
de Richard, reconnaît cependant à son chef de bureau arabe des<br />
aptitudes exceptionnelles (3). Bugeaud l'avait distingué. Le gou<br />
verneur général Charon intervint à plusieurs reprises pour que<br />
fût récompensé un homme qui avait rendu des services remar<br />
quables. Dès 1846, Richard était officier de la Légion d'honneur<br />
avec, fait curieux, te soutien du Ministre de l'Instruction publi<br />
que (4). Mais malgré des mérites éclatants, cet officier d'avenir<br />
qu'il fallait pousser (suivant les propres ternies de son rapport<br />
d'inspection de 1848), cet homme, que l'on jugeait capable de<br />
diriger les affaires arabes d'une division (d'après le rapport de<br />
1849), terminera sa carrière comme commandant aux îles d'Hyè-<br />
res, victime, semble-t-il, de l'animosité de l'Armée contre les<br />
Bureaux arabes.<br />
Du point de vue qui nous intéresse plus spécialement,<br />
Richard apparaît comme le type de l'officier qui se passionna<br />
pour son œuvre, voyant dans le Bureau arabe « le représen<br />
tant du principe civilisateur dans toute sa pureté et toute son<br />
énergie » (5).<br />
Il réussit à établir des relations amicales avec les Indigènes<br />
et les amena à fréquenter en nombre considérable les marchés<br />
d'Orléansville et de Ténès (6).<br />
Surtout il voulut fixer les Arabes au sol et il fut un grand<br />
bâtisseur de villages. A cause de son rôle pendant l'insurrection<br />
de 1845, de sa compétence en matière indigène, de son caractère<br />
à la fois ferme et bienveillant, il avait acquis une grande influence<br />
(1) Voir la nomenclature de ses œuvres dans la bibliographie.<br />
(2) Alors colonel, il commandait la subdivision d'Orléansville.<br />
(3) G. 21 H : Rapport d'inspection de 1850. Fleury dans ses souvenirs, dé<br />
clare Richard « officier de grand mérite » (176) I, 42.<br />
(4) G. 21 H : Rapports d'inspection de 1849 et de 1850 et la lettre du 27-<br />
11-1846 du Ministre de la guerre au Ministre de l'Instruction publique.<br />
(5) (17) 184.<br />
(6) Pontier, Souvenirs de l'Algérie, 78 p., Valenciennes, 1850, p. 6.
— — 139<br />
sur les chefs des tribus voisines. Il en profita et détermina les<br />
Indigènes à abandonner la tente pour la maison. On lui a repro<br />
ché d'avoir appliqué aux Arabes les théories phalanstériennes<br />
et Du Barail, qui relate les faits, écrit, sans aucune sympathie<br />
pour la tentative du chef de bureau arabe d'Orléansville :<br />
« Pour ménager les transitions, le capitaine Richard avait<br />
fait construire des villages, des phalanstères,<br />
sur le modèle du<br />
campement arabe, c'est-à-dire une grande place centrale et,<br />
tout autour, des constructions n'ayant qu'un rez-de-chaussée, et<br />
toutes reliées les unes aux autres comme des alvéoles de ruche.<br />
Avec toute sa grande intelligence, il était enchanté d'avoir<br />
découvert la « tente en pierre ». L'emplacement de ces villages<br />
était bien choisi sur le versant d'une colline, près d'une source,<br />
sous de très beaux arbres. De loin cela ressemblait à un décor<br />
d'opéra-comique. Mais quand on y mettait le pied, il ne fallait<br />
pas deux minutes pour se convaincre que les fameuses tentes<br />
en pierre étaient aussi parfaitement inhabitables pour des Ara<br />
bes que pour des Européens » (1).<br />
Et Du Barail souligne l'échec avec complaisance. Selon lui,<br />
Richard se heurta aux exactions des chefs indigènes, louant<br />
ostensiblement l'initiative du bureau arabe, mais présentant<br />
ensuite à leurs administrés les nouvelles bâtisses comme des<br />
prisons,<br />
se faisant verser des indemnitée par ceux qui ne vou<br />
laient pas y être envoyés et peuplant finalement les maisons<br />
avec les plus miséreux, c'est-à-dire, pouvons-nous ajouter, avec<br />
les moins susceptibles d'en profiter. Surtout Richard eut contre<br />
lui le colonel de Martim'prey<br />
taires » de son subordonné.<br />
furieux des « fantaisies humani<br />
D'un esprit extraordinairement fertile, Richard avait tou<br />
jours un projet à soumettre à ses chefs ou à l'opinion publique.<br />
Pour arriver à la fusion des deux peuples,<br />
nous avons vu qu'il<br />
approuvait les mariages mixtes et la polygamie, se faisant par<br />
ailleurs le défenseur de la femme indigène dont la reconnais<br />
sance nous amènerait la sympathie de la moitié d'un peuple (2).<br />
Pour amener les Arabes à désirer l'extension de notre occupa-<br />
(1) Du Barail (174) I, 354-355.<br />
(2) N 465, 1848, 2« q. janvier.
— — 140<br />
tion, il suffit de reconstituer les anciens makhzens et d'accorder<br />
la condition de makhzen à toute tribu au milileu de laquelle<br />
s'élèverait un établissement français (1).<br />
Si l'on veut se rendre maître de l'esprit fanatique des Ara<br />
bes, il serait bon d'avoir des prophètes à gages qui nous accor<br />
deraient un règne d'une centaine d'années : cela suffirait. « Il<br />
nous faudrait aussi avoir des inspirés à tant le mois, et les faire<br />
parler suivant les circonstances, mais toujours en notre faveur.<br />
Un livre que nous écririons à Alger et que nous ferions ensuite<br />
trouver par un pèlerin sous une pierre du tombeau du prophète,<br />
pourrait nous aplanir bien des difficultés s'il était conçu d'une<br />
manière intelligente. Il n'y a rien de facile comme de faire<br />
croire du merveilleux à un Arabe. On dira peut-être que c'est un<br />
petit moyen; c'est vrai, mais c'est avec de petits moyens qu'on<br />
mène les enfants et les peuples enfants » (2).<br />
Pour assurer notre domination pendant les périodes de<br />
paix, renonçons aux grosses colonnes mobiles, mais multiplions<br />
les petites «colonnes apostoliques» don^t la force reposerait moins<br />
sur les combattants que sur certains « éléments éminemment<br />
civilisateurs et pacifiques » : un service médical; un cadi pour<br />
juger en appel;<br />
une escouade de soldats du génie pour effectuer<br />
certains petits travaux et apprendre aux indigènes l'usage de<br />
nos outils ; un petit groupe de colons effectuant d'honnêtes<br />
transactions commerciales ; et ces colonnes, accueillies avec<br />
reconnaissance, deviendraient « les artères voyageuses de notre<br />
civilisation et en sèmeraient partout les germes féconds : leur<br />
bienfait serait immense » (3).<br />
Il faut, de toute nécessité, attirer des colons car : « le pays<br />
ne sera réellement à nous que quand nous serons partout. La<br />
population arabe ne cessera de lutter contre notre domination<br />
que quand elle sera enserrée de tous côtés dans la nôtre et<br />
qu'elle ne pourra faire un mouvement sans nous toucher les<br />
coudes ». D'autre part, et nous retrouvons l'idéaliste, l'Afrique<br />
doit être un « débouché offert aux misères qui encombrent la<br />
(1) (17) 187.<br />
(2) (17) 192-193.<br />
(3) (22) 25-27.
— — 141<br />
métropole. Le pauvre laborieux qui cherche en vain dans son<br />
pays une occupation pour ses bras doit trouver ici une terre<br />
généreuse, disposée à récompenser largement ses travaux ».<br />
Mais les colons ne viendront que si l'on sait rendre le pays<br />
séduisant en lui faisant notamment la réputation d'un pays<br />
libre, et Richard, à la retraite il est vrai à ce moment, demande<br />
d'étendre la liberté de la presse jusqu'aux dernières limites du<br />
possible et d'accorder même aux colons le droit de tenir des<br />
« meetings à l'américaine... » (1).<br />
Richard n'est pas moins fécond en idées, souvent origina<br />
les, lorsqu'il s'agit de réformes économiques et sociales. Afin<br />
de faciliter les transactions commerciales, il demande la refonte<br />
des douros d'Espagne qui sont des monnaies falsifiées (2).<br />
Pour que le bureau arabe puisse exercer largement l'hospitalité<br />
indigène, il propose un système permettant « d'atteindre la<br />
limite du parfait dans ce sens en faisant grandement les choses<br />
et en ne dépensant rien du tout ». Selon lui il suffirait pour<br />
cela de pratiquer tous les ans, dans chaque point occupé, une<br />
touiza de toutes les tribus du Cercle : l'administration avance<br />
rait les semences et, à la récolte,<br />
recueillerait la moisson dans<br />
ses magasins. Un marché serait ensuite passé par le chef du<br />
bureau arabe avec un caïd des diaf (3) qui, au lieu de recevoir<br />
de l'argent, recevrait une quantité d'orge et de blé d'une valeur<br />
équivalente; les bons que lui donnerait dans ce but le chef du<br />
bureau arabe lui seraient acquittés par l'administration qui, en<br />
fin d'année,<br />
garderait le blé et l'orge qui resteraient. Et ainsi<br />
on pratiquerait une hospitalité des plus larges en se créant une<br />
source de bénéfices au lieu des dépenses dont le budget s'effraie.<br />
Et Richard affirme que les Arabes ne demanderaient pas mieux<br />
que de nous donner une fois l'an un travail imperceptible pour<br />
chacun d'eux à la condition d'être bien traités quand ils vien<br />
draient chez nous (4).<br />
Ce recours à l'effort collectif est une idée chère à Richard<br />
comme à Lapasset. Non seulement il le préconise aux Colons<br />
(1) (17) 177-178 et (22) 21, 41, 42.<br />
(2) N 468, 1849, Orléansville 2» q. de janvier.<br />
(3) Diaf est le pluriel de dif : hôte, convive. La maison des diaf était<br />
destinée à héberger les Indigènes venant au bureau arabe.<br />
(4) N 465, 1848, Orléansville 2" q: de février.
— 142 —<br />
dans leurs villages (1), mais il en fait bénéficier tes Indigènes<br />
d'Orléansville. Beaucoup d'Arabes influents réclamaient avec<br />
insistance l'établissement d'un bain maure,<br />
mais l'argent man<br />
quait et il paraissait impossible de s'en procurer par la voie<br />
régulière des crédits accordés par l'Etat. Richard, au cours de<br />
plusieurs réunions,<br />
expose aux chefs indigènes ce qu'est l'asso<br />
ciation des capitaux et comment « elle enfante des prodiges tout<br />
en faisant la fortune des individus ». Il réussit à constituer une<br />
société de 25 souscripteurs dont les versements totalisent envi<br />
ron 10.000 francs, somme jugée suffisante. Le gérant en est l'ad<br />
joint du bureau arabe assisté d'un conseil de surveillance de<br />
cinq membres chargé de vérifier les dépenses et de répartir, au<br />
prorata des sommes versées, les recettes qui seront faites. L'en<br />
treprise se développe avec succès et, dans la constitution de<br />
cette société et la construction de ce bain maure, Richard, qui<br />
ne perd jamais de vue la mission des Bureaux arabes,<br />
voit un<br />
fait d'importance politique : « La facilité avec laquelle une<br />
pareille nouveauté a été adoptée, écrit-il, fait entrevoir qu'elle<br />
pourrait avoir des résultats féconds pour notre domination en<br />
donnant un moyen de lier encore plus étroitement les intérêts<br />
arabes aux nôtres et ausjsi en faisant sortir de terre, poussés par<br />
l'appât du gain, cette masse de douros qui dort stérile dessous<br />
tandis que, dessus, elle aurait si utilement à s'employer » (2).<br />
Richard aime à s'élever jusqu'aux considérations philoso<br />
phiques. Il se complaît surtout dans la philosophie de l'histoire<br />
et l'étude de l'évolution des sociétés lui paraît propre à nous<br />
fournir un enseignement sur la manière dont nous devons gou<br />
verner l'Algérie. Il consacre un de ses ouvrages à édifier tout<br />
un système évolutionniste (3). Le peuple arabe ne peut arriver<br />
jusqu'à nous qu'avec le temps et par gradations successives.<br />
nichard nous en avertit : s: Dans l'escalier qu'il monte vers<br />
l'avenir, plusieurs degrés le séparent de vous, et, quoi que vous<br />
fassiez, vous ne pouvez lui en épargner l'escalade. Vous pouvez,<br />
dans la position supérieure que vous occupez au-dessus de lui,<br />
l'aider, en lui tendant la main, à les franchir plus vite, et peut-<br />
(1) Richard (17) 178.<br />
(2) N 463, 1847, Orléansville, 2* q. de novembre.<br />
(3) De la civilisation du peuple arabe.
être à en sauter quelques-uns ;<br />
— 143 —<br />
c'est même votre devoir, votre<br />
mission providentielle; mais je vous défie de rien tenter de pra<br />
ticable au delà de cette limite. » Et puis, en s'inspirant de l'his<br />
toire, Richard prétend déterminer quelles sont les diverses pha<br />
ses par lesquelles nous devons faire passer le peuple arabe pour<br />
l'amener jusqu'à nous.<br />
Il en distingue sept. Au départ : la barbarie confuse,<br />
« trois millions d'âmes vivant dans la confusion de toutes les<br />
abominations imaginables, une orgie de toutes les immoralités<br />
connues, depuis celles de Sodome jusqu'à celles de Mandrin. »<br />
La première chose est d'établir une autorité et celle-ci ne peut<br />
être que féodale : féodalité indigène d'abord (grands chefs tra<br />
ditionnels puis hommes à notre dévotion); féodalité française<br />
ensuite, l'officier français prenant la place du caïd dans son<br />
château crénelé. Viendra alors la phase de la commune : aris<br />
tocratique dans les débuts avec une municipalité de membres<br />
riches et importants choisis par l'autorité, démocratique plus<br />
tard avec pour base l'élection. Et alors,<br />
arabe devenu un organisme civil,<br />
sous l'égide du bureau<br />
nous atteindrons le stade de<br />
la civilisation démocratique et nos lois pourront s'appliquer<br />
indifféremment aux Européens et aux Indigènes. Nous appar<br />
tiendrons tous à la même grande famille civilisée. Les barrières<br />
établies par la conquête tomberont; l'assimilation se fera. Cons<br />
truction fragile, il est vrai,<br />
indéniable talent.<br />
mais que Richard édifie avec un<br />
A cet esprit prompt aux vastes généralisations,<br />
ses chefs<br />
ont parfois reproché l'ardeur de l'imagination et de l'enthou<br />
siasme. Et il est certain qu'il y avait quelque chose du vision<br />
naire, de l'illuminé ou de l'apôtre chez cet homme qui, en épi<br />
graphe à l'un de ses ouvrages (1), mettait te verset de saint<br />
Matthieu sur la foi qui transporte les montagnes. Mais c'est cet<br />
état d'esprit qui donne au capitaine Richard une place à part<br />
dans la galerie des chefs des bureaux arabes, c'est lui qui lui<br />
inspire une page comme celle-ci :<br />
« Quand on veut conquérir, dans le vrai sens du mot, un<br />
pays, il y a deux espèces de conquêtes à exécuter : celle du<br />
(1) De l'esprit de la législation musulmane.
— — 144<br />
terrain qui est la conquête matérielle, et celle du peuple qui<br />
est la conquête morale. La première s'exécute par les armes<br />
et ne dure quelquefois que l'espace de quatre ou cinq grandes<br />
batailles, où tout ce qu'il y a d'hommes vigoureux dans le parti<br />
qui se défend, mord la poussière; la seconde s'exécute par les<br />
idées, et celle-là peut durer des siècles, quand le peuple conqué<br />
rant est chrétien et le peuple conquis musulman. La première<br />
est maintenant accomplie, et certes c'est un résultat glorieux;<br />
c'est le travail d'un homme; la seconde, c'est à peine si nous la<br />
commençons; le peuple est à peine à nous.nous ne devons qu'im<br />
parfaitement le connaître. Jusqu'ici nous ne l'avons guère vu<br />
qu'à la distance de la portée de son fusil; nous l'avons admiré<br />
à cheval, magnifiquement drapé dans son burnous, toujours<br />
beau quoique en guenilles;<br />
nous l'avons vu se battre souvent<br />
avec courage, et mourir toujours en héros ou en martyr, et nous<br />
nous sommes rappelés involontairement,<br />
ce peuple issu d'une<br />
misérable tribu de sauvages, qui faillit écraser sous ses premiers<br />
pas la civilisation chrétienne, et qui ne dut qu'à la perte d'une<br />
bataille d'être déshérité du vieux patrimoine romain. Nous ne<br />
l'avons vu, en un mot, que sous sa face poétique. Maintenant si,<br />
par la pensée, nous faisons le calme autour de lui,<br />
ne sifflent plus,<br />
si les balles<br />
si la poussière et la fumée de la poudre n'obs<br />
curcissent plus nos yeux, nous le verrons plus en détail et beau<br />
coup mieux. Nous le désarmerons, nous lui ôterons son bur<br />
nous, nous le ferons descendre de son cheval, et nous verrons<br />
alors une dégradation de la face humaine qui nous fera bénir<br />
le ciel d'être un peuple civilisé, et qui nous fera comprendre<br />
que c'est la Providence qui nous a envoyés ici pour y accomplir<br />
une mission grande et sainte » (1) .<br />
(1) L'insurrection du Dahra, p. 7-8. Cité dans Peyronnet (87) II 132-133.<br />
On pourrait également rappeler cette page où Richard affirme sa foi dans le<br />
progrès humain : « Nous pensons que les divers peuples de la terre quelle<br />
que soit la diversité de leur langage, de leurs mœurs, de leurs croyances reli<br />
gieuses, tendent tous, sous l'action d'une force providentielle, à une unité<br />
complète... La tendance générale de notre civilisation est de mettre l'ordre<br />
et le calme partout. Le progrès doit nécessairement nous amener à détruire<br />
les secousses politiques, à faire disparaître le paupérisme et assurer le règne<br />
de la plus parfaite justice. La société marche donc vers un état tel que la<br />
force brutale n'étant plus nécessaire pour la maintenir en paix, cette force,<br />
qui est maintenant représentée par l'armée, disparaîtra, et, avec elle, ce que<br />
nous appelons l'esprit, la science militaires... » (17) 164-167.
145-<br />
Avec un tel personnel, on conçoit que les résultats maxima<br />
aient pu être obtenus. Aucune autre région de l'Algérie ne peut<br />
sans doute se prévaloir d'une pareille activité dans la transfor<br />
mation délibérée des genres de vie indigènes. A en croire Mont<br />
gravier et Esterhazy (1), c'est à l'Oranie que revient l'initiative<br />
en 1847, de la fixation des Indigènes par la construction de vil<br />
lages et la Mitidja aurait suivi. Il est certain que l'activité fut<br />
grande dans les Douaïrs et les Zmélas à partir de novembre<br />
1847 (2), mais nous verrons que, dès 1845, Lapasset avait ouvert<br />
la voie à Ténès. En 1850, dans une lettre au commandant de la<br />
division d'Alger, le gouverneur général Charon adressait des<br />
éloges aux Cercles de Miliana et d'Orléansville « en raison des<br />
résultats obtenus dans les tribus de leurs ressorts tant pour la<br />
construction que sous le rapport agricole (culture de la pomme<br />
de terre, plantations et greffes d'arbres de toutes espèces) »,<br />
ajoutant qu'il importait à l'avenir de l'Algérie que tous les pro<br />
grès constatés sur ces points soient généralisés (3). Nous nous<br />
trouvons donc dans une région privilégiée et nos conclusions<br />
n'en auront que plus de force. Pour le reste de l'Algérie elles<br />
acquerront presque la valeur d'une démonstration à fortiori.<br />
(1) Azéma de Montgravier (1) 2f lettre 16 et Walsin-Esterhazy (30)<br />
400.<br />
(2) Tinthoin (183) 131.<br />
(3) G. dossier « Colonisation 1845-1870 -/, lettre du 19 mai 1850.<br />
10
CHAPITRE III<br />
La fixation au sol .<br />
Le Cantonnement
Nous avons déjà dit comment, au début, la colonisation<br />
faisait tache d'huile sans se préoccuper du sort des Indigènes<br />
refoulés. Il en fut ainsi jusqu'en 1845. A ce moment,<br />
raisons diverses, militaires, politiques, humanitaires,<br />
pour des<br />
on en<br />
vint, conformément aux idées de Bugeaud, à envisager le par<br />
tage du sol avec les Indigènes. C'était le cantonnement qui fut<br />
pratiqué jusqu'au sénatus-consulte de 1863 et auquel on trouva<br />
une base juridique. Dans la région que nous étudions, nous<br />
pouvons en citer deux exemples d'une application systémati<br />
que. Mais, avant de les étudier, pour en fixer la place et l'im<br />
portance, il paraît indispensable d'examiner dans son ensemble<br />
la question du cantonnement et de préciser l'attitude des Bu<br />
reaux arabes vis-à-vis de ce mode de constitution de la pro<br />
priété tant indigène qu'européenne.
I. —<br />
— — A<br />
LES BUREAUX ARABES ET LE CANTONNEMENT<br />
COMMENT S'EST POSEE ET A EVOLUE LA QUESTION<br />
DU CANTONNEMENT<br />
Cantonnement de fait et théorie.<br />
On a pratiqué le cantonnement, alors même qu'on n'em<br />
ployait pas le mot, à partir du jour où,<br />
admettant te droit à<br />
l'existence des Indigènes, on a estimé qu'au lieu de les refouler<br />
il valait mieux les maintenir au milieu des Européens en leur<br />
créant des villages et en les astreignant à bâtir. Au début, en<br />
effet, comme nous le verrons,<br />
arabe paraissent inséparables.<br />
cantonnement et colonisation<br />
La conception même du cantonnement se trouve exprimée<br />
officiellement en 1845, pour la première fois semble-t-il, dans<br />
le rapport du Directeur de l'Intérieur sur la création, ordonnée<br />
par Bugeaud, du village indigène de Guerouaou (1) : pour<br />
Guyot le problème consiste à « assurer le succès de la coloni<br />
sation en même temps que la conservation (au moins partielle)<br />
pour les Arabes du sol qui les nourrissait antrefois ». Et l'année<br />
suivante, à propos de la fondation à la Rassauta d'un village en<br />
faveur des Aribs, le rapporteur Foucher s'exprimait encore plus<br />
nettement : « Nous devons admettre, écrivait-il, les tribus sou<br />
mises à partager avec nous le sol en compensant le retrait que<br />
nous leur faisons de la majeure partie par l'assurance de la<br />
propriété incommutable du surplus » (2).<br />
(1) Non loin de Béni-Méred, dans la Mitidja.<br />
(2) N 1805, Documents ayant servi à l'établissement du Rapport de no<br />
vembre 1862 du Maréchal Randon à l'Empereur, p. 3 à 8 ; Randon était alors<br />
Ministre de la guerre. La circulaire de Bugeaud du 10 avril 1847 dans laquelle<br />
A. Bernard (41) 300-301 trouve les premières traces du cantonnement n'est<br />
donc pas le premier document relatif à cette opération.
— 150 —<br />
L'application de ces idées était relativement facile dans<br />
ces premières opérations (que l'on qualifia de cantonnement)<br />
pour les Aribs<br />
car il s'agissait de terres réputées domaniales et,<br />
en particulier, on avait affaire à des Indigènes établis par l'Ad<br />
ministration française depuis quelques années seulement (1).<br />
Mais comment, en droit, résoudrait-on le problème, lorsqu'on<br />
se trouverait en présence de tribus considérables, propriétaires<br />
ou usageres d'un sol sur lequel elles avaient toujours vécu ?<br />
A ce moment parut le livre du Docteur Worms qui devait<br />
donner un substratum juridique à une opération que les néces<br />
sités de la colonisation allaient imposer chaque année de ma<br />
nière plus impérieuse, surtout après le vote de la loi de 1851 qui<br />
garantit aux Indigènes leurs droits de propriété et de jouis^<br />
sance (2). Le Docteur Worms se passionnait depuis plusieurs<br />
années pour les études de législation musulmane (3). En 1846<br />
il publia un ouvrage (4) dans lequel il analysait le régime fon<br />
cier en pays musulman et notamment en Algérie. Il mettait en<br />
valeur, avec grande netteté, une distinction essentielle, bien<br />
souvent rappelée depuis, entre les terres de dîme et les terres<br />
de kharadj. Les premières, dont les occupants disposent libre-<br />
(1) BaudiCOUr (168) 504-505, cite deux autres exemples de cantonnement<br />
effectués sur des terres du Beylik : le premier intéresse la tribu des Béni-<br />
Mehenna (Philippeville) qui, en 1845, perdit au profit de la colonisation 12.000<br />
hectares sur les 40.000 qu'elle possédait, obtenant pour le reste un titre de<br />
propriété collective ; le second est relatif à une tribu des environs de Guelma<br />
à laquelle on ne laissa que 8.000 hectares sur 20.000, mais en constituant la<br />
propriété individuelle.<br />
ture,<br />
(2) La loi du 16 juin 1851 mit fin à l'expropriation pour cause d'incul<br />
ainsi qu'à la réunion au Domaine des terres dont les détenteurs ne<br />
pouvaient établir leurs droits de propriété. Aussi les terres de colonisation ne<br />
tardèrent pas à manquer et c'est alors surtout qu'on eut recours au canton<br />
nement. Mais nous voyons que la théorie et les premières opérations sont an<br />
térieures à la loi de 1851 et, à l'appui de cette affirmation, on pourrait citer<br />
encore les différentes instructions de Charon inspirées, semble-t-il, par la<br />
crainte de manquer de terres pour établir les « Colonies agricoles (G, HH,<br />
voir bibliographie).<br />
(3) Il avait exposé ses idées pour la première fois en 1841 dans un mé<br />
moire lu à l'Académie des Sciences morales et politiques, mémoire dont la<br />
teneur fut donnée par le général Duvivier à la fin de son ouvrage : Solu<br />
tion de la question de l'Algérie, Paris 1841, p. 328-333. De 1842 à 1844, le Dr<br />
Worms avait publié des études sur la propriété en pays musulman dans le<br />
Journal asiatique et dans la Revue de législation et de jurisprudence.<br />
(4) Recherches sur la constitution de la propriété territoriale dans les<br />
pays musulmans et subsidiairement en Algérie (162).
— 151 —<br />
ment, sont soumises aux prélèvements désignés sous le nom de<br />
zekkat (Worms écrit zekkaet)<br />
et qui ont à la fois le caractère<br />
d'aumônes puisqu'ils doivent être employés à venir en aide aux<br />
pauvres et d'impôts puisqu'ils sont déterminés par le souve<br />
rain (1). Les secondes, outre le zekkat,<br />
supportent un impôt<br />
spécial, le kharadj (Worms écrit kheradj), comme terres con<br />
quises par la force des armes, mais que le vainqueur avait<br />
cependant laissées aux mains du vaincu. Avec une remarquable<br />
érudition, Worms établissait que jamais l'Algérie n'avait été<br />
terre de dîme, mais toujours terre de kharadj<br />
ou de tribut : les<br />
Indigènes, selon lui, y possédaient le sol, non à titre de pro<br />
priété, mais seulement à titre d'usufruit.<br />
Les juristes firent valoir, par la suite, que les droits du<br />
détenteur indigène ne pouvaient être assimilés à ceux d'un<br />
usufruitier et les droits de l'Etat à ceux d'un nu propriétaire, car<br />
si le détenteur n'avait pas la possibilité d'aliéner la terre de<br />
kharadj, l'Etat cependant n'avait pas un véritable droit de pro<br />
priété : il percevait seulement le tribut et surveillait la mise en<br />
culture; la possession héréditaire était assurée au vaincu ou<br />
raya qui ne pouvait être expulsé sous aucun prétexte tant qu'il<br />
cultivait et payait régulièrement le kharadj. Mais, à l'époque<br />
où parut l'ouvrage du Dr. Worms, on ne fit point ces distinc<br />
tions. Le kharadj apparut comme le loyer d'une terre dont l'Etat<br />
français, héritier du Beylik, était propriétaire. On pensa que<br />
cette propriété s'étendait sur la majeure partie de l'Algérie<br />
puisque le pays avait été conquis par les Turcs musulmans (2).<br />
L'Administration appela arch (d'un mot arabe signifiant tribu)<br />
(1) Le zekkat porte sur les différents biens, mais on réserve souvent ce<br />
nom à l'impôt sur les troupeaux. Le zekkat qui frappe les produits du sol<br />
s'appelle achour parce qu'il est égal au dixième des fruits. A noter que tou<br />
tes les terres melk sont des terres de dîme puisque les possesseurs en ont la<br />
pleine propriété.<br />
(2) En réalité les terres de kharadj étaient beaucoup<br />
les terres de dîme parce que les Turcs n'ont jamais occupé la totalité de l'Al<br />
moins étendues que<br />
gérie et aussi parce que, pour des raisons politiques ou simplement financiè<br />
res, ils concédèrent en pleine propriété ou vendirent d'importants territoires.<br />
Gopin (151) 232-234,
— 152—<br />
ces terres dont la tribu ne paraissait avoir que la jouissance (1)<br />
et tout naturellement naquit la théorie du cantonnement.<br />
Dans l'esprit du législateur, il ne s'agissait pas d'une spolia<br />
tion, mais d'une « équitable transaction » (2),<br />
propre à satis<br />
faire les deux parties : on calculerait largement les besoins de<br />
la tribu (ce sont les propres termes d'une circulaire du général<br />
Charon du 15 juin 1849)<br />
n'avait pas besoin, mais qui, d'usufruitière,<br />
qui serait dessaisie des terres dont elle<br />
deviendrait pleine<br />
ment propriétaire sur la portion du sol qui lui serait laissée.<br />
La théorie reposait évidemment sur la certitude de disposer<br />
d'un territoire suffisamment vaste pour permettre la coexis<br />
tence des deux éléments de la population. On parla d'abord de<br />
resserrement (c'est te mot qu'emploie Bugeaud),<br />
puis on pré<br />
féra le mot cantonnement par analogie avec le cantonnement<br />
forestier où l'on transforme le droit de l'usager en un droit de<br />
propriété portant sur une partie du fonds affecté à son usage<br />
. (3)<br />
En droit, la théorie semblait donner satisfaction à l'équité.<br />
En fait, entre Colonisation et Indigènes,<br />
c'était un compromis<br />
aboutissant à un refoulement partiel, humanisé et légitimé par<br />
des considérations juridiques.<br />
D'énormes difficultés allaient surgir. Bugeaud les avait<br />
prévues lorsqu'il écrivait en parlant du partage des terres :<br />
« C'est une loi agraire à appliquer et il n'y a rien au monde<br />
d'aussi épineux, d'aussi compliqué que l'exécution d'une loi<br />
agraire ». Charon craignait qu'on ne laissât pas aux Indigènes<br />
suffisamment de terres cultivables : obligés alors d'exécuter des<br />
(1) Jouissance collective ou individuelle ? Les juristes sont très parta<br />
gés. Godin nie l'existence de la propriété collective et affirme péremptoire<br />
ment que la tribu ne procédait à aucune répartition périodique entre ses mem<br />
bres (151) 238-239. Nous verserons simplement au débat les témoignages<br />
d'hommes comme Pellissier de Reynaud (14) 433, Azéma de Montgravier<br />
(1) 2° lettre 15, Hugonnet (6) 133-134, David (5) 28, Wolff (154) 15, 33, qui<br />
tous mentionnent la propriété collective et le partage.<br />
(2) L'expression est dans un rapport ministériel du 17 mai 1854 : Pellis<br />
sier de Reynaud (14) III 371. Baudicour (168) 510 parle de « transaction su<br />
prême entre les campements arabes de l'intérieur et la marée montante des<br />
colons européens ».<br />
(3) Larcher (156) III 54 et N 1805, Documents du Rapport Randon de<br />
novembre 1862, p. 95-97.
--153<br />
travaux de défrichements très coûteux, ils subiraient un pré<br />
judice considérable (1).<br />
Comment, en effet, déterminer l'importance du territoire<br />
qui serait laissé à chaque tribu ? Les avis variaient à l'extrême.<br />
Les uns posent une fraction à priori : Bugeaud croit que les<br />
Indigènes consentiront à céder le quart ou le tiers de leurs ter<br />
res moyennant le bénéfice de la propriété individuelle (2), et<br />
Bedeau admet lui aussi que la colonisation prendra le tiers. Le<br />
duc d'Aumale, gouverneur général, tient compte essentiellement<br />
de la condition des personnes (3); il distingue trois catégories<br />
d'individus : les khammès qui ne peuvent prétendre à rien, les<br />
propriétaires qui garderont leurs terres ou recevront des com<br />
pensations, les fellahs simplement usufruitiers qui seront décla<br />
rés propriétaires d'une fraction des terrains détenus, fraction<br />
dont l'étendue variera avec les titres acquis à notre bienveillance<br />
ou avec l'importance de leurs moyens d'exploitation.<br />
Selon une autre conception, il faudrait évaluer les quan<br />
tités moyennes de terres labourées par la tribu ainsi que sa<br />
richesse en troupeaux et lui affecter une superficie égale au<br />
chiffre de cette moyenne des labours augmenté de celui des<br />
terres que nécessitait l'importance des troupeaux. On admettait<br />
en général qu'il fallait un hectare pour une grosse tête de bétail<br />
(cheval, mulet, chameau) et que deux ânes, six moutons ou six<br />
chèvres équivalaient à une grosse tête de bétail (4).<br />
Le plus souvent, on essaye d'apprécier les besoins des<br />
Indigènes et on prétend affecter à chaque individu un nom<br />
bre fixe d'hectares. Mais combien les appréciations varient !<br />
La Moricière, par exemple, pense parfois qu'il faut réserver 60<br />
(1) G. 2 EE 6, lettre du 1-12-1845 et N 442 lettre du gouv. Charon au<br />
Ministre de la guerre le 29-12-1848.<br />
(2) Démontés (48) 593. Ailleurs Bugeaud parle du cinquième ou du sixiè<br />
me (G. 2 EE 6).<br />
(3) Dans ses Prescriptions du 4 février 1848 i relatives aux mesures à<br />
prendre pour cantonner les indigènes habitant l'ouest de la Mitidja et pour<br />
ouvrir cette région à la colonisation européenne ». Il s'agissait de créer deux<br />
centres, l'un sur l'Oued Bourkika et l'autre sur l'Oued Djer ou à Aïn-Gassaf :<br />
N <strong>108</strong>2.<br />
(4) Projet de décret sur le cantonnement (154) 30-31. La commission de<br />
1861 se ralliera à cette conception.
— 154 —<br />
hectares par tente et d'autres fois 25 ou même moins; Yusuf<br />
estime qu'avec deux hectares par tête on satisfait tous les besoins<br />
réels et qu'on les dépasse même; en 1856, le Ministre considère<br />
comme très élevée la moyenne de 3 hectares par individu ;<br />
Cl. Duvernois, en 1858, voudrait voir accorder à chaque famille<br />
20 hectares dans le Tell et 50 dans les steppes; et il faudrait<br />
ajouter ceux qui, à l'idée d'accorder à tous la même quote-part,<br />
s'indignent et crient à la loi agraire (1).<br />
Finalement,<br />
vu l'importance du cantonnement et l'intérêt<br />
d'une règle générale, le Ministre institue une commission dans<br />
chaque province pour étudier la question. Seule, semble-t-il, la<br />
commission oranaise mène sa tâche à bien et centralise les docu<br />
ments émanant de plusieurs sous-commissions. Celle de Mos<br />
taganem, par exemple, après de longs calculs, évalue à 2 hec<br />
tares 65 la quantité moyenne de terrain à donner par tête d'in<br />
dividu sous la réserve expresse qu'il serait fait aux Indigènes<br />
une part équitable dans la répartition des bons terrains. La<br />
commission d'Oran considère ces précisions comme inutiles :<br />
te cantonnement étant une mesure purement politique « la puis<br />
sance dominante doit déterminer elle-même dans quelle pro<br />
portion elle entend qu'entre cet élément (l'élément indigène)<br />
dans la transformation du pays et surtout dans la constitution<br />
définitive de la propriété et de la colonisation algérienne. Dans<br />
l'accomplissement de cette mesure, il ne saurait être question<br />
de droits ni de besoins : les droits ne peuvent être reconnus et<br />
les besoins sont impossibles à déterminer et à satisfaire com<br />
plètement... » (2).<br />
L'attribution territoriale devait donc être déterminée arbi<br />
trairement par le Ministre. En fait, il n'y eut pas de règle géné-<br />
(1) Tel le rapporteur au Conseil du gouvernement en 1857 qui s'écrie<br />
« Quoi ! chaque membre de la tribu pourra prétendre à sa part de 3 hectares,<br />
même les femmes, même les enfants, mêmes les serviteurs attachés à la ten<br />
te ? Ce procédé — —<br />
j'hésite à le dire ressemble beaucoup à la loi agraire ».<br />
N 1805, Documents Randon, p. 63-64, 78-93.<br />
(2) N 1805, Documents du rapport Randon. Plus tard, en 1861, les auto<br />
rités de la Province d'Oran affirmeront que l'Etat peut « disposer souverai<br />
nement de tout le territoire. C'est une situation fort nette, fort simple, une,<br />
dont nous avons à nous féliciter et à profiter dans l'opération du cantonne<br />
ment » (165) 15-16,
155<br />
raie car, comme le disait une circulaire de Randon relative au<br />
cantonnement, les terres sont de qualité trop inégale, la consti<br />
tution des tribus est trop variée pour se prêter à l'application<br />
d'une loi uniforme (1). Chaque cantonnement fut donc consi<br />
déré comme un cas d'espèce.<br />
L'évolution.<br />
Dans l'esprit de l'Administration et, en particulier, des<br />
Bureaux arabes, le cantonnement n'était que le premier pas<br />
vers la constitution de la propriété individuelle. Mais devait-on<br />
constituer celle-ci immédiatement ouj passer d'abord par le stade<br />
de la propriété collective ? (2). Là encore, l'administration mi<br />
litaire ne réussit pas à se faire une doctrine et à s'y tenir.<br />
Il n'est question tout d'abord, dans les textes, que de pro<br />
priété individuelle et Fon assimile l'Indigène à un Colon recevant<br />
une concession et astreint à certaines obligations de construction<br />
et de mise en valeur. Tel est l'esprit des projets de 1845 et 1846<br />
concernant Guerouaou et les Aribs (3). Tel est aussi le plan<br />
initial de colonisation arabe relatif aux Douaïrs et aux Zmélas.<br />
En leur faveur, Bugeaud avait proposé, en 1847, un projet de<br />
cession pleine et entière des terres dont ils avaient héréditaire<br />
ment l'usufruit comme tribus du Makhzen et qui devaient être<br />
alloties entre les familles. Ce projet fut repoussé par le Ministre,<br />
mais La Moricière en dressa un nouveau, prévoyant la concen<br />
tration des douars sur leurs mechtas et la division du sol de<br />
chaque mechta entre les hommes possédant un certain capital.<br />
C'était la constitution de la propriété individuelle au profit des<br />
plus riches. Le Ministre hésita, favorable plutôt au maintien de<br />
l'usufruit, mais il céda finalement à l'argumentation du duc<br />
d'Aumale faisant valoir en particulier que la constitution de la<br />
propriété individuelle aurait pour conséquence de permettre<br />
(1) Circulaire du 20 mai 1858 : Ménerville (140) I 190-191.<br />
(2) Certains voulurent distinguer entre « le resserrement » qui mainte<br />
nait la propriété collective et le « cantonnement » qui était suivi de la cons<br />
titution de la propriété individuelle : Cl, Duvernois (60) 275-277,<br />
(3) Démontés (48) 510-517,
— 156 —<br />
les transactions libres et, par suite, la pénétration des Européens<br />
que l'on souhaitait à ce moment. Le cahier des charges établi<br />
comme pour des villages de colonisation française, Douaïrs et<br />
Zmélas se mirent à construire et à planter en attendant leurs<br />
titres de concessions (1).<br />
Mais les conceptions changent avec les hommes. Le Gou<br />
verneur général Charon n'envisage plus le cantonnement de<br />
la même manière. Voici comment, en 1850, s'opère celui des<br />
Gharaba. Cette tribu jouissait de 72.400 hectares au sud-est<br />
d'Oran. Refoulée par la coloniation et par la prise de possession<br />
de la forêt de Moulay Ismaël (2), elle<br />
si'<br />
était trouvée resserrée<br />
sur 25.000 hectares et ne pouvait plus nourrir ses 11.000 âmes<br />
et ses nombreux troupeaux. On lui attribua un supplément de<br />
8.000 hectares et, en dédommagement de la dépossession subie,<br />
on lui délivra un titre collectif de propriété absolue pour les<br />
33.000 hectares sur lesquels elle était définitivement resserrée.<br />
Ainsi donc,comme l'écrira plus tard le maréchal Randon, il n'est<br />
plus question de propriété individuelle ni de concession dans<br />
les formes ordinaires; l'indemnité de dépossession consiste dans<br />
la substitution d'un titre de propriété collective pour une partie<br />
de la terre au droit de jouissance collective qui existait pour le<br />
tout (3).<br />
Randon, comme Gouverneur général, défend un système<br />
mixte. En 1855, il propose au Ministre de délivrer aux tribus<br />
des titres collectifs correspondant à des superficies déterminées;<br />
les tribus seraient amenées ensuite à faire les partages indivi<br />
duels et à constituer la propriété privée. Mais le Ministre répond<br />
que l'on n'avait pas encore apporté de solution à la question<br />
« de savoir si, à l'occasion des opérations de cantonnement, il<br />
ne convenait pas mieux, au lieu d'une attribution du sol à la<br />
tribu à titre collectif, de constituer la propriété individuelle en<br />
délivrant un titre particulier à chaque famille pour la part lui<br />
(1) N 1805, Documents du Rapport Randon p. 25-29 ; Tinthoin (183)<br />
129-133 et 328. Baudicour nous l'avons vu (p. 150 note 1), signale le cantonne<br />
ment des Béni-Mehenna avec titre collectif en 1845, mais les documents d'ar<br />
chives ne font pas état de cette exception.<br />
(2) Au sud des salines d'Arzeu. En 1867 les Gharaba ont formé le douar<br />
Oum-el-Ghelaz.<br />
(3) N 1805, Lettre du Ml Randon à l'Empereur, de novembre 1862.
-15f-<br />
revenant ». A l'époque on pense beaucoup à l'intérêt des Indi<br />
gènes et, dans la crainte de voir la tribu se démembrer par la<br />
vente aux Européens des propriétés individuelles, le Ministre<br />
prescrit donc comme règle invariable le titre collectif délivré<br />
par le Gouverneur général après autorisation ministérielle pour<br />
chaque cas spécial. Et, pour éviter toute interprétation, il envoie<br />
un modèle de titre dont l'article 3 déclare formellement que<br />
la tribu est propriétaire à titre collectif et<br />
qu'<br />
« aucune mesure<br />
tendant au partage de la propriété entre les diverses fractions<br />
de la tribu,<br />
ou ayant pour objet de constituer la propriété indi<br />
viduelle parmi ses membres,<br />
ne pourra être prise sans avoir<br />
été préalablement soumise à la sanction du Ministre... »<br />
C'est d'après ces principes que fut enfin régularisé le can<br />
tonnement des Douaïrs et des Zmélas entrepris depuis long<br />
temps. Ce cantonnement fut définitivement approuvé en 1857<br />
pour les Douaïrs, 1858 pour les Zmélas. On délivra des titres<br />
individuels aux Indigènes qui, sur la foi des promesses de l'au<br />
torité locale, avaient élevé des constructions; mais le titre col<br />
lectif fut également délivré et la propriété collective l'emporta<br />
nettement en étendue, surtout chez les Zmélas. D'autres canton<br />
nements furent opérés d'après les mêmes données dans la plaine<br />
de l'Habra (1).<br />
Dès 1867, les idées commencent à évoluer et l'on va bientôt<br />
présenter comme une panacée ce que la veille l'on reniait. Le<br />
Maréchal Vaillant, au Ministère, songe à effectuer, dans cer<br />
taines tribus, la répartition de la propriété entre les chefs de<br />
famille,<br />
persuadé que « cette mesure serait accueillie avec<br />
faveur par les arabes qu'elle soustrairait au vasselage si lourd<br />
de leurs chefs en les élevant à la dignité de propriétaire » (2).<br />
En 1858 le prince Napoléon, alors chargé du Ministère de l'Al-<br />
(1) N 1805, Lettre de Randon 1862.<br />
G. Série I, dossier « Colonisation 1845-1870 » : lettre du Gouverneur<br />
Randon au Général commandant la Division d'Alger (11-11-1855) ; modèle de<br />
titre collectif de propriété attribuée aux tribus cantonnées.<br />
Tinthoin (183) 134 à 146, surtout les. cartes.<br />
(2) Randon, gouverneur, ne semble pas se rallier à ce point de vue et,<br />
dans sa circulaire du 20 mai 1858, Ménerville (140) 190, il ordonnait, sauf<br />
circonstances exceptionnelles, de constituer le patrimoine collectif des tribus<br />
à cantonner. Mais, un mois après cette circulaire, le Ministère de'<br />
l'Algérie et<br />
des Colonies se substituait au Gouverneur général.
— ISS —<br />
gérie, ordonne de « s'attacher à subsituer l'intérêt de la famille<br />
à celui de la tribu, à remplacer la propriété indivise et collective<br />
par la propriété privée partout où cela est possible sans dan<br />
ger ». Et, la même année, le prince approuve le cantonnement<br />
dans la province d'Oran, des deux tribus des Hamyan et des<br />
Bétioua, cantonnement fondé sur la base de la constitution<br />
immédiate de la propriété individuelle de chaque famille dans<br />
la proportion de ce qu'elle cultivait déjà; les titres devaient<br />
également faire mention de la part de jouissance revenant à<br />
chaque famille dans les terres de parcours laissées indivises<br />
jusqu'à ce jour.<br />
A partir de ce moment l'Adminitration semble s'en tenir<br />
à la constitution de la propriété privée. Randon, Ministre de la<br />
Guerre, se rallie, il est vrai avec beaucoup de réticences, à la<br />
création généralisée de la propriété individuelle,<br />
estimant que<br />
« cette grande mesure ne saurait être appliquée qu'avec une<br />
extrême prudence ». Par contre, Pélissier, devenu Gouverneur<br />
en 1860, lui accorde la préférence sans restrictions. Certains<br />
Indigènes la demandent. L'opinion publique est divisée : pour<br />
les uns, constituer la propriété privée, c'est permettre à la colo<br />
nisation de progresser en toute liberté par ses propres efforts;<br />
pour les autres, en démocratisant la propriété, on décapite la^<br />
société indigène alors que les notables, malgré leurs exactions,<br />
sont indispensables parce que l'action de la civilisation se fait<br />
sentir plus aisément sur les groupes constitués, par l'intermé<br />
diaire de leurs chefs,<br />
que sur des individus isolés. Pendant ce<br />
temps, sous la direction de l'autorité militaire et des officiers<br />
des Bureaux arabes, les commissions de cantonnement poursui<br />
vaient leur besogne en particulier chez les Ouled-Kosseïr et les<br />
Abid-et-Feraïlia (1).<br />
(1) C'est au cours de la période 1852-1864 que la Commission des Tran<br />
sactions et Partages instituée le 2 mars 1851 opéra le cantonnement des Indi<br />
gènes dans le Sahel d'Alger : Isnard (152). A propos de ses travaux on peut<br />
remarquer : 1°) qu'ils ont abouti partout à la constitution ou plutôt à la con<br />
solidation de la propriété individuelle, mais qu'il ne pouvait guère en être<br />
autrement vu le caractère mélk des territoires intéressés ; 2,°) ces travaux<br />
se justifient par application de l'ordonnance de 1846 sur la déchéance des In<br />
digènes n'ayant pas présenté de titres de propriété et non par la revendica<br />
tion des droits présumés de l'Etat sur les terres arch. Pour cette raison on<br />
peut négliger l'œuvre de la Commission des Transactions et Partages dans<br />
i-ne étude sur le cantonnement sensu stricto.
Le cantonnement cependant allait cesser au moment même<br />
où il paraissait devoir prendre une ampleur considérable. En<br />
mai 1861, Pélissier institue une commission à l'effet de préparer<br />
un projet de décret impérial, déterminant les principes et les<br />
formes à suivre en matière de cantonnement indigène. Pour la<br />
première fois, le cantonnement allait reposer sur des disposi<br />
tions légales, au lieu d'apparaître comme une simple mesure<br />
administrative, exécutée par l'autorité militaire en dehors de<br />
toute prescription gouvernementale (1). La commission se<br />
proposait d'assimiler complètement, et dans un avenir peu<br />
éloigné, la propriété foncière en Algérie, européenne et indi<br />
gène, à la propriété foncière dans la métropole. A cet effet, le<br />
projet rapidement établi, prévoyait d'une part la confirmation<br />
par de nouveaux titres de la propriété melk, partout où elle<br />
existait, et, d'autre part, la conversion en droits de propriété<br />
melk, moyennant un prélèvement au profit de l'Etat, des droits<br />
de jouissance collectifs ou individuels exercés sur les terres<br />
arch (ou sabega). Mais était réputée arch toute terre arable dont<br />
la possession n'était pas justifiée par des titres antérieurs à<br />
1830 et, de plus, l'Administration pouvait choisir librement<br />
parmi les terres des tribus celles qui lui convenaient pour former<br />
la part lui revenant (art. 2 et 11). Le danger qui pesait sur la<br />
propriété indigène était grand. Le cantonnement n'était plus<br />
qu'un refoulement déguisé. L'opposition fut vive au Corps Légis<br />
latif et jusque dans le Conseil d'Etat; le projet de décret dut<br />
être retiré. L'ère du cantonnement était close. Celle du sénatus-<br />
consulte allait commencer pour le plus grand dam de la coh><br />
nisation (2).<br />
Et une question se pose naturellement : quelle fut l'impor<br />
tance de l'œuvre réalisée ? On a voulu réduire le cantonnement<br />
à une simple expérience administrative. Suivant Estoublon et<br />
Pouyanne cinq tribus seulement furent cantonnées ; mais ce<br />
(1) Voir David (5) 15-23 : il s'insurge contre le fait que les 8 ou 10 can<br />
tonnements effectués, selon lui, sur les terres arch n'aient laissé aucune trace<br />
dans les actes officiels de l'Algérie ; il montre que cette opération capitale<br />
n'est régie Jusqu'en 1861 que par « des circulaires vagues, évasives, emprein<br />
tes de doute et d'indécision » dont il donne la liste.<br />
(2) Didier (52) 14-17 a exprimé la déception de la colonisation après le<br />
retrait du projet de cantonnement.
— 160 —<br />
dernier dans son énumération (p. 371) oublie, par exemple, de<br />
mentionner les Ouled-Kosseïr dont il fait état par la suite (p.<br />
1064); il ignore également les Douaïrs et les Zmélas. Franck<br />
Chauveau, dans un rapport au Sénat en 1893, donne le total de<br />
16 tribus cantonnées sur une étendue de 283.000 hectares, après<br />
avoir abandonné 61.000 hectares à l'Etat. Ce sont ces nombres<br />
que nous retrouvons dans les ouvrages de Besson, de Laynaud et<br />
d'A. Bernard (1). Nous croyons ces évaluations insuffisantes<br />
parce que tes auteurs n'envisagent le cantonnement qu'après le<br />
vote de la loi de 1851, alors que, nous le savons, tes opérations<br />
et le mot même de cantonnement sont antérieurs de plusieurs<br />
années à cette loi. Majs pour nous ce qui importe davantage, vu<br />
l'objet de notre étude, c'est que le cantonnement s'accompagna<br />
très souvent de la construction non seulement d'habitations par<br />
ticulières, mais aussi de villages d'agriculteurs et, à cet égard,<br />
il est en rapport étroit avec la politique des Bureaux arabes.<br />
II. —<br />
LES BUREAUX ARABES POUR ET CONTRE<br />
LE CANTONNEMENT<br />
Nous avons montré que les Bureaux arabes envi<br />
sageaient surtout le cantonnement sous l'angle de la sécurité à<br />
assurer au pays. C'était un premier point de vue. Il en existait<br />
un second, celui de la colonisation pour laquelle le cantonne<br />
ment avait comme résultat la libération des terres indispensa<br />
bles à son expansion. Nous voyons donc comment la position<br />
des Bureaux arabes vis-à-vis du cantonnement va se trouver<br />
liée également à leur attitude en face de la colonisation. Sécu<br />
rité, colonisation, cantonnement se tiennent étroitement dans<br />
l'esprit des officiers des Bureaux arabes, et les trois termes<br />
évoluent en fonction l'un de l'autre. La thèse couramment ad<br />
mise de l'hostilité déclarée des Bureaux arabes à la colonisation<br />
(1) Franck Chauveau (147) 12, Besson (143) 269, Laynaud (157) 49, A.<br />
Bernard (41) 300-301. Dans son récent Cours de droit algérien, Alger. 1947,<br />
Passeron reprend les mêmes chiffres.
161-<br />
et, par voie de conséquence, au cantonnement, est beaucoup trop<br />
entière. La position des Bureaux arabes a changé au point d'être<br />
en 1860 l'opposé de ce qu'elle était une dizaine d'années plus tôt.<br />
Les Bureaux arabes pour le cantonnement.<br />
Nous ne nierons pas l'hostilité déclarée de Daumas à tout<br />
resserrement des Indigènes et son animosité à l'égard de la<br />
colonisation (1). Mais prétendre, comme le fait Démontés, que,<br />
dès Bugeaud, tous tes officiers des Bureaux arabes considérèrent<br />
les Indigènes comme les spoliés et les Européens comme les<br />
spoliateurs, est certainement excessif. D'abord l'opinion de<br />
Bugeaud lui-même était beaucoup moins catégorique que celle<br />
de son chef des affaires arabes (2). Ensuite celui-ci ne put im<br />
poser son opinion à ses subordonnés parce qu'il fut désavoué<br />
officiellement par Trézel, Ministre de la Guerre,<br />
et parce qu'il<br />
abandonna la direction des affaires arabes avant les grandes<br />
opérations de cantonnement. Enfin, faute d'une législation sur<br />
le cantonnement, le rôle des exécutants, à l'échelle de la subdi<br />
vision ou même du cercle, fut souvent de première importance.<br />
Il importe donc de connaître l'opinion de ceux qui furent appe<br />
lés à résoudre pratiquement les problèmes que posait le contact<br />
des Européens et des Indigènes, et, en particulier, celui de<br />
l'acquisition des terres.<br />
C'est un fait qu'au début, les Bureaux arabes ménageaient<br />
tes intérêts de la colonisation parce qu'ils considéraient celle-ci<br />
(1) Démontés (48) 527-532. Même là d'ailleurs il ne faut pas exagérer et,<br />
dans les instructions qu'il adresse au gouverneur le 27-9-1850 (A. Orléans-<br />
ville, carton 1) Daumas parle de « l'indispensable opération du cantonne<br />
ment .,. Voir aussi ses discours au Sénat (127).<br />
(2) Dans une de ses dernières circulaires (10 avril 1847) alors que sa<br />
sympathie pour les Indigènes était cependant plus grande que jamais, Bu<br />
geaud écrivait : « Général, je crois vous avoir dit plusieurs fois que ma doc<br />
trine politique vis-à-vis des Arabes était, non pas de les refouler, mais de les<br />
mêler à notre civilisation, non pas de les déposséder, mais de les resserrer sur<br />
le territoire qu'ils possèdent et dont ils jouissent depuis longtemps, lorsque<br />
ce territoire est disproportionné à la population de la tribu... » N'est-ce pas<br />
là l'idée même du cantonnement ? C'est à cette circulaire d'ailleurs qu'A. Ber<br />
nard fait remonter l'origine du cantonnement.
— — 162<br />
comme un moyen d'affermir l'occupation (1). Pour Walsin-<br />
Esterhazy, qui écrit en 1840,<br />
si la colonisation n'est pas un<br />
moyen d'action pour la conquête, elle est un moyen de civilisa<br />
tion après la conquête, et il propose te partage des terres entre<br />
les Indigènes et les Colons (2). Lapasset,<br />
exposant son système<br />
de colonisation arabe, en 1848, se défend d'être hostile à la colo<br />
nisation européenne : « Nous la désirons forte et puissante,<br />
écrit-il, et nous dirons mieux, sans elle notre système serait une<br />
impossibilité, une absurdité » et il estime indispensable la colla<br />
boration entre les deux éléments de population (3).<br />
Azéma de Montgravier conseille de multiplier les points de<br />
contact entre Colons et Indigènes afin d'initier ceux-ci à nos<br />
méthodes agricoles; il demande l'institution d'une haute com<br />
mission permanente de colonisation qui opérerait immédiate<br />
ment le cantonnement et tracerait le cadre des deux colonisa<br />
tions, l'européenne et l'indigène; pour l'avenir, il voit la popu<br />
lation française et européenne répartie dans un grand nombre<br />
de communes agricoles « fortement constituées et disposées<br />
dès l'origine sur le sol en groupes compacts de manière à diviser<br />
là population indigène, de même qu'on mêle la poussière à la<br />
poudre pour l'empêcher d'éclater » (4).<br />
Tel est bien l'avis de Richard lorsque, après la soumission<br />
de Bou-Mazà, il écrit : « Les insurrections seront toujours immi<br />
nentes jusqu'au jour où des masses colonisatrices fortement<br />
organisées étendront leurs réseaux dans le pays et,<br />
en isolant<br />
les éléments épars d'opposition, l'auront pour ainsi dire ab<br />
sorbé ». Selon lui,<br />
« l'Afrique n'est pas faite pour exercer cent<br />
mille soldats au noble métier des armes, et si nous tenons à la<br />
garder, ce ne peut être que pour la peupler de colons et en<br />
former dans l'avenir une grande et riche province de là France.<br />
Ceci est une vérité tellement éclatante qu'il est inutile de la<br />
montrer; c'est une de celles qu'on voit les yeux fermés ». Et,<br />
(1) Et les grands chefs militaires comme Bugeaud, La Moricière, Bedeau,<br />
Pélissier, partageaient cette manière de voir. On trouvera leurs opinions rap<br />
portées dans Duval (55) 162-164.<br />
(2) Walsin-Esterhazy (30) 285.<br />
(3) Lapasset (9) conclusions et N 468 Ténès, 1849, 2* q. avril.<br />
(4) Montgravier (1) 2e lettre 7, 21, 29.
— — 163<br />
longtemps après avoir quitté l'Algérie, il rêvera encore de fon<br />
dre les trois millions d'indigènes dans un empire de dix millions<br />
de citoyens venus de tous les coins de la terre, appelés par l'at<br />
trait d'un pays que l'on aurait su rendre séduisant (1).<br />
Fait encore plus remarquable, Hugonnet demande la créa<br />
tion d'un corps spécial de fonctionnaires pour s'occuper du can<br />
tonnement au moment même où cette demande est formulée par<br />
un ardent défenseur de la colonisation comme Duvernois (2)<br />
Ce sont là, dira-t-on, concessions faites au grand public de<br />
la colonie. L'argument ne tient pas,<br />
car si l'on ouvre la corres<br />
pondance personnelle de Lapasset, cependant grand défenseur<br />
des Arabes,<br />
on trouve des phrases d'autant moins équivoques<br />
qu'elles sont adressées à des adversaires aussi déclarés de la<br />
colonisation que l'étaient Urbain et F. Lacroix (3). Après<br />
avoir protesté contre le refoulement brutal qui entraînerait une<br />
guerre à mort, Lapasset expose clairement ses idées : « Il y a<br />
place pour tous sous le soleil d'Afrique. Les indigènes ont trop<br />
de terres, ils se resserreront; ils occuperont les cases noires de<br />
l'échiquier, tandis que les Européens occuperont les blanches;<br />
les deux colonisations s'avanceront de front, vers l'intérieur du<br />
pays. Nul doute, dans un siècle, ou l'élément indigène se sera<br />
transformé, et le but de la France sera atteint; ou, s'il est resté<br />
réfractaire, les transactions aidant, la case blanche aura absorbé<br />
la noire. Dans ce cas, aux yeux des nations, comme devant notre<br />
conscience, nous aurons agi avec équité, et nous pourrons<br />
dire : si l'élément indigène a disparu, c'est qu'il avait à dispa<br />
raître ». Ce qu'il désire, comme il l'écrit par ailleurs,<br />
c'est un<br />
cantonnement équitable. Et à Lacroix qui voudrait arrêter la<br />
colonisation, il envoie son rapport sur le cantonnement en l'ac<br />
compagnant de ces mots : « Vous verrez par des chiffres et des<br />
calculs irrécusables qu'il y a place ici pour tout le monde, et<br />
(1) N 463, 1847, Orléansville 1 q. avril et (17) 175, (22) 21.<br />
(2) Hugonnet (6) 284 et Cl. Duvernois (60) 278, les deux ouvrages de<br />
1858. Encore en 1860, Hugonnet écrit : « Les Arabes occupent évidemment<br />
trop de terres, cette situation ne peut être tolérée » (7) 267.<br />
(3) URBAIN (Thomas, Ismaïl) : Saint-Simonien convaincu, devenu le<br />
défenseur des Arabes, a joué un rôle très important comme conseiller de<br />
— l'Empereur. LACROIX (Frédéric) : journaliste devenu préfet d'Alger, très<br />
arabophile. Voir Emerit (61).
— — 164<br />
qu'en faisant une part équitable à l'élément indigène, il restera<br />
encore la moitié, au moins, du territoire,<br />
péens » (1).<br />
pour les Euro<br />
Les actes d'ailleurs sont en conformité avec la théorie. Les<br />
Bureaux arabes mènent activement les recherches pour recon<br />
naître les biens du Domaine (2). On pourrait même citer des<br />
cas où, pour procurer des terres à la colonisation, ils ont fait<br />
preuve de brutalité à l'égard des Indigènes,<br />
ne reculant pas<br />
devant le refoulement ou, tout au moins, le cantonnement som<br />
maire. Lorsque le territoire d'une tribu leur paraît correspondre<br />
à ses besoins, ils estiment que le cantonnement se trouve réalisé<br />
ipso facto. Par contre, lorsque ce territoire leur semble trop<br />
vaste, ils ne s'embarrassent pas de questions relatives au droit<br />
de propriété et, sans même invoquer la théorie officielle du can<br />
tonnement, mais seulement les commodités, ils proposent d'opé<br />
rer les prélèvements pour la colonisation.<br />
Dans son rapport de 1855 sur le cantonnement, Sériziat,<br />
chef du bureau arabe d'Orléansville, considère qu'il est urgent<br />
de jalonner la rive droite du Chélif de centres européens, estime<br />
que les Sobah et les Ouled-Ziad ont plus de terres qu'il ne leur<br />
en faut et envisage, en conséquence, de prendre aux premiers<br />
800 hectares et aux seconds un vaste quadrilatère qu'il délimite<br />
avec précision; pour les uns comme pour les autres, il ajoute, en<br />
fin de rapport, que la question de la propriété reste à étudier<br />
car tous les Arabes se disent possesseurs de titres réguliers (3).<br />
Prendre d'abord et étudier ensuite les droits de propriété, c'est<br />
à peu près aussi ce que propose Bourgeret, chef du Bureau<br />
arabe de Miliana, au sujet d'une terre sise sur l'Oued Rouïna,<br />
dont la domanialité n'était pas reconnue (4), mais qu'il jugeait<br />
convenable pour un centre de population et que l'on pourrait :<br />
« sans scrupule » enlever aux Attafs « cette tribu étant fort<br />
riche en terres dont la quantité dépasse de beaucoup les be-<br />
(1) Lettres du 29 septembre, 22 et 29 décembre 1858 dans (121).<br />
(2) Voir notamment G : Ténès 2« T. 1856 et 1" T. 1857 ; Cherchel 3> T.<br />
1S56, 1" T. 1857, 2* T. 1858 ; Téniet-El-Had 4* T. 1857.<br />
(3) G.I. « Colonisation 1845-1870 ».<br />
(4) Et ne le sera jamais, les Attafs étant propriétaires de la presque<br />
totalité des terres qu'ils occupaient.
165.<br />
soins ». Dans d'autres rapports, en 1856 et 1857, il déclare<br />
urgent de « cantonner les tribus sur une partie des terres qu'el<br />
les occupent et de fixer ainsi la quantité susceptible d'être mise<br />
à la disposition de l'administration » ; il demande d'assurer aux<br />
Indigènes « les terres strictement nécessaires à leurs be<br />
soins » (1).<br />
Par ailleurs, les Bureaux arabes apportent le concours des<br />
Indigènes aux Colons édifiant les villages. A Montenotte où ce<br />
concours fut particulièrement efficace, la première fête patro<br />
nale de la colonie scella l'union des Colons et des Arabes ; et<br />
les habitants du village gardèrent toujours un vif sentiment de<br />
reconnaissance pour Lapasset, le recevant triomphalement alors<br />
même qu'il avait cessé de commander la colonie agricole (2).<br />
A Aïn-Bénian, Bou-Medfa et Aïn-Sultan, l'arrivée des Colons<br />
étant ajournée, les tribus sont engagées à cultiver les terres<br />
destinées à ces centres, car, abandonné à lui-même, le sol ne<br />
tarderait pas à se couvrir de plantes parasites qui plus tard en<br />
rendraient la culture plus difficile et surtout plus dispendieuse.<br />
Les Indigènes acceptent aux conditions suivantes : ils laboure<br />
ront, fourniront les semences et se chargeront de la moisson ;<br />
à la récolte, les semences et les frais de culture prélevés à leur<br />
profit, le reste sera partagé entre eux et les Colons qui doivent<br />
habiter les villages et qui trouveront ainsi à leur arrivée un<br />
approvisionnement très utile (3). A Zurich, en 1849, les Colons<br />
étant abattus par la maladie,<br />
ce sont les Indigènes qui labou<br />
rent, ensemencent, font la récolte et battent les grains (4).<br />
Richard et Lapasset surtout s'efforcent de « combiner les inté<br />
rêts des deux populations » en procurant des khammès aux<br />
Européens parce que « c'est une idée heureuse de faire entrer<br />
les indigènes dans la colonisation européenne ». A Orléansville<br />
(1) G. Miliana 4» T. 1856 et 1» T. 1857.<br />
(2) N 468, 1849, Ténès 1" q. avril et 1 q. juin ; (121) 114.<br />
(3) N 468, 1849, Miliana 2e q. septembre ;, N 470, 1851, Miliana, novembre.<br />
(4) N 468, 1849, Cherchel 2' q. septembre.
— — 166<br />
Richard détermine même les Arabes à faire des avances d'ar<br />
gent aux premiers Colons (1).<br />
Cette attitude bienveillante à l'égard de la colonisation (et<br />
par suite favorable au cantonnement) ne doit pas étonner. Si,<br />
à l'origine, les Bureaux arabes se montrent disposés à pratiquer<br />
le partage de la terre entre les deux éléments de la population,<br />
c'est qu'ils y voient des avantages pour les Indigènes et, par voie<br />
de conséquence, pour la sécurité du pays. Lé cantonnement<br />
devient un moyen de rapprocher les deux races, et Pellissier de<br />
Beynaud écrit : « La population arabe fournit aux colons euro<br />
péens sa main-d'œuvre peu coûteuse, des conditions plus écono<br />
miques de production; les colons lui donnent l'exemple du bien-<br />
être dû au travail, l'initiant à des pratiques agricoles avancées,<br />
qu'elle est d'autant mieux disposée à imiter qu'un territoire<br />
plus restreint l'invite à une culture plus intense » (2). Lapasset,<br />
au début, voyait un véritable bienfait dans le cantonnement car<br />
« tant que le doute planera sur la question de la propriété, aucun<br />
progrès, aucune amélioration agricole ne pourront être tentés<br />
par eux (les indigènes) ». A son avis, l'état d'incertitude dans<br />
lequel se trouve la propriété indigène a pour conséquence la<br />
ruine et la confusion et il rapporte tes paroles d'un vieil Arabe<br />
disant : « Cette incertitude nous a toujours empêchés de culti<br />
ver le sol, de le planter, de l'aménager comme nous l'aurions<br />
fait si nous eussions dû ne jamais le quitter. Nous en abusions<br />
comme d'un campement que nous devions lever un jour ou<br />
l'autre ». Mieux vaut donc le cantonnement à conditon qu'il<br />
soit appliqué sagement, progressivement et non tout d'une<br />
pièce (3). Ces opinions, Lapasset les professe encore en 1861-<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville 2? q. septembre ; N 468, 1848, Ténès, 2> q.<br />
novembre.<br />
(2) Pellissier (14) III 372.<br />
(3) Correspondance de Lapasset (121) 314, 319, 323, 346. On pourrait ci<br />
ter dans le même sens l'opinion de Gaulet, à Téniet-el-Had (G. 4* T. 1859)<br />
ou celle du chef du bureau de Miliana en 1861 (G. 1" T. 1861). On croit que<br />
du cantonnement « dépend le rapide essor de la colonisation tant indigène<br />
qu'européenne » (Rapport à l'Empereur sur la situation des populations ara<br />
bes en 1856. M. G. 229).
— — 167<br />
1862 et d'autres avec lui, comme par exemple Jubault, chef du<br />
Bureau arabe de Téniet-el-Had (1).<br />
A cette époque, cependant, un revirement s'était opéré chez<br />
la majeure partie des officiers de Bureaux arabes et ils en<br />
étaient arrivés à combattre ce qu'ils défendaient auparavant.<br />
Les Bureaux arabes contre le cantonnement.<br />
L'attitude des Bureaux arabes évolue, en effet,<br />
assez rapi<br />
dement vis-àrvis de la colonisation et du bélier qui lui ouvrait<br />
la voie : le cantonnement. On peut voir évidemment dans ce<br />
changement le réflexe d'une administration qui se sent mena<br />
cée : la colonisation appelait inévitablement le régime civil<br />
qui devait chasser le régime militaire et ses agents, les Bureaux<br />
arabes. C'est ainsi que tous les ennemis des Bureaux arabes<br />
expliquent l'animosité des militaires à l'égard des Colons et<br />
cette thèse contient certainement une part de vérité. Mais nous<br />
croyons qu'il y a autre chose.<br />
Les Colons ne furent pas exempts de tout reproche. Les<br />
officiers des Bureaux arabes les accusèrent de ne pas faire de<br />
colonisation effective et de se borner à louer aux Arabes les<br />
terres qu'ils obtenaient. Ils virent dans les Européens des éter<br />
nels mécontents, des « messieurs » jamais satisfaits des services<br />
rendus par les Indigènes (2). Surtout ils leur reprochèrent<br />
d'user de procédés malhonnêtes et, à cet égard, les rapports des<br />
(1) G. Téniet-el-Had, 1" T. 1862. Que les Bureaux arabes aient été à<br />
l'origine très favorables au cantonnement nous en trouvons une preuve sup<br />
plémentaire dans les ouvrages mêmes des défenseurs de la colonisation. A.<br />
Duvernois (59) 67, violemment hostile aux Bureaux Arabes, reproche au<br />
régime militaire d'être seul à l'origine du cantonnement, de l'avoir « illéga<br />
lement inventé » (c'est nous qui soulignons). Avec plus de mesure Baudicour<br />
écrit (168) 514-515 : « ce que propose aujourd'hui l'administration militaire<br />
n'est pas,<br />
comme elle voudrait le faire supposer, une transaction sincère au<br />
profit de la civilisation et des Arabes eux-mêmes ; c'est une transaction au<br />
profit du Coran et des bureaux arabes. A la vue du débordement de la coloni<br />
sation, elle veut essayer, pour les mieux défendre, de circonscrire ou de can<br />
tonner les tribus d'Arabes dans des espaces plus restreints » et Baudicour ap<br />
prouve les partisans du décantonnement » qui veulent mêler les colons aux<br />
Arabes en donnant simplement à ces derniers la possibilité d'aliéner leurs<br />
terres.<br />
(2) N 468, 1849, Cherchel 1" q. juillet et 2" q, novembre.
— — 168<br />
Bureaux arabes fourmillent d'accusations. Ici, il s'agit de prêts<br />
usuraires consentis à 60 ou 80 pour cent; là, de la vente de mar<br />
chandises de mauvaise qualité ou des prix exagérés demandés<br />
pour la moindre réparation ; plus loin, de l'entente entre les<br />
négociants d'Orléansville pour n'acheter le blé aux Indigènes<br />
qu'à un prix très bas; ailleurs de l'utilisation de fausses mesu<br />
res ou d'achats opérés par la contrainte après avoir arrêté sur<br />
la route les Indigènes se rendant au marché... etc.. (1). A tel<br />
point que Lapasset en arrive à considérer comme un « fait irré<br />
cusable que plus une tribu est rapprochée de nos centres de<br />
population, plus elle est turbulente, insolente, insoumise, voleuse<br />
et misérable; tandis que plus elle en est éloignée, plus elle est<br />
soumise, moralisée et possède le bien-être » (2).<br />
Dans un tel état d'esprit, on comprend que le Colon soit<br />
apparu aux Bureaux arabes comme un élément perturbateur<br />
de l'ordre établi. Ils dénoncèrent alors le cantonnement comme<br />
engendrant l'inquiétude dans les tribus et ils ne virent plus,<br />
dans cette mesure, qu'une spoliation dangereuse pour la sécurité<br />
du pays. Ils en arrivèrent à penser, comme autrefois Bugeaud,<br />
que les tribus la subiraient jusqu'à ce que l'occasion d'une<br />
révolte se présentât.<br />
L'évolution de Lapasset à cet égard est caractéristique. La<br />
question du cantonnement lui paraît « intimement liée à la paix<br />
du pays » (3) et nous avons vu qu'il considérait cette opération<br />
comme un véritable bienfait mais à condition qu'elle fût réali<br />
sée sur des bases équitables. Or, il constate que, dans la région<br />
de Philippeville par exemple, des tribus dont la population<br />
totalise 3.000 habitants ont subi jusqu'à quatre déplacements ;<br />
dans certains cas, on a laissé aux Indigènes un hectare par tête<br />
alors qu'en France, où la terre est plus fertile, on estime qu'il<br />
faut un hectare et demi (4). Il ne voit plus dans le cantonne-<br />
(1) Notamment N 448, 1853, Ténès, Inspection. N 465, 1848, Orléansville<br />
2" q. novembre ; Ténès 2* q. octobre. N 473, 1854, Ténès, août — G : rapports<br />
trimestriels, Orléansville 1856, 1860, 1862 à 1866 ; Ténès 1857, 1858, 1860, 1862,<br />
1864.<br />
(2) Lettre du 11-11-1862 à Lacroix (121) 367.<br />
(3) Lettre à Urbain du 1-12-1858 (121) 162.<br />
(4) Lettre à Lacroix du 30-12-1862 (121) 413.
— — 169<br />
ment que « vol et spoliation » ou « une loi agraire déguisée » (1) ; (<br />
et il en souligne les inconvénients pour les Indigènes : « En.con-<br />
tinuant à les parquer et à les resserrer à la mode française, onl<br />
les condamne à produire moins de céréales et avoir moins dej<br />
têtes de bestiaux. Partant, point de silos d'approvisionnement,'<br />
point de remède et point de dédommagement aux mauvaises<br />
années; par suite, la misère la plus profonde... » et, avec cela,<br />
une déplorable affaire financière,<br />
car chaque hectare cultivé<br />
par l'Indigène paie un impôt tandis qu'il en est affranchi lorsque<br />
la terre appartient à un Européen, bien que celui-ci la loue à<br />
un Indigène (2). A Napoléon III qui lui accorde un entretien, le<br />
30 juillet 1862, Lapasset donne son opinion sur le cantonnement :<br />
« J'ai cru d'abord, dit-il, au bien qu'apporterait cette mesure;<br />
j'y<br />
voyais une fin aux menaces perpétuelles de dépossession qui<br />
jetaient l'inquiétude dans les tribus et s'opposaient à toute<br />
espèce d'amélioration, de progrès; je croyais, alors, que tout en<br />
constituant la propriété, on pourrait se réserver des excédents<br />
de terre, pour l'émigration européenne. Mais diverses opérations<br />
de cantonnement dont j'ai été chargé, m'ont démontré que cette<br />
constitution de la propriété que je poursuivais existait parfaite<br />
ment chez les indigènes et malheureusement l'expérience m'a<br />
appris aussi qu'il ne fallait pas compter sur les immigrations<br />
européenne et française. » (3). N'est-ce pas d'ailleurs l'évo<br />
lution même des idées du maréchal Randon, défenseur ardent<br />
des Bureaux arabes, qui, comme gouverneur général, préconise<br />
le cantonnement et le condamne quelques années plus tard<br />
comme ministre de la guerre ? (4).<br />
On comprend par conséquent l'attitude du lieutenant-colo<br />
nel Gandil et du lieutenant-colonel Wolff que l'on peut consi<br />
dérer comme les représentants des Bureaux arabes au sein de<br />
(1) Lettres à Lacroix du 1-7-1862 et du 7 octobre 1862 (121) 352 et 360.<br />
(2) Lettre à Fleury du 18-11-1862 (121) 369.<br />
(3) (121) 391-392.<br />
(4) A. Duvernois (59) 68.
— — 170<br />
la commission de cantonnement de 1861 (1). Sans oser condam<br />
ner toutes les mesures de cantonnement, ils essayent d'en ré<br />
duire considérablement la portée.<br />
Wolff voudrait faire admettre le point de vue suivant :<br />
toutes les parcelles exploitées par les membres d'une tribu<br />
seraient obligatoirement attribuées en toute propriété à l'exploi<br />
tant; toutes les terres de parcours nécessaires à la tribu lui<br />
seraient attribuées collectivement, également en toute propriété,<br />
et la part de l'Etat ne pourrait jamais se composer que de l'ex<br />
cédent du territoire de la tribu soit en terres de cultures, soit<br />
en terres de parcours. A son avis il ne faut pas tant se « préoc<br />
cuper du mode de prélèvement à exercer au profit de l'Etat<br />
sur les terres Arch, que de reconnaître sur ces terres les droits<br />
légitimes des particuliers et des tribus ».<br />
Gandil, beaucoup plus catégorique que Wolff, arguant de<br />
la loi de 1851, conteste le droit de l'Etat à se ménager aucune<br />
réserve sur les terres Arch. Selon lui, les opérations de canton<br />
nement ont seulement pour but de reconnaître et de consolider<br />
(le mot est souligné dans te texte) les droits de propriété et de<br />
jouissance des Indigènes; dans tout autre cas le cantonnement<br />
serait une atteinte au droit de propriété. Il affirme aussi que<br />
le droit commun ne permet point à l'Etat d'exiger du détenteur<br />
du sol la preuve de son droit de possession ; l'Etat ne peut<br />
forcer le détenteur à faire cette preuve qu'en produisant d'abord,<br />
devant les tribunaux, des preuves qui feront présumer que la<br />
propriété est à lui.<br />
Wolff et Gandil se heurtent à l'opposition des défenseurs<br />
de la colonisation qui veulent que le cantonnement ait pour<br />
résultat de mettre entre les mains de l'Etat des ressources terri<br />
toriales assez considérables pour attirer vers l'Algérie un mou<br />
vement large et continu d'émigration européenne. On sait com<br />
ment la question fut résolue à l'avantage de la colonisation<br />
(1) Cette commission comprenait : de Maisonneuve, Inspecteur général<br />
général des Finances ; Lt Col. Wolff, chef du Bureau politique ; Testu, chef<br />
de division à la Direction générale des services civils ; Lt Col. Gandil, Direc<br />
teur divisionnaire des affaires arabes. Wolff et Gandil avaient été tous deux<br />
chefs de bureaux arabes ; Gandil notamment avait dirigé les bureaux de Té<br />
nès et d'Orléansville.
— — 171<br />
(voir p. 159), mais certains votes de la commission ne furent<br />
enlevés qu'à 3 voix contre 2 et Gandil refusa de voter l'ensemble<br />
du projet, craignant, dit-il, qu'il ne devînt « un instrument d'in<br />
justice » (1).<br />
Nous avons vu que le travail de la commission resta à l'état<br />
de projet et que les Bureaux arabes firent tous leurs efforts pour<br />
mettre fin aux opérations de cantonnement. Ils triomphèrent<br />
avec le sénatus-consulte de 1863 et la politique du Royaume<br />
arabe dont ils furent les instigateurs. La publication du sénatus-<br />
consulte n'impliquait pas cependant une victoire totale. En ap<br />
parence, c'était un cantonnement attribuant la totalité des terres<br />
aux Indigènes, mais il ne faut pas oublier que le sénatus-con<br />
sulte ordonnait non seulement la délimitation des tribus et la<br />
répartition des terres entre les douars, mais aussi la constitution<br />
de la propriété individuelle lorsque celle-ci n'existait pas, cons<br />
titution qui aurait permis aux Colons d'acheter des terres et<br />
de pénétrer jusqu'au cœur des tribus. C'est en ne réalisant pas<br />
cette dernière opération que les Bureaux arabes mirent un frein<br />
à la colonisation et sauvegardèrent le patrimoine indigène. Ils<br />
se bornèrent à délimiter les tribus et les douars, en classant les<br />
terres en différentes catégories : melk, terrains collectifs de<br />
culture, terrains communaux, biens domaniaux, domaine pu<br />
blic. Nous ne les suivrons pas dans ces travaux, d'abord parce<br />
qu'ils ne commencèrent dans notre région que tout à la fin de<br />
la période étudiée; ensuite, et surtout, parce qu'ils n'eurent pas<br />
d'influence marquée sur l'évolution des genres de vie indigènes.<br />
Il s'agit essentiellement d'une opération cadastrale qui ne s'ac<br />
compagne pas, comme le cantonnement, d'une modification de<br />
l'habitat et de l'habitation.<br />
(1) N 523, Projet de décret sur le cantonnement des indigènes, 1861.
— B<br />
LE CANTONNEMENT DES OULED-KOSSEÏR<br />
Dans l'Ouest du Tell algérois,<br />
on envisageait le cantonne<br />
ment de diverses tribus : Ouled-Younès, Béni-bou-Khannous,<br />
Sobah, Chenoua, Heumis, Medjadja... Pour ces deux dernières,<br />
on en parlait comme d'une chose toute proche en 1857 (1); les<br />
travaux commencèrent même chez les Heumis, mais ils furent<br />
abandonnés pour ne reprendre qu'en 1861-1862,<br />
tion de Capifali (2), et le revirement politique de 1863 y mit fin.<br />
sous la direc<br />
Trois tribus subirent seules le cantonnement et toutes les trois<br />
dans la plaine du Chélif : à l'Ouest les Ouled-Kosseïr, à l'Est les<br />
Abid et les Feraïlia; et chaque fois le cantonnement eut de gran<br />
des conséquences sur le genre de vie des Indigènes.<br />
I. —<br />
ORIGINE<br />
ET HISTOIRE DES OULED-KOSSEIR (3).<br />
Selon la tradition, la tribu des Ouled-Kosseïr, d'origine<br />
assez récente,<br />
remonterait au quinzième siècle. A cette époque,<br />
(1) Le sort des Medjadja était lié à celui des Heumis parce que les ma<br />
rabouts des Medjadja possédaient de nombreuses terres dans la tribu des<br />
Heumis.<br />
(2) G. Orléansville 3" T. 1857, 4* T. 1861 et 2« T. 1862.<br />
(3) Pour l'étude du cantonnement des Ouled-Kosseïr nous avons utilisé :<br />
a) Les Archives du Secrétariat du Sénatus-Consulte (voir bibliographie<br />
p. 404).<br />
b) Dans la série I du Gouvernement général de l'Algérie plusieurs let<br />
tres et rapports du dossier « Colonisation 1845-1870 » et la carte du<br />
cantonnement trouvé dans le dossier « Colonisation 1845-1877 (voir<br />
bibliographie p. 402).<br />
Dans la même série I divers rapports du bureau arabe d'Orléansville :<br />
3* et 4" T. 1856 ; 2" T. 1857 ; 1", 2e et 4e T. 1861 ; mars, avril et août<br />
1862, 2» T. 1862.<br />
Dans les séries L du Gouvernement général de l'Algérie des rensei<br />
gnements épars dans plusieurs dossiers : L 45 (une note du 22 juillet
— — 174<br />
un homme d'ascendance noble, issu des Méhal et nommé Am-<br />
mou-el-Kosseïr (1), vint s'établir dans la vallée du Chélif accom<br />
pagné d'un saint personnage qui le conseillait, Si Ahmed ben<br />
Abdallah. Prétendant descendre des Ommeïades et se croyant<br />
appelé à de hautes destinées, il travaille à se rendre maître du<br />
pays dans lequel il s'était fixé. Il avait épousé une femme chez<br />
les Béni-Rached et en avait eu trois fils, Bou Abdallah, T'nouri<br />
et Ali, qui devaient le seconder puissamment. Il sut se ménager<br />
de bonnes alliances et se créa une force armée avec le concours<br />
d'esclaves montés et celui des proscrits des tribus voisines aux<br />
quels il promettait des terres après la victoire (2).<br />
A cette époque le territoire actuel des Ouled-Kosseïr était<br />
occupé par les Chouchaoua, les Béni-Ouazzan, les Oulèd-Farès<br />
et les Heumis. Ammou attaqua successivement les Chouchaoua,<br />
les Béni-Ouazzan et les Ouled-Farès qu'il refoula sur les terri<br />
toires qu'ils occupèrent depuis. Loin d'affaiblir ses forces, la<br />
guerre ne faisait que les accroître,<br />
car la victoire encourageait<br />
tous tes déclassés à venir se joindre au vainqueur et ainsi<br />
se constitua, formée des éléments les plus variés, la puissante<br />
1862 de la Direction Générale des services publics et plusieurs lettres<br />
de la même année du gouverneur général ou de ses services) ; L 57<br />
(Terres cédées à la Société Algérienne) ; 1 L 219 (rapport du 18-1-<br />
1866 de la commission chargée du projet de création d'un centre à<br />
l'Oued Sly) ; 25 L 37 (Procès-verbaux du Conseil du gouvernement.<br />
8-11-1877).<br />
c) Plusieurs documents des Archives départementales d'Alger Colonies<br />
agricoles et Orléansville (voir bibliographie p. 406).<br />
d) Quelques documents provenant des Archives nationales N 465, 1848,<br />
1 q. février, 1" et 2" q. novembre ; N. 468, 1849, 1" q. décembre ; N.<br />
447, rapport du colonel commandant la subdivision d'Orléansville en<br />
date du 25 septembre 1852 ; N 472, rapport d'avril 1853 ; N 476, 1857,<br />
rapport de juillet ; N. 539, statistiques 1848.<br />
e) Les Tableaux de la situation des établissements français en Algérie :<br />
années 1844-1845, 1852-1854, 1856-1858, 1865-1866.<br />
f) Les B.O. 1859 p. 263 et surtout 1868 p. 670-673.<br />
g) Quelques renseignements dans Carette (173), Lapasset (121), A. Du<br />
vernois (59), Godin (151).<br />
(1) A cause de sa petite taille qui lui avait fait donner le surnom de<br />
Kosseïr (petit).<br />
(2) Nous suivons ici le rapport d'ensemble sur la délimitation de la tribu<br />
des Ouled-Kosseïr du 1" octobre 1867 (Archives du secrétariat du sénatus-<br />
consulte).
— — 175<br />
tribu des Ouled-Kosseïr, dans laquelle on devait compter 17<br />
fractions descendant des fils d'Ammou et à peu près autant<br />
provenant du bas-Chélif, des montagnes du Nord et du Sud et<br />
même du Sersou et du Sahara. La grande tribu des Heumis fut<br />
à son tour chassée de son territoire et l'une de ses fractions, celle<br />
des Béni-Zidja, s'incorpora volontairement aux vainqueurs.<br />
Leur puissance dut griser les Ouled-Kosseïr et, à la fin du<br />
XVIII""<br />
siècle, ils attaquèrent le khalifa du bey<br />
Ibrahim d'Oran<br />
alors que, suivant la coutume, il portait au Pacha d'Alger les<br />
impôts de la province de l'Ouest. Le khalifa se défendit éner-<br />
giquement et put continuer son voyage sur Alger, mais il avait<br />
perdu une partie des personnes de sa suite et, à son retour, il<br />
fut obligé de prendre le chemin des Sendjès et des Béni-Ouragh.<br />
Indigné, le bey Ibrahim appela aux armes les populations de<br />
l'Ouest pendant que le Pacha donnait l'ordre au bey du Tittery<br />
de se porter sur les Ouled-Kosseïr. Attaqués à l'Est et à l'Ouest<br />
ceux-ci, durement châtiés, prirent la fuite et se réfugièrent dans<br />
les tribus voisines. Leur territoire, rendu désert, fut déclaré pro<br />
priété du Beylik en l'an 1187 de l'hégire (1774).<br />
Les Turcs le laissèrent sans occupants pendant deux ans,<br />
mais il devint alors le lieu de rendez-vous des bandes de pil<br />
lards qui menaçaient les voyageurs.<br />
Pour mettre fin à cet état de choses le bey Ibrahim, en<br />
faisant appel aux Béni-Zoug-Zoug,<br />
aux Feraïlia et aux Ouled-<br />
Farès, constitua des zemoul (pluriel de zmala ou smala)<br />
qui vin<br />
rent s'établir sur l'ancien territoire des Ouled-Kosseïr. Mais<br />
ceux-ci, désireux de réoccuper leurs terres et bénéficiant du<br />
concours des pillards de la contrée, harcelaient sans cesse les<br />
nouveaux occupants. Les Turcs qui, avant tout, voulaient assu<br />
rer la sécurité sur l'artère essentielle que constituait la voie<br />
Alger-Oran, décidèrent alors, conformément à leur politique<br />
habituelle, de soutenir ceux qui paraissaient les plus forts. Ils<br />
réinstallèrent donc les Ouled-Kosseïr en les astreignant toute<br />
fois au paiement d'un impôt spécial représentant le prix de<br />
location de leurs anciennes terres devenues propriété du Beylik.<br />
La tribu se reconstitua rapidement et les Français la trouvèrent<br />
installée, comme jadis, sur les deux rives du Chélif, lorsqu'en<br />
1842, pour la première fois, ils traversèrent la plaine dans toute<br />
sa longueur.
II. —<br />
— — 176<br />
LE REFOULEMENT<br />
Ici comme ailleurs, la France hérita des droits du Beylik<br />
turc et se refusa à examiner les titres produits par les habitants,<br />
ces titres étant antérieurs à la confiscation prononcée par les<br />
Turcs. Mais quels étaient réellement ces droits ? Suivant Séri-<br />
ziat, chef du Bureau arabe de la subdivision d'Orléansville, la<br />
prise de possession par te Beylik des terres des Ouled-Kosseïr<br />
n'avait enlevé à ceux-ci aucun de leurs droits, sauf celui d'alié<br />
ner leurs champs à des étrangers, mais ils continuaient à héri<br />
ter, à louer et à jouir de leurs propriétés comme bon leur sem<br />
blait sous tous les autres rapports. Ils avaient en quelque sorte<br />
le domaine utile, le domaine éminent appartenant à l'Etat et,<br />
vu le droit spécial qu'ils payaient, on peut comparer leur situa<br />
tion à celle des détenteurs des terres de kharadj. Le terme ce<br />
pendant ne saurait être employé ici puisqu'il ne doit s'appliquer<br />
qu'à une terre enlevée à des non musulmans (1).<br />
Les faits.<br />
La théorie du cantonnement pouvait donc s'appliquer aux<br />
Ouled-Kosseïr, mais elle n'avait pas encore vu le jour lorsque,<br />
en 1843, les colonnes de Bugeaud occupèrent El Esnam et jetè<br />
rent les bases du futur centre d'Orléansville, d'abord simple<br />
(1) B.O. 1868 p. 670-671 ; G. série I, dossier « Colonisation 1845-1870 » :<br />
lettre du 8 août 1852 du général Ct la subdivision d'Orléansville au général<br />
Ct la division d'Alger ; G. série I, même dossier, rapport du 13-11-1855 sur<br />
le cantonnement des indigènes dans le cercle d'Orléansville ; Godin (151) 216-<br />
221 et 235-250.<br />
La similitude entre le kharadj et ce tribut payé comme « prix de la<br />
paix » est établi par le fait que dans l'administration du Bit El Mal divisée<br />
en quatre sections, c'était la même section ou chambre du kharadj qui per<br />
cevait le kharadj et les tributs analogues à celui dû par les Ouled-Kosseïr :<br />
Godin (151) 249. On trouve même ce tribut désigné par le mot hokor qui est<br />
synonyme de kharadj et le commissaire civil d'Orléansville précise en par<br />
lant des Ouled-Kosseïr que « c'est la seule tribu de la province d'Alger qui<br />
payât le hokor si fréquent et si important dans la province de Constantine »<br />
(A. Orléansville, carton 1, lettre au préfet de 23-3-1857). L'assimilation paraît<br />
abusive puisque Abd-el-Kader ayant supprimé le kharadj ou hokor payé par<br />
certaines terres maintint cependant le tribut payé par les Ouled-Kosseïr.
— 177 —<br />
camp autour duquel se groupèrent les premiers colons. Dès la<br />
fin de l'année, on comptait une population de 500 Européens et,<br />
en août 1845, une ordonnance décidait de créer une ville de<br />
2.000 âmes avec un territoire communal de 2.000 hectares. Le<br />
refoulement des Ouled-Kosseïr commençait. Sans recevoir au<br />
cune indemnité, car on les considéra comme de simples loca<br />
taires, ils perdirent près de 2.300 hectares auxquels vinrent<br />
s'ajouter en 1848 les terres nécessaires à la fondation des Colo<br />
nies agricoles de La Ferme et de Pontéba, soit environ 800 hec<br />
tares pour la première et 1.200 pour la seconde. De leur terri<br />
toire initial de 38.000 à 40.000 hectares, les Ouled-Kosseïr avaient<br />
donc abandonné 4.300 hectares (1).<br />
Le resserrement continua les années suivantes : le service<br />
du reboisement s'empara d'un millier d'hectares et il en fallut<br />
environ 2.000 autres pour le village du makhzen, les deux em<br />
placements de la smala des spahis et le pénitencier indigène de<br />
Lalla Aouda.<br />
La smala des mekhazenis et celle des spahis se rattachent<br />
à des conceptions générales de colonisation indigène que nous<br />
étudierons au chapitre suivant. Soulignons simplement ici l'im<br />
portance de ces deux créations.<br />
Le village du makhzen s'étendait au sud d'Orléansville,<br />
au voisinage du pénitencier de Lalla Aouda, dans une<br />
zone de collines boisées dominant la plaine d'une centaine de<br />
mètres; là se trouvaient surtout des jardins concédés aux cava<br />
liers du bureau arabe; la superficie totale qui, à l'origine, était<br />
de 170 hectares, se réduisit à moins d'une centaine par la suite.<br />
Il fallut opérer un prélèvement beaucoup plus important<br />
pour la smala des spahis non seulement à cause de son impor<br />
tance plus considérable, mais aussi par suite de son déplace<br />
ment. Nous verrons plus loin qu'une première smala fut établie<br />
(1) Il est difficile de connaître la superficie du territoire initial des Ou<br />
led-Kosseïr qui, suivant les documents, va de 36.000 hectares (dans un rap<br />
port de 1855) à plus de 40.000 (40.095 suivant M. Boyer-Banse). La Commis<br />
sion du Sénatus-consulte l'estima à 38.440 hectares. En ajoutant tous les<br />
prélèvements à ce qui resta aux Indigènes après le cantonnement nous avons<br />
trouvé environ 39.300 hectares, mais il n'est pas aisé de déterminer l'étendue<br />
exacte de chaque prélèvement à cause des renseignements contradictoires<br />
fournis par les documents.
— 178 —<br />
en 1844-1845 à l'ouest d'Orléansville sur un terrain d'une conte<br />
nance de 549 hectares affectant la forme d'un rectangle, longé<br />
au nord par la route d'Orléansville à Mostaganem et s'étendant<br />
de l'Oued Lalla Aouda à l'Oued Si el Aroussi. En 1853, ce terri<br />
toire fut abandonné, partie à des militaires indigènes qui y<br />
et la smala fut<br />
avaient bâti, partie à la colonisation française,<br />
transportée plus à l'ouest, sur l'Oued : Sly on accorda alors plus<br />
de 1.200 hectares à un escadron du premier régiment de spahis<br />
qui dressa un village de tentes autour d'un bordj (1).<br />
Quant au pénitencier de Lalla Aouda qui disposait de 200<br />
hectares, il mérite une mention spéciale. A l'origine les détenus<br />
indigènes étaient envoyés à la Casbah d'Alger, mais, faute de<br />
place, l'ordre fut donné à chaque subdivision de garder ses<br />
prisonniers. A Orléansville on eut l'idée (Lapasset en revendi<br />
que l'honneur) d'utiliser les prisonniers aux cultures d'un jardin<br />
d'essai que le Bureau arabe installa à quatre kilomètres au sud<br />
de la ville près de la fontaine de Lalla Aouda.<br />
L'exploitation prit de l'ampleur; des bâtiments s'élevèrent;<br />
on construisit des puits, une forge, un four et surtout un moulin<br />
qui fournit non seulement le pain des prisonniers, mais aussi,<br />
durant quelque temps au moins, celui des mekhazenis (établis<br />
à proximité) et des tribus voisines, heureuses pour un peu de<br />
blé ou d'orge, de pouvoir soustraire leurs femmes aux fatigues<br />
du moulin à bras. Sous la direction du bureau arabe, les prison<br />
niers, occupés dix heures par jour, construisirent un barrage<br />
sur l'Oued Ouaoua, se livrèrent au j ardinage, cultivèrent le tabac,<br />
essayèrent le coton, firent de nombreuses plantations d'arbres,<br />
travaillant avec goût lorsqu'il s'agissait d'espèces dont ils con<br />
naissaient l'utilité, comme le figuier, l'amandier, le caroubier;<br />
certains Indigènes d'autre part devinrent d'excellents forgerons.<br />
Devant de tels résultats, le colonel Borel de Brétizel, com<br />
mandant la subdivision d'Orléansville, ne tarit pas d'éloges sur<br />
son pénitencier auquel il trouve jusqu'à onze avantages, le der<br />
nier n'étant pas le moins inattendu : « C'est, dit-il, un achemi<br />
nement à la fusion des races : Européens et Arabes seront ras-<br />
(1) N 1138 : Bosquet Ct la subdivision d'Orléansville au Gl Levasseur Ct<br />
la division d'Alger le 26-5-1848 et Gouv. gl. au Dr des affaires civiles le 1-6-<br />
1S48. D. A. Orléansville, carton 1 : Gl Camou au Gouv. Randon le 28-10-1852.
~ 179 —<br />
semblés dans le même pénitencier. » Surtout il y voit Uii mer<br />
veilleux instrument de colonisation, car rendu itinérant, il pour^<br />
rait entreprendre d'importants travaux, comme la construction<br />
d'un barrage,<br />
ou préparer les terrains destinés à recevoir des<br />
villages ou de grandes fermes : le pénitencier deviendrait alors<br />
« un pionnier de1<br />
notre conquête et de notre civilisation » (1).<br />
Les résultats.<br />
Colonisation européenne et colonisation indigène conju<br />
guèrent donc leurs efforts pour réduire d'une manière sensible<br />
(de plus d'un sixième) le territoire occupé par les Ouled-Kosseïr.<br />
Ceux-ci se trouvaient chassés de la région d'Orléansville, ici<br />
comme ailleurs la création d'une agglomération européenne<br />
exerçant sur les Indigènes une action centrifuge avant de se<br />
manifester par un effet centripète.<br />
La conséquence immédiate de cette situation avait été de<br />
jeter une grande perturbation dans les questions de propriété,<br />
tant dans l'intérieur de la tribu que dans les rapports des Ouled-<br />
Kosseïr avec leurs voisins.<br />
A l'intérieur même de la tribu, le refoulement des proprié<br />
taires dépossédés avait déterminé un remaniement complet<br />
des propriétés restantes. Tous les ans les deux caïds (2) opé<br />
raient un nouveau partage des terres entre les cultivateurs et<br />
il en résultait des tiraillements énormes.<br />
Certains Ouled-Kosseïr manquant de terres empiétèrent sur<br />
le domaine de leurs voisins. Des contestations surgirent et, après<br />
les avoir réglées,<br />
pour en éviter le renouvellement l'année sui<br />
vante, le bureau arabe établit en principe que les divers douars<br />
auraient, jusqu'à ce qu'il en soit ordonné autrement, la libre<br />
jouissance des terres qu'ils avaient labourées en 1848 :<br />
chacun disposerait de son kseb, suivant l'expression du<br />
(1) N 447, Rapport du colonel commandant la subdivision d'Orléansville<br />
septembre 1852 et (121) 291. On peut rapprocher la méthode de Borel de Bré-<br />
tizel de celle qu'avait préconisée le colonel Marengo : Démontés (48) 385-442.<br />
(2) La tribu avait été divisée en Ouled-Kosseïr Chëraga et Ouled-Kos<br />
seïr Gharaba.
— 180
— 181 —<br />
la route qui relie ces deux villes coupe l'Oued Sly. Toutefois<br />
il faisait remarquer que les terrains pris étaient les plus fertiles<br />
et que, parmi ceux qui restaient aux mains des Ouled-Kosseïr, se<br />
trouvaient les mamelons de ceinture du Chélif et de l'Oued Sly<br />
qui n'étaient pas cultivables, servant seulement au pacage ou<br />
à l'exploitation des figuiers de Barbarie; il estimait que les<br />
terres cultivables ne couvraient pas plus de 18.800 hectares. Or,<br />
la population comptait 11.508 habitants, labourant en 1854 avec<br />
1.029 charrues. Comme en plaine une charrue labourait 15 hec<br />
tares en moyenne, 15.435 hectares avaient été ensemencés en<br />
1854. L'excédent des terres disponibles était tout juste suffisant<br />
pour laisser reposer, de temps en temps, les champs qui s'appau<br />
vriraient rapidement sans cela. Sériziat, auteur du rapport,<br />
attirait de plus l'attention sur le fait que grâce à la paix, à<br />
l'augmentation de la population (attribuée par lui pour une<br />
bonne part à la vaccination), à l'accroissement de la fortune,<br />
les surfaces cultivées augmentaient chaque année, doublant<br />
presque de 1848 à 1854. Comment songer dans ces conditions<br />
à prendre de nouvelles terres aux Ouled-Kosseïr ? Il demandait<br />
que l'on considérât le cantonnement comme achevé et que l'on<br />
délivrât aux Ouled-Kosseïr un titre collectif pour le reste des<br />
terres, en attendant la délimitation des concessions particulières.<br />
III. —<br />
Les opérations.<br />
LE CANTONNEMENT PROPREMENT DIT<br />
Ce travail de constitution de la propriété que réclamait<br />
Sériziat était, en fait, déjà entrepris chez les Ouled-Kosseïr et,<br />
dès 1852, le bureau arabe avait commencé à répartir entre les<br />
membres de la tribu, le territoire anciennement confisqué, avec<br />
l'intention d'accompagner chaque lot d'un titre individuel ; en<br />
1853 la besogne était fort avancée. Pour justifier ces travaux<br />
préparatoires, le bureau arabe pouvait se prévaloir de la cir<br />
culaire du général Charon du 15 juin 1849 portant que tout Indi<br />
gène qui aurait bâti une maison sur un terrain domanial rece<br />
vrait une concession de terre proportionnée aux dépenses qu'il<br />
aurait faites. Mais le véritable cantonnement ne commença qu'a-
— — 182<br />
près la circulaire de Randon, du 2 juin 1855,<br />
ordonnant la ces<br />
sation des mesures de refoulement et leur substituant le partage<br />
tel que nous l'avons exposé antérieurement.<br />
La commission de 1856 chargée d'élaborer le travail du<br />
cantonnement comprenait quatre membres dont le commandant<br />
supérieur d'Orléansville et Sériziai. Adoptant les idées de ce<br />
dernier, elle voulut maintenir aux mains des Ouled-Kosseïr la<br />
totalité de leur territoire et elle proposa d'orienter la colonisa<br />
tion vers les territoires des Medjadja, Sendjès, Ouled-Farès et<br />
Sbéah du Sud qui étaient moins peuplées. Elle réclama la déli<br />
vrance d'un titre collectif pour les Ouled-Kosseïr, faisant valoir<br />
que, sur le pied de trois hectares par tête sans distinction de<br />
sexe ni d'âge, il manquait à cette tribu 1.429 hectares (1). Mais<br />
la commission ne fut pas suivie et le cantonnement eut lieu,<br />
provoqué surtout par les besoins de la colonisation qui récla<br />
mait au moins 6.000 hectares dans la région.<br />
Il fallut déterminer tout d'abord le nombre des; intéressés,<br />
La population des Ouled-Kosseïr, nous l'avons vu, s'était grossie<br />
à toutes les époques de nombreux étrangers parmi lesquels se<br />
trouvaient un assez grand nombre de cultivateurs. Il fut admis,<br />
en principe, que les étrangers fixés, dans la tribu, depuis 20 ans<br />
au moins, y avaient acquis droit de cité, mais tous ceux qui ne<br />
remplissaient pas cette condition seraient privés de tout droit<br />
au bénéfice du cantonnement. D'autre part on accorda la qua<br />
lité de melk à toutes les acquisitions faites avant 1774.<br />
Après le prélèvement effectué par l'Etat, le partage entre<br />
les divers chefs de famille se fit au prorata des étendues qu'ils<br />
avaient cultivées jusqu'alors en tenant compte aussi des moyens<br />
de culture dont chacun pouvait disposer (2) ; des terrains com<br />
munaux furent assignés aux hameaux dont la commission avait<br />
déterminé l'emplacement. Pour chacun de ces hameaux fut<br />
établi un état nominatif des concessionnaires indiquant, en<br />
regard de chaque nom, les numéros et la contenance des lots<br />
ruraux et urbains dont la concession était proposée. Les opéra<br />
tions semblent avoir été menées assez rapidement : dès l'été<br />
(1) S. C. : séances de la commission du cantonnement du 21 avril et 12<br />
mai 1856.<br />
(2) Urbain s'est insurgé contre cette manière de procéder et a crié à<br />
l'arbitraire : Voisin (112) 122-125.
— — 183<br />
1857 elles étaient terminées (1), mais elles ne furent approuvées,<br />
par décision ministérielle, que le 15 octobre 1859; c'est seulement<br />
le 15 septembre 1860 qu'un arrêté du général commandant la<br />
division d'Alger accorda aux Ouled-Kosseïr désignés dans les<br />
états de la commission, la concession définitive des lots qui leur<br />
avaient été dévolus, et la délivrance des titres se fit attendre<br />
jusqu'en 1862.<br />
Quelle était la situation territoriale des Ouled-Kosseïr après<br />
ce cantonnement ? Ils perdaient encore 6.514 hectares et leur<br />
patrimoine se réduisait alors à 25.495 hectares. Il est vrai que<br />
l'administration militaire ne montra aucun empressement à<br />
remettre à l'administration civile les terres qui lui revenaient<br />
et elle ne le fit qu'à la demande réitérée du gouverneur général<br />
en 1862. De plus, les terres rendues disponibles furent tout<br />
d'abord louées aux Indigènes qui s'y installèrent et les labou<br />
rèrent.<br />
Ce cantonnement ne fut d'ailleurs pas considéré comme<br />
définitif. Dès 1859 il subissait quelques retouches : il fallut en<br />
retirer notamment quelques concessions faites en territoire mi<br />
litaire à des Européens (une centaine d'hectares environ) et<br />
qui avaient été comprises par erreur sur le plan de la tribu des<br />
Ouled-Kosseïr. Entre 1860 et 1862 eurent lieu plusieurs rema<br />
niements et l'Etat fut amené à rétrocéder une partie des terres<br />
qu'il avait acquises,<br />
en particulier : 159 ha. 27 a. destinés à<br />
accroître les terrains de parcours et 735 ha. 12 a. en faveur d'in<br />
dividus qui avaient été omis dans la répartition générale. D'au<br />
tre part, les Indigènes des Medjadja, des Sendjès et des Ouled-<br />
Farès protestèrent contre la délimitation faite par la commis<br />
sion de cantonnement qui avait abouti à la confiscation, au profit<br />
de l'Etat, de terrains ne devant pas être considérés comme do<br />
maniaux et dont ils prétendaient tenir la possession du bey<br />
d'Oran par acte authentique. Ils obtinrent gain de cause et,<br />
après allotissement, 924 ha. 09 a. leur furent attribués en<br />
1862 (2).<br />
(1) N 473, 1857, juillet. C'est donc à tort que le B.O. de 1868 fixe à 1858<br />
le début des opérations du cantonnement.<br />
(2) La rectification se fit dans sa majeure partie au profit des Medjadja.<br />
seigneurs religieux des Ouled-Kosseïr ; ils firent valoir des titres antérieurs<br />
à 1774. Pour les erreurs commises on peut se reporter à 3 notes du Domaine<br />
datées de 1861 (dans D.A. Orléansville, carton 1).
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Le cantonnernekc des Outed'KosSeîr ; partie Norrf. fit 4tf la tribu-<br />
£'-ecJle£U,<br />
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— 185^<br />
A l'Est on libère ainsi une parcelle de 823 hectares, le<br />
bled Ferdane (ou Faghdane), devant servir à la constitution du<br />
village de l'Oued-Fodda : en réalité cette parcelle sera cédée<br />
à la Société Algérienne en 1865 et il faudra, en 1873,<br />
une rétro<br />
cession pour fonder le territoire d'Oued-Fodda, en y joignant<br />
d'autres terres acquises, surtout par échanges,<br />
et les Attafs (1).<br />
avec les Sindjès<br />
A l'Ouest, s'étendait la réserve domaniale la plus impor<br />
tante : au nord, sur la rive droite du Chélif, la terre d'Ardh-el-<br />
Beïda, d'une superficie de 369 hectares, mais un peu isolée en<br />
raison de l'interposition du fleuve,<br />
non guéable pendant la<br />
saison pluvieuse; sur la rive gauche, le bled Bou-Zoutat, bloc<br />
compact de 1.805 hectares auquel s'ajoutait, un peu plus au<br />
sud, sur les hauteurs dominant la gorge de l'Oued Sly, 337 hec<br />
tares d'un terrain rocailleux propre seulement au parcours des<br />
troupeaux. On songeait à utiliser les terres de la rive droite<br />
pour créer des fermes isolées ou un hameau, et celles de la<br />
rive gauche pour établir un centre important; mais, là aussi, les<br />
projets furent abandonnés par suite de la politique de Napo<br />
léon III favorable aux grandes compagnies : la Société Algé<br />
rienne obtint le bled Bou-Zoutat et, en 1869, Malakoff fut cons<br />
titué avec des terres prélevées sur l'ancienne smala des spahis;<br />
plus tard on dut acheter à. la Compagnie Algérienne la majeure<br />
partie de la superficie nécessaire à l'agrandissement.<br />
Ainsi, en deux groupes de parcelles, la colonisation dispo<br />
sait à l'origine de 3.334 hectares. Si l'on ajoute le territoire<br />
formant la commune d'Orléansville (avec La Ferme et Pon-<br />
téba),<br />
on voit qu'elle avait pénétré profondément à l'intérieur<br />
de la tribu des Ouled-Kosseïr qui se trouvait disloquée en trois<br />
tronçons : l'un, au nord-est, sur les deux rives du Chélif; l'autre,<br />
au nord, entièrement sur la rive droite; le troisième, au sud,<br />
totalement sur la rive gauche. Les réserves forestières ajou<br />
taient encore à ce morcellement, en particulier le territoire<br />
effilé des Montagnes Rouges entre la plaine actuelle du Chélif<br />
et celle des Adjeraf.<br />
(1) G. L 57 : Terres Société Algérienne ; G. 1 L 219 : Projet de création<br />
d'un centre à l'Oued Sly.
— 186 —<br />
Le cantonnement s'accompagna de la création de hameaux<br />
ou de villages (qualifiés de douars sur la carte). On en compte<br />
44 formés pour la plupart de maisons construites en maçonnerie,<br />
mais couvertes en chaume (1). Certains de ces hameaux occu<br />
pent une position centrale par rapport à leur territoire, mais<br />
le plus souvent ils sont assez excentriques parce que les condi<br />
tions nécessaires à leur établisement ne se rencontraient pas<br />
partout et parce qu'il avait fallu tenir compte des habitudes<br />
antérieures de groupement, de l'emplacement habituel des<br />
mechtas. Ce qui frappe, c'est l'importance souvent très réduite<br />
des communaux ou plutôt leur répartition très inégale : en par<br />
ticulier au nord et au nord-est, certains douars en manquent<br />
totalement. Yusuf avait attiré l'attention sur ce fait, mais l'attri<br />
bution complémentaire de 159 hectares de terres de parcours<br />
avait peu modifié cette situation (2). La vie du troupeau se<br />
trouvait donc conditionnée par la jachère. Les forêts, en effet,<br />
n'étaient à peu près d'aucun secours : seul le massif forestier<br />
des Medjadja, à l'extrémité septentrionale du territoire, se trou<br />
vait grevé de droits d'usage, les autres, maigrement peuplés ou<br />
en voie de reboisement depuis 1853, avaient été soumis au<br />
régime forestier et dégagés de servitudes de toute espèce (3).<br />
Quant aux lots reçus par les différents attributaires, le plan<br />
montre qu'ils étaient d'importance très variable, mais le plus<br />
souvent peu étendus, moins de 10 hectares (4). Chaque proprié<br />
taire devait recevoir un titre de propriété portant au verso le<br />
(1) Le sénatus-consulte appliqué en 1868 répartit ces hameaux en 5<br />
douars de la manière suivante :<br />
El Adjeraf : 9 hameaux comptant 2.331 habitants.<br />
Chembel : 10 hameaux comptant 1.941 habitants.<br />
Oum-el-Drou : 8 hameaux comptant 1.381 habitants.<br />
Sidi-el-Aroussi : 9 hameaux comptant 1.415 habitants.<br />
Sly<br />
: 8 hameaux comptant 1.741 habitants (B.O. 1868).<br />
(2) Sur 36 villages dont nous connaissons la superficie des communaux,<br />
23 ne disposaient que de 25 hectares ou moins.<br />
(3) Pour être tout à fait exact il faut ajouter que, pendant plusieurs<br />
années, le bois de Sidi-Ahmed ben Youssef (sur la rive droite du Chélif, à<br />
l'est de Pontéba) fut maintenu comme pâturage à des Indigènes locataires.<br />
(4) Nous avons l'état de lotissement des terres données chez les Od Kosseïr<br />
aux Medjadja, Sindjès, Od Farès ; 37 lots sur 72 ont moins de 10 hecta<br />
res et 30 (sur les 72) appartiennent à plusieurs propriétaires.
— — 187<br />
plan de son lot et cette exacte détermination territoriale, par<br />
plans topographiques, constituait dans la région une grande<br />
nouveauté. Comme nous l'avons dit, ces titres se firent attendre.<br />
Au mois de septembre 1860, Chasseloup-Laubat, Ministre de<br />
l'Algérie et des Colonies, à l'issue de la revue passée par l'Em<br />
pereur sur le champ de manœuvres de Mustapha (Alger) déli<br />
vra de sa propre main les titres de propriété qui concernaient<br />
les Indigènes des Ouled-Kosseïr présents à la revue. Les autres<br />
titres furent distribués à Orléansville, en avril 1862,<br />
qui commandait la division, et Capifali,<br />
par Yusuf,<br />
chef du bureau arabe.<br />
Celui-ci nous a laissé une relation de cette importante céré<br />
monie :<br />
« Le grand événement du. mois, écrit-il, a été la cérémonie<br />
de la remise des titres de propriété aux Ouled-Kosseïr. Monsieur<br />
le général commandant la division est entré le 9 avril dans la<br />
subdivision d'Orléansville. Il a été reçu à la limite par le chef<br />
du bureau arabe à la tête d'une escorte composée en grande<br />
partie des cavaliers du goum des Ouled-Kosseïr. Le même jour,<br />
il a visité un grand nombre de villages de nouvelle création<br />
dans cette tribu, et, le soir, il a campé à Pontéba, où l'attendait<br />
le commandant de la subdivision.<br />
« Le 11 avril la cérémonie de la remise des titres a eu lieu<br />
avec une grande pompe. Tous les chefs indigènes du cercle,<br />
tous les chefs de tente des Ouled-Kosseïr, de fortes députations<br />
des autres tribus et les goums du cercle avaient été rassemblés<br />
sur l'emplacement du marché arabe pour y assister. Les habi<br />
tants des 44 villages des Ouled-Kosseïr formaient autant de<br />
groupes séparés ayant à leur tête chacun leurs chefs.<br />
« Monsieur le général commandant la division a distribué<br />
lui-même un certain nombre de titres par village. Se plaçant<br />
ensuite au milieu des indigènes, il leur a adressé un discours<br />
religieusement écouté et parfaitement compris, dans lequel il<br />
a montré les avantages immenses que les Ouled-Kosseïr retire<br />
raient de leur agglomération en villages et de la constitution<br />
définitive de leurs propriétés. Traçant ensuite à grands traits<br />
un tableau de l'état actuel de la société arabe et la comparant<br />
à ce qu'elle était il y a quelques années, il a rappelé tout ce<br />
que le gouvernement avait fait pour elle et tout ce qu'elle devait<br />
à la bienveillante sollicitude du chef de l'Etat. Son discours s'est
— 188-<br />
terminé par le cri de Vive l'Empereur que les indigènes ont<br />
répété avec enthousiasme.<br />
« Cette cérémonie laissera de profonds souvenirs dans la<br />
population du cercle d'Orléansville. » (1).<br />
IV. —<br />
LES<br />
CONSEQUENCES<br />
Capifali est satisfait : selon lui, « les Ouled-Kosseïr sont<br />
heureux d'être chez eux » (2). On espérait en effet beaucoup<br />
du cantonnement. On y voyait tout d'abord le moyen de dresser<br />
un cadastre parfaitement clair. On était persuadé que, munis<br />
de leurs titres de propriété, les Indigènes allaient mettre en<br />
culture une quantité considérable de terrains qu'ils n'osaient<br />
cultiver dans la crainte d'en être bientôt dépouillés. Le canton<br />
nement devait être à l'origine de tous les progrès agricoles et,<br />
dès 1857, Sériziat affirme que les procédés de culture évolue<br />
ront avec la transformation de l'état de la propriété. « A l'appui<br />
de cette assertion, écrit-il, nous pouvons citer la tribu des Ouled-<br />
Kosseïr, aujourd'hui cantonnée,<br />
chez lesquels nous constatons<br />
avec plaisir que les cultures sont plus soignées que précédem<br />
ment. Chacun est possesseur d'un lot qu'il tourne et retourne<br />
à sa guise et nous avons certains cultivateurs de cette tribu qui<br />
ont passé la charrue jusqu'à trois fois dans le même ter<br />
rain. » (3). Malheureusement, c'est à peu près l'unique note opti<br />
miste que l'on relève sous la plume de ceux qui ont parlé de ce<br />
cantonnement.<br />
Nul ne conteste l'état particulièrement net de la propriété<br />
au lendemain des travaux du bureau arabe, mais comme le note<br />
un juriste, M. Boyer-Banse : « Le vice du cantonnement c'était<br />
de créer pour le présent une situation foncière excellente, mais<br />
de ne rien prévoir pour l'avenir. Au lendemain de la délivrance<br />
des titres, la propriété constituée tombait sous l'action de la loi<br />
et des coutumes indigènes, sans que le législateur français eût<br />
(1) G. Orléansville, avril 1862.<br />
(2) G. Orléansville, mars 1862.<br />
—<br />
189"<br />
ménagé aucun moyen de réaction contre ce résultat, destiné<br />
fatalement à réduire à néant les effets de l'opération du can<br />
tonnement. » (1). Ce vice, il est vrai, ne devait apparaître qu'à<br />
la longue et jusqu'à nos jours la propriété chez les Ouled-Kos<br />
—<br />
seïr a conservé une netteté relative.<br />
Ce qui immédiatement fut mis en cause, c'est la réparti<br />
tion des propriétés et la construction des villages. Malheureu<br />
sement nous n'avons pour nous éclairer que les jugements d'en<br />
nemis déclarés du cantonnement comme Lapasset et Duvernois.<br />
Le premier revient à Orléansville en 1853, après onze ans d'ab<br />
sence, et décrit à son ami Lacroix l'état pitoyable de la contrée :<br />
« La plus belle tribu d'Orléansville, les Ouled-Kosseïr, qui<br />
comptait de mon temps 14.000 âmes, qui possédait de nombreux<br />
troupeaux, des chevaux, de riches cultures, est diminuée de<br />
moitié et ruinée, complètement ruinée.<br />
« On a parqué ces malheureux dans de prétendus (souligné<br />
dans le texte) villages de 100 maisons chacun. Les habitations,<br />
construites par nos soldats, à la façon des gourbis des camps,<br />
tombent déjà en ruines; la maladie y a pris domicile. Pour<br />
apporter le bois, le diss, les pierres nécessaires à ces construc<br />
tions, toutes les tribus ont été mises en réquisition et on les a<br />
abîmées de corvées.<br />
« Quant au partage des terres, Babeuf n'aurait pas fait pire.<br />
On a d'abord pris pour les colons tous les terrains fertiles, sans<br />
exception, on a associé le serviteur au maître, le khammès au<br />
fellah. A un individu qui labourait beaucoup, mais qui ne savait<br />
pas se remuer, on a donné peu de terres!, à un intrigant qui<br />
n'avait pas de moyens de culture, mais qui avait de l'entregent,<br />
on a donné des espaces qu'il ne pouvait mettre en valeur. Bou<br />
leversement moral, révolution sociale et agricole, résument fai<br />
blement ce chaos anarchique.<br />
« Des titres de propriété ont été donnés à ces malheureux.<br />
Déjà l'élément usurier a pris siège au milieu d'eux. Pour quel<br />
ques écus avancés, pour une balle de farine, certains d'entre eux<br />
(1) Boyer-Banse (145) 53.
-190-<br />
ont déjà été, évincés. Ils errent sans asile; leurs compagnons ne<br />
tarderont pas à les suivre... » (1).<br />
Duvernois qui écrit en 1865, fait un tableau analogue de<br />
la situation, accusant même l'autorité militaire d'avoir multiplié<br />
les corvées dans le dessein d'exposer les Indigènes à de nom<br />
breuses amendes. Selon lui, les Ouled-Kosseïr abandonnent leurs<br />
terres qui tombent aux mains de spéculateurs sans scrupules :<br />
plutôt que de faire une dépense au-dessus de leurs moyens en<br />
construisant une maison, ils ont préféré renoncer à leurs droits<br />
et émigrer vers1 le territoire civil (2).<br />
Signalée à la fois par un représentant de l'autorité militaire<br />
et par un adversaire résolu des Bureaux arabes, cette déposses<br />
sion des Ouled-Kosseïr, au lendemain du cantonnement, est un<br />
fait essentiel sur lequel les archives nous permettent d'apporter<br />
quelques précisions. On se doutait bien que la constitution de la<br />
propriété individuelle faciliterait les transactions immobilières<br />
entre Européens et Indigènes, mais le bureau arabe pensait,<br />
d'une part, que les ventes cesseraient vite par suite de la plus-<br />
value que prendraieent les propriétés, et que, d'autre part, les<br />
Colons s'introduisant au sein de la tribu, serviraient d'exemples<br />
aux Indigènes et seraient autant de moniteurs en matière d'agri<br />
culture.<br />
Les illusions ne durèrent guère. A l'approche de l'hiver<br />
nombre d'Indigènes, peu soucieux de l'avenir et poussés par le<br />
besoin à la suite d'une sécheresse exceptionnelle (3), cédèrent<br />
leur lot parfois à 20 ou 25 francs l'hectare, le plus souvent à<br />
5 ou 10 francs. Beaucoup vendaient aussi parce qu'ils n'avaient<br />
pas confiance dans l'ordre des choses établi et ils préféraient<br />
vendre à des Européens parce que, disaient-ils,<br />
(1) Lettre à Lacroix du 2-6-1863 (121) 456.<br />
(2) A. Duvernois (59) 88.<br />
« si l'Etat con-<br />
(3) Le rapport d'Orléansville de mai 1862 après avoir signalé que la ré<br />
colte sera nulle en plaine donne sur le climat de l'année les précisions sui<br />
vantes : « Un vent du sud fort chaud pour la saison est venu, dans la pre<br />
mière quinzaine de mai, détruire l'effet des pluies d'avril qui avaient en par<br />
tie réparé les dommages causés par la sécheresse du mois de mars ». Toute<br />
l'incertitude du climat chélifien est dans cette phrase.
testait plus tard ce don gracieux qu'il nous a fait, l'Européen<br />
saura toujours se défendre, tandis que l'indigène aura recours<br />
sur nous si nos droits nous étaient contestés » (1). Les ventes<br />
furent surtout importantes chez les Ouled-Kosseïr Chéraga, dans<br />
les villages situés près d'Orléansville et dont les habitants ser<br />
vaient les Colons ou se livraient à diverses industries; toutefois<br />
les vendeurs sauvegardèrent toujours leur lot urbain. Au total,<br />
quand la commission du sénatus-consulte entreprendra ses tra<br />
vaux, cinq ans plus tard, 2.000 hectares auront été vendus dans<br />
la seule fraction des Ouled-Kosseïr Cheraga. Dès 1862, des vil<br />
lages entiers comme celui de Chekalil étaient tombés aux mains<br />
des Européens. Les terres achetées furent à peu près toujours<br />
louées à des Arabes et l'Etat renonça ainsi à une partie consi<br />
dérable de l'impôt d'achour en faveur de gens qui n'améliorè<br />
rent en aucune façon les propriétés acquises.<br />
Parmi les spéculateurs, l'un s'illustra particulièrement, le<br />
sieur Casanova, d'Orléansville;<br />
servi par des courtiers qui cir<br />
culaient dans la tribu, il s'était rendu acquéreur de plus de 800<br />
hectares dans les premiers mois qui suivirent la remise des<br />
titres. Un moment même il monopolisa les achats et, dans la<br />
région, on disait qu'il était le représentant d'une compagnie<br />
achetant les terres en vue des expropriations pour cause d'utilité<br />
publique qui seraient faites par la Compagnie du Chemin de<br />
fer d'Alger à Oran à des prix très avantageux pour les expro<br />
priés. Il semble bien que Casanova n'ait travaillé que pour lui-<br />
même et nous retrouvons ce spéculateur de grande envergure<br />
en d'autres régions où la colonisation devait chercher à établir<br />
des centres : à Oued-Fodda, en 1868, il est acheteur d'environ<br />
2.000 hectares avoisinant le caravansérail; dans la commune<br />
mixte d'Inkermann quelques années plus tard il possède 1.800<br />
hectares qu'il loue à des Indigènes ou qu'il laisse en friches; et<br />
il est probable qu'il ne s'agit pas là de la totalité de ses biens (2).<br />
(1) G. Orléansville 2» T. 1862 et août 1862.<br />
(2) G. I « Colonisation 1845-1877 », Lettre du Gl Ct la subdivision de Mi<br />
— liana au Gl Ct la Province d'Alger (21 août 1868) G. 25 L, dossier 37 : Pro<br />
— cès-verbaux du Conseil de Gouvernement (8-11-1877) D.A. Colonies agri<br />
coles : Commissaire civil au préfet le 17-2-1860.
— Ï92 —<br />
Quant aux villages dont devaient bénéficier tes Indigènes,<br />
il est certain que leur construction fut laborieuse, puisqu'elle se<br />
poursuivait encore en 1861. Voici ce qu'en disait, à cette époque,<br />
le général commandant la subdivision d'Orléansville : « Le<br />
cantonnement des Ouled-Kosseïr se poursuit et la construction<br />
des villages sera poussée plus activement encore après les<br />
labours. A propos de ces villages, je dois dire que les plans sur<br />
lesquels nous sommes forcés de les établir sont très défectueux<br />
et qu'il serait bien à désirer qu'à l'avenir, les personnes chargées<br />
de l'établissement de ces plans fissent cette besogne avec plus<br />
de soin et même de raison.<br />
« Des villages vont se trouver établis sur des croupes où<br />
l'on ne peut construire de gourbis, ni placer une tente. Des jar<br />
dins doivent être endommagés pour faire des places où les<br />
gourbis doivent être construits ou pour donner passage à des<br />
rues. En général aussi les lots urbains sont trop petits, les chefs<br />
de famille ne pourront s'y établir avec leurs chevaux, leurs<br />
bœufs de labour, leurs meules de paille, leurs volailles, etc..<br />
etc.. » (1).<br />
Est-il exact que les Ouled-Kosseïr furent ruinés à la suite<br />
du cantonnement ? L'opinion de Lapasset ou de Duvernois ne<br />
saurait suffire. Rapportons-nous en aux chiffres dans la mesure<br />
où l'on peut leur faire confiance. En puisant à des sources di<br />
verses (2)<br />
nous avons établi le tableau suivant qui nous ren<br />
seigne mieux que tes impressions d'un voyageur :<br />
(1) G. « Colonisation 1845-1870 », Rapport « colonisation du général<br />
commandant la subdivision d'Orléansville, le 5-1-1861.<br />
(2) Tableaux de la situation des établissement français 1844-45 p. 514 et<br />
1865-66 p. 511 ; Carette (173) 471 —<br />
N 539, statistiques de 1848 et N 447, sta<br />
tistiques de 1852 dans rapport du colonel commandant la subdivision d'Or<br />
léansville ; B.O. 1868 p. 672 ; D.A. Orléansville, lettre de Yusuf Ct la Division<br />
d'Alger au Directeur des Services civils (18-5-1861).
Années POPULATION<br />
— — 193<br />
Bœufs<br />
et<br />
Vaches<br />
Moutons<br />
et<br />
Chèvres<br />
Chevaux<br />
Mulets<br />
1844-1845 8.953 (1). 2.379 22.545 619 127<br />
1848 8.288 2.331 16.760 427 95<br />
^eraga 5 711<br />
1852 10.885 j( Gharaba 5.174.<br />
1861 13..000 (2).<br />
1866<br />
8.616. j^fî<br />
( Gharaba 4.738.<br />
1.708 21.195 431 99<br />
1868 8.809. 3.567 21.971 780 234<br />
(1) Carette donne 9.000.<br />
(2) Chiffre donné par Yusuf qui commandait la division d'Alger.<br />
Lapasset, comme nous l'avons vu plus haut, estimait que<br />
de son temps, c'est-à-dire justement vers 1852, les Ouled-Kosseïr<br />
comptaient 14.000 habitants, jouissant d'une grande prospérité.<br />
Les statistiques, qu'il avait peut-être contribué lui-même à éta<br />
blir, montrent,<br />
en ce qui concerne la population tout au moins,<br />
que sa mémoire le trompait. Quant à la prospérité, si on l'appré<br />
cie uniquement d'après l'évolution démographique,<br />
elle paraît<br />
incontestable, la tribu gagnant près de 2.000 habitants en sept<br />
ans, malgré la chute imputable aux troubles des années<br />
1845-<br />
1847 (1). Mais c'est là un mauvais critérium : la fortune n'a pas<br />
augmenté dans les mêmes proportions ;<br />
elle est au contraire<br />
sensiblement moindre comme le montrent les chiffres du trou<br />
peau. On peut affirmer qu'il y<br />
a eu appauvrissement puisque<br />
en 1852 on dénombre moins de 2 moutons ou chèvres par tête<br />
d'habitant, tandis qu'il y<br />
en avait plus de 2,5 en 1844. On<br />
comptait alors 3,7 habitants pour un bœuf; 14.4 pour un cheval<br />
et 70,5 pour un mulet contre 6,3; 25,2 et 109,9 pour les mêmes<br />
espèces en 1852. Il ne paraît pas exagéré d'estimer à un quart,<br />
m Le BO 1859 p. 263, à propos de la délimitation des arrondissements<br />
du département d'Alger, attribue aux Ouled-Kosseïr 16.150 habitants. Un<br />
accroiiementparkit peu probable. Mais le sens du mouvement n'est<br />
pareill cantonne-<br />
pas douteux : la population s'est accrue jusqu'à l'achèvement du<br />
ment.<br />
l
— 194 —<br />
et peut-être même à un tiers, la réduction de la fortune par<br />
tête d'habitant. Et l'on ne saurait imputer cette évolution au<br />
cantonnement qui n'avait pas encore eu lieu : les troubles dus<br />
à l'insurrection de Bou-Maza et les mauvaises récoltes consti<br />
tuent des explications suffisantes.<br />
La comparaison entre les statistiques de 1868 et celles de<br />
1852 n'est pas moins intéressante. Le phénomène de dépossession<br />
signalé précédemment a été suivi d'un recul démographique<br />
sensible, puisque, en 1868, la population totale n'atteint pas le<br />
chiffre de 1845, la perte par rapport à 1852 étant de plus de<br />
2.000 unités, de plus de 4.000 par rapport à 1861. Les<br />
documents de 1866 nous permettant d'examiner séparément les<br />
Ouled-Kosseïr Chéraga et les Ouled-Kosseïr Gharaba, nous pou<br />
vons constater que le recul a été beaucoup plus accusé chez tes<br />
premiers que chez les seconds, les uns perdant 1.843 habitants<br />
et les autres 436 pour des populations numériquement compa<br />
rables à l'origine. Ce premier point paraît acquis : le canton<br />
nement a chassé l'Indigène (1).<br />
Mais quelle est la situation de ceux qui sont restés attachés<br />
à leur sol ? Non seulement ils ont retrouvé leur état de fortune<br />
de 1844, mais ils l'ont souvent dépassé comme le montre le<br />
tableau :<br />
TROUPEAUX<br />
Moutons et chèvres<br />
Bœufs<br />
Chevaux<br />
Mulets<br />
TÊTES DE BÉTAIL PAR HABITANT<br />
1844<br />
0,014<br />
0,26<br />
0,06<br />
2,52<br />
1848<br />
2,02<br />
0,28<br />
0,05<br />
0,011<br />
1852<br />
1,94<br />
0,15<br />
0,03<br />
0,009<br />
1868<br />
2,49<br />
0,40<br />
0,08<br />
0,026<br />
(l)On ne peut invoquer en effet les conséquences de la famine car le dé<br />
cret de répartition des Ouled-Kosseïr (en application du sénatus-consulte de<br />
1863) est de février 1868 et le dénombrement doit dater vraisemblablement<br />
du début de 1867, antérieur par conséquent à la catastrophe. La population<br />
de 1866 est d'ailleurs légèrement inférieure à ceUe de 1868 tandis qu'en 1872,<br />
après la famine, on ne compte plus chez lies Ouled-Kosseïr que 7.768 habi<br />
tants.
— 195-<br />
En somme nous assistons à un phénomène analogue à celui<br />
que l'on a pu observer dans tous les centres de colonisation fran<br />
çaise : les plus faibes sont partis, tes autres ont amélioré leur<br />
situation. Doit-on juger la colonisation sur la misère des colons<br />
vaincus ou sur la prospérité de ceux qui surmontèrent tous les<br />
obstacles ? Le jugement doit être nuancé. De même pour le<br />
cantonnement des Ouled-Kosseïr (1).<br />
(1) Il serait intéressant de connaître la propriété par tête d'habitant en<br />
1852 et en 1868. Les statistiques sont incomplètes. Nous pouvons toutefois<br />
risquer une estimation. En 1852, avant le cantonnement proprement dit et<br />
déduction faite de 1181 hectares de terrains forestiers, les Ouled-Kosseïr pos<br />
sédaient 31.920 hectares soit 2 ha 93 a par habitant. Après le cantonnement,<br />
les Indigènes ne disposaient plus que de 27.193 hectares dont une partie tom<br />
ba aux mains des Européens. Pour apprécier l'importance de celle-ci nous<br />
n'avons qu'un renseignement : près de 2.000 hectares perdus par les Ouled-<br />
Kosseïr Chéraga. Sachant que cette réduction s'est accompagnée d'une ré<br />
gression démographique de 1823 habitants alors qu'elle n'a été que de 436<br />
pour les Ouled-Kosseïr Gharaba nous croyons ne pas trop nous éloigner de la<br />
2.000 X 436<br />
■<br />
réalité en évaluant à = 533 hectares les pertes subies par ces<br />
1823<br />
derniers ce qui porte à 2.500 hectares environ le recul territorial de la tribu<br />
entière. Pour une superficie restante de 25.660 hectares nous trouvons 2 ha<br />
91 a par habitant. Contrairement à ce qui a eu lieu dans les villages de co<br />
lonisation, ceux qui sont demeurés n'ont pas accru l'étendue de leurs biens et<br />
ont seulement conservé les positions acquises.
c —<br />
LE CANTONNEMENT DES ÀBID-ET-FERÀILIA<br />
Il n'offre pas la même importance que celui des Ouled-<br />
Kosseïr : il intéresse un territoire moins étendu et une popula<br />
tion moins nombreuse. Il mérite cependant que l'on s'y arrête<br />
comme représentant un type particulier : le cantonnement<br />
simultané d'un groupe de tribus; et parce qu'il eut d'importan<br />
tes répercussions, non seulement sur le genre de vie des Indigè<br />
nes, mais aussi sur la colonisation de toute la plaine orientale<br />
du Chélif (1).<br />
(1) Nous ne disposons pas pour cette étude de renseignements aussi pré<br />
cis que pour les Ouled-Kosseïr : la carte de l'allotissement manque et les sta<br />
tistiques sont d'une interprétation délicate. La documentation repose sur les<br />
B.O. 1859 et 1868 ; Estoublon et Lefébure (139) 397 et 405 ; Duvernois (59)<br />
88-89 ; les Tableaux de la situation des établissements français 1844-1845 p.<br />
494, 1865-1866 p. 509 ; et surtout les Archives :<br />
1) G. série I, dossier « Colonisation 1845-1870 » : lettre du maréchal de<br />
camp Ct la subdivision de Miliana au général Ct la division d'Alger<br />
(4-2-1848) ; Rapport sur le cantonnement des tribus par le chef du<br />
bureau arabe de Miliana (1-11-1855) ; lettre du Maréchal Randon au<br />
général Ct la province d'Alger (14-3-1858).<br />
2) G. série I, rapports de Miliana 4" T. 1856 et 1" T. 1857.<br />
3) G. série II, registre de correspondance n° 255 (de la subdivision de<br />
Miliana à la division d'Alger) : en particulier les lettres du 25-11-<br />
1856 ; 24-2-1857 ; 11-9-1857 ; 13-9-1857 ; 30-10-1857 ; 24-11-1857 et<br />
7-1-1858.<br />
4) G. 1 L 166 : abondante correspondance entre le Gouverneur général<br />
et le Préfet d'Alger à propos de l'agrandissement projeté de Duperré ;<br />
lettre du Directeur des Domaines d'Alger au Gouverneur général le<br />
19 octobre 1883.<br />
5) N 539, 542, 447, 449 pour statistiques 1848, 1852, 1854 ; N 476, 1857, Mi<br />
liana, rapport annuel ; N 465, 1848, Miliana, 2" q. juin.<br />
6) Archives du Secrétariat du Sénatus-Consulte (voir bibliographie).<br />
7) Quelques documents dans les Archives du Val de Grâce et celles du<br />
département d'Alger (voir bibliographie).
I. _<br />
AVANT<br />
La terre dont il s'agit,<br />
198-<br />
LE CANTONNEMENT<br />
située dans la partie occidentale de<br />
la plaine d'Affreville, sur les deux rives du Chélif,<br />
est couram<br />
ment désignée sous le nom de terre d'El Kantara parce qu'elle<br />
s'étendait à l'Est et à l'Ouest du seul pont qui enjambait l'oued<br />
dans cette région. On estimait,<br />
au début, sa superficie à 10.000<br />
ou 12.000 hectares, mais elle n'était en réalité que de 8.941 ha. 50.<br />
Elle dépendait non d'une seule tribu, mais de plusieurs,<br />
sans origine commune, et dont les deux principales, les Abid<br />
et les Feraïlia occupaient, la première, la partie occidentale et<br />
la seconde la partie orientale du territoire. Les Abid étaient<br />
originaires des environs de Boghar et les seconds appartenaient<br />
à des tribus du Sud . (1)<br />
On peut apprécier leur importance dans<br />
les années qui précédèrent immédiatement le cantonnement,<br />
sachant qu'ils labouraient les uns avec 75 charrues, les autres<br />
avec 70.<br />
A côté de ces deux tribus vivaient sur la Terre d'El Kantara<br />
deux groupes moins importants : les Béni Naghelan, fraction<br />
des Braz Béni-Boukni, établis à l'Ouest près des Abid et labou<br />
rant avec 30 charrues; les Ouzaghera, d'une tribu voisine d'ori<br />
gine berbère (futur douar Oued Ouaguenay) (2), usufruitiers,<br />
à l'Est des Feraïlia, de quelques champs qu'ils labouraient avec<br />
quatre ou cinq charrues.<br />
Par son emplacement, la Terre d'El Kantara contrôlait les<br />
relations dans cette partie de l'Algérie : d'une part grâce au<br />
pont, entre le Nord et le Sud; d'autre part entre l'Est et l'Ouest<br />
(1) Du moins pour les éléments prépondérants car pour former un ma<br />
khzen les Turcs faisaient appel aux gens d'origines les plus diverses. On trou<br />
vait dans les Abid des familles des Braz, des Sbihh (Sbéah ?), des Ouled-Kos<br />
seïr, des Béni-Ouazzan (à 30 km. au sud d'Orléansville) et même des Chou<br />
chaoua (de l'Ouarsenis), sans parler des nègres, peu nombreux, mais qui<br />
avaient dû jouer un rôle notable à en croire le nom de la tribu (abid = es<br />
claves). Quant aux Feraïlia, ils descendraient d'une tribu du Sud, les Ouled<br />
Saber, dont l'une des familles sous la conduite d'un nommé Fghoul serait ve<br />
nue s'établir chez les Ouled-Kosseïr : c'est de là que les Turcs auraient con<br />
duit les Béni-Fghoul (ou Feraïlia) à la terre d'El Kantara pour peupler cette<br />
contrée devenue déserte.<br />
(2) Carte à la fin de l'ouvrage (n° 75).
— — 199<br />
en commandant l'étranglement de la plaine, puisqu'elle s'éten<br />
dait du territoire actuel de Duperré à celui de Littré, aussi bien<br />
dans la plaine que sur les pentes septentrionales du Djebel<br />
Doui (1). Saisissant l'importance exceptionnelle de cette<br />
situation, les Turcs avaient attribué le territoire aux Abid-et-<br />
Feraïlia (nous désignerons ainsi désormais toutes les tribus occu<br />
pant la Terre d'El Kantara), les organisant en makhzen chargé<br />
d'assurer la sécurité de la route d'Alger à Oran et de contenir<br />
les tribus montagnardes en interceptant les communications<br />
entre Matmata et Béni-Zoug-Zoug d'une part, Braz et Béni-<br />
Menasser de l'autre. Ayant reçu les armes et les instruments de<br />
travail nécessaires pour remplir leur double mission de gendar<br />
mes et d'agriculteurs, les Abid-et-Feraïlia furent administrés<br />
par un seul caïd, nommé par tejteju. et ils rendirent des services<br />
signalés au Gouvernement de l'Odjaq.<br />
La conquête française bouleversa leur situation. Après 1843,<br />
en effet, invoquant le fait que ces tribus militaires ou zmoul<br />
étaient installées sur des terres du Beylik et que, de plus, elles<br />
se trouvaient désormais dispensées du service de guerre, le<br />
Domaine inscrivit sur ses sommiers les terres des Abid-et-Feraï<br />
lia. Les Indigènes jusque-là avaient payé aux Turcs une petite<br />
redevance en nature appelée « hack echabir » (ou prix des épe<br />
rons), destinée à perpétuer te caractère de concession du Beylik;<br />
ils furent désormais considérés comme locataires du Domaine<br />
auquel ils versèrent un loyer minime d'environ 0 fr. 15 par<br />
hectare (2).<br />
Dans d'autres régions, les terres makhzen furent divisées<br />
en deux catégories : l'une appelée « réserve domaniale » affec<br />
tée à la colonisation et l'autre laissée aux Indigènes sous le<br />
nom de « cantonnement provisoire ». Ici, le partage n'eut pas<br />
lieu avant le cantonnement définitif,<br />
mais l'autorité militaire<br />
disposa assez librement des terres. Dans un but politique, pour<br />
faciliter leur surveillance, elle commença par attirer dans la<br />
plaine les Béni-Ferah des montagnes des Béni-Menasser (futur<br />
(1) Voir la carte p. 19, hors-texte.<br />
(2) Dans d'autres parties de l'Algérie le loyer payé par les tribus Zmoul<br />
fut sensiblement plus élevé : 0 fr. 50 par hectare de terre labourable et 0 fr,<br />
25 par hectare de terre de parcours, Gqdin (151) 247,
— — 200<br />
douar El Aneb notamment) : ils furent établis en 1847-1848 sur<br />
la rive droite du Chélif, à l'Est du pont, et labourèrent avec<br />
une cinquantaine de charrues. Ainsi se trouva accrue l'hétéro<br />
généité des populations occupant la Terre d'El Kantara.<br />
La colonisation ayant commencé par l'extrémité de la<br />
plaine du Djendel (création d'Affreville en 1848 et d'Aïn Sultan<br />
en 1849), les Abid-et-Feraïlia semblaient devoir échapper à un<br />
refoulement analogue à celui que connurent les Ouled-Kosseïr.<br />
Il n'en fut rien et ils subirent un double prélèvement. Tout<br />
d'abord, pour donner des compensations aux Indigènes dépos<br />
sédés à l'Oued Bouthan par la création d'Affreville,<br />
on enleva<br />
au makhzen 802 hectares et la Terre d'El Kantara se trouva<br />
ainsi réduite à 8.139 ha. 50, dont un tiers dans les collines assez<br />
boisées du Doui et deux tiers en plaine et partiellement couverts<br />
de palmiers-nains. Puis, la colonisation progressant vers l'Ouest,<br />
on entreprit, en 1856, le lotissement du bled Sahari, vaste terre<br />
de 750 hectares cultivée à la fois par les Feraïlia et des Béni-<br />
Ferah, dont une petite fraction fut accordée à un Indigène en<br />
raison des constructions qu'il y avait faites et la majeure partie<br />
distribuée à des Français dont les frères Robat, de Lyon, qui<br />
installèrent huit colons du Beaujolais,<br />
et le sieur Morambert<br />
qui voulut créer une entreprise agricole perfectionnée, mais qui<br />
échoua faute d'argent. Avant que le cantonnement proprement<br />
dit ne fût entrepris, la Terre d'El Kantara ne comptait plus que<br />
quelque 7.400 hectares.<br />
Un moment, en 1848, il avait été question de disposer du<br />
territoire en faveur des Maronites (1). On estimait que les Indi<br />
gènes ensemençant alors 1.500 hectares, en réservant une quan<br />
tité de terre pareille pour la jachère et 1.500 autres hectares<br />
pour les besoins des troupeaux,<br />
on pourrait disposer d'un do-<br />
(1) On sait que, de 1845 à 1860, il fut question à plusieurs reprises de<br />
porter secours aux Maronites persécutés par les Druses, en créant, en Algé<br />
rie, plusieurs villages qu'auraient peuplés des familles libanaises. On songea à<br />
la région de Sidi-Bel-Abbès et à celle de Tlemcen (d'après Yver : Les Ma<br />
ronites et l'Algérie Revue Africaine 1920 p. 165-211), mais aussi au Chélif<br />
comme le prouve une lettre du 4-2-1848 adressée, par le maréchal de camp<br />
commandant la subdivision de Miliana à Changarnier commandant la division<br />
d'Alger (G. série I).
— — 201<br />
maine suffisant pour l'établissement de plusieurs villages. Le<br />
choix de la Terre d'El Kantara n'était toutefois pas exempt d'in<br />
convénients : peu de bois, peu de sources et surtout trop éloigné<br />
de Miliana. Or, comme l'écrivait le commandant de la subdi<br />
vision : « Une population chrétienne bien qu'arabe, ou plutôt<br />
parce qu'elle sera arabe, n'aura pas de bons offices à attendre<br />
de ses voisins musulmans. Son introduction dans le Chélif don<br />
nera infailliblement lieu à de nombreux commentaires de la<br />
part des Arabes; elle fera naître parmi eux des inquiétudes d'au<br />
tant plus vivaces et plus difficiles à combattre que l'élément<br />
religieux y jouera un grand rôle. L'administration de ces grou<br />
pes d'Arabes chrétiens rencontrera souvent des obstacles que<br />
Péloignement de ces groupes rendra plus graves et qui exigeront<br />
une surveillance active, laquelle, au moins dans le commence<br />
ment, aurait quelque peine à être exercée à une distance de<br />
plus de cinq à six lieues ». Pour des raisons dépassant le cadre<br />
de la plaine du Chélif, le projet n'eut d'ailleurs pas de suite (1).<br />
II. —<br />
LE<br />
CANTONNEMENT<br />
La question du cantonnement se posait depuis 1855. Répon<br />
dant à une circulaire de Randon du 2 juin de cette année, le<br />
chef du bureau arabe de Miliana, Bourgeret, formulait des pro<br />
positions précises. Il estimait qu'il fallait concéder 1.600 hecta<br />
res aux Abid, 1.500 aux Feraïlia (il écrit Fghailias), 500 aux<br />
Béni-Ferah et 40 seulement aux Ouzaghera. La part de ces der<br />
niers avait été réduite parce qu'ils possédaient en propre d'au<br />
tres terres et qu'une partie de celles qu'ils réclamaient étaient<br />
aux mains d'Indigènes qui y avaient déjà exécuté des<br />
travaux. Il devait rester à la colonisation environ 4.000 hectares<br />
(c'était avant la concession du bled Sahari)<br />
que l'on prendrait<br />
à Aïn-Defla, lieu où les terres sont de meilleure qualité, où un<br />
village serait le mieux placé et où seulement on rencontre de<br />
l'eaU en quantité suffisante.<br />
L'étude fut reprise en 1857 lorsque l'on décida de fonder<br />
un centre à Aïn-Defla (le futur . Duperré) La Terre d'El Kantara<br />
(1) Voir Yver, article cité.
— — 202<br />
était alors répartie de la manière suivante : 4.880 hectares aux<br />
Abid (dont 1.236 pour la portion dite bled Aïn-Defla) ; 169 aux<br />
Feraïlia; 576 aux Béni-Naghelan ; le reste,<br />
hectares, aux Béni-Ferah qui comptaient 400 habitants et se trou<br />
vaient dans une situation précaire depuis la concession du bled<br />
♦K<br />
Tribu des<br />
&ou Rached.<br />
soit moins de 300<br />
u<br />
^efca.<br />
| gey BraV"*!<br />
Position approximative des Abid et Feraïlia après le cantonnement. (D'après<br />
les renseignements de M. Poivre, La loi du 26 juillet 1873, Alger 1888). K : futur em<br />
placement de Kherba et L : futur emplacement de Littré.<br />
Sahari (1). Suivant l'autorité militaire, les Béni-Naghelan, pro<br />
priétaires d'autres terres hors du domaine d'El Kantara, pou<br />
vaient abandonner de 300 à 350 hectares à la colonisation et les<br />
Feraïlia 400 à 500 hectares, à condition de renvoyer tous les<br />
(1) Il n'est pas question des Ouzaghera qui avaient sans doute cédé leurs<br />
terres à d'autres Indigènes.
— — 203<br />
étrangers. Les Abid, dont les 650 habitants occupaient un vaste<br />
territoire, paraissaient plus à même de fournir d'importantes<br />
concessions, mais les terres labourables (dont le bled Aïn-<br />
Defla) ne comptaient que pour 2.500 hectares; comme il en<br />
fallait 1200 pour les Abid et 500 pour recaser les Béni-Ferah,<br />
il ne restait donc que 800 hectares de terres cultivables auxquels<br />
on pouvait ajouter quelques centaines d'hectares de terres non<br />
défrichées et quelquefois couvertes de rochers. Conçu ainsi, te<br />
cantonnement ne donnait à la colonisation que 1.650 hectares<br />
de bonnes terres. Ces propositions ne furent pas retenues.<br />
Les travaux de cantonnement furent entrepris en 1857.<br />
Randon aurait voulu les confier à une commission désignée à<br />
cet effet, analogue à celle des Transactions et Partages (1), mais<br />
Yusuf, qui commandait la province d'Alger, les abandonna aux<br />
officiers des Bureaux arabes. Contrairement à ce qu'écrivait<br />
Duvernois, le Domaine cependant en retira des profits considé<br />
rables. Il put, avec les terres obtenues, accorder à Duperré un<br />
territoire de 2.251 hectares et donner plusieurs concessions à<br />
des particuliers, notamment au baron de La Motte dont l'empla<br />
cement de la propriété est encore mentionné sur la carte au<br />
1/50.0006 sous le nom de Fort Lamotte. De plus, l'Etat se réserva,<br />
au voisinage, la forêt du Djebel Doui exempte de toutes servi<br />
tudes, ne laissant aux Abid que 376 ha. 35 dont ils se considé<br />
rèrent comme propriétaires jusqu'au jour où l'on précisa qu'ils<br />
n'avaient que l'usufruit. Enfin, un millier d'hectares de terres<br />
de parcours, dites de Bou-Zehar, revinrent également à l'Etat<br />
qui opéra seulement un petit prélèvement de 23 ha 30 en faveur<br />
d'un officier indigène, originaire de la tribu,<br />
et absent pour<br />
cause de service au moment du cantonnement. Lors de l'appli<br />
cation du Sénatus-consulte, en 1868, ces terres furent abandon<br />
nées comme communaux à un des douars constitués, te douar<br />
Bou-Zehar.<br />
Dès la fin de 1857 les Indigènes se trouvaient cantonnés sur<br />
3.983 ha. 75 a. Mais il ne s'agissait là que d'un cantonnement<br />
collectif. La constitution de la propriété privée eut lieu en 1860<br />
et elle semble avoir entraîné quelques modifications dans la<br />
(1) L'œuvre de cette dernière a été étudiée par H. Isnard dans La réor<br />
ganisation de la propriété rurale dans la Mitidja, Alger, 1949.
— 204 —<br />
constitution territoriale des Abid-et-Feraïlia qui totalisent alors<br />
4.118 ha. 82 a. 15 ca. (1). Pour la répartition des terres on essaya<br />
de se rapprocher des principes déjà adoptés pour les Ouled-<br />
Kosseïr, mais, sur certains points, on s'en écarta sensiblement.<br />
C'est ainsi que les lots accordés ne furent pas strictement<br />
proportionnels aux superficies que chaque individu avait jus<br />
que-là mises en culture. D'une part, si beaucoup<br />
de khammès<br />
ne reçurent que de simples lots urbains dans les douars, certains<br />
cependant furent admis parmi les bénéficiaires de la répartition<br />
sans apporter leur contingent au nombre des charrues recen<br />
sées : chez les Feraïlia 11 familles reçurent ainsi 177 ha. 07 a.<br />
et chez les Abid 16 autres totalisèrent 167 ha. 53 a. 29 ca. D'autre<br />
part, on accorda des lots à 13 chefs de famille (5 chez les Feraïlia<br />
et 8 chez les Abid) étrangers aux tribus cantonnées chez les<br />
quelles ils ne comptaient que 4 à 15 ans de présence. Enfin, on<br />
décida, pour les Abid tout au moins, de fixer à chaque lot un<br />
minimum de contenance. Cette libéralité s'explique par le fait<br />
que la colonisation ayant renoncé à tout nouveau prélèvement,<br />
on se trouvait pouvoir disposer d'une quantité de terres jugée<br />
suffisante. Les Feraïlia obtinrent 13 ha. 44 a. par tente ou 1 ha.<br />
91 a. par individu. Par contre, l'étendue des terres de parcours<br />
(410 hectares chez les Feraïlia et 820 chez les Abid) n'atteignait<br />
pas les proportions indiquées par les circulaires gubernatoria-<br />
les, c'est-à-dire un hectare par tête de gros bétail ou par 10 têtes<br />
de chèvres et moutons (2).<br />
On réunit la population en cinq villages ou douars, un pour<br />
les Feraïlia et quatre pour les Abid. Le site de chacun d'eux fut<br />
choisi dans la partie la plus saine du territoire et on y réserva<br />
(1) Ainsi répartis :<br />
Feraïlia Abid<br />
Réserves forestières 232 ha 88 a 90 557 ha 80 a 70<br />
Bois communaux 203 ha 31 a 75<br />
Terrains de parcours 410 ha 50 a 55 820 ha 06 a 00<br />
Terres de culture 672 ha 25 a 95 1.136 ha 49 a 00<br />
Emplacement des douars 24 ha 99 a 00 60 ha 40 a 30<br />
(2) Voir les chiffres des troupeaux p. 207.<br />
'<br />
1.340 ha 74 a 40 2.778 ha 07 a 75
— — 205<br />
des lots urbains de 10 ares au moins, un emplacement vague<br />
où les khammès étrangers pourraient installer leurs tentes ou<br />
gourbis (mais sans que l'occupation n'impliquât jamais pour<br />
eux droit de propriété) et un autre emplacement pour la réu<br />
nion des troupeaux, les silos, les meules à fourrages et les tentes<br />
de voyageurs. On avait même songé à réserver, dans chaque<br />
village, un certain nombre de lots en prévision de l'accroisse<br />
ment des familles, mais Chasseloup-Laubat, alors Ministre de<br />
l'Algérie et des Colonies, s'y opposa, ne voulant pas d'une nou<br />
velle intervention de l'Etat et estimant inutile d'ouvrir une voie<br />
dans laquelle l'Administration ne tarderait pas à s'arrêter par<br />
l'épuisement des lots délimités. Le travail du cantonnement fut<br />
approuvé, à cette restriction près, par décision ministérielle du<br />
5 novembre 1860.<br />
III. —<br />
LES<br />
CONSEQUENCES<br />
Que devinrent tout d'abord les villages constitués ?<br />
Les archives nous donnent quelques précisions sur l'un<br />
d'entre eux, celui d'Aïn-Sadok, au sud immédiat du territoire<br />
de Duperré, à un kilomètre environ de la route d'Alger-Oran<br />
(voir plan p. suivante). Il avait été créé lors des opérations du<br />
cantonnement des Abid et, pour mieux fixer au sol les Indigènes,<br />
le Génie avait construit sur les lots urbains des maisonnettes<br />
à l'usage des concessionnaires à la disposition desquels avait<br />
été mis un vaste terrain de 280 hectares (1).<br />
Le village échoua. Quelques années plus tard, les maisons<br />
tombaient en ruines; les Indigènes avaient disparu. En 1881<br />
lorsque l'on étudie l'agrandissement du Duperré,<br />
au village d'Aïn-Sadok que trois Indigènes occupant 22 hecta<br />
on ne trouve<br />
res; trois lots urbains avaient été acquis par un Européen et<br />
personne ne réclamait les autres qui semblaient être tombés en<br />
déshérence. Quant aux lots ruraux, ils constituaient une partie<br />
des terrains de parcours abandonnés en 1868 au douar Bou-<br />
(1) L'acte administratif concédant les lots urbains ne date que du 2 mai<br />
1863 et il ne fait pas mention des lots ruraux (n° 35 et 36 bis de carte).
— — 206<br />
Zehar. L'acquisition des uns et des autres soulevait des diffi<br />
cultés et fut une des causes de l'échec de<br />
Duperré.<br />
l'agrandissement de<br />
De la ruine du village d'Aïn-Sadok doit-on conclure au<br />
rôle néfaste du cantonnement? Bourgeret, chef du bureau arabe<br />
de Miliana, présente les Indigènes comme fort satisfaits de<br />
l'opération; selon lui, les habitants des tribus voisines seraient<br />
tout disposés à accepter un cantonnement qui substituerait à<br />
leurs droits évasifs sur de grandes étendues, des droits réels sur<br />
une étendue plus restreinte. A en croire Duvernois, les Indigè<br />
nes ont fui, cédant leurs droits à la maison qu'ils avaient dû<br />
construire et au lot de terre qui devait leur échoir contre une<br />
somme de 25 à 30 francs; il prétend, en 1865,<br />
que neuf conces<br />
sionnaires sur dix ne sont plus propriétaires. Essayons d'avoir<br />
recours aux chiffres pour nous faire une opinion.<br />
Quelle était la situation à l'origine ? Carette ne donne aucun<br />
renseignement précis. Le Tableau de la situation des établisse<br />
ments français de 1844-1845 fournit par contre d'intéressantes<br />
statistiques sur la population et les ressources. Le chiffre donné<br />
pour la population (160 habitants pour les Abid comme pour les<br />
Feraïlia)<br />
étaient d'importance égale,<br />
peut paraître suspect : nous savons que les deux tribus<br />
mais les évaluations semblent bien<br />
faibles. Nous croyons cependant devoir les admettre parce<br />
qu'elles sont dues à deux des officiers les plus remarquables des<br />
Bureaux arabes, Margueritte et Salignac-Fénelon, qui avaient<br />
parcouru maintes fois la région, et aussi parce que, comparée<br />
à celle des autres tribus, l'importance relative des troupeaux<br />
par rapport à la population,<br />
ne présente rien d'anormal. Nous<br />
savons d'ailleurs que la mainmise du Domaine sur les terres<br />
du makhzen avait été suivie d'un exode important. Là est l'ex<br />
plication de la déficience démographique que nous constatons.<br />
Dès 1848, la situation est complètement modifiée. Par suite<br />
du retour de ceux qui avaient fui et surtout du transfert des<br />
Béni-Ferah, la population a considérablement augmenté : 368<br />
habitants chez les Feraïlia et 647 chez les Abid, soit 1.015 pour<br />
les deux tribus qui labouraient 1.500 hectares (1). Le mouve-<br />
(1) Dans un registre de 1847 (G. 21 H 19) on trouve groupés sous le nom<br />
de « Zmoules » les Abid, les Feraïlia, les Mouhabba et les Sbahia, la popula<br />
tion totale étant de 2.238 individus. Dans le Tableau de 1844-1845, les Mouhab<br />
ba étaient portés avec 270 habitants et les Sbahia avec 358.
— — 207<br />
ment de croissance démographique se poursuit jusqu'en 1852,<br />
tes Abid et les Feraïlia comptant alors 1.575 habitants. Il semble.<br />
que ce soit le sommet de la courbe. Dès 1854,<br />
avant même par<br />
conséquent le cantonnement collectif, la population n'est plus<br />
que de 1.449 individus. Un décret d'août 1859, faisant très pro<br />
bablement état de chiffres de 1858 (année qui suit le cantonne<br />
ment collectif), attribue aux Abid-et-Feraïlia 1.300 habitants.<br />
La statistique officielle de 1866 ne leur en accorde plus que 843<br />
dont 579 pour les Abid et 264 pour les Feraïlia : ces derniers<br />
avaient subi le coup le plus rude parce qu'ils avaient perdu,<br />
avec le seul bled Sahari, le tiers de leurs terres et les meilleures.<br />
Mais il est certain que le cantonnement n'est pas seul en cause<br />
puisque le recul démographique lui est antérieur. Peut-être<br />
n'est-il pas inutile de rappeler qu'en 1865 le pays avait subi une<br />
série de huit années de récoltes médiocres susceptibles d'avoir<br />
déterminé une certaine émigration (1).<br />
Années<br />
1844<br />
(F<br />
1848<br />
1852<br />
1854<br />
1859<br />
1860<br />
1866<br />
1868<br />
A<br />
F<br />
A<br />
F<br />
A<br />
(A<br />
IF<br />
A<br />
Population<br />
160<br />
160<br />
647<br />
368<br />
854<br />
721<br />
778<br />
671<br />
670<br />
423<br />
264<br />
579<br />
1.300<br />
1000<br />
320<br />
1.015<br />
1575<br />
1.449<br />
1.093<br />
843<br />
A : Abid.<br />
Bœufs<br />
et Vaches<br />
120<br />
161<br />
261 j<br />
198 |<br />
437 ;<br />
237 S<br />
542 i<br />
281 \<br />
598<br />
437<br />
(1) G. Miliana 2e T. 1865.<br />
450<br />
281<br />
459<br />
674<br />
823<br />
1.035<br />
F : Feraïlia<br />
Moutons<br />
et chèvres<br />
S3""<br />
2.200J<br />
3.300<br />
1.100}<br />
Si"»<br />
2.708<br />
1.419 4.127<br />
2.800<br />
Chevaux<br />
10 j<br />
10 ]<br />
6 )<br />
9 S<br />
12 |<br />
13 )<br />
82<br />
49<br />
20<br />
15<br />
25<br />
131<br />
84<br />
64<br />
45<br />
10<br />
15<br />
10<br />
26<br />
20<br />
19<br />
26<br />
Mulets<br />
148<br />
30<br />
25<br />
35<br />
46<br />
45
—<br />
— 208<br />
Comment avait évolué la richesse des tribus ? En<br />
tre 1844 et 1852, le troupeau se développe considérable<br />
ment en même temps que la population. Mais, par la suite,<br />
la décroissance démographique ne s'accompagne pas d'une<br />
diminution comparable dans les diverses espèces du cheptel et,<br />
en 1860, si le nombre de moutons et de chèvres a diminué de<br />
plus de 30 %, celui des bœufs et des vaches a augmenté d'envi<br />
ron 25 . % Alors survient te cantonnement individuel. Nous man<br />
quons malheureusement de chiffres sur les ressources au cours<br />
des années qui suivirent la constitution de la propriété. Lors de<br />
l'application du Sénatus-consulte, en 1868 (1), les Abid-et-Fe-<br />
raïlia furent incorporés dans le douar Bou-Zehar de 1.298 habi<br />
tants et comptant un troupeau d'environ 3.700 moutons et chè<br />
vres, 600 bœufs et vaches, 660 chevaux, 40 mulets (et une cen<br />
taine d'ânes).<br />
Quelle part de ces richesses revenait aux Abid-et-Feraïlia ?<br />
Territorialement ils couvraient un peu plus des trois quarts du<br />
douar Bouzehar (3.983 ha. 75 sur 5.135 ha. 08). Il semble donc<br />
que l'on puisse admettre qu'ils disposaient d'une population<br />
d'environ un millier d'habitants et d'un troupeau de 2.800 mou<br />
tons et chèvres, 450 bœufs et vaches, 45 chevaux, 30 mulets. Si<br />
l'on accepte ces nombres et si on les compare à ceux de 1860,<br />
on ne peut que constater la chute catastrophique : la population<br />
a baissé de moins de 10 %<br />
accusant même un relèvement par<br />
rapport à 1866, mais le troupeau de bœufs a perdu 55 % de ses<br />
effectifs, celui de moutons 32 %, et celui de chevaux et mulets<br />
près de 50 %. Peut-on imputer au cantonnement seul un tel<br />
appauvrissement ? Ce serait conclure un peu rapidement et<br />
oublier en particulier que les récoltes de 1866 et de 1867 ayant<br />
été catastrophiques, les tribus avaient dû se débarrasser à vil<br />
prix d'une bonne partie de leurs troupeaux qu'elles ne pouvaient<br />
plus nourrir. On peut seulement affirmer que la constitution<br />
(1) Ou plus probablement en 1867, le décret de répartition signé de l'Em<br />
pereur, après rapport du Ministre de la Guerre, étant de septembre 1868.
209-<br />
de la propriété individuelle n'était pas la panacée que l'on avait<br />
imaginée et Duval et Warnier avaient tort de croire qu'elle eût<br />
pu conjurer les grandes calamités de 1867-1868 (1).<br />
(1) Pour mieux apprécier les conséquences du cantonnement des Abid-<br />
et-Feraïlia comme de celui des Ouled-Kosseïr, nous avons songé à utiliser la<br />
méthode comparative en mettant en parallèle l'évolution des tribus canton<br />
nées et celle des tribus qui ne le furent point. Cette méthode est en réalité<br />
inapplicable car on risque fort de comparer des choses qui ne sont point com<br />
parables :<br />
— d'abord,<br />
il faudrait étudier des tribus voisines et placées dans une situa<br />
tion géographique semblable. Or, à proximité des Abid-et-Feraïlia comme<br />
des Ouled-Kosseïr qui sont essentiellement des tribus de plaine, on ne<br />
trouve que des tribus dont une grande partie du territoire est en monta<br />
gne ;<br />
— en second lieu, il est difficile de comparer, dans leur évolution, les tribus<br />
où des centres furent établis (Orléansville, La Ferme, Pontéba, Duperré...)<br />
—<br />
et celles qui restèrent longtemps encore loin de toute agglomération euro<br />
péenne. On attribuerait fatalement au cantonnement des conséquences<br />
heureuses ou malheureuses qui ne lui sont pas imputables ;<br />
surtout, on ne dispose pas de documents statistiques satisfaisants. On peut<br />
établir, à l'aide des Archives Nationales, la richesse de toutes les tribus<br />
en 1852 ou 1854, c'est-à-dire avant l'application du cantonnement, mais il<br />
est impossible de comparer les chiffres dont on dispose pour les années<br />
qui suivent le cantonnement. Ces chiffres sont, en effet, ceux que four<br />
nissent les commissions ayant appliqué le sénatus-consulte de 1863 et,<br />
pour la vallée du Chélif, ils vont de 1866 à 1869, suivant les tribus. Or, il<br />
s'agit là de la période de misère et de famine la plus grave qu'ait connue<br />
l'Algérie et au cours de laquelle les tribus du Chélif en particulier ont<br />
souvent été ruinées en quelques mois. Par suite, en l'absence de recense<br />
ments simultanés, toute comparaison serait entachée d'erreur.
CHAPITRE IV<br />
La fixation au sol<br />
Habitation et habitat
Les tribus délimitées ou, ce qui est mieux, cantonnées, les<br />
Bureaux arabes considèrent que les Indigènes ne doivent plus<br />
abandonner l'emplacement assigné : c'est la première étape<br />
vers la fixation. Ceux qui s'écartent de leur tribu y sont ramenés<br />
de force, telles, en 1847, six tentes des Ouled-Bel-Arbi (fraction<br />
qui avaient émigré dans le cercle de Tiaret (1).<br />
des Béni-Lent)<br />
La tente d'ailleurs doit disparaître. La propriété individuelle<br />
appelle la maison et les villages ont surgi, avec le cantonnement,<br />
chez les Ouled-Kosseïr, les Abid, les Feraïlia (2). C'est là une<br />
des conditions de la sécurité, mais aussi l'une de ses conséquen<br />
ces. L'Arabe, pense-t-on, professe peu d'enthousiasme pour sa<br />
tente en grosse laine dont le toit flottant l'abrite mal; les circons<br />
tances de guerre et de désordre dans lesquelles il vivait l'obli<br />
geaient à conserver une habitation qu'il pouvait transporter<br />
rapidement ailleurs à la moindre alerte,<br />
mais vienne la paix<br />
et il désirera une bonne maison (3).Bâtir c'est aller au-devant de<br />
ses désirs. C'est également, pense Richard, résoudre le problème<br />
de l'utilisation et de la circulation de l'argent indigène. On<br />
bâtira donc maisons et villages.<br />
(1) N 463, 1847, Téniet-el-Had, rapport 2" q. de janvier.<br />
(2) La même évolution s'observe plus tard dans le Sersou où, avec l'ex<br />
tension de la propriété individuelle, se multiplient les mechta. Bernard et<br />
Lacroix (170) 203, 251.<br />
(3) C'est l'avis général, que l'évolution future ne devait d'ailleurs pas<br />
confirmer. Hugonnet est l'un des rares officiers des Bureaux arabes hostile<br />
aux constructions, estimant la tente préférable à la maison et indispensable<br />
à cause des pérégrinations imposées par le genre de vie des Indigènes. Hu<br />
gonnet (6) 129-132.
— A<br />
LES MAISONS<br />
« C'est une grande et belle pensée, écrit Montgravier, en<br />
1850, que d'avoir rattaché le perfectionnement physique, moral<br />
et intellectuel de la race arabe à sa fixation au sol; d'avoir com<br />
pris que la substitution de la maison à la tente était le premier<br />
milliaire de la voie de la civilisation... » (1). Ainsi, en bâtis<br />
sant, non seulement on assure la sécurité mais on civilise. Ce<br />
n'est pas uniquement une opération de police,<br />
humanitaire.<br />
c'est une œuvre<br />
On se passionna pour cet idéal, pour cette mode dirent<br />
les adversaires. Chaque chef de bureau arabe devint un bâtis<br />
seur et pendant dix à douze ans surtout (jusqu'en) 1858 environ),<br />
l'Algérie, et en particulier notre région, connut une véritable<br />
fièvre de la construction. L'émulation s'établit entre les divers<br />
cercles : il fallait absolument « avoir plusieurs chefs de tribus<br />
de son commandement en train de faire construire; un tel qui<br />
en avait huit ou dix était un homme bien plus remarquable que<br />
celui qui n'en avait que deux ou trois ». (2). Les ennemis du<br />
régime militaire parlèrent du désir d'éblouir, des millions jetés<br />
de la poche des Indigènes dans celle de l'industrie et du com<br />
merce algériens . (3) On vit alors surgir, et en nombre, les édifices<br />
les plus divers : maisons de commandement, constructions d'uti<br />
lité publique, maisons particulières, dont nous allons mainte<br />
nant essayer de préciser les caractères et l'importance.<br />
I. —<br />
LES<br />
MAISONS DE COMMANDEMENT<br />
Leur conception, toute militaire, semble appartenir au<br />
Gouverneur Général Charon et se rattache à la doctrine de la<br />
(1) Montgravier (1) 2" lettre p. 15,<br />
(2) Hugonnet (6) 136.<br />
(3) A. Duvernois (59) 69 ; critique d'autant plus curieuse que le même<br />
accuse les Bureaux Arabes d'être hostiles à tout ce qui touche aux civils.
— 214 —<br />
domination par les chefs indigènes. Il s'agit d'édifier,<br />
aux frais<br />
des tribus et en des points que nos troupes ne pouvaient occuper<br />
de manière permanente, de petites forteresses devant servir<br />
d'habitations aux grands chefs dont la sécurité était ainsi<br />
assurée, et destinées à jouer le rôle de dépôts de vivres pour<br />
nos colonnes expéditionnaires, de réduits pour nos alliés et aussi<br />
d'étapes commodes pour les voyageurs. « Autour de ces petits<br />
forts,<br />
semblables aux châteaux du Moyen Age qui réunissaient<br />
sous la protection de leurs tours les manoirs des paysans et<br />
des vassaux, viendront se grouper les familles du parti fran<br />
çais, assurées de nous y voir accourir nous-mêmes pour les<br />
défendre contre l'ennemi commun, au jour du danger. Postes<br />
militaires en temps de guerre,<br />
ces établissements seront en<br />
temps de paix le moyen de la colonisation indigène, et, pour<br />
notre domination,<br />
un centre d'action d'autant plus efficace<br />
qu'elle s'exercera par l'intermédiaire de la population indigène<br />
elle-même et que notre main y paraîtra moins... » (1).<br />
Richard ne pense pas autrement et, dans les étapes qu'il<br />
assigne au développement de la société arabe, la troisième, celle<br />
de la féodalité indigène stable, se caractérise par la construc<br />
tion d'une habitation crénelée pour le chef que nous voudrons<br />
mettre à l'abri d'un coup de main et qui, protégé par de solides<br />
murs de maçonnerie, fera mieux respecter son autorité. Systé<br />
matiquement on devra bâtir autour de ce château les maisons<br />
de tous les notables de la tribu. « Nous obtiendrons ainsi deux<br />
résultats également précieux : le premier d'inspirer la recon<br />
naissance aux hommes considérables de la tribu en les initiant<br />
à une existence plus heureuse; le second, d'assurer la tranquil<br />
lité du pays,<br />
en réunissant dans nos mains ou, ce qui revient<br />
au même, sous clé, tous les ressorts qui peuvent l'agiter; d'une<br />
part bonheur pour le peuple, d'autre part, sûreté pour notre<br />
avantages pour tous... » (2).<br />
domination,<br />
Que furent ces maisons de commandement ? L'emplace<br />
ment était, en général, choisi avec soin comme par exemple<br />
(1) Montgravier (1) 2" lettre p. 21-22.<br />
(2) Richard (20) 35.
— — 215<br />
pour celle des Doui-Hasseni dominant le Nahr-Ouassel et com<br />
mandant le Sersou (1). La construction se faisait sous la sur<br />
veillance du bureau arabe et l'inauguration s'accompagnait<br />
parfois d'une véritable cérémonie avec grand concours de chefs<br />
comme ce fut le cas lors de l'installation, en novembre 1849, du<br />
Caïd des Caïds des Béni-Menna dans sa maison de comman<br />
dement (2).<br />
Le nom cependant ne doit pas faire illusion sur l'impor<br />
tance de l'édifice. Nous savons que dans le cercle de Ténès, en<br />
1853, on comptait neuf maisons de commandement (3), cinq<br />
de deuxième classe n'ayant que deux chambres, une petite<br />
écurie et une cour; quatre de première classe composées cha<br />
cune de trois grandes chambres, d'une vaste cour avec écuries<br />
et d'une salle pour tes hôtes. Une seule de ces dernières, dite<br />
de Chebeïlia, était plus importante par la solidité de sa cons<br />
truction et la présence de deux fortins à deux angles opposés<br />
pour en défendre les deux faces; elle avait été bâtie par le Génie.<br />
Chez les Béni-Menad, à quatre kilomètres de Marengo, sur<br />
la route menant à Miliana, l'autorité française avait également<br />
construit, pour le caïd, une maison de commandent avec une<br />
tour et des fosés; elle abritait une vingtaine de personnes.<br />
Dans le cercle de Téniet-el-Had il n'y avait pas de maisons<br />
de commandement proprement dites, mais on considérait com<br />
me telles les maisons habitées par le bach-agha et les caïds des<br />
tribus parce qu'elles étaient, en général, construites avec de<br />
petits bastions et susceptibles de défense. Certaines paraissent<br />
même avoir eu un aspect assez imposant : celle des Ouled-Bes-<br />
sam comptait trois grands logements et était défendue par une<br />
enceinte de 34 mètres de côté; celle des Doui-Hasseni, bâtie sur<br />
un monticule,<br />
comportait neuf logements et une chambre pour<br />
les hôtes avec également un mur d'enceinte la mettant à l'abri<br />
des coups de main; le caïd des Ouled-Ayad avait fait bâtir sur<br />
(1) Philebert (15) 89.<br />
(2) N 468, 1849, cercle de Ténès 1 q. de novembre. Les Béni-Menna ont<br />
constitué les douars Baache et Talassa.<br />
(3) Contre 6 dans le cercle de Miliana et 8 dans celui de Téniet-el-Had.<br />
Dès 1849 on en dénombrait 39 pour l'Algérie entière (Tableau des établisse<br />
ments français 1846-1849 p. 720 et N 447).
— — 216<br />
une élévation une maison carrée de sept chambres, flanquée de<br />
bastions de 30 mètres de côté, d'une maçonnerie excellente, avec<br />
grande porte d'entrée en pierre de taille, couverture en tuiles<br />
et écurie pouvant contenir dix chevaux.<br />
Nous donnons ci-dessous le plan d'une de ces maisons,<br />
celle de Toukria qui date de 1848 et pour laquelle Margueritte<br />
avait fait planter 1.500 pieds de vigne et environ 400 arbres<br />
fruitiers. Construite par des ouvriers civils pour un chef indi<br />
gène,<br />
elle devait servir en même temps de caravansérail. C'est<br />
MAISON DE TOUKRIA<br />
Cette figure est une réduction de moitié de documents trouvés aux<br />
Archives Nationales (F 8° 443). L'échelle que l'on peut déduire des cotes<br />
(non reproduites) est ici de 1 : 200».
217-<br />
une maison vaste, mais simple, avec seulement deux bastions<br />
aux extrémités de la façade Est dans laquelle s'ouvrait la porte<br />
d'entrée.<br />
Dans l'Ouest du Tell algérois on ne trouve rien de compa<br />
rable aux maisons de commandement que l'on rencontrait alors<br />
en Oranie, dans la subdivision de Bel-Abbès par exemple, où<br />
celle des Ouled-Ali-ben-Youd, sur la Mekerra, gardant un des<br />
principaux débouchés par lesquels on communiquait avec le<br />
Sahara, pouvait au besoin contenir une garnison d'une compa<br />
gnie d'infanterie et d'un peloton de cavalerie.<br />
Au total, il ne semble pas que ces maisons fortifiées aient<br />
joué dans la colonisation indigène le rôle attractif qui devait<br />
être le leur et cela s'explique sans doute par leur position d'un<br />
accès souvent difficile. Elles furent essentiellement un moyen<br />
de pacification (1).<br />
IL —<br />
LES<br />
CONSTRUCTIONS D'UTILITE PUBLIQUE<br />
Si les maisons de commandement furent imposées aux<br />
Indigènes, il n'en fut pas de même des constructions d'utilité<br />
publique comme bains maures fondouks, moulins, fontaines,<br />
puits, etc.. Les ouvertures faites aux djemaas, lorsqu'il s'agit<br />
d'entreprendre l'un de ces édifices, sont à peu près toujours bien<br />
accueillies. Souvent même les Indigènes prennent l'initiative.<br />
En 1848, la tribu des Attafs demande à s'imposer d'une somme<br />
de six mille francs destinée à l'établissement d'un caravansé<br />
rail et d'un moulin à eau pour lesquels elle fournira de plus la<br />
pierre, la chaux, le petit bois, le sable, les transports et des ma<br />
nœuvres. Les Braz et les Béni-Ferah veulent également s'impo<br />
ser à raison de mille et de deux mille francs pour la construc-<br />
(1) N 447, 448, 450 (années 1852, 1853, 1854), tableaux des travaux pu<br />
blics ; N 443, lettre de Margueritte au colonel Rivet, directeur central des<br />
affaires arabes, le 13 mai 1848 : Tableaux des établissements français 1852-<br />
1854 et 1856-1858.
— — 218<br />
tion de moulins à manège et le mouvement est suivi par les<br />
Béni-Zoug-Zoug, les Béni-Hamed, les Djendels, les Blaëls (1).<br />
Richard surtout encourage les Indigènes. Il veut enseigner<br />
aux Arabes à utiliser leur argent,<br />
ramener à la surface et livrer<br />
à la circulation une quantité considérable de douros ensevelis<br />
dans le sol. On y parviendra par l'appât des bénéfices et à<br />
condition que les Indigènes retirent de leur geste un avantage<br />
certain, « le moindrs échec pouvant refouler encore plus bas<br />
les timides douros cachés sous terre ». Richard, évidemment,<br />
a un système susceptible d'assurer la réussite et il l'expose en<br />
ces termes : « Un moyen simple et qui promet toutes chances<br />
de succès consiste à leur faire construire en commun des établis<br />
sements d'utilité générale tels que bains maures, fondouks, ma<br />
gasins divers, etc., dont les loyers sont assurés. De là,<br />
on peut<br />
aller au prêt à hypothèque et enfin, plus tard, quand il y aura<br />
moins de danger à le faire, au prêt sur billet. On conçoit les<br />
avantages considérables que notre commerce et nos établisse<br />
ments naissants tireraient de pareilles ressources pécuniaires si<br />
rares dans le pays et dont l'absence annule tant d'efforts. Il faut<br />
poser en principe que l'argent indigène doit servir à asseoir<br />
notre domination, tout en augmentant la richesse des Arabes,<br />
c'est-à-dire nous donner un auxiliaire puissant,<br />
assurer la satis<br />
faction publique et créer le lien solide de l'intérêt com<br />
mun ». (2). Il propose de faire concourir les Indigènes à la<br />
construction de fontaines, puits, abreuvoirs, ponts, sentiers de<br />
montagne. La tribu tout entière, représentée par sa djemaa,<br />
sera ainsi amenée à s'occuper des travaux d'utilité publique :<br />
ce sera le début des futures municipalités qui échapperont au<br />
despotisme fiscal des chefs.<br />
Quelles furent les réalisations ? A Orléansville nous avons<br />
vu comment Richard avait fait entreprendre collectivement<br />
aux chefs indigènes la construction d'un bain maure. Les<br />
résultats répondirent à ses espérances. Les souscripteurs furent<br />
(1) N 465, 1848, Miliana, rapports 1 et 2° quinzaines d'avril. Les Blaëls<br />
se situent au nord immédiat de Téniet-el-Had. Les Béni-Hamed ont consUtué<br />
le douar Oulled Telbenet. Les Béni-Zoug-Zoug formaient une confédération<br />
groupant plusieurs tribus sur le versant méridional de l'Ouarsenis, au sud de<br />
Miliana.<br />
(2) Richard (18) 66.
— — 219<br />
étonnés en voyant que non seulement leur argent n'était pas<br />
perdu, mais encore qu'il était représenté par une maison dont<br />
le loyer leur rapportait du vingt pour cent. L'ouverture des bou- .<br />
tiques attenantes aux bains permit de localiser dans la ville )<br />
certaines industries arabes qui y faisaient défaut. On eut bientôt<br />
un sellier, un bijoutier, un marchand de fruits et un boucher (<br />
(qui débita des bêtes tuées suivant les prescriptions du Coran,<br />
mais auquel on interdit de vendre du bœuf pour ne pas concur<br />
rencer les bouchers français). Le but était atteint : les douros<br />
circulaient. Richard se plaît d'autre part à souligner les réper<br />
cussions sociales consécutives à la construction des bains. Pous<br />
sés par le bureau arabe, agha et caïds, en un pompeux cortège,<br />
y ont amené leurs femmes et celles-ci, pour la première fois,<br />
ont pu voir Orléansville. Amélioration du sort des femmes, mais<br />
aussi satisfaction donnée aux plus pauvres : « Un jour, le jeudi,<br />
est consacré exclusivement aux Arabes nécessiteux, à ces pau<br />
vres qui, en définitive, subissent toutes les charges, sans com<br />
pensation. Ce jour-là, tout malheureux y est reçu avec les égards<br />
qu'on accorde à ses chefs; il se lave, entend la musique, boit<br />
son café pour rien et s'en va content, probablement en avouant<br />
dans son âme que nous ne sommes pas aussi méchants qu'on<br />
veut bien le dire ». (1).<br />
Outre les constructions imposées par l'aménagement hy<br />
draulique et que nous examinerons plus loin, deux types d'édi<br />
fices méritent une mention particulière : les mosquées et les<br />
écoles. Les bureaux arabes n'accordaient pas le même intérêt<br />
aux unes et aux autres.<br />
S'ils travaillèrent parfois à la réfection des premières, ce<br />
n'est jamais, semble-t-il, avec beaucoup<br />
d'enthousiasme. Quelle<br />
fut, en effet, l'attitude des officiers des Bureaux arabes vis-à-<br />
vis de la religion musulmane ? Ils constatèrent d'abord, à leur<br />
arrivée dans le pays, que le culte était fort délaissé. Dans le<br />
cercle de Téniet-el-Had, les établissements religieux perdaient<br />
de plus en plus de leur importance. Au vieux Ténès, où existaient<br />
cependant trois mosquées fort belles, c'est à peine, signale<br />
Lapasset, si le vendredi il y a les douze fidèles voulus par le<br />
(1) N 468, 1849, Orléansville, 1 et 2° q. de novembre.
— — 220<br />
Coran pour que le muphti fasse la prière publique; dans les<br />
campagnes, où la négligence des pratiques religieuses se mani<br />
feste encore plus vivement, il est rare de rencontrer un musul<br />
man pouvant réciter les prières obligatoires. Dans la région<br />
d'Orléansville, pendant la disette de 1850-1851, on vit des Arabes<br />
manger du sanglier avec l'approbation de leurs chefs reli<br />
gieux (1). « Ne soyons donc pas plus musulmans, que les musul<br />
mans, écrit Lapasset, laissons les choses aller leur cours naturel;<br />
peut-être que cette négligence des pratiques religieuses pourra<br />
un jour amener l'indifférence religieuse, ce qui serait un grand<br />
bien pour l'assiette de notre conquête et l'essor de notre colo<br />
nisation. Il n'est pas opportun d'élever de nouvelles mosquées. »<br />
Avec Lapasset, Walsin-Esterhazy, Richard et beaucoup d'autres<br />
pensent que notre dominaition ne pourra jamais être acceptée<br />
par les Indigènes s'ils restent musulmans et surtout s'ils prati<br />
quent avec ferveur : aussi s'opposent-ils à toute politique ten<br />
dant à favoriser l'islamisation. Les mosquées restèrent peu nom<br />
breuses et il ne dépendit pas des Bureaux arabes qu'elles le<br />
fussent encore moins (2).<br />
Pour des raisons analogues, ils se montrèrent réticents ou<br />
même franchement hostiles lorsqu'il s'agit de construire des<br />
écoles indigènes. Pour Richard ce sont « les laboratoires du<br />
fanatisme » et il exprime l'avis de nombreux officiers lorsqu'il<br />
écrit : « Nous ne verrions, pour notre part, pas grand mal à ce<br />
que ces établissements tombassent en poussière, et à ce que<br />
le peuple arabe retournât à l'ignorance des premiers âges. Il<br />
nous serait alors possible de lui apprendre quelque chose et de<br />
nous l'approprier par l'éducation tandis qu'à présent la chose<br />
(1) N 447, 1852, Orléansville et Téniet, Inspections. Lapasset (10) 45.<br />
(2) Tous les chefs de bureaux arabes se sont occupés du problème reli<br />
gieux, par exemple : Lapasset (10), Walsin-Esterhazy (30), Richard en<br />
particulier dans (21) et (22). De très nombreux rapports abordent la ques<br />
tion.<br />
L'attitude de Richard est assez particulière. Il pense que l'Islamisme est<br />
corrompu et qu'il faudrait lie « rectifier » en rappelant aux Arabes l'exécu<br />
tion de leurs propres lois car « si nous parvenions à les rendre d'abord bons<br />
musulmans, il nous serait plus facile, le temps aidant, d'en faire un jour de<br />
passables chrétiens » (21) X à XIII. Mais son hostilité à la religion musulma<br />
ne reste entière et, selon lui, le peuple arabe après avoir brillé par le Coran,<br />
« agonise maintenant, écrasé sous son livre » (22) 15.
— — 221<br />
est entourée d'énormes difficultés. » (1). Mais d'autres chefs<br />
de bureaux arabes se montrent moins hostiles et pensent, qu'à<br />
la condition d'exercer un contrôle, il vaut mieux une instruction<br />
musulmane que pas d'instruction du tout. Margueritte fait un<br />
gros effort : un petit détachement de chasseurs du bataillon<br />
d'Afrique en garnison à Téniet-el-Had (détachement composé<br />
de maçons et de charpentiers) entreprend, dès 1849, de parcou<br />
rir successivement toutes tes tribus pour y bâtir dans chacune<br />
une école à l'emplacement désigné par le chef du bureau arabe.<br />
Poliot, à Cherchel, et Capifali, à Orléansville,<br />
travaillent dans<br />
le même esprit. Mais les tolba étaient vraiment trop médiocres<br />
pour que l'on pût espérer obtenir des résultats présentant quel<br />
que intérêt. (2).<br />
Lorsqu'il s'agit de répandre l'instruction française, tous les<br />
officiers accordent leur concours sans réserve, convaincus<br />
qu'<br />
« instruire l'indigène en lui donnant un enseignement fran<br />
çais, c'est travailler à l'édification d'une société algérienne toute<br />
française par ses tendances et ses opinions », c'est « préparer<br />
l'union sincère des deux races » et « mettre résolument la géné<br />
ration future dans la voie de l'assimilation et du progrès » (3).<br />
Pour mieux assurer te succès, Le Brun, de Téniet— el-Had, con<br />
seillait d'adjoindre un internat aux écoles arabes-françaises,<br />
pensant qu'il fallait autant que possible détacher les enfants<br />
de leurs parents si l'on voulait que la tolérance triomphât (4).<br />
Faute de moyens, les écoles arabes-françaises restèrent<br />
cependant peu nombreuses : six ou sept pour tout l'Ouest du<br />
Tell algérois et il semble bien que seule la contrainte assurait<br />
leur fréquentation : dans le cercle d'Orléansville, les trois<br />
écoles établies par le bureau arabe et qui totalisaient 110 élèves<br />
en 1869, virent ce nombre tomber à zéro lorsque les tribus<br />
furent placées sous la juridiction civile; il fallut les supprimer<br />
alors que les 63 écoles musulmanes, bien que ne disposant pas<br />
(1) Richard (17) 188.<br />
(2) N 468, 1849, Téniet-el-Had, rapport de février —<br />
4" T. 1857 ; Orléansville 2" T. 1860.<br />
G : Cherchel 2* et<br />
(3) G. Orléansville 1" T. 1863, Téniet-el-Had 2» T. 1867, Ténès 4« T. 1865.<br />
(4) G. Téniet-el-Had 2? et 4- T. 1866.
— — 222<br />
de véritables bâtiments scolaires,<br />
comptaient 653 élèves (1).<br />
Echec symptomatique qui montre que les Bureaux arabes ne<br />
réussirent pas dans leur politique de rapprochement. Et une<br />
question vient naturellement à l'esprit : pouvaient-ils obtenir<br />
de meilleurs résultats dans la transformation économique et<br />
sociale alors que l'hostilité des esprits n'avait pas désarmé et<br />
que l'ignorance régnait sans partage ?<br />
Construction.<br />
III. —<br />
LES MAISONS ORDINAIRES<br />
Les Bureaux arabes encouragent vivement la construction<br />
des maisons particulières surtout dans les régions où dominent<br />
les tentes qu'ils considèrent comme un type d'habitation infé<br />
rieur aux gourbis. Pour susciter le désir de construire, ils font<br />
valoir aux Indigènes que c'est le meilleur moyen qu'ils aient de<br />
conserver dans l'avenir une partie du sol qu'ils occupent, que<br />
le gouvernement, ayant besoin de terres pour les colons, revisera<br />
forcément la loi de 1851, mais que, dans tous les cas, on tiendra<br />
bon compte, à ceux qui seront sortis de leur apathie, des efforts<br />
qu'ils auront faits pour édifier une maison (2). Et, quand les<br />
constructions sont achevées les officiers insistent pour que, con<br />
formément aux promesses faites (3), des titres de concessions<br />
soient délivrés aux Indigènes. Dans la subdivision de Miliana,<br />
toujours citée en première ligne pour l'élan donné aux construc<br />
tions, ils excitent l'amour-propre des fellahs qui consentent à<br />
bâtir, et une véritable émulation s'établit entre les chefs dési<br />
reux de se surpasser les uns les autres; certains prennent même.<br />
(1) G. Orléansville 2* et 4- T. 1872, 1er T. 1873, 1" T. 1874. La plupart des<br />
rapports consacrent quelques lignes à la question scolaire que nous ne fai<br />
sons ici qu'effleurer.<br />
(2) N 475, Cercle de Miliana, rapport du 3' T. 1856. La loi du 17 juin 1851<br />
avait reconnu les droits de propriété et les droits de jouissance appartenant<br />
aux particuliers, aux tribus et aux fractions de tribus.<br />
(3) Circulaire du gouverneur général Charon du 15 juin 1849. Dans la<br />
province d'Oran La Moricière avait pris cette initiative deux ans aupara<br />
vant : voir Tinthoin (183) 328.
223 —<br />
l'initiative des constructions et viennent demander des ouvriers<br />
au bureau arabe. Afin de récompenser ce zèle, les Indigènes<br />
qui ont bâti sont, pour l'année, exemptés d'une partie de l'impôt<br />
proportionnée à leurs dépenses; on leur procure des arbres choi<br />
sis parmi ceux dont on veut répandre les greffes dans le pays;<br />
on leur accorde d'ensiloter dans l'intérieur de leur maison ou<br />
au voisinage; ils obtiennent des concessions de terrains autour<br />
de leur habitation et ils bénéficient de la préférence pour la<br />
location des terres domaniales à proximité; on autorise même<br />
quelques corvées en faveur de ceux qui édifient une maison (1).<br />
La construction décidée, le bureau arabe ne laisse pas l'In<br />
digène agir à sa guise. L'administration militaire affirme à<br />
l'occasion que, partout, les Indigènes bâtissent librement, là où<br />
ils se plaisent davantage, dans leur jardins, près de leurs sour<br />
ces, au milieu de leurs exploitations et de leurs amis. Les rap<br />
ports prouvent qu'il n'en fut pas ainsi : c'est le chef du bureau<br />
arabe, accompagné il est vrai des notables de la tribu, qui déter<br />
mine les emplacements où s'élèveront les constructions et qui<br />
fixe même l'époque à laquelle devront commencer les travaux.<br />
Il recherche parfois un emplacement tel qu'on puisse, chaque<br />
année,<br />
agglomérer des constructions nouvelles autour des pré<br />
cédentes, d'après un plan d'ensemble déterminé dès l'abord, et<br />
afin de parvenir en trois ou quatre ans à créer plusieurs petits<br />
villages. Mais, au début, on se préoccupe surtout des conditions<br />
de sécurité et ce n'est que par la suite, sous le Second Empire,<br />
qu'on laisse les Indigènes bâtir, suivant leurs goûts, près des<br />
oueds ou des sources,<br />
et rechercher surtout les conditions de<br />
bien-être et de prospérité. Alors, la pacification achevée, il ne<br />
s'agit plus de prouver à l'Arabe qu'il peut posséder en toute<br />
sécurité,<br />
mais de lui faire aimer ce qu'il possède. Il s'agit<br />
d'éveiller l'âme paysanne (2).<br />
(1) N 467, 1852, subdivision de Miliana ; N 448, 1853, rapport du général<br />
Camou ; N 471, 1852, cercle d'Orléansville ; G. Orléansville 4e T. 1856.<br />
Baudicour (39) 470-471 accuse les Bureaux arabes d'avoir accordé des<br />
concessions de 4 à 500 hectares aux chefs indigènes et de les avoir exemptés<br />
de plusieurs années d'impôts pour une petite construction. La critique paraît<br />
fort exagérée.<br />
(2) N 448, 1853, rapport du général Camou ; N 465, 1848, Téniet-el-Had,<br />
1 q. de mai ; N 468, 1849, Téniet-el-Had, 2" q. de janvier ; N 472, 1853, Mi<br />
liana, juin.
— — 224<br />
L'action du bureau arabe ne cesse pas avec le choix de<br />
l'emplacement des futures maisons. Richard trace un large pro<br />
gramme : le bureau arabe, selon lui, « doit non seulement exci<br />
ter à bâtir, mais encore présider aux constructions et les faci<br />
liter de tous ses efforts. Il faut, d'ailleurs, que l'Etat vienne à<br />
son aide,<br />
en facilitant l'achat des outils nécessaires et aussi en<br />
accordant quelques primes aux constructeurs, à titre d'encou<br />
ragement. Le bureau arabe devra, en outre, mettre un soin par<br />
ticulier à former des maçons et autres ouvriers indigènes, afin<br />
de rendre encore plus facile les détails d'exécution. Quand la<br />
maison sera bâtie, il faudra la meubler et l'entourer d'un jardin.<br />
Par le meuble nous toucherons aux mœurs; par le jardin, nous<br />
propagerons la première des sciences : l'agriculture ». (1).<br />
S'ils ne vont pas jusqu'à s'occuper de l'ameublement, les<br />
Bureaux arabes interviennent cependant dans le détail de la<br />
construction. Ils sont les intermédiaires indispensables entre<br />
les Indigènes et les entrepreneurs,<br />
aussi bien d'ailleurs lorsqu'il<br />
s'agit de bâtir une mosquée que de construire une maison par<br />
ticulière. Ils dirigent chaque jour vers les différents points du<br />
cercle les ouvriers européens et indigènes chargés des construc<br />
tions. Dans certains cas, ils facilitent les travaux en fournissant<br />
de la main-d'œuvre militaire. On les voit installer dans l'Ouar<br />
senis des brigades de scieurs de long pour débiter le bois néces<br />
saire aux entrepreneurs, ou établir sur le Nahr-Ouassel des équi<br />
pes d'ouvriers arabes et français qui, dès l'automne, préparent<br />
les briques, les tuiles et la chaux que l'on utilisera au printemps<br />
prochain.<br />
Pendant la construction, la surveillance des Bureaux ara<br />
bes ne se relâche pas car ils craignent que les Indigènes ne<br />
soient trompés par les entrepreneurs, ce qui inévitablement les<br />
ramènerait à préférer la tente ou le gourbi. Ils veulent aussi<br />
éviter les dépenses trop fortes et préfèrent allonger la durée<br />
des travaux : dans le cercle de Miliana, en 1852,<br />
une maison de<br />
deux chambres avec hangars revient à 1.000 ou 1.100 francs ;<br />
les moins riches étendent l'ouvrage sur deux ans, élevant la<br />
maison la première année et, l'année suivante, les murs de clô-<br />
(1) Richard (18) 64.
— 225 —<br />
ture et les hangars. Lorsque la bâtisse est terminée, c'est l'offi<br />
cier du bureau arabe qui l'accepte et, en sa présence, le pro<br />
priétaire paie le constructeur de la main à la main.<br />
Et la tâche n'est pas terminée. Le Bureau arabe surveille<br />
désormais l'état des constructions pour s'assurer qu'elles sont<br />
toujours habitables; il essaye de faire comprendre que la pro<br />
preté est un remède souverain contre les maladies et,<br />
en con<br />
séquence, de temps à autre, il prescrit le blanchiment des mai<br />
sons à la chaux. Il devient le tuteur des nouveaux propriétai<br />
res. (1).<br />
Pour avoir une idée de cette actiyité et des obstacles qu'il<br />
fallait surmonter, le mieux est encore de citer un des rapports<br />
qui en font état. Autour d'Orléansville, en décembre 1849, les<br />
travaux battent leur plein. On construit à la fois mosquées,<br />
moulins, prisons, abreuvoirs, maisons,<br />
quent pas :<br />
et les difficultés ne man<br />
« Tous les points sur lesquels des constructions ont été<br />
faites sont assez éloignés d'Orléansville pour qu'il soit impos<br />
sible de profiter avantageusement des quelques ressources que<br />
cette ville offre, soit en matériaux, soit en moyens de transport,<br />
soit en ouvriers de toutes espèces. Ces points n'étant même pas,<br />
pour la plupart, reliés par des routes carrossables avec cette<br />
ville, il a fallu créer, dans chacun d'eux, des chantiers complets<br />
et se satisfaisant à eux-mêmes. Ainsi, il a fallu ouvrir partout<br />
des carrières de pierres à bâtir, de pierres à chaux, de plâtre,<br />
trouver des terres convenables pour la fabrication de la brique<br />
rechercher les bois nécessaires à la cuisson des<br />
et de la tuile,<br />
fours, rapprocher les eaux pour les constructions, établir des<br />
installations provisoires pour les ouvriers maçons, chaufour<br />
niers, carriers, menuisiers, briquetiers et veiller à l'approvision<br />
nement des vivres de ces ouvriers, en général très difficiles à<br />
conduire et dont il fallait surveiller avec soin les relations avec<br />
les indigènes qu'ils étaient très disposés à maltraiter.<br />
(1) Surtout N 465, 1848, cercle de Miliana ; N 468, 1849, cercle d'Orléans<br />
ville ; N 447, 1852, subdivision de Miliana ; N 472, 1852, cercles de Miliana et<br />
d'Orléansville ; N 472, 1853, cercle d'Orléansville ; G : Orléansville 2.» T. 1856,<br />
3* T. 1860, septembre 1865 ; Téniet-el-Had, 3" T. 1856.<br />
15
— 226-^<br />
« L'expérience a fait apporter des modifications successi<br />
ves. Le manque absolu de bois de construction à Orléansville,<br />
la mauvaise qualité de ceux envoyés d'Alger et l'impossibilité<br />
de se servir de ceux qui ont été faits dans les forêts de l'Ouar<br />
senis autrement que pour les échafaudages, a fait renoncer com<br />
plètement à l'emploi des toitures ordinaires de France qui ont<br />
été remplacées par des voûtes légères en briques, ce qui a per<br />
mis de supprimer les tuiles qui étaient d'ailleurs d'un mauvais<br />
usage pour les Arabes qui les brisaient rapidement en voulant<br />
monter sur leurs toitures, soit par curiosité, soit pour y déposer<br />
une foule d'objets.<br />
« En ce moment, il est fait une expérience pour remplacer<br />
ces voûtes en briques par d'autres en béton qui seraient d'une<br />
exécution très facile, des pierres de petite dimension se trou<br />
vant presque partout ; il serait même possible de faire une<br />
partie des murs par ce moyen.<br />
« Il a été reconnu utile de repousser partout à l'intérieur<br />
les enduits au mortier qui étaient rapidement dégradés ; on leur<br />
a substitué avec avantage ceux au plâtre : cette dernière matière<br />
se trouve presque partout en abondance.<br />
« Il a fallu abandonner l'emploi des serrures qui ne résis<br />
taient pas plus de huit jours entre les mains des Arabes ; de<br />
simples verrous ont suffi » (1).<br />
On simplifie les travaux de menuiserie, on simplifie la dis<br />
tribution des maisons et ainsi on va plus vite, sans doute trop<br />
vite.<br />
Description.<br />
Comment se présentaient les maisons bâties par les Bureaux<br />
arabes ? A vrai dire on rencontrait les aspects les plus variés,<br />
beaucoup<br />
cependant ressortissant au type de la maison élémen<br />
taire avec un seul bâtiment que couvre un seul toit abritant à<br />
la fois le logis d'habitation et, lorsqu'elles existent, les dépen<br />
dances.<br />
(1) N 468, 1849, Orléansville, 2* q. de décembre.
— — 227<br />
Le caractère de ces constructions est parfois très primitif.<br />
Faute de pouvoir faire mieux, en 1848, Margueritte encourage<br />
de tout son pouvoir l'édification des maisons-gourbis que les<br />
Arabes construisent eux-mêmes et qu'il estime néanmoins bien<br />
préférables à la tente. Dès la fin de l'année, on en compte 120<br />
dans le cercle de1 Téniet-el-Had; elles sont faites en pierres liées<br />
avec de la terre grasse mêlée de sable et couvertes en diss! ou en<br />
chaume (1).<br />
La maison de maçonnerie, couverte en tuiles ou en tuiles<br />
et rondins (dans l'Ouarsenis), plus rarement en terrasse, se com<br />
pose le plus souvent d'une seule pièce de dix mètres sur quatre<br />
avec cheminée, dallage en briques,<br />
et dispose parfois d'une cour<br />
de dix mètres sur huit (2). L'uniformité de la construction et<br />
surtout des dimensions.dans le cercle Miliana en particulier,<br />
traduit bien l'unité de la conception. Dans certaines tribus, com<br />
me les Ouled-Sidi-Slimane, les Béni-Senouss et les Béni-Sou-<br />
meur du cercle de Miliana, des gourbis utilisés comme écuries<br />
complètent la construction. Chez les Righa, ces gourbis servent<br />
d'habitation aux khammès du maître de la maison.<br />
Les maisons à plusieurs pièces d'habitation sont moins fré<br />
quentes. Elles consistent, dans la plupart des cas,<br />
en deux gran<br />
des chambres communiquant l'une avec l'autre et formant une<br />
des faces d'une cour carrée de dix mètres de côté. Ces chambres<br />
sont éclairées chacune par une fenêtre donnant dans la cour,<br />
mais placée assez haut pour que l'on ne puisse voir de l'exté<br />
rieur dans la maison. Aux murs de la cour s'adossent des han<br />
gars servant d'écuries aux chevaux et bêtes de somme. Là aussi<br />
on retrouve beaucoup<br />
de ressemblance entre les diverses cons<br />
tructions et cela tient non seulement à l'impulsion directrice<br />
des Bureaux arabes, mais aussi au fait que ce furent les mêmes<br />
entrepreneurs qui édifièrent la plupart des bâtisses. L'un d'eux,<br />
connu de tous les Indigènes sous le nom de<br />
Carré, de Miliana,<br />
Kari, fut le grand bâtisseur de la vallée du Chélif, n'hésitant<br />
(1) N 465, 1848, Téniet, 2" q. septembre et 1 q. novembre ; Miliana,<br />
1" q. novembre.<br />
(2) Type très voisin de celui que l'on rencontre à la même époque chez<br />
les Douaïrs et les Zmélas où la pièce mesure 10 mètres sur 5 et la cour 10<br />
mètres sur 7 : Tinthoin (183) 132.
— 228 —<br />
pas à mettre à contribution les nombreux matériaux antiques<br />
qui par endroits jonchaient le sol. Le caïd des Braz et plusieurs<br />
de ses administrés durent ainsi leur logis aux Romains de Tigava<br />
municipium (1).<br />
Les constructions prenaient parfois une allure imposante.<br />
Le caïd des caïds des Béni-Menna disposait de quatre chambres,<br />
deux salles de réception, une vaste cour, des écuries pour dix<br />
chevaux. Le caïd des caïds des Béni-Hidja avait fait bâtir une<br />
vaste maison qui, outre une salle à manger, trois chambres pour<br />
les femmes, un cabinet de bains et une cuisine avec grand four,<br />
comprenait une belle salle de réception meublée à la fran<br />
çaise et destinée aux passagers européens forcés de débarquer<br />
par mauvais temps dans « la baie de Taraguia » (Baie de Te-<br />
rarenia ?).<br />
Certaines fermes, exploitant plusieurs dizaines d'hectares,<br />
/alignaient des bâtiments ayant 35 à 40 mètres de côté. On les<br />
/trouvait notamment dans le cercle de Téniet—el-Had, chez les<br />
j Béni-Méharez, les Ouled-Bessem Chéraga, les Béni-Maïda, les<br />
Ouled-Ammar, les Ouled-Oradj, les Béni-Lent. Sur le versant<br />
sud de la montagne, au milieu d'un bois et à proximité de l'eau,<br />
s'élevait, chez les Béni-Méharez, une maison de 37 mètres sur<br />
18, en maçonnerie de pierre, crépie à la chaux, couverte en<br />
planches et tuiles et possédant deux magasins et deux écuries<br />
pour 18 chevaux. Chez les Béni-Lent, une ferme carrée de 42<br />
mètres de côté abritait 25 habitants dans six logements avec, en<br />
plus, une maison d'hospitalité, le tout avec portes et fenêtres<br />
vitrées (2).<br />
Mais les constructions les plus importantes, les plus vastes<br />
demeures et les plus luxueuses, se rencontraient dans les villa<br />
ges dont elles furent souvent l'origine essentielle. Là, les chefs,<br />
aiguillonnés par l'amour-propre, édifièrent, au prix d'énormes<br />
dépenses, de véritables installations seigneuriales. Les plus bel-<br />
(1) N 471, 1852, Miliana ; Lapasset (11) 338-340 ; Lacroix (178) 333 ;<br />
Tableau des établissements français 1856-1858 p. 206-207. Chez les Béni-Ah<br />
med (Oued Telbenet) les constructions furent surtout l'œuvre d'un Italien<br />
qui, adoptant les habitudes arabes, s'installa ensuite dans la tribu.<br />
(2) N 468, 1849, cercle de Ténès ; N 465 1848, cercle de Ténès ; Tableau<br />
des établissements français 1852-1854 p. 346-362.
— — 229<br />
les, sans conteste, et qui firent sensation dans le Chélif, étaient<br />
celles de l'agha et du bach-agha des Djendel, situées à quatre<br />
kilomètres au nord-est du grand marché de la tribu (lequel se<br />
trouve à l'emplacement actuel de Lavigerie) et qui furent bâties<br />
avec l'aide des moyens de transport des Indigènes.<br />
L'habitation de Baghdadi, agha des Djendel, se composait<br />
d'un corps de logis avec premier étage, d'une vaste écurie pou<br />
vant loger 40 ou 50 chevaux et d'une maison des hôtes.<br />
Quant à la maison de Bou Alem, bach-agha des Djendel,<br />
elle n'avait peut-être pas d'équivalent dans le reste de l'Algérie.<br />
Elle se divisait en trois parties. L'une constituait le corps de<br />
logis proprement dit, avec un premier étage, et s'organisait<br />
autour d'un patio où jaillissait le classique jet d'eau; les cham<br />
bres étaient toutes plafonnées, carrelées et décorées de peintures<br />
sur plâtre; les portes et les fenêtres avaient été établies sur le<br />
modèle des anciennes maisons d'Alger. La seconde partie, atte<br />
nante à la première, comprenait les dépendances et des écuries<br />
susceptibles de recevoir 50 chevaux. La troisième partie, séparée<br />
des deux autres par un vaste jardin, entretenu par des ouvriers<br />
français, formait la maison des hôtes et tint lieu, jusqu'en 1855,<br />
de caravansérail sur la route de Miliana à Médéa, à peu près à<br />
égale distance des deux villes; elle était très fréquentée par les<br />
commerçants européens attirés de tous les points par le marché<br />
de l'Arba et Bou Alem avait fait exécuter, à ses frais, un chemin<br />
carrossable pour relier son habitation au marché.<br />
Selon le Tableau des établissements français en Algérie de<br />
1852-1854, les demeures de Baghdadi et Bou Alem coûtèrent à<br />
elles seules 500.000 francs; d'autres documents limitent l'esti<br />
mation à 160.000 ou 180.000 francs. Même en admettant ces der<br />
niers chiffres, on peut apprécier le caractère princier des habi<br />
tations si l'on songe que le prix moyen d'une maison ordinaire<br />
de deux chambres s'établissait alors autour de mille francs (1).<br />
La juxtaposition, souvent dans la même tribu, de maisons<br />
très modestes à côté d'autres très confortables, apparaît avec<br />
beaucoup de netteté lorsque l'on compare la valeur des cons-<br />
(1) Tableaux des établissements français 1852-1854 et 1856-1858. Baudi<br />
cour (168) 523.
— — 230<br />
tractions. Chez les Ouled-Ayad par exemple, où l'on compte<br />
huit maisons, le logis du bach-agha estimé 2.000 francs vaut, à<br />
lui seul, autant que les sept autres réunis. Aux Ouled-Mira et<br />
Ouled-Mbakhta, les 21 maisons que totalisent les deux tribus<br />
valent 12.000 francs dont 10.000 pour celle du caïd, avec ses<br />
trois chambres de dix mètres sur trois et son écurie pouvant<br />
contenir quinze chevaux. Le hameau des Ouled-Yahia, avec ses<br />
cinq maisons, est estimé 3.600 francs et la seule maison de l'agha<br />
6.000. Quant aux demeures de Bou Alem et Baghdadi, en accep<br />
tant l'évaluation modérée de 160.000 francs, elles surpassent à<br />
elles seules les 97 maisons du cercle d'Orléansville auxquelles<br />
les statistiques accordent une valeur globale de 148.200 francs.<br />
Dans quelle proportion rencontrait-on maisons à pièce<br />
unique, maisons à plusieurs chambres et vastes fermes ? Dans<br />
la région qui nous intéresse, nous avons pu déterminer la com<br />
position de 546 habitations en 1856 et nous avons constaté la<br />
prépondérance très marquée des maisons à une pièce : 415<br />
pour 80 à deux pièces, 32 à trois et 19 seulement dotées de plus<br />
de trois chambres. Les grosses fortunes étaient rares et il ne<br />
faut pas oublier qu'à l'époque, les propriétaires ne recevaient<br />
de l'Etat aucune aide financière.<br />
Un type d'habitation mérite une mention toute particu<br />
lière : ce sont les maisons collectives bâties pour les familles<br />
de mekhazenis. Nous verrons plus loin qu'il y eut des villages<br />
entiers de caractère militaire. Ici il s'agit seulement de vastes<br />
constructions isolées les unes des autres et placées en des points<br />
où il y avait intérêt à surveiller la circulation. Autant que pos<br />
sible on choisissait également des lieux favorisés sous le rapport<br />
de la fertilité des terres et l'abondance des eaux, dans l'espoir<br />
que chacune de ces maisons pourrait devenir le centre d'un<br />
futur village. Dans le cercle de Téniet-el-Had, en 1848, Margue<br />
ritte fit édifier quatre de ces bâtisses soit par les Indigènes, soit<br />
par les ouvriers militaires. Les murs étaient de bonne maçon<br />
nerie (1)<br />
avec toit de tuiles ou de rondins recouverts de terre.<br />
(1) Pour l'une d'entre elles sise dans les Ouled-Ayad on utilisa la pierre<br />
provenant d'une ruine romaine assez considérable.
— 231<br />
Nous donnons ci-dessous et p. 232 le plan de deux de ces mai<br />
sons. L'une destinée à loger cinq familles de mekhazenis des<br />
Blaëls s'élevait à 1.200 mètres environ au nord-ouest du camp de<br />
Téniet-el-Had; l'autre, beaucoup plus importante, située à. trois<br />
kilomètres au sud-est de Téniet-el-Had, sur le versant sud de<br />
la montagne dite Dra-el-Kerrouch, devait loger dix familles et<br />
possédait en outre un emplacement pour l'école, un café et une<br />
salle des hôtes; la prééminence du chef se marquait pas le fait<br />
qu'il disposait d'un appartement de deux pièces et d'une écurie<br />
particulière (1).<br />
MAISON DE MEKHAZENIS<br />
Cette figure est une réduction de moitié de documents trouvés aux<br />
Archives Nationales (F s» 443). L'échelle que l'on peut déduire des cotes<br />
(non reproduites) est ici de 1 : 200".<br />
(1) Les deux autres maisons de mekhazenis du cercle de Téniet-el-Had,<br />
se trouvaient chez les Ouled-Ayad et devaient abriter chacune 5 familles.<br />
Leur plan était voisin de celui de la maison de mekhazenis ci-dessus.
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Résultats.<br />
•233-<br />
Quelle fut au total l'ampleur du bouleversement apporté<br />
dans le mode d'habitation des Indigènes ? Nous disposons des<br />
statistiques faites par les Bureaux arabes pour les années 1853<br />
et 1856 et nous avons dressé un tableau mentionnant, pour cha<br />
que tribu, les constructions qui y furent faites, en distinguant<br />
les maisons isolées des hameaux (p. 236-239).<br />
Pour l'instant, examinons les constructions dans leur<br />
ensemble sans accorder une place à part à l'habitat ag<br />
gloméré. Sur un total de 107 tribus nous en dénombrons<br />
63 qui comptent des constructions nouvelles, soit plus de<br />
la moitié. Mais la différence est considérable d'un cercle<br />
à l'autre. Presque rien dans le cercle de Cherchel, ni même<br />
dans celui de Ténès si l'on excepte le village de la Smala dont<br />
nous parlerons plus loin. Dans la région de Téniet-el-Had, les<br />
ouvriers européens retirent un bon profit de la construction des<br />
maisons (100.000 francs jusqu'en 1851 en comptant les bâtiments<br />
d'utilité publique), mais le nombre des chefs qui suivent le<br />
mouvement reste cependant réduit. Situation meilleure dans le<br />
cercle d'Orléansville où chaque année s'élèvent quelques mai<br />
sons nouvelles : six en 1852, cinq en 1853, onze en 1854 (1).<br />
C'est le cercle de Miliana qui offre le plus bel exemple de<br />
transformation. D'une tribu à l'autre, il est vrai, les résultats<br />
sont très différents : certaines, en 1856 encore, ne comptent<br />
qu'une, deux ou trois maisons et 17 n'atteignent pas les 10 mai<br />
sons pour 11 qui en possèdent entre 10 et 20, et 10 qui en totali<br />
sent plus de 20 dont les Djendel s'inscrivant pour 40, les Attafs<br />
pour 33 et les Béni-Hamed pour 82.<br />
Dans l'ensemble toutefois l'activité est grande dans le cercle<br />
où 38 tribus sur 48 ont édifié des maisons. En 1850, 200 ouvriers<br />
dont 60 Européens sont occupés aux constructions. De 1851 à<br />
1852 seulement on voit le nombre de maisons passer de 364 à<br />
413, puis à 449 en 1853, à 471 en 1854, à 546 en 1856. Le mouve-<br />
(1) N 470, 1851, cercle de Téniet ; N 450, 1854, cercle d'Orléansville.
— — 234<br />
ment est tel qu'en 1854, le chef du bureau arabe signale que les<br />
Indigènes agissent de leur plein gré, sans qu'il soit besoin de<br />
les encourager, paraissant comprendre la supériorité des cons<br />
tructions de maçonnerie sur les gourbis (1) .<br />
Il serait intéressant de comparer cette activité constructive<br />
à celle qui régnait alors dans l'ensemble de l'Algérie; malheu<br />
reusement les statistiques manquent ou n'inspirent aucune con<br />
fiance (2). Nous savons seulement qu'en 1853 l'Ouest du Tell<br />
algérois totalisait 578 maisons. A cette époque seule la subdi<br />
vision d'Oran avec 483 maisons (chez les Douaïrs, Zmélas et<br />
Garabas) surpassait légèrement celle de Miliana qui en présen<br />
tait 449; celle de Mostaganem suivait loin derrière avec 254. Si<br />
l'on songe que Douaïrs et Zmélas avaient à ce moment ter<br />
miné leurs villages,<br />
alors que les Abid-et-Feraïlia n'avaient pas<br />
encore commencé les leurs et que d'autres tribus allaient éga<br />
lement entreprendre des constructions, on voit que nous som<br />
mes sans doute ici dans1 la région qui l'emporta sur toutes les<br />
autres en matière de constructions. Et, avec les 44 villages des<br />
Ouled-Kosseïr notamment, le cercle d'Orléansville devait lui<br />
aussi s'assurer, dans les années à venir,<br />
une place d'honneur.<br />
Le paysage s'en trouva-t-il réellement et profondément<br />
modifié ? Dans le cercle exceptionnellement bâtisseur de Mi<br />
liana, nous trouvons, en 1853, 427 maisons pour 4.489 gourbis<br />
et 5.775 tentes et la progression qui s'effectua par la suite ne<br />
modifia pas beaucoup le rapport. La population vivant dans<br />
ces maisons ne dépassait guère 8.000 habitants sur près de<br />
74.000. Dans le cercle d'Orléansville qui, dans notre région, sui<br />
vait celui de Miliana pour l'importance des réalisations, les 96<br />
maisons abritaient environ 700 habitants; peu de choses compa<br />
rativement aux 4.370 tentes et aux 9.652 gourbis dans lesquels<br />
vivaient plus de 56.000 Indigènes (3). Le cantonnement des<br />
(1) N 469, 1850, cercle de Miliana ; N 473, 1854, cercle de Miliana.<br />
(2) Quand Ribourt (90) parle de 35.254 maisons en 1854 et de 79.480 en<br />
1857, il est évident qu'il englobe dans son dénombrement autre chose que les<br />
maisons construites à l'européenne.<br />
(3) N 448, 1853, cercles de Miliana et d'Orléansville.
235-<br />
Ouled-Kosseïr devait y apporter, nous l'avons vu, une notable<br />
modification, sans cependant infirmer, pour l'ensemble du ter<br />
ritoire, cette vérité générale : la maison resta une habitation<br />
assez exceptionnelle, comme l'était la fortune (1).<br />
(1) A propos des Béni-Ahmed, Lacroix (178) 333, décrit les vallées de<br />
l'Oued Telbenet et de l'Oued Guergour, r présentant un coup d'oeil ravis<br />
sant de maisons blanchies à la chaux, encadrées dans des touffes de verdu<br />
re » et il ajoute « mais il est inutile d'en chercher ailleurs ; tous les grands<br />
propriétaires habitent ces maisons, laissant à leurs khammès le soin de la<br />
bourer leurs terres éloignées ».
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Tribus diverses<br />
Zougagha<br />
TRIBUS VILLAGES OU HAMEAUX<br />
Total du cercle.<br />
Total du cercle.<br />
Total de la subdivi<br />
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CARTE<br />
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NOM<br />
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Village des Medjadja<br />
Village de la Smala<br />
NOMBRE DE<br />
MAISONS<br />
MAISONS<br />
ISOLEES<br />
POPULATION<br />
habitant<br />
des<br />
maisons<br />
SDRFACES<br />
CULTIVÉES<br />
par les habitants<br />
des maisons<br />
(en hectares)<br />
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13<br />
6<br />
12<br />
8<br />
» 18 44<br />
96 97 » 18 (608) » (1496)<br />
20<br />
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13<br />
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18<br />
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14 14<br />
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charrues;<br />
20 20 13 19 » s »<br />
116 117 13 37 (608) » » »<br />
Toi 250 278 328 461 (8644) » » »<br />
(1) Les chiffres proviennent essentiellement des Tableaux de la situation des établissements français de 1852-1854 et 1856-1858;<br />
les documents d'archives nc-us ont permis d'y apporter quelques corrections. Nous avons exclu<br />
écoles et les caravansérails et nous n'avons porté que les tribus comptant des maisons.<br />
du dénombrement les<br />
(2) En se reportant au numéro indiqué on trouvera soit le nom même de la tribu, soit celui du ou des douars-communes<br />
formés par application du Sénatus-consulte. Ce sont donc les numéros et non les dénominations qu'il faut chercher sur<br />
la carte à la fin de l'ouvrage.<br />
C'est du moins ce que mentionnent les Tableaux, mais les Archives (N. 447) qui distinguent pour chaque tribu les tentes,<br />
les gourbis et les maisons, notent, chez les Béni-bou-Attab, la présence de 188 gourbis. Question de dénomination sans<br />
doute. Gourbis ou maisons, ces habitations sont en tous cas antérieures à l'action des Bureaux arabes.<br />
(4) Le village de Bou Alem compte pour 500 habitants et 1.500 hectares.<br />
(5) Pour le cercle de Téniet les statistiques fournissent les surfaces cultivées en zouidjas. Nous avons compté la zouidja com<br />
me valant 10 hectares.<br />
(6) Toute la population habitait dans des gourbis et les officiers des Bureaux arabes, jugeant que la fixation était suffisamment<br />
réalisée, ne poussèrent pas les Indigènes à construire des maisons. Cela seul suffirait à prouver que la fixation, qui com<br />
mandait la sécurité, était le but principal, l'amélioration des conditions d'existence ne venant qu'ensuite.<br />
(7) Les totaux sont entre parenthèses lorsque les colonnes de chiffres ne sont pas absolument complètes.<br />
»
— B<br />
—<br />
HAMEAUX ET VILLAGES<br />
Si nous examinons le tableau précédent, pour l'année 1856<br />
par exemple, nous constatons qu'une bonne partie de la popu<br />
lation ayant opté pour la maison vit agglomérée en hameaux<br />
et villages : sur un total de 739 maisons, 278, soit près de deux<br />
cinquièmes se trouvent ainsi groupées. Il ne peut s'agir d'un<br />
effet du hasard, ni même du jeu de diverses influences géogra<br />
phiques, mais de la volonté délibérée des officiers de Bureaux<br />
arabes sans l'assentiment desquels rien ne pouvait se faire.<br />
Pour quelles raisons ont-ils ainsi favorisé l'agrégation des<br />
Indigènes ? Richard nous le dit dans un de ses rapports pour<br />
justifier les instructions qu'il a données aux tribus dont il a<br />
la charge : « Quant à notre intérêt particulier écrit-il, il est<br />
manifeste qu'il sera mieux satisfait par l'établissement des<br />
villages que par la construction des maisons isolées. Dans ce<br />
dernier système nous améliorons l'état de l'Arabe, mais nous<br />
ne gagnons rien pour la sécurité générale et notre domination;<br />
la même indépendance, la même facilité de fuite existe pour<br />
les Arabes en même temps que les mêmes causes de défiance<br />
et de discorde qui les divisent. Dans le premier système, au<br />
contraire,<br />
nous obtenons d'avoir sur un point déterminé toute<br />
la partie importante de la population qui nous assure le reste;<br />
nous avons le cœur de la tribu, c'est-à-dire sa vie.<br />
« On pourrait signaler d'autres avantages, tels que la possi<br />
bilité de constituer par le village, la municipalité dans les<br />
tribus (1), la faculté d'établir des moulins et des boulangeries<br />
(1) En 1861, à la commission chargée de rédiger un projet de cantonne<br />
ment, Gandil reviendra sur cette idée et affirmera que l'un des buts pour<br />
suivis est de grouper les populations indigènes dans des centres de popula<br />
en villages, et de préparer les tribus à passer de leur organisation inté<br />
tion,<br />
rieure actuelle à l'organisation en communes » (154) 39. Yusuf aurait voulu<br />
tenter l'essai avec les Ouled-Kosseïr.<br />
16
— 242-<br />
en commun, deux résultats qui doivent profondément remuer<br />
la société arabe et l'amener à nous. Mais il suffit de montrer<br />
le côté politique de la question qui, à l'heure qu'il est, est le<br />
plus important.<br />
« Le chef du bureau arabe pense donc que l'établissement<br />
des villages, compris dans ce sens, devrait être préféré à la<br />
construction des maisons isolées qui ne peuvent avancer que<br />
faiblement la question de la conquête. » (1).<br />
Comment, sous quelles formes, se fit ce groupement de la<br />
population en villages ? Le tableau précédent ne donne que<br />
des valeurs numériques qui masquent la diversité de l'œuvre<br />
accomplie. Deux types de villages, au moins, doivent être distin<br />
gués : ceux qui furent des créations uniquement militaires, et<br />
auxquels on accorde de préférence le nom de smalas, et ceux<br />
qui rassemblèrent les Indigènes sans leur imposer un service<br />
militaire. On peut y ajouter un troisième type, mixte,<br />
où une<br />
fraction seulement de la population était soumise à des obliga<br />
tions militaires : nous en avons un bel exemple dans la smala<br />
de Ténès.<br />
I. —<br />
LES SMALAS (2)<br />
Le terme de smala est parfois employé pour désigner toute<br />
population agglomérée et fixe. Richard et Lapasset, entre autres,<br />
l'utilisent avec cette acception tout en lui donnant dans d'autres<br />
cas le sens de village de militaires indigènes,<br />
sens qui devait<br />
s'imposer par la suite et auquel nous nous tiendrons ici.<br />
Origine et organisation.<br />
Peut-on préciser l'origine des smalas ? Il est certain qu'elle<br />
remonte aux Turcs : la smala, c'est le makhzen au repos, ce<br />
(1) N 465, 1848, 1 q. de juillet. Lapasset partage cette opinion et, s'il<br />
accepte la création de fermes indigènes isolées, c'est seulement à la condition<br />
de les rattacher à un centre voisin (121) 81.<br />
(2) Richard écrit Zemalas » et Lapasset « zmoul ». Le véritable plu<br />
riel serait zmoul, mais la forme « smalas » semble avoir prévalu dans les<br />
textes.
— 243-.<br />
sont des cavaliers auxquels le Beylik a concédé des terres et<br />
qui se livrent aux travaux de l'agriculture, toujours prêts à les<br />
abandonner pour marcher au premier signal du Bey dont ils<br />
dépendaient. Une fois de plus, les Bureaux arabes allaient donc<br />
se mettre à l'école des Turcs.<br />
L'idée de faire participer à la sécurité une milice indigène<br />
de soldats agriculteurs apparaît dès 1845, dans les écrits des<br />
Saint-Simoniens notamment (1). A cette époque même, Lapasset<br />
entreprenait à Ténès l'organisation d'une première colonie indi<br />
gène que l'on peut, dans une large mesure,<br />
considérer comme<br />
la première smala d'origine française, mais qui aggloméra aussi<br />
(nous le verrons plus loin) un certain nombre d'Indigènes échap<br />
pant au service militaire.<br />
Un peu plus tard, en 1846, Lapasset, dans un petit ouvrage<br />
(2) demande, entre autres choses, la création de smalas pour les<br />
spahis : au lieu de caserner ces derniers qui ne peuvent s'habi<br />
tuer aux exigences de la « soldatomanie » (3), il propose de les<br />
organiser en villages par escadron, soit au total, pour l'Algérie,<br />
18 villages de 150 familles chacun; chaque spahi recevrait une<br />
maison qui lui aurait été construite par les Indigènes du cercle<br />
et, avec les siens, il s'adonnerait à la culture et à l'élevage, sur-<br />
(1) Emerit (61) 254-255. On peut évoquer ici la tentative de Voirol en<br />
1834 : il fit grouper à la Rassauta une cinquantaine de tentes d'anciens saha<br />
riens, les Aribs, dont les hommes devaient assurer la sécurité dans les envi<br />
rons de la Maison-Carrée : « On leur donna des charrues et on leur fit des<br />
avances en semences. Le projet du général était d'introduire peu à peu chez<br />
eux nos procédés agricoles et d'en faire une tribu modèle qui, par le bienêtre<br />
dont elle aurait joui, aurait donné aux autres la preuve de davantage<br />
de nos méthodes de travail et de la douceur de nos lois » ; Pellissier de Rey<br />
naud cité par Azan (34) 121. Mais il ne s'agissait pas ici de soldats réguliers<br />
et la tentative d'ailleurs ne fit pas école. On sait que le projet d'établissement<br />
des Aribs devait être repris par Bugeaud en 1846 ; Démontés (48) 513-516.<br />
(2) Mémoires sur la colonisation indigène et la colonisation européenne<br />
qui ne fut publié qu'en 1848.<br />
(3) Par ce néologisme, Lapasset indique toutes les corvées et mouve<br />
ments imposés aux cavaliers indigènes dans nos casernes : pansage, paqueta<br />
ge, harnachement, marcher botte à botte, etc.. p. 37-40. Hugonnet reprendra<br />
cette idée dans son ouvrage Français et Arabes en Algérie, insistant sur le<br />
fait que les spahis nous fournissent d'excellents éclaireurs, des partisans, des<br />
vedettes et qu'ils perdent leurs aptitudes par un séjour prolongé dans les<br />
casernes et par la pratique d'exercices fastidieux. Aussi approuve-t-il la créa<br />
tion des smalas qui permettent aux spahis de conserver les qualités des cava<br />
liers arabes et de devenir des intermédiaires entre nous et les gens des tribus<br />
(7) 169-171.
=-244 —<br />
tout à celui des chevaux. Suivant Lapasset, l'aisance régnerait<br />
dans les familles des cavaliers et les engagements dans les<br />
spahis seraient alors plus nombreux, ce qui paraît bien être<br />
le but essentiel. Mais ce projet n'eut pas de suite.<br />
Chose curieuse, Lapasset semble ignorer complètement ce<br />
qui se passe alors, cinquante kilomètres plus loin, à Orléansville.<br />
Plus extraordinaire encore est le silence observé par Saint-<br />
Arnaud dans ses lettres et surtout par Richard dans ses nom<br />
breux rapports, tous deux exerçant un commandement à Or<br />
léansville où venait de naître la première smala.<br />
Fleury raconte, en effet, dans ses Souvenirs, qu'à la fin de<br />
1844 il fut désigné par La Moricière en vue d'organiser à Or<br />
léansville le cinquième escadron de spahis : « Pour décider<br />
l'engagement des hommes de grande tente, écrit-il (1), il fallait<br />
pouvoir offrir à des gens mariés la facilité de se grouper aux<br />
portes de la ville, de se constituer en smalah et d'y planter leurs<br />
tentes pour eux, leur famille et leurs serviteurs. De cette façon<br />
ils garderaient leur personnalité, seraient affranchis de la vie<br />
de caserne et ne seraient astreints qu'à l'obligation d'avoir leurs<br />
chevaux de quartier... » Pour mettre son projet à exécution,<br />
Fleury demanda à Saint-Arnaud,<br />
qui commandait la subdivi<br />
sion, de délivrer à l'escadron des terres à cultiver collective<br />
ment et dont le revenu servirait à payer les constructions et<br />
à faire face aux améliorations futures. Quels furent les résul<br />
tats ? Fleury présente son entreprise comme un succès, après<br />
trois mois d'efforts, grâce à l'aide du commandant du génie<br />
Tripier, qui lui fournit pierres, madriers et briques. Et il ajoute:<br />
« C'est de cette organisation partielle des spahis d'Orléansville<br />
en smalah que date en grand l'application du système à tous<br />
les escadrons détachés à l'intérieur. »<br />
Nous avons cru tout d'abord, à cause justement du silence<br />
fait sur sa tentative, que Fleury s'attribuait un rôle qu'il n'avait<br />
point joué. La découverte d'une lettre du colonel Bosquet (com<br />
mandant la subdivision d'Orléansville) au général Levasseur<br />
(commandant la division d'Alger), lettre datée du 26 mai 1848 (2),<br />
nous oblige à lui accorder, sans aucun doute, le mérite d'avoir<br />
(1) Fleury (176) I 35-36.<br />
(2) N 1138.
— — 245<br />
organisé la première smala. On lit, en effet, dans cette lettre :<br />
« L'escadron de spahis d'Orléansville est organisé en zemela<br />
sur les bords d'un petit ruisseau à l'ouest de la ville et à 2.000<br />
ou 3.000 mètres. Le problème a été heureusement résolu et<br />
grâce aux soins intelligents et vraiment exceptionnels de M. le<br />
capitaine Fleury cet escadron, composé d'un choix des meilleurs<br />
cavaliers du pays, peut être cité comme modèle. Les tentes for<br />
ment un seul douar de grande dimension au centre duquel<br />
s'élèvent déjà quelques constructions, un café, une maison pour<br />
un officier; chaque tente a son troupeau et comme les cavaliers<br />
sont de bonne tente ils ont aussi des gens pour les aider. » (1).<br />
Bosquet ajoute même que l'on obtint de bons résultats.<br />
Mais où Fleury se leurre, c'est lorsqu'il croit avoir servi<br />
de modèle à l'organisation des smalas que préconisa Randon.<br />
Cela est tellement vrai qu'en octobre 1852, écrivant au gouver<br />
neur, le général Camou, commandant la division d'Alger, lui<br />
dit que la smala d'Orléansville n'est pas conforme à ses « der<br />
nières instructions parce qu'elle a été entreprise il y a déjà plu<br />
sieurs années » (2).<br />
Qui donc a provoqué les instructions de Randon ? M. Eme-<br />
rit soupçonne l'influence d'Urbain. Celle de Du Barail paraît<br />
plus certaine.<br />
Fin 1850 ou début 1851, alors qu'il dirigeait les affaires<br />
arabes à Blida, Du Barail adresse à Yusuf, commandant la pro<br />
vince d'Alger, un long rapport qui contient toute l'organisation<br />
future des smalas. Il proposait d'utiliser des terres domaniales.<br />
Les spahis mèneraient une existence conforme à leurs mœurs,<br />
vivant sous la tente avec leur famille. Ils bénéficieraient<br />
d'avantages qui assureraient le recrutement : exemption<br />
de certains impôts,<br />
concession temporaire de lots de terre.<br />
Pour les mettre à l'abri de toute agression, on construirait sur<br />
un terrain facile à défendre, une enceinte carrée, entourée d'un<br />
mur crénelé, flanqué aux quatre coins d'une sorte de bastion.<br />
L'enceinte contiendrait un pavillon pour le cadre français et<br />
seir.<br />
(1) La suite du texte indique que ce sont des khammès.<br />
(2) A. Orléansville, 1" carton,<br />
dossier du cantonnement des Ouled-Kos
— — 246<br />
des dépendances pour les différents services. Les spahis, vivant<br />
en contact avec les tribus,<br />
seraient à même de prévoir les insur<br />
rections et, en cas de danger pressant, l'enceinte devrait être<br />
assez vaste pour recevoir les cavaliers et leurs familles. Puis,<br />
s'élevant au-dessus de la simple colonisation militaire indigène,<br />
et rejoignant dans un autre domaine, les créateurs du péniten<br />
cier de Lalla Aouda. Du Barail écrit à propos de ces smalas de<br />
spahis : « Je ne voulais pas seulement en faire, pour la colonie,<br />
des tentacules qui lui permettraient de sentir, j'en voulais aussi<br />
faire des pieds qui lui permettraient d'avancer. Je me figurais<br />
que, derrière la smala, la colonisaion marcherait et viendrait<br />
la rejoindre. Alors, les spahis plieraient leurs tentes et iraient<br />
établir une nouvelle smala à quelques lieues en avant de l'an<br />
cienne dont les bâtiments deviendraient le noyau d'un vil<br />
lage. » (1).<br />
Yusuf transmit ce projet au Ministre de la Guerre. Randon,<br />
qui remplit une première fois cette fonction de janvier à<br />
octobre 1851, en eut donc connaissance, et, devenu peu<br />
après, en décembre 1851, gouverneur général de l'Algérie, il<br />
chargea Du Barail d'appliquer lui-même le système proposé.<br />
Nommé commandant supérieur du cercle de Boghar, Du Barail,<br />
dès 1852, installe un escadron de cavalerie sur une terre doma<br />
niale située à deux heures de Boghar. Il l'organise suivant sa<br />
formule de la smala, les hommes vivant sous la tente et les<br />
chevaux en plein air. Il ne nous dit pas quels furent les résultats<br />
ni surtout si l'hiver n'amena pas quelques désagréments. Quoi<br />
qu'il en soit, si Du Barail ne semble pas fondé à revendiquer,<br />
comme il le fait, la paternité de la première smala de spahis,<br />
on peut admettre cependant que Randon suivit son projet lors<br />
qu'il rédigea les instructions sur l'organisation des smalas (2).<br />
Le système se généralisa sous le gouvernement même de<br />
Randon et, suivant les idées de Du Barail, sur des terres du<br />
__<br />
(1) Du Barail (174) I 417-419 et II 2, 3, 19.<br />
(2) Il serait juste de signaler également le Projet d'organisation des in-<br />
ines en colonies militaires, par le général de Rumigny (mars 1850) préco<br />
nisant la création de villages de légionnaires indigènes d'où partiraient un<br />
jour « les principes de la civilisation et les goûts du bien-être et d'une bonne<br />
culture dans nos possessions africaines ». Mais Rumigny songeait surtout aux<br />
Kabyles et son projet, annoté ironiquement par le gouverneur général Cha<br />
ron, n'eut aucune influence : M.G. 229,
— — 247<br />
Domaine, assez vastes pour satisfaire aux besoins d'un escadron,<br />
on éleva un bordj autour duquel les spahis se groupèrent avec<br />
leurs familles.<br />
De nombreux documents consultés au Ministère de la<br />
Guerre (1), il apparaît que l'on poursuivait plusieurs buts.<br />
D'abord un but militaire : il s'agissait de former un cordon<br />
de postes avancés tout le long de la limite du Tell ou d'orga<br />
niser des postes de surveillance au milieu des groupes de tribus<br />
les plus remuants. Pour ce service les spahis paraissaient plus<br />
aptes que les soldats français et, d'autre part,<br />
en les mettant à<br />
même de se livrer à l'agriculture, on espérait que les récoltes<br />
des smalas pourvoyant à la nourriture des chevaux on pour<br />
rait dès lors supprimer les allocatiens de fourrages, auquel cas<br />
un régiment de spahis reviendrait à meilleur compte à l'Etat<br />
qu'un régiment de chasseurs d'Afrique.<br />
La pacification assurée, au rôle militaire se substituerait<br />
unei fonction de police : les spahis deviendraient « une sorte de<br />
magistrature armée »,<br />
aidant à la perception des impôts et<br />
fournissant aux bureaux arabes des cavaliers disciplinés qui<br />
remplaceraient les mekhazenis dont la dureté et les exactions<br />
révoltaient les Indigènes. Le succès paraissait certain, car « le<br />
burnous rouge en Afrique produit sur la population arabe le<br />
même effet que le chapeau galonné du gendarme dans nos cam<br />
pagnes » (2).<br />
Avec l'institution des smalas devait croître notre influence<br />
politique. L'extension de la paix avait tari le recrutement des<br />
spahis et, par les avantages accordés aux membres des smalas,<br />
on pensait qu'il reprendrait. Surtout, à la différence de ce qui<br />
se passait pour les tirailleurs, on ne voulait pas recruter parmi<br />
les prolétaires, mais dans la classe aisée. On recherchait en par<br />
ticulier les fils de grande tente en vue de multiplier les points<br />
de contact avec la portion la plus nomade de la population indi<br />
gène. Chaque cavalier,<br />
pour avoir l'honneur de porter le bur<br />
nous rouge du Beylik, devait être possesseur d'un bon cheval<br />
(1)<br />
Surtout M.G 208 et 230 (voir bibliographie p. 399-400).<br />
(2) M.G. 230 : lettre du Ministre de la guerre au général Duvivier, ins<br />
pecteur général de la cavalerie (1859) et M.G. 208 : note du ministère de la<br />
guerre du 1" avril 1870.
— — 248<br />
d'escadron, avoir au moins un khammès et les moyens de culti<br />
ver le lot de terrain qui lui serait remis. La présence des familles<br />
dans les smalas assurait de la fidélité des spahis en expédition.<br />
L'institution de soldats indigènes laboureurs avait aussi<br />
pour but d'<br />
« inculquer aux Arabes des principes de civilisation<br />
et d'agriculture européenne » (1). Randon voulait les voir<br />
propager dans les tribus l'emploi d'instruments aratoires per<br />
fectionnés, introduire de nouveaux produits agricoles, amélio<br />
rer les races par des géniteurs de choix ou des croisements judi<br />
cieux, en un mot se livrer à la pratique de toutes les méthodes<br />
capables d'amener le progrès agricole parmi les Indigènes (2).<br />
Devenues ainsi des écoles d'agriculture pratique, les smalas<br />
travailleraient à répandre le bien-être, ce qui,<br />
nous le savons,<br />
équivalait à la sécurité dans l'esprit des Bureaux arabes (3) .<br />
Certains assignaient même aux smalas une fin plus élevée.<br />
« C'est par les indigènes que la France colonisera l'Algérie ».<br />
écrivait le Mobacher dans un article du 22 octobre 1862, à pro<br />
pos des smalas. Telle était l'opinon de ceux qui estimaient que<br />
l'immigration européenne n'était pas indispensable pour la mise<br />
en valeur du pays. Mais la plupart des défenseurs de la nouvelle<br />
organisation des spahis y voyaient surtout des colonies militai<br />
res destinées à préparer le terrain pour la colonisation euro<br />
péenne et devant se porter sur un autre point dès que ce premier<br />
but serait atteint. Grâce aux smalas, une fois de plus, on rêvait<br />
d'opérer la fusion des races et de contribuer au développement<br />
de leur prospérité. Encore en 1869, un rapport d'inspection se<br />
(1) M.G. 208 : note sans date du Ministre de la guerre (sans doute de<br />
1870).<br />
(2) M.G. 230 : lettre du 26 janvier 1858 au Ministre de la guerre.<br />
(3) Bureaux Arabes et Smalas sont deux institutions différentes et si<br />
nous avons pensé devoir les étudier ensemble c'est que les rapports étaient<br />
étroits entre l'une et l'autre : pour s'engager dans une smala le spahi devait<br />
être pourvu d'un certificat du chef du bureau arabe attestant la bonne répu<br />
tation du postulant ; les officiers français des smalas pouvaient être attachés<br />
aux bureaux arabes ; les spahis fournissaient des détachements aux chefs des<br />
bureaux arabes pour des fonctions purement politiques ou de police et tous<br />
les cavaliers des smalas assuraient successivement ce service ; l'action mili<br />
taire et politique de la smala était en fait sous la direction du bureau arabe.<br />
Enfin, ce qui prouve encore mieux les liens entre Bureaux Arabes et Smalas.<br />
c'est que Randon examine la question des Smalas de spahis dans son rapport<br />
d'inspection générale des Bureaux arabes de 1852. M.G. 208 et 230 ; N 1713*\
— 249 —<br />
terminait ainsi : « Les régiments de spahis rendent en Afrique<br />
les plus grands services et ils sont les plus grands éléments<br />
d'assimilation, si l'assimilation est possible. » (1).<br />
1"<br />
L'organisation définitive des smalas date du règlement du<br />
mai 1862. La smala était définie comme la réunion,<br />
sur un<br />
territoire déterminé, appartenant à l'Etat, des familles des<br />
cavaliers indigènes d'un escadron de spahis avec leurs tentes,<br />
serviteurs, chevaux et bestiaux. Selon la formule de Du Barail,<br />
la smala campait sous la protection d'un bordj renfermant les<br />
logements du cadre français de l'escadron et les divers locaux<br />
nécessaires à une troupe de cavalerie; il devait être assez vaste<br />
pour offrir un refuge en cas d'alerte aux tentes de la smala<br />
lorsque les cavaliers étaient en expédition. Il n'est plus question<br />
de bâtir des villages, ainsi que l'avait proposé Lapasset (2) :<br />
la smala s'établit en douar comme la tribu jusqu'à ce que l'avan<br />
tage des maisons étant apprécié par les Indigènes, ils en fassent<br />
construire de leur propre initiative. Mais le feraient-ils alors<br />
que les terres attribuées aux smalas leur étaient concédées seu<br />
lement en usufruit et que la propriété de toute construction<br />
devait revenir à l'Etat ?<br />
Le règlement prévoyait que chaque tente recevrait un lot<br />
de 15 à 20 hectares. Des moniteurs de culture, recrutés dans<br />
l'armée ou parmi les agriculteurs civils d'Algérie ou de France<br />
et ayant contracté un engagement dans les spahis, obtiendraient,<br />
dans chaque smala, à titre d'usufruitiers, les terres et les moyens<br />
de culture nécessaires pour fonder une ferme-modèle et ensei<br />
gner l'agriculture aux Indigènes par l'exemple et par leurs con<br />
seils. Tous les ans, au chef-lieu de chaque division, auraient<br />
lieu des expositions des produits des smalas avec distribution<br />
de primes. Une école devait être établie dans chaque bordj et<br />
des moniteurs spéciaux instruiraient non seulement les enfants<br />
de la smala, mais aussi les militaires du cadre de l'escadron<br />
(1) M.G. 230 : Rapport du général Yusuf sur l'ensemble des corps de la<br />
cavalerie indigène (1853). M.G. 208 : Rapport sur les smalas du 26 septembre<br />
1869.<br />
(2) Une seule exception, semble-t-il, la smala d'Aïn-Kerma, dans le dé<br />
partement d'Oran : elle avait établi les bâtiments d'un village qu'elle occu<br />
pait, mais c'était avant le règlement de mai 1862. M.G. 208 : Inspection gé<br />
nérale du général Lichtlin (28 août 1869).
— 250 —<br />
tenus d'apprendre l'arabe et les spahis de bonne volonté dési<br />
rant connaître le français pour briguer un emploi de caïd. Ecole<br />
militaire et école d'agriculture, la smala aspirait aussi au rôle<br />
d'école d'administration.<br />
Dans l'Ouest du Tell algérois.<br />
Quelle fut l'action de ces smalas dans l'Ouest du Tell algé<br />
rois ? On ne compte que deux véritables smalas de spahis :<br />
celle de Mghila, près de Téniet-el-Had, et celle de l'Oued Sly,<br />
à 12 kilomètres à l'Ouest d'Orléansville. On peut y ajouter la<br />
smala des Mekhazenis d'Orléansville utilisée à la fois par les<br />
cavaliers du makhzen et par les spahis.<br />
La smala de Mghila se trouvait chez les Béni-Soumeur<br />
(douar El Khémaïs) à environ une lieue de la place de Téniet-<br />
el-Had et cette proximité, loin de lui être favorable, lui fut<br />
préjudiciable (1). A cause du voisinage de Téniet, les familles<br />
des spahis pouvaient facilement y trouver protection en un jour<br />
de danger et on se demanda si la construction d'un bordj était<br />
bien nécessaire, s'il ne suffisait pas de construire des abris pour<br />
les chevaux et les bestiaux. La question ne fut jamais bien réso<br />
lue et on vécut dans le provisoire : en 1865, la smala disposait<br />
de 450 hectares, mais son emplacement même n'était point défi<br />
nitif et on attendait pour le fixer l'application du Sénatus-con<br />
sulte.<br />
En 1869, la situation paraissait devenue plus stable : la<br />
smala couvrait alors sur la rive droite de l'oued Mghila 571 ha<br />
60 a. et un plan cadastral avait été établi en vue de la constitu<br />
tion de la propriété individuelle. L'effectif militaire comprenait<br />
8 officiers dont 4 indigènes et 198 hommes de troupe dont 57<br />
français. La population non militaire était formée de 38 hom<br />
mes, 52 femmes et 47 enfants. Outre les 190 chevaux de l'esca-<br />
(1) M.G. 230 : Rapport général sur l'ensemble des corps de la cavalerie<br />
indigène, Inspection générale de 1853 ; Inspection du Général de Wimpffen<br />
commandant la province d'Alger, rapport au Ministre de la guerre du 1-12-<br />
1865. M.G. 208 : Rapport sur les smalas du 1" et 3" régiments, du 26 septem<br />
bre 1869, et rapport sur la smala de l'Oued Mrila du 30 juin 1869. B.O. 1870<br />
p. 268.
— — 251<br />
dron, la smala disposait d'un cheptel de 110 bœufs et vaches,<br />
700 moutons, 130 chèvres, 59 chevaux et juments, 28 ânes, ce<br />
qui pouvait paraître assez considérable (1).<br />
Et cependant la commission administrative (trois officiers<br />
dont un indigène) estimait que l'avenir était nul. En effet, les<br />
terrains, de nature rocailleuse et manquant d'eau une partie<br />
de l'année, ne se prêtaient bien à aucune culture. La route entre<br />
Téniet et l'oued Mghila, très mauvaise en hiver, n'était pas car<br />
rossable. Comme tout bâtiment,<br />
une petite maison qu'une seule<br />
personne pouvait occuper. Les cadres de l'escadron n'habitaient<br />
la smala que depuis quelques mois et ils devaient vivre sous la<br />
tente : ils réclamaient sinon un bordj, du moins des baraque<br />
ments. Pas d'école faute de quelqu'un connaissant assez bien la<br />
langue française et la langue arabe. Pas de moniteur qui puisse<br />
démontrer aux Indigènes la supériorité de nos modes de cul<br />
ture, pas même d'instruments aratoires et encore moins de fer<br />
me-modèle. Aussi aucune culture industrielle, aucune planta<br />
tion d'arbres. En somme un échec donnant raison à ceux qui<br />
réclamaient la suppression des smalas.<br />
La situation était meilleure à la smala de l'Oued Sly. Celle-<br />
ci datait de 1853. Appliquant les instructions du Gouverneur<br />
Randon, le général Camou avait estimé que, dans un avenir plus<br />
ou moins proche, la smala due à Fleury<br />
« se trouverait mal à<br />
l'aise près d'une ville, au milieu de propriétés exploitées par<br />
des Européens ». Son déplacement avait donc été décidé et,<br />
après avoir rejeté, pour la position future, le confluent du Sly<br />
et du Chélif à cause de son éloignement, de l'absence de bois<br />
et d'eau salubre, on avait opté pour un territoire plus en amont<br />
sur le Sly, au débouché de l'oued dans la plaine et traversé par<br />
la route d'Orléansville à Mostaganem (2).<br />
Les terres que l'on abandonnait furent en partie distribuées<br />
à des spahis, au nombre de 13, qui avaient bâti et planté. Cha<br />
cun reçut une concession d'environ six hectares et ainsi se trouva<br />
(1) Si on évalue les têtes de bétail possédées par habitant, on obtient<br />
2,41 pour les moutons et chèvres ; 0,32 pour les boeufs et vaches ; 0,17 pour<br />
les chevaux. A comparer par exemple avec les Ouled-Kosseïr p. 194.<br />
(2) D.A. Orléansville carton 1 : Camou à Randon le 21-10-1852 et Randon<br />
à Camou le 28-10-1852. Pour l'emplacement voit carte p. 177.
— — 252<br />
constitué un véritable lotissement (carte ci- jointe)<br />
autour du<br />
hameau engendré par cette première smala. Comme 80 ha. 65 a.<br />
avaient suffi pour cette création, il resta plus de 400 hectares<br />
qui furent livrés à la colonisation française.<br />
Quant à la nouvelle smala, il lui fut attribué une superficie<br />
de 840 hectares que l'on porta ensuite à plus de 1.200. Le bordj,<br />
construit aux frais du premier régiment de spahis,<br />
se dressait<br />
au voisinage immédiat d'un ample méandre, à l'entrée de la<br />
gorge de l'oued Sly et à environ 500 mètres d'importantes car<br />
rières. C'était un vaste quadrilatère de 100 mètres sur 80 dont<br />
les angles étaient constitués par des bâtiments en forme de<br />
pavillons. Il s'ouvrait par une porte cochère et comportait deux<br />
grandes cours dont l'une avec puits, pompe à manège et abreu<br />
voir. Les bâtiments comprenaient quelques pièces pour les<br />
cadres de la smala et surtout des salles de cuisines, des maga<br />
sins, des hangars et trois écuries pouvant abriter ensemble une<br />
centaine de chevaux (1). Plus tard, le bordj<br />
d'allées d'arbres à l'intérieur et à l'extérieur.<br />
fut agrémenté<br />
La smala elle-même groupait 80 à 90 tentes exploitant les<br />
vastes terrains mis à leur disposition à raison d'une moyenne<br />
de 12 hectares par famille, soit à peu près ce que l'on accordait<br />
alors aux colons français. La population de 425 habitants en<br />
1862 (2)<br />
en compta près de 500 quelques années plus tard. Nous<br />
avons aussi les chiffres du cheptel pour 1862 : 115 bœufs et<br />
vaches, 1.700 moutons, 50 chevaux et mulets. La sécheresse était<br />
le gros obstacle à vaincre pour la culture et la commission de<br />
mandait la construction d'un barrage sur le Sly afin de tirer<br />
parti, grâce à l'irrigation, de la fertilité des terrains d'alluvions.<br />
Contrairement à ce qui eut lieu à l'Oued Mghila, on multiplia<br />
les essais de cultures industrielles et les plantations d'arbres :<br />
le coton ne fournit des produits convenables que sur les tords de<br />
l'oued Sly; la garance venait très bien, mais ne rapportait pas;<br />
le tabac et la pomme de terre donnaient satisfaction ; une vigne<br />
partagée en 52 lots confiés aux moniteurs et à quelques Indigè<br />
nes, procura de belles grappes, mais un certain nombre de plants<br />
(1) Au total la surface enceinte de murs était de 7.800 mètres carrés et<br />
la surface couverte de 1997 mètres carrés.<br />
(2) 135 femmes^ 175 hommes, 60 filles et 55 garçons.
Plan des maisons de l'ancienne Smala du 5m*<br />
Escadron du 1« Régiment de spahis et des ter<br />
rains distribués à chaque spahis propriétaire de<br />
maison.<br />
Levé en mai 1853.<br />
Echelle de 0,001 pour 10 mètres.<br />
Extrait de D.A. Orléansville, carton 1<br />
L'oued Ouaou est appelé aussi Oued Lalla Aouda.<br />
N°<br />
du plan<br />
238<br />
239<br />
240<br />
241<br />
242<br />
243<br />
244<br />
248<br />
249<br />
250<br />
NOMS DES PROPRIETAIRES<br />
Taïeb ben Khedia<br />
Taïeb ben Aouda<br />
Bel Oufa<br />
Maammar ben Djilali<br />
Kaddour ben Mohammed<br />
Taïeb ben Aouda<br />
Bel Oufa<br />
Djilali ben Tata<br />
n^:ini:<br />
Ben Aouda ben Alimab-Zargaras<br />
Ali bel hadj et Boukharera<br />
Cette carte était accompagnée de la légende suivante :<br />
Superficie<br />
hect. ares<br />
25<br />
»<br />
25<br />
20<br />
20<br />
25<br />
50<br />
75<br />
20<br />
20<br />
20<br />
20<br />
N"<br />
du plan<br />
251<br />
252<br />
253<br />
254<br />
255<br />
256<br />
257<br />
258<br />
259<br />
260<br />
261<br />
262<br />
NOMS DES PROPRIETAIRES<br />
Djilali ben Zoudmi<br />
Abd el Kader ben Behia<br />
Ahmed ben Zitouni<br />
Marchand Emmanuel<br />
Amar Bakhera Rachdi<br />
Djilali ben Tata<br />
Ben Aduda ben Alimab-Zargaras.<br />
Kaddour ben Mohammed<br />
Ahmed ben Zitouni<br />
Ali bel hadj et Boukharera<br />
Djilali ben Zoudmi<br />
Abd el Kader ben Behia<br />
Total<br />
Superficie<br />
hect. ares<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
6<br />
80<br />
20<br />
20<br />
25<br />
65
— 253 —<br />
ne purent résister à la sécheresse. Pour avoir de l'ombre surtout,<br />
on développa les plantations d'arbres : 700 mûriers, 20 euca<br />
lyptus, 200 acacias; plus de 500 pêchers, abricotiers, amandiers,<br />
réussirent parfaitement. L'élevage des vers à soie ayant donné<br />
de remarquables cocons, on envisageait la construction d'une<br />
magnanerie. Si le succès n'était pas général et si, dans le trou<br />
peau notamment, l'amélioration resta peu sensible, les résultats<br />
cependant n'étaient pas décourageants comme ils le furent dans<br />
les autres smalas. Mais l'escadron qui logeait à la smala fut<br />
transporté à Laghouat, sans doute en 1867, et, au début de 1868,<br />
nous voyons la smala de l'Oued Sly<br />
mendicité (1).<br />
transformée en dépôt de<br />
La smala des Mekhazenis, à 2 km 500 au sud d'Orléansville.<br />
date de 1848 et ne fut pas créée spécialement pour les spahis,<br />
mais pour les employés du bureau arabe. A l'origine elle comp<br />
tait environ 170 hectares et fut réduite à 84 à la suite du can<br />
tonnement des Ouled-Kosseïr. La superficie mise en valeur<br />
semble d'ailleurs avoir toujours été très faible peut-être à cause<br />
de la nature rocheuse du terrain : les documents de 1853 ne<br />
parlent que de 14 hectares cultivés. Le village, bâti par les me<br />
khazenis du bureau arabe et peuplé de 44 habitants en 1853,<br />
était habité par des spahis et quelques cavaliers du makhzen.<br />
Il se composait d'une douzaine de maisons disposées le long<br />
d'une rue aboutissant à la maison du chef, un officier indigène<br />
de spahis, adjoint au chef du bureau arabe. Chaque maison<br />
comprenait deux chambres munies de cheminées et recevant<br />
le jour par des meurtrières; l'entretien en incombait aux habi<br />
tants. L'agglomération était entourée d'un mur d'enceinte au<br />
quel s'adossait une écurie pour les chevaux et les mulets et qui<br />
présentait deux bastions utilisés, l'un pour les magasins, l'autre<br />
pour un moulin à manège desservant le village et deux tribus<br />
voisines (fig. p. 254). Les habitants n'avaient aucun droit de<br />
(1) M.G. 230 : Inspection générale de 1853 ; inspections de 1862 et de<br />
1865 - M.G. 208 : rapport sur les smalas du 26 septembre 1869.<br />
G.I. : Rapport sur le cantonnement des indigènes, Orléansville (1855).<br />
Rapport du bureau arabe d'Orléansville de janvier 1868.<br />
G. 1 L 219 : Documents relatifs à la construction d'une conduite de l'Oued<br />
Sly (1863).<br />
Smala de spahis de l'Oued Sly (1869).
— 254 —<br />
VILLAGE DU MAKHZEN<br />
B B maisons G corps de garde.<br />
CC cours H hangars, magasins, écuries.<br />
D maison des hôtes M moulins.<br />
E maison du chef ? N mosquée.<br />
R grande rue.<br />
Ce plan est extrait de N 443 (échelle non indiquée). Il représente le village tel<br />
que l'avait conçu Richard. D'après les descriptions ultérieures le plan subit certai<br />
nes modifications : seuls furent construits les bastions M et G ainsi que 12 ou 13<br />
maisons au lieu de 16 ; E qui devait être une cour semble être devenu l'emplace<br />
ment de la maison du chef.
255 —<br />
possession sur les terres qui changeaient d'usufruitiers avec le<br />
renouvellement du corps du makhzen. La jouissance de la mai<br />
son et du sol s'attachant à la qualité d'employé du bureau arabe,<br />
ce village présentait donc un caractère nettement administra<br />
tif. (1).<br />
L'échec.<br />
Il est incontestable que l'expérience des smalas fut un échec<br />
à peu près total. Aucun des buts poursuivis ne fut atteint.<br />
Le recrutement ne fut pas celui que l'on avait escompté<br />
et le rapport d'inspection de 1869 note que : « La colonisation<br />
ayant envahi presque tous les terrains cultivables, les avanta<br />
ges, comme la culture, qu'on peut accorder aux indigènes sont<br />
trop minimes et trop<br />
précaires pour que l'on puisse avoir des<br />
cavaliers d'une certaine position et l'on n'a guère que des meurs<br />
de faim (souligné dans le texte)<br />
qui arrivent généralement avec<br />
de tristes chevaux; quelques-uns même ont été engagés sans<br />
chevaux par ordre supérieur »<br />
La valeur militaire des escadrons en smalas s'avéra médio<br />
cre, car les pères de famille avaient hâte de rentrer, ne sachant<br />
pas toujours si les leurs avaient de quoi vivre pendant leur<br />
absence et craignant que les terres cultivées et les bestiaux<br />
élevés n'aient à souffrir de leur éloignement : on dut créer des<br />
escadrons de célibataires qui ne vivaient point en smalas. La<br />
smala elle-même était incapable de se défendre à cause de<br />
l'impossibilité de mettre à l'abri dans la cour d'un bordj les<br />
femmes, les enfants et les richesses des spahis. Pendant l'insur<br />
rection de 1865, il fallut adjoindre à chaque escadron deux<br />
compagnies d'infanterie pour garder les tentes et le bâtiment<br />
en l'absence des cavaliers partis en expédition. Aussi, après son<br />
(1) Tableaux des établissements français 1852-1854 et 1856-1858.<br />
A Miliana également on essaya d'assurer des revenus agricoles aux cava<br />
liers du bureau arabe et une note du 10 juin 1871 sur le bled Ismaïl fait état<br />
des 2.774 hectares que ces cavaliers cultivaient en 1852 chez les Béni-Zoug-<br />
Zoug,<br />
dont disposait ïe bureau arabe (G. série L carton 23).<br />
superficie qui nous paraît bien considérable vu les effectifs réduits
— — 256<br />
inspection de 1869, le général Lichtlin demandait la suppression<br />
des smalas (1).<br />
Quant aux espoirs de colonisation par les smalas, c'était,<br />
reconnaît une note officielle, « la réalisation d'un rêve », et un<br />
adversaire du système a dit qu'on avait voulu reconstituer le<br />
type du soldat-laboureur avec des Arabes « qui n'avaient jamais<br />
été laboureurs et qui avaient bien de la peine à devenir sol<br />
dats ». Cette critique n'est pas dénuée de tout fondement et dans<br />
sa lettre à Mac-Mahon du 20 juin 1865 Napoléon III mettait en<br />
relief les deux défauts essentiels : d'une part,<br />
au lieu de s'adres<br />
ser aux fellahs, c'est-à-dire à la population réellement agricole,<br />
on a fait appel « à des cavaliers qui ont pour le travail manuel<br />
la répugnance instinctive de toute aristocratie guerrière » et<br />
qui se sont déchargés des travaux des champs sur des khammès<br />
peu soucieux de perfectionnement, se bornant à remplir leurs<br />
obligations traditionnelles : labour, moisson, dépiquage; d'autre<br />
part, les contrats étaient trop<br />
courts pour espérer un progrès<br />
agricole quelconque, le spahi se trouvant lié seulement par un<br />
engagement de trois ans et le khammès pour une seule année.<br />
Ajoutons d'autres raisons pour expliquer l'échec agricole<br />
des smalas : les spahis disposèrent le plus souvent d'une étendue<br />
de terre nettement inférieure à celle que prévoyait le règlement<br />
de 1862; la plupart manquaient de capitaux pour entreprendre<br />
des améliorations et ceux qui en disposaient n'avaient aucun<br />
intérêt à les utiliser pour un lot de terre dont ils n'étaient que<br />
les usufruitiers, qu'ils abandonnaient pendant leurs expéditions<br />
et que les femmes, privées alors de soutien, quittaient pour rega<br />
gner les tribus; la colonisation) en s'étendant menaçait les terres<br />
occupées par les smalas surtout lorsque celles-ci se trouvaient<br />
au voisinage d'une route; enfin, il est certain que les officiers<br />
français chargés de diriger les smalas n'avaient pas toujours<br />
la compétence nécessaire pour être des initiateurs en matière<br />
agricole et la vie isolée qu'ils menaient fut le plus souvent démo<br />
ralisante (2).<br />
(1) M.G. 208 : rapport sur les smalas du 26 septembre 1869 ; rapport du<br />
général Lichtlin du 28 août 1869 ; note non datée du ministère de la guerre.<br />
Certaines smalas des départements d'Oran et de Constantine se maintinrent<br />
cependant jusqu'à la fin du siècle.<br />
(2) M.G. 230 : inspection du général de Wimpffen de 1865 - Napoléon III<br />
-<br />
(84) 78-80 Jourdan (177) 230-231 - Lunel (179) 97-106 -<br />
Baumcour (168) 549.
— — 257<br />
Aussi l'expérience agricole des smalas,<br />
comme celle des<br />
soldats-laboureurs de Bugeaud, demeura sans lendemain. Dans<br />
notre région, il en est resté un grand bâtiment mis à la dispo<br />
sition des premiers colons de Malakoff, en 1869, et qui, après<br />
est devenue<br />
avoir appartenu à la Société générale algérienne,<br />
la propriété d'un colon français, sans jamais constituer le<br />
noyau d'un village comme l'avait rêvé Du Barail.<br />
II. —<br />
LES VILLAGES DE FELLAHS<br />
Ils ont joué un rôle autrement important que les smalas<br />
auxquelles ils s'apparentent d'ailleurs par leur conception, éta<br />
blis eux aussi dans l'intention de pacifier plus aisément le pays :<br />
dans le village, les officiers des Bureaux arabes voyaient avant<br />
tout la population agglomérée qui, par suite même de son grou<br />
pement, ne pouvait échapper à leur contrôle.<br />
Villages de tentes et de gourbis.<br />
Que cette population habitât des maisons n'était pas chose in<br />
dispensable et les officiers conçurent l'idée de villages de tentes<br />
plus faciles ai créer lévidemment que ceux! de maçonnerie et aux<br />
quels Hugonnet accordait même sa préférence. Richard, comme<br />
toujours, formule la théorie : «Nous croyons fermement, écrit-il,<br />
que l'idée de ces villes de tentes où nous emprisonnerions (1)<br />
la population arabe, porte en elle la paix du pays. L'essentiel<br />
est, en effet, de grouper ce peuple qui est partout et qui n'est<br />
nulle part; l'essentiel est de nous le rendre saisissable. Quand<br />
nous le tiendrons, nous pourrons alors faire bien des choses qui<br />
nous sont impossibles aujourd'hui, et qui nous permettront peut-<br />
être de nous emparer de son esprit après nous être emparés de<br />
son corps ». Ce village ou cette ville de tentes se constituerait<br />
en rassemblant les divers douars de la tribu, séparés les uns<br />
des autres par une haie de jujubiers sauvages ou de toute autre<br />
(1) Richard (17) 189-191. Le mot « emprisonner » est ici employé pour la<br />
deuxième fois, ce qui traduit bien le but de police poursuivi par l'auteur.<br />
17
258 —<br />
broussaille. Le cœur de la cité serait le chef au milieu de son<br />
makhzen et dont l'habitation entourée d'un mur crénelé se trou<br />
verait à l'abri d'un coup<br />
de main. Autour de la « zemala » elle-<br />
même, on creuserait un large fossé armé de cactus. Le village<br />
ainsi organisé aurait un caractère tout militaire.<br />
Deux ans après Richard, Lapasset défend l'idée des villages<br />
de tentes dans lesquels il voit un double avantage : d'abord, le<br />
moyen d'agglomérer la population même dans les régions où<br />
manquent les matériaux de construction et les Indigènes capa<br />
bles de bâtir; ensuite, la certitude d'avancer, lentement certes,<br />
mais d'un pas ferme, en évitant de subir, aux yeux des Indigè<br />
nes, un de ces échecs qui nous font tant de tort. Et lui aussi pro<br />
pose de grouper les tentes autour d'une maison crénelée que<br />
l'on bâtirait pour le chef, l'agglomération elle-même étant dé<br />
fendue par un large fossé complété d'un parapet formé avec la<br />
terre rejetée vers l'intérieur (1).<br />
Cette conception des villages de tentes n'était pas absolu<br />
ment nouvelle. Bugeaud y avait déjà sérieusement songé pour<br />
la colonisation française (2). Les officiers des Bureaux arabes,<br />
Richard surtout, la réalisèrent dans presque toute la subdivision<br />
d'Orléansville pendant la lutte contre Bou-Maza. Mais la paci<br />
fication assurée, les tentes se dispersèrent presque aussi rapi<br />
dement qu'elles avaient été rassemblées et, par la suite, il fallut<br />
procéder à de nouveaux regroupements, souvent imposés par<br />
des nécessités de police.<br />
En 1849, les Béni-Zidja, fraction considérable des Ouled-<br />
Kosseïr, servaient de complices pour les vols des Béni-Ouragh<br />
(3); ils sont réunis en deux « zemalas » placées sur les bords<br />
de l'Oued Sly de manière à faciliter la surveillance exercée sur<br />
les voleurs et sur la route qu'ils suivaient. La même mesure,<br />
sollicitée parfois par les caïds et les chefs indigènes, permet<br />
d'assurer la sécurité sur la route Ténès-Orléansville, les voya<br />
geurs attardés pouvant trouver un gîte dans ces smalas.<br />
(1) Lapasset (9) 49-51..<br />
(2) Dans une longue lettre du 1-12-1845 (G. 2EE6) où il affirme que<br />
« l'invention d'une bonne tente pour loger la famille des colons ferait faire<br />
un pas immense à la colonisation ».<br />
(3)N° 81 de la carte en fin d'ouvrage, le nom de la tribu étant sur cette<br />
carte Béni-Ouazzan.
Plus tard,<br />
— — 259<br />
on opère de la même manière, aux époques de<br />
misère surtout, chaque fois qu'il s'agit de lutter contre les vols.<br />
En 1859, dans le cercle de Cherchel, ce sont les Techta, puis les<br />
Zougagha et les Béni-Merhaba,<br />
10 à 12 tentes sous la direction d'un cheikh choisi par l'autorité<br />
qui sont groupés en douars de<br />
militaire. En 1867, par suite de la sécheresse et des sauterelles,<br />
la misère règne dans le pays, les vols se multiplient et des ban<br />
des pratiquent des expéditions nocturnes, pillant les silos ou<br />
volant les bestiaux; on procède comme en 1859 et, dans toute<br />
la subdivision d'Orléansville, on obtient la sécurité en agglomé<br />
rant les populations : ceux qui étaient menacés peuvent ainsi<br />
mieux se défendre et les voleurs cessent de bénéficier de la<br />
possibilité d'une retraite dans une habitation isolée (1).<br />
Même lorsqu'il ne se dispersait point après les périodes de<br />
troubles, le village de tentes ne pouvait être qu'une solution<br />
transitoire et Esterhazy, qui voulait créer systématiquement des<br />
douars, le considérait comme une étape avant la construction<br />
de véritables villages de colons arabes. Tel fut effectivement<br />
dans certains cas, le schéma de l'évolution : à Aïn-Méran, où<br />
l'administration avait bâti un fort pour l'agha des Sbéah, plus<br />
de 100 tentes entourèrent ce réduit avant la construction des<br />
dix maisons qui formèrent le hameau; près du confluent du<br />
Sly et du Chélif, le caïd des Sbéah du Sud bénéficia également<br />
d'une habitation fortifiée qui attira un certain nombre de tentes<br />
plus de deux ans avant l'édification des maisons; enfin,<br />
au sud<br />
d'Orléansville, sur le Tsighaout, l'agha des Sindjès avait réuni<br />
autour de lui, dans un grand village de tentes, ses serviteurs<br />
et ses voisins, qui, un peu plus tard, devaient occuper les 20<br />
maisons d'un gros hameau (2).<br />
On peut rattacher à cette conception le village de Djedida<br />
situé un peu à l'Est d'Orléansville et dont nous donnons le plan<br />
(p. 260). Il s'agissait de grouper les Indigènes établis isolément<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville. 2e q. de février.<br />
N 462, 1846, Orléansville, 1 q. de novembre.<br />
N 463, 1847, Orléansville, 1" q. de février.<br />
G. Cherchel, 2" et 3e T. 1859.<br />
G. Orléansville, mars 1867.<br />
(2) Walsin-Esterhazy (30) 297. Lapasset (9) 50-51.
— — 261<br />
comptait une agglomération de 160 maisons, les Indigènes<br />
étant attirés par la concession gratuite du terrain avec la seule<br />
restriction de ne pouvoir vendre au profit d'Européens. Les<br />
travaux commencés fin 1849 se poursuivirent en 1850,<br />
mais il<br />
semble bien que même les bâtiments essentiels de ce village ne<br />
furent jamais achevés (1).<br />
Villages de maisons.<br />
Presque toujours les villages furent édifiés directement en<br />
maçonnerie et dans leur ensemble. Hugonnet aurait voulu lais<br />
ser le village se créer à peu près librement; selon lui, l'adminis<br />
tration devait se borner à réunir, en un point convenable, tous<br />
les éléments d'agrégation pouvant engager les populations à s'y<br />
établir : bâtiments pour les autorités de la tribu (caïd, cadi,<br />
maître d'école), boutiques, fontaine, abreuvoir, lavoir... et le<br />
village se constituerait ensuite par l'édification des maisons si<br />
les particuliers y trouvaient réellement intérêt (2). Mais Hugon<br />
net ne fut pas suivi et les officiers des Bureaux arabes travail<br />
lant ex nihilo voulurent d'un seul coup faire œuvre complète<br />
et définitive.<br />
L'essentiel était peut-être le choix de l'emplacement. Nous<br />
avons vu, par l'exemple des Ouled-Kosseïr, qu'il laissa parfois<br />
beaucoup à désirer. Montgravier conseillait de s'en tenir aux<br />
lieux où, au cours de leurs déplacements, les Indigènes revien<br />
nent périodiquement et, en ces lieux, aux points pourvus d'une<br />
fontaine ou d'un puits (3). L'emplacement déterminé, la cons<br />
truction des maisons soulevait les difficultés déjà signalées.<br />
Comme dans les villages de Colons à la même époque, les consi<br />
dérations de sécurité passaient au premier plan et,<br />
alors qu'il<br />
bâtissait les villages des Ouled-Farès, des Heumis et celui du<br />
makhzen, Richard, en 1848, écrivait : « Il faut considérer chacun<br />
(1) N 443, constructions arabes : lettre de Martimprey, commandant la<br />
subdivision d'Orléansville à Blangini, commandant la division d'Alger le 23-<br />
6-1849 ; lettre de Blangini au gouverneur général le 9-7-1849 ; lettre du gou<br />
verneur général à Blangini le 16-7-1849. N 468, 1849, Orléansville, 2" q. de dé<br />
cembre. N 469, 1850, Orléansville, janvier et mars.<br />
(2) Hugonnet (6) 125-128. Cette conception devait plus tard réapparaître<br />
pour la création de villages français, Lavigerie, par exemple.<br />
(3) Montgravier (1) 2" lettre p. 14.
— — 262<br />
de ces villages comme la forteresse, la casbah d'un centre de<br />
population qui se groupera naturellement autour de ces murs-<br />
Deux des quatre tourelles qui sont aux angles serviront l'une<br />
de mosquée et l'autre pour placer un moulin à manège. Les deux<br />
autres tourelles restent à la disposition des caïds, l'une pour y<br />
établir les hommes de garde et l'autre pour servir de maison<br />
de diafs. »On trouve l'application de ces idées dans le plan des<br />
villages que nous donnons ci-après (1).<br />
Le village terminé et agrémenté le plus souvent de planta<br />
tions à l'intérieur et à l'extérieur,<br />
l'inauguration donnait lieu à<br />
une cérémonie. Pour celui des Ouled-Farès, le premier achevé<br />
dans le cercle d'Orléansville, le drapeau français fut arboré au<br />
bruit du canon et des fusillades et le colonel de Martimprey,<br />
commandant la subdivision, ayant réuni tous les chefs arabes,<br />
en profita pour leur adresser des encouragements au sujet des<br />
constructions qu'ils faisaient exécuter et leur en démontrer<br />
l'utilité (2).<br />
Combien de villages furent ainsi créés ? Le tableau p. 236-<br />
239 en énumère 26. Si l'on ajoute ceux qui furent construits lors<br />
des cantonnements et quatre autres (dont un de 43 maisons)<br />
établis chez les Heumis en 1862 (3),<br />
on obtient un total de 79.<br />
Le plus souvent c'étaient de simples hameaux. Dans ceux que<br />
nous connaissons avec précision,la moyenne du nombre des mai<br />
sons s'établit, en effet, entre 10 et 11 et si quelques-uns en ont<br />
plus de 20, d'autres se réduisent à trois ou quatre. Relativement<br />
au nombre d'habitations et compte tenu surtout du fait qu'il<br />
s'agissait souvent d'habitations à une seule chambre, ces villages<br />
étaient très peuplés : en 1853 pour les 18 villages dont il est<br />
possible de connaître la population, on arrive à un total de 3.013<br />
habitants pour 192 maisons, ce qui fait plus de 15 par maison.<br />
Et lorsqu'il existe des habitations de grands chefs, à plusieurs<br />
pièces, les chiffres s'élèvent encore : 24 habitants, en moyenne,<br />
par maison pour les trois villages des Attafs, 40 au hameau de<br />
(1) N 465$ 1848, Orléansville, 1" q. de juillet et lre q. de novembre ; N<br />
443, constructions arabes. Avant d'entreprendre la construction d'un village,<br />
on dressait la liste de tous les hommes importants de la tribu que le bureau<br />
arabe tenait à réunir sous son autorité. La maison de diafs est la maison des<br />
hôtes.<br />
(2) N 468, 1848, Orléansville, 2» q. de mai.<br />
(3) G. Orléansville, 2» et 3» T. 1862.
— 263<br />
Gorifa chez les Ouled-Yahia. 50 au village de Bou Alem chez<br />
les Djendel.<br />
L'aspect de ces villages variait peu de l'un à l'autre. Chez<br />
les Medjadja, dont le hameau était en majeure partie antérieur<br />
à l'arrivée des Français, chaque maison occupait le centre d'un<br />
jardin enclos de haies et se trouvait complètement isolée. Tel<br />
n'était pas le cas des villages des Bureaux arabes qui s'organi<br />
saient en fonction de la maison du chef, responsable de la sécu<br />
rité et surveillé lui-même par l'autorité militaire. D'où le carac<br />
tère quasi féodal de ces agglomérations avec presque toujours<br />
trois types de demeures : la maison vaste et parfois élégante du<br />
chef principal; celles, plus modestes, de ses subordonnés immé<br />
diats; et les gourbis ou les tentes pour les khammès, les bestiaux<br />
et le matériel.<br />
Le plus souvent, le village s'enfermait dans une enceinte,<br />
tel, entre autres, celui des Ouled-Farès (à 16 kilomètres d'Or-<br />
VILLAGE DES OULAD FERS (ou FARES)<br />
D'après N. 443, échelle non indiquée. A : maison du caïd ; a : cour des<br />
femmes. B,B : maison du village ; c,c : cours. D : maison de diaf. E,E : écu<br />
ries. G : grande cour. M : moulin. M2 : corps de garde. N : mosquée. R :<br />
grande rue.
— — 264<br />
léansville, près de la route de Ténès) qui avait la réputation<br />
d'être le plus complet, le mieux bâti et le plus joli de tous ceux<br />
du cercle. Ses 16 maisons étagées en amphithéâtre sur une pente<br />
assez escarpée comprenaient chacune deux chambres et une<br />
cour. Elles étaient disposées le long<br />
d'une large rue plantée<br />
d'arbres et conduisant à la maison du caïd composée de huit<br />
chambres. Vingt-quatre tentes complétaient le village. Celui-ci<br />
possédait une fontaine, deux abreuvoirs et, dans un ravin lon<br />
geant l'agglomération au sud, l'eau,<br />
suffisamment abondante,<br />
permettait d'entretenir de petits jardins contenant beaucoup<br />
d'arbres fruitiers et quelques mûriers. Trois des bastions de<br />
l'enceinte étaient utilisés pour l'école, le moulin à manège et<br />
le four (1).<br />
A douze kilomètres du précédent, mais dans la plaine et à<br />
16 kilomètres à l'Ouest d'Orléansville, le village des Sbéah du<br />
sud était un peu différent, du moins en ce qui concerne les dis<br />
positions prises pour assurer la sécurité. Il n'existait pas d'en<br />
ceinte. Les maisons, au nombre de dix, bâties en pierre et voû<br />
tées, avec des ouvertures en forme de meurtrières remplaçant<br />
les croisées, pouvaient par elles-mêmes offrir une certaine résis<br />
tance à un agresseur. D'une importance assez exceptionnelle,<br />
elles étaient composées de trois chambres chacune et séparées<br />
de proche en proche par une cour suffisamment grande pour<br />
qu'on pût y établir des appentis propres au logement des ani<br />
maux. Quant à la maison du caïd, plus vaste et plus belle, avec,<br />
de part et d'autre de la porte, des écuries pour 12 chevaux, elle<br />
se trouvait dans une enceinte rectangulaire flanquée par des<br />
bastions à chaque angle.destinée à servir de réduit au village, au<br />
cas où la résistance dans les maisons extérieures s'avérerait<br />
impossible; derrière l'habitation on avait creusé un puits sur<br />
lequel avait été établie une noria en vue de l'irrigation d'un<br />
jardin. Les autres habitants du village allaient puiser leur eau<br />
au Chélif, distant seulement de 200 mètres et où les animaux<br />
venaient s'abreuver. Dans le village, quatre chambres de deux<br />
maisons avaient été affectées à l'utilité publique : pour le mou-<br />
(1) Tableaux des établissements français 1852-1854 et 1856-1858.
■265<br />
lin, le café, la salle des hôtes et les prières. L'agglomération<br />
comprenait en outre 37 gourbis et 3 tentes.<br />
Le caractère militaire et semi-féodal des villages des Bu<br />
reaux arabes, nous le retrouvons dans les autres créations, chez<br />
les Sendjès, les Mchaïa, les Attafs, les Djendel, etc.. et aussi,<br />
hors de notre région, chez les Douaïrs et les Zmélas par exem<br />
ple, dont les villages, placés ordinairement sur une hauteur, pré<br />
sentaient un mur de défense crénelé avec, au milieu d'une des<br />
faces, la maison du chef (1). Rien là qui ne soit en conformité<br />
avec la doctrine précédemment exposée des officiers des Bu<br />
reaux arabes (2).<br />
VILLAGE DES HEUMISS<br />
D'après N 443, échelle non indiquée. A,A : maison du caïd ; a : cour<br />
des femmes. B,B : maisons ; c,c : cours. D : Diaf ou maison des<br />
hôtes. E,E : écuries. G : grande cour. M : moulin. N : mosquée. R :<br />
grande rue du village.<br />
(1) Montgravier (1) 2» lettre p. 16.<br />
(2) Pour être complet, il faudrait signaler les constructions faites par<br />
les Indigènes dans les villes : à Ténès, dans la ville arabe, en 1848, on compte<br />
déjà 25 maisons nouvelles, 17 boutiques ou cafés maures, et, à en croire La<br />
passet, « cette ville qui il y a quatre ans ne présentait qu'un amas de décom<br />
bres, se dessine maintenant blanche et presque coquette » (N 465 et 443) ; à<br />
Orléansville un quartier indigène commence à s'établir à l'intérieur des rem<br />
parts ; et on pourrait citer des faits analogues à Miliana et à Cherchel. Mais<br />
les villes échappèrent rapidement à l'autorité des bureaux arabes pour être<br />
soumises à celles des commissaires civils : dès 1841 à Cherchel, en 1848 à Té<br />
nès, en 1850 à Miliana, en 1851 à Orléansville.
266-<br />
VILLAGE DES SENDJESS<br />
D'après N 443, échelle non indiquée. A, ~ B, c, D, E, G, M, N et R :<br />
comme p. 265. H : hangars, magasins. M2 : corps de garde.<br />
III. —<br />
LA SMALA DE TENES (1)<br />
C'est le type le plus original de la colonisation indigène<br />
dans l'Ouest du Tell algérois et peut-être dans toute l'Algérie, à<br />
la fois village administratif,village militaire et village de fellahs.<br />
Les débuts.<br />
Nous connaissons déjà l'essentiel des idées de Lapasset.<br />
Nous savons qu'il était dominé par la pensée d'attacher le peu<br />
ple arabe au sol et de le lier aux Français, sinon par une fusion<br />
(1) Surtout d'après Lapasset (9).
Uformt tr;ar,3u/aïre a **<br />
duaudii cl fallu se Soumettre-<br />
Echelle c/e o»ooi f»>* 1
— — 267<br />
qui ne lui paraissait possible que dans un avenir éloigné, du<br />
moins par la solidarité des intérêts,<br />
seul moyen de résoudre<br />
« le problème de la domination du pays et celui non moins<br />
difficile d'utiliser à notre profit la société musulmane ». Pour<br />
atteindre ce but, il conseille de se servir des Indigènes comme<br />
d'un élément de colonisation et de créer aussi bien des villages<br />
arabes que des villages européens. Lui-même donne l'exemple<br />
à Ténès où, selon ses propres termes, il entreprend « une œuvre<br />
fondée sur l'association du travail » : « dans le but politique de<br />
prouver aux Arabes les avantages de la fixation au sol ; dans le<br />
but philanthropique d'améliorer leur existence en important<br />
chez eux des cultures nouvelles, des améliorations aux ancien<br />
nes; dans le but de servir d'école, de ferme-modèle » (1).<br />
La première tentative date de 1845. Avec les 20 cavaliers<br />
du bureau arabe. Lapasset pense pouvoir créer un village, bien<br />
avant par conséquent que ne soit entrepris celui du makhzen<br />
d'Orléansville. En novembre 1845, une quinzaine de maisons<br />
existaient déjà lorsque Bou-Maza, arrivant jusqu'à Ténès, les<br />
brûla avec une grande partie des approvisionnements qui y<br />
étaient renfermés. Après un moment de découragement, Lapas<br />
set tire une double leçon de ce tragique événement : il fallait<br />
s'attacher à édifier un centre aussi considérable que possible<br />
et l'organiser en village fortifié.<br />
Au début de 1846, il choisit donc une position très forte sur<br />
le plateau des Ouled Henni en vue des deux villes de Ténès (2),<br />
à quatre kilomètres environ de la côte, et il fit bâtir par les<br />
tribus (en représailles de l'incendie du premier village) un mur<br />
d'enceinte défendu par un fossé et dont les deux seules ouver<br />
tures, les portes du village, étaient fermées par de très fortes<br />
barrières rustiques de 2 m. 50 de hauteur. L'enceinte était ren<br />
forcée par deux bastions crénelés et par un réduit à deux étages<br />
et deux rangs de créneaux, établi sur le point culminant, fermé<br />
par une porte à l'épreuve de la balle et entouré lui-même d'un<br />
fossé (fig. ci-jointe).<br />
(1) N 465, 1848, Ténès, 1" q. de juin.<br />
(2) La nouvelle ville et le Vieux Ténès à deux kilomètres plus au sud.
•268 —<br />
Et tout en assurant ainsi la sécurité, on entreprenait la<br />
construction du village, chaque fraction de tribu étant chargée<br />
d'un travail déterminé sous la surveillance de son cheikh et d'un<br />
cavalier du bureau arabe. Ce sont les tribus qui fournirent les<br />
bois de charpente et de clôture, qu'elles coupèrent dans leurs<br />
propres forêts, tandis que les cavaliers du makhzen préparaient<br />
la chaux et le mortier. Les petits travaux, comme le nivellement<br />
intérieur des maisons ou celui des rues, furent exécutés par les<br />
habitants du nouveau village. La seule dépense importante<br />
provint de l'achat des planches indispensables pour les portes<br />
et les fenêtres. La besogne dura deux ans parce qu'elle fut<br />
effectuée par les tribus appelées uniquement pendant la morte-<br />
saison et seulement quelques jours chacune. Mais les travaux<br />
agricoles, menés parallèlement à la construction,permirent rapi<br />
dement au village de subvenir à ses besoins.<br />
Le village comprenait 33 maisons dans l'intérieur de l'en<br />
ceinte et 8 à l'extérieur (ces dernières non portées sur le plan) ;<br />
il disposait d'une bergerie modèle pouvant contenir 700 mou<br />
tons, 40 bœufs et le logement du berger. Les maisons couvertes<br />
en terrasse, étaient bâties en pisé de terre blanche argileuse<br />
avec crépissage au mortier de chaux. Chaque maison se com<br />
posait de deux grandes chambres, la première destinée aux<br />
réceptions et la seconde aux femmes; dans la cour intérieure,<br />
deux appentis servaient l'un d'écurie et l'autre d'étable (fig. p.<br />
suivante).<br />
Le territoire du village couvrait 200 hectares dont une par<br />
tie appartenait à cinq cavaliers du bureau arabe et dont le<br />
reste fut pris à ferme aux propriétaires, moyennant une rente<br />
annuelle en céréales, pour 3, 6 et 9 ans. Le bureau arabe fit louer<br />
également dans la plaine de l'Oued Allalah de vastes terrains<br />
qui devaient être exploités par les habitants du village moyen<br />
nant des redevances en grains. Le centre ne reçut pas d'autre<br />
nom que celui de Smala, bien que Lapasset eût désiré l'appeler<br />
Smala d'Aumale en l'honneur du quatrième fils de Louis-<br />
Philippe.<br />
Les vingt cavaliers du bureau arabe, appointés par le Gou<br />
vernement, formèrent le noyau principal et le drapeau national<br />
qui flottait au-dessus du village portait dans ses plis l'inscrip<br />
tion : Makhzen de Ténès. A cet élément, on adjoignit treize
Obsenvations<br />
Les habitations sont peu hautes<br />
pour n'être pas en prise an Wnt et «<br />
U pluie. E-n revanche on creuse dans<br />
I inférieur,<br />
Le Pointillé sur la. façade indique.<br />
les dh erses couches de. Pisé} il y en «<br />
ordinairement quatre cfiacunede o^o<br />
de h auteur1.<br />
^Projection des Piliers de, soutien..<br />
Elévation D'après : Lapasset : Mémoires sur<br />
la colonisation indigène et la coloni<br />
Por- te d'entrée<br />
EzhdU. de. 0*ol pour un melre.<br />
sation européenne. 1848.<br />
Plan d'une Maison<br />
du Village de la Smala
— — 269<br />
autres cavaliers venus demander à faire partie de la smala et<br />
acceptant de partager le service du makhzen sans recevoir au<br />
cune rétribution pécuniaire. Enfin, douze autres familles char<br />
gées uniquement de fonctions agricoles ou pastorales s'établi<br />
rent dans les maisons extérieures et dans la bergerie. C'étaient<br />
au total 55 familles groupant 205 individus qualifiés de « frè<br />
res » par Lapasset.<br />
Et la vie s'organise sous l'égide de l'Association. La petite<br />
société obéit à un règlement précis en treize articles que Lapas<br />
set propose d'appliquer aux futurs villages de Colons français.<br />
Deux principes essentiels s'en dégagent : la Société doit tout<br />
d'abord, autant que faire se peut, se suffire à elle-même et avoir<br />
recours le moins possible à des étrangers,<br />
attendu qu'elle n'a<br />
pas d'argent pour solder leur main-d'œuvre; en second lieu, le<br />
travait en commun est obligatoire, son refus étant un motif d'ex<br />
clusion et l'Association héritant alors de la part de celui qui<br />
sera expulsé par ses frères. Chaque cavalier doit donc à l'Asso<br />
ciation tout le temps que lui laisse libre son service militaire et<br />
la surveillance de ses intérêts particuliers pour laquelle il lui<br />
est accordé des permissions.<br />
Le travail est journellement indiqué par le chef du bureau<br />
arabe. Les récoltes sont emmagasinées par le chef du makhzen<br />
sous la surveillance de l'officier adjoint et, à jour donné, on<br />
opère le partage entre tous les associés suivant un barème bien<br />
déterminé. Outre la ration journalière en orge et en paille de<br />
son cheval, tout « mokhazeni » a droit à une part, sauf le chef<br />
du makhzen qui perçoit deux parts, et le khodja du bureau<br />
arabe une part et demie. Les cavaliers qui ne reçoivent pas de<br />
solde touchent mensuellement, à titre d'indemnité, un demi-<br />
quintal de blé. Les légumes des jardins et les fruits sont parta<br />
gés entre les cavaliers, jardiniers et bouviers. Ces trois der<br />
nières catégories,<br />
ployés que celle d'associés,<br />
à titre de salaire,<br />
qui semblent plutôt avoir la qualité d'em<br />
perçoivent par mois et par famille,<br />
un quintal de blé. Si la Société se trouvait<br />
avoir réellement besoin d'argent, il lui était possible de vendre<br />
l'excédent des produits, mais, la deuxième année encore, on
— — 270<br />
préfère laisser perdre les légumes récoltés en trop grande abon<br />
dance plutôt que d'en tirer un bénéfice (1).<br />
Les débuts furent difficiles. L'administration dut avancer<br />
les semences à charge de restitution. La première récolte donna<br />
273 quintaux d'orge, 85 quintaux de blé, et 800 quintaux de<br />
paille. Le troupeau comprenait seulement 8 bœufs, 4 vaches,<br />
4 mulets, 90 moutons ou brebis. Légumes et fruits restèrent<br />
rares, car on ne put défricher qu'un seul jardin d'environ un<br />
hectare et demi qui fournit seulement des melons et des navets.<br />
Mais les progrès suivirent rapidement. Les cultures de cé<br />
réales s'étendirent, surtout celles de blé;<br />
ment on creusa 18 silos autour de la Smala et,<br />
pour l'emmagasine-<br />
ce nombre ne<br />
suffisant pas, on construisit un magasin sur le même modèle<br />
que les maisons et on y déposa les céréales qui devaient être<br />
promptement consommées. Sept hectares de jardin furent mis<br />
en valeur et grâce à d'importantes conduites d'eau et à quatre<br />
grands bassins d'irrigation de la contenance de 27 à 34 mètres<br />
cubes chacun, ils donnèrent en abondance tous les légumes pos<br />
sibles (choux, salades, haricots, oignons, citrouilles, et surtout<br />
melons et pastèques) et quantité d'arbres fruitiers (poiriers, pê<br />
chers, pommiers et plus encore, cerisiers et noyers jusqu'alors<br />
inconnus dans le pays) dont les plants avaient été envoyés de<br />
la pépinière d'Alger. L'intérieur et les abords du village furent<br />
garnis de mûriers. La pomme de terre, essayée pour la pre<br />
mière fois, donna du 10 pour 1. Les ceps de vigne se comptèrent<br />
par milliers. Le succès du tabac fut malheureusement compro<br />
mis par l'inhabileté ou la négligence du soldat qui servit de<br />
moniteur.<br />
(1) Si l'on songe que, suivant les conceptions de Lapasset, cette colonie<br />
avait également un but éducatif et qu'elle était destinée à essaimer, on ne<br />
peut s'empêcher d'évoquer les fondateurs du mouvement coopératif, les Equi<br />
tables pionniers de Rochdale dont le manifeste, rédigé en 1844, s'exprimait<br />
ainsi (c'est nous qui soulignons) : « Sitôt qu'il sera possible, la société procé<br />
dera à l'organisation de la production, de la distribution et de l'éducation,<br />
dans son sein et par ses propres moyens ou, en d'autres termes, elle se cons<br />
tituera en colonie autonome où tous les intérêts seront mis en commun. La<br />
société viendra en aide aux autres sociétés coopératives qui voudront fonder<br />
de semblables colonies ». (Antonelli, Manuel d'économie politique, 1945, tome<br />
I, p. 380).
Le développement et la fin.<br />
Trois ans après la fondation, les résultats étaient promet<br />
teurs. La récolte de 1848 donnait, en effet, 424 quintaux d'orge,<br />
712 quintaux de blé, 79 quintaux de fèves, 62 quintaux de pom<br />
mes de terres, 24.000 têtes d'oignons et de légumes. Pendant la<br />
seule année 1849, on plante 15.000 pieds de vigne, 1.000 arbres<br />
fruitiers et on crée une pépinière contenant 8.000 plants d'ar<br />
bres et un nombre bien plus grand encore de semis. Quatorze<br />
jardiniers travaillaient journellement avec un soldat pour mo<br />
niteur.<br />
Le village avait complété son équipement. Il comprenait<br />
44 maisons qui avaient été recrépies et blanchies; celle du chef<br />
du makhzen avait été fortifiée. Outre le magasin à blé, l'agglo<br />
mération disposait d'une chambre spéciale pour les semences<br />
et les graines; d'Un dépôt d'outils et de charrues; d'une fontaine<br />
et d'un abreuvoir alimentés par une conduite de 1.800 mètres<br />
et particulièrement appréciés des femmes dispensées désormais<br />
d'aller puiser au loin l'eau qu'elles transportaient dans des<br />
outres. Une carrière, ouverte à proximité, fournissait la pierre<br />
nécessaire; une petite scierie, établie pour utiliser le bois de<br />
construction du pays, et une briqueterie fonctionnaient : à l'ex<br />
ception des ouvrages en fer, la société se suffisait à elle-même.<br />
Deux ponceaux avaient été jetés sur des ravins, une petite<br />
route muletière pratiquée dans le milieu du périmètre et, véri<br />
table révolution dans les moyens de transport des Indigènes,<br />
une voiture bouvière, confectionnée par le parc militaire, fut<br />
mise à la disposition de l'Association. D'un mode d'attelage<br />
facile et pouvant transporter autant que 10 mulets,<br />
elle fut vite<br />
adoptée par les habitants du village et Lapasset espère que cet<br />
exemple se généralisera et que,<br />
pour utiliser ce nouveau véhi<br />
cule, les Indigènes seront amenés à améliorer les routes de<br />
plaine, à en établir en montagne.<br />
La smala jouera ainsi pleinement son rôle d'installation<br />
modèle et d'école d'agriculture dont toute la contrée doit pro<br />
fiter. Les tribus, répondant à l'appel du chef du bureau arabe,
— — 272<br />
envoyèrent quelques hommes y faire un stage. Pour ne pas<br />
décourager par trop<br />
de nouveautés l'intelligence des premiers<br />
adeptes, on introduisit les innovations une à une et, dans l'im<br />
médiat, Lapasset conseille de se limiter, à peu de chose près, aux<br />
instruments aratoires habituels : selon lui,<br />
expression de Bugeaud,<br />
était de perfectionner la routine ».<br />
pour reprendre une<br />
« la conduite la plus sage à tenir ici<br />
Dès 1848, des agriculteurs nouvellement formés à la smala<br />
font, chez les Béni-Hidja et dans le caïdat de Ténès, des planta<br />
tions de vigne, d'arbres fruitiers, de pommes de terre et de quel<br />
ques autres légumes. En 1849,<br />
plus de soixante élèves sont for<br />
més. Pour atteindre son but éducateur, Lapasset conduit les<br />
chefs ou même de simples Indigènes dans le village, les jardins,<br />
les plantations, leur donnant toutes les explications nécessaires,<br />
leur faisant apprécier les produits nouveaux et en particulier<br />
la pomme de terre. Devenant non seulement une école de jardi<br />
nage, mais une vaste ferme-modèle, la smala fournit aux Indi<br />
gènes, avec des conseils et un exemple utile à suivre, une quan<br />
tité de plus en plus imporante de graines et de plants d'ar<br />
bres (1).<br />
Mais ce n'était pas là le stade final. Dans la pensée de son<br />
fondateur, la smala ne devait pas rester un établissement isolé.<br />
Déjà, en 1848, deux grands chefs du cercle demandaient la<br />
construction de hameaux sur le modèle de la Smala. Au chef-<br />
lieu de chaque cercle, en utilisant notamment les biens du Bey<br />
lik, Lapasset voulait faire bâtir par les tribus un village indi<br />
gène modèle, peuplé, comme celui de Ténès, par les cavaliers,<br />
les employés du bureau arabe, quelques Indigènes choisis parmi<br />
ceux qui étaient les plus susceptibles d'embrasser nos idées et<br />
aussi les familles dont on voudrait surveiller la conduite poli<br />
tique. Pendant les trois ou quatre premières années suivant la<br />
création du village, la propriété serait possédée en commun et<br />
l'association du travail érigée en principe. Lorsque les terres<br />
(1) N 465, 1848, Ténès, 1 q. de novembre.<br />
N 468, 1849, Ténès, 2° q. de mars.<br />
N 468, 1849, Ténès, 2' q. de décembre.<br />
N. 443, main-d'œuvre indigène.
— — 273<br />
seraient en plein rapport et les travaux d'utilité générale exé<br />
cutés, on opérerait la dissolution de la société et le partage équi<br />
table des champs, des jardins, des maisons,<br />
chaque famille re<br />
cevant un titre définitif de propriété sur une étendue que La<br />
passet estimait devoir être d'environ douze hectares; seuls la<br />
pépinière et le jardin d'essai non partagés deviendraient biens<br />
communaux.<br />
Et, lorsque les villages des cercles seront florissants, on entre<br />
prendra la création de villages moins importants autour de cha<br />
que chef influent et on les peuplera avec les familles, les servi<br />
teurs, les chaouchs, les cavaliers de ce notable auquel on pourra<br />
bâtir une maison crénelée servant en même temps de réduit à<br />
l'agglomération. On encouragera les Arabes à habiter ces cen<br />
tres de population en accordant certains privilèges à ceux qui<br />
viendront s'y fixer, on les contraindra indirectement à y venir<br />
en ordonnant que tous les silos de la tribu soient construits au<br />
tour des fossés d'enceinte. Dans les centres éloignés du bureau<br />
arabe, les Indigènes ne pourront bénéficier des avantages de<br />
l'association car, loin de la protection de l'autorité française,<br />
les habitants du hameau soumis au régime communautaire ne<br />
seraient plus que les fermiers de l'agha ou du caïd. Là, par<br />
exception, la propriété individuelle sera immédiatement cons<br />
tituée.<br />
Surtout la colonisation arabe devra essaimer : le « nouveau<br />
village en voie de prospérité, l'on procédera à l'installation d'un<br />
autre, d'après le même mode, de telle sorte que, par cercle, il<br />
y aura, suivant son importance, 3, 4 ou 5 centres indigènes<br />
se reliant avec des centres européens » (souligné dans le texte)<br />
(1). Et ainsi les deux colonisations, se tendant la main, coopé<br />
reront à la grande œuvre de la mise en valeur du pays.<br />
Lapasset voit bien les objections que l'on peut faire à son<br />
projet. On protestera contre le travail imposé aux tribus pour<br />
construire les villages bien que la touïza soit d'une pratique cou<br />
rante chez les Indigènes, et d'ailleurs, selon lui,«sans une certaine<br />
contrainte, il est impossible de faire du bien aux masses ». Il<br />
ne croit pas à la répulsion absolue des Indigènes à habiter des<br />
(1) Lapasset (9) 41.<br />
18
— — 274<br />
centres surtout si, dans certains cas,<br />
on se limite aux villages<br />
de tentes. Et il voit de multiples avantages à agglomérer ainsi<br />
la population indigène. Au point de vue politique, les révoltes<br />
seraient presque impossibles, des besoins nouveaux se mani<br />
festeraient, une solidarité d'intérêts s'établirait qui, pour le mo<br />
ment, est « la seule fusion possible entre le chapeau rond et le<br />
turban, entre la croix et le croissant ». Au point de vue admi<br />
nistratif, les affaires se régleraient plus vite et les chefs ne<br />
pourraient pas échapper à la surveillance de l'autorité fran<br />
çaise. Financièrement, l'Etat en retirerait un grand profit, car<br />
l'assiette de l'impôt serait plus justement et plus facilement<br />
établie. Pour les Indigènes,<br />
la voie du bien-être et de la régénération.<br />
l'agglomération au village ouvrirait<br />
Et Lapasset conclut par une comparaison entre la coloni<br />
sation indigène et la colonisation européenne, la première lui<br />
paraissant beaucoup plus riche en éléments de succès : « L'une<br />
a ses terres toutes prêtes, l'autre a besoin de les acheter; celle-ci<br />
possède un grand nombre de familles acclimatées;<br />
celle-là n'en<br />
a qu'un petit nombre que la fièvre décime tous les jours. La<br />
première peut être organisée, dirigée vers un but et sans grands<br />
frais; la seconde, indisciplinée, éparpillant ses efforts, coûte des<br />
sommes immenses » (1).<br />
Le succès répondit-il aux espérances de Lapasset ? Remar<br />
quons tout d'abord que l'œuvre resta localisée à la Smala de<br />
Ténès, peut-être parce que Lapasset, nommé à Orléansville, puis<br />
à Oran, ne put jamais lui donner l'extension rêvée. Mais, en<br />
admettant même son maintien à Ténès (où il resta d'ailleurs<br />
jusqu'en 1851),<br />
aurait-il pu continuer à défendre son système<br />
basé sur l'association, alors que, en janvier 1850, l'Assemblée<br />
Législative approuvait un rapport de Thiers assimilant l'asso<br />
ciation ouvrière à une manifestation de l'anarchie ? alors que<br />
les nombreuses coopératives créées après les journées de février<br />
1848 disparaissaient une à une et que l'idée coopérative elle-<br />
même, suspecte d'engendrer la subversion sociale, était englobée<br />
(1) Lapasset (9) 65-67.
275<br />
dans la haine du « rouge » et vouée aux gémonies par la bour<br />
geoisie dont les officiers étaient issus ? La Smala se trouva<br />
isolée, sinon condamnée, par les conceptions mêmes qui lui<br />
avaient donné naissance.<br />
Que devint-elle ? Elle ne semble pas avoir été acceptée avec<br />
beaucoup d'enthousiasme par les Indigènes de la région et, en<br />
1848, ils avaient formé le projet de s'emparer des moissons à<br />
main armée, « sous le vain prétexte, écrit Lapasset, qu'elles<br />
étaient la propriété du chef des affaires arabes, directeur de<br />
l'association » (1),<br />
appréciation qui semblerait prouver que le<br />
village était étroitement soumis à l'autorité militaire. En 1852,<br />
Randon la condamne parce qu'elle ne correspondait pas à ses<br />
conceptions sur les smalas, et il ordonne que chaque proprié<br />
taire de maison reçoive un lot de terrain (2). Nous ignorons<br />
comment s'effectua l'allotissement, mais nous connaissons la<br />
situation en 1856 : le village compte seulement 20 maisons et<br />
« quoique habitables, elles ne sont pas dans un bon état d'entre<br />
tien. Les terres sont assez bien cultivées et les plantations sont<br />
assez bien entretenues. Le village de la Smala possède environ<br />
3.000 arbres fruitiers et 4 hectares et demi de vigne dont la moi<br />
tié environ en bonne production. Les routes qui le sillonnent<br />
sont complantées d'arbres d'avenues. Le village est doté d'une<br />
fontaine, de bassins et abreuvoirs qui répondent à toutes les<br />
conditions d'un bon service » (3). Ce rapport officiel émanant,<br />
à n'en pas douter, du bureau arabe de Ténès, ne parvient pas,<br />
malgré son ton quasi optimiste, à cacher l'échec d'une création<br />
qui semblait appeler à un bel avenir. Que sont devenus les<br />
troupeaux ? les jardins ? la pépinire ? et surtout les 24 maisons<br />
que l'agglomération compte en moins ? Ruinées sans aucun<br />
doute. Un pauvre village recroquevillé sur lui-même a succédé<br />
à une agglomération qui devait être l'élément générateur de<br />
toute la colonisation indigène dans la région, la maison mère<br />
essaimant dans la contrée !<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville, 1 q. de juin.<br />
(2) D.A. Orléansville carton 1 : lettre au général Camou le 28-10-1852.<br />
(3) Tableau des Etablissements français 1856-58, p. 197.
276-<br />
CONCLUSION<br />
Cet échec n'étant pas particulier au village de la Smala<br />
ne peut être imputé à la pratique de l'association et comme,<br />
d'autre part, il dépasse la question des entreprises de villages,<br />
nous essayerons, plus loin, d'en dégager les causes générales.<br />
Notons cependant, dès maintenant,que les Indigènes étaient<br />
mal disposés à l'égard des constructions qu'ils considéraient<br />
plutôt comme portant atteinte à leur liberté individuelle que<br />
comme devant leur procurer un bien-être qu'ils ne connaissaient<br />
pas et enviaient peu. Aussi n'agissaient-ils souvent que pour<br />
complaire à l'autorité français, à ce qu'ils considéraient comme<br />
un caprice des Français. Encore en 1862, les Heumis manifes<br />
tent une certaine opposition lorsqu'il est question de les réunir<br />
en village (1) et il est probable que, dans notre région, comme<br />
ailleurs, plus d'un chef, une fois sa maison élevée, a continué<br />
à vivre sous la tente, abandonnant à ses troupeaux la demeure<br />
de maçonnerie (2).<br />
Lapasset croyait que, dans la modification du logis, la fem<br />
me, estimant la maison plus confortable, aiderait puissamment<br />
l'action des Bureaux arabes. Il semble que ce soit Hugonnet qui<br />
ait vu juste lorsqu'il écrivait : « Dans la question si importante<br />
du remplacement de la tente par la maison, nous n'avons pas<br />
d'adversaire plus éloquent et plus à redouter que la femme. Elle<br />
ne veut pas de cette habitation de pierres qui représente pour elle<br />
une cage, une prison. Avec la tente, au contraire, elle se trans<br />
porte, suivant les saisons, dans diverses contrées; elle n'a qu'à<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville, divers. G. Orléansville,<br />
mars 1862.<br />
(2) Hugonnet (6) 122-123, Wahl : l'Algérie, 454 p. Paris 1903 à la p. 203.<br />
M.G. 208 : note du ministère de la guerre (1870). Pour citer un exemple dans<br />
notre région : en 1877 la commission des centres de Miliana rapporte que le<br />
village arabe de Kobour Ali (ou Gueba Ali de notre tableau p. 237), au sud<br />
d'Affreville, est à peu près abandonné : les maisons qui subsistent sont dédai<br />
gnées par les indigènes qui se sont construits à côté de misérables gourbis<br />
(D.A. Affreville).
— 277-<br />
soulever un des bords de sa demeure pour voir se dérouler de<br />
vant elle les horizons immenses... elle et ses enfants se trouvent<br />
là perpétuellement en contact avec l'air libre » (1).<br />
A cette hostilité naturelle des Indigènes pour les construc<br />
tions, il faut ajouter que parfois les promesses faites ne furent<br />
pas tenues et les titres de propriété ne suivirent pas toujours<br />
l'édification des maisons (2).<br />
Aussi le mouvement créateur de constructions se ralentit<br />
dès 1858-1860,<br />
si l'on préfère après le gouvernement de Randon,<br />
au moment de la création du Ministère de l'Algérie et des Colo<br />
nies : c'est tout à fait exceptionnellement que l'on signale alors,<br />
dans l'aghalik des Zatima par exemple, la construction de quel<br />
ques maisons.<br />
Le sénatus-consulte de 1863, confimant les droits de pro<br />
priété des Indigènes eut, dans certains endroits, un effet remar<br />
quable. Pendant l'automne 1864, les Sbéah bâtissent plus de<br />
100 maisons; dans l'aghalik d'El Esnam (Orléansville), les Ara<br />
bes élèvent également de nombreuses constructions et Capifali<br />
estime que, depuis la promulgation du sénatus-consulte, plus de<br />
400 maisons ont été bâties dans le cercle. Toutefois selon toute<br />
apparence, c'étaient des bâtiments plus élémentaires que ceux<br />
décrits précédemment et pour les Sbéah par exemple, il est<br />
parlé de « maisonnettes construites avec de la chaux et du<br />
plâtre sur le modèle de celles de Mazouna ». Dans son désir de<br />
montrer les heureux effets de la politique du Royaume arabe,<br />
il est probable que Capifali englobe dans ses statistiques beau<br />
coup de maisons-gourbis.<br />
D'ailleurs, cet engouement pour les maisons ne fut pas<br />
général et les rapports de Téniet-el-Had et de Miliana signalent<br />
l'absence de toute construction, imputant parfois ce fait à l'inap<br />
plication du Sénatus-consulte. Dans la région d'Orléansville elle-<br />
(1) Lapasset (9) 59-60. Hugonnet (6) 109-110.<br />
(2) G. Orléansville, 1er T. 1860. Urbain accuse le cantonnement d'être a<br />
l'origine de l'arrêt des constructions (112) 115-116. Les exemples que nous<br />
avons donnés prouveraient plutôt le contraire.
278-<br />
même le mouvement cessa bientôt et Capifali qui, en 1864, pro<br />
phétisait des progrès encore plus intenses pour le printemps<br />
prochain, ne dit plus un mot des constructions dans les rapports<br />
qui suivent. Tentes et gourbis continuèrent donc à prédominer<br />
dans la région (1).<br />
(1) G. Cherchel, 4" T. 1861.<br />
G. Orléansville, 4" T. 1864.<br />
G. Téniet-el-Had, 4« T. 1864.<br />
G. Miliana, 2« T, 1865.
CHAPITRE V<br />
L Amélioration de l'Economie<br />
Cultures et Elevage
Nous abordons maintenant la troisième partie du pro<br />
gramme dont la réalisation fut entreprise par les Bureaux<br />
arabes pour transformer les genres de vie indigènes : outre la<br />
délimitation des propriétés et la fixation au sol par la maison,<br />
il leur apparaît capital d'améliorer les rendements de l'écono<br />
mie indigène, en matière agricole surtout.Pensant, avec Richard,<br />
que l'agriculture est la première des sciences et le premier<br />
intérêt des nations, ils considèrent comme un grand but d'ap<br />
prendre aux Arabes à exploiter le sol avec intelligence et profit.<br />
A cet effet, ils font appel à l'intervention de l'Etat pour<br />
agir sur les volontés engourdies ou récalcitrantes,<br />
pour vaincre<br />
l'apathie, l'indifférence, les répugnances et les préjugés des<br />
Indigènes plongés dans la routine et la paresse. Ils voudraient<br />
que l'Administration distribuât aux cultivateurs des manuels<br />
d'agriculture en langue arabe ou des articles du Mobacher trai<br />
tant des questions agricoles (1). Surtout, ils sollicitent de tous<br />
leurs vœux la fondation auprès de chaque bureau arabe d'une<br />
ferme-modèle où les Indigènes pourraient venir apprendre à<br />
créer un jardin, à greffer des arbres fruitiers, à planter la pom<br />
me de terre, le tabac ou le coton. Lapasset désirait même l'éta<br />
blissement d'écoles arabes-françaises dans lesquelles on donne<br />
rait de bonnes notions d'agriculture pratique.<br />
Dans l'attente de toutes ces réalisations qu'ils espérèrent en<br />
vain, les officiers des Bureaux arabes se firent les instituteurs<br />
des Arabes, s'efforçant de les initier à notre agriculture et de<br />
rénover une économie attardée. Nous allons essayer d'évoquer<br />
leur action dans les différents domaines où s'exerça leur acti<br />
vité (2).<br />
(1) Auraient-ils pu les lire ? Probablement non, du moins dans la région<br />
étudiée où l'arabisation des régions montagneuses était loin d'être achevée.<br />
Signalons cependant que dans un rapport du 24-12-1844, relatif à la Province<br />
d'Oran, Walsin-Esterhazy affirme que « la moyenne des individus du sexe<br />
masculin sachant lire et écrire est au moins égale à celle que les statistiques<br />
départementales nous font connaître pour les habitants de nos campagnes »<br />
(N 1675). On sait qu'à cette époque, en France, plus de la moitié des conscrits<br />
étaient illettrés et c'est l'application de la loi Guizot de 1833 qui, après 1858,<br />
ramena cette proportion au tiers<br />
(2) Richard (18) 64-65. Lettre de Lapasset à Lacroix du 15 septembre<br />
1863 (121) 482. G. Orléansville, 1" T. 1861 (rapport de Capifali). Dans son<br />
rapport d'inspection de 1853, le général Camou reprend à peu près textuelle<br />
ment les arguments de Richard en faveur de la ferme-modèle, autre preuve,<br />
s'il en était besoin, de la parfaite concordance d'idées entre les Bureaux ara<br />
bes et les responsables de l'Armée (N 448).
— — A<br />
LA CULTURE DES CÉRÉALES<br />
Pour les officiers des Bureaux arabes, la culture des céréa<br />
les doit être l'apanage des Indigènes. Pellissier de Reynaud la<br />
déconseillait formellement aux Européens,<br />
car c< c'est dans les<br />
riches cultures industrielles du coton, du tabac, du mûrier, de<br />
l'olivier, de la cochenille, etc.. que la colonisation doit se frayer<br />
sa voie parce que c'est l'unique source de ces larges et rapides<br />
bénéfices qu'elle recherche avant tout », et parce que,<br />
« mar<br />
chant ainsi par deux routes distinctes, les deux populations<br />
peuvent vivre côte à côte » (1). Dès 1848, Richard pensait qu'il<br />
était impossible aux Colons de concurrencer les Indigènes dans<br />
la culture des céréales et lui aussi affirmait que « pour coloniser<br />
dans ce pays d'une manière sérieuse, il faut tirer de la terre<br />
autre chose que des grains qu'elle donne déjà en si grande abon<br />
dance » (2). L'idée est particulièrement chère à Lapasset. Il y<br />
revient à plusieurs reprises et prétendant mettre « chacun à sa<br />
place », il fait la répartition suivante : « A eux (les Indigènes)<br />
la production des céréales, la grande culture, l'élevage des bes<br />
tiaux, pour lesquels nous ne pouvons lutter avec eux. A nous<br />
la culture industrielle, à nous le commerce, l'industrie; à nous<br />
les mines, les forêts, les chemins de fer, les grands travaux<br />
d'utilité publique, à nous enfin les villes ». Tel est, à l'entendre,<br />
le seul programme naturel en Algérie. Et l'on sait que Napoléon<br />
III devait l'adopter dans sa fameuse lettre au maréchal Pélis-<br />
(1) Pellissier (14) III 402.<br />
(2) N 465, 1848, 2" q. de septembre.
{■<br />
282<br />
sier, du 6 février 1863 (1). A cette époque, depuis plusieurs an<br />
nées déjà, les Bureaux arabes essayaient d'en démontrer le bien<br />
fondé en agissant sur les Indigènes pour les porter à étendre<br />
et à améliorer leurs cultures de céréales.<br />
I. —<br />
Défrichements.<br />
L'EXTENSION DE LA CULTURE<br />
Les adversaires des Bureaux arabes leur ont parfois repro<br />
ché, d'avoir poussé les Indigènes non à améliorer, mais à étendre<br />
leurs cultures, ce qui avait pour résultats de priver la coloni<br />
sation de terres dont elle aurait pu tirer grand profit (2). En<br />
réalité, ils essayèrent à la fois d'augmenter les surfaces livrées<br />
à la charrue et d'accroître les rendements,<br />
mais il est certain<br />
qu'il leur fut plus facile d'atteindre le premier objectif que le<br />
second.<br />
L'extension des défrichements était d'ailleurs imposée par<br />
les progrès mêmes de la colonisation. Resserrés par les acqui<br />
sitions des Européens, les Béni-Menasser, en 1856,<br />
mettent en<br />
valeur des terres qu'ils avaient jusque-là négligées. Les Righa,<br />
à l'étroit dans leur pays depuis la constitution des villages d'Aïn-<br />
Bénian et d'Aïn-Sultan, recherchent de l'espace dans le Chélif,<br />
du côté des Djendel, et ils y parviennent en 1851, grâce à l'inter<br />
médiaire du bureau arabe qui trouve à louer des terres pour ces<br />
montagnards. De plus, la création des centres de colonisation et<br />
l'ouverture de leurs marchés, en donnant aux Indigènes l'assu<br />
rance de vendre les produits agricoles à un prix élevé, déter-<br />
(1) Lettre de Lapasset à Lacroix du 29 juin 1859. Il reprend la même<br />
idée dans une lettre à Daumas du 7 mars 1862 et dans une autre à Lacroix<br />
du 15 avril 1862 (121) 187-188, 330, 338. Dans sa lettre sur le Royaume arabe<br />
Napoléon III disait « Aux indigènes, l'élevage des chevaux et du bétail, les<br />
cultures naturelles du sol. A l'activité et à l'intelligence européennes, l'ex<br />
ploitation des forêts et des mines, les dessèchements, les irrigations, l'intro<br />
duction de cultures perfectionnées, l'importation de ces industries qui précè<br />
dent ou accompagnent toujours les progrès de l'agriculture ».<br />
(2) A. Duvernois (59) 51.
— — 283<br />
mine en plusieurs endroits (dans le cercle de Cherchel en parti<br />
culier)<br />
un notable accroissement des labours (1).<br />
L'impulsion des Bureaux arabes joue un grand rôle après<br />
une mauvaise année, en 1868 par exemple, où, dans le cercle<br />
d'Orléansville, entre autres, ils réussirent à accroître les labours<br />
d'un tiers. C'est encore par leur action que, pour subvenir aux<br />
besoins de la Métropole, les surfaces cultivées s'étendent consi<br />
dérablement pendant la campagne 1870-1871. A Orléansville. les<br />
tribus voisines du territoire civil fournissent 1.500 charrues pour<br />
ensemencer de nouveaux terrains; dans les autres cercles, l'ef<br />
fort est également considérable bien qu'entravé par les intem<br />
péries qui ont été la cause d'une grande mortalité des bes<br />
tiaux (2).<br />
Mais c'est surtout après une année d'abondance que l'on<br />
note les transformations les plus remarquables. Une bonne<br />
récolte, et à plus forte raison, une suite de bonnes récoltes, bou<br />
leverse les conditions économiques et sociales. En 1855, dans<br />
la région d'Orléansville, à cause des rendements favorables de<br />
plusieurs années, de l'élévation du prix des céréales et de la<br />
vente assurée, beaucoup de khammès achètent des bœufs de<br />
labour et deviennent cultivateurs, entreprenant de multiples !<br />
défrichements, non sans d'interminables procès soulevés par la j<br />
question de la propriété des terres ou par le règlement des avan- ;<br />
ces faites par les fellahs à leurs anciens khammès. Par voie de i<br />
conséquence, les grands propriétaires peuvent difficilement /<br />
faire labourer leurs terres car ceux qui consentent encore à rem- j<br />
plir les fonctions de khammès demandent non seulement de i<br />
grandes avances en argent, mais une part du dixième ou 1<br />
même du cinquième en propre dans la charrue en sus de ce \<br />
(1) N 475 Cherchel, 3» T. 1856 ; N 470 Miliana, octobre 1851. G. Cherchel,<br />
4« T. 1856.<br />
(2) G. Orléansville, juillet et novembre 1868 ; Orléansville, février 1871 ;<br />
Cherchel, 1" T. 1871.
■284 —<br />
qui leur revient d'ordinaire (1). Au total,<br />
chaque fois que cette<br />
situation se reproduit, la diminution du nombre de khammès<br />
et l'augmentation corrélative du nombre de fellahs se traduit<br />
par1 une extension des surfaces labourées, ce qui ne signifie pas<br />
forcément une récolte plus importante, car les nouveaux fellahs<br />
ne disposant le plus souvent que de bêtes de mauvaise qualité<br />
et de terrains qu'ils n'ont pas le moyen de fumer par le pacage<br />
des bestiaux, obtiennent des grains de qualité inférieure et en<br />
quantité moindre.<br />
Parfois l'accroissement des surfaces cultivées résulte sim<br />
plement d'une meilleure utilisation du sol. Les buissons et les<br />
bouquets de jujubier sauvage disparaissent du milieu des terres<br />
labourées et la superficie ensemencée s'en trouve ainsi accrue.<br />
Lorsqu'il s'agit de prendre possession de terres nouvelles, on<br />
opère par brûlis sous la surveillance des agents forestiers : les<br />
broussailles sont coupées à fleur de terre, sans toucher aux raci<br />
nes et, non sans risques, on y met le feu : il arrive que l'année<br />
suivante les broussailles repoussent et il faut recommencer le<br />
même travail. Lorsque l'autorisation de pratiquer l'incendie<br />
n'est pas donnée, les défrichements se font à la pioche, dans le<br />
cercle de Ténès, par exemple (2).<br />
Faute de statistiques générales, il n'est pas aisé d'apprécier<br />
l'importance des défrichements réalisés. Qu'un seul caïd ait<br />
défriché 20 hectares la même année (en 1850, dans la région de<br />
Ténès), c'est là un exploit individuel sans grande portée. Il est<br />
beaucoup plus intéressant de savoir que, dans le cercle de<br />
Miliana, en 1854, plusieurs tribus dont la superficie n'a cepen<br />
dant pas diminuée, n'ont pas autant de terres labourables qu'el-<br />
i (1) N 474, Orléansville, novembre 1855.<br />
G. Ténès, 2" T. 1858.<br />
G. Orléansville, 2» T. 1865, 2» et 3« T. 1866.<br />
C'est donc à tort que Rectenwald, dans son beau travail sur Le contrat<br />
de khammesat en Afrique du Nord (Paris 1912, 136 p.), p. 37, nie l'intervention<br />
de la loi de l'offre et la demande et affirme que la rémunération du kham<br />
mès, pour un même lieu, est immuable au cours des temps.<br />
(2) N 450, 1854, cercle de Ténès N 463, 1847, Orléansville, 2? q. août.<br />
G. Orléansville, 4« T. 1858 ; G. Cherchel, 3» T. 1856 ; G. Miliana, 2» T. 1860.
— — 285<br />
les pourraient en cultiver, ce qui ne s'était jamais vu avant<br />
l'occupation française.<br />
Parfois nous disposons de renseignements plus précis. Un<br />
rapport de Téniet-el-Had établit que le nombre de paires de<br />
bœufs ayant labouré dans le cercle a été de 468 en 1843-1844, ,<br />
de 1.010 en 1844-1845, de 593 en 1845-1846, de 1.331 en 1846-1847<br />
et de 1.845 en 1847-1848. Malgré les difficultés dues à l'insurrec-<br />
tion de Bou-Maza et expliquant l'importance des variations '.<br />
enregistrées, le progrès est donc considérable;<br />
pense, et cela lui paraît un maximum,<br />
aussi Margueritte<br />
que le cercle utilisera<br />
3.000 paires de bœufs quatre ans plus tard. Ces prévisions furent<br />
cependant dépassées puisque, à en croire un rapport de 1852,<br />
l'ensemble des surfaces défrichées dans le cercle s'élevait alors<br />
à 65.860 hectares, et l'on sait que la charrue ou zouidja doit<br />
être estimée entre 10 et 15 hectares. Le cercle de Miliana qui !<br />
dans la seule année 1847 avait augmenté de 34 % le nombre<br />
de ses charrues, totalisait,<br />
en 1854, 72.670 hectares défrichés. On<br />
peut signaler des progrès de même ordre dans les autres régions :<br />
10.850 hectares labourés en 1849 dans le cercle de Ténès contre<br />
8.952 en 1848; dans celui d'Orléansville, les labours de 1850<br />
dépassent de 28 °/o ceux de 1849 et, en 1851, ils sont encore<br />
supérieurs d'un cinquième à ceux de l'année précédente. Le<br />
mouvement se continue par la suite, notamment au cours de la<br />
période 1860-1866,<br />
et l'on enregistre alors de notables accrois<br />
sements de cultures dans les régions de Miliana, de Cherchel et<br />
surtout dans celle de Téniet-el-Had qui, dans la seule année<br />
1865, s'inscrit pour 700 nouvelles zouidjas (1).<br />
Il ne faudrait cependant pas conclure à un développement<br />
régulier des surfaces labourées. Une mauvaise année peut avoir<br />
dans ce domaine des conséquences catastrophiques. En 1867, par<br />
suite d'une sécheresse exceptionnelle, la récolte avait été à peu<br />
près nulle, les grains, en de nombreux endroits, n'ayant même<br />
pas germé; les semences manquaient et surtout les bêtes de tra<br />
vail étaient épuisées par une disette prolongée résultant de l'ab-<br />
(1) N 463, 1867, cercle de Miliana ; N 447, 1852, subdivision de Miliana ;<br />
N 473, 1854. cercle de Miliana ; N 465, 1848, cercle de Téniet-el-Had ; N 468,<br />
1849, -<br />
cercle de Ténès ; N 469, 1850, cercle de Ténès G : Miliana, 2" T. 1860;<br />
Téniet-el-Had, 4« T. 1856 et 4< T. 1865 ; Cherchel, 1" T. 1864.<br />
j
— — 286<br />
sence complète de pâturages. Dans le cercle d'Orléansville, qui<br />
avait perdu 50 % de ses bœufs, le nombre de charrues labourées<br />
passe de 6.256 à 1.428. Même au cours d'une année normale, on<br />
peut noter des reculs,<br />
un retour aux friches de champs abandon<br />
nés volontairement. Le fait est signalé à plusieurs reprises, no<br />
tamment de 1868 à 1871. Des Indigènes quittent les terres qu'ils<br />
possèdent et louent, pour les cultiver, d'autres terrains à des<br />
Européens,<br />
parce que le prix de location est bien inférieur au<br />
montant de l'impôt d'achour qu'ils auraient à payer en labou<br />
rant leurs propres terres. D'autres, dans les montagnes de Cher<br />
chel en particulier, s'estimant trop imposés, se contentent de<br />
louer leurs bestiaux aux cultivateurs de la plaine du Chélif,<br />
trouvant dans cette affaire un bénéfice plus grand que celui<br />
qu'ils auraient retiré de la culture de leurs terres (1).<br />
Prêts et Réserves.<br />
Défricher ne suffit d'ailleurs pas. Encore faut-il disposer<br />
des grains nécessaires aux ensemencements. Lorsque s'ouvre la<br />
campagne agricole, surtout si l'année précédente a été mauvaise,<br />
les semences peuvent manquer au cultivateur. Pas d'institutions<br />
de crédit susceptibles de fournir rapidement les avances indis<br />
pensables : celles qui existent, comme l'écrit Garaud, chef du<br />
bureau arabe de Miliana, exigent toutes les formalités paperas<br />
sières de la Métropole et par suite se trouvent prêtes à aider le<br />
fellah lorsqu'il n'en est plus temps. Rebuté, celui-ci, pressé par<br />
l'époque des labours, se tourne vers l'usurier,<br />
parfois un Euro<br />
péen, le plus souvent un Juif. C'est la solution traditionnelle,<br />
celle qui ruine l'agriculteur indigène et qui faisait écrire au<br />
général Lacretelle en 1868 : « Il faut que l'usure soit tuée ou<br />
que le peuple arabe meure » (2).<br />
Les plus importants chefs indigènes, Bou Alem et Baghdadi<br />
par exemple, respectivement bach-agha et agha des Djendel,<br />
eurent de graves difficultés avec leurs prêteurs et l'affaire eut<br />
(1) G. Orléansville, avril et juin 1868, 4« T. 1868 ; Cherchel, 1" T. 1871.<br />
(2) Lacretelle (8) 42,-48.
— — 287<br />
un grand retentissement au tribunal de Blida (1). Quant aux<br />
petits fellahs, il leur était particulièrement difficile d'échapper<br />
aux usuriers, car faute d'ensemencer une seule année, ils se<br />
seraient trouvés dans l'obligation, pour subsister, de vendre leur<br />
troupeau,<br />
peut-être même leurs bêtes de labour, c'est-à-dire de<br />
se vouer à une misère sans doute définitive. Ils achetaient donc<br />
à crédit les semences indispensables ou empruntaient l'argent<br />
nécessaire aux achats et cela à des conditions telles que la ré<br />
colte suivante, fût-elle assez bonne, suffisait à peine pour les<br />
libérer et les ruinait si elle était médiocre : dans le cercle d'Or<br />
léansville, en 1862, les négociants vendent l'orge à crédit deux<br />
fois et demi son prix avec remboursement obligatoire au prin<br />
temps prochain; à Cherchel, en 1868, le taux moyen de l'intérêt<br />
atteint 40 % pour deux mois, c'est-à-dire 240 %<br />
pour l'année.<br />
S'étant livrés pieds et poings liés, les fellahs vivaient dans<br />
l'attente de la moisson, et celle-ci à peine terminée, on voyait<br />
les grains affluer vers les magasins des créanciers, les Indigènes<br />
faisant tous leurs efforts pour s'acquitter de leurs dettes ruineu<br />
ses. Afin d'éviter les frais de justice entraînés par le défaut de<br />
paiement et les saisies brutales qui frappaient parfois tout un<br />
douar, ils se privaient même du nécessaire pour échapper à la<br />
ruine totale et ils apportaient aux usuriers des grains qu'ils<br />
seraient peut-être obligés de solliciter à nouveau quelques mois<br />
après, lorsque les pluies d'automne permettraient les premiers<br />
labours. Si le règlement tardait, les billets émis par les créan<br />
ciers s'abattaient sur le bureau arabe chargé de les transmet<br />
tre : celui d'Orléansville les recevait par centaines et certaines<br />
années l'autorité militaire s'en déclare accablée.<br />
Pour assurer sa prospérité, le fellah ne pouvait même pas<br />
compter sur une année favorable, car si la récolte s'avérait<br />
satisfaisante, elle l'était également ailleurs et il ne pouvait ven<br />
dre les excédents avec profit. Une bonne année agricole, c'était<br />
le plus souvent une année inutile. Rongé par l'usure, l'Indigène<br />
(1) G. Miliana, 1" et 2? T. 1861. Les plus grands personnages de la région<br />
étaient acculés à la ruine pour avoir emprunté de faibles sommes et les rap<br />
ports du bureau'<br />
arabe de Miliana les présentent comme les victimes d'une<br />
compagnie de Juifs.
-288 —<br />
se trouvait dans l'obligation de vendre et, vu la grande quantité<br />
de grains disponible, les prix baissaient d'une manière désas<br />
treuse : 20 à 30 %<br />
en une seule journée sur le marché de Ténès<br />
en 1863. Et ainsi se posaient deux problèmes étroitement liés<br />
d'ailleurs : celui des prêts à consentir aux Indigènes et celui de<br />
la possibilité pour eux de constituer des réserves (1).<br />
Les Turcs avaient partiellement porté remède à cette situa<br />
tion, du moins en ce qui concernait les tribus du Makhzen. Les<br />
cavaliers nécessiteux recevaient, en effet, du Gouvernement, les<br />
grains pour ensemencer leurs terres et pour nourrir leurs che<br />
vaux et ils réintégraient ces avances sur leurs premières récol<br />
tes. Les Bureaux arabes essayèrent de généraliser la méthode<br />
à l'ensemble des Indigènes. Grâce à eux, à de nombreuses repri<br />
ses, l'Administration distribue, à titre de prêt contre rembour<br />
sement après la récolte, d'importantes quantités de grains d'orge<br />
et de blé sans lesquelles beaucoup<br />
n'auraient pu ensemencer.<br />
Margueritte voit là un excellent moyen pour s'attirer les sym<br />
pathies des Indigènes et leur reconnaissance.<br />
Mais les ressources de l'Administration étant limitées, les<br />
Bureaux arabes font souvent pression sur les chefs indigènes<br />
pour les inciter à prêter. En décembre 1846, dans l'attente des<br />
bâtiments qui doivent apporter des céréales à Ténès, le chef du<br />
bureau arabe rassemble tous les riches cultivateurs, connus pour<br />
posséder des silos de réserve, et les invite, sous sa responsabi<br />
lité et celle des caïds, à prêter du blé ou de l'orge aux pauvres<br />
à la condition expresse que les grains cédés seraient rendus par<br />
l'entremise du bureau arabe à l'époque de la moisson, et l'opé<br />
ration s'effectue sans difficultés. Souvent, en effet, on trouve<br />
de la bonne volonté chez les notables indigène, tel l'agha El<br />
Ghobrini, de Cherchel, qui, en 1859, n'hésite pas à prêter 400<br />
doubles décalitres pour aider ses administrés accablés par une<br />
mauvaise récolte. Lorsqu'il y a des réticences de la part des gens<br />
(1) En particulier : G. Orléansville, 3» T. 1859 ; 2*, 3« et 4« T. 1862<br />
2' T. 1863 ; août 1863.<br />
Ténès, 1" et 4" T. 1860.<br />
Miliana, 1" T. 1861 ; 3° T. 1863 ; 4" T. 1865 ; 1" T. et 4" T. 1867.<br />
Cherchel, 3» et 4e T. 1866 ; 2» T. 1868.
— 289-<br />
de grande tente, des « ordres sévères » sont donnés par le bu<br />
reau arabe dans chaque bocaa (section de douar) pour que les<br />
riches prêtent : c'est l'emprunt forcé. Avec plus ou moins de<br />
ménagements, cette méthode qui consistait à faire appel à la<br />
fortune des chefs indigènes, fut pratiquée dans notre région à<br />
peu près jusqu'à la disparition des Bureaux arabes (1).<br />
C'est que l'administration militaire ne parvint que fort tard<br />
à créer, sur une échelle importante, un service normal d'assis<br />
tance et de crédit. Nous avons signalé précédemment (p. 107) le<br />
projet de Lapasset en 1846-1848,<br />
pour substituer aux silos indi<br />
viduels des silos collectifs qu'il appelait silos de prévoyance.<br />
Ce projet n'eut malheureusement pas de suite immédiate, peut-<br />
être à cause des événements de 1848 dans la Métropole, et les<br />
Indigènes continuèrent à vivre au jour le jour dans la dépen<br />
dance d'une bonne ou d'une mauvaise récolte. C'est en vain que<br />
les Bureaux arabes les invitaient à faire des réserves de grains.<br />
Sollicités par les courtiers des maisons de commerce, les grands<br />
propriétaires eux-mêmes ne savaient résister à l'appât des réali<br />
sations en argent. Ils vidaient les silos qu'une sage prévoyance<br />
leur conseillait de tenir toujours pleins, et, par suite, n'avaient<br />
plus les moyens de faire à leurs khammès les avances qu'ils<br />
faisaient autrefois. Et Ozanaux,<br />
qui avait succédé à Capifali<br />
comme chef du bureau arabe d'Orléansville, en arrivait à<br />
penser que la liberté économique pouvait être plus nuisible<br />
qu'utile (2).<br />
L'effroyable misère de 1867-1868 devait apporter, sinon<br />
un remède décisif, du moins un palliatif. En 1868, à l'instigation<br />
des Bureaux arabes semble-t-il, et dans le cercle d'Orléansville<br />
notamment, les djemaas des tribus, entreprirent de constituer<br />
un fonds de réserve pour secourir les malheureux et parer à<br />
toute éventualité. Les gens aisés de chaque tribu prélevèrent<br />
sur leur récolte une certaine quantité de grains destinée à for<br />
mer ce fonds de secours que l'on devait utiliser en faveur des<br />
(1) Notamment : N 462, 1846, Ténès 2e q. de décembre ; N 463, 1847, Or<br />
léansville 1"> q. de janvier. G : Orléansvilte 4e T. 1858, 4* T. 1860, 4e T. 1862 4e<br />
T. 1877 ; Téniet-el-Had 4* T. 1852 ; Cherchel 1" T. 1859.<br />
(2) G. Orléansville, juin 1867.<br />
19
— 290 —<br />
malheureux au début de la mauvaise saison. Sous l'impulsîo<br />
des Bureaux arabes,<br />
ces silos de prévoyance (c'est ainsi qu'o<br />
les qualifiait officiellement), furent rapidement alimentés pa<br />
dons et par achats (1).<br />
Mais c'est dans la subdivision de Miliana que fut organisé*<br />
par le général Liébert, la première institution ayant le caractèr<br />
d'une caisse de prêts mutuels et dont le but était non seulemen<br />
de porter secours à des malheureux et de combattre les usuriers<br />
mais aussi de permettre aux petits cultivateurs de donner un<br />
plus grande extension à leurs cultures. Cette société indigèn<br />
de crédit et de secours fonctionne dès 1868, mais ses statuts n<br />
sont approuvés par le gouverneur général Mac-Mahon qu'ei<br />
septembre 1869. Elle était composée de tous les Indigènes qu<br />
voulaient verser une cotisation mensuelle de un franc et elli<br />
existait dans chaque douar où l'on établissait des silos dits di<br />
réserve, destinés à recevoir les rentrées en nature. La sociéti<br />
pouvait accorder des prêts en grains et même en argent ava<br />
un intérêt de 5 %. Le contrôle général appartenait à un consei<br />
de surveillance siégeant au chef-lieu de la subdivision, dont 1<<br />
président était le commandant de la subdivision, et le secrétaire<br />
le chef du bureau arabe (2).<br />
Déjà en 1869 la nouvelle institution rendait de grandi<br />
services. A Cherchel, elle pourvoyait largement aux besoins des<br />
Indigènes en grains de semence. A Téniet-el-Had elle prêtail<br />
des grains à plus de 500 cultivateurs, ainsi que 9.000 francs poui<br />
l'achat de bœufs de labour. Dans la région de Miliana, elle<br />
venait également en aide aux fellahs les plus pauvres au moyen<br />
d'un prêt de 22.000 francs pour leur permettre d'acheter des<br />
animaux de labour et d'une avance en grains évaluée à 2.OO0<br />
quintaux. Dans le reste de l'Algérie ces sociétés ne purent guère<br />
se développer à cause des événements de 1870-1871, mais, dans<br />
l'Ouest du Tell algérois, elles restèrent solidement implantées<br />
et, après la tourmente, on les retrouve prospères non seulement<br />
dans la région de Miliana, mais encore dans celle d'Orléansville<br />
(1) G. Orléansville, juillet 1868, août 1869, 2« T. 1869.<br />
(2) Arippe (167) 13 à 19.<br />
G. Miliana 4' T. 1868. Cherchel 4' T. 1874.
-291-<br />
où, gérés par les caïds, sous le contrôle de l'autorité militaire,<br />
les silos de prévoyance récupèrent sans difficultés les avances<br />
qu'ils ont faites. On sait que, généralisée à toute l'Algérie par<br />
le Gouverneur Général Tirman en 1884, cette œuvre a engendré<br />
les actuelles Sociétés indigènes de prévoyance (1).<br />
II. —<br />
L'AMELIORATION<br />
La question de l'eau.<br />
DE LA CULTURE<br />
« Avec de l'eau et notre soleil, écrivait Lapasset, nous<br />
ferons pousser de l'herbe sur des pierres ». (2). Les officiers<br />
des Bureaux arabes comprirent rapidement l'importance excep<br />
tionnelle de la question de l'eau,<br />
en particulier dans la vallée<br />
du Chélif et les hautes plaines du Sersou. Ils auraient voulu<br />
aménager au maximum les oueds et exploiter les nappes sou<br />
terraines en vue de rendre cultivables des terres qui ne l'étaient<br />
pas, et si, en entreprenant la réalisation de ce programme, ils ne<br />
songeaient pas uniquement aux céréales, il est certain toutefois<br />
que ce sont les récoltes d'orge et de blé qu'ils s'efforcèrent tou<br />
jours de sauvegarder. C'est en montrant que la récolte des<br />
céréales pouvait ne pas être aléatoire qu'ils espéraient amener<br />
à la culture les tribus qui ne la pratiquaient pas encore.<br />
Parfois le bureau arabe envisage la prospection systémati<br />
que des richesses aquifères, comme dans le cercle de Ténès où,<br />
en 1860, il entreprend des études pour se rendre un compte<br />
exact des ressources des tribus en eau douce pendant les diffé<br />
rentes saisons de l'année, cette statistique devant servir de base<br />
à un projet général d'aménagement et d'amélioration des fontai<br />
nes au point de vue des usages journaliers de la population et<br />
de l'agriculture (3). Le plus souvent, le bureau arabe, après<br />
(1) Surtout G : Miliana 4» T. 1869, 4° T. 1872, 4" T. 1873, 4" T. 1874.<br />
Cherchel 4" T. 1869, 4« T. 1873, 4« T. 1874.<br />
Téniet-el-Had 4» T. 1869.<br />
Orléansville, août 1872, 4« T. 1873, 4» T. 1875, 3' T. 1879.<br />
(2) Lettre à Lacroix du 21 mai 1861 (121) 297-298.<br />
(3) G. Ténès 4« T. 1860. De même pour Miliana : G. Miliana 2" T. 1860.
-292-<br />
avoir suscité les initiatives individuelles, se contente de les<br />
soutenir, portant son effort sur un point ou sur un autre, suivant<br />
les besoins du moment, et sans plan préconçu. Les résultats<br />
furent cependant loin d'être négligeables, surtout en matière<br />
de construction de puits et plus encore de barrages.<br />
De nombreux puits sont forés dans les villages,<br />
auprès des<br />
maisons, dans les tribus les plus directement soumises à l'action<br />
des militaires. Avant même que ne soit réglé définitivement<br />
leur cantonnement, les Ouled-Kosseïr creusent 11 puits qui leur<br />
rendent les plus grands services, et,<br />
pour les encourager à ac<br />
croître leur effort, le bureau arabe demande la délivrance de<br />
titres de propriété à ceux qui entreprennent de tels travaux.<br />
Le succès ne couronne pas toujours les efforts : Aux Attafs,<br />
dans le fondouk de l'agha, Européens et Indigènes forent en<br />
vain jusqu'à 60 mètres.<br />
Mais le plus souvent le résultat est encourageant. Chez les<br />
Hachem, un puits donne un mètre et demi d'eau à 25 mètres de<br />
profondeur; il est maçonné,<br />
une porte;<br />
surmonté d'un dôme et fermé par<br />
c'est un événement dans le Chélif ! Les Ouzaghera<br />
et les Ouled-Mira s'efforcent de l'imiter. Au pénitencier de Lalla<br />
Aouda, en une seule année, les détenus creusent trois puits de<br />
15 à 20 mètres, dont l'un est maçonné et un autre avec noria.<br />
Chez les Hérenfa, tribu des Sbéah, on recueille les eaux d'une<br />
fontaine dans un bassin en maçonnerie surmonté d'un abri de<br />
même nature. Pour les seuls cercles de Miliana et de Ténièt-el-<br />
Had, le rapport d'ensemble de 1852 dénombre 18 puits creusés<br />
et 28 fontaines bâties, sans compter 31 barrages et 117.000 mè<br />
tres de canaux tracés.Dans le cercle de Ténès, pour l'année 1853,<br />
le bilan s'établit ainsi : trois puits, deux fontaines et 2.250 mè<br />
tres de canaux; et dans celui de Miliana on ne compte pas moins<br />
de 17 nouveaux puits, 3.000 mètres de canaux récents et un nom<br />
bre de fontaines atteignant alors 377 (1).<br />
(1) N 447, 1852, rapport du colonel Ct la subdivision de Miliana et ta<br />
bleaux statistiques.<br />
N 448, 1853, cercle de Miliana.<br />
N 471, 1853, cercle de Miliana, rapport d'août.<br />
G. Orléansville 1" et 4' T. 1857.
— 293<br />
Voici comment Baudicour décrit les travaux hydrauliques<br />
effectués au village d'<br />
Aïn-Méran : « Les deux sources princi<br />
pales ont été emprisonnées dans des aqueducs très courts qui<br />
les conduisent dans un réservoir commun et recouvert, d'où<br />
elles coulent dans une succession de belles auges en pierres de<br />
taille étagées suivant la pente du terrain et pouvant abreuver<br />
50 chevaux à la fois; à la sortie des auges, ces eaux,<br />
réunies à<br />
celles des autres sources, se rendent dans un bassin en maçon<br />
nerie, muni d'écluses et pouvant servir soit à baigner les che<br />
vaux, soit comme lavoir; ensuite les eaux sont rendues aux<br />
ravins sans autre utilisation ». Et Baudicour propose de s'en<br />
servir pour le jardinage et d'établir un moulin (1).<br />
C'est cependant sur la constructon des barrages que porta<br />
l'effort principal. Certains officiers des Bureaux arabes, tel Mar<br />
gueritte, s'y passionnèrent. Lapasset ne tarit pas d'éloges sur<br />
les bienfaits que l'on peut en attendre. Là est pour lui l'avenir<br />
de l'Algérie et il voudrait que pas une seule goutte d'eau n'arrivât<br />
jusqu'à la mer. « Plus je vais, écrit-il, plus j'examine,<br />
plus je<br />
pense, et plus je m'enracine dans l'idée des barrages, des grands<br />
réservoirs d'eau. C'est mieux que les routes, mieux que les che<br />
mins de fer, mieux que tous les systèmes administratifs, c'est<br />
la voie, l'ancre de salut du pays... », et ailleurs, toujours à pro<br />
pos des barrages : « C'est de l'or, puis c'est la vie, c'est le mou<br />
vement, la population, la colonisation, ce sont les chemins de<br />
fer, c'est toute la civilisation et l'abondance ». Et il propose<br />
l'édification de barrages sur l'Oued Fodda, l'Oued Rouïna et<br />
l'Oued Isly (2).<br />
Deux régions devaient particulièrement attirer les efforts<br />
des officiers des Bureaux arabes, à cause même de leur aridité :<br />
les hautes plaines du Sersou et la vallée du Chélif. Nous avons<br />
relaté antérieurement (p. 130-132) le travail gigantesque (vu les<br />
moyens dont on disposait)<br />
entrepris par Margueritte pour barrer<br />
le Nahr-Ouassel. L'ouvrage s'était étendu sur quatre années,<br />
mais, achevé, il fut une source de prospérité pour les Doui-Has<br />
seni car, sur une longueur de 16 kilomètres, il permit d'irriguer<br />
une surface de 1.500 hectares de plaine. C'était de beaucoup le<br />
(1) Baudicour (168) 518.<br />
(2) Plusieurs lettres de 1861 notamment à Lacroix du 21 mai et du 22<br />
octobre (121) 238, 314-317.
294<br />
plus important du cercle de Téniet-el-Had, mais non le seul,<br />
puisque, en 1852 déjà, on en comptait 31. Le Nahr-Ouassel sur<br />
tout était bien pourvu avec sept barrages dont six en amont du<br />
géant de la région; en 1855, il en comptera jusqu'à dix depuis<br />
sa source jusqu'à la limite du cercle de Boghar, c'est-à-dire sur<br />
une longueur de 80 kilomètres à travers les terres des Béni-Lent,<br />
des Béni-Maïda et des Doui-Hasseni et, en 1862, les Indigènes<br />
feront même construire à leurs frais un barrage en maçonnerie<br />
par un entrepreneur civil.<br />
Les autres ouvrages se rencontraient sur l'Oued Mrila,<br />
l'Oued Bessabis, l'Oued Issa, l'Oued Maloussine, l'Oued el<br />
Gherga. Certains dataient de la domination turque et avaient<br />
seulement été entretenus ou remaniés, mais le plus grand nom<br />
bre devaient leur existence à l'impulsion des Bureaux arabes.<br />
C'étaient, en général, des travaux de peu d'importance, construits<br />
en lits alternés de branchages, de pierres et de terre, mais dont<br />
Siquot, chef du bureau arabe de Téniet-el-Had en 1855, estimait<br />
qu'ils avaient toute la perfection désirable et une solidité sinon<br />
à toute épreuve, du moins leur permettant de résister aux crues<br />
ordinaires avec l'avantage de n'exiger que les matériaux se<br />
trouvant à pied d'<br />
œuvre et le minimum de connaissances vul<br />
gaires que l'on peut trouver chez les Indigènes. Pendant la seule<br />
année 1850, les Ouled-Ayad, les Doui-Hasseni, les Béni-Maïda<br />
et les Béni-Lent, en construisirent 12 dont les deux plus impor<br />
tants demandèrent aux tribus moins de trois mois de travail ;<br />
le résultat fut l'irrigation de 5.000 hectares de terres ainsi ferti<br />
lisées. Il faudrait également signaler un grand nombre de tout<br />
petits barrages élevés au-dessous des fontaines ou sources des<br />
tinées à alimenter les jardins; on les mettait en état chaque<br />
année après les labours et avant le printemps. Tous ces ouvrages,<br />
grands et petits, s'accompagnaient d'une multitude de séguias<br />
dont la longueur croissait tous les ans au point d'atteindre, dès<br />
1852, 59 kilomtères dans le cercle de Téniet-el-Had. Les arrosa<br />
ges se faisaient au printemps grâce aux pluies de cette époque<br />
sur les régions montagneuses et aussi à la fonte des neiges de<br />
l'Ouarsenis (1).<br />
(1) N 447, 1852, cercle de Miliana.<br />
N 469, 1850, cercle de Téniet-el-Had.<br />
N 473, 1854, cercle de Téniet-el-Had.<br />
G. Téniet-el-Had, 1" T. 1860, » et 4' T. 1862, 4» T. 1866, 2« T. 1868.
Dans le Chélif, l'intérêt des barrages n'était pas moindre<br />
et il apparut vite aux officiers des Bureaux arabes. Pour Lapas<br />
set, la plaine du Chélif « deviendra admirable avec les irriga<br />
tions, mais sans eau, c'est de la terre morte, suivant l'expression<br />
arabe » (1). Capifali voit dans la création d'un système d'irri<br />
gation une question vitale et, en 1863, il exprime F « émotion »<br />
des populations à l'annonce d'un projet de barrage aux Béni-<br />
Rached. Il s'efforce de venir en aide à une société qui envisage<br />
d'irriguer la plaine et, ayant fait comprendre l'intérêt de pareils<br />
travaux aux Indigènes, il réunit près de 3.000 souscripteurs dis<br />
posés à acheter les eaux. Puisque l'on parle de construire la<br />
voie ferrée Alger-Oran, il pense qu'il faut, au préalable, enrichir<br />
la plaine par les irrigations, afin que les chemins de fer y trou<br />
vent autre chose que de funestes résultats. Il ne fut pas entendu<br />
et l'on sait que le premier ouvrage important fut construit seu<br />
lement en 1872, près de Pontéba.<br />
Mais, poussés par les Bureaux arabes, les. Indigènes avaient<br />
édifié plusieurs ouvrage sur les affluents du Chélif. Dans l'agha<br />
lik des Attafs,<br />
on établissait tous les ans un petit barrage sur<br />
l'Oued Fodda. En 1861, sous la direction du chef du bureau<br />
arabe, la tribu des Chouchaoua construisit, sur ce même oued",<br />
un barrage plus important de 100 mètres de longueur, fait sur<br />
pilotis et, à l'instar de ceux existant dans le Sud,<br />
en assises de<br />
broussailles, herbes et terre damée avec un double clayonnage<br />
pour le garantir en dedans de la crue des eaux; il arrosait envi<br />
ron 200 hectares et il s'avéra assez résistant. Sur l'Oued Isly,<br />
en vue surtout de l'irrigation du coton,<br />
on avait dressé un bar<br />
rage capable de rendre à la culture près de 100 hectares. En<br />
1855 les Sbéah du Sud, pour irriguer une trentaine d'hectares<br />
dans la plaine, construisirent un barrage sur le Taflout,<br />
en gros<br />
ses pierres, fagots d'épines, paille et terre. Sur l'Oued Deurdeur<br />
on ne trouvait qu'un barrage arabe enlevé à chaque crue, mais<br />
de nombreuses séguias avaient déterminé la création de jardins<br />
et permettaient parfois de sauver les moissons. Peu à peu les<br />
(1) Lettre à Lacroix du 23 mai 1862 (121) 344.
— 296<br />
arbres entouraient les maisons, le paysage changeait et la plaine<br />
du Chélif semblait vouloir se faire plus accueillante (1).<br />
Matériel et méthodes.<br />
Il apparaissait cependant aux yeux les moins avertis que<br />
les rendements ne pouvaient s'éméliorer sérieusement que si le<br />
matériel agricole dont disposaient les Indigènes était profondé<br />
ment transformé et, en particulier, si la charrue française,<br />
légère, bien entendu, se substituait à l'araire primitif qui opé<br />
rait non un véritable labour,<br />
mais un simple scarifiage à une<br />
profondeur ne dépassant pas une dizaine de centimètres et tout<br />
juste suffisante pour enfouir les grains.<br />
Pour faire utiliser la charrue française, les Bureaux arabes<br />
comptaient tout d'abord sur l'évolution qui portait les Indigènes<br />
à étendre leurs cultures : se trouvant bientôt à l'étroit pour leurs<br />
labours, ils seraient forcés de pratiquer des procédés qui exi<br />
gent, pour un résultat semblable,<br />
un espace bien moindre de<br />
terrain C'est même ce raisonnement qui explique, en grande<br />
partie, l'attitude favorable que les militaires adoptèrent au dé<br />
but à l'égard du cantonnement. Ils pensaient également que les<br />
Indigènes ne pouvaient résister à l'appât du gain et que, devant<br />
la supériorité des produits obtenus avec la charrue française, ils<br />
seraient amenés, mieux que par de longs raisonnements, à<br />
accepter nos instruments et nos méthodes agricoles.<br />
Ils s'aperçurent vite qu'à laisser faire les choses on n'avan<br />
cerait guère et qu'il fallait stimuler les meilleurs sentiments (2).<br />
On distribua des charrues françaises aux chefs et proprié<br />
taires indigènes jugés les plus intelligents. Pour obtenir des<br />
résultats vraiment concluants, des moniteurs, pris parmi les<br />
soldats des garnisons, furent chargés d'opérer les premières<br />
opérations et, afin de populariser le nouvel instrument de labour,<br />
(1) N 474, 1855, cercle d'Orléansville, mars et novembre N 447, 1852,<br />
cercle de Miliana.<br />
G. Orléansville, 2? T. 1861, 1" T. 1862, 2? T. 1863, octobre 1863, 2" T. 1865<br />
G. Miliana 2e T. 1858, l»r T. 1864, 3e T. 1866.<br />
(2) G. Miliana 4' T. 1857 et 4« T. 1859.
— — 297<br />
les officiers des Bureaux arabes proposèrent de dégrever de<br />
l'achour, en totalité ou en partie, les terres mises en produit<br />
par ce moyen ou de distribuer des primes à leurs propriétaires.<br />
A défaut de pouvoir céder définitivement les charrues, ils con<br />
seillèrent de les faire prêter dans chaque tribu aux plus labo<br />
rieux, sous la responsabiité du caïd (1).<br />
Certains officiers pensaient que, pour être réalisée, la trans<br />
formation devait être imposée par le Gouvernement. Mais dans<br />
ce cas il ne fallait agir qu'à coup sûr et ne pas conseiller des<br />
engins qui s'adapteraient mal au pays. Aussi, en 1860, dans le<br />
cercle d'Orléansville, Capifali effectue des essais de charrues<br />
françaises, employant à la fois la grosse charrue gasconne, une<br />
petite charrue (modèle gascon) et la petite charrue Dombasle.<br />
Il estime que la première, quoique exigeant moins de main-<br />
d'œuvre, est trop forte pour les bœufs du pays. La deuxième,<br />
tout à fait légère, ne semble devoir réussir que dans les terrains<br />
sablonneux. C'est la Dombasle qui lui paraît réunir les meilleu<br />
res conditions de succès (2).<br />
Quelques faits parurent de bon augure et les rapports les<br />
signalent comme des succès. Dans le cercle de Ténès, les chefs<br />
indigènes, possesseurs de charrues françaises, utilisent leurs<br />
nouveaux instruments aratoires non seulement pour ensemencer<br />
en grains,<br />
mais aussi pour planter des champs de pommes de<br />
terre. A Orléansville, en 1862, 33 chefs ou notables du cercle<br />
demandent des charrues françaises; en fin d'année, on compte une<br />
soixantaine de celles-ci et, pour l'avenir, tous les espoirs parais<br />
sent permis si l'on en juge par certaines initiatives heureuses.<br />
Par exemple,<br />
pour rendre la nouvelle charrue plus accessible<br />
aux Arabes et leur éviter notamment des dépenses supplémen<br />
taires, le caïd Adda des Ouled-Kosseïr Gheraba imagine un har<br />
nais bien simple et peu coûteux. Il était fait avec du palmier nain<br />
tissé soigneusement et se composait d'un large poitrail soutenu<br />
par une bande qui passait par-dessus le garrot de la bête de<br />
trait. Le tout était appliqué sur une étoffe grossière en laine, ce<br />
qui garantissait l'animal des blessures. Les traits étaient égale-<br />
(1) G. Miliana 3' T. 1857 et 1" T. 1858. N 470, 1851, Miliana, décembre.<br />
(2) G. Orléansville 4e T. 1860.
— — 298<br />
ment formés par deux cordes en palmier nain très fortes. Et<br />
Capifali déclare qu'après avoir vu deux paires de chevaux<br />
labourer avec deux charrues Dombasle ainsi organisées, il a<br />
été très satisfait, car il n'a remarqué chez les bêtes de trait, qui<br />
cependant labouraient depuis plusieurs jours, ni blessures, ni<br />
épuisement (1).<br />
Mais, à côté de ces quelques succès, que de déboires ! A<br />
Téniet-el-Had, en 1857, le bureau arabe distribue aux Indigènes<br />
des charrues en bois plus perfectionnées que les leurs, mais<br />
elles manquaient complètement de solidité et la plupart d'entre<br />
elles se brisaient après avoir exécuté un ou deux labours : com<br />
ment espérer autre chose des Indigènes qu'un sourire scepti<br />
que ? A Ténès, enl861, il n'y a plus que deux caïds qui, guidés<br />
par le commandant supérieur, acceptent encore de labourer<br />
dix hectares chacun avec la charrue française. A Cherchel, seul<br />
l'agha Si Khaddour El Ghobrini laboure avec une Dombasle<br />
attelée de six bœufs, mais il ne trouve pas d'imitateurs, et, dans<br />
l'aghalik des Zatima, deux tribus n'utilisent même pas la char<br />
rue arabe et sont obligées d'avoir recours à la pioche, les pentes<br />
rocheuses et accidentées qu'elles ensemencent ne permettant pas<br />
d'employer un autre mode de labour. On pourrait aisément mul<br />
tiplier les exemples du même ordre. Nous essayerons plus loin<br />
de déterminer lès causes de cet échec (2).<br />
L'effort des Bureaux arabes ne porte pas uniquement d'ail<br />
leurs sur la charrue. Ils auraient désiré faire adopter aux Indi<br />
gènes l'ensemble du matériel français. Ils essayent de répandre<br />
la pelle, la brouette, la scie, la hache. Par exception, quelques<br />
chefs acceptent d'utiliser la herse. En 1870,<br />
par suite de la rareté<br />
des moissonneurs et des salaires qu'ils exigent, on voit même<br />
le caïd des Heumis et celui des Medjadja demander à Paris une<br />
moissonneuse et une faucheuse, encouragés par le bureau arabe<br />
qui espère en outre les amener à utiliser la herse et même le<br />
(1) G : Ténès 1" T. 1858 ; Orléansville 4" T. 1862 et novembre 1862.<br />
(2) G : Ténès 4' T. 1861 ; Cherchel 4" T. 1864. N 476, 1857, Téniet-el-Had,<br />
rapport annuel. Lacroix présente comme un succès l'exemple de « quelques<br />
cultivateurs des Béni-Fathem qui « avaient fait dès avant 1868 un premier<br />
pas dans la voie du progrès : sans accepter encore la charrue française, ils<br />
avaient cependant modifié le soc de la charrue arabe de manière à atteindre<br />
une plus grande profondeur » (178) 339.
299<br />
rouleau. De tels faits doivent cependant être assez rares puisque<br />
l'autorité militaire supérieure demande de les signaler au gou<br />
verneur général (1).<br />
La faux recueillit plus de suffrages, du moins dans les<br />
régions où la configuration du terrain n'en rendait pas l'emploi<br />
impossible. Des faucheurs expérimentés,<br />
pris parmi les soldats<br />
ou même les colons, parcourent les tribus avec un officier du<br />
bureau arabe pour en démontrer l'usage. Les notables indigènes<br />
achètent le nouvel instrument en vue notamment de faire des<br />
réserves de foin. En 1860 des faux sont distribuées dans le cercle<br />
d'Orléansville et elles remplacent en peu de temps la faucille,<br />
ayant séduit les fellahs par la rapidité dans le travail jointe à<br />
la commodité de l'emploi. Devenus d'habiles faucheurs, les Ara<br />
bes sont employés chez les colons (2).<br />
En même temps qu'ils s'efforcent de faire adopter les ins<br />
truments agricoles des paysans français, les Bureaux arabes<br />
diffusent des méthodes d'exploitation plus rationnelles et plus<br />
adaptées au pays. Ils s'intéressent surtout aux labours. La char<br />
rue française se répandant difficilement, ils essayent d'y sup<br />
pléer en multipliant les travaux effectués avec l'araire du pays.<br />
Plusieurs tribus du cercle de Téniet-el-Had les écoutent et pré<br />
parent la terre par un premier labour. Dans la région de Milia<br />
na, les Indigènes passent la charrue deux fois dans deux sens<br />
perpendiculaires l'un à l'autre.Sauf dans quelques tribus, comme<br />
celle des Chouchaoua du cercle d'Orléansville, la méthode ne<br />
se répand guère, car si les fellahs acceptent volontiers de voir<br />
donner un premier labour avant les semailles, les khammès<br />
refusent obstinément ce surcroît de besogne et l'on est obligé<br />
d'y<br />
renoncer (3).<br />
Bien d'autres réformes sont tentées. Pour hâter la germi<br />
nation et éviter le charbon et la carie, le bureau arabe d'Orléans-<br />
(1) N 465, 1848, Miliana, 2« q. de novembre. G : Ténès 4« T. 1861 ; Or<br />
léansville 1" et 2- T. 1870.<br />
(2) G : Miliana 2" T. 1857 ; Téniet-el-Had 2? T. 1860 ; Orléansville 2* et 3=<br />
T. 1860, mai 1865 ; Cherchel 2" T. 1861.<br />
(3) Notamment : G : Miliana 4' T. 1859 et 1" T. 1864 ; Téniet-el- Had 4»<br />
T. 1859 et 1" T. 1860 ; Cherchel 4e T. 1859 et 1" T. 1860 ; Orléansville, octo<br />
bre 1862. N 449, 1854, Téniet-el-Had, rapport annuel
— — 300<br />
ville conseille aux habitants de la montagne de pratiquer le<br />
chaulage des blés. Les Indigènes sont invités à combattre les<br />
plantes parasites, à nettoyer leurs céréales. On signale comme<br />
un succès en 1869 et 1870 le fait que quelques cultivateurs débar<br />
rassent leurs terres des pierres dans les terrains rocailleux et<br />
qu'ils utilisent le fumier produit par leurs troupeaux (1).<br />
Pour être à peu près complet dans ce tableau des efforts<br />
accomplis par les Bureaux arabes en vue d'améliorer la culture<br />
•les céréales, il faudrait étudier leurs interventions multiples<br />
entre fellahs et khammès. Afin d'éviter les revendications per<br />
pétuelles qui surgissent dans les conventions entre les uns et<br />
les autres, ils les obligent à passer leurs engagements devant le<br />
cadi qui les inscrit sur son registre. Ils jouent le rôle d'élément<br />
conciliateur surtout lorsque,<br />
après une bonne année, les kham<br />
mès deviennent difficiles à trouver. Ils auraient voulu, à la<br />
faveur de ces difficultés, déterminer les fellahs à cultiver eux-<br />
mêmes leurs terres, mais en vain : chaque khammès aspirait à<br />
devenir fellah pour abandonner la charrue (2).<br />
Céréales nouvelles.<br />
Orge et blé dur restèrent toujours les céréales essentielles,<br />
mais dans leur désir d'améliorer le genre de vie des Indigènes,<br />
les Bureaux arabes cherchèrent à introduire d'autres graminées<br />
dont le rendement pouvait être supérieur.<br />
Nous ne dirons rien du riz qui fut tenté en vain dans le<br />
cercle de Téniet-el-Had notamment, ni du seigle qui n'est signalé<br />
qu'accidentellement.<br />
Le blé tendre ne semble pas avoir été connu dans la région<br />
avant l'occupation française (3). Son extension suivit celle de<br />
l'occupation et commença en conséquence dans la plaine du<br />
(1) G : Orléansville 4' T. 1860 et 1" T. 1865 ; Ténès 2» et 4' T. 1869, 2? T.<br />
1870.<br />
(2) G. Orléansville 4* T. 1856 et 4° T. 1857.<br />
(3) Peut-être même était-il inconnu dans toute la zone littorale algé<br />
rienne avant 1830, alors qu'on le trouvait sur les confins sahariens et dans les<br />
oasis. Ducellier : Espèces et variétés de céréales cultivées en Algérie (p. 28)<br />
dans Céréales d'Algérie, Alger 1930.
— — 30ï<br />
Chélif. Les Indigènes ne l'adpotèrent cependant que vers 1868,<br />
mais, à cause de son prix plus élevé, les progrès furent rapides<br />
et, cinq ou six ans après, tous les douars, plus ou moins, en culti<br />
vaient; il était également ensemencé dans beaucoup de tribus<br />
de l'Ouarsenis et dans toutes celles du Dahra, à l'exception d'une<br />
seule (1).<br />
Les montagnards de la région de Cherchel récoltaient du<br />
maïs en petite quantité; ils furent invités à étendre cette cul<br />
ture. Autour de Ténès, cette céréale n'est signalée que sur quel<br />
ques points. Dans le cercle d'Orléansville, c'est seulement en<br />
1860 que le maïs est introduit dans les tribus avec les graines<br />
distribuées par le bureau arabe et il ne prend guère d'extension.<br />
Le succès paraît plus graud dans le cercle de Téniet-el-Had où<br />
l'on enregistre, en 1869, 200 hectares cultivés. Dans la région de<br />
Miliana, les Arabes de la plaine n'avaient jamais cultivé de<br />
maïs tandis que ceux des montagnes en faisaient une culture<br />
de jardins, culture soignée qu'ils pratiquaient auprès des fon<br />
taines. Dès que l'on voulut consacrer de vastes surfaces au maïs,<br />
les Indigènes malgré toutes les recommandations et la surveil<br />
lance, le laissèrent venir à la manière du blé ou de l'orge, sans<br />
plus s'en occuper. Le maïs étant plus exigeant et demandant un<br />
travail continuel pour l'arrosage, le nettoyage du sol, l'écimage,<br />
il en résulta un rendement faible qui dissuada les Indigènes de<br />
l'adopter comme culture habituelle (2) .<br />
A cause de sa végétation rapide, le sarrazin (3) devait<br />
attirer l'attention des Bureaux arabes. Une soixantaine de quin<br />
taux en sont distribués pour les ensemencements aux tribus<br />
orléansvilloises en 1868. Les résultats n'encouragent guère à<br />
persévérer : l'essai tenté au printemps souffre des froids tardifs<br />
et celui de l'automne est complètement perdu par suite du mau<br />
vais temps. A la même époque les froids prématurés de novem<br />
bre et décembre causent l'échec du sarrazin dans la région de<br />
Ténès. Dans le cercle de Téniet-el-Had également, cette culture<br />
(1) N 475, 1856, Téniet-el-Had, mars. G. Orléansville 1" T. 1874.<br />
(2) N 469, 1850, Cherchel, septembre. G : Ténès 2? T. 1869 ; Orléansville<br />
2' T. 1860 ; Téniet-el-Had 2« T. 1868 ; Miliana 3- T. 1868 ; Cherchel 3' T. 1859.<br />
(3) Oh ne le considère pas toujours comme une céréale par suite de son<br />
appartenance à la famille des polygonacées et non des graminées.
— — âÛ2<br />
ne dépasse pas le stade de l'expérimentation et, en 1869, seule<br />
une tribu en sème deux quintaux (1).<br />
gho)<br />
De toutes les céréales de printemps c'est le bechna (ou sor<br />
qui paraissait appelé au plus bel avenir. Donnant en trois<br />
ou quatre mois des récoltes abondantes et se contentant de con<br />
ditions médiocres de climat et de sol, il était une des cultures<br />
les mieux appropriées à l'économie des Indigènes II est peu<br />
probable cependant que ceux-ci l'aient connu avant l'arrivée des<br />
Français (2). Il a dû être introduit vers 1855 : nous savons qu'à<br />
cette date, ou un peu avant, il fut importé dans la région de<br />
Téhès en provenance de la subdivision de Philippeville. A la<br />
fin du Second Empire il n'avait pas encore acquis partout droit<br />
de cité : les essais tentés en 1869 dans les montagnes de Cherchel<br />
avaient complètement échoué; dans le cercle de Téniet-el-Had,<br />
la culture débutait grâce aux avances faites aux fellahs par la<br />
Société de secours indigène; à Orléansvile, on le considérait<br />
toujours comme une nouveauté acceptée avec prudence et, dans<br />
les tribus dépendant de Ténès, il restait à l'état sporadique.<br />
Cependant on commençait à l'apprécier à cause de ses usages<br />
multiples (pain et couscous avec le grain; balais avec les brins;<br />
nourriture des vaches avec les feuilles) et de ses rendements<br />
convenables : 10 pour 1 en année moyenne et parfois jusqu'à<br />
50 pour 1 (3).<br />
(1) G : Orléansville 3" T. 1868 et 2° T. 1869 ; Ténès 3' T. 1868 et 1" T.<br />
1869 ; Téniet-el-Had 1" T. 1869.<br />
(2) Piedallu pense que dans le Dahra, entre Ténès et Mostaganem, la<br />
culture du sorgho avait été conservée depuis l'époque romaine (dans Céréales<br />
d'Algérie : les soprhos à grains en Afrique du Nord, p. 7). Cependant, pour la<br />
région algéroise tout au moins, les documents d'archives le présentent comme<br />
une nouveauté sous le Second Empire.<br />
(3) N 474, 1855, Ténès, mars G : Cherchel 2" T. 1869 ; Téniet-el-Had<br />
2" T. 1868 et 1" T. 1869 ; Ténès 3' T. 1868 ; Orléansville 3e T. 1868, avril, mai,<br />
août 1868.
LES AUTRES CULTURES<br />
Tout en apportant leurs soins à développer les céréales, les<br />
officiers des Bureaux arabes se rendaient compte que cette<br />
quasi monoculture était une source de sérieux déboires, la<br />
plus grave faiblesse de l'économie. Pendant les années diffici<br />
les, en 1861, par exemple, ils notent que les tribus où les cultures<br />
sont variées, où les arbres notamment sont en honneur, souf<br />
frent beaucoup moins que les autres. Une bonne récolte d'olives<br />
chez les Béni-Menasser atténue l'absence de céréales et, avec<br />
le produit de la vente, les Indigènes peuvent acheter dans les<br />
régions plus favorisées les grains qui leur manquent.<br />
Pour éviter la misère, il faut donc diversifier les cultures,<br />
pratiquer les assolements,<br />
passer de la culture extensive à la<br />
culture intensive, en abandonnant, au moins partiellement, les<br />
céréales. Parfois, les Indigènes semblent répondre aux espoirs<br />
de leurs tuteurs et Capifali présente à peu près comme un bul<br />
letin de victoire le fait que les tribusi du cercle d'Orléansville,en<br />
1862, demandent pour la prochaine campagne agricole : 615.000<br />
crossettes de vigne, 675 quintaux de pommes de terre, 129 dou<br />
bles décalitres de seigle et 124 d'avoine, du maïs, des fèves, des<br />
petits pois, des lentilles (1).<br />
C'est par la polyculture que l'on espère assurer la vie indi<br />
gène, même au cours des plus mauvaises années, et, à cet effet,<br />
les Bureaux arabes entreprennent, d'une part, de donner de<br />
l'extension aux cultures qui existaient déjà à l'état embryon<br />
naire et, d'autre part, de répandre des espèces nouvelles.<br />
(1) G. Cherchel 4" T. 1861 ; Orléansville 1" T. 1861, 2e T. 1862, mai et<br />
novembre 1862.
I. —<br />
DEVELOPPEMENT<br />
■304-<br />
DES CULTURES ANCIENNES<br />
Pour enrichir l'Indigène, selon Capifali en 1864, il ne faut<br />
pas tant songer à importer chez lui de nouvelles cultures, tou<br />
jours d'un apprentissage assez difficile, qu'à améliorer et à<br />
étendre celles qu'il pratique déjà d'une manière défectueuse et<br />
incomplète (1). C'est une conclusion inspirée par les nombreux<br />
échecs enregistrés au cours des années précédentes dans les<br />
essais culturaux les plus variés et justifiée aussi par la présence<br />
dans les champs indigènes de plantes qui méritaient de connaî<br />
tre une plus grande vogue.<br />
Légumes.<br />
La pratique du jardinage devait évidemment apparaître à<br />
des Français comme l'une des conditions essentielles de tout<br />
progrès. En année de disette surtout, les Bureaux arabes pous<br />
sent à la création de jardins et, mieux écouté alors qu'en pé<br />
riode de prospérité, Richard, toujours enthousiaste, parle de<br />
« révolution importante dans l'art agronomique chez les Ara<br />
bes ». Fauvelle, commandant le bureau de Miliana, encourage<br />
ses administrés à creuser des fossés à Aïn-Defla (futur empla<br />
cement de Duperré)<br />
pour assécher un marais qui se forme tous<br />
les hivers et le remplacer par des cultures de légumes. Au prin<br />
temps 1862, Capifali fait mettre à la disposition des principaux<br />
chefs une compagnie entière pour extraire les jujubiers sauva<br />
ges et préparer les terrains des futurs jardins. La même année,<br />
le chef du bureau arabe de Ténès distribue à ses administrés<br />
une assez grande quantité de graines potagères (2).<br />
Les Indigènes répondent favorablement à ces efforts et<br />
certains font même appel à l'expérience des ouvriers espagnols.<br />
C'est qu'ils trouvent dans les villages de colonisation des débou<br />
chés de plus en plus importants. Aussi, à côté des melons et des<br />
pastèques qui ont leurs faveurs, se développent nombre de légu-<br />
(1) G. Orléansville 4" T. 1864.<br />
■<br />
(2) N 469, 1850, Orléansville, avril N 471, 1852, Miliana. novembre.<br />
G : Orléansville 2? T. 1862 ; Ténès 4* T. 1862.
— 305 —<br />
mes. Dans le Dahra, le petit pois français se substitue au pois<br />
sauvage ensemencé jusqu'alors. Les pois chiches offrent une<br />
ressource de plus en plus sérieuse. Chez les Béni-Rached, on<br />
trouve à peu près toutes nos cultures maraîchères et, à eux seuls,<br />
ils parviennent à alimenter le marché hebdomadaire d'Orléan-<br />
ville (1).<br />
Certains légumes ne se contentent plus du cadre étroit du<br />
jardin et jouent un rôle considérable. Dans la région de Cher<br />
chel, les fèves, à côté de l'orge et du blé, tenaient depuis long<br />
temps une place notable dans l'alimentation des montagnards.<br />
Par contre, dans le cercle d'Orléansville, avant 1860,<br />
ce farineux<br />
était à peine répandu : on en faisait quelques azilas (2)<br />
d'environ un are aux abords des douars et cela suffisait aux<br />
besoins des familles qui ne l'utilisaient qu'à l'état frais. Quatre<br />
ou cinq ans plus tard, l'Indigène qui cultivait le moins de fèves<br />
en semait une dizaine de doubles décalitres et certains dix fois<br />
plus. Dans plusieurs tribus elles comptaient pour un quart dans<br />
les semailles de chaque charrue et, dans toutes les autres, elles<br />
figuraient pour un cinquième au moins. Avec un rendement<br />
supérieur à celui des orges, et pouvant suppléer à l'absence de<br />
céréales en année de disette, elles tendaient à devenir une véri<br />
table culture d'assolement. Par la suite, la culture continua à<br />
s'étendre et le produit subvenait non seulement à la nourriture<br />
de la famille, mais la récolte, toujours hâtive, pouvait être rapi<br />
dement vendue et permettre soit de payer les frais de la mois<br />
son, soit de se libérer du zekkat et de l'achour, soit encore d'ac<br />
quitter la location de la terre (3).<br />
Les arbres.<br />
C'est peut-être à l'arboriculture, « point capital à la réussite<br />
offi-<br />
duquel on ne saurait consacrer trop d'efforts » (4), que les<br />
(1) N 447, 1852, rapport d'inspection de la subdivision de Miliana.<br />
G : Cherchel 2> T. 1859 ; Orléansville 3* T. 1861, 4" T. 1863, 4" T. 1864,<br />
2- T. 1870.<br />
(2) On désigne par azla un petit champ et azOa est un diminutif de azla.<br />
(3) G : Cherchel 4" T. 1856 et 1" T. 1857. Orléansville 4« T. 1862, janvier<br />
1863, mars 1864, 4" T. 1864, 1" T. 1865, 2* T. 1870, 2» T. 1872, 1" T. 1874.<br />
(4) Capifali, dans Orléansville 1" T. 1865.<br />
20
306-<br />
eiers des Bureaux arabes ont accordé le plus de soins, et c'esl<br />
sans doute là qu'ils ont enregistré leurs succès les plus notables<br />
Les Lapasset, Capifali, Jubault, Lavondes, n'auraient pas désa<br />
voué Bugeaud lorsqu'il écrivait : « Il faut partout encouragei<br />
la culture des arbres fruitiers. Rien n'attache autant au sol que<br />
l'arboriculture. On fait facilement le sacrifice des récoltes an<br />
nuelles pour se livrer à la révolte;<br />
on se résout avec peine à<br />
sacrifier de belles plantations d'arbres » (1). Alors que, suivant<br />
les époques, les Bureaux arabes ont plus ou moins abandonné<br />
certaines parties de leur programme de transformation, on peut<br />
dire que seule l'arboriculture est toujours restée au premier<br />
plan de leurs soucis.<br />
Aussi leurs adversaires ne pouvant, pour une fois, nier les<br />
résultats obtenus, ont affirmé qu'ils l'avaient été à force d'amen<br />
des (2). A coup sûr, il y eut d'autres moyens. Les plantations<br />
d'arbres sont, avec le coton, celles qui reçoivent le plus d'encou<br />
ragements : 24 récompenses pour la seule année 1859 à Orléans-<br />
ville. Des serpes et des scies sont distribuées pour permettre<br />
d'élaguer les arbres. Le bureau arabe essaye d'inculquer aux<br />
chefs le goût des plantations en leur faisant visiter les pépiniè<br />
res que l'on crée un peu partout : à Orléansville, Ténès, Miliana,<br />
Téniet. La smala de Ténès cède des jardiniers aux notables pour<br />
diriger leurs plantations. Encouragés par l'autorité militaire, des<br />
travailleurs européens, surtout des Espagnols,<br />
se rendent dans<br />
les tribus, préparent les trous qui doivent recevoir les arbres et<br />
parfois même se chargent de la plantation complète. Dans le<br />
cercle de Téniet-el-Had,<br />
en particulier dans la partie méridio<br />
nale, le développement des cultures fruitières se trouvant arrêté<br />
en 1853 par le manque d'ouvriers compétents, les caïds sont invi<br />
tés à envoyer chacun un homme de leur tribu à la pépinière<br />
arabe de Téniet; ces hommes resteront une année en apprentis<br />
sage pour apprendre à cultiver les arbres et les légumes, puis<br />
ils retourneront dans leur tribu où ils formeront des élèves ;<br />
(1) Circulaire du 20 mars 1847, citée par Ideville (69) III 227.<br />
(2) Duvernois (59) 78.
— 307-<br />
pendant leur apprentissage, la tribu à laquelle ils appartiennent<br />
devra fournir le vêtement et la nourriture (1).<br />
D'où venaient les plants indispensables ? On fit d'abord<br />
appel aux ressources mêmes des tribus et, l'amour-propre ai<br />
dant, les populations montagnardes accordèrent leur concours :<br />
dès 1848, les seuls Indigènes de Miliana mettent 2.000 pieds<br />
d'arbres fruitiers à la disposition du chef du bureau arabe qui<br />
les destine aux tribus plus démunies : Attafs, Djendel, Béni-<br />
Hamed, Hachem. Mais les ressources locales ne suffisant pas,<br />
on s'adresse aux pépinières d'Alger et de Blida et, en décembre<br />
1848, en un seul convoi, les Indigènes ramènent de la première<br />
3.000 pieds d'arbres qui sont immédiatement plantés. Cependant<br />
les communications étant difficiles, surtout pendant la mauvaise<br />
saison, on fait appel de plus en plus aux pépinières locales. Dès<br />
la campagne 1852-1853,<br />
celle d'Orléansville livre environ 15.000<br />
plants les plus divers d'arbres fruitiers, arbres d'agrément, pins<br />
d'Alep, cyprès, etc. Sans avoir la même importance, le péniten<br />
cier de Lalla Aouda, en une année, vend aux tribus, à des prix<br />
très modérés, 2.000 pieds d'arbres d'essences variées. Le cercle<br />
de Cherchel s'adresse de préférence à la pépinière de Miliana.<br />
Celle de Téniet-el-Had, créée en 1852, contient dès la première<br />
année plus de 20.000 plants de toutes espèces et,<br />
non contente<br />
de fournir ces plants, elle accompagne la vente des instructions<br />
les plus détaillées pour assurer la réussite des plantations.<br />
Cependant Alger joue toujours son rôle comme fournisseur des<br />
espèces les plus rares et on continue également à avoir recours<br />
aux ressources propres des tribus : en 1862, 30.000 figuiers pris<br />
chez les Indigènes de l'Ouarsenis sont répandus dans les Ouled-<br />
Kosseïr, tandis que près de 14.000 arbres divers cédés par les<br />
chefs sont plantés dans le cercle de Ténès (2).<br />
On peut, par quelques chiffres, apprécier l'importance de<br />
l'œuvre réalisée. 150.000 arbres fruitiers plantés en 1849 dans la<br />
(1) N 447, 1852, MilSana, Inspection. N 471, 1852, Miliana, janvier ; Or<br />
léansville, août ; Ténès, février. N 472, 1853, Téniet-el-Had, février. G. Or<br />
léansville 1" T. 1861.<br />
(2) Tableau des établissements français 1852-1854, p. 488. N 465, 1848,<br />
2" q. de novembre et 2" q. de décembre. N 447, 1852, Téniet-el-Had, Inspection.<br />
G : Orléansville 1" T. 1862 et 1" T. 1865 ; Ténès let T. 1862 ; Cherchel 4" T.<br />
1857, 1" T. 1862 ; Téniet 1" T. 1864.
308.<br />
subdivision de Miliana, voilà un nombre qui traduit bien l'acti<br />
vité extraordinaire de certaines tribus comme celle des Béni-<br />
Hamed qui, au cours de l'année, crée 104 nouveaux vergers tous<br />
entourés de clôture. Salignac-Fénelon accompagne la mention<br />
de ce succès d'un commentaire que,<br />
sous d'autres formes, nous<br />
connaissons déjà : « Nous ferons tous nos efforts, écrit-il, pour<br />
les encourager et les pousser dans cette voie qui, les attachant<br />
davantage au sol, nous les rendra pour l'avenir plus soumis et<br />
plus dévoués. » L'éternel leitmotiv ! (1).<br />
Dans la subdivision d'Orléansville, le mouvement, plus lent<br />
au début, prend par la suite, une ampleur comparable. Dans<br />
le cercle de Ténès, l'effort porte sur la partie occidentale, voisine<br />
de l'Oranie, où selon les dires de Bonnes,<br />
chef du bureau arabe<br />
en 1859, jamais un arbre n'avait été planté et qui se couvre par<br />
endroits de figuiers et de mûriers. Pour le cercle d'Orléansville,<br />
les chiffres sont éloquents : 9.450 arbres plantés en 1852, plus<br />
de 70.000 en 1861, au total, avec les oliviers greffés, plus de<br />
100.000 en 1862 (2).<br />
Le plus difficile était de faire assurer les soins nécessaires<br />
aux arbres plantés. Souvent on se heurtait à l'ignorance du<br />
fellah et il est rare de voir une tribu comme celle des Béni-<br />
Menasser soignant ses abricotiers et ses amandiers, remuant la<br />
terre à l'origine des racines, préservant les arbres de l'approche<br />
des bestiaux à l'aide de clayonnages en épines. Il avait fallu<br />
nombre d'interventions pour les amener à prendre ces précau<br />
tions et il s'agissait cependant de montagnards portés à l'arbo<br />
riculture (3).<br />
Il est intéressant de préciser les espèces qui eurent le plus<br />
de diffusion. Un tableau de 1861 concernant le cercle d'Orléans-<br />
ville nous donne les statistiques suivantes (4) r<br />
(1) N 468, 1849, Miliana, 2" q. de janvier, 1" et 2* q. de février.<br />
Rapport du ministre de la guerre du 23-1-1851 cité par A. Duvernois<br />
(59) 72.<br />
(2) N 447, 1852, Orléansville, Inspection. G : Ténès, 2" T. 1857, 3" T. 1859;<br />
Orléansville 2* T. 1861, juin 1862.<br />
(3) N 468, 1849, Cherchel, V q. de juin.<br />
(4) G. Orléansville, 2" T. 1861.
TRIBUS<br />
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1<br />
Medjadja 1.701 109 83 18 8 6 18 13 18 262 72 6891 2.308<br />
Ouled-Kosseïr Gheraba 1.073 » » s » s » » » » 538 1611<br />
Ouled-Farès 343 6 6 » » » » » 231 » 80 586<br />
Ouled-Kosseïr Chéraga 170 21 38 9 » 6 8 » » * 755 4.358 1.007<br />
Heumis 735 » » » » » » » » 2.410 295 3.145<br />
Béni-Rached 365 3 6 2 » 6 1 » » 500 415 883<br />
Béni-Derdjin 880 * 10 10 » 6 » » » » 6 950 912<br />
Sbéah du Sud 1.833 324 159 55 94 30 28 » 23 61 21 1.786 2.628<br />
Dahra 3.218 » » » » » » » » » » » 3.218<br />
| Djahafa 821 45 19 » » > » » » » 157 885<br />
Mchaa ! 1.401 86 12 2 30 3 11 s 9 31 » 559 1.585<br />
Herenfa 636 39 12 16 » 14 2 » » 19 » 249 738<br />
Ouled-Ziad 2.215 » » » » » s » » » » 336 2215<br />
Sobha 134 18 » » » » » » » » .<br />
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BO<br />
5<br />
20 152<br />
Ouarsenis 8.340 80 485 188 12 17 160 » 85 180 » 433 9.547<br />
Beni-bou-Khannous 29.510 » 693 » 20 56 »<br />
»'<br />
» » » 988 30.279<br />
Béni-Ouaizan 20 ■> » » » » » » » » 599 200 619<br />
Ouled-bou-Sliman 2.066 » » » » » » » » 466 353 2.532<br />
Ouled-Sidi-Salah 2.890 40 113 2 20 7 4 3 » 9 » 391 3.088<br />
Sindjès Gheraba 4.850 38 47 10 9 11 54 » 1 14 » 7.252 5.034<br />
Sindjès Chéraga 299 » » » » » » » » » » 404 299<br />
Chouchaoua<br />
Total<br />
1.066 » 14 » 16 2 45 » » 12 » 346 1.155<br />
64.566 809 1.697 312 209 158 336 17 136 819 5.367 26.463 74.426
— 310<br />
La prépondérance du figuier apparaît extraordinaire et il<br />
ne s'agit ni d'une année exceptionnelle puisque nous avons<br />
signalé une plantation de 30.000 pieds en 1862, ni d'une particu<br />
larité de la région d'Orléansville puisque, en 1849, par exemple,<br />
le cercle de Miliana plante 40.000 arbres de cette espèce. On<br />
s'efforça de le répandre dans la plaine où il réussit, mais ce<br />
sont les montagnards qui lui consacrèrent le plus de surface,<br />
lui réservant d'ailleurs parfois les plus mauvais terrains. C'est<br />
ainsi que les Béni-Bached choisissaient, sur les mamelons ro<br />
cheux, les sols où la charrue ne pouvait passer et dont ils bri<br />
saient la carapace calcaire ou tifkirt afin de pouvoir effectuer<br />
leurs plantations, les débris du « tifkirt » leur servant à faire de<br />
petits murs de clôture (1).<br />
Par contre, le nombre d'oliviers paraît étonnamment faible.<br />
Il n'en était pas toujours et partout ainsi : en 1858, les Ouled-<br />
Sidi-Salah et les Sendjès plantent 15 à 20.000 pieds de sau<br />
vageons d'oliviers sur les pentes dénudées de leur territoire ;<br />
en février 1860, 30.000 pieds sont extraits de la forêt domaniale<br />
des Medjadja et replantés sous la direction et la surveillance<br />
d'un officier du bureau arabe d'Orléansville dans la tribu des<br />
Heumis dont le sol était complètement déboisé. Surtout, il faut<br />
tenir compte du fait que la culture de l'olivier se répandait plus<br />
par la greffe que par la plantation. Dans beaucoup de tribus,<br />
les Indigènes abandonnaient aux chèvres leurs oliviers sauvages<br />
et il fallut l'intervention du bureau arabe pour les déterminer<br />
à en tirer profit.<br />
Parfois, ce sont les bûcherons militaires qui enseignent et<br />
propagent l'usage de la greffe dans les régions riches en oléas-<br />
tres. Le plus souvent, poussées par le bureau arabe, les tribus<br />
les plus expertes en oléiculture, comme celles de la région de<br />
Cherchel, envoient des greffeurs à celles qui en manquent ou,<br />
mieux, un véritable enseignement agricole est organisé, analo<br />
gue à celui que nous avons signalé plus haut pour les planta<br />
tions d'arbres et de légumes. Dans le cercle de Ténès, Jubault<br />
prend des moniteurs dans les tribus des Zouggara et des Sinfita<br />
où la culture est la mieux entendue, lève des sujets chez deux<br />
(1) N 468, 1849, Miliana, 1" q. de février G. Orléansville,<br />
bre 1862.<br />
mai et octo
caïds qui obtiennent d'excellents poduits et fait entreprendre la<br />
greffe des oliviers sauvages dans plusieurs tribus; les moniteurs<br />
forment à leur tour des élèves qui les remplacent et on greffe<br />
ainsi des milliers d'arbres (1). En général, les résultats sont<br />
bons,<br />
mais les Indigènes n'attendent pas toujours la maturité<br />
complète pour récolter;<br />
nécessiteux ou désireux de réaliser ra<br />
pidement un bénéfice, ils cueillent trop tôt les fruits et par suite<br />
obtiennent une huile médiocre (2).<br />
Les autres espèces n'ont pas la même importance. Les oran<br />
gers ne se propagent guère, peut-être parce que les pépinières en<br />
manquaient et qu'il fallait les acheter dans la Mitidja (3). Pom<br />
miers, pruniers, poiriers, cognassiers, amandiers restent très<br />
disséminés. Les châtaigniers que le tableau ne mentionne pas<br />
furent cependant essayés dans la région au cours de la même<br />
année, mais, à cause de la mauvaise qualité des châtaignes mi<br />
ses en terre et de l'irrigation insuffisante,<br />
on avait eu à enre<br />
gistrer un échec, échec que compensèrent par la suite quelques<br />
succès dans l'Ouarsenis et, à un moindre degré, dans les mon<br />
tagnes de Ténès et de Miliana (4).<br />
Les Bureaux arabes tentèrent aussi de défendre les forêts,<br />
notamment contre la pratique de l'incendie et, dans la mesure<br />
du possible, d'entreprendre le reboisement. Ils se heurtèrent à<br />
l'hostilité des Indigènes auxquels on faisait appel au moyen des<br />
prestations et qui se rendaient difficilement compte de l'utilité<br />
de planter des arbres qui ne rapportaient pas de fruits. Les<br />
espèces utilisées variaient beaucoup. A Aïn-Defla (futur Du-<br />
(1) On opère à peu près de même chez les Righa et les Béni-Férah :<br />
deux greffeurs habiles envoyés de Miliana dans chacune de ces tribus réunis<br />
sent autour d'eux, avec le concours des caïds, une vingtaine de jeunes gens<br />
tirés de toutes les parties des deux territoires et leur enseignent la greffe des<br />
oliviers ; envoyés ensuite chacun dans son canton, ces jeunes mettent en pra<br />
tique leur savoir moyennant une rétribution par pied d'arbre.<br />
(2) N 465, 1848, Miliana, 1 q. de janvier. N 472, 1853, Miliana, mai. N<br />
430, Division d'Alger, 1" T. 1858.<br />
G : Cherchel 3' T. 1858, 2» T. 1859 et 2f T. 1860 ; Orléansville 1" T. 1860 ;<br />
Ténès 2e T. 1864, 2" T. 1866 ; Miliana 1" T. 1869.<br />
(3) D'après le Tableau des établissements français de 1863 (p. 214), on<br />
ne comptait dans la subdivision d'Orléansville que 9 propriétaires d'orangers<br />
(dont un Européen) contre 37 dans celle de Miliana (dont un Européen).<br />
(4) G : Orléansville, 3e T. 1861 et avril 1862 ; Ténès 1" T. 1861 ; Miliana<br />
1" et 2° T. 1861.
— — 312<br />
perré), dès 1848, un officier du bureau arabe dirige la planta<br />
tion de 400 trembles et de quelques milliers de saules pour as<br />
sainir cette terre domaniale, lui procurer un peu d'ombre et la<br />
rendre ainsi plus propre à recevoir un jour un centre européen.<br />
Chez les tribus voisines du Nahr-Ouassel, on essaye le caroubier<br />
et le mûrier. Près d'Orléansville, les Montagnes Bouges se cou<br />
vrent de semis de chênes à glands doux, de thuyas, de caroubiers<br />
et de pins d'Alep. En plusieurs endroits du cercle d'Orléansville<br />
et de celui de Miliana, les eucalyptus commencent une carrière<br />
sur laquelle on fondait beaucoup d'espoirs, à commencer par<br />
l'assainissement du marais des Aribs (1).<br />
La vigne.<br />
Dans leurs statistiques, les officiers des Bureaux arabes met<br />
tent la vigne avec les cultures arbustives et lui attribuent la<br />
même importance. Lapasset va plus loin et anticipe lorsqu'il<br />
écrit : « S'il suffit d'une plante heureuse, comme disait La Bour<br />
donnais, pour faire la fortune d'un pays, je crois que la vigne<br />
est cette plante » (2). Aussi ne ménage-t-on pas les efforts pour<br />
donner une ampleur considérable à cette culture qui n'existait<br />
qu'à l'état tout à fait sporadique. Dans la période 1860-1863,<br />
c'est par dizaines de mille que l'on distribue les pieds de vigne<br />
venus de France et par centaines de mille ceux qui sont origi<br />
naires d'Algérie. Ténès est le port d'arrivée des plants métro<br />
politains; de là, sous la surveillance du bureau arabe, ils sont<br />
expédiés dans les différentes tribus. En Algérie, ce sont les<br />
Trappistes de Staouéli qui fournissent le plus : 615.000 sarments<br />
ou crossettes des meilleures espèces de France partent en 1863<br />
pour la subdivision d'Orléansville (3).<br />
Le bureau arabe ne se contente pas de distribuer les pieds<br />
de vigne;<br />
plus ou moins directement il dirige les travaux de<br />
(1) N 465, 1848, Miliana, 2" q. de décembre. N 470, 1851, Miliana, janvier.<br />
N 447, 1852, Inspection d'Orléansville.<br />
G : Téniet-el-Had 1" T. 1869 ; Orléansville 1 T. 1872 ; Miliana 1"* T.<br />
1872.<br />
(2) Lettre à Lacroix du 30-12-1861 (121) 320.<br />
(3) G : Cherchel 1" T. 1863 ; Orléansville, janvier 1863,
— 313<br />
plantation. Dans les Ouled-Kosseïr, où les essais sont entrepris<br />
sur une grande échelle, ce sont des moniteurs indigènes formés<br />
à Lalla Aouda qui surveillent la besogne. Ailleurs, des détache<br />
ments de soldats aident les Indigènes à ouvrir les tranchées<br />
puis jouent le rôle de moniteurs lorsqu'il s'agit de tailler la<br />
vigne. On essaye la culture un peu partout,<br />
aussi bien dans la<br />
plaine que dans le Dahra et l'Ouarsenis. Des encouragements<br />
en argent sont donnés aux fellahs qui travaillent avec le plus<br />
d'intelligence (1).<br />
L'extension du vignoble ne fut pas continue et régulière.<br />
Elle se poursuit surtout de 1848 à 1852 et de 1860 à 1863. Au<br />
cours de la première période nous notons 100.000 pieds de vigne<br />
mis en terre en 1849 dans le cercle de Miliana, 40.000 dans les<br />
tribus de l'aghalik d'El Esnam (Orléansville) en 1852, 40.000<br />
également la même année dans le cercle de Ténès dont 7.500<br />
à la smala. Puis les plantations paraissent avoir cessé. Elles re<br />
prennent avec une vigueur nouvelle en 1860 et pendant trois<br />
ou quatre années. Le cercle d'Orléansville tient la tête du mou<br />
vement : 300.000 pieds de vigne plantés en février 1862, 700.000<br />
en mars et on s'efforce d'en assurer le succès en invitant les pro<br />
priétaires à donner tout autour des crossettes une légère façon<br />
et à la répéter plusieurs fois. Dans les montagnes de Cherchel,<br />
en 1863, on plante 350.000 pieds dont 50.000 venus de France ;<br />
la vigne couvre 650 hectares. Les raisins en sont vendus à des<br />
Européens, qui fabriquent de bons vins blancs, ou préparés dans<br />
la tribu des Zatima pour en obtenir des raisins secs jouissant<br />
d'une grande réputation (2).<br />
Cependant, le succès reste exceptionnel, non seulement à<br />
cause d'erreurs comme la plantation trop<br />
tardive ou de condi<br />
tions atmosphérique malencontreuses, tel le violent siroco qui,<br />
en avril 1862, sévit sur la route de Ténès à Orléansville au mo<br />
ment du transport des pieds de vigne;<br />
mais aussi et surtout à<br />
cause du peu d'empressement montré par les Indigènes qui<br />
cèdent parfois à la pression du bureau arabe,<br />
mais reviennent<br />
(1) G : Cherchel 3« T. 1863 ; Orléansville 3e et 4" T. 1861, avril 1862.<br />
(2) N 468, 1849, Miliana, 1" q. de février. N 471, 1852, Ténès, février.<br />
N 447, 1852, Orléansville, Inspection.<br />
G : Orléansville, mai 1862 ; Cherchel 3« T. 1862, 2- et 3* T. 1863.
— 314 —<br />
ensuite sur leur promesse de pratiquer la culture qu'on leur<br />
conseille. Il faut ajouter,<br />
et les officiers des Bureaux arabes le<br />
reconnaissent, que la vigne exigeait trop de soins pour être<br />
adoptée par des populations peu soucieuses d'agriculture déli<br />
cate, et, qui plus est, ne consommant pas de vin (1).<br />
Le tabac.<br />
Nous savons que sa culture était pratiquée avant l'arrivée<br />
des Français. Les Bureaux arabes cherchèrent à lui donner plus<br />
d'importance et à améliorer la qualité en substituant le tabac<br />
philippin au tabac indigène. Ils commandent de la graine à la<br />
pépinière du Gouvernement et en 1856, par exemple, 150 pro<br />
priétaires des Béni-Hidja et des Béni-Haoua (cercle de Ténès)<br />
adoptent ainsi le tabac philippin. Dans certaines tribus comme<br />
celles des Béni-Fathem et des Matmata du cercle de Miliana, la<br />
culture est soignée : les terres sont fumées et convenablement<br />
ameublies pour recevoir les plants au moment du repiquage ;<br />
aussi obtient-on de bons résultats (2).<br />
Le plus souvent cependant, les progrès restent très limités.<br />
Dans le cercle de Ténès un grand nombre de propriétaires cul<br />
tivent le tabac, mais seulement pour leur consommation per<br />
sonnelle. Dans la région de Cherchel, les fellahs qui font des<br />
essais ensemencent 30 à 40 ares chacun. A Téniet-el-Had, il<br />
débute seulement en 1868, dans la propriété de quelques grands<br />
chefs. On ne signale qu'exceptionnellement une production no<br />
table donnant lieu à un petit commerce sur les marchés indigè<br />
nes. La contrée la| plus favorisée paraît être l'Ouarsenis, tout au<br />
moins la région proche de l'Oranie : les tribus obtiennent de<br />
belles récoltes avec lés plants provenant du pénitencier de Làlla<br />
Aouda et la culture prend un développement assez considéra<br />
ble pour suffire presque à alimenter le marché de Tiaret (3).<br />
(1) G : Ténès 4* T. 1861 et 3" T. 1862 ; Orléansville, mars et septembre<br />
1863.<br />
1869.<br />
(2) N 475, 1856, Ténès, mars - G<br />
: Ténès, 2» T. 1856 ; Miliana 1" et 3« T.<br />
(3) N 450, 1854, Orléansville, Inspection.<br />
G : Ténès 2» T. 1857, 2- T. 1859, 4e T. 1863 ; Cherchel 3« T. 1859 ; Orléans-<br />
ville 3' et 4» T. 1865.
IL —<br />
LES<br />
CULTURES NOUVELLES<br />
Nous avons déjà signalé quelques-unes des plus importan<br />
tes avec les céréales. Elles sont accompagnées de beaucoup d'au<br />
tres.<br />
On essaye les haricots et les lentilles malgré le peu de goût<br />
que montrent les Indigènes. Pour les lentilles dont on veut<br />
donner les fruits aux hommes et les fanes aux animaux, on pra<br />
tique la culture sur brûlis,<br />
car on a remarqué que ces légumi<br />
neuses se trouvaient dans les conditions les plus favorables<br />
lorsqu'elles étaient ensemencées dans des terrains défrichés par<br />
le feu.<br />
Les navets sont adoptés de bonne heure par le caïd des<br />
Ouzaghera (cercle de Miliana) et, comme il réussit parfaitement,<br />
en 1852 les Ouzaghera demandent des graines que leur envoie<br />
le Jardin d'Essai d'Alger. Dans la région de Ténès, ils apparais<br />
sent en 1868 seulement et pour cette culture, comme pour cer<br />
taines autres d'introduction récente (bechna, sarrazin, pommes<br />
de terre), un officier du bureau arabe est obligé de surveiller<br />
dans chaque douar les Indigènes détenteurs des graines afin d'en<br />
assurer l'ensemencement (1).<br />
A côté de ces cultures qui, plus ou moins, s'implantèrent<br />
dans la région, d'autres eurent une carrière très brève. Que la<br />
canne à sucre et le thé aient pu être tentés dans l'Ouarsenis,<br />
entre 1852 et 1856, cela participe des espoirs insensés que l'on<br />
avait mis dans l'Algérie, encore considérée comme une terre<br />
tropicale dans les premières années du Second Empire. La val<br />
lée du Chélif et les montagnes voisines semblèrent un moment<br />
destinées à produire du lin : Béni-Fathem, Hachem, Sbahia,<br />
Djendel, obtinrent, paraît-il, de bons résultats. Quant au tour<br />
nesol il devait assainir la « mourdja des Aribs », mais le projet<br />
ne paraît pas avoir reçu d'exécution. (2).<br />
(1) N 469, 1850, Cherchel, septembre - N<br />
471, 1852, Miliana, janvier.<br />
G : Orléansville 2" T. 1860, i' T. 1865 ; Ténès, 4" T. 1868.<br />
(2) N 471, 1852, Orléansville, mars. N 475, 1856, Téniet-el-Had, mars. G.<br />
Miliana 1er T. 1858, 1" et 2" T. 1870.
Le coton.<br />
— 316-<br />
Le coton mérite un examen plus attentif. On sait quels<br />
espoirs il fit naître ! On lui prédisait le plus bel avenir non<br />
seulement dans les régions irriguées, mais aussi « dans les ter<br />
rains exposés le plus à une grande sécheresse » (1) et il faudra<br />
des années pour admettre que, sauf exception, la culture en<br />
terre sèche ne pouvait être productive. Capifali rêve de nous<br />
affranchir du tribut payé à l'étranger et même de primer un<br />
jour les Etats-Unis à cause de l'avantage que nous donne la proxi<br />
mité des côtes européennes. On désire aussi amener les Indigè<br />
nes à travailler eux-mêmes le coton, ce qui serait évidemment<br />
le meilleur moyen d'assurer la culture. En 1857, le caïd de Gou-<br />
raya fabrique chez lui des haïks et des burnous avec le coton<br />
qu'il a récolté et il envoie l'un de ces vêtements à Alger, à l'ex<br />
position permanente des produits de l'industrie algérienne.<br />
Sériziat, en 1859, à Orléansville, réussit à faire filer et tisser le<br />
coton par deux femmes arabes : l'une d'elle confectionne un<br />
grand haïk dont la trame est en coton et la chaîne en laine ;<br />
l'autre tisse un burnous d'enfant avec trame et chaîne en<br />
coton. Il espère que de nombreux imitateurs suivront et que ce<br />
textile deviendra l'une des matières premières nécessaires aux<br />
Indigènes. L'exemple de l'Egypte de Méhémet Ali était un puis<br />
sant stimulant (2).<br />
Les Bureaux arabes poursuivirent leurs efforts pendant au<br />
moins une dizaine d'années, car si le coton connut un dévelop<br />
pement notable en Algérie pendant la guerre de Sécession, sa<br />
culture cependant est bien antérieure : un décret du 16 octobre<br />
1853 lui prodiguait déjà le soutien de l'Etat. Les primes furent<br />
un réel encouragement et beaucoup de bonnes volontés n'eurent<br />
pas d'autre origine : elles devaient disparaître avec les libéra<br />
lités de l'Administration.<br />
(1) G. Cherchel 2» T. 1860.<br />
(2) N 473, 1854, Orléansville, octobre N 476, 1857, Cherchel, rapport<br />
annuel. G. Orléansville 1" T. 1859.<br />
Ribourt (98) 75-76.
• 317 —<br />
Des instructions sont données aux aghas et aux caïds sur<br />
les emplacements à choisir et sur la manière de les préparer. A<br />
partir de 1861, on recherche les endroits où, au cours d'essais<br />
antérieurs, la culture avait donné de bons résultats. On aménage<br />
surtout les possibilités d'irrigation et les soins accordés relèvent<br />
presque du jardinage : dans la tribu des Chouchaoua, en 1862,<br />
on concentre les efforts sur un espace de quatre hectares et on<br />
fait appel aux tribus des Sindjès, des Béni-Ouazan et des Chou<br />
chaoua pour mettre en état le barrage sur l'Oued Fodda; dans<br />
la tribu des Zouggara,<br />
on choisit six hectares dominés par un<br />
oued, on ouvre une série de petits canaux pour permettre d'irri<br />
guer en temps opportun, on entoure les terrains d'une, barrière<br />
pour empêcher les animaux d'y venir et, après quatre labours<br />
successifs, les terres sont ensemencées. On n'hésite pas à réta<br />
blir la touiza en 1860 pour obliger les Indigènes à consacrer au<br />
coton certains terrains de leur tribu, mais,<br />
afin d'éviter les<br />
réclamations, on annonce en 1861 que les produits de la récolte<br />
seraient partagés entre les travailleurs et ne deviendraient pas<br />
le bénéfice exclusif du caïd comme ils l'avaient été antérieu<br />
rement.<br />
L'action des Bureaux arabes est de tous les instants : ils<br />
répartissent les graines avec une instruction et des explications;<br />
ils surveillent toutes les opérations de la culture; après avoir<br />
conseillé les irrigations, ils font essayer l'exploitation en terre<br />
sèche, sous la direction d'un moniteur indigène venu de Bône;<br />
ils réclament des machines à égrener dans l'espoir que les fem<br />
mes pourront pratiquer l'égrenage sous la tente (1) .<br />
Toute cette activité cependant ne dépasse guère le cadre<br />
des expériences : 25 hectares de coton en 1855 dans le cercle de<br />
Cherchel; 6 hectares dans celui de Téniet-el-Had en 1861, et<br />
50 en 1862; une dizaine d'hectares répartis entre cinq tribus de<br />
la région de Ténès en 1863; voilà quelques nombres qui suffisent<br />
à donner une idée de l'étendue des ensemencements.<br />
Rarement les Bureaux arabes signalent le succès de la<br />
récolte : en 1855 le Géorgie longue soie atteint en moyenne une<br />
(1) G : Orléansville 1" T. 1857, 1" T. 1860, 1" et 3» T. 1861, mai 1863 ; Cher<br />
chel 2* T. 1858 ; Ténès 1" T. 1861, 1" T. 1862, 2f T. 1862 ; Miliana 1" T. 1860;<br />
Téniet-el-Had 1" T. 1862 N 473, 1854, Cherchel, mars.
•318-<br />
hauteur de un mètre dans le cercle de Ténès et en 1856, certains<br />
pieds ont même 1 m. 35; dans le cercle d'Orléansville, le coton<br />
réussit en 1860 notamment sur le plateau d'<br />
Aïn-Méran (futur<br />
emplacement de Babelais).<br />
Mais le plus souvent c'est l'échec que l'on cherche parfois<br />
à voiler sous un raisonnement spécieux comme celui qui con<br />
siste à évaluer le rendement d'après la récolte de la seule tribu<br />
où le coton ait réussi, en considérant comme négligeable l'échec<br />
encouru dans six autres. On peut même mettre en doute les<br />
succès annoncés lorsqu'on voit les Indigènes du cercle de Ténès<br />
abandonner le coton en 1857 à la suite de plusieurs « insuccès<br />
consécutifs », alors qu'on avait signalé de beaux résultats en<br />
1856 ! Après 1860 le coton sera repris dans la même région, mais<br />
sans succès, et Lavondes, chef du bureau arabe, reconnaît que<br />
« sans notre influence et une surveillance active les Indigènes<br />
feraient peu de cas de cette culture ». Tubault,<br />
Lavondes,<br />
qui succède à<br />
ne pense pas autrement et les événements leur don<br />
nent raison : en 1863 un seul Indigène de la région s'occupe<br />
encore du coton et il sème deux kilos de graines !<br />
Il en va de même dans les autres cercles. A Orléansville,<br />
Capifali en vient à penser qu'après les tentatives infructueuses<br />
faites depuis de longues années, il serait bon de ne point priver<br />
les Indigènes d'excellentes terres où ils pourraient obtenir du<br />
blé. A Téniet-el-Had, où les essais ont cependant été importants<br />
en 1862, la culture est complètement abandonnée en 1863. Quant<br />
à la région de Miliana, la récolte ne couvrant pas les frais de<br />
culture, elle renonce au coton dès 1862. (1).<br />
C'est au climat qu'il faut attribuer d'abord la cause essen<br />
tielle de ces échecs. Les conditions de température ne sont favo<br />
rables que dans la plaine du Chélif (et encore sous certaines<br />
réserves pour l'époque des semailles et celle de la maturation) ;<br />
mais vouloir mener à bien une récolte de coton dans le Dahra<br />
et surtout dans l'Ouarsenis, c'était une gageure ! Situation en<br />
core plus mauvaise pour les pluies : les meilleures pour le coton<br />
(1) N 474, 1855, Ténès, rapport annuel.<br />
G : Orléansville 3« T. 1860, 3" T. 1862 ; Ténès 3r T. 1856, 2" T. 1857, 2-, 3"<br />
et T. 1861, l" T. 1863 ; Miliana 4« T. 1860 et 1" T. 1862 ; Téniet-el-Had 2» T.<br />
1861, 3- T. 1862, 3' T. 1863.
— 319<br />
sont celles de printemps et d'été, alors que l'Algérie a son maxi<br />
mum en automne et en hiver. D'où de multiples déboires : à<br />
Téniet-el-Had les gelées et la grêle compromettent la cueillette;<br />
à Miliana, même lorsque la récolte paraît magnifique,<br />
elle n'ar<br />
rive pas à maturité faute d'une température assez élevée ; à<br />
Cherchel, en 1860, les champs étaient prometteurs,<br />
mais des<br />
pluies violentes les ravagent et arrachent les capsules; à Or<br />
léansville, en 1863, les graines ayant pourri, sans doute à cause<br />
d'une température du sol inférieure à 15 degrés au moment des<br />
semailles, on ensemence à nouveau à la fin mai,<br />
mais alors la<br />
saison étant trop avancée, les capsules ne peuvent arriver à<br />
maturité (1).<br />
Mais le climat ne doit pas être seul invoqué. Les Indigènes<br />
n'étaient pas préparés à une culture qui demande des travaux<br />
aussi nombreux et parfois délicats : labours profonds et croisés,<br />
hersages, billonnage, semis, arrosages réguliers, sarclages, bina<br />
ges, écimages, cueillette au fur et à mesure de la maturité des<br />
capsules, comment pouvait-on espérer obtenir tout cela des<br />
cultivateurs qui n'avaient jamais compté que sur la volonté<br />
d'Allah ? Les officiers des Bureaux arabes eux-mêmes pou<br />
vaient-ils suffire à la tâche : « Nous n'obtiendrons du coton,<br />
écrit Capifali, que lorsque nous saurons comment choisir sa<br />
terre et comment diriger les travaux. Les livres et les instruc<br />
tions ne suffisent point; il faudrait des gens pratiques installés<br />
dans les tribus qui puissent guider les Indigènes et suivre la cul<br />
ture dans ses différentes phases » (2). On s'explique donc le<br />
peu d'empressement montré par les Indigènes pour une culture<br />
dont ils ne connaissaient pas les produits et qui leur apparaissait<br />
comme très accaparante et très aléatoire. Ils prétendaient, avec<br />
juste raison, que la culture de l'orge et du blé leur était plus<br />
avantageuse et plus facile (3) .<br />
(1) G : Cherchel 4« T. 1860 ; Miliana 1" T. 1858 ; Téniet-el-Had 4« T. 1861<br />
et 3" T. 1862 ; Orléansville 4" T. 1863.<br />
(2) G. Orléansville 2" T. 1862.<br />
(3) G. Ténès 4" T. 1864.
La pomme de terre.<br />
-320-<br />
Par contre, ils acceptèrent avec davantage d'empressement<br />
l'introduction de la pomme de terre dont ils pouvaient recon<br />
naître les avantages immédiats et que l'on trouve dès 1849 à<br />
Orléansville, en 1850 à Cherchel, en 1852 à Téniet-el-Had et<br />
sans doute à Miliana, vers 1860 à Ténès. Les Bureaux arabes<br />
essayèrent de développer les bonnes dispositions qu'ils rencon<br />
traient en distribuant les semences ou en promettant de récom<br />
penser ceux qui obtiendraient les plus beaux résultats par des<br />
prix magnifiques : un fusil à deux coups ou un sabre richement<br />
orné ! Nous voyons aussi les montagnards de l'Ouarsenis convo<br />
qués chez le caïd des caïds pour y goûter le nouveau légume<br />
dont ils se montrent, paraît-il, très friands (Bichard dixit).<br />
Surtout, il fallait guider le fellah, le conseiller, le surveiller<br />
si l'on voulait donner à la nouvelle culture une extension suffi<br />
sante pour pallier les risques d'une mauvaise récolte de céréa<br />
les. Sous la direction d'un officier du bureau arabe, les terrains<br />
sont défoncés à la pioche ou labourés avant la réception des<br />
tubercules. Dans le cercle de Miliana, des corvées partent des<br />
diverses tribus pour se rendre à Cherchel et rapporter les se<br />
mences provenant soit de la région, soit d'importations de France<br />
ou d'Espagne. Richard fait distribuer une instruction en arabe,<br />
en même temps que la semence, pour expliquer les détails de la<br />
culture. Des moniteurs, le plus souvent des militaires choisis<br />
parmi les agriculteurs de profession, parcourent les tribus pour<br />
indiquer les terrains les plus convenables et faire les planta<br />
tions sous les yeux des Indigènes; parfois ce sont des Espagnols<br />
qui opèrent, par exemple chez les Braz, les Attafs, les Djendel,<br />
les Béni-Ahmed et les Doui-Hasseni; dans la plaine du Chélif<br />
et de l'Oued Ouaguenay (un affluent de la rive gauche), on orga<br />
nise des touiza composées d'Arabes déjà experts et d'autres qui<br />
apprennent, le produit de la récolte devant être partagé entre<br />
les tribus.<br />
Le bureau arabe intervient jusque dans le détail des tra<br />
vaux, faisant bêcher pour enlever les mauvaises herbes et chaus<br />
ser les pieds de pommes de terre afin de mieux garantir le tuber<br />
cule de la chaleur. Pour détruire les sangliers qui ravagent les
— 321-7-<br />
champs, des chasses sont organisées et se terminent par des<br />
tableaux impressionnants. Et, la récolte achevée, des recom<br />
mandations sont adressées à tous les cultivateurs afin de con<br />
server pour la prochaine plantation les semences nécessai<br />
res (1).<br />
Est-ce à dire que l'on obtint des résultats remarquables ?<br />
Les Indigènes se montrèrent souvent peu soigneux de la culture;<br />
travaillant avec des charrues arabes, ils ne fouillaient pas la<br />
terre assez profondément et les tubercules, à peine arrivés à<br />
maturité, se développant presque à la surface du sol, germaient<br />
immédiatement. Parfois l'échec est imputable au manque d'ex<br />
périence : les tubercules,<br />
semés en décembre dans les monta<br />
gnes de Ténès, succombaient en mars sous l'action des gelées<br />
alors que les plantes étaient en fleurs. , Les rendements varient<br />
la même année d'un point à un autre, suivant les soins apportés<br />
à la culture : certaines tribus n'obtiennent que du 2 pour 1, alors<br />
que d'autres ont du 5 et du 6 et peuvent non seulement se nour<br />
rir, mais encore payer les moissonneurs; on signale même à<br />
Ténès, en 1862, une récolte dont le rendement moyen fut de<br />
16 pour 1.<br />
Il est difficile de se faire une opinion sur la qualité des pro<br />
duits. Dans les Ouled-Boufrid (cercle de Ténès), où tous les fel<br />
lahs ont planté en 1861 dans une terre profondément remuée,<br />
on obtient des pommes de terre d'une grosseur prodigieuse.<br />
Cette année, dans le cercle d'Orléansville,<br />
si nous en croyons<br />
Capifali, les tubercules sont aussi de dimensions extraordinai<br />
res, très farineux et d'une qualité supérieure. Le même, il est<br />
vrai, quelques années après, en 1865, signale que dans la région<br />
la pomme de terre réussit mal, qu'elle est de mauvaise qualité<br />
et il présente ce résultat comme fatal à cause du climat chaud.<br />
L'enthousiasme du début était bien tombé (2).<br />
C'est qu'une fois de plus les espérances avaient été déçues.<br />
Des récoltes très insuffisantes dans la région de Miliana où les<br />
(1) N 468, 1849, Orléansville, 1 q. de décembre -<br />
N<br />
469, 1850, Orléans-<br />
ville, janvier, mai et juin. N 471, 1852, Miliana, janvier - N 472, 1853, Miliana,<br />
mars - N 447, 1853, Téniet-el-Had, Inspection.<br />
G : Ténès 2» T. 1862, 2» T. 1872 ; Cherchel 1" et 4' T. 1861, 2- T. 1863 ;<br />
Miliana 1" T. 1862 ; Téniet-el-Had 1" et 2? T. 1861.<br />
(2) G : Orléansville 3" T. 1861 et 2? T. 1865 ; Ténès 2" et 4° T. 1861, 3e T.<br />
1862 ; Miliana 2.» T. 1869 ; Téniet-el-Had 3« T. 1863.
— 322 —<br />
Indigènes acceptent difficilement la polyculture; 500 à 1.000<br />
quintaux ensemencés dans le cercle d'Orléansville et une cen<br />
taine dans celui de Ténès; 300 quintaux mis en terre par les<br />
montagnards de Cherchel alors que Gaulet parle de culture en<br />
plein progrès et d'un grand secours pour les tribus pauvres en<br />
céréales; des ensemencements atteignant à Téniet-el-Had leur<br />
maximum en 1862 avec 400 quintaux quand, dès 1857, Charton<br />
disait qu'il suffisait d'un peu de persévérance pour rendre la<br />
culture de la pomme de terre familière aux Indigènes; voilà<br />
des renseignements, choisis intentionnellement parmi les plus<br />
optimistes, qui montrent bien que la vérité est exprimée par<br />
Galland, du bureau arabe de Cherchel, écrivant en 1865, à la<br />
fin de la grande période de propagation de la pomme de terre,<br />
que l'on rencontre de temps à autre de « petits carrés de ces<br />
tubercules » (1).<br />
Seuls ou presque, les plus riches avaient accepté la nouvelle<br />
culture. Pourquoi ? Capifali nous en donne une raison curieuse :<br />
c'est que « les indigènes de petite tente ne peuvent cultiver ce<br />
précieux tubercule parce que leurs femmes les déterrent en<br />
cachette avant maturité pour les manger ». Ne serait-ce pas<br />
plutôt que les notables étaient obligés de sacrifier à leur charge<br />
ou qu'ils subirent de la part du bureau arabe une pression toute<br />
spéciale ? En tous cas, le caractère très sporadique de la culture<br />
ne fait aucun doute encore à la fin du Second Empire. En 1870,<br />
le chef du bureau arabe de Cherchel prédit que la pomme de<br />
terre « donnera d'immenses résultats lorsqu'elle sera complè<br />
tement vulgarisée », ajoutant toutefois que, pour l'instant, elle<br />
ne se cultive qu'en petit et dans les jardins. Quant à son collè<br />
gue d'Orléansville, à la même époque, s'il reconnaît que la<br />
pomme de terre ne couvre pas encore de grands espaces, il attire<br />
vivement l'attention sur le fait que, pour la première fois, cer<br />
tains propriétaires en ont cultivé spontanément sur de petites<br />
étendues. Mince consolation après plus de vingt années d'ef<br />
forts ! (2).<br />
(1) G : Orléansville 1" et 4' T. 1861, janvier 1862, 3' 1"<br />
T. 1863 ; Ténès<br />
T 1863 ; Miliana 2° T. 1863 ; Cherchel 4° T. 1860, 1" T. 1862, 2" T. 1865 ; Té<br />
niet-el-Had 4° T. 1857, 1" T. 1861, 4" T. 1862.<br />
(2) G : Orléansville, mars 1864, 2" T. 1870 ; Ténès 1", 2e et 3» T. 1872,<br />
1" T. 1873 ; Cherchel 1" T. 1870.
L'ELEVAGE<br />
Nous verrons plus loin, en étudiant les échanges, quelle fut<br />
l'action du régime militaire sur les déplacements des tribus du<br />
Sud. Nous voulons ici examiner seulement les transformations<br />
que désirèrent réaliser les Bureaux arabes sur le troupeau des<br />
régions telliennes dont ils entreprirent d'améliorer les condi<br />
tions de vie et de sélectionner les espèces.<br />
I. —<br />
La nourriture.<br />
LES AMELIORATIONS GENERALES<br />
Les Bureaux arabes s'attachèrent à une modification essen<br />
tielle : amener les cultivateurs à faire des foins et à les conser<br />
ver afin de préserver leur bétail de la famine pendant la mau<br />
vaise saison. Les Indigènes durent réserver en fourrages tous<br />
les terrains vagues qui ne leur étaient pas d'une absolue nécessité<br />
pour le pacage de leurs bestiaux,et de préférence les bas-fonds ou<br />
«méroudj »,plus humides.La saison venue,sur l'ordre du bureau<br />
arabe, les caïds font des tournées dans les tribus pour s'assurer<br />
que l'on y coupe les foins. A cette occasion on répand l'usage<br />
de la faux. Dans le cercle de Téniet-el-Had,<br />
un certain nombre<br />
d'Indigènes, pris dans les diverses régions et réunis au centre<br />
du cercle, apprennent à s'en servir avant de devenir les instruc<br />
teurs des gens de leur tribu. Pour faciliter la récolte des four<br />
rages naturels, des faucheurs militaires sont également envoyés<br />
chez les fellahs. Parfois même, les Indigènes habitant près des<br />
centres européens,et ne sachant manier que la faucille, prennent<br />
à gages des Colons qui opèrent la fenaison. La récolte faite, des<br />
mesures sont prises pour en assurer la conservation : les tribus<br />
construisent des meules ou même bâtissent des gourbis destinés
— — 324<br />
à servir de magasins à fourrages. On semble être sur la voie d'ui<br />
important progrès (1) .<br />
Mais comme toujours, lorsqu'il s'agit des Bureaux arabes<br />
il y a ce que claironnent les rapports et ce qu'une analyse ui<br />
peu attentive permet de découvrir. On signale, il est vrai, plui<br />
d'un succès : dans l'Ouarsenis des troupeaux ne pouvant sortir<br />
à cause d'un hiver rigoureux, résistent cependant, grâce aiu<br />
fourrages conservés en meules; des réserves « abondantes t.<br />
sont enregistrées à plusieurs reprises surtout dans les tribus<br />
riveraines du Chélif. On voit aussi, sur le conseil du bureat<br />
arabe, des djemaas mettre en adjudication des lots de fourrages<br />
qu'achètent les Colons ou l'Armée; et l'espoir qu'avait Gandil<br />
d'amener les Indigènes à exploiter eux-mêmes leurs prairies<br />
paraît recevoir un commencement de réalisation, puisque dans<br />
la région de Miliana, en 1872, on signale des fellahs qui livrent<br />
des fourrages à l'Administration. On pourrait encore noter les<br />
essais de prairies artificielles faits non seulement au péniten<br />
cier de Lalla Aouda, mais aussi dans le cercle de Miliana où un<br />
Colon, qui a cultivé la luzerne avec succès, accepte de se faire<br />
le moniteur des Arabes (2) .<br />
A cela, il faut apporter deux correctifs. D'abord il est cer<br />
tain que les Indigènes étaient foncièrement hostiles à cette nou<br />
veauté et qu'ils subirent une contrainte. A plusieurs reprises, il<br />
est question d'ordres donnés ou d'action de l'autorité; encore en<br />
1868, le chef du bureau arabe d'Orléansville écrit que « les indi<br />
gènes ont été mis en demeure de faire des réserves de fourrages<br />
et des ordres formels ont été donnés pour que les chefs mon<br />
trent l'exemple » et, comme résultat, on annonce en 1869, que les<br />
Arabes « commencent à se pénétrer » de l'utilité des réserves<br />
de foin. Les chiffres malheureusement sont peu nombreux, mais<br />
ceux que l'on nous donne et qui sont évidemment des maxima,<br />
suffisent pour se faire une opinion : à Aïn-Méran, on signale<br />
(1) G : Orléansville 2« T. 1857, 1" T. 1860, avril 1868, avril 1869 ; Ténés<br />
2» 1" T. 1859 2°<br />
; Miliana T. 1858 2« et T. 1868 ; Cherchel T. 1861 ; Téniet-el-<br />
Had 2? T, 1859 et 3« T. 1872 - N 465, 1848, Miliana, 2» q. janvier -<br />
Orléansville, mars.<br />
N<br />
470, 1851,<br />
(2) G : Orléansville, 4« T. 1860, 1" T. 1869 ; Ténès 3e T. 1869 ; Miliana<br />
2' T. 1868 et 3« T. 1872 ; Cherchel 2' T. 1860.
— 325<br />
en 1849 une meule de près de 2.000 quintaux qui appartient à<br />
l'agha; en 1851, le bach-agha Bou Alem et le cheikh des Attafs<br />
emmagasinent chacun 1.000 à 1.200 quintaux de fourrages ;<br />
environ 2.000 quintaux, au total, sont ramassés en 1857 dans le<br />
cerclé de Miliana et l'on présente le fait comme un gros progrès<br />
alors que, six ans auparavant, deux propriétaires seuls en pro<br />
duisent autant ou plus; 15.000 quintaux de foins pour toute<br />
l'étendue du cercle d'Orléansville;<br />
considérables que nous ayons relevés, et,<br />
troupeau comprenait au moins 300.000 têtes,<br />
voilà les nombres les plus<br />
si l'on songe que le<br />
on conviendra<br />
qu'il n'y avait pas là de quoi provoquer l'enthousiasme. Les<br />
chefs seuls avaient obéi, justement parce qu'ils étaient les<br />
chefs (1).<br />
Les abris.<br />
La question des abris était étroitement liée à celle des ap<br />
provisionnements en fourrages. Dans les deux cas, le but pour<br />
suivi est le même : assurer au troupeau les moyens de braver<br />
la mauvaise saison. Sous la direction du chef du bureau arabe,<br />
et en présence du garde des forêts qui indique les coupes à faire,<br />
les tribus préparent dans les bois les perches nécessaires à la<br />
construction des gourbis-abris. Au préalable, un officier du<br />
bureau arabe a établi, dans chaque fraction de tribu, le nom<br />
bre de gourbis jugé indispensable à ses besoins.<br />
Des obstacles surgirent.<br />
Il n'était pas toujours facile d'amener les Indigènes à<br />
construire des gourbis solides,<br />
vastes et aérés comme ceux<br />
que l'on désirait, d'autant plus que s'ils acceptaient à la rigueur<br />
d'abriter les chevaux et les bovins, ils s'y refusaient pour les<br />
ovins, donnant pour raison l'exemple du Sud qui fournissait<br />
les meilleurs animaux et les meilleures laines, la grande diffi<br />
culté qu'aurait un propriétaire de plus de cent moutons à leur<br />
(1) N 468, 1849, Orléansville, 2? q. décembre. N 479, 1851, Miliana, avril.<br />
G : Orléansville, avril 1868, 1" T. et 2e T. 1869 ; Miliana 2' T. 1857 ; Té<br />
nès 2» T. 1857.
— — 326<br />
construire dés abris assez importants, la crainte, justifiée par<br />
leur expérience, de voir la laine s'abîmer par l'action corrosive<br />
d'un fumier non exposé à l'air libre (1).<br />
Les résultats ne peuvent être appréciés avec exactitude.<br />
Des abris furent construits, cela est certain, mais combien ?<br />
Nous n'en savons rien. Là aussi une minorité seule semble<br />
avoir cédé à l'impulsion des Bureaux arabes, la minorité de<br />
ceux que les rapports appellent « les plus avancés ». D'autre<br />
part, il faut distinguer avec les régions : il est évident que les<br />
tribus habitant le versant méridional de l'Ouarsenis, et qui<br />
envoyaient leurs troupeaux dans le Sersou ou plus au sud,<br />
avaient moins besoin d'abris et de réserves de fourrages que<br />
celles gardant leurs bêtes dans la montagne. Mais même pour<br />
ces dernières tribus, les rapports laissent entendre qu'elles uti<br />
lisaient les gourbis-abris seulement par temps de pluie, et<br />
Warnier nous en donne peut-être la raison lorsqu'il écrit que<br />
l'on dut renoncer aux foins et aux abris quand on vit « les<br />
indigènes vendre leurs foins pour payer les Européens qui les<br />
avaient récoltés et faire camper les troupeaux à côté des han<br />
gars pour qu'ils ne se noient pas, au bout de quelques jours,<br />
dans leur propre fumier » (2).<br />
IL —<br />
L'AMELIORATION<br />
Les moutons.<br />
DES DIVERSES ESPECES<br />
Bernis, vétérinaire de l'Armée d'Afrique, avait tracé en<br />
1852 un programme très précis des améliorations à apporter<br />
à la race ovine (3). Selon lui on était trop souvent en opposition<br />
avec la manière d'être des Arabes en les obligeant par exemple<br />
à construire des hangars ou à faire des provisions de foins. Ce<br />
(1) G : Orléansville 3" T. 1857 ; Ténès 3* T. 1858 ; Miliana 4' T. 1859 ;<br />
Téniet-el-Had 3" T. 1857.<br />
(2) N 476, 1857, Miliana, rapport annuel ; Téniet-el-Had, rapport annuel.<br />
G : Orléansville 3" T. 1857, janvier 1865 ; Miliana 3' T. 1857 ; Cherchel<br />
1" T. 1862 ; Ténès 1" T. 1862. Warnier (115) 233.<br />
(3) Le Pays du mouton (137) 9-11.
sont là, pensait-il,<br />
— 327 —<br />
améliorations qui ne peuvent s'adapter à<br />
l'état agricole du pays et aux conditions d'existence des Indi<br />
gènes, et, voulant rester avant tout dans le domaine des choses<br />
possibles, il préconisait huit réformes qui peuvent se ramener<br />
à deux essentielles : la sélection des animaux pour la repro<br />
duction et l'amélioration des procédés de la tonte. Il croyait<br />
que l'on obtiendrait rapidement des résultats positifs qui se<br />
raient de la plus grande importance pour les Indigènes et il<br />
s'en remettait à l'action des Bureaux arabes.<br />
Ceux-ci déploient une grande activité. Circulant dans les<br />
tribus avec le vétérinaire, les officiers procèdent à l'élimina<br />
tion des animaux présentant de graves défauts. Les brebis à<br />
tête noire et à laine défectueuse sont marquées d'une entaille<br />
à l'oreille et doivent être vendues à la boucherie. Quant aux<br />
béliers dont la toison ou la conformation étaient imparfaites,<br />
ils sont abattus ou subissent l'opération du fouettage ou du<br />
bistournage. Par contre, les meilleurs reproducteurs sont signa<br />
lés à l'attention des Indigènes et on s'efforce de n'en conserver<br />
qu'un nombre restreint. Bernis conseillait de garder cinq ou<br />
six béliers pour cent brebis. Bien que pratiquant déjà la cas<br />
tration et habitués à vendre chaque année une partie de leurs<br />
bêtes, les Indigènes se soumirent cependant difficilement à ces<br />
mesures rigoureuses (1).<br />
Une tentative intéressante,<br />
malheureusement de grandes précisions,<br />
sur laquelle inous manquons<br />
est celle de la créa<br />
tion, dans le cercle de Téniet-el-Had, d'un troupeau modèle<br />
que l'on désigne couramment sous le nom de Smala de Tisem-<br />
sil (2). Ce troupeau, surveillé par un lieutenant adjoint au<br />
bureau arabe, allait prendre ses quartiers d'hiver dans la<br />
région du Nahr-Ouassel, près du bordj du caïd des Doui-Has<br />
seni où l'on édifia d'abord des gourbis destinés à protéger les<br />
animaux et, en 1862, une bergerie mieux équipée pour lutter<br />
contre les rigueurs de l'hiver. Le troupeau comprenait 100 à<br />
120 belles brebis et un certain nombre de béliers importés :<br />
(1) G : Orléansville 3" T. 1860, avril 1867 ; Téniet-el-Had 4" T. 1860, 4"<br />
T. 1861, 2" T. 1862, 2» T. 1863.<br />
(2) Le point d'eau d'Aïn-Tisemsil (ou Tissemsil) est devenu le centre de<br />
Vialar.
— 328<br />
en 1860 on n'en comptait que deux, deux mérinos de la Crau<br />
semble-t-il, et le chef du bureau arabe se plaint de ce nombre<br />
très insuffisant. Le but était de vendre aux Indigènes de bons<br />
reproducteurs.<br />
Y est-on parvenu ? Barberet,<br />
qui commande le bureau<br />
arabe de Téniet en 1866, rapporte que dans les tribus des Ouled-<br />
Ayad et des Béni-Maïda qui étaient les plus voisines de la ber<br />
gerie modèle de Tisemsil, les laines se sont sensiblement amé<br />
liorées et se vendent sur les marchés à un prix supérieur à<br />
celles des tribus voisines. L'expérience ne paraît pas s'être<br />
poursuivie longtemps, car nous n'en trouvons plus aucune trace<br />
dans les rapports qui suivent. N'est-on pas cependant en droit<br />
d'y<br />
voir l'ancêtre de la station de Tademit (entre Djelfa et<br />
Laghouat) qui date de 1918 ou de celle, toute récente, de la<br />
Baraouïa (entre le Kroubs et Constantine) installée seulement<br />
en 1945 ? (1).<br />
Les Bureaux arabes se montrent aussi très attentifs à amé<br />
liorer la quantité et la qualité de la laine. Margueritte invite<br />
les Arabes à ne pas mélanger les moutons de différentes cou<br />
leurs afin que les laines soient uniformes et trouvent plus faci<br />
lement preneurs chez les commerçants européens : c'est que<br />
le cercle de Téniet-el-Had débitait annuellement environ 15.000<br />
toisons qui étaient vendues surtout au marché des Djendel. A<br />
Orléansville, Lapasset distribue deux prix, un burnous et un<br />
tapis,<br />
laine. A Miliana également on organise des concours régionaux.<br />
aux propriétaires des moutons qui avaient la plus belle<br />
Mais c'est sur les procédés de la tonte que porte surtout<br />
le gros effort, le but étant de substituer les cisailles à la faucille.<br />
Des moniteurs enseignent aux Indigènes comment utiliser le<br />
nouvel instrument et aussi comment pratiquer le repassage.<br />
Des cisailles sont distribuées, en particulier aux propriétaires<br />
des plus gros troupeaux, et, dès 1860, dans la région d'Orléans-<br />
ville tout au moins, on semble vouloir abandonner la faucille.<br />
Toutefois les difficultés ne manquent pas et les Indigènes<br />
commettent de nombreuses maladresses, faute de gens compé<br />
tents assez nombreux pour assurer une surveillance assidue.<br />
(1) G. Téniet-el-Had 1" et 4' T. 1860, 4- T. 1862, 31 T. 1863, 1" T. 1866.
— — 329<br />
A Téniet-el-Had les essais entrepris sont interrompus par l'in<br />
surrection de 1864 et, en 1866, les populations continuant à se<br />
montrer récalcitrantes, le chef du bureau arabe doit une fois<br />
de plus faire appel à leurs chefs et aux cavaliers pour donner<br />
l'exemple. Le succès cependant paraît avoir couronné les ef<br />
forts des Bureaux arabes et en 1862 par exemple on voit un<br />
marchand de quincaillerie de Ténès fournir une centaine de<br />
paires de cisailles aux Indigènes qui en désireraient davantage.<br />
C'est d'ailleurs une des rares réussites que les partisans du<br />
régime civil concèdent aux Bureaux arabes (1).<br />
Les autres espèces (2).<br />
Pour les bœufs, comme pour les moutons, on pratiqua la<br />
castration, ne gardant pour la reproduction que les plus belles<br />
bêtes. On prit des mesures pour lutter contre les épidémies en<br />
ordonnant de faire débarrasser les gourbis, servant d'abris, des<br />
fumiers qui les encombraient ou en conseillant aux proprié<br />
taires des troupeaux de conduire leurs bêtes vers les eaux les<br />
plus fraîches.<br />
Surtout certains chefs indigènes prirent l'habitude de mé<br />
nager leurs bêtes de labour. Jusqu'alors elles se reposaient à<br />
peine vers midi et, pendant cette courte détente, il ne leur<br />
était donnée aucune nourriture. Dans le cercle d'Orléansville,<br />
en 1864, on signale que beaucoup de propriétaires donnent à<br />
leurs bêtes de trait, bœufs ou chevaux, un long repos vers midi<br />
et les réconfortent par un repas toujours accompagné de paille<br />
et souvent d'orge, progrès appréciable qui doit assurer la<br />
conservation des attelages de labour que l'on voyait autrefois<br />
dépérir et disparaître après un service assez court.<br />
Cependant le cheptel bovin continua à varier énormément<br />
d'une année à l'autre avec les rigueurs de l'hiver et plus encore<br />
- (1) N 471, 1852, Téniet-el-Had, mars; Orléansville, avril N 476, 1857,<br />
Ténièt-el-Had, rapport annuel.<br />
G : Orléansville 2" T. 1860 ; Ténès 2" T. 1862, 1" et 2° T. 1863 ; Miliana<br />
2? T. 1860 ; Téniet-el-Had 4« T. 1860, 1er T. 1866, Warnier (115) 233.<br />
(2) Les rapports ne donnent aucun renseignement particulier sur les chè<br />
vres dont le troupeau est lé plus souvent confondu avec celui des moutons.
— — 330<br />
l'abondance ou la médiocrité de la récolte. C'est ainsi que le<br />
troupeau du cercle de Téniet-el-Had passe de 23.917 têtes en<br />
1867 à 10.519 en 1868 et à 6.718 en 1869, peut-être à 4.000 à la<br />
fin de cette même année et la Société indigène de crédit, de<br />
création récente, doit prêter aux Indigènes pour leur permettre<br />
d'effectuer des achats de bœufs de labour (1).<br />
Les chevaux bénéficient d'une attention toute particulière.<br />
Pour aucune espèce on n'instaure un aussi grand nombre de<br />
primes. Des concours de poulains et de pouliches ont lieu à peu<br />
près chaque printemps; plusieurs centaines d'animaux s'y pré<br />
sentent et, en une seule fois, on distribue jusqu'à une dizaine<br />
de prix (en général une somme de cent francs) dont accidentel<br />
lement bénéficient aussi des Européens; dans certains cas ce<br />
sont les étalons qui sont primés.<br />
Les courses changent de caractère sous le gouvernement<br />
de Randon. Au lieu de n'y voir qu'un spectacle, on essaye d'en<br />
faire des épreuves ayant pour but de mesurer les qualités des<br />
chevaux en même temps que des compétitions mettant en jeu<br />
l'amour-propre des chefs. On tente même d'instituer un stud-<br />
book de l'Algérie en vue de connaître les meilleurs chevaux et<br />
d'arriver à créer le pur-sang algérien (2).<br />
Surtout pour améliorer la qualité, des stations de remonte<br />
sont organisées vers 1853. Les Indigènes achètent des reproduc<br />
teurs qui, pendant l'année, sont soignés et nourris dans les<br />
écuries de l'Etat. Quelque temps avant l'époque de la monte,<br />
le bureau arabe adresse aux caïds les instructions les plus dé<br />
taillées pour la construction d'un vaste gourbi, le recrutement<br />
d'un personnel expert, les soins à donner aux étalons (3). Puis<br />
ceux-ci sont envoyés dans les tribus auxquelles ils appartien<br />
nent, ce qui favorise l'augmentation du nombre des saillies<br />
(puisque les Arabes trouvant l'étalon chez eux n'éprouvent<br />
(1) N 475, 1856, Ténès, juin G : Orléansville, octobre 1862, 4- T. 1864 ;<br />
Téniet-el-Had 1" et 4' T. 1869.<br />
(2) G : Orléansville 2* T. 1863, avril 1863, avril 1865 ; Ténès 2« T. 1865 ;<br />
Cherchel 2" T. 1861 ; Miliana 1*' T. 1864 ; Téniet-el-Had 2- T. 1861. Ribourt<br />
(90) 44-45.<br />
(3) Les caïds forcent par exemple les Arabes à se servir de la brosse et<br />
de l'étrille et à faire un pansage par jour alors qu'auparavant les chevaux<br />
étaient simplement lavés à l'eau froide (N 473, 1854, Téniet-eî-Had, mai).
■331 —<br />
aucun dérangement pour amener leurs juments) et montre<br />
aussi aux tribus que le reproducteur qu'elles ont acheté est bien<br />
véritablement leur propriété. Parfois les étalons,<br />
après avoir<br />
été agréés par le service des remontes, étaient laissés à la<br />
charge des tribus,<br />
mais soumis alors à des inspections. Plus<br />
tard, il n'est plus question d'étalons appartenant aux tribus,<br />
mais d'étalons de l'Etat accompagnés de cavaliers de remonte<br />
et envoyés, en avril-mai, dans des stations bien déterminées,<br />
comme Ténès ou, dans le cercle de Téniet-el-Had, Toukria,<br />
Taza et l'Etnin des Ouled-Ammar, points vers lesquels les Indi<br />
gènes dirigeaient leurs juments (1).<br />
Là aussi, les difficultés ne manquèrent pas et la force fit<br />
certainement plus que la douceur. Les officiers des Bureaux<br />
arabes se heurtèrent à l'incompréhension des Indigènes. Hu<br />
gonnet raconte qu'il fallut obliger les candidats à comparaître<br />
dans les concours de poulains et de pouliches et que les Indi<br />
gènes ne pouvant admettre que l'on donnât de l'argent sans<br />
rien prendre en retour, refusèrent les primes en répétant qu'ils<br />
ne voulaient pas vendre leurs bêtes. Le même état d'esprit<br />
régnait dans l'Ouest du Tell algérois. Aussi les résultats furent-<br />
ils très divers. Les chevaux du cercle de Cherchel remportent,<br />
il est vrai, des prix aux courses d'Alger en 1854 et 1855. Parfois<br />
les commissions distribuant les primes manifestent leur satis<br />
faction, mais parfois aussi elles expriment leur désillusion et<br />
souhaitent que les efforts faits pour l'amélioration de la race<br />
chevaline aboutissent à des résultats plus probants. Dans le<br />
cercle de Miliana, en 1861, le chef du bureau arabe signale<br />
même un recul marqué de l'élevage du cheval qu'il attribue<br />
à la baisse des prix sur les marchés et au resserrement subi par<br />
certaines tribus (2).<br />
(1) N 448, 1853, Inspection de la division d'Alger - N<br />
Had, mars.<br />
472, 1853, Téniet-el-<br />
G : Ténès 3" q. 1863 ; Téniet-el-Had l*r T. 1861 et 1" T. 1863.<br />
Ribourt (90) 44.<br />
(2) N 474, 1855, Cherchel, octobre.<br />
G : Orléansville 2" T. 1863, mai 1863, avril 1865 ; Ténès 2? T. 1863 ; Mi<br />
liana 4« T. 1861.
CHAPITRE VI<br />
L Amélioration de l'Economie<br />
Industrie et Echanges
En matière d'industrie et d'échanges l'action de l'autorité<br />
militaire ne présente plus les mêmes caractères que lorsqu'il<br />
s'agit de fixer les tribus ou d'améliorer leur agriculture : sauf<br />
peut-être dans la création des routes,<br />
nous n'assistons pas à la<br />
mise à exécution d'un programme délibérément arrêté.<br />
La présence de l'administration militaire et la pénétration<br />
progressive des Européens jettent le trouble dans l'économie<br />
industrielle et commerciale des Indigènes. Les Bureaux arabes<br />
assistent souvent impuissants à cette désorganisation dont ils<br />
portent en partie la responsabilité. Ils essayent de trouver des<br />
remèdes et de défendre leurs administrés contre ce que pour<br />
rait avoir de néfaste le contact d'une civilisation différente<br />
basée sur le dynamisme de l'argent. Ils créent beaucoup moins<br />
qu'en matière d'habitation ou d'agriculture, ils corrigent le plus<br />
souvent, parfois même ils se bornent à constater.
L'INDUSTRIE<br />
L'industrie indigène dont nous connaissons l'état arriéré<br />
fut à peu près annihilée en quelques années et il y a un con<br />
traste saisissant entre cette disparition quasi complète et la<br />
vanité des essais de rénovation qui furent tentés.<br />
I. —<br />
L'EVOLUTION DES INDUSTRIES INDIGENES<br />
Leur ruine commença le jour où les tribus se mirent à<br />
utiliser les objets manufacturés français que les colporteurs<br />
kabyles, mzabites ou juifs venaient apporter sur les marchés<br />
et qui s'avérèrent plus commodes ou plus solides que les<br />
objets similaires indigènes. Les tissus européens eurent vite<br />
la faveur des hommes et surtout des femmes. Dès 1858, Séri<br />
ziat signale que, dans le cercle d'Orléansville, la consomma<br />
tion du savon français augmente dans une proportion énorme.<br />
A Cherchel où, avant la conquête,<br />
on fabriquait des poteries<br />
assez renommées, cette industrie se trouve d'autant plus para<br />
lysée que la colonisation semble avoir occupé les sols qui four<br />
nissaient la terre indispensable. Chez les Matmata la confec<br />
tion des djelals (couvertures pour les chevaux)<br />
à disparaître. Quant à l'industrie de la poudre,<br />
ment interdite (1).<br />
et des tapis tend<br />
elle fut évidem<br />
Peu à peu les industries françaises viennent s'établir au<br />
milieu même des tribus. Parfois elles procurent aux Indigènes<br />
un supplément de besogne comme l'exploitation des mines qui,<br />
(1) N 469, 1850, Cherchel, septembre N 447, 1852, Orléansville, Inspection<br />
N 475, 1856, Miliana, juin.<br />
G : Orléansville 1" T. 1858 ■<br />
4"<br />
T. 1865.<br />
Miliana 2' T. 1862 et 4« T. 1875 ; Cherchel
— 336<br />
dans le cercle de Cherchel, attire un moment plusieurs com<br />
pagnies (Compagnie anglaise, Compagnie de Châtillon et Com-<br />
mentry...) ou les concessions résinières obtenues par la Société<br />
Léon Lesca dans l'Ouarsenis, aux forêts de Bou Yelfen, d'Aïn-<br />
Lellou et de Sidi Driss. Ces dernières furent d'une grande<br />
utilité aux Béni-Bou-Khannous obligés de s'expatrier d'ordi<br />
naire pour faire des labours et qui trouvèrent là le moyen de<br />
se procurer quelques ressources, d'abord en faisant d'impor<br />
tants travaux de défrichement et d'éclaircissement, puis en<br />
pratiquant le gemmage (1) et, enfin, en « résinant » eux-mêmes<br />
les arbres situés sur leurs propriétés particulières. Parfois aussi<br />
nous voyons un chef indigène introduire dans sa tribu un nou<br />
vel appareil pour le plus grand profit des siens, tel le bach-<br />
agha Ameur ben Ferhat du cercle de Téniet-el-Had, qui fait<br />
construire à Aïn Toukria un moulin à manège en 1854. C'était<br />
le début de la transformation rêvée par Richard et qui devait<br />
affranchir les femmes de la plus rude des tâches (2).<br />
Mais cette évolution qui laisse l'activité industrielle aux<br />
mains des Indigènes est tout à fait exceptionnelle. Le plus<br />
souvent l'industrie européenne qui s'installe entraîne la dispa<br />
rition de l'industrie indigène. C'est le cas des moulins à blé.<br />
C'est aussi celui de la fabrication de l'huile. Les Kabyles de la<br />
région de Cherchel produisaient de l'huile qu'ils échangeaient<br />
contre des céréales et de la laine sur les marchés de Cherchel<br />
et de Marengo ou encore sur ceux de Miliana et de Ténès où on<br />
leur donnait un meilleur prix. Des moulins à huile s'installè<br />
rent dans le cercle, en 1863-1865, notamment à Gouraya, à<br />
Cherchel, aux Larhat, dans la tribu d'Arbal (ou Aghbal). Les<br />
Indigènes constatèrent que le prix qu'ils retiraient de l'huile<br />
ne dépassait pas celui qu'ils pouvaient obtenir de leurs olives<br />
en les livrant aux industriels, c'est-à-dire en évitant tout tra<br />
vail. Une espèce de fièvre, nous dit le chef du bureau arabe,<br />
s'empara de tous et ils apportèrent aux moulins de grandes<br />
quantités d'olives, sans attendre la prospection que faisaient<br />
les industriels dans les tribus au moment de la récolte. Ainsi<br />
(1) Travail que l'on payait 4 à 5 francs par jour soit à peu près le double<br />
d'une journée de cultivateur.<br />
(2) N 450, 1854, Téniet-el-Had, Inspection -<br />
Cherchel 3e T. 1875 et 1" T. 1876.<br />
G<br />
: Orléansville, avril 1863 ;
337<br />
mourait une industrie chez les Gouraya, les Larhat, les Béni-<br />
Zioui et les Béni-bou-Mileuk tandis que, en 1872,<br />
une seule<br />
usine (sur les six) fabriquait près de 100.000 litres d'huile et<br />
que celle-ci trouvait son écoulement sur le marché d'Alger ou<br />
même en France (1).<br />
On pourrait citer d'autres cas d'industries européennes<br />
se substituant sur place aux industries indigènes. Même l'indus<br />
trie des planches de cercueil dut être abandonnée par les<br />
habitants du pays. Elle leur fut interdite pour éviter le gaspil<br />
lage du bois de thuya, car les Arabes,<br />
pour extraire quelques-<br />
unes de ces planches, étaient obligés, faute d'outils, d'abattre<br />
des arbres magnifiques qui,<br />
exploités plus rationnellement,<br />
auraient fourni bien davantage. Pour ménager cette ressource,<br />
et aussi pour diminuer le prix de revient, Richard décida<br />
qu'un chantier serait confié à un Européen ayant seul le droit<br />
de débiter les planches de cercueil que les indigènes iraient lui<br />
acheter (2).<br />
Le terme de toute cette évolution,<br />
on le devine. Dans les<br />
' cas les plus favorables, les tribus, celles des régions monta<br />
gneuses surtout, maintiennent une petite industrie : fabrica<br />
tion de burnous par les femmes au moyen de métiers primitifs<br />
et grossiers, quelques poteries, une industrie de l'huile donnant<br />
un produit médiocre et ne pouvant pas concurrencer la pro<br />
duction des moulins européens,<br />
c'est à peu près tout pour le<br />
cercle de Cherchel en 1870; dans celui de Ténès on ne trouve<br />
guère qu'un peu de sparterie et quelques laines ouvrées; la<br />
région de Téniet-el-Had compte toujours sur les tribus du Sud,<br />
et en particulier sur celles du Djebel Amour, pour se procurer<br />
ses meilleurs tissus; les rapports de Miliana ne mentionnent<br />
l'industrie que rarement et pour signaler son caractère rudi-<br />
mèntaire. A Orléansville, Capifali jette un cri d'alarme, écri<br />
vant dès 1860 : « L'industrie tombe chez les indigènes, les arts<br />
et métiers sont à peu près nuls et finiront par disparaître chez<br />
eux si nous ne nous en occupons pas sérieusement. » (3).<br />
(1) N 448, 1853, Orléansville, Inspection - G : Cherchel 2? T. 1858 ; 4" T.<br />
1863 ; 1", et 4* T. 1865 ; 4» T. 1867 ; 1", 2e et 4' T. 1872.<br />
(2) N 469, 1850, Orléansville, mars.<br />
(3) G : Orléansville 3" T. 1860 ; Ténès 1" T. 1864 ; Miliana 3» T. 1874 ;<br />
Cherchel 2* T. 1870 ; Téniet-el-Had 1" T. 1870.<br />
22
II. —<br />
PROJETS<br />
— 338-<br />
ET TENTATIVES DE RENOVATION<br />
Les Bureaux arabes songèrent à prendre des mesures pour<br />
arrêter cette décadence de l'industrie indigène et si possible<br />
façonner des ouvriers dignes de ce nom. Mais les efforts furent<br />
décousus et il y eut plus de projets et de velléités que de<br />
réalisations.<br />
Richard, toujours fertile en ressources, propose de créer<br />
systématiquement de petites industries et il formule des pro<br />
positions précises : la confection de bois de charronnage au<br />
Guelta, l'exploitation d'une mine d'albâtre et de plâtre, la<br />
pêche de poissons et particulièrement de coquillages et d'huî<br />
tres. Il donne même un commencement d'exécution à ses pro<br />
jets et les Ouled- Younès entreprennent la préparation du bois<br />
de charronnage, ce qui fait revivre le cabotage sur la côte, les<br />
tartanes venant au Guelta charger le bois destiné à Ténès (1).<br />
Afin de pousser ses administrés à embrasser les profes<br />
sions industrielles, Bourgeret, chef du bureau arabe de Miliana,<br />
demande au Génie de les utiliser un peu plus et à l'autorité<br />
civile de renoncer à percevoir la somme de trois francs, pour<br />
la délivrance du livret, sur tout Indigène qui se présente pour<br />
travailler en ville, car beaucoup ne sont pas en état de donner<br />
cette somme et préfèrent s'en aller (2).<br />
Garaud, de Miliana également, pense que le meilleur<br />
encouragement à donner serait de doter les tribus de quelques<br />
bons ouvriers qui formeraient des élèves parmi les leurs. Mais<br />
d'où viendraient ces ouvriers ? De l'école des arts et métiers<br />
de Fort-Napoléon (aujourd'hui Fort-National). Malheureuse<br />
ment cette école ne semble pas avoir eu grand succès dans<br />
l'Ouest algérois. C'est très exceptionnellement que l'on signale<br />
des demandes d'admission. Aussi, faute de pouvoir faire elles-<br />
mêmes leurs travaux, les tribus accueillent avec plaisir les<br />
Indigènes de la Grande Kabylie qui, ayant reçu une certaine<br />
(1)N 469, 1850, Orléansville, avril.<br />
(2) G : Miliana 1" T. 1858.
formation professionnelle,<br />
— 339 —<br />
viennent dans le cercle de Cherchel<br />
par exemple, non seulement comme colporteurs, mais aussi<br />
comme ouvriers, forgerons et armuriers en particulier.<br />
Le remède serait peut-être de créer une ou plusieurs<br />
écoles d'arts et métiers dans la région. On y songe à plusieurs<br />
reprises, en même temps d'ailleurs qu'à l'installation d'une<br />
ferme-école. Le général Camou, commandant la division d'Al<br />
ger, partage l'avis des Bureaux arabes,<br />
car « s'il est certaine<br />
ment utile de pousser nos nationaux à produire les objets<br />
nécessaires aux indigènes, il paraît contraire à l'intérêt général<br />
de voir la portion la plus considérable de la population de<br />
l'Algérie s'éloigner des travaux industriels. » Mais aucune<br />
réalisation ne suivit (1).<br />
Une solution qui ne pouvait manquer d'être suggérée et<br />
même expérimentée, c'est l'association. En 1848, pour cinq<br />
tribus (Ouled-Kosseïr, Ouled-Farès, Sbéah du Nord, Sbéah du<br />
Sud, Sendjès), Richard projette d'établir,<br />
ges qui doivent être construits,<br />
au centre des villa<br />
un moulin dont l'exploitation<br />
permettrait de réaliser des bénéfices qui « seront la base de la<br />
caisse municipale, comme le village lui-même sera la base de<br />
la commune. » Et, à la même époque, Lapasset veut créer,<br />
dans les environs de Ténès,<br />
un moulin à vent qui sera<br />
un moulin banal destiné à servir de modèle : « les bienfaits<br />
qu'il apportera conduiront peu à peu les autres tribus à imiter<br />
un exemple si utile pour eux (les indigènes),<br />
si politique pour<br />
nous. » Les avantages de l'association sont rappelés bien des<br />
années après, en 1861, par Gaulet, de Cherchel. C'est, selon lui,<br />
le seul moyen d'améliorer la production de l'huile, car l'acqui<br />
sition de l'outillage nécessaire dépasse les possibilités d'un seul<br />
propriétaire, mais il fait bien des restrictions, craignant sur<br />
tout de voir surgir entre associés de nombreuses rixes et des<br />
procès.<br />
Une tentative eut lieu cependant en 1869. En accord avec<br />
le bureau arabe, les Indigènes de Béni-bou-Mileuk, Zatima et<br />
Zouggara qui vendaient leurs olives à vil prix sur place à des<br />
(1) N 450, 1854, Inspection.<br />
G : Miliana 3» T. 1865 et 3-<br />
T. 1866 ; Ténès 3« T. 1866 ; Cherchel 1" T.<br />
1870.
340<br />
Européens ou à des Israélites, construisirent, à frais communs,<br />
un moulin à huile dans la tribu des Béni-bou-Mileuk, au lieu<br />
dit Tebainet. Le chef du bureau arabe, fier de cette réalisation,<br />
prévoit, pour les années à venir, la fabrication du savon qui<br />
augmentera le bien-être des tribus, et le général commandant<br />
la division, très intéressé, annote le rapport de ces mots :<br />
« mais c'est à ma connaissance le premier établissement de ce<br />
genre créé par les Arabes —<br />
m'en parler ». Les rapports qui<br />
suivirent lui en parlèrent : l'échec fut complet, et le moulin<br />
à huile de Tebainet fut loué aux enchères publiques à un Eu<br />
ropéen (1).<br />
C'est peut-être Capifali qui prit le plus ardemment la<br />
défense des industries indigènes et, dans un long rapport, il<br />
écrit notamment :<br />
« L'autorité devrait favoriser toutes les industries et les<br />
encourager. On pourrait d'abord s'occuper spécialement de<br />
celle du tissage, car elle servirait à rendre utiles des bras nom<br />
breux qui restent inactifs... Quand la femme arabe sera pour<br />
son mari un sujet de gain, elle sera beaucoup plus respectée et<br />
beaucoup plus soignée. Quand elle sera occupée, elle songera<br />
moins à ces intrigues qui finissent toujours par des coups et<br />
quelquefois par la mort des individus.<br />
« Quand il y aura des maçons, des menuisiers, des char<br />
pentiers, l'Arabe bâtira beaucoup et deviendra plus entrepre<br />
nant. Trouvant à sa portée des ouvriers parlant sa langue,<br />
justiciable des mêmes tribunaux, il ne redoutera plus de faire<br />
bâtir, d'acheter des meubles, ce qui arrive fréquemment aujour<br />
d'hui car, pour faire cela, il faut avoir recours à un Européen<br />
qui bien souvent fait suivre son travail d'un gros procès ou qui<br />
vend de mauvaise marchandise.<br />
« Quand les indigènes verront le parti que les menuisiers<br />
et les charpentiers tirent du bois, ils comprendront la valeur<br />
des forêts et apprécieront mieux l'importance de leur con<br />
servation.<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville, 2* q. d'août ; Ténès, 1 q. de février.<br />
G : Cherchel 2* T. 1861, 4* T. 1869, 3' et 4« T. 1870.
-341 —<br />
« Tous les petits métiers disparaissent devant la concur<br />
rence européenne. Il nous faudrait au contraire les encourager<br />
afin que l'agriculture trouvât sur place des ouvriers pour la<br />
fabrication de tous les instruments aratoires.<br />
suivi,<br />
« Pour atteindre ce but qui nous semble devoir être pour<br />
nous proposons premièrement l'établissement d'un con<br />
cours où des primes d'encouragement, des certificats, des bre<br />
vets seraient distribués...<br />
« Pour diriger les industries, il nous semble qu'on devrait<br />
établir dans chaque subdivision une école des arts et métiers<br />
ou, tout au moins, placer des élèves dans les ateliers du Génie<br />
qui pourrait les instruire tout en les employant aux travaux<br />
d'utilité publique faits au titre des centimes additionnels.<br />
« Nous ne croyons pas que l'Etat doive reculer devant la<br />
dépense qu'occasionneraient toutes ces institutions, car il ne<br />
ferait que semer pour récolter. En effet, tous les métiers doi<br />
vent être plus tard soumis à une patente et on trouverait une<br />
grande compensation dans le produit que cette taxe donne<br />
rait.... » (1).<br />
Qu'advint-il de ces propositions ? Un concours de pro<br />
duits de l'industrie indigène eut lieu à Orléansville, le 25<br />
décembre 1862. Les produits les plus remarquables furent des<br />
broderies sur velours faites par un Indigène établi dans les<br />
Medjadja; des burnous noirs et des haïks des Sindjès; quel<br />
ques tapis en laine qui,<br />
sans avoir la valeur de ceux de Tiaret<br />
et de Kalaa, parurent cependant dignes d'attention. C'est tout,<br />
et c'est là sans doute le seul succès enregistré. Par la suite, on<br />
en vint à penser que les Indigènes deviendraient des ouvriers<br />
seulement lorsque l'industrie européenne ayant pénétré dans<br />
l'intérieur du pays, ils seraient employés dans les manufactu<br />
res. Il n'était donc plus question de créer une industrie propre<br />
ment indigène (2).<br />
(1) G. Orléansville 1" T. 1861.<br />
(2) G : Orléansville 1" T. 1862 ; Miliana 3e T. 1874.
— B<br />
—<br />
LES ECHANGES<br />
Les échanges se trouvèrent modifiés et le plus souvent<br />
développés par suite d'une demande accrue suscitée par la<br />
présence européenne et grâce aux facilités nouvelles offertes<br />
par l'utilisation de nouveaux moyens d'échanges et en parti<br />
culier d'un réseau routier progressivement étendu.<br />
Les routes.<br />
I. —<br />
LES<br />
MOYENS D'ECHANGES<br />
Les Bureaux arabes assurent l'entretien des routes et col<br />
laborent aussi à leur établissement. Parfois, ils apportent leur<br />
aide au Génie pour l'ouverture des voies essentielles; parfois,<br />
agissant par eux-mêmes, ils mobilisent les caïds pour faire<br />
tracer d'importants chemins là où n'existaient que des sentiers,<br />
notamment dans les montagnes de pénétration difficile.<br />
Ils agissaient sous l'action de mobiles différents. Les tra-\<br />
vaux de la route muletière de Ténès à Cherchel sont imposés, \<br />
sous forme de corvées, aux Béni-Haoua et aux Zouggara pour<br />
les punir de laisser allumer des incendies dans leurs forêts. I<br />
Dans les années de misère,<br />
comme 1859 et 1867-1869, qui sui<br />
vent de mauvaises récoltes, les chantiers sur routes deviennent<br />
de véritables ateliers de charité; les Indigènes y sont payés soit<br />
avec les secours attribués par l'Etat, soit par les journées de<br />
prestations que les propriétaires aisés préfèrent solder en ,<br />
argent. Les soucis stratégiques ne peuvent évidemment être<br />
oubliés par des militaires et si l'on demande une route de<br />
Ténès à l'Oued Damous en suivant les crêtes du Djebel Bissa,<br />
c'est parce que, pendant tout son parcours, elle dominerait le<br />
pays difficile des Béni-Hidja, reliant entre elles les maisons
■344 —<br />
de commandement. On invoque aussi la nécessité de faire<br />
pénétrer l'influence française et l'on signale que les tribus les<br />
plus arriérées et les plus réfractaires à nos idées, comme les<br />
montagnards de l'Ouarsenis, sont celles qui demeurent le plus<br />
éloignées des grandes voies de communication. Il n'est pas<br />
jusqu'à la colonisation que l'on ne déclare vouloir! favo<br />
riser (1).<br />
I Mais c'est le désir d'intensifier les tractations commercia-<br />
|les qui apparaît le plus souvent. En 1862, dans le cercle de<br />
P Ténès, le bureau arabe établit plusieurs voies de communica<br />
tion et notamment une route de 40 kilomètres pour desservir<br />
les marchés : désormais les négociants de Ténès peuvent se<br />
rendre auprès des fellahs et traiter directement avec eux sans<br />
passer par l'intermédiaire des courtiers indigènes qui exploi<br />
tent les cultivateurs; de plus, les Béni-Merzoug<br />
et les Bagh-<br />
doura, pour mieux bénéficier de la route, veulent se grouper<br />
en centres, initiative que ne pouvait manquer de soutenir le<br />
bureau arabe. Jubault, à Ténès, voudrait davantage et ne pou<br />
vant entreprendre lui-même les travaux de grande envergure,<br />
il insiste pour que soient créées les routes de Cherchel et de<br />
Mostaganem qui, avec celle d'Orléansville, permiettraient de dé<br />
velopper dans la région le commerce de transit. De même à<br />
Cherchel, l'autorité militaire demande une route qui, reliant<br />
les tribus de l'ouest du cercle à la vallée du Chélif, fournirait<br />
un débouché indispensable à la vigne, aux fruits et aux olives<br />
que produisent les tribus (2).<br />
Pour mener à bien leurs travaux, les Bureaux arabes ne<br />
disposaient que de moyens limités, essentiellement les journées<br />
des prestataires conduits au travail par les caïds qui campaient<br />
sur les lieux et que surveillait un officier du bureau arabe,<br />
directeur du chantier. Cela pouvait suffire pour l'entretien de<br />
routes déjà établies, mais non pour développer un vaste sys<br />
tème de voies de communication. Cependant l'œuvre accomplie<br />
(1) N 472, 1853, Miliana, juin.<br />
G : Orléansville 1" T. 1869 ; Ténès 1" T. 1859, 1" T. 1861, 2» T. 1866 ;<br />
Cherchel 1" T. 1871.<br />
(2) G : Ténès l" T. 1862, 1" T. 1863 et 1" T, 1864 ; Cherchel 2» et 3« T,<br />
1870.
ne fut pas négligeable,<br />
— 345-<br />
grâce à la masse de travailleurs dont dis<br />
posa parfois l'admdnistration |militaire : à Cherchel, pour citer un<br />
cas précis, en 1861, les tribus du cercle fournirent en 38 jours<br />
11.400 travailleurs. Nombre de chemins devinrent carrossables,<br />
d'autres furent élargis jusqu'à quatre mètres et on dériva les<br />
eaux qui les détrempaient et les transformaient en fondrières;<br />
des ponts facilitèrent la circulation sur la route de Téniet à<br />
Miliana; une multitude de chemins relièrent les villages les<br />
uns aux autres ou permirent l'exploitation des forêts de l'Ouar<br />
senis. A défaut de belles chaussées, on eut des routes muletiè<br />
res comme celle qui partait de Ténès vers Cherchel ou celle<br />
qui, par la ligne des crêtes et la maison de commandement des<br />
Béni-Menna, conduisait de Cherchel à Aïn-Méran.<br />
Celle dont on attendait le plus est certainement la route<br />
qui relierait au littoral la plaine orientale du Chélif. Moullé<br />
déjà avait attiré l'attention sur le fait que la grande source de<br />
prospérité du cercle de Cherchel étant le commerce des grains<br />
avec la plaine du Chélif, il fallait en conséquence ouvrir une<br />
route aboutissant à Cherchel. Lavondes, en 1858, estimait que<br />
la question était d'<br />
« importance vitale » pour Cherchel. Plu<br />
sieurs années après, l'un de ses successeurs,<br />
en unissant les<br />
efforts des Gouraya, Larhat, Béni-Lioui, Béni-bou-Mileuk,<br />
Zouggara et Tacheta, réussit à ouvrir une route muletière sur<br />
le trajet désigné depuis longtemps par le col d'Azerou Derbal.<br />
C'était malheureusement en 1869, c'est-à-dire au moment où<br />
la voie ferrée Alger-Oran allait briser l'importance de toutes<br />
les transversales sud-nord en ouvrant largement la vallée du<br />
Chélif vers l'Est et vers l'Ouest (1).<br />
A l'occasion, les chiffres mettent en relief les résultats ob<br />
tenus. Pour réparer la seule artère de Ténès à Orléansville, en<br />
1855, les Arabes doivent porter 10.000 mètres cubes de pierres<br />
puisées dans le fond des ravins. En 1862, les Ouled-Kosseïr<br />
établissent 5.500 mètres de routes. Dans le cercle de Ténès, 180<br />
kilomètres sont exécutés en quelques années. Lors de son<br />
(1) N 470, 1851, Orléansville, mai et novembre N 474, 1855, Cherchel,<br />
décembre - N 450, 1854, Inspection de Miliana. G, notamment : Orléansville,<br />
novembre 1863, 2? T. 1857 ; Cherchel, 4« T. 1858 et 4' T. 1859, 4" T. 1860, 2" T.<br />
1861 ; Miliana 2« T, 1858.
346<br />
commandement à Téniet-el-Had, Margueritte livre au transport<br />
des laines 635 kilomètres de routes. Le caractère de ces tra<br />
vaux reste, il est vrai, assez souvent primitif à cause de l'état<br />
du terrain et des faibles moyens techniques dont on disposait.<br />
Ainsi la route de Téniet-el-Had à Tiaret était presque impra<br />
ticable l'hiver à cause de la boue et, si l'on faisait des empier<br />
rements, par suite de la sécheresse d'été et de la pente, les<br />
cailloux glissaient et tombaient dans les ravins. Le chef du<br />
bureau arabe, pour remédier à cet inconvénient, trouve la<br />
solution suivante : préparer des tas nombreux de pierres cas<br />
sées et, les premières pluies arrivées, disséminer sur la route<br />
des travailleurs ayant pour mission de jeter ces pierres dans<br />
les ornières et les fondrières; de cette manière la terre humec<br />
tée ferait corps avec le cailloutis et donnerait beaucoup de<br />
solidité à la route. On ne sait si l'on doit admirer davantage<br />
la simplicité du procédé ou l'optimisme du chef de bureau<br />
arabe (1).<br />
Pour assurer la sécurité des routes et offrir un abri de<br />
nuit aux voyageurs, les Bureaux arabes collaborèrent à l'édifi<br />
cation des postes-cafés ou des caravansérails, les seconds beau<br />
coup<br />
plus importants que les premiers. On trouve des postes-<br />
cafés sur la plupart des routes : à Tizi<br />
n'<br />
Franco, sur celle de<br />
Miliana à Cherchel, à Aïn-Lellou et à Aïn-Lekhal sur celle<br />
d'Orléansville à l'Ouarsenis, à Zeboudj-el-Ouost sur celle d'Or<br />
léansville à Mostaganem, à Aïn-Kherazza sur celle de Miliana<br />
à Tiaret, à Aïn-Defla et Rouïna dans la vallée du Chélif, etc..<br />
Construits par le Génie ou par les tribus, ces postes étaient<br />
confiés à la surveillance des Bureaux arabes et on y installait<br />
des gardes-routes choisis de préférence parmi les Indigènes<br />
désirant l'emploi. Un poste comprenait en général trois famil<br />
les, exceptionnellement davantage comme ceux d'<br />
Aïn-Defla et<br />
d'Oued Rouïna qui en comptaient huit. A la tribu qui fournis<br />
sait le poste, on imposait parfois de bâtir, dans un délai déter<br />
miné, vingt jours par exemple, un grand gourbi pour recevoir<br />
les voyageurs et une habitation pour chaque famille à installer;<br />
(1) N 474, 1855, Orléansville, octobre.<br />
G : Orléansville 4- T. 1862 ; Ténès 2« T. 1863 ; Téniet-el-Had 2" T. 1862.<br />
Masqueray (83) 349.
— 347<br />
elle devait payer en outre une certaine somme aux gardiens<br />
ou pourvoir chacun d'eux d'un terrain de culture suffisant<br />
pour labourer une demi-charrue. Des chevaux étaient placés<br />
en quelques points (Attafs, Aïn-Defla, Kherazza),<br />
tre le transport rapide des dépêches (1).<br />
pour permet<br />
Certains de ces postes pouvaient par la suite se transfor<br />
mer en caravansérails comme le furent ceux des Attafs et<br />
d'<br />
Aïn-Defla. Aux Djendel, nous le savons (p. 229), c'est la mai<br />
son du bach-agha Bou Alem qui servit de caravansérail jusqu'en<br />
1855. Aux Béni-Indel (hameau actuel de Molière), c'est le bordj<br />
formant la maison de commandement qui recevait les voya<br />
geurs et à l'occasion les troupes, car il contrôlait la route d'Or<br />
léansville à Téniet. Un véritable caravansérail avait ordinaire<br />
ment la forme d'une grande cour carrée dans l'intérieur de<br />
laquelle étaient disposés sur trois côtés les logements pour les<br />
voyageurs et les écuries. Celui des Djendel, si nous en croyons<br />
des plans postérieurs à 1870, présentait des bâtiments sur les<br />
quatre côtés avec un bastion à chaque angle et, au centre de<br />
la cour, un puits à noria et un abreuvoir. Ces bâtiments im<br />
portants furent parfois l'œuvre des tribus, mais le plus souvent<br />
du Génie avec l'aide de la main-d'œuvre indigène qui, subis<br />
sant, pas toujours de bon gré, l'impulsion du bureau arabe,<br />
fournissait les transports de pierres, de sable et de bois (pour<br />
la cuisson de la chaux).<br />
Dans la région qui nous intéresse, nous avons pu dénom<br />
brer sept caravansérails : celui des Djendel qui semble avoir<br />
été le plus important, utilisé non seulement comme étape pour<br />
les voyageurs, mais comme entrepôt des marchandises desti<br />
nées au marché; celui d'<br />
Aïn-Defla construit en utilisant les<br />
matériaux puisés dans les ruines d'Oppidum Novum et pour<br />
lequel toutes les tribus du cercle de Miliana avaient dû payer ;<br />
celui des Attafs, bâti aux frais des Indigènes,<br />
comprenant plu<br />
sieurs chambres pour les hôtes et des écuries pour 20 chevaux;<br />
un peu plus à l'ouest, le caravansérail de YOued Fodda avait<br />
surtout été construit pour surveiller les Attafs et les Chou<br />
chaoua; d'une superficie de 900 mètres carrés,<br />
4'<br />
celui de YOued<br />
(1) N 471, 1852, MiMana, octobre G ; Orléansville 3- T. 1860 ; Cherchel<br />
T, 1860.
— 348 —<br />
Massine, chez les Haraouat Chéraga, sur la route de Miliana<br />
à Téniet (au sud de l'actuel Pont-du-Caïd) ; celui de Téniet-el-<br />
Had, qui date de 1856; de deux ans plus récent, celui de YOued<br />
Damous, à mi-distance sur la route entre Ténès et Cherchel,<br />
utilisé par les voyageurs qui en grand nombre prenaient la<br />
voie de terre pour éviter les inconvénients des voyages en mer<br />
et en particulier l'ennui de voir le bateau dans l'impossibilité<br />
de relâcher sur la côte comme cela se produisait par suite de<br />
l'insuffisance des ports lorsque la mer était grosse. Sur ces<br />
sept caravansérails on peut remarquer que quatre se trouvaient<br />
dans la vallée du Chélif, artère essentielle de la circulation<br />
dans l'Ouest du Tell algérois (1).<br />
Les marchés.<br />
Les Bureaux arabes n'eurent pas de politique définie à<br />
l'égard des marchés indigènes. Ils agirent au mieux des inté<br />
rêts du commerce et surtout de la sécurité.<br />
Parfois ils pensent qu'il convient de multiplier les marchés<br />
car ils sont un puissant moyen de favoriser la production :<br />
l'Indigène qui cultive ou fabrique, obligé pour écouler ses den<br />
rées de se rendre sur des marchés éloignés, préfère réduire ses<br />
récoltes ou sa petite industrie. Et Capifali cite la Kabylie si<br />
active avec ses nombreux marchés. De plus, ajoute-t-il,<br />
« les<br />
marchés servent aussi à la civilisation des Arabes : le frotte<br />
ment des individus modifie les mœurs, étend les relations et<br />
met les populations en communication d'idées. Il les tire de ce<br />
milieu étroit de la tribu où tout est agité du misérable point<br />
de vue des rivalités locales »; et il demande l'installation de<br />
trois nouveaux marchés aux Ouled-Bou-Sliman, aux Medjadja<br />
et aux Ouled-Farès. A maintes reprises nous assistons ainsi<br />
à des créations inspirées par le désir de donner un nouvel<br />
(1) N 447, 1852, Inspection de Miliana. N 448, 1853, cercles d'Orléansville<br />
et de Cherchel. N 450, 1854, Inspection de Miliana. N 474, 1855, Miliana, sep<br />
tembre.<br />
G. Téniet-el-Had 3« T. 1856.<br />
G. 1 L 166 : Rapport du 5 juin 1857 sur le lotissement d' Aïn-Defla.<br />
Tableaux des établissements français 1852-1854 et 1856-1858.
— 349<br />
essor au commerce local. Il arrive que l'inauguration s'accom<br />
pagne d'une fête comme ce fut le cas pour le marché arabe<br />
installé en 1857 sur un terrain militaire à l'entrée de la plaine<br />
du Chélif et dans la dépendance d'Affreville; l'armée organisa<br />
la cérémonie et les Indigènes manifestèrent leur empressement<br />
en apportant en masse céréales et bestiaux (1).<br />
Le plus souvent ce sont les soucis dé police qui dictent<br />
leurs actes aux Bureaux arabes. Les marchés des Béni-Boukni<br />
et des Betaïa, par exemple, sont entourés d'un fossé pour em<br />
pêcher les propriétés riveraines d'être dévastées par les ani<br />
maux amenés sur les marchés et surtout pour rendre la per<br />
ception des droits plus aisée. Margueritte dit nettement que le<br />
but principal à atteindre est d'assurer une surveillance plus<br />
facile;<br />
aussi fait-il transporter pendant plusieurs mois chez les<br />
Ouled-Ayad, au voisinage de Téniet, le marché des Ouled-Am<br />
mar trop<br />
des Sbéah où se passaient continuellement des scènes de désor<br />
souvent agité. Richard déplace d'office deux marchés<br />
dres qui parfois devenaient sanglantes; il en transporte l'un<br />
sur l'Oued Isly et l'autre sur l'Oued Ras, en des lieux plus rap<br />
prochés d'Orléansville. Ce déplacement pouvait être néfaste<br />
au marché : celui du Sebt (c'est-à-dire du samedi) à Aïn-Méran<br />
disparut ainsi à cause, nous dit Richard, du caractère des Sbéah<br />
« qui ne pouvant se voler les uns les autres n'aimaient pas à<br />
se réunir si près du contrôle de l'autorité ». Pour lui redonner<br />
vie, l'administration militaire l'exonère de droits alors qu'elle<br />
impose les deux autres plus voisins, espérant ainsi obliger les<br />
Indigènes à le fréquenter (2).<br />
Les déplacements ne suffisant pas toujours, pour faciliter<br />
la surveillance on en arrive à diminuer systématiquement le<br />
nombre des marchés en ne laissant subsister que ceux jugés<br />
indispensables. Jubault, à Téniet-el-Had,<br />
estimant que la sur-<br />
(1) G : Orléansville 1" T. 1861, mars 1873 ; Ténès 1" T. 1863 ; Miliana<br />
1" T. 1857 et 1" T. 1871. Certains marchés (aux Sendjès, Béni-Rached, Med<br />
jadja, Ouled-Farès) furent créés en temps de famine pour procurer à des tri<br />
bus affamées du grain à meilleur marché; ils ne purent ensuite se maintenir.<br />
(2) N 461, 1846, Orléansville 2" q. d'avril et 1" q. de mai. N 462 1846, Té<br />
niet-el-Had, 2» q. de septembre. N 463, 1847, Orléansville, 2e q. mars ; Ténietel-Had<br />
2* q. de mai et 1" q. de septembre.<br />
N 465, 1848, Téniet-el-Had, 1 q. de juillet.<br />
G. Miliana 1" T. 1869.
350-<br />
veillance doit être « de tous les instants » veut fondre les cinq<br />
marchés en un seul, siégeant à Toukria ou à Téniet. Cette poli<br />
tique, le développement des voies de communication, le<br />
rôle des Européens dans les centres de colonisation font que,<br />
contrairement à ce que souhaitaient certains officiers et notam<br />
ment Capifali, on assiste à une sélection qui ne laisse subsister<br />
que les places les plus importantes.<br />
Dans la région de Cherchel, le seul marché conservant<br />
encore une certaine importance en 1862 est celui des Béni-<br />
Menasser qui reçoit en moyenne 400 à 500 Indigènes; de plus<br />
en plus les montagnards accourent en grand nombre à la halle<br />
de Cherchel qui seule leur offre de véritables garanties de<br />
pesage.<br />
Dans la plaine orientale du Chélif, le marché des Djendel<br />
prend une importance croissante et on y apporte de Miliana<br />
ou de Médéa les grains que viennent chercher des convois de<br />
l'Ouest tandis que la laine est surtout achetée par les Euro<br />
péens; les autres marchés indigènes ne comptent pas et s'effa<br />
cent au profit de Miliana où les Colons font un grand com<br />
merce de grains.<br />
Même phénomène dans le cercle d'Orléansville où tous<br />
les marchés déclinent au profit de celui de la ville nouvelle.<br />
Dès 1849, Bichard note que le marché d'El Had, à la porte de<br />
la ville (1), n'a jamais été aussi imposant « même aux plus<br />
beaux jours des temps arabes » : 3.000 à 4.000 Indigènes y<br />
viennent et le mouvement des denrées est de 50.000 à 60.000<br />
francs par dimanche en 1849, de 120.000 francs en 1851. Cette<br />
évolution se poursuivra et, en 1877, tous les marchés des tribus<br />
ayant périclité, seuls compteront, avec,<br />
celui d'Orléansville<br />
toujours au premier rang, ceux d'Oued Fodda et des Attafs.<br />
Dans le cercle de Ténès, déjà en 1856, le seul marché de<br />
tribu encore notable est celui des Béni-Madoun (au sud de<br />
Ténès, fraction des Maïn) toujours présidé par un officier du<br />
bureau arabe et où les Indigènes apportent troupeaux, laines,<br />
(1) Il en existait un autre à l'intérieur même de l'agglomération, d'abord<br />
près de la porte de Miliana puis placé par Richard près des nouveaux bains<br />
maures afin de lui donner plus d'animation (N 468, 1849, Orléansville 1 q.<br />
de décembre).
— — 351<br />
huile, miel, volailles, œufs, mais non les céréales, car le com<br />
merce des grains, étroitement contrôlé, doit se faire à Ténès<br />
où ont lieu les ventes et les exportations vers Alger et la France<br />
(1). Là arrivent non seulement les grains du cercle, mais<br />
ceux de la vallée du Chélif, de quelques tribus de Mostaganem,<br />
d'Ammi-Moussa, de Miliana (2).<br />
Sur les marchés, les officiers des Bureaux arabes introdui<br />
sent l'usage des mesures décimales,<br />
en particulier le double<br />
décalitre et le kilogramme, aidés dans leur tâche par les mar<br />
chands ambulants qui, fréquentant Alger et parcourant les<br />
tribus, furent les meilleurs propagateurs du système métrique.<br />
Dès 1848, Richard profite du paiement de l'achour pour faire<br />
accepter le double décalitre dans la subdivision d'Orléansville.<br />
Des balances envoyées d'Alger sont mises en usage en 1849<br />
dans le cercle de Miliana. Pour lever les difficultés qui pou<br />
vaient se présenter dans la pratique, relativement à l'emploi ,<br />
des nouvelles mesures, une instruction écrite est répandue à un<br />
grand nombre d'exemplaires.<br />
Le système métrique cependant ne s'établit pas du jour<br />
au lendemain, parce qu'il était difficile de se procurer les<br />
nouvelles unités. En fabriquer sur place ne suffisait pas à<br />
résoudre le problème et Richard nous le dit : « Dans l'impos<br />
sibilité, écrit-il en 1848, d'en obtenir (des mesures) d'exactes et<br />
de légales, c'est-à-dire poinçonnées par l'administration, il en<br />
a été fait à l'aide des ouvriers du lieu qui sont déjà employées<br />
par les Arabes; mais alors ce n'est plus la population indigène<br />
qui les repousse, mais bien la population européenne qui ne<br />
veut pas les admettre comme légales. De sorte qu'à l'heure<br />
qu'il est, les Arabes mesurent entre eux avec des doubles déca<br />
litres et les colons avec l'ancienne mesure du marché appelée<br />
kéroui. Ces derniers donnent donc ce spectacle étrange de<br />
(1) L'obligation de porter les grains à Ténès semble avoir été précédée<br />
par l'habitude des Arabes de délaisser les marchés des tribus au profit de<br />
celui du port (N 474, 1855, rapport annuel). Le marché des Béni-Madoun de<br />
vait plus tard être éclipsé par celui des Heumis (G. Ténès 2" T. 1875).<br />
(2) N 468, 1849, Orléansville 2" q. de novembre. N 469, 1850, Miliana, août.<br />
N 470, 1851, Orléansville, août. N 448, 1853, Orléansville, Inspection.<br />
G : Orléansville, 1" T. 1877, janvier et mars 1877 ; Ténès 2e et 3« T. 1856<br />
4" T. 1859 ; Miliana 3« T. 1863 ; Cherchel 3« T. 1860 et 3« T. 1862 ; Téniet-el-<br />
Had 1" T. 1861.
j<br />
352 —<br />
refuser aux yeux de la population arabe nos propres mesures<br />
et de vouloir prendre les siennes. Il serait urgent de mettre fin<br />
à un pareil contre-sens » (1).<br />
A ces difficultés s'en ajoutaient d'autres dues aux fraudes<br />
multiples. La monnaie notamment donnait lieu à un grand<br />
trafic. Des Juifs exploitaient l'ignorance des Arabes quant à<br />
la valeur réelle de l'argent français par rapport à l'argent<br />
espagnol ou algérien. Les Indigènes étaient habitués à la mon<br />
naie d'argent et ils se montraient méfiants à l'égard de la<br />
monnaie d'or introduite par les Français; aussi des trafiquants<br />
cherchèrent à mettre cette défiance à profit en changeant les<br />
! pièces d'or contre de l'argent moyennant un bénéfice allant<br />
quelquefois jusqu'à 1 fr. 50 par pièce (2). Les Bureaux arabes<br />
durent prendre des dispositions pour éviter ce commerce qui<br />
dépréciait, aux yeux des Indigènes, la monnaie d'or fran<br />
çaise (3).<br />
Mais le trafic le plus grave était celui qui avait lieu sur<br />
les routes menant aux marchés. Avec l'aide de courtiers indi<br />
gènes malhonnêtes, des Européens et des Israélites arrêtaient<br />
les convois de grains dont les propriétaires se défaisaient de<br />
gré ou même de force car, à en croire les Bureaux arabes, on<br />
allait jusqu'à la violence. Un véritable vol se pratiquait avec<br />
emploi de sacs troués, de bascules fausses, de mesures de capa<br />
cité trop<br />
petites ou à double-fond sur lesquelles on avait con<br />
trefait le poinçon, etc.. On prit des dispositions qui, tout en<br />
permettant au vendeur de livrer sa marchandise en dehors du<br />
marché, interdisaient à l'acheteur de l'arrêter sur une voie<br />
publique.<br />
Mais alors les négociants établirent, de part et d'autre des<br />
routes, de petites baraques entourées de faibles barrières : on<br />
en comptait une soixantane le long<br />
ville,<br />
de la route Ténès-Orléans-<br />
avant Montenotte surtout. Malgré les conseils donnés par<br />
(1) N 465, 1848, Orléansville 1 q. d'août, 2* q. d'octobre. N 468, 1849, Té<br />
niet-el-Had 2? q. de mai ; Miliana V q. de mai N 443 : rapport du général<br />
Ct la division d'Alger (6 août 1848) et lettre de Richard au colonel Rivet (5<br />
août 1848). ;<br />
f (2) A l'époque, pour fixer les idées, la viande de bœuf ou de mouton va-<br />
: lait moins de 1 franc le kilog et le blé 20 francs le quintal.<br />
(3) N 470, 1851, Téniet-el-Had, novembre. N 474, 1855, Miliana, juin.
les Bureaux arabes,<br />
— — 353<br />
pour éviter le transport jusqu'à Ténès et<br />
se dispenser du droit de mesurage perçu au marché, les Indi<br />
gènes s'arrêtaient aux baraques et là, à l'abri des règlements,<br />
le trafic reprenait. L'Indigène connaissant les ruses employées<br />
à son égard,<br />
se défendait par des procédés aussi malhonnêtes.<br />
Avant de parvenir au voisinage des échoppes, il versait son<br />
grain sur la route et le ramassait mêlé à une poussière impal<br />
pable qui donnait plus de poids aux sacs. Cette poussière se<br />
retrouvait au moment du criblage et occasionnait un déchet<br />
considérable. D'où les plaintes des commerçants honnêtes et<br />
une dévaluation du blé. On conçoit alors l'importance accordée<br />
par les officiers des Bureaux arabes à la surveillance du com<br />
merce des grains et leur désir de le centraliser sur les marchés<br />
où le pesage pouvait être contrôlé (1).<br />
IL —<br />
Dans la région.<br />
LES COURANTS COMMERCIAUX<br />
Le chef du bureau arabe de Miliana, en 1862,<br />
exagère à<br />
peine lorsqu'il écrit : « Les indigènes sont en général pauvres<br />
et misérables et tout le commerce qu'ils peuvent faire consiste<br />
forcément à vendre ce qu'ils ont pour payer ce qu'ils doi<br />
vent. » (2).<br />
A l'intérieur de notre région les échanges restèrent en effet<br />
peu importants. Comme par le passé, c'est entre montagnards<br />
et habitants des plaines, entre gens du Tell et nomades du Sud<br />
qu'avaient lieu les transactions les plus considérables, portant<br />
essentiellement sur les troupeaux et les grains. Elles se nouaient<br />
toujours sur les grands marchés, en particulier ceux des Attafs<br />
et du Djendel, auxquels venaient maintenant s'ajouter les<br />
centres à forte population européenne, Orléansville, Miliana,<br />
(1) N 450, 1854, rapport annuel de la division d'Alger. N 465, 1848, Ténès<br />
2? q. d'octobre.<br />
G : Orléansville, 3' T. 1862, décembre 1863, 4» T. 1864, 3" T. 1865, 3« T.<br />
1866 ; Ténès 3« et 4« T. 1857.<br />
(2) G. Miliana 1" T. 1862.<br />
23
■354-<br />
Ténès, Cherchel, Téniet-el-Had, sans parler de villages comme<br />
Affreville ou Duperré, dont le rôle commercial s'accentuait<br />
chaque jour.<br />
La création des voies nouvelles de communication accrut<br />
l'intensité de certains courants notamment de ceux issus des<br />
régions montagneuses. S'il n'y a pas de véritable route entre<br />
Cherchel et la plaine du Chélif, les sentiers arabes, élargis<br />
grâce aux corvées, permettent aux Béni-Menasser et aux tribus<br />
voisines d'utiliser leurs bêtes de somme pour aller acheter des<br />
grains sur les marchés indigènes des plaines et venir ensuite<br />
en faire le commerce à Cherchel avec des profits appréciables.<br />
Les raisins de la montagne des Béni-Menasser prennent avec<br />
l'huile le chemin de la vallée du Chélif où ils rencontrent les<br />
fruits (figues, pêches, melons, pastèques...)<br />
et les légumes des<br />
tribus de l'Ouarsenis. Par contre le commerce du bois subit<br />
un recul à cause de la réglementation de l'administration<br />
forestière (1).<br />
La demande suscitée par la colonisation provoqua de nou<br />
veaux échanges. Les Arabes vendirent aux Européens qui,<br />
généralement, achetaient en vue de l'exportation, des quantités<br />
de plus en plus notables de grains, de laines, et, à un moindre<br />
degré, d'huile, de raisins, de figues. Certains Indigènes jouaient<br />
le rôle d'intermédiaires et allaient dans les tribus chercher les<br />
grains qu'ils vendaient ensuite aux Colons (2).<br />
Sur les marchés, le commerce attirait nombre de trafi<br />
quants étrangers aux tribus. Tenaient la première place, les<br />
Juifs de Ténès, d'Orléansville ou de Miliana,<br />
qui transportaient<br />
leurs tentes d'un marché à l'autre et avaient toujours la pré<br />
férence du client indigène dont ils parlaient la langue. Ils<br />
détenaient le monopole presque exclusif des objets manufac<br />
turés français et notamment des cotonnades; ils y ajoutaient<br />
les bijoux d'origine indigène. Dans ce dernier domaine, ils se<br />
heurtaient parfois à la concurrence des Zouaoua,<br />
chel.<br />
(1) N 448, 1853, Inspection de Cherchel -<br />
G. Téniet 3« T. 1862.<br />
qui appor-<br />
N 449, 1854, Inspection de Cher<br />
(2) G : Orléansville, août 1865, septembre 1869, mai 1872 ; Ténès 2" T.<br />
1866 ; Cherchel 1" T. 1860 ; Téniet 3« T. 1857 ; N 472, 1853 , Cherchel, janvier
355<br />
taient, pour les femmes, des colliers, des bagues, des boucles<br />
d'oreilles en corne et en verroterie. Les colporteurs mzabites<br />
arrivaient du Sud avec des étoffes de prix telles que burnous,<br />
haïk,<br />
à longue distance ayant ses assises hors de notre région (1).<br />
tapis. Mais dans ce dernier cas c'était déjà le commerce<br />
Avec l'extérieur.<br />
Les échanges avec les régions voisines ou lointaines subi<br />
rent des transformations très différentes suivant les courants<br />
considérés.<br />
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les nomades<br />
furent relativement peu affectés, du moins dans la période<br />
envisagée. Sur les tribus du Sud estivant dans le Tell, l'action<br />
des Bureaux arabes voulut être le moins pesante possible. Les<br />
migrations se poursuivirent et on ne fit rien pour les entraver.<br />
Au contraire, dans la plaine du Chélif, lorsque la récolte em<br />
plissait les silos, l'arrivée des nomades était considérée comme<br />
une bonne fortune pour le pays et Richard donne des ordres<br />
sévères pour qu'on les reçoive avec les plus grands égards,<br />
autant pour leur donner une haute idée de la justice de notre<br />
domination que pour les inciter à nouer de bonnes relations<br />
avec les populations du Tell. Pour certaines régions d'ailleurs,<br />
comme celle de Téniet-el-Had, Arbaa et Ouled-Naïl étaient les<br />
seuls acheteurs possibles des grains en excédent, car l'absence<br />
de voies de communication empêchait l'exportation vers le<br />
Nord. Les commerçants européens eux-mêmes, les représen<br />
tants des maisons algéroises notamment, venaient attendre les<br />
tribus dans le cercle de Miliana pour passer des marchés sur<br />
la laine (2).<br />
Cependant, bien que soucieuse de respecter les coutumes<br />
des nomades, par le fait même qu'elle existait et qu'elle était<br />
une administration, l'autorité militaire fut un agent de trans-<br />
(1) G : Orléansville 4» T. 1S56 ; Miliana 1" et 2« T. 1862, 2e T. 1866, 3e T<br />
1867 ; Cherchel 1" T. 1866.<br />
(2) N 468, 1849, Orléansville 2» q. de septembre. N 471, 1852, Miliana,<br />
mars. N 474, 1855, Téniet-el-Had, juin.
— — 356<br />
Aj-^w^formation. Dans un but d'ordre et de sécurité, et aussi pour<br />
tenir compte des ressources très variables des diverses régions,<br />
elle réglementa les déplacements, orientant les troupeaux,<br />
suivant les années, vers les marchés du Chélif ou ceux de la<br />
Mitidja. De plus les Arbaa ne purent venir à une autre époque<br />
que juillet,<br />
août et septembre et il leur fut interdit de se pré<br />
senter par petits groupes de 10, 20 ou 30 chameaux, car il était<br />
alors difficile de percevoir l'impôt. La région que nous étu<br />
dions semble avoir eu à souffrir de cette réglementation et<br />
Margueritte en particulier se plaint que les tribus acquittant<br />
leurs impôts à Médéa et à Tiaret ne viennent qu'ensuite dans<br />
le cel'Ulè dT Téniet qui, se trouvant privé de relations directes<br />
avec les nomades, subit ainsi un double préjudice : celui de ne<br />
pouvoir vendre qu'en faible quantité à des tribus déjà appro<br />
visionnées et celui de ne recevoir que le rebut des marchan<br />
dises du Sud (1).<br />
On peut noter aussi que l'action de la colonisation qui<br />
devait par la suite aboutir au recul du nomadisme n'eut pas cet<br />
effet immédiatement.Les nomades éprouvèrent plus de difficultés<br />
à s'approvisionner à cause de la concurrence des acheteurs<br />
européens et, faute de grains sur les marchés méridionaux, ils<br />
durent monter vers le Nord : ainsi, encore en 1878, année de<br />
récolte convenable cependant, on voit les Arbaa pousser leurs<br />
chameaux jusque dans la vallée du Chélif faute d'avoir trouvé<br />
des grains sur les marchés de Téniet et de Boghar. Le désir<br />
de vendre leur laine à un prix élevé aux Européens semble<br />
aussi pousser les nomades plus au nord qu'auparavant. Lapas<br />
set signale que l'arrivée à Ténès de 30 chameaux, dans la pre<br />
mière quinzaine d'octobre 1849, fait sensation parce que jamais<br />
les chameaux n'étaient venus dans le pays; aussi,<br />
sur l'ordre<br />
du bureau arabe, les nomades sont7ils bien traités et engagés<br />
à revenir en plus grand nombre. Par la suite, on compte à<br />
plusieurs reprises des convois dépassant une centaine de cha<br />
meaux que les Indigènes voyaient d'ailleurs arriver sans grand<br />
enthousiasme, persuadés que l'apparition des chameaux dans<br />
(1) N 468, 1849, Téniet-el-Had, 2? q. de mars, 1 q. d'avril et 1" q. d'août;<br />
Miliana 1 q. de septembre. N 470, 1851, Téniet-el-Had, août. Voir aussi<br />
Bugéja (172) 99-102.
— — 357<br />
le cercle de Ténès annonçait toujours une mauvaise récolte<br />
soit à leur point de départ, soit à celui de leur destination (1) .<br />
Au total, il est donc permis de conclure que dans la direc<br />
tion Sud-Nord ou Nord-Sud, les échanges ne subirent pas<br />
une'<br />
transformation radicale. Il n'en fut pas de même de certains<br />
courants commerciaux de direction Est-Ouest et Ouest-Est.<br />
Nous savons que les Kabyles des Zatima pratiquaient un<br />
commerce d'huile avec la région de Mascara (p. 69). Dans les<br />
années qui suivirent l'occupation de la région ce courant se<br />
maintint : d'une part les prix à Cherchel étaient peu élevés<br />
car le commerce français n'estimait guère cette huile qu'il ne<br />
pouvait livrer à la consommation qu'après l'avoir épurée et<br />
qu'il préférait utiliser pour la fabrication du savon; d'autre<br />
part, les populations de l'Ouest appréciant l'huile telle qu'elle<br />
était et la préférant même à d'autres plus fines, l'achetaient<br />
très cher et l'échangeaient contre des laines, des tissus, des<br />
céréales dont l'aghalik de Zatima se trouvait dépourvu. Les<br />
échanges se faisaient dans les deux sens, car parfois c'étaient<br />
les Arabes de Mascara, d'El Kelaa et aussi des Ouled-Kosseïr<br />
qui venaient acheter leur huile aux montagnards de Cherchel<br />
malgré les efforts du bureau arabe qui aurait préféré voir ces<br />
huiles exportées vers la France, mais qui se heurtait aux prix<br />
inférieurs offerts par les Européens du cercle (2).<br />
Vers 1861 une évolution s'esquisse : les Indigènes vendent<br />
une partie de leur huile sur place contre des pommes de terre<br />
de semence et le bureau arabe pense qu'il faut encourager<br />
cette tendance. La révolution vient de l'établissement des usi<br />
nes à huile signalées plus haut (p. 336). La première date de<br />
1863 et elle est suivie de trois autres dès 1864. Selon le chef<br />
du bureau arabe, elles fournissaient une huile excellente pou<br />
vant rivaliser avec celle de Provence. Toujours est-il que, en<br />
1864, déjà, seuls quelques montagnards continuent à porter<br />
leurs huiles vers l'Ouest. Presque tous vendent aux indus<br />
triels et le bureau arabe espère que le bon prix qu'ils tirent<br />
(1) N 468, 1849, Ténès, 1 q. d'octobre -<br />
N<br />
475, 1856, Ténès, juillet.<br />
G : Orléansville 3e T. 1878 ; Ténès 2" T. 1857 ; Téniet-el-Had 3e T. 1863.<br />
(2) N 472, 1853, Cherchel, octobre G. Cherchel 4» T. 1858, 1" et 2» T.<br />
1S61,
358-<br />
des olives les amènera à soigner davantage leurs oliviers. En<br />
1867,<br />
c'est tout au plus si quelques Kabyles se rendent dans les<br />
tribus de la plaine pour y échanger contre des tissus le peu<br />
d'huile qu'ils fabriquaient encore. Un courant commercial était<br />
mort en même temps que s'éteignait une industrie indigène (1).<br />
Dans d'autres cas, au contraire, on voit des courants longi<br />
tudinaux se maintenir,<br />
s'intensifier ou même se créer. Dans<br />
l'Ouest, les Indigènes du cercle d'Orléansville fréquentaient le<br />
marché de Relizane sur lequel ils trouvaient bœufs et chevaux<br />
fournis par l'élevage européen. De gros négociants des Sbéah<br />
du Sud allaient à Tlemcen d'où ils rapportaient les effets<br />
d'habillement, les djelals, les couvertures, les tapis que l'on<br />
ne trouvait pas dans l'Ouest du Tell algérois. A Mostaganem<br />
certains apportaient leurs laines et achetaient des bestiaux<br />
pour les revendre à Boufarik ou à Alger (2).<br />
C'est vers l'Est en effet que se tourne surtout la région.<br />
Trafic lointain parfois : les Zouaoua de la Grande Kabylie<br />
venaient jusque sur les marchés du cercle d'Orléansville ache<br />
ter des chevaux qu'ils dirigeaient ensuite vers la province de<br />
Constantine où ils les revendaient à des marchands étrangers<br />
en réalisant de gros bénéfices; l'importance des achats était<br />
telle qu'un moment on les estima préjudiciables à la remonte.<br />
La Mitidja constituait toutefois une zone d'attraction autre<br />
ment importante. Les Djendel, les Béni- Ahmed, les Bou-Hal<br />
louan et les Béni-Zoug-Zoug fréquentaient régulièrement le<br />
marché de Marengo où ils apportaient charbon, bois de chauf<br />
fage, nattes, poteries, œufs, volailles et un peu de céréales. Une<br />
partie de la laine de Téniet et des grains du Chélif étaient<br />
vendus à Blida qui, par contre, envoyait oranges et citrons<br />
sur les marchés du cercle de Miliana. Les gens de Miliana<br />
allaient à Tiaret acheter des moutons qu'ils revendaient en<br />
suite dans la Mitidja. Les Indigènes de Téniet faisaient le<br />
même trafic, mais certains y ajoutaient la spéculation sur les<br />
(1) G. Cherchel 4° T. 1861, 4« T. 1863, l°r et 2» T. 1864, 1" T. 1866, 4" T.<br />
1867.<br />
(2) G. Orléansville 1" et 3« T. 1860, 3* T. 1863, 2" T. 1865.
359<br />
jeunes agneaux qu'ils achetaient à Tiaret et revendaient en<br />
suite à Boufarik après les avoir engraissés pendant un an (1).<br />
Malgré la distance, Alger joue un rôle considérable. Les<br />
Indigènes venaient y chercher des cotonnades, de la quincail<br />
lerie, de la mercerie et parfois aussi du blé : les gens de Cher<br />
chel assez fréquemment, ceux d'Orléansville seulement pen<br />
dant les années désastreuses comme 1867. Alors qu'ils ven<br />
daient la laine sur place,<br />
ces derniers transportaient à Alger<br />
les peaux des animaux abattus parce qu'ils y trouvaient un<br />
meilleur débit. C'est à Alger également (et aussi à Boufarik)<br />
que les Sbéah £t les Ouled-Kosseïr venaient vendre avec de<br />
gros bénéfices les bestiaux engraissés chez eux. Ils y appor<br />
taient aussi du blé, la différence de prix étant parfois consi<br />
dérable : en 1848 par exemple, le blé acheté dans la région<br />
d'Orléansville 8 frs 50 le quintal était revendu à Alger 15 à<br />
17 frs. L'appât du gain est assez fort pour que, encouragés par<br />
le chef du bureau arabe, les Doui-Hasseni, les Béni-Maïda et<br />
les Béni-Lent, au sud du cercle de Téniet, se déterminent en<br />
1853, à louer des chameaux afin d'assurer le transport des<br />
grains à Alger (2).<br />
La plus grande nouveauté nous la trouvons sans doute<br />
dans l'importance prise par le commerce maritime. Les mar<br />
chandises d'exportation, et les grains en premier lieu, centra<br />
lisées dans quelques gros marchés par les acheteurs européens,<br />
étaient dirigées vers les ports. Mais l'organisation commerciale<br />
restait rudimentaire. Même à Orléansville ou à Ténès les négo<br />
ciants ne disposaient pas de magasins offrant de réelles garan<br />
ties de construction et, par suite, ils devaient expédier immé<br />
diatement. Il en résultait que les achats sur les marchés étaient<br />
suspendus dès que les cours baissaient dans les zones impor<br />
tatrices, les négociants de la région n'ayant pas la possibilité<br />
de stocker pour attendre des temps meilleurs (3).<br />
(1) N 471, 1852, Miliana, avril - N<br />
463, 1847, Miliana 2? q. de septembre.<br />
G : Orléansville 2» T. 1874 , Miliana 1er T. 1866 ; Cherchel 1" T. 1858 et<br />
l" T. 1872 ; Téniet-el-Had 1" T. 1867 et 2° T. 1868.<br />
(2) N 465, 1848, Orléansville 2» q. septembre. N 475, Orléansville 2" T.<br />
1856. N 472, 1853, Téniet-el-Had. septembre.<br />
G : Orléansville 1" T. 1859, 3« T. 1860, juillet 1867 ; Cherchel 3e T. 1867.<br />
(3) G. Orléansville, 2e T, 1S63.
— — 360<br />
L'exportation principale était dirigée vers la France.<br />
Cherchel tenait une place notable dans ce trafic et certaines<br />
années une bonne partie de la population, Français et Indigè<br />
nes, s'occupait du commerce des grains destinés à l'embar<br />
quement; en 1853, les bâtiments en emportèrent pour une<br />
valeur d'environ 200.000 francs à un prix qui ne devait pas<br />
excéder alors 15 francs le quintal en Algérie.<br />
Le rôle de Ténès était encore plus considérable. Le port,<br />
qui faisait quelque commerce déjà avant l'occupation, avait<br />
cessé toute activité après 1843 à cause de la répugnance des<br />
tribus à engager des transactions avec les chrétiens vainqueurs<br />
et surtout à cause de la ruine du pays par la guerre, des labours<br />
peu étendus et des mauvaises récoltes. Le trafic reprit seule<br />
ment en 1848 et les marchandises y arrivaient par la route ou<br />
par la mer.<br />
Par la voie terrestre venaient surtout les produits de la<br />
région de Téniet et de celle d'Orléansville. La première four<br />
nissait exceptionnellement des grains,<br />
mais surtout des laines<br />
que transportaient des convois de chameaux : en juillet 1856,<br />
trois convois totalisent 345 chameaux; en mai et juin 1857 deux<br />
convois l'un de 180, l'autre de 182 chameaux livrent au port<br />
724 quintaux de laine et, dès 1850, le marché était assez impor<br />
tant pour déterminer l'arrivée à Ténès de voyageurs venant<br />
de France. D'Orléansville au contraire provenaient un peu de<br />
laine et surtout des grains dont certains négociants faisaient<br />
des achats massifs aux Indigènes (1) bien qu'ils fussent plus<br />
chers qu'ailleurs, mais parce que la route vers le port offrait<br />
de grandes facilités pour l'exportation. Aussi au cours du seul<br />
deuxième trimestre de 1857 le marché de Ténès recevait plus<br />
de 15.000 hectolitres de céréales.<br />
Une partie, il est vrai, parvenait par la voie maritime.<br />
Pendant la saison des grains une espèce de cabotage s'établis<br />
sait entre Ténès et les rivages des Ouled-Younès et des Ouled-<br />
Boufrid (fraction des Baache); des négociants européens al-<br />
aient acheter à la Guelta des Ouled- Younès ou autres marchés<br />
du Dahra, des grains, des fèves, du miel, etc.. qu'ils faisaient<br />
(1) Un seul négociant engageait 150.000 francs dans ces transactions en<br />
1852.
361 —<br />
emmener à Ténès sur des balancelles ou des barques dont<br />
l'équipage se composait en majorité d'Italiens auxquels s'ad<br />
joignaient quelques Indigènes. De Ténès, les grains étaient<br />
expédiés parfois directement vers la France, le plus souvent<br />
vers un autre port de la côte algérienne,<br />
Alger,<br />
presque toujours<br />
qui assurait vers la Métropole les grosses exportations<br />
de céréales (1).<br />
Le commerce s'amplifiait en période de guerre. La guerre<br />
de Crimée détermine des achats considérables de chevaux<br />
pour monter les régiments venus de France. Il en est de même<br />
en 1859, au moment de la guerre d'Italie : plus de 550 chevaux<br />
de troupe sont alors achetés par la remonte dans le seul cercle<br />
d'Orléansville et si l'on ajoute à ce nombre ceux que leurs<br />
propriétaires, alléchés par les hauts prix, avaient conduit di<br />
rectement à Miliana, Blida et Alger, on estime que le cercle<br />
avait vu disparaître près de 800 chevaux. Les grains ayant été<br />
achetés dans des proportions aussi importantes, il en résulta<br />
des difficultés pour subvenir aux besoins des populations pen<br />
dant la mauvaise saison (2).<br />
A côté de la France, l'Espagne offrait parfois un débouché<br />
intéressant lorsque le cours des grains baissait dans la Métro<br />
pole. Les balancelles qui apportaient des pommes de terre et<br />
des vignes chargeaient du blé et des ovins. Pendant la famine<br />
de 1867 on importa des céréales d'Espagne et, à l'époque, le<br />
chef du bureau arabe d'Orléansville aurait voulu que l'auto<br />
rité militaire donnât toutes facilités à un négociant de Barce<br />
lone qui avait l'intention d'apporter de grosses quantités de<br />
grains et d'acheter les bestiaux que, faute de pâturages, les<br />
Indigènes ne pouvaient conserver (3).<br />
(1) N 465, 1848, Ténès 2? q. d'octobre. N 468, 1849, Ténès 1 q. d'octobre.<br />
N 469, 1850, Ténès, mars. N 471, 1852, Orléansville, août. N 448, 1853, Inspec<br />
tion Miliana. N 472, 1853, Cherchel, janvier et septembre. N 473, 1854, Téniet-<br />
el-Had, janvier. N 475, 1856, Ténès, juillet.<br />
G : Ténès 2" et 4- T. 1857, 3« T. 1860, 1" T. 1864 ; Téniet-el-Had 2» T. 1867.<br />
(2) G. Orléansville 4» T. 1856, 3« T. 1859, 1" T. 1860.<br />
(3) N 472, 1853, Cherchel, mars.<br />
G : Orléansville, juin 1867 ; Ténès l" T. 1858, 1" T. 1862 et 1" T. 1864 ;<br />
Miliana 1" T. 1862.
362-<br />
Tout ce trafic maritime allait être bouleversé par la cons<br />
truction de la route impériale et plus encore par l'établisse<br />
ment de la voie ferrée Alger-Oran dont les chantiers furent<br />
un secours appréciable offert aux Indigènes pendant les an<br />
nées de misère 1867-1868. Dès juillet et août 1870 la gare d'Or<br />
léansville exportait 15 quintaux environ de blé tendre, 1.500<br />
de blé dur, 2.500 d'orge et 220 de fèves. C'était encore sensible<br />
ment moins que les quantités dirigées vers Ténès, mais il y<br />
avait là le début d'une évolution qui s'accentua par la suite<br />
au point que Ténès cessera presque complètement de desservir<br />
la vallée du Chélif (1).<br />
Les conséquences.<br />
Certaines tribus trouvèrent dans l'activité commerciale<br />
accrue des ressources importantes. Dans le cercle d'Orléans-<br />
ville ce fut le cas des Sendjès, des Ouled-Farès, des Medjadja,<br />
des Sbéah du Sud et surtout des Ouled-Kosseïr. Ceux-ci, à cause<br />
de leur situation, entrèrent rapidement en relation avec les<br />
Européens. Ils furent d'abord employés comme manœuvres ou<br />
portefaix et, la concurrence jouant entre les Européens, ils en<br />
arrivèrent à gagner 2 frs 50 et 3 francs par jour (2). Surtout les<br />
plus intelligents servirent d'intermédiaires entre les Colons et<br />
les autres Indigènes. Ils apprirent ainsi les principes du com<br />
merce et le pratiquèrent pour leur propre compte. Ils allaient<br />
dans les marchés du Sud et de l'Ouest des troupeaux<br />
et des laines qu'ils vendaient à Alger et au marché de Boufa<br />
rik, réalisant ainsi un premier bénéfice. D'Alger ils rappor<br />
taient des étoffes et des produits d'épicerie dont la vente leur<br />
procurait un second bénéfice. On trouvait leurs tentes en grand<br />
nombre sur tous les marchés de la subdivision d'Orléansville<br />
et ils faisaient aux Juifs une concurrence redoutable car ils<br />
avaient la réputation d'être moins voleurs. Certains Ouled-<br />
Kosseïr s'occupaient exclusivement du commerce des bestiaux<br />
tant pour eux-mêmes que pour le compte des marchands de<br />
(1) G. Orléansville, juin 1867, 3" T. 1870.<br />
(2) L'orge valait alors 7 francs l'hectolitre et le mouton 1 franc le kilog.
363<br />
la ville. D'autres enfin avaient pour seul métier d'aller acheter<br />
à Tlemcen ou à Mascara les tissus particuliers à l'Ouest et sur<br />
tout ceux que les caravanes du Maroc apportaient dans ces<br />
villes et dont les Ouled-Kosseïr faisaient l'acquisition pour<br />
aller les écouler à Alger (1).<br />
Le développement du commerce extérieur fut parfois con<br />
sidéré comme un danger par les Bureaux arabes. C'est que les<br />
cultivateurs, les petits surtout, attirés par les offres des négo<br />
ciants,<br />
vendaient inconsidérément et se trouvaient démunis<br />
pendant l'hiver. Ils achetaient alors à prix élevé aux Européens<br />
ce qu'ils leur avaient parfois vendu bon marché quelques mois<br />
plus tôt et le chef du bureau arabe de Ténès, en 1867, parle<br />
d'<br />
« exploitation de l'ignorance par le progrès ». Les grands<br />
propriétaires eux-mêmes en arrivaient à négliger les réserves<br />
qui leur permettaient de faire des avances à leurs khammès<br />
pendant les mauvaises années. Et le mal ne se limitait pas aux<br />
céréales : en 1864 par exemple la vente excessive des chevaux<br />
et des mulets épuise le cercle de Téniet-el-Had.<br />
Aussi les Bureaux arabes s'efforcent-ils de ralentir ou tout<br />
au moins de régulariser les échanges commerciaux. Ils con<br />
seillent aux chefs indigènes de diminuer les ventes et quali<br />
fient d'<br />
« errements » la politique de liberté du commerce à<br />
laquelle ils attribuent, en partie, l'effroyable misère de 1867.<br />
Ils empêchent les Indigènes de se précipiter sur les marchés<br />
immédiatement après la récolte pour se débarrasser le plus<br />
promptement possible des prêts usuraires, car leur empresse<br />
ment déprécie immédiatement les marchandises. Ils octroient<br />
des délais différents pour le paiement des impôts afin que les<br />
fellahs, dans le but de se procurer de l'argent,<br />
ne portent pas<br />
tous au même moment sur les marchés leurs grains et leurs<br />
bestiaux qu'ils seraient alors obligés de vendre à vil prix. Mais<br />
aucune de ces mesures n'aboutit à un résultat appréciable. Les<br />
Bureaux arabes ne parvinrent pas plus à contrôler le com<br />
merce qu'ils n'avaient réussi à améliorer la production ou à<br />
transformer l'habitat.<br />
(1) N 473, 1854, Orléansville, juillet.
CONCLUSION<br />
L'échec et ses causes<br />
« L'esprit des bureaux arabes est donc au fond celui qui<br />
a prévalu dans toute l'administration conquérante de la colo<br />
nie. Ce qu'ils n'ont pas fait, ils l'ont suggéré. C'est à eux que<br />
la France aurait le droit de s'en prendre en cas d'échec, c'est<br />
à eux qu'elle doit savoir gré d'un succès qui tient du prodige » ;<br />
voilà ce qu'écrivait en 1860 le duc de Broglie après un voyage<br />
en Algérie (1).<br />
En ce qui concerne la transformation des genres de vie<br />
indigènes peut-on souscrire à un tel jugement ? A plusieurs<br />
reprises, dans les pages précédentes, nous avons vu des espé<br />
rances déçues, des entreprises avortées,<br />
mais avant de se pro<br />
noncer en toute connaissance de cause, il convient de dresser,<br />
dans la mesure du possible et en toute objectivité, un tableau<br />
d'ensemble des résultats obtenus. Le bilan établi, il sera<br />
facile de se faire une opinion.<br />
Les succès.<br />
I. —<br />
SUCCES<br />
ET ECHECS<br />
Notons tout d'abord que nous avons puisé l'essentiel de<br />
notre documentation dans les rapports rédigés par les officiers<br />
des Bureaux arabes et que, par conséquent, peu de réussites<br />
peuvent nous avoir échappé. Nous risquons surtout de pêcher<br />
par excès d'optimisme.<br />
(1) Broglie (44) 67.
—<br />
— 366<br />
Or, que relevons-nous ? soit des affirmations générales<br />
incontrôlables et apparemment exagérées, soit des faits précis<br />
mais de portée limitée et parfois très contestables.<br />
On voudrait bien croire Sériziat lorsqu'il écrit : « Une<br />
quantité considérable de tentes qui n'avaient jamais eu de<br />
chaussures et n'avaient jamais été vêtues que de haillons sont<br />
aujourd'hui au niveau des tentes aisées du temps des Turcs;<br />
et le nombre des Arabes qui ont admis du luxe dans les vête<br />
ments de leur femme et la propreté dans les leurs est réelle<br />
ment considérable » (1). Il répète, il est vrai, deux ans après<br />
ce qu'il écrivait en 1854 et plus catégorique encore, il affirme<br />
alors être « forcé de constater que la moyenne de la fortune<br />
a augmenté considérablement. Il est très rare aujourd'hui de<br />
voir des Arabes sans souliers ou en guenilles même dans les<br />
tribus les plus reculées des montagnes » (2). Avoir obtenu un<br />
pareil résultat en une douzaine d'années, sept ans seulement<br />
après la révolte de Bou-Maza, voilà évidemment un succès qui<br />
tiendrait du prodige. Mais sans aller jusqu'à invoquer le vieil<br />
adage, Testis unus, testis nullus, on ne peut s'empêcher de<br />
constater qu'aucun des successeurs de Sériziat n'a noté une<br />
situation aussi satisfaisante et il faut admettre, dans le cas le<br />
plus favorable, qu'elle fut passagère, s'expliquant par les bon<br />
nes récoltes des années précédentes plus que par l'action du<br />
bureau arabe.<br />
Au sujet des progrès en agriculture et en matière d'habi<br />
tation, on relève de temps à autre des notes très optimistes.<br />
« Quelques années de paix et notre contrée aura entièrement<br />
changé d'aspect », prophétise Lapasset en 1849. Les années<br />
de paix se succédèrent et cependant quatorze ans après, Lapas<br />
set parcourant la subdivision d'Orléansville faisait un tableau<br />
pitoyable de la situation chez les Ouled-Kosseïr,<br />
attribuant leur<br />
misère au cantonnement, mais sans dire un mot des autres<br />
tribus non cantonnées de Ténès ou d'Orléansville et dont la<br />
prospérité, par comparaison tout au moins, aurait dû le frap<br />
per (3).<br />
(1) N 473, 1854, Orléansville, août.<br />
(2) G. Orléansville 2° q. 1856.<br />
(3) N 468, 1849, Ténès 2' q. de septembre. Voir avant p. 189.
— — 367<br />
Dès 1857, Poliot, à Cherchel,<br />
annonce que l'usage de la<br />
faux et celui de la charrue sont définitivement introduits dans<br />
les tribus du cercle alors que,<br />
encore en 1863, et dans les an<br />
nées suivantes, les chefs du bureau arabe notent que la charrue<br />
ne se répand pas et que certaines tribus utilisent toujours la<br />
pioche comme seul moyen de labour.<br />
De même en 1861, Gaulet, du bureau de Cherchel égale<br />
ment, signale « de notables progrès depuis quelques années »,<br />
les Indigènes comprenant la supériorité de nos méthodes et<br />
modifiant par suite leurs procédés de culture. Plusieurs années<br />
après, cependant, l'un de ses successeurs insiste sur l'ab<br />
sence de progrès dans les procédés employés pour l'ensemen<br />
cement et les cultures : les Indigènes, écrit-il,<br />
« considèrent le<br />
rendement comme suffisant et ne paraissent pas attacher grand<br />
prix aux moyens perfectionnés qu'ils voient en usage dans les<br />
fermes et aux environs des villes » (1). Comment ne pas croire<br />
que certains officiers, trop enthousiastes,<br />
pour des réalités ?<br />
ont pris leurs rêves<br />
On relèverait certes quelques succès d'une valeur incon<br />
testable à l'actif des Bureaux arabes. Ici, d'importants défri<br />
chements de terrains montagneux longtemps considérés com<br />
me impropres à la culture et une augmentation considérable<br />
du nombre des charrues mises en labour. Là, des chiffres assez<br />
imposants sur les plantations d'arbres ou l'ensemencement des<br />
pommes de terre. Ailleurs, des travaux hydrauliques soignés<br />
ou quelques progrès dans l'emploi d'instruments aratoires per<br />
fectionnés. On découvrirait même, en cherchant bien,<br />
un vil<br />
lage dû aux Bureaux arabes et qui, quelque vingt ans après<br />
sa construction, conserve encore une partie de sa popula<br />
tion (2) et on pourrait ainsi, en puisant dans les pages qui<br />
précèdent ou dans les documents d'archives, dresser un cata<br />
logue qui ne manquerait pas d'une certaine ampleur.<br />
(1) G. Cherchel 1" T. 1861 et 1" T. 1874.<br />
N 476, 1857, Cherchel, rapport annuel.<br />
(2) Il s'agit de Gueba-Ali ou Goubt Ali (au sud du Puits) : G. Série L<br />
Carton 23, lettre du 14 octobre 1876 du sous-préfet de Miliana au préfet d'Al<br />
ger.
— — 368<br />
Mais même si, faisant fi d'erreurs imputables à l'enthou<br />
siasme ou au désir de se faire valoir, on additionnait tous les<br />
succès mentionnés,<br />
on obtiendrait de l'œuvre réalisée une<br />
image qui n'emporterait pas la conviction. On chercherait en<br />
vain les « immenses progrès» que nota le général Camou ou<br />
les « résultats immenses » dont parle Foucher (1). C'est à peine<br />
si le vaste tableau des genres de vie indigènes apparaîtrait<br />
comme ayant subi quelques retouches tout à fait insuffisantes<br />
pour modifier le caractère de l'ensemble, trop sporadiques pour<br />
transformer sérieusement le paysage du passé.<br />
Les échecs.<br />
Si, au contraire, en regard de la liste des succès enregis<br />
trés, on dressait celle des échecs encourus, non seulement on<br />
en obtiendrait un recueil plus imposant (bien qu'utilisant les<br />
documents émanant des Bureaux arabes),<br />
mais surtout on cons<br />
taterait qu'ils intéressent les éléments essentiels du genre de<br />
vie indigène et les points décisifs du programme que s'étaient<br />
tracé les Bureaux arabes.<br />
Qu'ont-ils obtenu en matière de constitution de la pro<br />
priété ? Deux cantonnements intéressant trois tribus sur les<br />
105 que comptait la région. Résultat d'autant plus insignifiant<br />
que l'on est en droit de se demander dans quelle mesure il<br />
s'agit là d'un succès à mettre à l'actif des Bureaux arabes<br />
puisque, après l'avoir préconisé, ils condamnèrent le canton<br />
nement jusque dans son principe. On dénombrerait évidem<br />
ment davantage de tribus sénatus-consultées, mais dans aucune<br />
ne fut appliquée la clause relative à la constitution de la pro<br />
priété dans les douars.<br />
Furent-ils plus heureux dans leur politique de l'habitat<br />
qui devait aboutir à la fixation au sol des tribus ? Pour les<br />
maisons nous avons donné plus haut (p. 234) des chiffres qui<br />
nous ont permis d'apprécier le caractère local des progrès<br />
réalisés aux dépens du gourbi, de la tente ou même des habi-<br />
(1) N 448, 1853, Rapport d'inspection - Foucher<br />
(67) 33.
— 369 —<br />
tations de troglodytes que l'on trouvait encore en 1869 dans<br />
les berges des ravins (1). Ce qui est plus grave, c'est que les<br />
maisons furent le plus souvent abandonnées et qu'elles tombè<br />
rent rapidement en ruines. Duvernois affirme même que nom<br />
bre de leurs propriétaires,<br />
ruinés par une dépense au-dessus<br />
de leurs moyens, durent aller se placer comme bergers ou com<br />
me garçons de charrue chez quelques-uns de leurs coreligion<br />
naires plus heureux. Les maisons telles qu'elles avaient été<br />
conçues n'étaient d'ailleur9 pas forcément supérieures à la tente<br />
et le médecin attaché au bureau arabe de Ténès en 1870 note<br />
que les Indigènes vivant dans les maisons sont généralement<br />
dans des conditions déplorables parce que leurs logis humides,<br />
mal aérés, mal éclairés, produisent sur leurs habitants des ma<br />
ladies très nombreuses, cachexie, rhumatismes, scrofule, maux<br />
d'yeux,<br />
etc.. Au contraire, les Indigènes vivant sous la tente<br />
se trouvent dans des conditions bien meilleures,<br />
ayant la pos<br />
sibilité d'éviter les endroits bas et humides, de planter leurs<br />
tentes sur des hauteurs bien ventilées et d'abandonner les lieux<br />
trop souillés par les détritus (2).<br />
Si maintenant nous examinons les villages,<br />
que voyons-<br />
nous en 1856, c'est-à-dire tout au plus huit ans après la cons<br />
truction du plus ancien d'entre eux ? Aux Sindjès toutes les<br />
maisons ont été abandonnées par leurs possesseurs. Situation<br />
analogue au village des Heumis que tous les propriétaires ont<br />
quitté après avoir demandé à renoncer à leurs droits. Aux<br />
Chouchaoua, le village datait de 1849 : le caïd avait bâti une<br />
maison et six des principaux chefs de tente demandèrent à<br />
posséder une construction semblable. Richard voyait là le<br />
noyau d'un centre de population; or, en 1854, on ne trouve<br />
encore, au total, que 7 maisons et habitées par les cavaliers du<br />
bureau arabe, parce que les premiers habitants avaient depuis<br />
longtemps sollicité, comme une faveur, de renoncer à leurs<br />
droits de propriétaires. Et l'on pourrait poursuivre l'énumé-<br />
ration par des exemples aussi désastreux : chez les Mchaïa, la<br />
population d'Aïn-Méran a disparu pour ne pas avoir à entrete<br />
nir des maisons qui menacent ruines; le village des Sbéah du<br />
(1) G. Orléansville, avril 1869.<br />
(2) Duvernois (59) 73-74. G. Ténès 4* T. 1870.<br />
24
— 370 —<br />
Sud n'a jamais été terminé et la portion bâtie va s'effondrer<br />
bien que datant seulement de 1850; le village des Medjadja est<br />
lui aussi en très mauvais état. C'est à peine si, dans la subdi<br />
vision d'Orléansville, on peut signaler un centre, celui des<br />
Ouled-Farès, dont la situation paraît satisfaisante. Là il ne<br />
s'agit plus de quelques échecs, mais d'une faillite (1).<br />
Peut-on porter à l'actif des Bureaux arabes une amélio<br />
ration sensible de l'agriculture ? Il serait facile d'accumuler<br />
les preuves démontrant qu'il n'en fut rien. Contentons-nous de<br />
quelques faits. C'est le général commandant la subdivision<br />
d'Orléansville (2)<br />
qui écrit dans un rapport de 1876 : « Les<br />
procédés de culture sont toujours ceux que nous avons men<br />
tionnés dans nos précédents rapports. Il n'y a aucun progrès<br />
à constater de ce côté et il n'y en a pas du reste à espérer.<br />
L'agriculture reste stationnaire et les indigènes n'essaient pas<br />
d'augmenter les produits dont la nomenclature ne s'est pas<br />
accrue. Le blé, l'orge, les fèves, quelques plantes potagères,<br />
mais en petit nombre, tels sont les produits de l'agriculture<br />
indigène »;<br />
et un rapport de Ténès décrit ainsi les façons cul-<br />
turales pour les céréales : « Un simple labour pour l'ensemen<br />
cement, l'effanage au moyen des troupeaux et la récolte sont<br />
les seules opérations qu'ils pratiquent. Le choix des terrains,<br />
la division en assolements, la préparation de la semence, l'ap<br />
plication des engrais, le hersage et le sarclage leur sont incon<br />
nus » (3). La situation n'est pas différente dans la région de<br />
Miliana où les rapports constatent aussi l'absence de tout pro<br />
grès et le caractère très primitif de la culture : la charrue<br />
arabe et la pioche sont les seuls instruments employés avec<br />
une petite sarclette qui sert à arracher les mauvaises herbes;<br />
(1) Tableau des établissements français 1856-1858. N 465, 1848, Orléans-<br />
ville 2" q. de décembre. N 449, 1854, Orléansville, Inspection. DA. Duperré :<br />
une lettre du sous-préfet de Miliana du 24-7-1877 signale que dans l'ancien<br />
village d'Aïn-Sadok toutes les maisons sont ruinées et il ne subsiste que trois<br />
familles qui vivent dans des gourbis. La situation semble un peu meilleure<br />
dans la subdivision de Miliana, sans doute parce qu'il s'agit de constructions<br />
tout à fait récentes. Dans les provinces d'Oran et de Constantine, on enre<br />
gistre aussi des résultats décevants : Baudicour (168) 519.<br />
(2) Nous rappelons que celle-ci comprenait alors les anciennes subdivi;<br />
sions de Miliana et d'Orléansville.<br />
(3) G. Orléansville 2> T. 1876 et Ténès 4- T. 1869.
371<br />
la faux n'est pas utilisée et l'autorité militaire estime que<br />
toutes les mesures « viendront échouer devant l'apathie et le<br />
fatalisme du peuple arabe que le progrès laisse complètement<br />
inerte ». Vingt ans après les premières tentatives on ne voit<br />
comme solution que le temps pour prouver aux Indigènes<br />
l'avantage de nos instruments sur les leurs ! Quant au succès<br />
remporté par l'introduction des cultures nouvelles, nous ren<br />
voyons à ce que nous avons dit plus haut notamment sur le<br />
coton et la pomme de terre (1).<br />
Les efforts déployés en vue d'améliorer l'élevage ne don<br />
nèrent pas de résultats plus encourageants. Un rapport de la<br />
subdivision d'Orléansville de 1876 note que « les foins ont été<br />
assez abondants; malheureusement les indigènes n'en récoltent<br />
que très peu et les laissent perdre le plus souvent ». Survienne<br />
la sécheresse et la mortalité décime les troupeaux surtout dans<br />
la plaine dont les habitants n'ont toujours comme sauvegarde<br />
que l'établissement d'azibs dans l'Ouarsenis. Le remède s'avère<br />
insuffisant et le cercle d'Orléansville perd en 1873 : 400 bœufs,<br />
200 veaux, 20.000 moutons, 12.000 agneaux, 16.000 chèvres et<br />
10.000 chevaux. L'année suivante ce n'est plus la sécheresse,<br />
mais le froid qui ravage un cheptel affaibli et la région d'Or<br />
léansville perd 122.449 moutons, 71.863 chèvres et 2.316 bœufs<br />
ce qui doit représenter à peu près la moitié du troupeau total.<br />
(1) G : Miliana 2" T. 1874, 1er et 2" T. 1876 ; Ténès 4« T. 1862. On trouve<br />
rait la preuve de l'échec des tentatives agricoles dans un grand nombre de<br />
rapports intéressant la fin de la période que nous étudions, par exemple.<br />
Orléansville, octobre 1874 et 1875 ; Ténès 3" et 4« T. 1870 ; Cherchel 4e T. 1868,<br />
1" 4'<br />
et T. 1874 ; Téniet-el-Had 1" et 2e T. 1872 ; Miliana 2e T. 1866. 4» T.<br />
1873, etc.. Il ne s'agit pas, on s'en doute, d'une situation particulière à notre<br />
région. Dans son rapport du 30 avril 1857, soumis à l'Empereur, le Maréchal<br />
Vaillant, ministre de la guerre, écrivait : « Je suis conduit à reconnaître<br />
que, malgré les efforts des bureaux arabes, l'indigène n'a fait aucun progrès<br />
en matière de procédés agricoles. Il cultive encore aujourd'hui comme il cul<br />
tivait avant la conquête ; il a étendu ses espaces d'ensemencements, il n'a<br />
point amélioré ses terres. Faute des instruments nécessaires pour labourer<br />
profondément, ses récoltes souffrent lorsqu'arrivent les temps de sécheresse<br />
et donnent un rendement de beaucoup inférieur à celui qui est obtenu par<br />
les colons européens ». Bordet (344) 41. En 1868 le général Lacretelle, fer<br />
vent défenseur du gouvernement militaire, reconnaît que k la colonisation<br />
arabe souffre (3) 16 et l'année suivante, Lunel, ancien officier de spahis,<br />
s'écrie après avoir constaté les méfaits de la famine : « que d'Arabes ne se<br />
raient pas morts de faim s'ils avaient connu ou su cultiver la pomme de ter<br />
re ! » (179) 85, enregistrant ainsi l'échec complet de cette culture.
— 372 —<br />
La catastrophe est du même ordre dans le cercle de Cherchel.<br />
Les fléaux sont donc restés les mêmes et leur ampleur n'a pas<br />
diminué (1).<br />
Nous avons déjà dit combien vains avaient été tous les<br />
projets de rénovation de l'industrie. Les rapports de toutes les<br />
régions concordent pour signaler que l'industrie indigène déjà<br />
peu développée avant l'occupation tend à disparaître devant<br />
la concurrence européenne,<br />
que la variété des produits n'a pas<br />
augmenté et que les procédés de fabrication sont encore ce<br />
qu'ils étaient au début de la conquête (2). C'est toujours l'in<br />
dustrie familiale engendrant des transactions réduites sur les<br />
marchés locaux. A la fin de la période considérée, le commerce<br />
d'exportation prend un développement plus grand, mais cela<br />
est dû essentiellement à l'établissement de la voie ferrée et non<br />
à l'action des Bureaux arabes.<br />
Il est incontestable que cette action, dans tous les domai<br />
nes envisagés, a eu pour terme un échec quasi complet; et on<br />
aboutit à cette conclusion même sans faire entrer en ligne de<br />
compte le recul démographique enregistré de 1856 à 1872 (3)<br />
et qui, attribuable au choléra de 1867 et à la famine de 1868,<br />
ne saurait être imputé, totalement, comme on l'a fait, à la<br />
politique des Bureaux arabes.<br />
Un tel insuccès mérite d'être expliqué.<br />
(1) G : Orléansville 4" T. 1874, 1" T. 1875, décembre 1874, janvier et fé<br />
vrier 1875 ; Cherchel 1" T. 1875. Renseignements du même ordre dans : Or<br />
léansville, janvier et décembre 1868, mars 1877, 3» T. 1877, 1" T. 1880, jan<br />
vier 1880 ; Ténès 4« T. 1874, l" T. 1875 ; Miliana 4» T. 1878.<br />
(2) En particulier, G : Orléansville 4» T. 1875, 2- T. 1876, 1" T. 1878 :<br />
Ténès 4" T. 1862, 4" T. 1863, 4* T. 1868, 1" et 2" T. 1874 ; Cherchel 1" T. 1864,<br />
2- T. 1874 ; Miliana 3« T. 1874 ; Téniet-el-Had 1" et 4« T. 1865.<br />
(3) Pour l'Algérie les statistiques de la population indigène donnent<br />
2.328.091 habitants en 1856 et 2.125.052 en 1872. Pour notre région, les Ta<br />
bleaux des établissements français de 1855-1856, 1865-1866 et la Statistique<br />
générale de l'Algérie (1867 à 1872) permettent d'établir qu'en 1856 la popu<br />
lation indigène était de 215.709 individus ; en 1866 elle s'élève à 234.874 pour<br />
tomber, en 1872, à 165.784, chute impressionnante, beaucoup plus brutale que<br />
celle qu'enregistre l'ensemble de l'Algérie.
IL —<br />
LES<br />
— 373 ~<br />
CAUSES DE L'ECHEC<br />
Causes d'importance secondaire tenant aux Bureaux arabes.<br />
Il faut d'abord se débarrasser d'un certain nombre de lieux<br />
communs et d'idées qui, pour être couramment exprimés, n'en<br />
sont pas moins des erreurs (1). Les polémistes,<br />
ont fini par<br />
faire admettre que les Bureaux arabes étaient le « linceul »<br />
sous lequel expirait la pauvre Algérie et ils ont repris contre<br />
eux le Dèlendm est Cathago (2).<br />
En ce qui concerne les genres de vie indigènes, l'œuvre de<br />
transformation aurait échoué parce qu'elle avait été entreprise<br />
par le régime militaire. Les Bureaux arabes se sont mal défen<br />
dus en invoquant l'inertie des Indigènes ou le rôle jugé néfaste<br />
de la colonisation. Avec le recul que donne le temps un autre.<br />
argument peut être invoqué qui met hors de cause le régime<br />
militaire en tant que tel : après la disparition des Bureaux<br />
arabes, l'évolution a-t-elle été si rapide sous l'égide de l'admi<br />
nistration civile ? Les fellahs ont-ils rapidement adopté les<br />
engins perfectionnés de l'agriculture française et l'élevage a-t-il<br />
subi cette amélioration profonde dont on rêvait sous le Second<br />
Empire ? On peut trouver la réponse à ces questions auprès<br />
des administrateurs actuels ou tout simplement, pour l'Algérie<br />
entière, dans le traité d'agriculture de Bivière (3). On verra<br />
que les mêmes caractères et les mêmes errements sont toujours<br />
signalés pour les cultures comme pour l'élevage.<br />
(1) III est évident qu'il ne s'agit ici que de l'œuvre entreprise par les Bu<br />
reaux Arabes pour faire évoluer les genres de vie indigènes. Leur action pu<br />
rement militaire ou politique, leur intervention dans le domaine religieux,<br />
leurs idées et leurs réalisations en matière d'instruction indigène sont autant<br />
de chapitres qui nécessiteraient de longs développements et dont nous ne<br />
préjugeons point les conclusions, mais qui dans tous les cas débordent le ca<br />
dre de notre sujet,<br />
(2) Bézy (42) 33 et 42.<br />
(3) Rivière : Traité pratique d'agriculture pour le nord de l'Afrique, 2<br />
volumes, nouvelle édition 1928-1929.
■374 —<br />
En matière d'habitat rural on trouve bien quelques réali<br />
sations sur l'ensemble du territoire algérien (1) et dans notre<br />
région en particulier, les créations du cardinal Lavigerie à<br />
Saint-Cyprien et à Sainte-Monique, dans la vallée du Chélif,<br />
mais il s'agit là de tentatives tout à fait locales qui ne modifient<br />
guère l'aspect de l'ensemble. Dans la commune de Ténès en<br />
1911, on compte, pour les Indigènes, 59 maisons à l'européenne<br />
contre 4.650 gourbis; dans la commune mixte du Chélif, seu<br />
lement 200 maisons de ce type, les habitants vivant en majo<br />
rité dans des gourbis et l'été sous la tente ; dans la commune<br />
mixte de Cherchel, encore en 1936, on ne bâtit guère à l'euro<br />
péenne. Est-ce vraiment un succès de constater qu'en 1936,<br />
70.000 familles indigènes habitent des maisons de type euro<br />
péen, alors que la population berbéro-arabe était alors de plus<br />
de six millions d'âmes ? Une conclusion s'impose : c'est seule<br />
ment de nos jours que l'on semble vouloir entreprendre métho<br />
diquement l'œuvre de transformation des genres de vie indi<br />
gènes avec la politique du Paysanat et les Secteurs d'améliora<br />
tion rurale; et encore en est-on à la période des essais, un siècle<br />
après la tentative de Lapasset à la smala de Ténès ! (2).<br />
S Une autre explication, étroitement liée à la précédente<br />
d'ailleurs, est d'attribuer l'échec des officiers à leur incom<br />
pétence. Les ennemis des Bureaux arabes ont prétendu que /<br />
le recrutement de ce service se faisait au hasard et que seuls /<br />
y<br />
sollicitaient leur admission des ambitieux désirant une carV<br />
rière rapide. La vérité paraît être toute différente. Il est certaip<br />
(1) Outre les tentatives avortées des Bureaux arabes dans le Sud, no<br />
tamment près de Djelfa et dans le cercle de Touggourt, on peut citer l'expé<br />
rience de Bédrabine dans l'arrondissement de Bel-Abbès ; celle des Pères<br />
Blancs dans le Chélif et en Kabylie et, présentant un caractère urbain, celle<br />
de M. Averseng à El Affroun et de M. Charles Lévy à Sétif. Voir Berque<br />
(171) 78 à 93. Plusieurs communes poursuivent actuellement la réalisation<br />
d'un plan d'habitations indigènes.<br />
(2) Il est remarquable de constater qu'un administrateur comme Ber<br />
que, ancien directeur des Affaires Musulmanes et des Territoires du Sud, re<br />
prenait, près d'un siècle après, les arguments des Bureaux arabes : « Il con<br />
vient écrit-il, ne serait-ce que dans un but égoïste de sécurité politique de<br />
stabiliser, d'enraciner dans la .glèbe.qui doit le nourrir ce paysannat destiné<br />
à devenir peut-être la plus ferme assise de notre domination. Ce qu'a com<br />
mencé notre loi foncière du 16 lévrier 1897, je veux dire la création d'une pe<br />
tite bourgeoisie rurale, nous devant la sécurité de ses titres immobiliers, il<br />
importe de le poursuivre par le progrès de l'habitation ». Berque (171) 99.
375-<br />
que les chefs de bureaux arabes mis dans l'obligation de résou<br />
dre de multiples problèmes ne pouvaient être compétents en<br />
toutes choses. Mais tous les administrateurs qui ont entre leurs<br />
mains le sort d'un territoire en sont là,<br />
avec cette différence<br />
qu'ils disposent des services de techniciens spécialisés. Ce que<br />
l'on peut mettre en cause dans ce cas, c'est, comme nous le<br />
ferons plus loin, l'insuffisance des moyens et non la qualité<br />
du personnel dirigeant. Après avoir dépouillé environ deux<br />
mille cinq cents rapports de chefs de bureaux arabes, nous<br />
d'Orléans- i<br />
avons acquis la certitude qu'à la tête des bureaux<br />
ville, Ténès, Cherchel, Miliana et Téniet-el-Had, se sont trou<br />
vés des offciers de grande valeur dont plusieurs, à l'exemple<br />
de Lapasset,<br />
possédaient même de sérieuses connaissances en<br />
matière agricole. Considérée dans son ensemble, et dans la<br />
région étudiée tout au moins,la valeur du personnel des Bureaux<br />
arabes ne semble donc pas devoir être mise en cause.<br />
Toutefois on pourrait distinguer deux moments dans la<br />
période étudiée. Hugonnet pense qu'après 1854 environ, le ser<br />
vice reçut des « sujets d'un mérite plus vulgaire » à cause de<br />
la politique extérieure active de l'Empire qui détournait les<br />
jeunes officiers de l'administration et parce que la paperas<br />
serie de plus en plus lourde décourageait les hommes les plus<br />
distingués (1). Lapasset, lui aussi,<br />
signale que la guerre<br />
d'Italie, les expéditions de Chine et du Mexique enlevèrent à<br />
l'Algérie les plus anciens et les meilleurs officiers des Bureaux<br />
arabes : le recrutement se fit difficilement, les traditions se<br />
perdirent, en un mot l'instrument se trouva « un peu ébré-<br />
ché » (2).<br />
Une différenciation plus profonde a été faite par Binn (3)<br />
qui, à la suite des Indigènes, distinguait, de part et d'autre de<br />
1858, les bureaux arabes « mekhaznya » ou de gouvernement<br />
et les bureaux arabes « hekkam » ou d'administration : les<br />
premiers, issus de la conquête elle-même,<br />
(1) Hugonnet (6) 192.<br />
plus autoritaires et<br />
(2) (121) I, 435 et II, 3. Avec Mac-Manon cependant et après 1863, les<br />
difficultés de recrutement disparurent.<br />
(3) Rinn (26) Livre X Chapitre 1. A. Bernard (41) 254 a repris cette<br />
division.
— 376 —<br />
plus actifs, les seconds, établis dans un pays pacifié, moins<br />
entreprenants, plus formalistes, plus fonctionnarisés pour<br />
tout dire.<br />
La lecture des rapports laisse, en effet, apparaître .'quel<br />
que différence entre les deux générations d'officiers, celle de<br />
la deuxième République et du début du Second Empire et celle<br />
qui n'avait pas connu les années de la conquête. De l'une à<br />
l'autre, le dynamisme semble avoir baissé. On ne retrouve plus,<br />
sauf chez Capifali cependant, l'ampleur de vues, l'imagination<br />
enthousiaste, les desseins parfois utopiques d'un Richard ou<br />
d'un Lapasset. On sent que la génération qui a vécu le roman<br />
tisme et le mouvement de 1848 fait place à celle qui connaît<br />
le roman réaliste et la philosophie scientiste.<br />
Et il y a peut-être autre chose. Devant les réactions des<br />
civils, les Bureaux arabes ont compris, plus ou moins nette<br />
ment, qu'ils travaillaient à leur perte et que, pour eux, réussir<br />
c*était disparaître. On trouve par exemple dans Baudicour<br />
(1), une_opinion intéressante du rapporteur du_çomité consul-<br />
tatif de l'ÂIgérïëT A propos de la fixation des Indigènes par<br />
la construction de maisons, celui-ci disait : « L'Arabe n'est<br />
plus à craindre parce qu'il devient saisissable en sa personne,<br />
sa famille et son bien. Il est donc superflu de recourir contre<br />
lui à des moyens de surveillance et de police exceptionnels »,<br />
c'est-à-dire aux Bureaux arabes! Un tel état d'esprit était évi-<br />
n'ëmmenT^pêlïnfalï^'diir stmîuler l'action des officiers, mais<br />
de là à affirmer qu'ils renièrent leur doctrine, il y a loin :<br />
si, après 1858 surtout, les initiatives se font moins nombreuses,<br />
l'action continue cependant et c'est seulement vers 1870 que<br />
l'institution de Bugeaud paraît perdre la foi qui l'avait sou<br />
tenue.<br />
Causes d'importance secondaire étrangères aux Bureaux arabes.<br />
Pour jutifier ses échecs, l'autorité militaire a parfois invo<br />
qué les circonstances historiques difficiles qu'elle connut à<br />
plusieurs reprises. Dans l'Ouest du Tell Algérois, c'est d'abord<br />
(1) Baudicour (38) 463.
la révolte de Bou-Maza,<br />
— 377<br />
puis l'insurrection de 1864 qui atteint<br />
le Dahra et enfin celle de 1871 qui détruit les résultats de plu-<br />
sieus années de labeur dans la région de Cherchel (1). Et l'on<br />
pourrait ajouter aussi la création du Ministère de l'Algérie en<br />
1858 qui laissa craindre aux Bureaux arabes la suppression ou<br />
tout au moins l'amoindrissement de l'autorité militaire. Mais,<br />
d'une part, des insurrections comme celles de 1864 ou de 1871<br />
n'ont atteint notre région que localement, sans déterminer un<br />
profond mouvement de révolte, et, d'autre part, le seul soulè<br />
vement ayant duré, celui de Bou-Maza (1845-1847), se place<br />
tout à fait au début de la période étudiée. Quant au Ministère<br />
de l'Algérie, dès 1859 avec Chasseloup-Laubat, il perdait son<br />
/caractère de réaction contre le régime militaire. La famine de<br />
1867-1868, que les Bureaux arabes furent impuissants à con<br />
jurer, serait une meilleure excuse si dans les années qui la<br />
précédèrent l'œuvre avait connu le succès, mais ce n'est pas<br />
le cas.<br />
Faute de pouvoir trouver des raisons suffisantes dans<br />
l'Histoire, les Bureaux arabes en ont appelé au caractère des<br />
Indigènes. Si le village des Chouchaoua s'est dépeuplé, c'est<br />
que 1'<br />
« esprit essentiellement tracassier de cette tribu ne s'ac<br />
commodait pas de demeures sédentaires » (2), ce qui n'expli<br />
que pas évidemment pourquoi les autres villages ont subi le<br />
même sort. Si les progrès sont lents, c'est qu'il est difficile<br />
de réagir contre la routine des Indigènes qui n'écoutent aucun<br />
conseil. Ils montrent de la mauvaise volonté lorsqu'il s'agit de<br />
bâtir; ils ont de la « répugnance pour le travail » et, devant<br />
les difficultés qu'il éprouve à faire construire de petits barra<br />
ges, Sériziat, du bureau arabe d'Orléansville, écrit en 1855 :<br />
« La paresse naturelle aux Arabes est le seul obstacle à ce que<br />
les plus simples de ces travaux soient faits depuis longtemps.<br />
Pour lés entreprendre, il faudra peser sur eux fortement et<br />
leur instinct répulsif à tout ce que n'avaient pas fait leurs<br />
pères est tellement prononcé que lors même qu'ils auront<br />
retiré de ces travaux de grands bénéfices, il faudra constam<br />
ment employer la rigueur pour les obliger à entretenir les tra-<br />
(1) G. Orléansville de mai à novembre 1864 ; Cherchel 1" T. 1872.<br />
(2) N 449, 1854, Orléansville, Inspection.
— — 378<br />
vaux, cause première de leur gain » (1). A Jubault qui les<br />
invite à planter des pommes de terre, les djemaas du cercle de<br />
Téniet-el-Had répondent que l'orge et le blé avaient toujours<br />
suffi aux besoins de leurs familles et qu'elles ne voyaient nulle<br />
ment la nécessité d'introduire cette nouvelle culture (2). Pen<br />
dant la famine de 1867-1868, ce fatalisme atteint une véritable<br />
grandeur et le courage tranquille avec lequel les Indigènes<br />
acceptent la pire des adversités, s'il est digne d'admiration,<br />
prouve aussi qu'il devait être difficile de les émouvoir en fai<br />
sant miroiter à leurs yeux une amélioration problématique de<br />
leurs conditions de vie obtenue par un surcroît de travail. Il<br />
y a là un obstacle psychologique, d'origine essentiellement reli<br />
gieuse, qu'il ne faut pas négliger, mais on a eu le tort de vou<br />
loir tout expliquer par lui.<br />
Or, les exemples ne manquent pas qui prouvent la bonne<br />
volonté des Indigènes. Malgré une récolte de coton presque<br />
nulle en 1864,<br />
un certain nombre de cultivateurs du cercle<br />
d'Orléansville demandent à recommencer l'essai de cette nou<br />
velle culture. Beaucoup veulent s'employer sur les chantiers<br />
de la route et dn chemin de fer dans la vallée du Chélif et les<br />
nomades eux-mêmes finissent par faire de bons ouvriers. Les<br />
Indigènes comprennent le rôle des grands travaux d'utilité<br />
publique et souvent accordent leur travail de bon gré pour la<br />
construction des caravansérails, des moulins, des barrages, des<br />
routes. On peut même trouver des rapports qui signalent l'em<br />
pressement des tribus à suivre les conseils donnés pour l'agri<br />
culture ou qui notent une bonne volonté générale et une « per<br />
sévérance continue ». Ne surestimons donc pas le rôle qu'a<br />
pu jouer la passivité des populations, surtout connaissant la<br />
toute puissance des Bureaux arabes (3).<br />
(1) N 474, 1855, Orléansville, novembre.<br />
(2) G. Téniet-el-Had, 4' T. 1861 et, dans le même sens : N 471, 1862, Té<br />
nès, janvier ; N 448, 1853, Orléansville, Inspection. G : Ténès 3« T. 1862, 4- T.<br />
1865, 1" T. 1870, 1" T. 1871 ; Cherchel 4« T. 1857, 2" T. 1862, etc..<br />
(3) N 463, 1847, Orléansville 1" q. de mai. N 468, 1869, Téniet-el-Had<br />
2* q. de mars. N. 469, 1850, Orléansville, mars. N 448, 1853, Miliana, Cherchel,<br />
Téniet-el-Had, Inspections. N 449, 1854, Cherchel, Inspection. G : Orléansville<br />
3e T. 1865 ; Ténès 4" T. 1867 - Mac-Mahon : Mémoires. Souvenirs d'Algérie.<br />
Paris 1932, 337 p. à la p. 328.
— — 3T9<br />
II reste à envisager le rôle de la colonisation européenne.<br />
Les Bureaux arabes sont aussi formels à son égard que les<br />
civils à l'égard du régime militaire. Pour eux, sauf au début<br />
de notre période, le Colon est un obstacle à l'œuvre qu'ils ont<br />
entreprise. Suivant Lapasset, si les Indigènes ont cessé de bâtir<br />
des maisons, de planter des arbres et d'évoluer, c'est parce t<br />
que les convoitises des Colons pour les terres ont été tellement<br />
ardentes qu'ils ont forcé « le gouvernement algérien » à i<br />
renoncer à cette politique. Ils craignaient que ces améliora<br />
tions du sol considérées comme droits imprescriptibles de pos<br />
session ne rendissent impossible le refoulement (1). L'argument<br />
est de peu de valeur lorsqu'on sait combien était grande l'in<br />
fluence des Bureaux arabes sur le gouvernement militaire de<br />
la colonie et surtout combien ils étaient les maîtres dans les<br />
territoires qu'ils administraient.<br />
V D'autre part, après les événements de 1870, l'autorité mi<br />
litaire se faisant plus souple, et consciente de son échec, ex<br />
prime à plusieurs reprises l'idée que seule la pénétration de<br />
l'élément européen dans les tribus pourra montrer aux Indi<br />
gènes la supériorité et l'efficacité de nos moyens agricoles :<br />
optimisme aussi peu justifié d'ailleurs que l'était l'anathème<br />
jeté sur la colonisation. On s'est beaucoup leurré, en effet, sur<br />
le rôle d'éducateurs que pouvaient jouer les Colons isolés dans<br />
le bled et réduits à leurs faibles moyens. D'abord, certains<br />
échouèrent totalement en voulant transplanter tels quels les<br />
procédés culturaux ou les espèces cultivées dans la Métropole,<br />
en matière de blé par exemple; ils ne pouvaient par conséquent<br />
prétendre au rôle de moniteurs. Beaucoup d'autres, moins<br />
actifs ou plus prudents, employaient des Arabes pour labourer<br />
et moissonner leurs concessions et, loin de leur apprendre les<br />
procédés de la culture européenne, ils utilisaient les charrues<br />
de bois et l'attelage des Indigènes. Ils imitaient les fellahs et<br />
s'en remettaient à des khammès. C'était l'assimilation à re<br />
bours (2).<br />
(1) (121) 378, 400.<br />
(2) N 470, 1851, Téniet-el-Had, juillet. N 475, 1856, Miliana 3« T.<br />
G : Miliana 2» T. 1875 ; Téniet-el-Had 2- T. 1875.
— — 380<br />
Ainsi, que nous examinions les arguments fournis par les<br />
adversaires du régime militaire ou ceux qu'invoquent à leur<br />
propre décharge les Bureaux arabes, nous avons l'impression<br />
que les causes essentielles sont ailleurs. On peut en dégager<br />
deux qui se complètent et donnent à elles seules une explica<br />
tion satisfaisante : l'insuffisance des moyens et la complexité<br />
du problème de la transformation des genres de vie indigènes.<br />
L'insuffisance des moyens.<br />
Elle est notoire aussi bien chez les Indigènes que chez<br />
ceux qui s'étaient institués leurs éducateurs.<br />
Remarquant en 1860 que les procédés de culture ne pré<br />
sentaient aucune amélioration notable, Lavondes, dirigeant le<br />
bureau arabe de Ténès,<br />
pense que cet état de choses « ne doit<br />
pas être attribué à la mauvaise volonté des Arabes et au peu<br />
de cas qu'ils font de nos conseils, mais bien au manque absolu<br />
de numéraire qui ne permet pas aux fellahs de se procurer<br />
actuellement les instruments améliorateurs à si bas prix qu'ils<br />
puissent être » (1). C'est un son de cloche qui retentit sou<br />
vent. Comme l'écrit Gaulet à Cherchel, les Indigènes « tirent<br />
de leurs terres tout le parti désirable dans la proportion de<br />
leurs ressources ». Comment demander d'acheter des charrues<br />
françaises à des gens qui sont parfois trop<br />
pauvres pour avoir<br />
même un âne ! (2). C'était là un obstacle d'importance et cela<br />
est si vrai que les Indigènes évoluent beaucoup plus rapide<br />
ment lorsqu'ils s'enrichissent : après la guerre de 1914-1918<br />
par exemple, le nombre des maisons et des fermes bâties à<br />
l'européenne a augmenté sensiblement parce que le fellah<br />
désirait matérialiser son argent, tandis que la crise qui survint<br />
en 1930 a ralenti le mouvement.<br />
Pour remédier à la pauvreté des fellahs, il aurait fallu<br />
mettre à la disposition des Bureaux arabes des moyens puis<br />
sants. Or, que voyons-nous ? Une administration le plus sou-<br />
(1) G. Ténès 4« T. 1860.<br />
(2) G : Cherchel 4- T. 1856, 2" T. 1861, 3' T. 1862, 1" T. 1874 ; Miliana<br />
4-<br />
'<br />
T. 1874.
— 381 —<br />
vent démunie de disponibilités financières. Pas d'argent pour<br />
encourager les Arabes qui bâtissent. Pas de fonds à consacrer<br />
à<br />
l'aménagement des sources et à la construction des puits.<br />
Pour effectuer les travaux nécessaires à l'irrigation des terres<br />
des Hachem et des Sbahia, on doit s'en remettre à la générosité<br />
des propriétaires aisés. Suivant Sériziat, les primes distribuées<br />
prouvent le caractère philanthropique de l'administration mi<br />
litaire, mais, vu leur faible importance, elles ont surtout un<br />
effet moral, l'effet matériel restant minime. Capifali pense<br />
aussi qu'elles ne suffisent pas pour obtenir une transformation<br />
rapide de l'élevage (1). On croit rendre hommage aux Bureaux<br />
arabes en disant qu'ils furent une administration peu coûteuse.<br />
Le compliment ne vaudrait que si l'économie n'avait pas nui<br />
à l'efficacité de leur action.<br />
A défaut d'argent ont-ils reçu le personnel et les moyens<br />
matériels que requérait l'œuvre entreprise ? Nous avons déjà<br />
signalé l'étonnante faiblesse numérique de cette administration<br />
et les conséquences ne sauraient étonner. La culture de la vigne<br />
échoue en 1862 dans le cercle d'Orléansville parce que les offi<br />
ciers du bureau arabe, trop peu nombreux, ne peuvent surveiller<br />
les travaux. Il en va à peu près de même pour le coton : c'est<br />
à peine si le bureau arabe d'Orléansville peut détacher parfois<br />
«un interprète» (sic) pour enseigner cette culture. Les moniteurs<br />
surtout sont rares et cela explique en particulier que la faux<br />
se répande lentement dans la région de Cherchel. Les besoins<br />
du service empêchent souvent de détacher des soldats pour<br />
s'occuper de l'éducation agricole des Indigènes et les chefs de<br />
mandent en vain à Orléansville de la main-d'œuvre militaire<br />
pour guider leurs khammès dans l'édification des meules. En<br />
1855, dans tout le cercle, on ne dispose que de cinq soldats fau<br />
cheurs et emmeuleurs pour diriger les Arabes.<br />
Faute d'avoir un personnel nombreux, et aiguillonnée aussi<br />
par un vain sentiment d'orgueil, l'administration militaire tra<br />
vaille souvent dans une hâte fébrile. Pour construire les cinq<br />
villages des Abid-et-Feraïla, on s'adresse à la main-d'œuvre mi<br />
litaire et à des Indigènes, et ces villages, totalisant 190 maisons,<br />
(1) N 469, 1850, Miliana, février. N 475, 1856, Orléansville, 3» T.<br />
G : Orléansville 4' T. 1856, 1" T. 1865, 1" T. 1874 ; Ténès 3* T. 1862.
382-<br />
sont construits en trois semaines. Il est certain que des maçons<br />
auraient mis plus longtemps, mais il est non moins certain que<br />
la solidité eût été plus grande. Quand on a connaissance de<br />
pareils records on ne s'étonne plus de voir les maisons s'effon<br />
drer quatre ou cinq<br />
ans après leur construction (1).<br />
Et le personnel n'est pas seul à être déficient. Les engins<br />
que l'on distribue, et notamment les charrues, sont parfois de<br />
mauvaise qualité et peu propres à inspirer confiance aux Indi<br />
gènes. On ne dispose pas d'assez de plants pour développer les<br />
cultures arbustives. Les semences sont aussi en quantité insuf<br />
fisante pour la pomme de terre comme pour les céréales. En<br />
1867, à la suite d'une mauvaise année, les labours se trouvent<br />
réduits de plus de moitié dans le cercle de Téniet-el-Had, et Le<br />
Brun de constater mélancoliquement : « Nous aurions dû met<br />
tre toute notre sollicitude à ne point laisser à aucun prix baisser<br />
l'importance des labours qui étaient seuls susceptibles de rele<br />
ver la position. Il est évident que du moment que nous laissons<br />
la production s'affaiblir, nous entretenons dans le pays une<br />
cause de misère permanente » (2).<br />
Quand les semences ne manquent pas, elles sont de mau<br />
vaise qualité ou arrivent trop tard. C'est le cas, en 1854, pour<br />
le coton : les graines envoyées par la pépinière d'Alger ne don<br />
nent aucun résultat, alors que réussissent celles venues d'Amé<br />
rique; l'effet est désastreux car,<br />
sur les conseils du bureau<br />
arabe, les Indigènes avaient consacré à la nouvelle culture les<br />
terres habituellement réservées aux melons, pastèques, auber<br />
gines, oignons, dont ils se trouvent privés. En 1868, la récolte<br />
des céréales dans le cercle de Ténès subit les conséquences d'un<br />
arrivage de grains avariés reçus l'année précédente. Résultats<br />
aussi déplorables lorsque les répartitions se font attendre :<br />
trop<br />
en 1858, dans la région de Cherchel, la récolte de coton est me<br />
nacée parce que les graines n'arrivent pas à temps;<br />
en 1862,<br />
dans le cercle d'Orléansville, les livraisons de plants de vigne<br />
et de semences de pommes de terre sont tardives et la culture<br />
s'en trouve compromise. Plutôt que d'attendre en vain les grains<br />
(1) N 473, 1854, Orléansville, octobre. N 476, 1857, OrléansviUe, avril.<br />
G : Orléansville 3' et 4- T. 1862, 1" T. 1863, mai 1863 ; Cherchel 2- T. 1860.<br />
(2) N 469, 1850, Ténès, janvier. N 470, 1851, Cherchel, février.<br />
G : Ténès 1« T. 1861, 4« T. 1866, 2- T. 1868 ; Téniet-el-Had 4- T. 1867.
— — 383<br />
qu'on doit leur distribuer à titre de prêts pour ensemencer, les<br />
Indigènes préfèrent parfois emprunter à des taux usuraires (1).<br />
Cette insuffisance de moyens, tant du côté de leurs admi<br />
nistrés que du côté de leur propre administration, explique que<br />
les Bureaux arabes aient eu essentiellement recours à la mé<br />
thode de l'exemple. Aux raisons données plus haut pour expli<br />
quer l'action des Bureaux arabes parles; chefs (p. 122-126), il faut<br />
ajouter celle-ci, capitale : seuls les chefs avaient, grâce à leur<br />
fortune, la possibilité d'entreprendre une réforme en matière<br />
d'habitat ou d'agriculture. Mais quelle pouvait être l'efficacité<br />
de cette méthode ? Comment espérer par exemple que la révo<br />
lution dans les coutumes qu'entraînait l'édification de la maison<br />
de pierres pût être obtenue simplement par l'exposition, aux<br />
frais de quelques chefs de tribus, d'un spécimen de maison euro<br />
péenne ? Même en admettant que les Indigènes aient eu le désir<br />
(et ils ne l'avaient pas) d'adopter la nouvelle bâtisse avec tout<br />
son confort, ils se seraient trouvés dans la situation du visiteur<br />
qui, dans une exposition automobile, admire les réalisations de<br />
la technique moderne, mais n'ose même pas rêver d'une voiture<br />
ancien modèle. En matière de transformations économiques et<br />
sociales, la politique de la vitrine ne peut mener bien loin.<br />
La complexité du problème.<br />
Ce qui aggravait les conséquences du manque de moyens,<br />
c'est que le problème de la transformation des genres de vie<br />
indigènes est d'une extrême complexité et que, dans les débuts<br />
au moins, on ne semble pas s'en être aperçu (2).<br />
(1) N 473, 1853, Orléansville, juin.<br />
G : Orléansville 1" et 2e T. 1862, novembre 1866 ; Ténès 2f T. 1868 ; Cher<br />
chel 1" T. 1858.<br />
(2) Pour être juste toutefois il faut signaler que, dès 1854, le capitaine<br />
Javary écrivait (71) 87-88 : « Faites bâtir des maisons ou planter des jar<br />
dins, introduisez des cultures nouvelles, faites construire des fontaines ou<br />
percer des routes en pays arabes, élever des barrages, reboiser des montagnes<br />
ou greffer des sauvageons : mais, dites-moi, qui s'intéressera à ces travaux.<br />
qui veillera à leur entretien journalier et songera à en tirer quelque utilité<br />
puisqu'ils supposent des habitudes de vie toutes différentes. Presque tous<br />
ceux à qui on les imposera les considéreront comme des saignées faites à leur<br />
bourse dans notre intérêt, non dans le leur. Iront-ils s'imaginer que nous<br />
voulons les ramener à la vie sédentaire, mais dans quel but et en quoi cette<br />
existence leur paraîtra-t-elle préférable à la vie nomade ?... »
— — 384<br />
Le genre de vie indigène était un tout qui résultait d'une<br />
adaptation étroite à un milieu déterminé et à des possibilités<br />
limitées. L'habitat instable se justifiait : l'Indigène labourait des<br />
parcelles souvent très éparpillées; il devait éloigner de la dent<br />
de ses bêtes le blé ou l'orge qui apparaissaient ; il lui fallait<br />
abandonner un espace qu'un trop long séjour rendait inhabi<br />
table par suite de l'accumulation des ordures; il partait donc<br />
et plantait sa tente où il y avait de l'herbe pour ses troupeaux.<br />
Il utilisait un outillage primitif ? Mais pourquoi les Colons l'ont-<br />
ils imité souvent,<br />
après avoir essayé de moyens plus perfection<br />
nés ? C'est que, vu le milieu, le fellah produisait encore le plus<br />
économiquement possible avec les plus grandes chances de reve<br />
nus. Aussi Bichard conseille-t-il aux Colons de ne pas innover<br />
au début et voici ses conseils :<br />
« Il est incontestable que, si le colon veut cultiver ici comme<br />
il le fait en Europe, son exploitation ne le mènera pas loin. Si,<br />
pour se mettre à l'œuvre, il lui faut acheter une charrue de<br />
deux mille francs, passer deux fois la terre avant d'y<br />
jeter la<br />
semence, et payer un laboureur dix francs par jour, il n'est pas<br />
besoin d'être expert en calcul pour démontrer qu'il se ruinera et<br />
qu'il ne produira rien; mais, qu'au lieu d'agir de cette folle ma<br />
nière, il veuille bien se contenter de la modeste charrue indi<br />
gène qui, à la rigueur, montée avec des ânes, ne lui coûtera,<br />
prête à fonctionner, que 75 francs; qu'au lieu de payer 10 francs<br />
par jour celui qui doit la conduire, il daigne prendre le kham<br />
mès arabe qui ne lui réclamera son salaire qu'à la récolte,<br />
et le<br />
laisse cultiver à sa guise, sa situation et ses résultats changeront<br />
du tout au tout... » (1).<br />
Il ne faut pas voir là une admiration des procédés indigè<br />
nes ou un désir d'assimilation à rebours,<br />
mais simplement<br />
l'idée qu'il était nécessaire de se plier momentanément aux con<br />
ditions du milieu avant de vouloir en entreprendre la trans<br />
formation.<br />
Cette transformation, on crut pouvoir la réaliser par frac<br />
tions sans se rendre compte que modifier une partie de ce tout<br />
que constituait le genre de vie indigène en maintenant les au-<br />
(1) Richard (18) 68.
très,<br />
— 385<br />
c'était rompre une harmonie, c'était jeter le trouble dans<br />
un ensemble dont toutes les pièces jouaient solidairement. Par<br />
exemple,<br />
l'établissement d'un habitat fixe supposait résolu le<br />
problème du groupement des intérêts autour de la maison,<br />
c'est-à-dire trouvé le moyen de faire vivre le troupeau sur un<br />
espace limité et d'obtenir tous les ans d'un même champ une<br />
récolte suffisante. En d'autres termes, l'édification de la maison<br />
de maçonnerie préjugeait déjà un Indigène devenu sédentaire.<br />
Elle présumait aussi une propriété bien établie,<br />
car comment<br />
admettre que l'on puisse développer l'habitation fixe sans se<br />
prononcer sur l'étendue et les limites du territoire que chacun<br />
pourra exploiter ? (1).<br />
L'introduction d'un outillage plus moderne ou l'innovation<br />
d'une méthode culturale soulève des problèmes du même ordre.<br />
On pense, entre autres choses, du jour au lendemain, pouvoir<br />
remplacer la faucille par la faux. On y réussit assez bien dans<br />
le cercle d'Orléansville à cause de l'importance des plaines, mais<br />
non dans celui de Cherchel où la configuration du terrain ren<br />
dait l'emploi de cet instrument impossible en beaucoup d'en<br />
droits. D'autre part, la faux coupe aussi bien les herbes consti<br />
tuant le futur pâturage des bestiaux que le blé ou l'orge et cela<br />
d'autant plus que la taille des céréales indigènes est très basse.<br />
Vu cette faible longueur des tiges, le ramassage des javelles,<br />
mêlées aux herbes, s'en trouve alors compliqué. Il faudrait donc<br />
obtenir des blés plus haut, c'est-à-dire pratiquer des labours<br />
plus profonds et on se heurte ainsi à de nouvelles difficultés.<br />
Tandis qu'avec la faucille les travailleurs lient en même temps<br />
les gerbes qui peuvent être ramassées plus facilement et em-<br />
(1) N 443. Blangini, commandant la division d'Alger, dans une lettre au<br />
gouverneur (du 4-12 1847), traitant des constructions et du cantonnement,<br />
pense « qu'il ne serait pas prudent de presser l'exécution des constructions<br />
par les arabes avant d'avoir établi régulièrement leurs droits à la propriété.<br />
Il est facile de concevoir, en effet, que Ifétat éventuel dans lequel sont les<br />
propriétés indigènes est le principal obstacle à la mise à exécution des pro<br />
jets qui tendent à créer sur le sol des établissements stables ».
— — 386<br />
portées à l'aide des bêtes de somme (1). Il y a bien la question<br />
de rapidité dans l'exécution de la moisson, mais le champ n'est<br />
pas si vaste et le temps n'a jamais manqué en pays d'Allah !<br />
On peut multiplier les exemples montrant l'interdépen<br />
dance des éléments du problème de la transformation des gen<br />
res de vie. Conseiller aux Indigènes d'élever des abris pour leurs<br />
troupeaux, c'était les inviter à trouver, en un lieu déterminé,<br />
des pâturages suffisamment abondants pour alimenter les bêtes<br />
pendant un long séjour : était-ce possible dans des régions brû<br />
lées par le soleil une grande partie de l'année ? Pouvait-on espé<br />
rer avec l'herbe souvent très courte des pâturages algériens faire<br />
des réserves de foins suffisantes pour des milliers d'animaux ?<br />
Le développement des prairies artificielles apporterait évidem<br />
ment une solution,<br />
mais c'est alors une révolution totale qui<br />
suppose résolue la question de l'eau. Allons plus loin : connais<br />
sant le laisser-aller des Indigènes dû en grande partie à leur<br />
ignorance, était-il même souhaitable de ramasser ainsi en un<br />
espace restreint un cheptel nombreux qui, dans l'abri, échappe<br />
rait bien au froid, mais serait sans doute ravagé par les épidémies<br />
qui ne manqueraientpas de se répandre sous ces hangars devenus<br />
des foyers d'infection ? Confier une bergerie à des gens qui n'en<br />
voient pas l'utilité et ne sauraient l'entretenir, ce serait proba<br />
blement remplacer un mal par un autre. Il y a évidemment une<br />
éducation technique préalable qui ne se conçoit pas sans berge<br />
ries-modèles.<br />
Difficultés du même ordre lorsqu'il s'agit de multiplier les<br />
plantations. Les visites de la pépinière d'Orléansville ont incul<br />
qué aux chefs le goût des arbres. Ils créent des vergers, mais,<br />
écrit Lapasset,<br />
« il faut convenir que tant de travaux sont loin<br />
(1) G. Cherchel 2? T. 1861 et Miliana 2? T. 1874. On pourrait ajouter que<br />
l'emploi de la faucille semble répondre à une société d'esprit communautaire<br />
soucieuse de réserver les chaumes à la collectivité (Revue historique, avriljuin<br />
1948, p. 177), ou y voir le désir de pallier la pénurie de fumier grâce aux<br />
détritus de paille qui enrichissent le sol après la pâture des bestiaux, ou en<br />
core invoquer la loi du moindre effort puisqu'il s'agit d'un instrument facile<br />
à manier et dont l'emploi a pour conséquence des économies de transport (de<br />
la paille au douar et du fumier au champ). Pour reprendre une expression<br />
de M. Sorre (Annales de. géographie, avril-juin 1948, p. <strong>108</strong>), on se trouve en<br />
présence d'un cas « d'étroite cohésion d'un genre de vie adapté au milieu »<br />
et on comprend que l'Indigène ait éprouvé de grosses difficultés à « s'affran<br />
chir de son instrument ».
— 387 —<br />
de produire les effets qu'on devrait en attendre ; l'ignorance<br />
préside à tous les essais et l'on compte vingt tentatives avortées<br />
pour un succès. Patience, persévérance, opiniâtreté, c'est la de<br />
vise qu'il faut suivre » (1). Belle devise, mais qui ne saurait<br />
suffire cependant.<br />
Dans le cercle de Cherchel, les montagnards réussissent bien<br />
en arboriculture, produisant en particulier des quantités consi<br />
dérables de figues et d'amandes auxquelles s'ajoutent les rai<br />
sins très abondants. La production dépasse les besoins de la<br />
consommation et pourrait encore s'étendre, mais alors se pose<br />
la question : comment exporter et d'où viendraient les grains<br />
indispensables si l'arboriculture couvrait des surfaces de plus<br />
en plus étendues ? Et en 1875-1876,<br />
on demande toujours une<br />
bonne route qui mettrait en communication le littoral avec le<br />
Chélif (2). Ici, c'est le problème des relations qui paraît condi<br />
tionner tous les autres.<br />
Que n'a-t-on pas dit aussi contre la charrue indigène inca<br />
pable de rendre aucun service. Et cependant ? Est-on certain<br />
tout d'abord que l'introduction ex abrupto de la charrue fran<br />
çaise soit, dans tous les cas, le souverain bien ? Les officiers des<br />
Bureaux arabes se sont posé la question : une culture plus inten<br />
sive n'épuiserait-elle pas rapidement le sol ? Pourrait-on même<br />
manier une charrue lourde sur des pentes abruptes où jusqu'a<br />
lors on avait labouré à la pioche ? Suivant le chef du Bureau<br />
arabe de Cherchel en 1863, pour que cette charrue soit adoptée<br />
par l'Indigène, elle devrait être rendue presque aussi légère que<br />
l'araire du pays (3). Il faudrait aussi résoudre le problème de<br />
l'acquisition d'un instrument coûteux par des fellahs miséreux.<br />
Mais, même en supposant des distributions gratuites, il ne man<br />
querait pas encore d'obstacles à surmonter. Ainsi dans le cercle<br />
de Ténès, en 1861, quelques chefs indigènes avaient fait venir<br />
des charrues françaises pour tâcher d'obtenir un rendement<br />
plus considérable, mais leurs khammès n'étant pas guidés par<br />
des moniteurs, ils avaient dû les abandonner parce que ce nou<br />
veau mode de labour, avec lequel les cultivateurs n'étaient pas<br />
(1) N 471, 1852, Orléansville, août.<br />
(2) G. Cherchel 4» T. 1875 et 1" T. 1876.<br />
(3) G : Cherchel 3» T. 1862, 1" T. 1863, 1" T. 1870, 1" T. 1875 : Ténès<br />
4" T. 1873.
— — 388<br />
familiarisés, s'était révélé plus onéreux que productif. Qui enfin,<br />
loin des centres européens, aurait pu effectuer les réparations<br />
indispensables à un outillage perfectionné, d'autant plus vite<br />
détérioré qu'il serait confié à des mains inexpertes ? (1).<br />
Plus délicate encore était la question des animaux de<br />
labour. D'abord les charrues françaises s'adaptaient difficile<br />
ment aux jougs arabes et, dans le cercle de Téniet-el-Had, c'est<br />
une difficulté qui a fait échouer les premiers essais. Surtout<br />
intervenait le manque de puissance des bêtes utilisées aux<br />
labours. Poliot, chef du bureau arabe de Cherchel en 1857, le<br />
constate en ces termes : « En France, écrit-il, où la culture est<br />
perfectionnée, on emploie ces mêmes charrues en y attelant<br />
deux et quatre bons chevaux ou bœufs conduits par des labou<br />
reurs entendus et l'on obtient de bons résultats; il n'est donc<br />
pas étonnant de voir nos Arabes échouer contre un obstacle<br />
qu'ils ne peuvent surmonter. » A maintes reprises, les officiers<br />
reviennent sur ce côté de la question et le chef du bureau de<br />
Miliana, en 1861, voit très clairement que l'on fait fausse route :<br />
« Depuis plusieurs années, note-t-il, l'administration supérieure<br />
pousse à l'introduction de la charrue française dans les cultures<br />
arabes; évidemment cette idée est excellente,<br />
mais à la condi<br />
tion d'avoir des bêtes suffisamment fortes. En d'autres termes, il<br />
ne faut pas mettre la charrue devant les bœufs. Améliorons donc<br />
le moteur avant de songer à décupler la puissance de la machine<br />
à laquelle il doit s'appliquer;<br />
en un mot mettons les bœufs à<br />
leur place, ce que nous n'avons point assez fait jusqu'ici; encou<br />
rageons l'élève de la race bovine, améliorons et régénérons<br />
sa race, stimulons les éleveurs par des primes... » Il ne s'agit<br />
plus de trouver un engin perfectionné mais de se procurer des<br />
taureaux reproducteurs et d'établir des comices agricoles au sein<br />
des tribus. Ce n'est plus un problème mécanique, mais un pro<br />
blème d'élevage, et la difficulté n'est pas moindre, car il faut<br />
amener l'Indigène à modifier ses habitudes et à soigner ses<br />
bêtes. Il s'agit non seulement d'une éducation technique, mais<br />
même morale (2).<br />
(1) G. Ténès 4' T. 1861, 4» T. 1863, 1" et 4« T. 1875.<br />
(2) N 476, 1857, Téniet-el-Had, rapport annuel.<br />
G : Cherchel 4« T. 1857, 4' T. 1862 ; Miliana 4" T. 1861, 2» et 3- T. 1865<br />
Ténès 4" T. 1874 ; Téniet 1" T. 1874.
— — 389<br />
Ajoutons que l'araire et son attelage répondent à une tech<br />
nique très différente de celle du labourage à la manière euro<br />
péenne. Pour le Colon, comme pour le paysan de France, le<br />
labour a pour but de remuer la terre avant de lui confier le<br />
grain qui sera recouvert par un autre instrument. Pour l'Indi<br />
gène qui sème d'abord, il s'agit d'effectuer ensuite non un véri<br />
table labour,<br />
mais un simple grattage qui ensevelira la graine<br />
plus ou moins convenablement. Remplacer l'antique « madmad »,<br />
ne pénétrant qu'à quelque cinq centimètres, par une charrue s'en-<br />
fonçant à quinze ou vingt centimètres, cela signifiait que le semis<br />
suivrait le labour au lieu de le précéder et qu'il faudrait com<br />
pléter la charrue par une herse pour enfouir les grains et peut-<br />
être par un rouleau pour briser les mottes, sans compter qu'un<br />
bon labour à la charrue française laisse, après la moisson, un<br />
champ dénudé, tandis que les plantes vivaces, dont les pousses<br />
ont été respectées par l'araire, reparaissent rapidement en cul<br />
ture indigène et assurent les besoins du troupeau. Il ne s'agit<br />
donc pas seulement de remplacer une charrue par une autre,<br />
mais d'adopter toute une méthode culturale différente et d'aban<br />
donner des habitudes ancestrales.<br />
Nous en arrivons donc à cette conclusion qu'il était impos<br />
sible de modifier par pièces le genre de vie indigène. Il fallait<br />
substituer un tout à un autre tout. Il n'y avait pas à résoudre<br />
un problème de la faux, un autre de la1 charrue, un troisième de<br />
l'élevage du mouton, de l'arboriculture ou de la pomme de terre.<br />
Il y avait, dans son ensemble, le problème du genre de vie indi<br />
gène qui demandait une concordance des efforts, non seule<br />
ment dans les différents domaines de l'agriculture, mais aussi<br />
dans ceux de l'industrie, des échanges, de l'instruction techni<br />
que, de l'éducation morale. Il y avait à envisager la transforma<br />
tion même du milieu par l'amélioration des sols et surtout<br />
l'aménagement des eaux. Autrement dit, avec ou sans contrainte,<br />
le progrès devait être général ou ne pas être.<br />
Cette révolution demandait des moyens considérables, une<br />
politique continue et une action s'èxerçant partout à la fois.<br />
Nous avons dit ce qu'il fallait penser des moyens dont disposè<br />
rent les Bureaux arabes (1). Si maintenant,<br />
nous élevant au-<br />
(1) Les défenseurs des Bureaux arabes sont d'accord sur ce point avec<br />
leurs adversaires. Bardy (37) 20, 28, voudrait voir à peu près tripler le nom<br />
bre de bureaux afin- de réduire l'étendue administrée par chacun d'eux.
— 390 —<br />
dessus des faits presque quotidiens enregistrés par l'adminis<br />
tration militaire, nous essayons d'envisager dans leur ensemble<br />
les efforts des officiers,<br />
que constatons-nous ? D'abord que la<br />
continuité des rapports cache mal le caractère discontinu de<br />
l'activité des Bureaux arabes. Celle-ci connaît des hauts et des<br />
bas, des périodes aux réalisations nombreuses suivies d'autres<br />
ternes. Aux premières se rattachent l'œuvre accomplie sous<br />
Bugeaud, sous Randon et, à un moindre degré, celle réalisée<br />
pendant le gouvernement de Pélissier;<br />
aux secondes appartien<br />
nent sans doute la période qui suit le départ de Bugeaud et les<br />
événements de 1848, celle des inquiétudes provoquées par la<br />
création du Ministère de l'Algérie et surtout les dernières années<br />
du Gouvernement de Mac-Mahon au cours desquelles les mau<br />
vaises récoltes, le choléra, la famine s'abattent sur une adminis<br />
tration mal préparée à conjurer de telles carastrophes, et l'écra<br />
sent.<br />
De plus, on a l'impression, en lisant les rapports des Bu<br />
reaux arabes, que l'administration militaire a envisagé l'une<br />
après l'autre les transformations à apporter. Certains ont parlé<br />
de modes changeantes. Sans aller jusque-là,<br />
on doit constater<br />
que l'on s'attache surtout au début à la construction des mai<br />
sons et des villages que l'on abandonne ensuite complètement.<br />
On s'efforce alors de modifier les cultures ou l'élevage, parfois<br />
simplement par la sélection des variétés et des races locales,<br />
parfois au contraire par l'introduction de plantes nouvelles ou<br />
de reproducteurs étrangers au pays. Un moment les travaux<br />
publics sont à l'honneur et on multiplie les cotisations volon<br />
taires en vue de les développer. Le commerce avec le Sud sem<br />
ble dans d'autres cas devoir retenir toute l'attention des bureaux<br />
à moins que ce ne soit la question des écoles à créer dans les<br />
douars. En somme, des solutions successives à des problèmes<br />
qui paraissaient divers, des tâtonnements, la politique des petits<br />
paquets ou des retouches avec laquelle on ne risqué que des<br />
échecs partiels, mais jamais aussi un véritable succès.<br />
Et quand on a ainsi analysé les causes qui expliquent les<br />
échecs des Bureaux arabes et mesuré l'ampleur des desseins<br />
avortés, ce qui étonne, ce n'est pas que l'œuvre n'ait pu être<br />
menée à bien, c'est qu'elle ait pu être entreprise et que la liste<br />
des échecs soit, tout de même, de loin en loin,<br />
un succès.<br />
interrompue par
Bibliographie
Documents d'Archives<br />
Ils nous ont fourni l'essentiel de notre documentation tant à Paris<br />
qu'à Alger.<br />
I. —<br />
ARCHIVES<br />
NATIONALES<br />
Dans la sous-série F 80 concernant l'Algérie, nous avons consulté 35 cartons<br />
qui peuvent être groupés sous trois rubriques : cartons contenant les rapports<br />
dès bureaux arabes; cartons contenant les rapports d'inspection des bureaux<br />
arabes; cartons divers. ><br />
N°du<br />
carton<br />
461<br />
462<br />
463<br />
DESIGNATION<br />
DU CARTON<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1846.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1846-<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1847.<br />
INVENTAIRE SOMMAIRE (1)<br />
1°) Cartons contenant les rapports des bureaux arabes<br />
Contient trois documents concernant les divi<br />
sions d'Alger, d'Oran et de Constantine :<br />
a) Centralisation des rapports de quinzaine des<br />
bureaux arabes pour la 2me quinzaine de mars et<br />
la 1"<br />
quinzaine d'avril 1846 ;<br />
renseignements<br />
groupés par subdivision; un tableau pour celle<br />
de Miliana, rien pour celle d'Orléansville.<br />
b) Centralisation des rapports de quinzaine des<br />
bureaux arabes de l'Algérie pour la 2mo quinzaine<br />
d'avril et la 1"<br />
quinzaine de mai 1846 : rensei<br />
gnements sur les cercles de Miliana, Téniet-el-<br />
Had, Cherchel, Orléansville, Ténès.<br />
c) Centralisation des rapports de quinzaine des<br />
bureaux arabes de l'Algérie pour la 2°<br />
quinzaine<br />
du mois de mai 1846 : comme lé précédent.<br />
Rapports de quinzaine des bureaux arabes<br />
pour les subdivisions d'Alger, Médéa, Miliana,<br />
Orléansville : rapports groupés par cercle; ils<br />
accordent la première place aux faits politiques,<br />
aux renseignements sur les chef indigènes, aux<br />
impôts et aux amendes.<br />
Rapports de quinzaine des bureaux arabes<br />
pour les subdivisions d'Orléansville et de Milia-<br />
na : analogues à ceux du carton 462.<br />
(1) Cet inventaire porte uniquement sur les documents intéressant les Bureaux<br />
arabes et néglige par conséquent, dans chaque carton, les pièces étrangères à notre<br />
sujet.
465<br />
468<br />
469<br />
470<br />
471<br />
472<br />
473<br />
474<br />
475<br />
476<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1848.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1849.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1851.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1852.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1853.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1854.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1855.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1856.<br />
Bureaux arabes.<br />
Rapports. Alger 1857.<br />
— — 394<br />
Rapports de quinzaine des bureaux arabes<br />
pour les subdivisions d'Alger, Médéa, Orléans-<br />
ville, Miliana : analogues à ceux du 462, mais par<br />
ticulièrement denses, surtout pour le cercle d'Or<br />
léansville.<br />
Rapports de quinzaine des bureaux arabes<br />
pour les cercles de Médéa, de Boghar et ceux des<br />
subdivisions d'Orléansville et de Miliana : ana<br />
logues aux rapports de 462.<br />
Ils concernent l'année 1850. Ce sont les rap<br />
ports mensuels des bureaux arabes, pour les cer<br />
cles d'Alger, Dellys, Blida, Aumale, Médéa, Boghar<br />
et ceux des subdivisions d'Orléansville et de<br />
Miliana.<br />
Comme le carton 469, mais pour 1851.<br />
Comme le 469, mais pour 1852.<br />
Comme le 469, mais pour 1853-<br />
Comme le 469, mais pour 1854.<br />
Contient les rapports mensuels de Cherchel,<br />
Miliana, Téniet-el-Had, Orléansville et Ténès ;<br />
ceux d'Alger, Dellys, Aumale, Blida, Boghar, La-<br />
ghouat, Médéa.<br />
Documents<br />
concernant les mêmes cercles que<br />
le carton 474 auxquels s'ajoutent Tizi-Ouzou, Dra-<br />
el-Mizan, Djelfa. Outre les rapports<br />
mensuels qui<br />
s'occupent surtout des questions d'amendes, on<br />
trouve les rapports trimestriels et annuels pins<br />
intéressants.<br />
Rapports de Miliana, Cherchel, Téniet-el-Had,<br />
Dra-<br />
Orléansville, Ténès, Médéa, Fort-Napoléon,<br />
el-Mizan, Blida, Dellys, Aumale, Béni-Mansour,<br />
rapports<br />
Boghar, Djelfa, Laghouat. Il s'agit des<br />
mensuels, trimestriels et annuels dont certains<br />
se retrouvent dans les archives du Gouvernement<br />
Général de l'Algérie.
447<br />
448<br />
449<br />
450<br />
543<br />
U-<br />
430<br />
442<br />
Affaires arabes.<br />
Inspections. Alger 1852<br />
Affaires arabes.<br />
Inspections. Alger 1853<br />
Affaires arabes-<br />
Inspections. Alger 1854<br />
Affaires arabes.<br />
Inspections. Alger 1854<br />
Statistiques<br />
des Tribus. Alger 1855<br />
Rapports trimestriels.<br />
Tournées préfectorales,<br />
Affaires arabes. ■<br />
Bureaux arabes<br />
départementaux.<br />
Etat civil, Milices,<br />
Missions diverses,<br />
Hôtes, Otages, etc.<br />
— 395<br />
2°) Cartons contenant les rapports d'inspection<br />
des bureaux arabes.<br />
Contient les documents relatifs aux subdivi<br />
sions d'Orléansville, de Miliana, de Médéa. Nom<br />
breux renseignements statistiques.<br />
Rapports sur les subdivisions d'Orléansville,<br />
Miliana, Médéa, Blida, Alger, Aumale. Abondante<br />
documentation sur l'organisation des bureaux<br />
arabes, les tribus, la colonisation indigène.<br />
Analogue au précédent avec en outre des docu<br />
ments concernant les divisions de Constantine et<br />
d'Oran.<br />
Complète le carton 449, mais n'intéresse que<br />
la division d'Alger.<br />
Il s'agit en réalité, pour toute la division d'Al<br />
ger, des documents de l'Inspection générale des<br />
Affaires arabes de 1855. On y trouve des tableaux<br />
sur la soumission des tribus, l'instruction publi<br />
que, le culte musulman, la colonisation indigène,<br />
les travaux d'utilité publique, lés impôts et amen<br />
des, le service de santé, le Beït-el-Mal, les ordres<br />
religieux.<br />
3°) Cartons divers.<br />
Contient les rapports trimestriels de la Direc<br />
tion des affaires civiles de l'Algérie (1854-56) ;<br />
les rapports de tournées préfectorales (1857); les<br />
rapports trimestriels des inspecteurs de coloni<br />
sation. On peut y puiser quelques renseignements<br />
sur la colonisation indigène.<br />
Documents intéressant notre sujet :<br />
— une<br />
note du 23 juillet 1847 intitulée « Sur<br />
les bureaux arabes » ;<br />
— une<br />
note du 17 août 1847 du cap. Boisson-<br />
net (directeur des affaires arabes de la province<br />
de Constantine)<br />
arabes;<br />
sur l'organisation des bureaux<br />
— une lettre du 29-12-1848 du Gouverneur<br />
général Charon au Ministre de la Guerre : traite<br />
en particulier du cantonnement.
443<br />
444<br />
523<br />
539<br />
541<br />
Affaires arabes.<br />
Hakems. Présents aux<br />
chefs. Organisation po<br />
litique des tribus.<br />
Amendes. Réquisitions<br />
Cimetières. Djellals.<br />
Main-d'œuvre. Com<br />
merce, etc...<br />
Bureaux arabes.<br />
Immeubles. Maisons de<br />
commandement.<br />
Sans titre.<br />
Statistiques des tribus.<br />
Alger 1848.<br />
Statistiques des tribus.<br />
Alger 1853.<br />
396<br />
Dossiers les plus importants :<br />
— Commerce<br />
en pays arabe; système métri<br />
que; colportage.<br />
— Main-d'œuvre<br />
— Villages<br />
indigène.<br />
et constructions arabes (surtout<br />
Médéa, Aumale, Oran).<br />
— Constructions arabes : dossier essentiel con<br />
tenant des états pour 1850, des détails sur les<br />
constructions particulières et les travaux d'utilité<br />
publique exécutés en 1848 et 1849, des plans de<br />
maisons et villages, plusieurs lettres et rapports<br />
sur les travaux dans les trois divisions.<br />
Quelques détails sur l'installation des bureaux<br />
arabes d'Orléansville et de Cherchel, sur la mai<br />
son de commandement des Béni-Hindel.<br />
Concerne aussi la Direction centrale d'Alger<br />
et Médéa, Blida, Aumale, Constantine, Oran.<br />
Contient de nombreuses pièces sur le canton<br />
nement :<br />
— Extraits de journaux : Moniteur de l'Algérie<br />
du 5 octobre 1861; L'Africain (Constantine) du<br />
8 octobre 1861; Le Nouvelliste (Marseille) du 8<br />
janvier 1863.<br />
— Projet<br />
de décret sur la constitution de la<br />
propriété chez les Arabes (Conseil supérieur, ses<br />
sion de 1861).<br />
— Délibération<br />
des conseils généraux (pour<br />
Alger : Moniteur de l'Algérie; pour Oran : Cour<br />
rier d'Oran, Echo d'Oran, Moniteur de l'Algérie;<br />
pour Constantine : des manuscrits).<br />
— Projet de décret sur le cantonnement des<br />
indigènes : travaux de la commission instituée<br />
le 29 mai 1861; brochure de 58 pages-<br />
— Pièces<br />
manuscrites diverses.<br />
Statistiques de la population et des richesses<br />
des tribus avec des observations parfois intéres<br />
santes. Concerne : Aumale, Miliana, Téniet-el-<br />
Had, Cherchel, Ténès, Orléansville.<br />
Concerne l'Annexe de Dra-el-Mizan, Dellys,<br />
Aumale, Boghar, Cherchel, Téniet-el-Had, Orléansville,<br />
Ténès. Pour l'Ouest du Tell algérois, fait<br />
double emploi avec le carton 448.
542<br />
<strong>108</strong>2<br />
1131<br />
1138<br />
1150<br />
Statistiques des tribus,<br />
Alger 1854.<br />
Beït-el-Mal. Amin Sekka<br />
Cantonnement.<br />
Plans de colonisation,<br />
Villes et villages.<br />
Colonisation.<br />
Projets de centres.<br />
Union agricole du Sig,<br />
Villages et cultures<br />
arabes.<br />
— — 397<br />
Concerne : Blida, Médéa, Alger, Miliana. Il y<br />
a intérêt à comparer ces statistiques à celles du<br />
carton 449.<br />
Le dossier « cantonnement des tribus » com<br />
prend notamment des pièces intéressant la ré<br />
gion d'Arbal (Oran) et la Mitidja, de 1845 à 1851;<br />
des instructions adressées au commandant de la<br />
division d'Alger et intitulées : « Prescriptions<br />
relatives aux mesures à prendre pour cantonner<br />
des indigènes habitant l'ouest de la Mitidja et<br />
pour ouvrir cette région à la colonisation euro<br />
péenne » ;<br />
un rapport non daté de la Commis<br />
sion pour l'agrandissement des villages.<br />
— Un<br />
manuscrit de 21 pages provenant du<br />
Ministère de la Guerre, daté du 15-2-1857 et inti<br />
tulé «Historique des divers modes de colonisation<br />
suivis en Algérie. Cantonnement des tribus ara<br />
bes ».<br />
— « Lettres sur le cantonnement et les colo<br />
nies militaires en Algérie », de F. Lacroix, à<br />
Urbain le 2-6-1861.<br />
— Un<br />
dossier « Colonisation indigène » com<br />
prenant plusieurs documents sur le cantonne<br />
ment : circulaire d'Henri d'Orléans, gouverneur<br />
général, le 4-2-1848; correspondance entre le Mi<br />
nistre de la Guerre et le Gouverneur Général re<br />
lative à la constitution de la propriété indigène,<br />
1849-1852; lettre au Gouverneur des généraux<br />
commandant à Oran et à Constantine en 1849.<br />
— Deux<br />
lettres importantes sur les origines de<br />
la Smala d'Orléansville :<br />
— Col. Bosquet, corn' la subdivision d'Orléans-<br />
ville,<br />
le 26-5-1848.<br />
— Gouverneur<br />
au Gén"<br />
Levasseur,<br />
corn'<br />
la division d'Alger,<br />
Général au Directeur général<br />
des Affaires civiles, le 1-6-1848.<br />
Pour les subdivisions d'Orléansville et de Mi<br />
liana des états de constructions élevées par les<br />
Indigènes (documents de 1856); un dossier « agri<br />
culture, colonisation chez les Arabes ».
1675<br />
1676<br />
1680<br />
1713f<br />
Sans titre.<br />
Sans titre.<br />
Sans titre.<br />
Sans titre<br />
/<br />
— 398 —<br />
Pour notre sujet un intéressant rapport du 24.<br />
12-1844 de Walsin-Esterhazy, directeur des affai<br />
res arabes à Oran.<br />
—<br />
Contient en particulier :<br />
une note du 8-7-1847 du Ministère de la Guerre<br />
sur la Direction centrale des affaires arabes<br />
à Alger;<br />
— une note du 12-1-1848 du Ministère de la<br />
Guerre sur le gouvernement des indigènes;<br />
— une<br />
— un<br />
— les<br />
note sur les bureaux arabes du 23-7-1847.<br />
projet d'organisation des bureaux arabes<br />
sous le nom dé Corps du gouvernement arabe<br />
(du Ministère de la Guerre, le 5-7-1847);<br />
résumés des rapports des bureaux arabes<br />
en 1848.<br />
Plusieurs dossiers classés chronologiquement.<br />
Dans le dossier 1866 : une instruction sur les<br />
« Règles à suivre pour l'exécution du décret du<br />
5 mars 1866 relatif au recrutement des bureaux<br />
arabes ».<br />
Nombreuses pièces sur l'organisation, les ins<br />
pections, le personnel des bureaux arabes ainsi<br />
que la polémique les concernant, en particulier :<br />
— une note du Ministre de la Guerre au Mar1<br />
— une<br />
— les<br />
— la<br />
— des<br />
Randon du 7-7-1852,<br />
officiers des bureaux arabes;<br />
sur le recrutement des<br />
note du Ministre de la Guerre du 28 août<br />
1857 sur les bureaux arabes;<br />
une lettre de<br />
Randon au Ministre de la Guerre, du 20 août<br />
1857;<br />
une lettre du Ministre de la Guerre à<br />
Randon, du 7 septembre 1857 : les répercus<br />
sions de l'affaire Doineau;<br />
rapports du Gouverneur général sur les<br />
Inspections générales des bureaux arabes en<br />
1851, 1852, 1853, 1854, 1855, 1856.<br />
brochure de Puyau (voir bibliographie des<br />
ouvrages) ;<br />
documents sur l'avancement des officiers<br />
des bureaux arabes, des actes de malversa<br />
tions commis en 1860, la préparation (en 1866)<br />
d'un nouveau règlement-<br />
i
— — 399<br />
1805 Sans titre. Contient de nombreux documents sur le ré<br />
gime de la propriété de 1842 à 1861, sur les con<br />
cessions de terres domaniales à des Indigènes<br />
II. —<br />
ARCHIVES<br />
antérieurement au sénatus-consulte,<br />
et surtout<br />
des pièces très importantes sur le cantonnement :<br />
a) des projets de cantonnement : Testu, Lormel.<br />
b) Les documents rassemblés par la commission<br />
chargée de préparer le rapport du M" Ran<br />
don à l'Empereur.<br />
c) Le texte du rapport du M" Randon à l'Empe<br />
reur en novembre 162.<br />
DU MINISTERE DE LA GUERRE<br />
8 cartons nous ont fourni des renseignements, mais d'un intérêt très différent.<br />
N°du<br />
carton<br />
208<br />
227<br />
DESIGNATION<br />
DU CARTON<br />
Organisation<br />
des spahis. Réorgani<br />
sation de l'Algérie de<br />
1834 à 1870.<br />
Mémoires divers.<br />
1839.<br />
— documents<br />
— un<br />
Pour notre étude :<br />
INVENTADtE SOMMAIRE<br />
officiels relatifs aux diverses orga<br />
nisations de spahis de 1834 à 1845;<br />
dossier « Spahis 1834-1870 » contenant<br />
plusieurs notes du Ministère de la Guerre;<br />
— rapports de 1869 sur les smalas;<br />
— règlement sur la constitution, le régime, l'ad<br />
ministration et la comptabilité des smalas des<br />
régiments de spahis (1862);<br />
— un manuscrit important du général Deligny<br />
intitulé « Simple discours sur l'Algérie »<br />
(sans doute de 1869).<br />
Nombreux renseignements sur la situation des<br />
tribus au moment de l'occupation dans :<br />
a) « Note sur le chemin de fer d'Alger à Oran<br />
jointe à la carte gravée par ordre de M. le Minis<br />
tre de la Guerre (1839) » : non signée, mais cer<br />
tainement du capitaine Saint-Hypolite.<br />
b) « Notice sur les tribus de la Province d'Oran<br />
par G. Tatareau, cap. du corps royal d'état-major,<br />
Oran, 30 avril 1833 ».<br />
c) Les tribus de la Province d'Oran en 1839 :<br />
série de dossiers attribuables à Warnier.<br />
(La province d'Oran s'étendait alors jusqu'au<br />
Djendel).
229<br />
230<br />
236<br />
238<br />
239<br />
240<br />
Mémoires divers.<br />
1844-1859<br />
Mémoires divers.<br />
1845-1882.<br />
Notes pouvant servir<br />
à l'historique de l'Al<br />
gérie.<br />
Travail des commis<br />
sions de 1862-1870.<br />
Forces militaires. Ef<br />
fectifs. Emplacements,<br />
etc.<br />
Bureaux arabes.<br />
Récapitulations dès<br />
troupes 1861-1867.<br />
Bureaux arabes.<br />
Récapitulations des<br />
troupes 1867-1870.<br />
400.—<br />
Notamment :<br />
— Rapport à l'Empereur sur l'administration<br />
des populations arabes de l'Algérie pendant l'an<br />
née 1856.<br />
— Réflexions sur l'Algérie par M. le Capitaine<br />
Azéma de Montgravier (7 septembre 1846).<br />
— Projet d'organisation des indigènes en colo<br />
nies militaires par le général de Rumigny (mars<br />
1850).<br />
Renseignements nombreux dans :<br />
— « Documents divers sur l'Algérie, 1845-1870,<br />
provenant du général Guiod » : 39 pièces dont<br />
plusieurs relatives aux bureaux arabes. (Trois<br />
notes, deux numéros du Moniteur de l'Algérie,<br />
la brochure : Le régime du sabre en Algérie).<br />
— « Organisation des smalas » : 30 pièces<br />
(notes du Ministre de la Guerre, lettre de Randon<br />
du 26-1-1858, article du Mobacher du 22 octobre<br />
1862, rapports d'inspection de 1853, 1862, 1865).<br />
Sur les bureaux arabes un petit dossier (1847-<br />
1850) contenant quelques états.<br />
Deux dossiers intéressants :<br />
— « Notes sur l'Algérie. Projet du général<br />
Clouard. Colonies militaires indigènes. Smalas Se<br />
spahis du M" Randon » : outre le projet du<br />
G"<br />
Chanzy<br />
Clouard de 1865, contient celui du Général<br />
de 1868.<br />
— « Bureaux arabes 1867 » : on y trouve l'ins<br />
truction sur le service des bureaux arabes de<br />
1867 et une note d'avril 1868 sur le service des<br />
affaires arabes.<br />
Surtout des états nominatifs des officiers atta<br />
chés aux bureaux arabes.<br />
Etats des officiers attachés aux bureaux arabes<br />
(1867-1870) et états des officiers demandant à<br />
être admis dans le service (1870).
1314<br />
(N° du Catalogue géné<br />
ral de L. Tuetey. Re<br />
connaissances militai<br />
res depuis 1790).<br />
III. —<br />
401-<br />
— « Mémoire sur les corps indigènes en Afrique<br />
et les bureaux arabes », par Louis Philippe, lieu<br />
tenant au 26— de ligne, 27 août 1847. 20 p.<br />
— « Notices sur divers points du littoral de<br />
la Régence d'Alger considérés dans leurs rap<br />
ports avec la conquête, le commerce et la colo<br />
nisation ultérieure du pays », par le Lt-Colonel<br />
Pretot, 1834, 169 p. (en particulier Ténès et Cher<br />
chel).<br />
— «<br />
6 p.<br />
Note sur Cherchel<br />
Cherchel », notice de 1841, 7 p.<br />
ARCHIVES DU VAL DE GRACE (Paris)<br />
Peu de choses pour notre sujet :<br />
— Dans<br />
portant :<br />
du 24 octobre 1834,<br />
le carton 72 un dossier sur les bureaux arabes com<br />
a) une lettre du médecin-chef Netter, de l'hôpital de Tiaret, deman<br />
dant l'organisation du service médical des bureaux arabes<br />
(18-5-1848);<br />
b) des rapports mensuels et trimestriels adressés par les chirur<br />
giens des trois divisions au chirurgien en chef de l'armée<br />
(années 1848, 1849, 1851).<br />
— Dans<br />
le carton 92 un « Essai de topographie statistique<br />
médicale et ethnologique du cercle de Miliana », par le Dr Camille<br />
Ricque (sans doute de 1859) : donne quelques renseignements sur<br />
les tribus.<br />
IV— ARCHIVES DU GOUVERNEMENT GENERAL DE L'ALGERIE<br />
1. —<br />
La Série L<br />
Elle apporte le complément indispensable aux documents<br />
consultés à Paris. Il s'agit des archives de la division d'Alger ras<br />
semblées par les soins de M. Esquer, mais non encore inventoriées.<br />
Nous avons pu y trouver :<br />
a) Des collections complètes de rapports<br />
pour les :<br />
des bureaux arabes<br />
Cercle d'Orléansville Rapports trimestriels du 2°" trimestre 1856<br />
au 4m" trimestre 1880; rapports mensuels de<br />
1862 à 1880.<br />
26
402-<br />
Cercle de Ténès : Rapports trimestriels du 2m*<br />
1" trimestre 1876.<br />
trimestre 1856 au<br />
Cercle de Miliana : Rapports trimestriels du 3""<br />
trimestre 1856 au<br />
3°<br />
1860.<br />
trimestre 1880; rapport mensuel de juin<br />
Cercle de Cherchel : Rapports trimestriels du 3me<br />
au 1"<br />
trimestre 1876.<br />
Cercle de Téniet-el-Hdd : Rapports trimestriels du 1"<br />
1856 au 4m" trimestre 1880.<br />
trimestre 1856<br />
trimestre<br />
b) Un gros dossier intitulé « Colonisation 1845-1870 » (s'arrêtant en<br />
réalité en 1865) et contenant de nombreuses pièces intéressantes sur<br />
le cantonnement :<br />
— Lettre<br />
— Lettre<br />
— Lettre<br />
— Lettre<br />
— Rapport<br />
— Rapports<br />
— Lettre<br />
— Modèle<br />
— Lettre<br />
— Rapport<br />
du M"1<br />
de camp<br />
à Changarnier,<br />
commandant la subdivision de Miliana,<br />
commandant la division d'Alger (4 février 1848).<br />
du 19 mai 1850 du gouverneur général Charon au com<br />
mandant de la division d'Alger.<br />
du 8 août 1852 de la subdivision d'Orléansville au général<br />
commandant la division d'Alger.<br />
du M"1 Randon au général commandant la division<br />
d'Alger : sur le cantonnement '(2 juin 1855).<br />
sur le cantonnement de tribus, du chef du bureau<br />
arabe de Miliana fji" novembre 1855).<br />
du cercle d'Orléansville et du cerce de Ténès sur le<br />
cantonnement des indigènes (13-11-1855).<br />
du 11-11-1855 du gouverneur général Randon au com<br />
mandant de la division d'Alger.<br />
de titre collectif de propriété (attribué aux tribus can<br />
tonnées).<br />
du 14-3-1858 du M" Randon au général commandant<br />
la province d'Alger.<br />
intitulé « Colonisation » du général<br />
subdivision d'Orléansville (5-1-1861).<br />
c) Un dossier portant le titre « Colonisation 1845-1877 »<br />
commandant la<br />
rassemblant des<br />
documents variés et en particulier des pièces relatives à Oued-Fodda<br />
et Ardh-el-Béïda dans lesquelles nous avons puisé quelques détails sur<br />
le cantonnement des Ouled-Kosseïr. C'est dans ce dossier que nous<br />
avons trouvé la carte du cantonnement des Ouled-Kosseïr.
Des<br />
2. —<br />
Les<br />
autres séries :<br />
renseignements dans :<br />
403-<br />
a) La série 2 E.E- formée par 19 registres de correspondance du<br />
M"1 Bugeaud au Ministre de la Guerre. D'un très grand intérêt. Au cours<br />
de notre étude nous renvoyons aux registres 2E.E.2 (année 1842); 2 E.E. 3<br />
(18421843); 2 E.E. 6 (1844-1845); 2 E.E, 9 (1842-1843) (1). On trouve<br />
aussi quelques renseignements dans 2 E.E. 7, 2 E.E. 10, 2 E.E. 11, 2 E.E.<br />
12, 2 E.E. 16.<br />
b) Dans la série H. concernant les Affaires musulmanes :<br />
1 H. 5 contient plusieurs lettres de Moullé, Margueritte, Richard et<br />
Salignac-Fénelon au colonel Rivet, Directeur central des affaires ara<br />
bes (1848).<br />
Les rapports des inspections des bureaux arabes de la région étu<br />
diée sont dans 8 H l3.<br />
Le dossier 8 H. 12 renferme les minutes relatives aux travaux de<br />
la Commission de cantonnement de 1861, mais ces travaux ont été publiés.<br />
Les dossiers du personnel des Affaires indigènes forment les<br />
cartons 21 H. 242 à 343 et sont groupés, dans l'ensemble, suivant l'ordre<br />
alphabétique : on trouve Capifali au n°<br />
260, Lapasset au 298, Margueritte<br />
ct Moullé au 303, Richard au 324, Sériziat au 330, Salignac-Fénelon au<br />
332. Ces dossiers ont été utilisés par R. Peyronnet pour rédiger son Livre<br />
d'Or.<br />
Dans 21 H. 19 on trouve un registre de « Notes et renseignements<br />
politiques » (1847) qui renferme aussi des renseignements économiques<br />
et un « Rapport sur la manière dont la race berbère est répartie sur la<br />
surface du cercle de Miliana (1856) ».<br />
c) Les registres de la série H. H. contiennent la correspondance<br />
émanant du service central des Affaires indigènes (le Bureau politique).<br />
On y trouve peu de renseignements sur l'œuvre économique et sociale<br />
des Bureaux arabes, mais quelques lettres intéressantes pour préciser<br />
les caractères de l'institution et la doctrine de ceux qui la servirent, en<br />
particulier dans les registres :<br />
9 : lettre du 29-1-1945 à Moullé (l'autorité de 1'<br />
« agha Daumas »)•<br />
11 : le 24-2-1848 (construction chez les Sbéah et les Ouled-Kosseïr).<br />
le 28-2-1848 (la sécurité par la fixation au sol).<br />
le 4-10-1848 (éloge de Richard par Charon).<br />
21 : un important rapport de Charon du 29-10-1850; loue les Bureaux<br />
arabes et dresse un véritable bilan de l'œuvre entreprise dans<br />
l'Algérie entière; plusieurs tableaux.<br />
24 : le 5-1-1844, sur les conceptions de Daumas. ,<br />
le 12-1-1844, sur les rapports avec les chefs indigènes./<br />
26 : le 5-2-1848, sur la fixation des indigènes.<br />
le 29-10 et le 25-12-1848 sur le cantonnement.<br />
t<br />
(1) Le répertoire des séries de correspondance E et EE a été publié en<br />
1949. Il est l'œuvre de MM. Esquer et Dermenghem.<br />
L'inventaire de la série H paraîtra en 1953.
f<br />
— — 404<br />
28 : (correspondance avec la province d'Oran) : lettres du 24 et du<br />
25-12-1848 sur le cantonnement.<br />
40 : plusieurs rapports sur les smalas notamment du 15-4-1853, 20-3-1854<br />
et 17-2-1856.<br />
d) Dans la série 1.1. (Affaires arabes. Registres de correspondance)<br />
la sous-série 3 II concerne les subdivisions de la division d'Alger et le<br />
registre n"<br />
255 (19 octobre 1856-22 août 1858), contenant la correspon<br />
dance de la subdivision de Miliana avec la division d'Alger, nous a été<br />
utile pour le cantonnement des Abid-et-Feraïlia.<br />
Quelques précisions sur la colonisation arabe et les smalas dans<br />
le registre n'<br />
277 (années 1862 à 1865).<br />
e) Les séries L concernant la colonisation nous ont, accidentelle<br />
ment, procuré quelques précisions, en particulier :<br />
/<br />
¥<br />
— L<br />
— L<br />
— L<br />
— IL<br />
— IL<br />
— 25<br />
— 29<br />
carton 23, liasse 9, colonisation, arrondissement de Miliana :<br />
une note du 10 juin 1871 et une lettre du sous-préfet de Miliana<br />
du 14 octobre 1876 donnant quelques renseignements sur<br />
l'œuvre des bureaux arabes chez les Béni-Zoug-Zoug et les<br />
Hachem.<br />
carton 45, liasse 9; Malakoff : plusieurs lettres de 1862 du<br />
Gouverneur général sur le cantonnement des Ouled-Kosseïr.<br />
carton 57, liasses 5 et 6 : documents sur l'état des terres<br />
domaniales en territoire militaire.<br />
166 : Duperré (1857-1884); utile pour le cantonnement des<br />
Abid-et-Feraïlia.<br />
219, Malakoff (1863-1874), quelques précisions sur la smala<br />
des spahis.<br />
L 37, Inkermann : quelques renseignements sur Casanova.<br />
L 29, Le Puits : un procès-verbal du 16-6-1877 décrit l'état<br />
des maisons construites par les Bureaux arabes à Kobour-An.<br />
ARCHIVES DU SECRETARIAT<br />
DU SENATUS-CONSULTE<br />
Ce secrétariat existe toujours puisque le sénatus-consulte de 1863<br />
n'est pas encore appliqué à la totalité du territoire algérien. Les archives<br />
n'en ont pas été versées au fonds du Gouvernement général, mais sont<br />
demeurées à la Direction des Finances, Service de la topographie et de<br />
l'organisation foncière (1). Bien qu'incomplets, les dossiers contiennent<br />
cependant des documents de grand intérêt :<br />
(1) Certains documents cependant se sont égarés telle la carte du can<br />
tonnement des Ouled-Kosseïr trouvée tout à fait par hasard dans un paquet<br />
non classé de la Série I.
— des<br />
1° — Dans<br />
— — 405<br />
celui des Abid-et-Feraïla on trouve notamment :<br />
documents statistiques (1866 et 1867). y,<br />
plusieurs lettres : de Chasseloup-Laubat, ministre de l'Algérie et des<br />
Colonies, au général commandant la division d'Alger, le 5-11-1860<br />
(particulièrement importante); du général commandant la commis<br />
sion administrative au G1 C la Province, le 3-4-1866; du G1 C la<br />
subdivision d'Orléansville au G"<br />
C la Province, le 15-10-1866; du chef<br />
du service des Domaines au G" C4 la Province, 21-8-1867; de Mac-<br />
Manon, gouverneur général de l'Algérie, au G*1 C* la province d'Alger,<br />
le 7-11-1868, etc..<br />
2" Le dossier, des Ouled-Kosseïr contient de nombreuses pièces dont<br />
les principales sont :<br />
— des<br />
— le<br />
— deux<br />
— le<br />
— le<br />
comptes rendus de séances de la commission consultative chargée<br />
d'élaborer le travail du cantonnement des tribus arabes (avril-mai<br />
1856).<br />
procès-verbal de délimitation de la tribu des Ouled-Kosseïr (9 août<br />
1856).<br />
procès-verbaux de séances de la commission du cantonnement<br />
(février 1859).<br />
tableau de l'état de lotissement des terres données en compensa<br />
tion, en 1862, aux Medjadja, Sindjès et Ouled-Farès.<br />
rapport d'ensemble sur la délimitation de la tribu des Ouled-Kos<br />
seïr (1er octobre 1867).<br />
— le bulletin résumant les opérations de la commission administrative<br />
' — le<br />
—<br />
—<br />
— diverses<br />
du sénatus-consulte (1" octobre 1867).<br />
rapport d'ensemble sur la délimitation des douars et la répartition<br />
du sol (8 janvier 1868).<br />
un extrait des procès-verbaux du Conseil du Gouvernement (jan<br />
vier 1868).<br />
plusieurs lettres : du colonel C1 la subdivision d'Orléansville au<br />
G"<br />
O la division d'Alger (12-9-1862) ;<br />
du maréchal Pélissier au<br />
G" D la division d'Alger (29-9-1862); du chef de bataillon comman<br />
dant la subdivision d'Orléansville au G"" C la division d'Alger<br />
(12-11-1862).<br />
cartes : 3 plans de la tribu au 1/40.000"<br />
(1866, 1867, 1868) ;<br />
au'<br />
un plan de séparation 1/40.000% indiquant la limite des douars<br />
(1868); un plan du douar Sidi-el-Aroussi au 1/10.000" (1868).
VI. —<br />
ARCHIVES<br />
— 406<br />
DEPARTEMENTALES D'ALGER<br />
A l'occasion d'autres recherches, nous avons trouvé quelques docu<br />
ments intéressants dans les cartons suivants :<br />
— une<br />
— 2<br />
— une<br />
Affreville : dans le dossier « Kobour-Ali, 1877-1879,<br />
un rapport<br />
de la Commission des centres du 28-124877 et un<br />
avant-projet de village du 4-7-1879 rappellent ce que<br />
fut la colonisation arabe dans la région.<br />
Colonies agricoles : dans le 1"<br />
carton, au dossier « Peuplement »,<br />
plusieurs pièces concernant Casanova et, dans le 2"",<br />
un rapport de 1848 sur les colonies agricoles envisa<br />
geant le cantonnement des Ouled-Kosseïr et en faisant<br />
la critique.<br />
Duperré : sur le cantonnement des Abid-et-Feraïlia, un rapport<br />
du bureau arabe de Miliana du 17-9-1857 et une lettre<br />
de la division d'Alger au Gouverneur, du 12-11-1857;<br />
sur le village d'Aïn-Sadok une lettre du sous-préfet de<br />
Miliana au préfet, le 24-7-1877 et un rapport de la Com<br />
mission des centres, du 20-3-1878.<br />
Orléansville : Sur le cantonnement des Ouled-Kosseïr :<br />
lettre du Commissaire civil d'Orléansville au Préfet, du 5-9-1857.<br />
notes du Domaine (de septembre 1861) sur les anomalies du can<br />
tonnement.<br />
lettre de la subdivision d'Orléansville à la division (9-8-1861) sur<br />
le même sujet.<br />
— une lettre du G"<br />
— 2<br />
— une<br />
vices civils (18-5-1861),<br />
Yusuf, O la division d'Alger,<br />
au Directeur des Ser<br />
précisant la situation des Ouled-Kosseïr.<br />
Sur la smala des spahis d'Orléansville :<br />
lettres de la division d'Alger au Gouverneur général, le 24-12-1849<br />
et le 21-10-1852.<br />
lettre du Gouverneur Randon au G*1<br />
— un plan de l'ancienne smala (en date du 10-3-1855).<br />
Camou, le 28-10u1852.<br />
•— une correspondance entre la subdivision d'Orléansville et la division<br />
— l'acte<br />
d'Alger (1855-1856).<br />
de remise à l'administration civile des terrains de l'ancienne<br />
smala, le 4-7-1860.<br />
Dans les Archives du Bureau arabe départemental d'Alger on trouve<br />
un dossier sans titre renfermant des rapports mensuels de 1855 émanant<br />
des bureaux arabes militaires de la division d'Alger : rapports d'avril,<br />
juin et septembre pour Ténès et Téniet-el-Had; de juin et septembre<br />
pour Cherchel, Miliana, Orléansville.
Ouvrages consultés<br />
Les ouvrages utilisés accidentellement et pour un détail<br />
précis sont mentionnés au bas de la page intéressée et ne sont<br />
pas reproduits ici. Les travaux que nous avons mis à contribu<br />
tion peuvent être groupés en trois catégories : les œuvres des<br />
officiers de bureaux arabes; les ouvrages traitant, au moins<br />
partiellement, des bureaux arabes ; les travaux divers. Pour<br />
chaque catégorie nous donnons la liste des différents<br />
livres suivant l'ordre alphabétique en indiquant les cotes lors<br />
qu'il s'agit d'ouvrages consultés à la Bibliothèque Nationale<br />
de Paris.<br />
L— ŒUVRES DES OFFICIERS DES BUREAUX ARABES (1)<br />
Azéma de Montgravier (2) : Lettres à Monsieur le Président de<br />
la République. Oran 1849 (15 p.) et 1850 (30 p.) in-8°.<br />
(La seconde est la plus intéressante pour les conceptions des<br />
Bureaux arabes : makhzen, assimilation, colonisation...).<br />
Bidault (3) : La vérité sur VMgérie. Bougie 1871, in-12, 112 p.<br />
(Défenseur discret des Bureaux arabes. Partisan de la conci<br />
liation entre civils et militaires).<br />
(1) Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, mais seulement des ouvrages<br />
qui nous ont été réellement utiles ou qui ont pour auteur un officier ayant<br />
servi dans l'Ouest du Tell algérois. On ne trouvera pas mentionnées, en par<br />
ticulier, toutes les œuvres de Daumas et de Rinn, souvent intéressantes, mais<br />
pour d'autres sujets que le nôtre.<br />
(2) Azéma de Montgravier (Michel, Auguste, Martin, Agénor) : entre<br />
clans les affaires arabes en 1846 comme adjoint à Oran, est chef de bureau<br />
sur place en 1849 ; se livre à des études archéologiques et historiques ; est<br />
appelé en 1850 au Ministère de la guerre où il fait partie du comité consul<br />
tatif de l'Algérie ; y reste jusqu'en 1861.<br />
(3) Bidault (F. L.) : entre dans les affaires indigènes en 1866 et y reste<br />
jusqu'en 1872 ; a servi surtout dans le département de Constantine, puis au<br />
Bureau politique et au Cabinet militaire.
— 408 —<br />
Cottenest (1) : Etude historique sur le service des affaires indi<br />
gènes et la colonisation algérienne 1830-1870. Bulletin de la<br />
Société d'Alger et de l'Afrique du Nord, 11"0<br />
p. 83 à 91.<br />
année, 1906,<br />
(Etude inachevée. Renseignements sur l'origine et les fonc<br />
tions des Bureaux arabes).<br />
Daumas (L'-Colonel) (2) : Exposé sur l'état actuel de la société<br />
arabe, du gouvernement et de la législation qui la régit. Alger,<br />
169 p. in-8. LK8 371. (Rédigé sur l'ordre de Bugeaud<br />
1844, VIII -<br />
et distribué aux commandants supérieurs et aux officiers<br />
chargés des affaires arabes pour leur servir de guide).<br />
David (3)<br />
: Réflexions et discours sur la propriété chez les Arabes.<br />
Bordeaux 1862, in-8", 71 p.<br />
(Favorable aux Bureaux<br />
cantonnement).<br />
arabes. Fait une critique acerbe du<br />
Hugonnet (4) : Souvenirs d'un chef de bureau arabe. Paris 1858,<br />
in-12, 288 p.<br />
(Intéressant ;<br />
chefs de bureaux arabes).<br />
ne partage pas toujours les idées des autres<br />
Hugonnet : Français et Arabes en Algérie. Paris 1860, in-12, 276 p.<br />
(En particulier le chapitre sur Daumas, p. 173 à 197).<br />
(1) Cottenest (Gaston, Ernest) : entre au service des affaires indigènes<br />
en 1898 ; adjoint en 1900 à In Salah où il fait creuser le premier puits arté<br />
sien de la région ; se rend célèbre en 1902 par le combat de Tit livré aux<br />
Touareg ; adjoint au bureau de Lalla Marnia lorsqu'il écrit l'article que nous<br />
citons, puis chef de bureau arabe à Tlemcen et à la division d'Oran, chef de<br />
l'annexe de Béni-Abbès et commandant de la compagnie saharienne de la<br />
Saoura ; tué en septembre 1914.<br />
(2) Daumas (Melchior, Joseph, Eugène) : débute en Algérie en 1835 et<br />
fait sous Clauzel les campagnes de Mascara et de Tlemcen ; étudie l'arabe<br />
et, après le traité de la Tafna, représente la France auprès d'Abd-el-Kader.<br />
Dirige d'abord la politique indigène de la province d'Oran puis la Direction<br />
centrale des affaires indigènes. Promu général, il rentre en France en 1850<br />
ct exerce une grosse influence au Ministère de la guerre, à la tête des affai<br />
res de l'Algérie.<br />
(3) David (Baron Jérôme, Frédéric, Paul) : Chef du bureau arabe de<br />
Marnia en 1845, à la direction de la division d'Alger en 1850, à Médéa en 1851<br />
à Béni-Mansour en 1852 Promu capitaine en 1853, il rentre alors à son<br />
Corps.<br />
(4) Hugonnet (Ferdinand, Victor) : adjoint à la direction de Bône, en<br />
1845 ; chef du bureau de La Calle en août 1848 ; adjoint à la direction de<br />
Constantine en septembre 1853 ; rentre à son corps en mars 1856. Outre les<br />
deux ouvrages ci-dessus il publia en 1859 une étude de 50 p. sur Bugeaud, duo<br />
d'Isly et sur La cavalerie dans Jes Armées modernes.
A 9<br />
10<br />
11<br />
12<br />
13<br />
Lacretelle (général)t (1)<br />
-409-<br />
actuelle. Paris 1868, in-4» 102 p.<br />
: De l'Algérie au point de vue de la crise<br />
(Prend la défense du Gouvernement militaire et des Bureaux<br />
arabes).<br />
Lapasset (2) : Mémoires sur la colonisation indigène et la colo<br />
nisation européenne suivis d'un projet sur l'établissement des<br />
silos de prévoyance pour les tribus arabes, servant en même<br />
temps de garantie de leur fidélité. Alger 1848, in-8", 94 p. et<br />
3 plans.<br />
(D'un grand intérêt pour les conceptions et les réalisations<br />
de l'auteur).<br />
Lapasset : Aperçu sur l'organisation des indigènes dans les terri<br />
toires civils : Alger 1850, in-8", 47, p.<br />
(D'un caractère plus général que l'ouvrage précédent).<br />
Lapasset et Berbrugger : Antiquités du cercle de Ténès. Revue<br />
Africaine 1856 (p. 335-345 ; 428-440) et 1857 (p. 4-13; 91-104;<br />
185-194; 267-275).<br />
(Il s'agit, en réalité, d'articles de Berbrugger, mais rédigés en<br />
grande partie avec les notes de Lapasset).<br />
Margueritte (3) : Chasses de rAtgérie et notes sur les Arabes du<br />
Sud,, 3me<br />
édition, Paris, 1884, 273 p. La 1" édition est de 1869.<br />
(Bétails intéressants sur l'Ouarsenis et le Sersou au moment<br />
de l'occupation).<br />
Pein (4)<br />
2édition,<br />
Alger 1893, in-12, LXXII, 519 p.<br />
: Lettres familières sur l'Algérie. Un petit royaume arabe.<br />
(Souvenirs d'un chef de bureau arabe devenu commandant<br />
du cercle de Bou-Saada).<br />
(1) Lacretelle (Charles, Nicolas) : a fait une carrière dans les bureaux<br />
arabes de 1849 à. 1854. Termine comme chef de bureau arabe de Sidi-Bel-Abbès,<br />
puis part pour la Crimée.<br />
(2) Lapasset (F.) : voir p. 132.<br />
(3) Margueritte (A.) : voir p. 128.<br />
(4) Pein (Th.) : fut chef de bureau arabe à Bou-Saada en 1849, puis<br />
commandant supérieur au même lieu pendant neuf ans ; il exerça un pouvoir<br />
absolu et se présente lui-même comme le roi ■», le « sultan » du cercle de<br />
Bou-Saada.
14<br />
15<br />
16<br />
17<br />
— — 410<br />
Pellissier de Reynaud (1) : Annales algériennes, édition de 1854,<br />
Alger, 3 vol. 478, 517 et 535 p. Une première édition en<br />
1836-1839.<br />
(Surtout le 3mc volume pour l'administration des Indigènes, les<br />
.genres de vie, le cantonnement).<br />
Philebert (généra!) (2) : Algérie et Sahara. Le général Margue<br />
ritte. Paris, 1882, in-8", 468 p.,<br />
du général Margueritte.<br />
un portrait et un autographe<br />
(Intéressante biographie écrite par un compagnon de Mar<br />
gueritte).<br />
Puyau (3) : De l'impuissance des bureaux arabes et des réformes<br />
à introduire en Algérie. 1871. 30 p. Se trouve dans le carton<br />
1713f des Archives nationales.<br />
(Brochure écrite en 1867 et publiée seulement en 1871 ; pré<br />
tend que l'influence des chefs indigènes est telle qu'elle réduit<br />
les Bureaux arabes à l'impuissance).<br />
Richard (4) : Elude sur l'insurrection du Dahra (1845-1846).<br />
Alger 1846, in-8", 207 p.<br />
(1) Pellissier de Reynaud (Jules, Henri, François, Edmond de) : s'oc<br />
cupe du bureau arabe d'Alger en 1834, Directeur des affaires arabes de 1837<br />
à 1839 ; a joué ensuite un rôle diplomatique important. CEuvres nombreuses :<br />
voir Peyronnet (87) II, 46-48.<br />
(2) Philebert (Charles) : carrière dans les bureaux arabes de 1852 à<br />
1865 ; a servi notamment à Bou-Saada, Djelfa, Ténès et Miliana puis à la di<br />
rection divisionnaire.<br />
(3) Puyau (Charles) : a fait comme adjoint une courte carrière dans<br />
les bureaux de la Province de Constantine en 1864-1865.<br />
(4) Richard (Ch.) •<br />
voir p. 136. Richard a écrit d'autres ouvrages étran<br />
gers à la question algérienne, que l'on trouve à la Bibliothèque Nationale de<br />
Paris, et dont voici la liste :<br />
— Le Bon Célime : poème anodin, Paris 1867, in-12, 215 p.<br />
—<br />
- Cosmogonie Origine et fin des mondes, Paris 1863, in-16, 192 p.<br />
— Esquisse d'une philosophie synthêsiste. Critère du jugement ; concep<br />
tion générale du monde ; règle de conduite, Paris 1875, in-16, 288 p.<br />
— Les lois de Dieu et l'esprit moderne, issue aux contradictions humaines,<br />
Paris 1858, in-18, 252 p.<br />
— Principes de science générale, Toulon 1879, in-8, 43 p.<br />
— La prostitution devant le philosophe, Paris, 1881, in-8, 176 p.<br />
— Question de philosophie synthêsiste. De la prévision des évênemnts<br />
humains, Toulon 1877, in-16, 15 p.<br />
— Question de philosophie synthêsiste. Règle de conduite. Draguignan<br />
1880, in-8, 10 p.<br />
— Rapport présenté au Conseil rnunicipal dans la séance du 28 octobre<br />
1876 au nom de la commission de la rue de l'Avenir, Toulon, 1876,<br />
in-8, 22 p.<br />
— Réponse à Charles Renouvier... au sujet de son appréciation de l'Es<br />
— Les<br />
quisse d'un» philosophie synthêsiste par Ch. Richard, Paris, 1875, in-<br />
16, 45 p.<br />
Révolutions inévitables dans le globe et l'humanité, Paris 1861,<br />
in-18, 296 p.
18<br />
19<br />
20<br />
21<br />
22<br />
23<br />
24<br />
411<br />
(La première partie raconte l'insurrection; la seconde en<br />
recherche les causes, étudie la société arabe et propose des<br />
moyens de gouvernement. Dtes extraits importants dans la<br />
Revue de l'Orient, 1846, p. 123-165,<br />
sous le titre « Traditions<br />
et prophéties arabes. Le moule-saâ et le moule-drâ, Bou-Maza<br />
et Abd-el-Kader ».<br />
Richard : Du gouvernement arabe et de l'institution qui doit<br />
Texercer. Alger, 1848, in-8°, 116 p.<br />
(Définit le rôle des Bureaux arabes).<br />
Richard : De l'esprit de la législation musulmane. Alger 1849, 31 p.<br />
(Deux chapitres extraits de l'ouvrage « Du gouvernement<br />
arabe » et précédés d'un ajiant-propos inédit).<br />
Richard : De la civilisation du peuple arabe. Alger 1850. in-8"<br />
68 p.<br />
(Richard expose ses idées sur l'évolution future du peuple<br />
arabe).<br />
Richard : Les mystères du peuple arabe. Paris, 1860, in-12, XXIII,<br />
242 p.<br />
(Richard se propose de décrire le peuple arabe tel qu'il est<br />
dans sa nature intime, loin de notre contact; il nous trans<br />
porte pour cela au sein d*un marché dans une région éloignée<br />
et décrit des scènes souvent très amusantes. L'ouvrage est<br />
précédé d'une introduction de 23 p. dans laquelle l'auteur<br />
développe ses idés sur le gouvernement des arabes et en par<br />
ticulier sur les chefs indigènes).<br />
R,chard : Examen critique de ta lettre de TEmpereur sur l'Algérie.<br />
Extrait du « Toulonnais », in-12, 46 p. Toulon 1865. LK8 1981.<br />
(Reprend ses thèmes habituels notamment sur les chefs indi<br />
gènes).<br />
Richard : Scènes de mœurs arabes, 2m° édition. Paris 1876, in-12,<br />
226 p. (La première édition doit être de 1850. Richard veut<br />
peindre le peuple arabe tel qu'il se montre dans ses relations<br />
avec nous; il évoque le chef de bureau arabe rendant la jus<br />
tice;<br />
scènes vivantes).<br />
Rinn (1) : L'Algérie assimilée. Etude sur la constitution et l'orga<br />
nisation de l'Algérie par un chef de bureau arabe. Constantine,<br />
1871, 168 p.<br />
(1) Rinn (Louis) : Carrière remarquable dans les bureaux arabes de<br />
1865 à 1885. Après avoir dirigé plusieurs bureaux dans le département de<br />
Constantine, il est appelé à Alger en 1874 et sert à la division puis à l'Etatmajor<br />
général. En 1881 il est chef du service central et en 1885 devient con<br />
seiller du gouvernement. Il a laissé une oeuvre considérable.
25<br />
26<br />
27<br />
28<br />
29<br />
30<br />
— — 412<br />
(Ouvrage paru sous l'anonymat. Le manuscrit formant 77<br />
feuillets se trouve à la Bibliothèque Universitaire d'Alger, sous<br />
le<br />
n"<br />
535. Tout en défendant les bureaux arabes, Rinn pro<br />
pose l'instauration du régime civil).<br />
Rinn : Les grands tournants de l'histoire de l'Algérie. Bulletin de<br />
la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1903,<br />
p. 1-24.<br />
(Sur l'évolution des Bureaux arabes,<br />
Rinn : Histoire de l'Algérie; sans date,<br />
p. 19-21).<br />
en X livres (19 volumes).<br />
Livre IX : les fils du Roi (11 novembre 1843-3 mars 1848).<br />
Livre X : Les bureaux arabes mekhaznya (3 mars 1848-24<br />
juin 1858).<br />
Livre XI : Les bureaux arabes hekkam (24 juin 1858-10 novem<br />
bre 1870).<br />
(Œuvre manuscrite qui se trouve à la Bibliothèque Universi<br />
taire d'Alger sous le<br />
n°<br />
528).<br />
Robin (colonel) (1) : L'insurrection de la Grande Kabylie en 1871.<br />
Paris, 1901, in-8°, 579 p.<br />
(Au chapitre II raconte la crise des Bureaux arabes en 1870).<br />
Villot (L'-coIonel) (2) : Mœurs, coutumes et institutions des indi<br />
gènes de l'Algérie, Alger, 1888, 521 p.<br />
(Réédition d'un ouvrage de 1868. Surtout p. 283-287 sur la<br />
question des terres, 302-317 sur les chefs indigènes, et 484-492<br />
sur l'assimilation).<br />
Walsin-Esterhazy (3) : De la domination turque dans l'ancienne<br />
Régence d'Alger. Paris 1840, in-8°, XXII-327 p.<br />
(Renseignements utiles dans l'avant-propos et dans le chapitre<br />
sur l'organisation militaire des Turcs).<br />
Walsin-Esterhazy : Notice historique sur le maghzen d'Oran.<br />
Oran 1849, in-8°, 409 p.<br />
(Outre son intérêt historique,<br />
« doctrine » des Bureaux arabes).<br />
contribution intéressante à la<br />
(1) Robin (Joseph-Mil) : longue carrière dans les bureaux arabes de<br />
1859 à 1886. A servi surtout en Kabylie puis, après 1870, comme directeur<br />
provincial à Alger.<br />
(2) ViMot (Edouard, Etienne, Cécile) : dans les bureaux arabes de 1860<br />
à 1876. A dirigé notamment les bureaux subdivisionnaires de Constantine et<br />
de Batna. Son ouvrage est une mise au point de l'œuvre de Daumas.<br />
(3) Walsin-Esterhazy (Louis, Joseph, Ferdinand) : chargé des affaires<br />
arabes à Mostaganem en 1840 et 1841 ; chef du bureau central d'Oran en<br />
1£42 ; directeur divisionnaire des affaires arabes d'Oran en 1844 et de plus<br />
chef du makhzen en 1845. A joué un grand rôle comme administrateur et<br />
comme soldat ; a terminé sa carrière général de division.
— — 413<br />
31 Zaccone (1) : Réflexions, sur la colonisation en Algérie. Paris<br />
1872, 18 p.<br />
32<br />
33<br />
34<br />
35<br />
36<br />
37<br />
38<br />
II. —<br />
(Détaché au bureau arabe de Tébessa. Evolution symptoma-<br />
tique : ne désire pas transformer profondément le genre de<br />
vie des Indigènes).<br />
OUVRAGES TRAITANT DES BUREAUX ARABES<br />
ET DE LEURS CHEFS<br />
Andrieu (E.) (ancien officier de chasseurs d'Afrique) : Types et<br />
croquis algériens. Riom 1875, 2 vol. in-8", réunis en un seul<br />
de 263 p. Li «22.<br />
(Quelques pages sur les Bureaux arabes de 1830 à 1840 :<br />
p. 163-190;<br />
suit les officiers dans leur carrière).<br />
Azan (lieutenant P.) : Recherche d'une solution de la question<br />
indigène en Algérie. Paris 1903, in-8", 87 p.<br />
(Eloge des Bureaux arabes auxquels il attribue la sécurité du<br />
pays, p. 51-55).<br />
Azan (général P.) : L'armée d'Afrique de 1830 à 1852. Collection du<br />
Centenaire de l'Algérie, Paris 1936, in-4°, 524 p.<br />
(Nombreux renseignements sur l'histoire des Bureaux arabes).<br />
Azan (général P.) : Par l'Epée et par la Charrue. Ecrits et Discours<br />
de Bugeaud. Avant-propos de Ch. A. Julien. Paris 1948, in-8",<br />
XXI + 350 p.<br />
(Quelques textes permettant de déceler l'impulsion à laquelle<br />
obéirent au début les Bureaux arabes, surtout p. 19, 44, 79, 133).<br />
Ballue '(!A.) ; La question agérienne à vol d'oiseau. Marseille 1869,<br />
in-8°, 49 p. LK 8852.<br />
(Critique les Bureaux arabes qu'il veut réformer, mais non<br />
supprimer).<br />
Bardy (M.) : L'Algérie et son organisation en royaume. Paris-Alger<br />
1852, in-8°, 165 p.<br />
(Favorable aux Bureaux arabes,<br />
projets de réformes).<br />
mais surtout préoccupé de<br />
Baudicour (L. de) : La guerre et le gouvernement de l'Alglérie.<br />
Paris 1853, in-8°, 600 p.<br />
(1) Zaccone (Prosper, Fernand) : aux affaires indigènes de 1871 à 1877.<br />
A surtout servi dans les bureaux arabes du département de Constantine. Est<br />
capitaine en 1872. .<br />
/
—<br />
— 414<br />
(En particulier le chapitre sur les chefs indigènes, p. 429-454,<br />
celui sur les Bureaux arabes, p. 454-463, et la conclusion<br />
p. 545-596).<br />
39 Baudicour (L- de) : La colonisation de l'Algérie. Ses éléments.<br />
Paris 1856, in-8°,<br />
590 p.<br />
(Quelques pages, 522 à 534,<br />
général).<br />
sur l'administration militaire en<br />
40 Behaghel (A.) Conquête et colonisation. Religion et mœurs. Armée.<br />
Paris 1870, in-12, 380 p.<br />
(P. 371-375 : une bonne étude sur les origines des Bureaux<br />
arabes).<br />
41 Bernard (A.) : L'Algérie (2mo volume de l'Histoire des cotonies<br />
françaises et de l'expansion de la France dans le monde,<br />
publiée par Hanoteau et Martineau). Paris 1930, in-4°, 548 p.<br />
(Pages intéressant les bureaux arabes : 144, 145, 249 à 254,<br />
300-301, 325 à 331).<br />
42 Bézy (J.-G.) : La vérité sur le régime militaire en Algérie. Articles<br />
parus dans « Le Courrier de l'Algérie ». Alger 1870, in-16,<br />
64 p. (Très hostile aux Bureaux arabes).<br />
43 Blanc (P.) : L'insurrection en Algérie. Alger 1864, in-8", 59 p,<br />
(Veut assimiler les Arabes et pour cela « il faut supprimer les<br />
chefs indigènes » et « par la suppression des chefs indigènes,<br />
les bureaux arabes devenant inutiles, il faut renoncer aux uns<br />
comme aux autres »).<br />
44 Broglie (A. de) : Une réforme administrative en Afrique. Paris<br />
1860, in-12, 242 p.<br />
(Critique le Ministère de l'Algérie et des Colonies, fait l'éloge<br />
de l'administration militaire et en particulier des Bureaux<br />
arabes).<br />
45 Cambon (F.) : Pour le régime civil en Algérie. Constantine 1879.<br />
in-8", 18 p. (Critique générale du régime militaire).<br />
46 Cocquerel (A.) : L'Algérie. Une solution. Alger, 1860, in-8", 16 p.<br />
(Partisan du cantonnement sans être hostile aux Bureaux<br />
arabes).<br />
47 Delayen (G.) : Les deux affaires du capitaine Doineau 1856-1874.<br />
L'attaque de la diligence de Tlemcen ; l'évasion de Bazaine.<br />
Paris 1924, 388 p.<br />
(Dans l'affaire de Tlemcen, la culpabilité de Doineau n'appa<br />
raît pas aussi entière qu'on l'admet généralement).
48<br />
415<br />
Démontés (V.) : La colonisation militaire sous Bugeaud. Paris-<br />
Alger, 1917, in-8°, 632 p.<br />
(Au livre IV surtout traite la question des bureaux arabes et<br />
de la colonisation arabe sous Bugeaud).<br />
49 Démontés (V.) : L'Algérie économique, tome VI : Un siècle de<br />
50<br />
51<br />
colonisation. Evolution historique de la colonisation de l'Al<br />
gérie. Alger 1930, in-8°, 408 p.<br />
(Etudie les Bureaux arabes, p. 68-78, le cantonnement, p.<br />
131-134).<br />
Deshorties (A.) : Les Arabes. Les Bureaux arabes. Paris 1864.<br />
(Ouvragé dû à un chef d'escadron d'état-major. Indiqué pour<br />
mémoire, car nous n'avons pu le trouver).<br />
Didier (H.) : Le gouvernement de l'Algérie. Paris 1851, in-18, 30 p.<br />
52 Didier (H.) : Le gouvernement militaire et la colonisation en<br />
Algérie. Paris 1865, in-8°, 32 p.<br />
(Didier fut l'un des représentants de l'Algérie à la Constituante<br />
et à la Législative. Il plaide pour le régime civil; dans le<br />
premier ouvrage, il propose la création d'un Ministère de<br />
l'Algérie; dans le second, il montre comment, après* la créa<br />
tion de ce ministère, les militaires réussirent progressivement<br />
à reprendre le pouvoir).<br />
53 Duponchel (E.) : 100000 hommes en Algérie. Projet de colonisa<br />
tion militaire. Solution économique et pratique de la question<br />
algérienne par un vieil africain. Paris 1860, in-8°, 64 p.<br />
(Défenseur du régime militaire, p. 40 à 64).<br />
54 Dupré (A.) : Lettres sur l'Algérie;<br />
Bordeaux 1870, in-12, XI-119 p.).<br />
publiées dans « La Gironde »■<br />
(Adopte le point de vue des colons sur le régime militaire).<br />
55 Duval (J.) : Réflexions sur la politique de l'Empereur en Algérie.<br />
Paris 1866, in-8°, VIII-184 p.<br />
(Critique la lettre de Napoléon III à Mac-Mahon; attaque inci<br />
demment l'administration militaire, p. 87, 166-167, mais fait<br />
surtout l'apologie de la colonisation).<br />
56 Duval (J.) : L'Algérie et les colonies françaises. Paris 1877, in-8°,<br />
XXX-354 p.<br />
(Une suite d'études écrites sous le Second Empire, notam<br />
ment un chapitre intéressant et objectif sur les Bureaux ara<br />
bes,<br />
p. 98 à 114).
57<br />
58<br />
59<br />
60<br />
61<br />
62<br />
63<br />
64<br />
■416-<br />
Duval (J.) et Warnier (A.) : Un programme de politique algé<br />
rienne. Lettres adressées à Son Exe. M. Rouher, ministre<br />
d'Etat, par J, Duval et M. Warnier, délégués officieux d'un<br />
grand nombre de colons algériens. Paris 1868, in-8", 144 p.<br />
(Exposent les revendications des colons, hostiles au régime<br />
militaire).<br />
Duval (J. et Warnier (A.) : Bureaux arabes et colons. Réponse au<br />
Constitutionnel pour faire suite aux lettres à M. Rouher. Paris,<br />
1869, in-8°, 190 p.<br />
(Critique sérieuse des Bureaux arabes, en particulier p. 41<br />
à 61).<br />
Duvernois (A.) : Le régime civil en Algérie. Urgence et possibilité<br />
de son application fmméd/a/e.Paris-Alger 1865, in-8°,XV-166 p<br />
(A. Duvernois est un ancien interprète de l'armée et un<br />
ancien sous-chef de bureau arabe civil; son attaque contre les<br />
bureaux arabes militaires est souvent excessive).<br />
Duvernois (Cl) : La réorganisation de l'Algérie. Lettre à S.A.l.<br />
le prince Napoléon chargé du Ministère de l'Algérie et des<br />
colonies. Alger 1858, in-18, 34 p.<br />
(L'auteur, ancien rédacteur en chef du journal « La Coloni<br />
sation, demande la suppression des Bureaux arabes).<br />
Emerit (M.) : Les Saint-Simoniens en Algérie. Publications de la<br />
Faculté des Lettres d'Alger, Paris, 1941, in-8°, 250 p.<br />
(Surtout le chapitre sur : La politique du royaume arabe,<br />
p. 233 à 287).<br />
Emerit (M.) : Les Bureaux arabes. Documents algériens, 10 novem<br />
bre 1947, 4 p. (Article de vulgarisation).<br />
Enfantin : Colonisation de l'Algérie. Paris 1843, in-8", 542 p.<br />
(Antérieur à l'organisation des bureaux arabes, mais insiste<br />
sur la nécessité de gouverner les Indigènes avec un personnel<br />
militaire spécialisé, surtout p. 325-336 et 351-352. Estime que<br />
le service demanderait plus de 700 officiers et sous-officiers<br />
et 7.000 hommes).<br />
Etourneau : L'Algérie faiscait appel à la France. Paris 1867, in-8°,<br />
466 p.<br />
(Défend le cantonnement p. 177-180. Très hostile au régime<br />
militaire et aux Bureaux arabes dont il souligne l'échec, p.<br />
220-221).
— — 417<br />
63 Faucon (N.) : Le Livre d'Or de l'Algérie de 1830 à 1889. Tome /.<br />
66<br />
67<br />
68<br />
y<br />
69<br />
70<br />
71<br />
72<br />
73<br />
74<br />
Biographies. Paris 1889, in-8°, XXIH-617 p.<br />
(Quelques renseignements sur Daumas, Lapasset, Margue<br />
ritte).<br />
Feuillide (Capo de) : L'Algérie française. Paris 1856, in-8", XXX-<br />
402 p. (Attaque vivement les Bureaux arabes, p. 71 à 86).<br />
Foucher (V.) : Les Bureaux arabes en Algérie. Bibliothèque du<br />
colon. Paris 1858, in-12, 51 p.<br />
(Défend les bureaux arabes après l'affaire Doineau).<br />
Hugonnet (L-) : La crise algérienne et la démocratie. Alger 1868,<br />
96 p. (Œuvre d'un socialiste qui s'en prend aussi bien à la<br />
colonisation qu'au régime militaire).<br />
Ideville (H. d') : Le Maréchal Bugeaud d'après sa èorrespondance<br />
intime el des documents inédits;<br />
in-8°, 452 p.<br />
(Etudie les^Brîreaux arabes au chapitre VI,<br />
Jaillet (P.)<br />
3 volume- Paris 1882,<br />
p. 214-259).<br />
: Essai historique et critique sur la colonisation mili<br />
taire. Thèse de droit, Paris 1903, in-8°, 372 p.<br />
(Bugeaud et les Bureaux arabes, p. 270-279).<br />
Javary (A.) : Etudes sur le gouvernement militaire de l'Algérie.<br />
Paris 1855, in-8»,<br />
200 p. LR8497.<br />
(L'auteur, capitaine de zouaves, a servi comme adjoint dans<br />
les bureaux arabes. Favorable à l'administration militaire et<br />
au cantonnement, mais formule certaines critiques).<br />
Keller (E.) : Le générai De La Moricière. Sa vie militaire, politi<br />
que et religieuse. Tome I. Paris 1874, iri-8°, 514 p.<br />
(Quelques renseignements sur le premier bureau arabe, p. 76<br />
et suivantes).<br />
Keun dO.) : Réflexions d'une civile sur les Bureaux arabes. Revue<br />
de Paris, 27m
75<br />
76<br />
77<br />
78<br />
79<br />
80<br />
81<br />
82<br />
83<br />
84<br />
-418-<br />
Lavigne (A.) : Le régime du sabre. Paris 1871, 46 p. LK8 931.<br />
(Un chapitre sur les Bureaux arabes, p. 28 à 46. Très hostile<br />
au régime militaire veut annexer l'Algérie à la France pure<br />
ment et simplement).<br />
Leblanc de Prébois (F.) : Bilan de l'Algérie à la fin de l'an 1864<br />
ou De la crise financière, commerciale et agricole. Ses causes<br />
et les moyens de la conjurer. Alger 1865, in-8", 31 p.<br />
(Chef d'escadron d'état-major, retraité et ancien représentant<br />
de l'Algérie à la Constituante. Défend l'armée, mais non les<br />
Bureaux arabes, p. 13-28).<br />
Leblanc de Prébois (F.) : Bilan du régime civil de l'Algérie à la<br />
fin de 1871. Paris 1872, in-8", 16 p., LK» 941.<br />
(Reproche surtout aux Bureaux arabes « un puritanisme exa<br />
géré et inintelligent » qui les détermina à abandonner au fisc<br />
le produit des impôts arabes lequel servit essentiellement aux<br />
territoires civils).<br />
Leblanc de Prébois (F.) : Situation de l'Algérie depuis le 4 sep<br />
tembre 1870. Alger 1875, in-8°, 41 p.<br />
(Repousse les accusations les plus graves formulées contre les<br />
Bureaux arabes, p. 27-33).<br />
Le Pays de Bourjolly (général) : Colonisation et mode de gou<br />
vernement en Algérie. Paris 1851. in-8", 71 p.<br />
(Défenseur de l'autorité militaire et des Bureaux arabes).<br />
Margueritte (P.) : Mon Père. Paris 1886, in-12, Vt-316 p.<br />
(Vie du général suivie de lettres écrites de 1860 à 1870).<br />
Margueritte (V.) : Un grand Français, le général Margueriile.<br />
Paris 1930, in-8°, 248 p. (Ajoute peu au livre précédent).<br />
Martin (G.) : La commune d'Alger, 1870-1871. Paris 1936, in-8",<br />
111 p.<br />
(Montre bien la lutte de la population civile contre la domi<br />
nation militaire).<br />
Masqueray (E.)<br />
: Souvenirs et visions d'Afrique. Paris 1894, in-12,<br />
444 p. (Un chapitre sur le général Margueritte, p. 342 à 366).<br />
Napoléon III : Lettre du 20 juin 1865 sur la politique de la France<br />
en Algérie adressée par l'Empereur au Maréchal de Mac-<br />
Mahon. Paris 1865, 85 p.<br />
(Le chapitre III traite notamment du makhzen, des Bureaux<br />
arabes et des smalas).
85<br />
86<br />
87<br />
89<br />
90<br />
91<br />
92<br />
93<br />
— — 419<br />
Panier (Dr) : Le Royaume arabe du héros de Sedan. Alger 1871,<br />
in-8°, 20 p.<br />
(A propos de l'insurrection de 1871, il fait le procès de Napo<br />
léon III, du régime militaire et des Bureaux arabes).<br />
Pelletier (H.)<br />
: Physiologie de la tribu après quarante ans d'occu<br />
pation suivi d'un projet d'organisation. Bône 1871, in-12, 93 p.<br />
(Violente attaque contre les « cloaques des Bureaux arabes ».<br />
L'auteur est colon près de Duvivier).<br />
Peyronnet(R.): Livre d'Or des officiers des affaires indigènes 1830-<br />
1930- —<br />
Tome I : Histoire et annuaire, 964 p. Tome II : noti<br />
ces et biographies 984 p. Gouvernement général de l'Algérie.<br />
Commissariat général du Centenaire. Alger 1930.<br />
(Travail considérable de caractère officiel).<br />
Randon : Mémoires du maréchal Randon. Paris 1875 et 1877, 2 vol.<br />
in-8° I de VIII + 526 p. et une carte, II de 328 p.<br />
(Dans vol. I : sur le but des smalas de spahis, p. 61-63, sur<br />
l'administration des indigènes p. 365-376 et sur le gouverne<br />
ment militaire, p. 504-512).<br />
Regnaud de Saint-Jean-d'Angely : Rapport adressé à M. le Pré<br />
sident de la République par le Ministre de la Guerre sur le<br />
gouvernement et l'administration des tribus arabes de l'Algé<br />
rie, Paris 1851, in-8°, 91 p.<br />
(Vues optimistes sur l'œuvre entreprise par les Bureaux<br />
arabes).<br />
Ribourt (colonel F.) : Le gouvernement de l'Algérie de 1851 à<br />
1858. Extrait de la « Revue Européenne », numéro du 15 avril,<br />
1er et 15 mai 1859. Paris, 1859, in-8°, 94 p.<br />
(Etude du gouvernement du maréchal Randon; favorable aux<br />
Bureaux arabes; est l'œuvre de Duruy qui, dans ses Notes et<br />
Souvenirs,, vol. I, p. 106-107, raconte comment il fut amené<br />
à l'écrire).<br />
Ringel (A.) : Les bureaux arabes de Bugeaud et les cercles mili<br />
taires de Gallièni- Thèse pour le doctorat es sciences politi<br />
ques et économiques. Paris 1903, in-8°, 126 p.<br />
(106 p. sur les Bureaux arabes; étude superficielle).<br />
Robiou de la Tréhonnais : L'Algérie en 1871. Paris 1871, in-8°,<br />
44 p. (P. 1-28 expose le point de vue des colons face aux<br />
Bureaux arabes).<br />
Rousset (C.) : La conquête de l'Algérie. Paris 1889, in-8", tome I,<br />
383 p.<br />
(Pages 284 à 289 sur l'origine des Bureaux arabes).
94<br />
95<br />
96<br />
97<br />
98<br />
99<br />
100<br />
101<br />
102<br />
— — 420<br />
Saint-Amant (de) : VAlgérie. Aperçus sur son état actuel et sur<br />
son avenir. Londres 1862, in-16, 48 p.<br />
(Hostile au régime militaire,<br />
caporal »).<br />
Senhaux (H. de) : La France et l'Algérie, 2n»<br />
in-8», 95 p.<br />
« régime mélangé de Turc et de<br />
édition, Paris 1871,<br />
(Ne voit dans le bureau arabe qu'un « être hermaphrodite...<br />
ni soldat, ni administrateur »).<br />
Tailliart (Ch.) : L'Algérie dans la littérature française. Paris 1925,<br />
in-8», 676 p.<br />
(Un bon résumé des<br />
critiques adressées au régime militaire et<br />
aux Bureaux arabes, avec nombreuses références, p. 87-100).<br />
Testot (L.) : La question algérienne. Le Correspondant 1869,<br />
p. 393-431. Z. 21.417.<br />
LXXIX,<br />
(Fait le procès des Bureaux arabes dont il demande l'abolition)<br />
Thomas (Baron G. M.) : Question africaine. Paris 1865, in-8°, 48 p.<br />
(Capitaine au 2m" cuirassiers de la Garde Impériale. Défend<br />
la politique de fixation au sol et de construction de villages<br />
pratiquée par les Bureaux arabes).<br />
Thomas (V.) : De l'emploi des Arabes et de leur réforme considé<br />
rés comme moyens de domination en Algérie. Alger, 1847,<br />
in-8°, 114 p.<br />
(Chef de bataillon, défend les Bureaux arabes,<br />
mais ne veut<br />
pas qu'ils empiètent sur les pouvoirs de l'autorité supérieure,<br />
p. 37 à 40).<br />
Thuillier (E.) : Le royaume arabe devant le jury de Constantine.<br />
Constantine 1873, in-8", 55 p. (Ecrit à propos du procès des<br />
chefs indigènes de l'insurrection de 1871; accuse les Bureaux<br />
arabes d'imprévoyance sinon de complicité et demande leur<br />
disparition).<br />
Trolard (M. E.) : L'Algérie et le gouvernement civil. Extrait du<br />
journal « Le Siècle ». Noyon 1881, 43 p.<br />
(Hostile au gouvernement militaire : au contact des affaires<br />
arabes, l'armée a gagné « la gangrène »)■<br />
Urbain (I.) : Du gouvernement des tribus de l'Algérie. Revue de<br />
l'Orient et de l'Algérie. 1847. Tome II, p. 241-259.<br />
(Loue la création des Bureaux arabes et désire que dans l'ad<br />
ministration des tribus on s'inspire des méthodes turques<br />
souples et efficaces).
103<br />
104<br />
105<br />
106<br />
107<br />
<strong>108</strong><br />
109<br />
421<br />
Urbain (L) : De la tolérance dans l'Islamisme, 19 p. Extrait de la<br />
Revue de Paris du l»p avril 1857.<br />
(Page 3 fait l'éloge de l'œuvre accomplie par les Bureaux<br />
arabes).<br />
Urbain (L) : L'Algérie française. Indigènes et Immigrants. Paris<br />
1862, 74 p:<br />
(Brochure parue sous l'anonymat, favorable au gouvernement<br />
militaire et aux Indigènes; pour son importance, voir M.<br />
n»<br />
Emerit p. 269-274).<br />
61,<br />
Vacherot (A.) : L'Algérie sous l'Empire. Les indigènes et la colo<br />
nisation. Revue des Deux Mondes, tome 83, 1869,<br />
p. 173-189.<br />
(Défend le cantonnement et attaque le sénatus-consulte. Cri<br />
tique mesurée des Bureaux arabes dont il demande cependant<br />
la suppression).<br />
Vaillant : Rapport présenté à l'Empereur sur la situation de<br />
l'Algérie en 1853 par M. le maréchal Vaillant, ministre de la<br />
Guerre. Paris, 1854, 69 p.<br />
(Progrès des Indigènes en matière agricole, p. 12-14).<br />
Vaillant : Rapport adressé à l'Empereur sur la situation de l'Al<br />
gérie au point de vue de l'administration des indigènes en<br />
1856. Paris 1857, in-8», 45 p.<br />
(Intéressant,<br />
il fait l'éloge) (1).<br />
nettement dans l'esprit des Bureaux arabes dont<br />
Valet (R.) : Le Sahara algérien. Elude de l'organisation adminis<br />
trative, financière et judiciaire des territoires du Sud. Alger<br />
1927, 300 p.<br />
(Fait rapidement l'historique du Service des affaires arabes,<br />
p. 41 à 57).<br />
Valet (R.) : L'administration militaire de 1830 à 1870 et la « pho<br />
bie » des bureaux arabes : Revue algérienne! tunisienne et<br />
marocaine de législation et de jurisprudence. Tome XLIII,<br />
année 1927, p. 78 à 87.<br />
(Organisation des Bureaux arabes et critiques adressées à leurs<br />
officiers).<br />
(1) Dans la Revue de l'Orient et de l'Algérie et des Colonies, tome XVI,<br />
1854, p. 222-224, on trouve un rapport du Ml Vaillant intitulé : Organisation<br />
des bureaux arabes, mais il concerne seulement les bureaux arabes départe<br />
mentaux.
110<br />
111<br />
112<br />
113<br />
114<br />
115<br />
116<br />
117<br />
118<br />
— — 422<br />
Verne (H.) : La France en Algérie. Paris 169, iri-8», 63 p.<br />
(10 p. sur les Bureaux arabes,<br />
« puissance occulte et irrésis<br />
tible qui impose sa volonté, arrête la marche du progrès, mo<br />
difie, transforme, annihile les mesures décrétées, rend inutiles<br />
les ordres du souverain »).<br />
Vian (L.) : L'Algérie contemporaine. Paris 1863, in-12, 264-IV p.<br />
(Nombreuses critiques adressées au régime militaire et aux<br />
Bureaux arabes).<br />
Voisin (G.) : L'Algérie pour les Algériens. Paris 1861, 164 p.<br />
(Œuvre d'I. Urbain, défend le régime militaire).<br />
Warnier (A.) : L'Algérie devant le Sénat. Paris 1863, in-8°, 179 p.<br />
(Articles rédigés pour le quotidien : « L'Opinion nationale »;<br />
défense énergique des colons avec une critique des Bureaux<br />
arabes, p. 22 à 27).<br />
Warnier (A.) : L'Algérie devant Vopinion publique. Pour faire<br />
suite à l'Algérie devant le Sénat. Indigènes et Immigrants,<br />
examen rétrospectif. Alger et Paris 1864, in-8», VII-176 p.<br />
(Recueil d'articles écrits pour « Le Courrier de l'Algérie ;<br />
réponse à la brochure d'Urbain, critique l'administration des<br />
Bureaux arabes,<br />
p. 59 à 78).<br />
Warnier (A.) : L'Algérie devant l'Empereur. Pour faire suite à<br />
l'Algérie devant le Sénat et à l'Algérie devant l'opinion publi<br />
que. Paris 1865, in-8», XII-328 p. (Un exposé et une critique<br />
des fonctions des Bureaux arabes au chap. XX, p. 229 à 248).<br />
Warnier (A.) : Cahiers algériens. Alger 1870,<br />
(Ouvrage anonyme dû à Warnier;<br />
in-8» 192 p.<br />
vœux des colons algériens<br />
présentés sous la forme de projets de lois commentés; on<br />
trouve dans ces commentaires toutes les critiques adressées<br />
au régime militaire et aux Bureaux arabes).<br />
Watbled (E.) : Souvenirs de l'Armée d'Afrique. Paris 1877, in-12,<br />
259 p. (Un chapitre sur t L'Armée d'Afrique et les Bureaux<br />
arabes ». Ces derniers furent « un important moyen... d'obéis<br />
sance, de police et d'administration », mais ont « hésité trop<br />
longtemps à reconnaître que leur mission était terminée »)•<br />
Ouvrages anonymes et comptes rendus de débats :<br />
Les Arabes et les Bureaux arabes. Paris 1864, in-8», 16 p., LK8<br />
712. (Attaque les Bureaux à propos de l'insurrection<br />
de 1864; en demande la suppression).
119<br />
120<br />
121<br />
122<br />
123<br />
124<br />
125<br />
— 423<br />
De rAlgérie au point de vue de la crise actuelle. Paris 1868,<br />
102 p. (P. 15 à 35 défend le gouvernement militaire et les<br />
Bureaux arabes qu'il estime « indispensables »).<br />
Le régime du sabre en Algérie. Extrait de la Revue militaire<br />
française. Paris 1869, 48 p.<br />
(Expose toute l'organisation administrative de l'Algérie ;<br />
défend le régime militaire et en particulier les Bureaux<br />
arabes, surtout p. 17 à 24).<br />
Un ancien officier de l'armée du Rhin : le Général Lapas<br />
set. 2 vol.<br />
497 p. — Tome<br />
in-8» Tome I 1815-1864, 2m» édit. Paris 1899,<br />
II 1865-1875, 2 édit. Paris 1899, 450 p.<br />
(Contient de longues citations des œuvres de Lapasset et<br />
surtout sa correspondance avec F. Lacroix, Urbain, Fleury,<br />
etc.).<br />
X.X.X. (Auteur du roman du curé)<br />
: L'Homme qui tue ! (Les Bu<br />
reaux arabes sous le Second Empire). Le ventre de Lalla<br />
Fathma. Bruxelles, 1878,<br />
Y26927.<br />
4m»<br />
édition, in-8». VII-272 p.<br />
(Violente diatribe contre la guerre d'Afrique et les Bureaux<br />
arabes. La mention « Auteur du Roman du Curé » permet<br />
d'identifier Hector France, alors proscrit et dont le Roman<br />
du Curé, interdit en France, parut à Bruxelles vers la fin<br />
de 1877).<br />
Procès du capitaine Doineau et de ses co-accusés devant<br />
la Cour d'Assises d'Oran (août 1857) : Acte d'accusation.<br />
Interrogatoire des<br />
accusés. Dépositions des témoins. Réqui<br />
sitoire. Plaidoiries. Arrêt. Pourvoi en cassation. Plaidoi<br />
ries. Arrêt de rejet. Paris 1857, 508 p.<br />
(Débats presque in extenso).<br />
Affaire de l'Oued Mahouinè dcercle de Tébessa). Massacre<br />
d'une caravane (27 victimes). Constantine. Paris, 1870 ;<br />
2 vol., 398 p. et 367 p. LK» 905.<br />
(Il s'agit des débats devant le Conseil de guerre de Cons<br />
tantine).<br />
Premier Conseil de guerre de Constantine. Débats de l'af<br />
faire Trinquand. (Abandon d'un convoi de vivres à l'en<br />
nemi). LK8 945.<br />
(Reproduits par C. Taupiac, avocat, rédacteur en chef de<br />
1'<br />
et Paris<br />
« Indépendant de Constantine » . Constantine<br />
1871, 68 p.).
— — 424<br />
126 Les Bureaux arabes devant le jury. —<br />
Compte rendu in<br />
extenso des débats intentés par M. le général de division<br />
Wolf, agissant au nom des Bureaux arabes, contre YAkhbar<br />
l'Algérie française, le Moniteur de l'Algérie et le Tell. Alger<br />
1871, in-8», XV + 127 p.<br />
(Véritable résumé de toutes les accusations portées contre<br />
les Bureaux arabes).<br />
127 Au Sénat la préparation du sénatus-consulte de 1863<br />
donne lieu à des débats intéressants, en particulier le rap<br />
port du comte de Casabianca (Moniteur Universel du 9-4-<br />
1863), et les interventions de F. Barrot, du comte de la<br />
Rue et du général Cousin-Montauban (Moniteur Universel<br />
du 12-4-1863).<br />
Daumas défend les Bureaux arabes, mais ne se montre<br />
point l'adversaire de la colonisation (voir par ex. : Séan<br />
ces du 26-2-1862 et 30-1-1863 dans le Moniteur Universel).<br />
Son discours du 30 avril 1869 prononcé à propos des lois<br />
de finances de 1870 (J.O. du 1-5-1869) fait l'éloge du régime<br />
militaire en général et des Bureaux arabes en particulier<br />
sans les séparer de l'œuvre de colonisation.<br />
128 Au Corps Législatif, les séances les plus intéressantes<br />
sont :<br />
— celles des 15 et 16 juillet 1868 (J.O. des 16 et 17-7-1868) où<br />
s'affrontent les adversaires (Lanjuinais, J. Favre) et les<br />
défenseurs (le baron J. David et Rouher) des Bureaux<br />
arabes ;<br />
— celles des 7, 8 et 9 mars 1870 (J.O. des 8, 9, 10-3-1870) qui<br />
suivent l'enquête Le Hon avec les discours de Le Hon, de<br />
Lefébure, du baron J. David, du comte de Kératry; se<br />
terminent par un ordre du jour adopté à l'unanimité et<br />
favorable à l'établissement du régime civil en Algérie.<br />
III. —<br />
OUVRAGES<br />
DIVERS.<br />
On peut mettre à part ceux utilisés pour les chapitres I, II<br />
et III. Par contre, il est impossible de distinguer entre les autres<br />
chapitres, la plupart des ouvrages étant communs.<br />
1° Chapitre I : Le Pays et les Genres de vie indigènes au moment<br />
de la conquête.<br />
129 Pour la documentation cartographique, on peut consulter :<br />
— la<br />
— la<br />
carte de l'Algérie au 1/500-000°, Alger.<br />
carte de l'Algérie au 1/200.000", feuilles Orléansville,<br />
Miliana, Cherchel, Ammi-Moussa, Téniet-el-Had, Tiaret,<br />
Chellala, Reibell.
130<br />
131<br />
132<br />
133<br />
134<br />
135<br />
136<br />
— la<br />
—■ la<br />
— la<br />
— Pour<br />
— — 425<br />
carte de l'Algérie au 1/50.000*. Parmi les feuilles parues :<br />
Gouraya, Cherchel, Tipaza, Cavaignac, Ténès, Oued-Da-<br />
mous, Marceau, Marengo, Oued-Kramis, Warnier, Oued-<br />
Fodda, Carnot, Miliana, Lavigerie, Charon, Orléansville,<br />
Béni-bou-Douanc, Pont du Caïd, Sidi-Madjoub, Ammi-Mous-<br />
sa, Téniet-el-Had, Letourneux.<br />
carte géologique de l'Algérie au 1/500-000», feuille Alger-<br />
Nord.<br />
carte géologique de l'Algérie au 1/50.000". Feuilles pa<br />
rues : Cherchel, Gouraya, Cavaignac, Ténès, Cap-Ténès,<br />
Warnier, Oued-Fodda, Carnot, Miliana, Vesoul-Bénian, Cha<br />
ron, Orléansville.<br />
la région comprise entre le Chélif et la mer on ajou<br />
tera la carte géologique du nord-ouest de la province d'Al<br />
ger, au 1/200.000» par Glangeaud.<br />
Bernard (A.) : Afrique septentrionale et occidentale. Tome XI<br />
de la Géographie Universelle, lr» partie : Généralités; Afrique<br />
du Nord. Paris 1937, 284 p.<br />
Dalloni ((M.) : Géologie appliquée de VAlgèrie. Métallogénie. Hydro-<br />
géologie.<br />
Agrogéologie. Collection du Centenaire de l'Algérie.<br />
Alger, 1939, in-4°, 888 p. et 8 planches hors texte.<br />
Koulomzine (Th.) : Les sources de Miliana, Essai d'<br />
hydrogéologie<br />
précise. Bulletin du Service de la carte géologique de l'Algé)-<br />
rie; 3ra" série : Géologie appliquée. Documents sur l'hydrologie<br />
souterraine des différentes régions de l'Algérie. Alger 1935,<br />
in-8», 42 p. et une carte hors texte.<br />
Maire (R.) : Carte phytogéographique de l'Algérie \et de la Tunisie.<br />
Notice de 43 p. et 30 planches. Alger 1926.<br />
Peyerimhoff (P. de) : Carte forestière de l'Algérie et de la Tunisie.<br />
70 p. et 7 planches de photographies. Alger 1941.<br />
Seltzer (P.) (avec la collaboration de L. Lasserre, A. Grandjean,<br />
et A. Fourey) : Le climat de l'Algérie. Alger 1946,<br />
R. Auberty<br />
in-4», 219 p.<br />
Trabut (L.) : Flore du Nord de l'Afrique. Répertoire des noms<br />
indigènes des plantes spontanées, cultivées et utilisées dans le<br />
Nord de l'Afrique. Collection du Centenaire. Alger 1935. in-4°,<br />
356 p.
— — 426<br />
137 Turlin (A.), A&ardo (F) et Flamand (G. B. M.) : Le Pays du<br />
Mouton. Des conditions d'existence des troupeaux sur les<br />
Hauts Plateaux el dans ie> Sud de l'Algérie. Alger 1893, 501 p.<br />
cartes et photos.<br />
(P. 5 à 11 reproduit le rapport du 29-12-1852 de Bernis, vété<br />
rinaire principal de l'Armée d'Afrique).<br />
138 Répertoire alphabétique des tribus et des douars de l'Algérie<br />
dressé d'après les documents officiels,<br />
sous la direction de<br />
M. Le Myre de Villers, par F. Accardo, Alger 1879, 288 p.<br />
(Comprend deux parties : tribus et fractions de tribus; douars<br />
et fractions de douars. Une carte au 1/800.000". Indispensable).<br />
2° Chapitre II : Les Bureaux arabes.<br />
Ce sont les ouvrages indiqués ci-dessus (I et II). Pour les<br />
documents officiels :<br />
139<br />
140<br />
141<br />
142<br />
Estoublon et Lefébure : Code de l'Algérie annoté. Recueil chro<br />
nologique des lois, ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires,<br />
etc., formant la Législation algérienne avec les travaux pré<br />
paratoires et l'indication de la jurisprudence. 1" volume de<br />
1830 à 1895, 1.064 p. et une table de 135 p. Alger 1896.<br />
Ménerville (M. L.) : Dictionnaire de la législation algérienne.<br />
Code annoté et manuel raisonné des lois, ordonnances, décrets,<br />
décisions et arrêtés publiés au Bulletin officiel des actes du<br />
gouvernement.<br />
1er volume 1830-1860, 702 p. Paris 1867.<br />
2» volume 1860-1866, 356 p. Paris 1872.<br />
3"" volume 1866-1872, 341 p. Paris 1872.<br />
Instruction réglementaire sur le service des Bureaux arabes<br />
(signée du M"1 Mac-Mahon, duc de Magenta). Extrait du bulle<br />
tin officiel n»<br />
222 du 26 mars 1867; 29 p. Alger 1867.<br />
Division d'Alger : Circulaire sur l'administration des<br />
nés (avril 1861). Alger 1861, 60 p.<br />
indigèm<br />
(Etudie toutes les questions dont s'occupèrent les Bureaux<br />
arabes en particulier le cantonnement p. 24 à 33; le commerce,<br />
l'agriculture et l'industrie p. indigène, 51 à 59).
— 427-<br />
3° Chapitre III : Le Cantonnement<br />
Pour la délicate question du cantonnement nous avons<br />
consulté :<br />
143<br />
144<br />
145<br />
146<br />
147<br />
148<br />
149<br />
150<br />
Besson (E.) : La législation civile de l'Algérie. Etude sur la condi<br />
tion des personnes et sur le régime des biens en Algérie.<br />
Paris 1894, 364 p.<br />
Bordet : Algérie. Immigrants et indigènes. Paris 1863, 71 p.<br />
(Réponse à Urbain : Algérie française. Indigènes et Immi<br />
grants. Défend le cantonnement et la constitution de la pro<br />
priété individuelle).<br />
Boyer-Banse (L.) : La propriété indigène dans l'arrondissement<br />
d'Orléansville. Thèse de doctorat en droit. Orléansville 1902,<br />
in-8», 174 p.<br />
(Utile pour le cantonnement des Ouled-Kosseïr surtout).<br />
Cauquil (Dr.) : Etudes économiques sur l'Algérie. Administration,<br />
colonisation, cantonnement des indigènes. Oran 1860, in-8»,<br />
98 p. (Favorable au cantonnement qu'il étudie, p. 51 à 67).<br />
Chauveau (F.) : Rapport fait au Sénat au nom de la Commission<br />
chargée d'examiner les modifications à introduire dans la<br />
législation et dans l'organisation des divers services en Algé<br />
rie. Paris 1893,<br />
87 p.<br />
(Etudie les questions de propriété foncière, définit le canton<br />
nement et donne des chiffres).<br />
Duvernois (Cl.) : L'Algérie. Ce qu'elle est. Ce qu'elle doit être.<br />
Essai économique et politique. Alger et Paris 1858, in-12, 398 p.<br />
(Un chapitre sur le cantonnement, p. 269 à 287).<br />
Giraud (H.) : Le gouvernement de l'Algérie. Trente mois de minis<br />
tère spécial. Extrait de la Revue contemporaire, livraison du<br />
15-2-1860. Paris 1861, 47 p.<br />
(Un des rares auteurs qui affirme que le cantonnement a<br />
« réussi au delà de toute attente » ; hostile à la constitution<br />
de la propriété collective de la tribu).<br />
Girault (A.) : Principes de colonisation et de législation coloniale.<br />
IV. Troisième partie. L'Afrique du Nord- L'Algérie. 5° édition.<br />
Paris 1927, 466 p.<br />
(Rapide étude des Bureaux arabes et du cantonnement, p. 135-<br />
142, 374).
151<br />
152<br />
153<br />
154<br />
155<br />
156<br />
157<br />
158<br />
159<br />
160<br />
— — 428<br />
Godin (F.) : Le régime foncier de l'Algérie, p. 203-416, in « L'œuvre<br />
législative de la France en Algérie », par Milliot, Morand, Go<br />
din et Gaffiot. Collection du Centenaire, Paris 1930, in-4°,<br />
526 p.<br />
(Etude approfondie, mais qui paraît trop systématique).<br />
Isnard (H.) : Le cantonnement des indigènes dans le Sahel d'Alger<br />
p. (1852-1864), 245-255 des Mélanges de géographie et d'orien<br />
talisme offerts à E.-F. Gautier. Tours, 1937.<br />
(Œuvre de la Commission des Transactions et Partages au<br />
Sud du Sahel).<br />
Isnard (H.) : La réorganisation de la propriété rurale dans la<br />
Mitidja. Ses conséquences sur la vie indigène. Alger 1949,<br />
in-8», 125 p;<br />
(Un autre aspect de l'œuvre de la Commission des Transac<br />
tions et Partages).<br />
La Beaume : Projet de décret sur le cantonnement des indigènes.<br />
Alger, 1861, 58 p.<br />
(Comprend le projet de décret établi par la commission et le<br />
compte rendu de toutes les séances).<br />
Lacroix (F.) : L'Algérie et la lettre de l'Empereur. Paris 1863, 80 p.<br />
(Ouvrage paru sous l'anonymat. P.22 à 35, étudie la propriété<br />
indigène et condamne le cantonnement).<br />
Larcher (E.) : Traité élémentaire de législation algérienne. 3»<br />
édition revue,<br />
augmentée et mise au courant par E. Larcher<br />
et G- Rectenwald. Paris 1923, 3 vol. in-8» : 777 p., 670 p., 652 p.<br />
(La question du cantonnement est traitée dans le volume II,<br />
p. 52 à 57).<br />
Laynaud (M.) : Notice sur la propriété foncière en Algérie. Alger<br />
1900, 129 p.<br />
(Etudie le cantonnement,<br />
p. 45 à 51).<br />
Leblanc de Prébois (F.) : Langueur de VAlgêrie, ses causes et le<br />
moyen d'y remédier. Alger 1862, in-8", 31 p.<br />
(Très hostile au cantonnement, p. 8 à 11).<br />
Poivre (M.) : La loi du 26 juillet 1873 sur la propriété en Algérie.<br />
Son interprétation et son exécution. Alger 1888, 200 p.<br />
(Une carte qui permet de situer exactement le cantonnement<br />
des Abid-et-Feraïlia).<br />
Pouyanne (M.) : La propriété foncière en Algérie. Alger, 1900.<br />
1.120 p.<br />
(Un chapitre sur le cantonnement, p. 367-373).
—<br />
— 429<br />
161 Vinet (J.) : La crise algérienne. Quelques mots sur la colonisation.<br />
162<br />
163<br />
164<br />
165<br />
166<br />
La lettre de Sa Majesté l'Empereur. Paris 1863, in-8», 16 p.<br />
(Œuvre d'un colon favorable à l'idée du cantonnement et de<br />
la constitution de la propriété individuelle chez les Arabes).<br />
Worms (M.) : Recherches sur la constitution de la propriété terri<br />
toriale dans les pays musulmans et subsidiairement en Algérie.<br />
Paris 1846, 499 p.<br />
(D'un grand intérêt historique; surtout p. 289 à 346 et, dans<br />
la 2"<br />
partie, le chapitre premier : De la propriété du terri<br />
toire de grande culture ou des campagnes en Algérie, p. 350<br />
à 429).<br />
(Anonyme) : L'Algérie à la France. L'Etat et les tribus. Constan<br />
tine et Paris, 1862, 40 p.<br />
(Etudie le cantonnement au point de vue juridique et le con<br />
sidère comme « une mesure indispensable, juste, aussi favora<br />
ble aux indigènes qu'à l'Etat lui-même et au progrès »).<br />
Bulletin officiel du Gouvernement général de l'Algérie.<br />
(Auparavant : Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement de<br />
l'Algérie, 1834-1858;<br />
puis : Bulletin Officiel de l'Algérie et des<br />
Colonies 1858-1860. Documentation intéressante dans les rap<br />
ports des commissions chargées d'appliquer le Sénatus-<br />
consulte).<br />
(Anonyme) : Etude sur le projet de cantonnement des indigènes<br />
au point de vue de la province d'Oran. Oran 1861, in-8», 24 p.<br />
(Précédée du projet de décret établi par la Commission d'Al<br />
ger. Le critique sévèrement et affirme la souveraineté totale<br />
de l'Etat sur les terres occupées par les Indigènes qu'on ne<br />
saurait considérer comme des propriétaires).<br />
Le Moniteur Algérien du 20 février 1857.<br />
(Dans la partie non officielle, une note qui définit les buts et<br />
les caractères du cantonnement).<br />
4° Chapitres IV, V et VI et Conclusion<br />
167 Arippe (P.) : Des sociétés indigènes de prévoyance, de<br />
secours et<br />
de prêts mutuels d'Algérie. Ce qu'elles sont. Ce qu'elles doivent<br />
être- Thèse de droit. Alger 1930, in-8», 225 p.<br />
(Signale le rôle de Lapasset et de Liébert dans les origines<br />
des S.I.P.).
168 Baudicour (L. de)<br />
1860, in-8», 584 p.<br />
-430-<br />
: Histoire de la colonisation de l'Algérie. Paris<br />
(Un chapitre sur le cantonnement, p. 486-515 et des rensei<br />
gnements sur la colonisation indigène, p. 516-550).<br />
169 Bernard ÇA.) : Enquête sur l'habitation rurale des indigènes de<br />
l'Algérie. Alger 1921, 150 p., 15 croquis, 16 pi. et une carte<br />
hors texte.<br />
170 Bernard (A.) et Lacroix (N.)<br />
rie. Alger 1906, in-8», 342 p.<br />
(Permet des rapprochements intéressants).<br />
: L'évolution du nomadisme en Algé<br />
171 Berque (A.) : L'habitat de l'indigène algérien. Revue Africaine, 1"<br />
et 2"" trimestres 1936, p. 43 à 100.<br />
(Cet ouvrage et le<br />
n»<br />
169 permettent de mieux placer dans<br />
l'ensemble de l'évolution l'œuvre entreprise par les Bureaux<br />
arabes en matière d'habitat).<br />
172 Bugéja (M.) : Au pays des moissons (Le Sersou). Alger 1948, in-8",<br />
255 p.<br />
173<br />
(Cite des rapports montrant l'influence de l'administration<br />
militaire sur les nomades, p. 99-103).<br />
Carette (E.) : Origine et migrations des principales tribus de<br />
l'Afrique septentrionale et particulièrement de l'Algérie.. Ex<br />
ploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840,<br />
1841, 1842. Paris 1853, in-8", 489 p.<br />
174 Du Barail (F. G-) : Mes souvenirs. 1'" volume. Paris 1908, in-8",<br />
452 pages.<br />
(Détails intéressants sur les Bureaux arabes et les smalas).<br />
175 Ducrot (général) : La vérité sur l'Algérie. Paris 1871, in-8», 77 p.<br />
LK8 922. (Insiste sur l'échec des smalas, p. 17-20 et 69-72).<br />
176 Fleury (général comte de) : Souvenirs, 2 vol. in-8» :<br />
I : 1837-1859, Paris 1897, 433 p.<br />
II : 1859-1867, Paris 1898, 393 p.<br />
(Revendique la création de la première smala au<br />
f vol.).<br />
chap. V du<br />
177 Jourdan (Ch.) : Croquis algériens. Paris 1880, in-8". 302 p.<br />
(Une critique des smalas, p. 230 à 233).<br />
178 Lacroix ((N.) : Les groupements indigènes de la commune mixte<br />
du Djendel au moment de l'établissement du Sénatus-Consulte<br />
de 1863, Revue Africaine 1909, p. 311-397.<br />
(Signale les transformations survenues notamment chez les<br />
Djendel, les Béni-Ahmed et les Béni-Fathem).
179<br />
180<br />
181<br />
182<br />
183<br />
184<br />
185<br />
431-<br />
Lunel (E.) : La question algérienne. Les Arabes, l'armée, les colons.<br />
Paris 1869, in-8", IX-135 p.<br />
(Ancien officier de spahis; fait le procès des smalas,<br />
à 106).<br />
p. 97<br />
Monglave (E. de) : De l'influence des smalas de spahis sur l'avenir<br />
de l'Algérie. Revue de l'Orient, de l'Algérie et des Colonies,<br />
1.857 p., 144-150.<br />
(Les buts poursuivis, les progrès économiques réalisés, la<br />
nécessité de l'enseignement, l'importance du commandement).<br />
Saint-Arnaud (M*1<br />
572 et 606 p.<br />
de) : Lettres. Paris 1855. 2 vol. in-12, XXVI-<br />
(Dans le premier volume, les lettres écrites pendant le com<br />
mandement à Miliana; dans le second,<br />
celles d'Orléansville).<br />
Simon (F.) : Les spahis et les smalas. Constantine. Paris 1871, in-8",<br />
16 p., LK8 924.<br />
(Fait une critique sérieuse des smalas dont il propose la<br />
réorganisation).<br />
Tinthoin (R.) : Colonisation et évolution des genres de vie dans<br />
la région ouest d'Oran, de 1830 à 1885. Etude de géographie<br />
et d'histoire coloniales. Oran 1947, ini-4°, 389 p.<br />
(Utile pour des comparaisons entre Tell algérois et Tell ora-<br />
nais).<br />
Règlement sur la constitution, le régime, l'administration et la<br />
comptabilité des smalas des régiments de spahis. Paris<br />
1862, 128 p.<br />
(Ce règlement comporte 90 articles. Il se trouve dans les<br />
archives du Ministère de la Guerre, carton 208).<br />
Tableaux de la situation des établissements français en<br />
/ 1865-1866 p. 503 et suivantes : une statistique de la popu<br />
Algérie, de 1837 à 1866;<br />
en principe un volume par année,<br />
mais parfois deux années dans le même volume.<br />
Les plus importants pour nous ont été :<br />
1844-1845, qui contient p. 397-519 des notices statistiques éta<br />
blies par les officiers des Bureaux arabes sur les tribus;<br />
et la carte de l'Algérie au 1/1.000.000" de Carette et War<br />
nier.<br />
1850-1852 : une étude ds Bureaux arabes p. 69 à 73.<br />
1852-1854 p. 346 et suivantes ) nombreux renseignements<br />
1856-1858 p. 193 et suivantes. )<br />
sur l'habitat indigène.<br />
lation des tribus.
LEXIQUE DE MOTS INDIGÈNES<br />
Nous donnons ici, très sommairement, le sens des mots<br />
indigènes (presque toujours arabes) utilisés dans le texte. Lors<br />
qu'il y a lieu, un nombre renvoie à la page où l'on peut trouver<br />
plus de précision.<br />
abd (pluriel : abid) : serviteur, es<br />
clave.<br />
achaba : location de terrains de par<br />
cours. 49.<br />
achour : dime sur les récoltes. 151.<br />
aïn (plur. : aïoun) : source (fréquent<br />
dans les noms de lieux).<br />
amara : étoffe ou musette de che<br />
val. 42.<br />
arba : quatre, le mercredi.<br />
arch : les terres arch sont les terres<br />
collectives des tribus. 51.<br />
ard : terre, pays.<br />
asker : soldats.<br />
azibs < se dit de troupeaux confiés<br />
azila ( à des gardiens. 44.<br />
bechna : sorgho.<br />
beïda : blanche.<br />
bekouka : l'Arum. 59.<br />
ben (plur. : béni) : fils de.<br />
beylik : l'état turc.<br />
bit el mal : l'administration des biens<br />
(le Trésor public).<br />
bled : campagne, pays.<br />
bocaa : division d'un douar-commune.<br />
bordj : bastion, citadelle.<br />
bou, abréviation de abou : père.<br />
cadi : juge-notaire musulman.<br />
caïd : chef de tribu.<br />
chabet : ravin, défilé.<br />
chergui (plur. : chéraga) : de l'Est.<br />
cof, çoff ou sof : ligue, parti.<br />
dar : maison.<br />
defla : laurier-rose.<br />
dif (plur. : diaf) : hôte; dar ed-diaf;<br />
maison des hôtes. 141.<br />
djebel : montagne.<br />
djelal : couverture pour le cheval.<br />
djemaa : assemblée.<br />
djenah : pan de burnous.<br />
douar : groupe de tentes ; désigne<br />
aussi le douar-commune qui est<br />
une division administrative.<br />
etnin ou plutôt tnine : deux, lundi.<br />
féraoun : scille maritime.<br />
flidj<br />
: pièce de la tente. 42.<br />
fondouk : entrepôt de marchandises.<br />
gharbi (plur. : gheraba) : de l'Ouest.^<br />
grara : bissac de laine.<br />
guettaïf : grand tapis du Sud.<br />
habous : bien religieux. 51.
ialla : sainte.<br />
makhzen : le gouvernement.<br />
mechta : gourbi d'hivernage, hameau.<br />
47.<br />
medjelès : conseil, assemblée.<br />
mekariin : moissonneurs, journaliers<br />
agricoles.<br />
mekhazeni ou mokhzani (plur. : mo-<br />
khaznia) : cavalier du bureau<br />
arabe.<br />
mekraznya (bureaux arabes) : 22.<br />
melk : propriété privée.<br />
merdja (plur. : meroudj) marais.<br />
moulé-saa : le maître de l'heure. 123.<br />
odjaq : milice des janissaires.<br />
ouled : enfants de<br />
oussada : coussin. 42.<br />
quetaa : le prix fixé (sens dans le<br />
texte 180).<br />
raya : se dit des tribus soumises, par<br />
opposition à celles du makhzen. 151.<br />
— 434-<br />
saa : mesure de capacité. 68.^<br />
sabega : synonyme de arch.<br />
sebt : samedi.<br />
seguia : canal.<br />
smala (plur. : zmoul) : campement./<br />
242.<br />
taleb (plur. : tolba) : l'étudiant, mais<br />
employé aussi pour désigner celui<br />
qui enseigne.<br />
talrouda : le Bunium. 59.<br />
tellis : sac double. 42.<br />
tifkirt : croûte calcaire. 310.<br />
tizi : col (d'une région montagneuse).<br />
tleta : trois, mardi.<br />
tnine : deux, lundi.<br />
touiza : coopération gratuite, et aus<br />
si : corvée.<br />
zekkat : impôt sur les troupeaux. 151. /<br />
zorbia : tapis. 42.<br />
zouidja : charrue. 16.
INDEX DES NOMS PROPRES<br />
Il concerne le texte et les notes à l'exclusion des noms que l'on<br />
trouve sur les cartes, figures et tableaux.<br />
Lorsqu'un nom se rencontre dans plusieurs pages consécutives<br />
nous indiquons seulement la première et la dernière de ces pages,<br />
par exemple : Orléansville 296-308.<br />
Tous les noms de rivières sont à rechercher après Oued.<br />
Les noms des officiers ayant servi dans les Bureaux arabes sont<br />
en caractères gras.<br />
Abd-el-Kader 12, 13, 28, 106, 115, 122,<br />
133.<br />
Abid 173, 198, 201-204, 206, 207, 213.<br />
Abid-et-Feraïlia 158, 197-200, 204,<br />
207-209, 234, 281.<br />
Achacha 42, 135.<br />
Adda 297.<br />
Adjeraf 185, 186.<br />
Affreville 28, 35,<br />
349, 354.<br />
37, 198, 200, 276,<br />
Afrique 136, 137,<br />
373.<br />
140, 162, 221, 247,<br />
Aïn-Bénian 165, 182.<br />
Aïn-Defla 201-203, 304, 311, 346, 348.<br />
Aïn-Fergoussin 56.<br />
Aïn-Gassaf 153.<br />
Aïn-Kherazza 346, 347.<br />
Aïn-Kerma 249.<br />
Aïn-Lekhal 346.<br />
Aïn-Lellou 336, 346.<br />
Aïn-Meran 259, 293, 318, 324, 345, 349,<br />
369.<br />
Aïn-Oussera 37.<br />
Aïn-Sadok 205, 206, 370.<br />
Aïn-Sultan 165, 200, 282.<br />
Aïn-Tagrout 21.<br />
Aïn-Toukria 43, 130, 331, 336, 350.<br />
Aix 9.<br />
Akhbar 21, 135.<br />
Alger 9, 10, 11, 13, 15, 18, 19, 21, 70,<br />
77, 80, 101, 106, 121, 128, 145, 157,<br />
175, 178, 183, 191, 197, 200, 205, 226,<br />
244, 295, 307, 311, 315, 331, 337, 339,<br />
345, 351, 353, 358, 359, 361-363, 367,<br />
382, 385.<br />
Algérie 13, 15, 19, 29, 33, 38, 54, 75, 86,<br />
<strong>108</strong>, 111-113, 118, 120, 128, 129,<br />
133, 134, 136, 138, 142, 145, 150, 151,<br />
157, 161, 163, 170, 199, 229, 234, 243,<br />
248, 249, 266, 277, 281, 290, 291, 293,<br />
300, 302, 312, 313, 316, 319, 330, 339,<br />
360, 365, 372, 375-378, 390.<br />
Ali (fils de Ammou-el-Kosseïr) 174.<br />
Allah 57, 319, 386.<br />
Allemagne 70.<br />
Allonville (d') 12.<br />
Amérique 282.<br />
Ameur-ben-Ferhat 336.<br />
Ammi-Moussa 180, 351.<br />
Ammou-el-Kosseïr 174, 175.<br />
Angleterre 70.<br />
Antonelli 270.<br />
Arabes 9-11, 16, 68, 97, 98, 102, 104,<br />
105, 139, 163, 164, 167, 201, 212, 219,<br />
223, 226, 241, 277, 297, 299, 301, 304,<br />
320, 324, 326, 328, 330, 337, 340, 345,<br />
348, 351, 352, 354, 357, 366, 371, 376,<br />
377, 379-381, 388.<br />
Arab Saïd de l'Oureguela 44.<br />
Arbaa (ou Larba) 41-43, 45, 50, 68,<br />
229, 355, 356.<br />
Arbal 336.<br />
Ardh-el-Beïda 185.<br />
Aribs 149, 150, 155, 243, 312, 315.<br />
Arippe 107, 290.<br />
Arzew 156.<br />
Atlas Saharien 19.
Attafs 34, 48, 55, 61, 68, 164, 185, 217,<br />
233, 262, 265, 292, 295, 307, 320, 325,<br />
347, 350, 353.<br />
Aude 134.<br />
Aumale (duc d') 268.<br />
Averseng 374.<br />
Avizard (général) 11.<br />
Azan (général) 11, 243.<br />
Azéma de Montgravier 17, 18, 88, 97,<br />
101, 109, 110, 112, 113, 119, 120, 124.<br />
145, 152, 162, 213, 214, 261, 265.<br />
Azerou Derbal (col d') 345.<br />
Aziz 45, 51, 61.<br />
B<br />
Baache 53, 215, 360.<br />
Babeuf 189.<br />
Baghdadi 229, 230, 286.<br />
Baghdoura 344.<br />
Baraouïa 328.<br />
Barberet 328.<br />
Bardy 389.<br />
Baudicour 150, 152, 156, 167, 223, 229,<br />
256, 293, 370, 376.<br />
Béatrix (capitaine) 133.<br />
Beauce 38.<br />
Beaufort (général de) 77.<br />
Beaujolais 200.<br />
Bedeau (général) 91, 162.<br />
Bel Abdallah 21.<br />
Bel Hadj 87.<br />
Bel Kheir 87.<br />
Bel Kheïrat 32.<br />
Beni-bou-Attab 67.<br />
Beni-Boukni 198, 349.<br />
Beni-bou-Khannous 60, 66, 125, 173,<br />
336.<br />
Beni-bou-Milleuk 337, 339, 340, 345.<br />
Beni-Chaïb 48, 66, 68.<br />
Beni-Djerdin 48.<br />
Beni-Fatem 52, 298, 314, 315.<br />
Beni-Ferah 51, 67, 129, 199, 200-203,<br />
206, 217, 311.<br />
Beni-Ghomerian 67.<br />
Beni-Hamed 218, 228, 233, 235, 307,<br />
308, 320, 358.<br />
-436 —<br />
Beni-Haoua 65, 314, 343.<br />
Beni-Hidja 228, 314, 343.<br />
Beni-Indel 347.<br />
Beni-Lent 42, 51, 61, 66, 68, 212, 228<br />
294, 359.<br />
Beni-Lioui 345.<br />
Beni-Madoun 350.<br />
Beni-Mahrez (ou Méharez) 33, 48,<br />
129, 228.<br />
Beni-Maïda 42, 45, 50, 51, 61, 228, 294,<br />
328, 359.<br />
Beni-Mehenna 150, 156.<br />
Beni-Menad 61, 215.<br />
Beni-Menasser 27, 28, 59, 68, 128, 129,<br />
199, 282, 303, 308, 350, 354.<br />
Beni-Menna 53, 215, 228, 345.<br />
Beni-Méred 149.<br />
Beni-Merhaba 259.<br />
Beni-Merzoug 53, 66, 68, 344.<br />
Beni-Messaoud 60.<br />
Beni-Naghelan 198, 202.<br />
Beni-Naouri 42.<br />
Beni-Ouazzan 174, 198, 258, 317.<br />
Beni-Ouragh 175, 258.<br />
Beni-Rached 34, 48, 59, 60, 66, 174,<br />
295, 305, 310, 349.<br />
Beni-Salah 60.<br />
Beni-Senouss 227.<br />
Beni-Soumeur 227, 250.<br />
Beni-Zidja 175, 258.<br />
Beni-Zioui 65, 67, 337.<br />
Beni-Zoug-Zoug 19, 52, 66, 68, 175.<br />
199, 218, 255, 358.<br />
Berbères 67.<br />
Berbrugger 125.<br />
Bernard (A.) 11, 37, 42, 50, 104, 149,<br />
160, 161, 212, 375.<br />
Bernis 45, 63, 326, 327.<br />
Berque 374.<br />
Berthault 38.<br />
Berthezène (général) 10, H.<br />
Besson 160.<br />
Betaïa 349.<br />
Betioua 158.<br />
Bézy 72, 373.<br />
Blaëls 43, 68, 218, 231.
Blangini (général) 261, 385.<br />
Blida 90, 127, 245, 287, 307, 358, 361.<br />
Boissonnet (capitaine) 75.<br />
Boghar 130, 198, 294, 356.<br />
Boghari 36, 37, 41.<br />
Bône 317.<br />
Bonnes 308.<br />
Bordet 371.<br />
Borel de Brétizel (colonel) 81, 178,<br />
179.<br />
Bosquet (général) 37, 119, 123, 178,<br />
244, 245.<br />
Bou-Abdallah 174.<br />
Bou-Alem 229, 230, 263, 286, 325, 347.<br />
Boufarik 128, 358, 359.<br />
Bougie 11, 137.<br />
Bou-Hallouan 61, 68, 358.<br />
Bou-Mad 27.<br />
Bou-Maza 19, 62, 89, 115-117, 130, 133,<br />
137, 162, 194, 258, 267, 285, 365, 377.<br />
Bou-Medfa 165.<br />
Bou-Rached 68.<br />
Bourbaki (général) 37, 38, 130.<br />
Bourgeret 164, 201, 206, 338.<br />
Bourmont (général) 10.<br />
Bou-Saada 90.<br />
Bou-Yelfen 336.<br />
Bou-Zehar 203, 206, 208.<br />
Bou-Zoutat 185.<br />
Boyer 10.<br />
Boyer-Banse 177, 188.<br />
Brarchas 21.<br />
Braz 55, 67, 198, 199, 217, 228, 230.<br />
Broglie (de) 365.<br />
Bugeaud 12-15, 20, 26, 28, 35, 37, 70,<br />
74, 82, 84, 91, 93, 95, 96, 99, 100, 103,<br />
105, 110, 112, 123, 124, 128, 129, 130,<br />
133, 134, 138, 148, 149, 152, 153, 161,<br />
162, 174, 243, 257, 258, 272, 376, 390.<br />
Bugéja 356.<br />
Burdeau 37.<br />
Camou (général) 64, 77, 91, 112, 178,<br />
223, 251, 275, 280, 339, 368.<br />
Canrobert (lieutenant-colonel) 89,<br />
133.<br />
-437 —<br />
Cantarrade 90.<br />
Capifali 17, 98, 127, 173, 188, 221, 277,<br />
278, 280, 289, 295, 297, 298, 303, 304,<br />
306, 316, 318, 319, 321, 322, 337, 340,<br />
348, 350, 376, 381.<br />
Capot-Rey 44, 49.<br />
Carbuccia 43.<br />
Carette 37, 43, 117, 174, 192, 206.<br />
Carnot 28.<br />
Carré 227.<br />
Casanova 191.<br />
Castellum Tingitanum 35.<br />
Cérez (général) 91.<br />
Changarnier (général) 28, 32, 128,<br />
130, 200.<br />
Chanzy 91.<br />
Charon (gouverneur général) 138,<br />
145, 150, 152-154, 213, 224, 226.<br />
Charras 80.<br />
Charton 90, 100, 181, 322.<br />
Chasseloup-Laubat 187, 205, 377.<br />
Chauveau 160.<br />
Châtillon 336.<br />
Chebellia 215.<br />
Chekallil 191.<br />
Chembel 186.<br />
Chenoua 19, 61, 64, 173.<br />
Cheurfa 60.<br />
Cherchel 14, 23, 27, 28, 30, 44-46, 48,<br />
50, 51, 54, 59, 60, 64-67, 70, 78, 90,<br />
117, 125-128, 164, 165, 167, 221, 233,<br />
259, 265, 278, 283, 286, 290, 299, 301-<br />
303, 305, 307, 308, 311-314, 316, 317,<br />
319, 320, 322, 324, 326, 331, 335, 337,<br />
339, 340, 343, 348, 350, 351, 354, 357-<br />
361, 367, 372, 375, 377, 380-383, 385-<br />
388.<br />
Chine 375.<br />
Chouchaoua 66, 174, 198, 295, 299, 317,<br />
347, 369, 377.<br />
Clauzel (général) 10.<br />
Commentry 336.<br />
Considérant 137.<br />
Constantine 13, 21, 75, 104, 256, 328.<br />
Coran 220.<br />
Corse 127.<br />
Cottenest 11, 17, 97.<br />
Cousin de Montauban (général) 85.
Crau 328.<br />
Crémieux 20, 21.<br />
Crimée 361.<br />
Dahra 27-30, 32, 35, 48, 58, 60, 68, 89,<br />
123, 133, 137, 144, 301, 302, 305, 313,<br />
318, 360, 377.<br />
Dalloni 29, 38.<br />
Damrémont (général) 12.<br />
Daumas 12, 13, 15, 17, 74, 80, 82, 95,<br />
96, 105, 106, 110, 121, 124, 161, 282.<br />
David 152, 159.<br />
Dayas 41.<br />
Delaporte 11.<br />
Delayen 85, 88.<br />
Deligny (général) 46, 91.<br />
Démontés 18, 84, 104, 153, 155, 161,<br />
179, 243.<br />
Denniée 10.<br />
Despois 9.<br />
Djebel Amour 337.<br />
Djebel Bissa 27, 343.<br />
Djebel bou Maad 28.<br />
Djebel Doui 34, 199, 203.<br />
Djebel ech Chaouch 30.<br />
Djebel el Meddah 30, 33.<br />
Djebel Nador 38.<br />
Djebel Rhilas 30.<br />
Djedida 259.<br />
Djelfa 328, 374.<br />
Djendel 34, 43, 54, 61, 68, 200, 218,<br />
229, 233, 265, 282, 286, 307, 315, 320,<br />
328, 347, 350, 358.<br />
Didier 159.<br />
Doineau (capitaine) 20, 21, 75 77 86,<br />
87, 118.<br />
Dombasle 134, 297, 298.<br />
Douaïrs 103, 145, 155-157, 160,<br />
234, 265.<br />
Doui-Hasseni 42„ 51, 56, 61, 66,<br />
215, 293, 294, 320, 327, 359.<br />
Dra-el-Kerrouch 231.<br />
Dra-el-Mizan 88.<br />
Drouet d'Erlon (gouverneur) 11.<br />
Druses 200,<br />
— — 438<br />
227,<br />
131,<br />
Du Barail (général), 84, 90, 91, 137<br />
139, 245, 246, 249, 257.<br />
Ducellier 300.<br />
Duperré 28, 199, 201, 203, 205, 206,<br />
209, 304, 311, 354, 370.<br />
Durrieu 82, 91.<br />
Duval 72, 73, 82, 90, 91, 112, 162, 209.<br />
Duvernois (A.) 72, 113, 114, 169, 174,<br />
189, 190, 192, 197, 203, 206, 282, 306,<br />
308, 369.<br />
Duvernois (Cl.) 72, 154, 155, 163, 214.<br />
Duvivier (général) 33, 150.<br />
Egypte 316.<br />
El Affroun 374.<br />
El Aneb 200.<br />
E<br />
El Esnam 176, 277, 313.<br />
El Ghobrini (Si Kaddour) 126, 288,<br />
298.<br />
El Gourine 27.<br />
El Had 350.<br />
El Kantara 28, 198-202.<br />
El Kelaa 357.<br />
El Khemaïs 250.<br />
El Nouadeur 52.<br />
Emerit 136, 163, 243, 245.<br />
Espagne 70, 320, 361.<br />
Espagnols 306, 320.<br />
Estoublon 83, 197.<br />
Etats-Unis 316.<br />
Etnin des Ouled-Ammar 331.<br />
Europe 70.<br />
Européens 16, 103, 111, 139, 143, 157,<br />
164, 167, 251, 260, 281, 282, 286, 292,<br />
311, 313, 326, 330, 334, 337, 340, 350,<br />
352, 354, 356, 357, 362.<br />
Fauvelle 105, 304.<br />
Favre 21.<br />
Feraïlia (Fgaïlia) 173, 175, 198, 200-<br />
202, 2.04, 206, 207, 212.<br />
Ferdane (ou Faghdane) 185.<br />
Féroukia 60.<br />
Fghoul 198.<br />
Fleury (général) 111, 136, 169, 244,<br />
245, 251.
Flirta 133.<br />
Fort-Napoléon (ou National) 90, 338.<br />
Foucher 12, 15, 73, 149, 368.<br />
Fourier 134, 136, 137.<br />
Français 113, 352, 360.<br />
France 12, 41, 52, 70, 75, 112, 136, 150,<br />
162, 163, 176, 226, 249, 280, 312, 313,<br />
320, 337, 351, 357, 360, 361, 365.<br />
Fromentin 30, 41.<br />
Gafsa 21.<br />
Galland 90, 322.<br />
Gandil 170, 171, 241. 324.<br />
Garaud 286, 338.<br />
Garonne 35.<br />
Gasparin 134.<br />
Gaulet 166, 322, 339, 367, 380.<br />
Gautier 9.<br />
Gharaba (ou Garaba) 156, 234.<br />
Ghellaïe 60.<br />
Girault 85.<br />
Godin 151, 152, 199.<br />
Gontas 133.<br />
Gorifa 263.<br />
Gouraya 30, 51, 67, 316, 336, 337, 345.<br />
Gribs 68.<br />
Gueba Ali (Kobour Ali ou Goubt Ali)<br />
276, 367.<br />
Guelma 150.<br />
Guelta 338.<br />
Guerouaou 100, 149, 155.<br />
Guiod (général) 89.<br />
Guizot 70, 280.<br />
Guyon 33.<br />
Guyot 149.<br />
Habra 157.<br />
H<br />
Hachem 48, 52, 68, 292, 307, 315, 381.<br />
Hadjadj 41, 42.<br />
Hadjoutes 60.<br />
Hamdane ben Aminé el Secca 10.<br />
Hamyan 158,<br />
I<br />
439 —<br />
Hanoteau (général) 80, 90, 91.<br />
Hanoteau (centre) 48.<br />
Haraouat 54, 68, 348.<br />
Harrach 128.<br />
Harrar 48.<br />
Herenfa 292.<br />
Heumis 66, 173, 175, 261, 262, 276, 298,<br />
351, 369.<br />
Hugonnet 11, 15, 17, 46, 72, 73, 84-87,<br />
95, 100, 101, 116, 123, 152, 153, 163,<br />
212, 213, 243, 257, 261, 276, 277, 375.<br />
Hyères 138.<br />
Ibrahim (bey d'Oran) 175.<br />
Ideville 17, 306.<br />
Ighout (ou Ighoud) 42, 50.<br />
Inkermann 191.<br />
Isnard 9, 158, 203.<br />
Israélites 340, 352.<br />
Italie 361.<br />
Italiens 361.<br />
Janus 122.<br />
Javary (capitaine) 383.<br />
Jourdan 256.<br />
J<br />
Jubault 112, 167, 306, 310, 318, 344,<br />
378.<br />
Juifs 286, 287, 352, 362.<br />
-Kabyles (Kabaïles) 45, 68, 98, 246,<br />
336, 357, 358.<br />
Kabylie 88, 338, 348, 358, 374.<br />
Kalaa (ou Kelaa) 341, 357.<br />
Kef er Rebiba 37.<br />
Kef Sidi Amar 30.<br />
Keller 11, 81, 84.<br />
Keun 81.<br />
Khobbaza 48.<br />
Koléa 10.<br />
Kouba 128, 132.<br />
Koulomzine 29.<br />
Kramis (cap) 19.<br />
Kroubs 328.
La Bourdonnais 312.<br />
La Calle 15.<br />
LacreteUe 286, 371.<br />
Lacroix (F.) 37, 42, 50, 85, 104, 109-<br />
111, 163, 168, 169, 189, 212, 228, 235,<br />
280, 282, 291, 293, 295, 298, 312.<br />
Ladmirault (colonel) 133.<br />
La Ferme 177, 185, 209.<br />
Laghouat 41, 132, 253, 328.<br />
Lalla Aouda 177, 178, 246, 292, 307,<br />
313, 314, 324.<br />
La Moricière 11, 12. 80, 84, 91, 152,<br />
155, 162, 222, 244.<br />
La Motte (baron de) 203.<br />
Lanjuinais 88.<br />
Lapasset 17, 22, 70, 79, 80, 82, 89, 91,<br />
93, 98-100, 103, 105-111, 115, 117-<br />
119, 121, 123, 127, 132-136, 141, 145.<br />
161-163, 165, 166, 168, 169, 174, 178,<br />
189, 192, 193, 219, 220, 228, 242-244,<br />
249, 258, 259, 266-277, 280-282, 291,<br />
293, 295, 306, 312, 328, 339, 366, 374-<br />
376, 379, 386.<br />
Larbaa ou Larbâ : voir Arbaa.<br />
Larcher 152.<br />
Larhat 336, 337, 345.<br />
Lavigerie (cardinal) 374.<br />
Lavigerie (village) 229, 261.<br />
Lavondes 306, 318, 345, 380.<br />
Laynaud 160.<br />
Leblanc de Prébois 116, 126.<br />
Le Brun 221, 382.<br />
Lefébure 83, 197.<br />
Lehuraux 41, 42.<br />
Lesca 236.<br />
Letourneux 32.<br />
Levasseur (général) 178, 244.<br />
Lévy 374.<br />
Lichtlin (général) 249, 256.<br />
Liébert (général) 106, 107, 290.<br />
Littré 28, 199.<br />
Loha (ou El Louha) 43.<br />
Loire 35.<br />
Louis-Philippe 268.<br />
Lunel 256, 371.<br />
Lyon 200.<br />
•440 —<br />
Maamra 41, 42.<br />
M<br />
Mac-Mahon 13, 22, 75, 136, 256, 290,<br />
375, 378, 390.<br />
Mahi ed Dine es Seghir ben Embarek<br />
10, 11.<br />
Maïn 150.<br />
Maire 29, 37.<br />
Maison-Carrée 128, 243.<br />
Maisonneuve 170.<br />
Malakoff 257.<br />
Malliana 35.<br />
Mandrin 143.<br />
Marçais (G.) 9.<br />
Marceau 29.<br />
Marengo 179, 215, 336, 358.<br />
Margueritte 17, 22, 32, 33, 37, 46, 51<br />
77, 80, 90, 91, 96, 102, 110, 116, lrf!<br />
124, 127-132, 206, 216, 217, 221, 227,<br />
230, 285, 288, 293, 328, 346, 349.<br />
Maroc 363. —<br />
~_^_<br />
Maronites 200.<br />
Martimprey (colonel) 138, 139, 261,<br />
262.<br />
Mascara 37, 357, 363.<br />
Masqueray 346.<br />
Matmata 30, 44, 199, 314, 335.<br />
Mazouna 89, 133, 277.<br />
Mchaïa 60, 265, 368.<br />
Mechdoufa 100.<br />
Médéa 128, 229, 350, 356.<br />
Medjadja 45, 59, 60, 65, 66, 173, 182,<br />
183, 186, 263, 298, 310, 341, 348, 349,<br />
362, 370.<br />
Medjana 21.<br />
Mehal 174.<br />
Méhémet Ali 316.<br />
Mekerra 217.<br />
Mendiri 10.<br />
Ménerville 20, 74-76, 84, 92, 105, 113,<br />
124, 155, 157.<br />
Meuse 128.<br />
Mexique 132, 375.<br />
Miliana 14, 15, 18, 19, 27-30, 43-45,<br />
48, 51, 52, 54-56, 58, 60, 64, 66-68,<br />
77-79, 105, 106, <strong>108</strong>, 127-130, 133,<br />
145, 164-166, 191, 197, 200, 201, 206,
207, 215, 218, 222-225, 227-229, 233,<br />
234, 255, 265, 276-278, 283-288, 290-<br />
292, 294, 296, 297, 299, 301, 305-308,<br />
310-315, 317-321, 324-326, 328, 330,<br />
331, 335-338, 341, 345-356, 358, 359,<br />
361, 367, 370-372, 375, 378-381, 386,<br />
388.<br />
Mitidja 11, 28, 35, 100, 128, 145, 149,<br />
153, 311, 356, 358.<br />
Mobacher 124, 280.<br />
Molière 32, 33, 347.<br />
Montagnes Rouges 312.<br />
Montauriol 134.<br />
Montenotte 135, 164, 352.<br />
Montesquieu 96.<br />
Morambert 200.<br />
Mostaganem 136, 154, 234, 251, 302,<br />
344, 346, 351, 358.<br />
Mouhabba 206.<br />
MouUé 17, 46, 80, 127, 345.<br />
Mouzaïa 123.<br />
Moulay Ismaël 156.<br />
Mustapha (Champ-de-Manœuvres de)<br />
187.<br />
N<br />
Napoléon III 75, 12,7, 136, 169, 185.<br />
187, 256, 281, 282.<br />
Napoléon (Prince) 157.<br />
Omméiades 174.<br />
Oppidum Novum 347.<br />
Oran 12, 13, 21, 85, 101, 103, 128, 136,<br />
154, 156, 157, 175, 199, 205, 222, 234,<br />
249, 256, 280, 295, 345, 362, 370.<br />
Oranie 38, 133, 145, 217, 314.<br />
Orient 86.<br />
Orléansville 14, 17-20, 22, 23, 28, 29,<br />
34-37, 44, 46, 48, 51, 53, 55, 57, 60,<br />
62-64, 66, 67, 70, 77-79, 81, 87, 89,<br />
97, 98, 101, 109, 112, 117, 121, 123,<br />
125, 137, 138, 141, 142, 145, 161, 163-<br />
166, 168, 170, 173, 174, 176, 178-180,<br />
184-185, 187-192, 198, 209, 218-223,<br />
225, 226, 230, 233, 234, 244, 245, 250,<br />
251, 253, 258-262, 264, 265, 267, 275,<br />
276-278, 283, 284, 286-292, 296-308,<br />
310, 312, 313, 315-322, 324-330, 335-<br />
338, 340, 341, 344-349, 351-355, 357-<br />
363, 366, 369, 370-372, 375, 377, 378,<br />
381-383, 387.<br />
-441-<br />
Ouaguenay (douar) 54.<br />
Ouarsenis 19, 27, 30, 32, 34-37, 44, 45,<br />
48, 54, 58, 60, 66-68, 98, 125, 129,<br />
198, 218, 226, 294, 301, 307, 311, 313,<br />
314, 318, 320, 324, 326, 336, 344-346,<br />
354, 371.<br />
Oued Allalah 268.<br />
Oued Bessabis 294.<br />
Oued Bourkika 153.<br />
Oued Bouthan 200.<br />
Oued Chélif 19, 27-29, 32, 34-37, 44,<br />
46, 50, 51, 57, 58, 68, 70, 128, 130,<br />
133, 164, 173-175, 185, 186, 197, 198,<br />
200, 209, 227, 229, 251, 259, 264, 282,<br />
286, 291-293, 295, 301, 315, 318, 320,<br />
324, 344-346, 348-351, 354-356, 358,<br />
362, 374, 378, 387.<br />
Oued Damous 27-30, 343, 348.<br />
Oued Deurdeur 30, 32, 48, 130, 295.<br />
Oued Djer 153.<br />
Oued el Gherga 294.<br />
Oued el Ghoul 130.<br />
Oued el Hachem 28, 29.<br />
Oued Fodda 32, 34, 48, 185, 191, 293,<br />
295, 317, 347, 350.<br />
Oued Guergour 235.<br />
Oued Isly. Voir O. SU.<br />
Oued Issa 130, 294.<br />
Oued Lalla Aouda 178.<br />
Oued Lebied 50.<br />
Oued Mahouine 20, 21.<br />
Oued Maloussine 294.<br />
Oued Massin 130, 348.<br />
Oued Mgila (ou Mrila) 130, 250-252.<br />
Oued Mina 30, 37.<br />
Oued Nahr Ouassel 36-39, 44, 50, 56,<br />
130, 215, 224, 293, 294, 312, 327.<br />
Oued Ouaguenay 192, 320.<br />
Oued Ouaoua 178.<br />
Oued Ras 349.<br />
Oued Riou 44.<br />
Oued Rouïna 32, 164, 293, 346.<br />
Oued Si el Aroussi 178.<br />
Oued SU (ou Sly ou Isly) 32, 178,<br />
181, 185, 186, 250-253, 258, 259, 293,<br />
295, 349.<br />
Oued Souf Sellem 38.<br />
Oued Taflout 295.
Oued Telbenet 218, 228, 235.<br />
Oued Tsighaout 184, 259.<br />
Oued Zeddine 130.<br />
Ouled-Abbès 34.<br />
Ouled-Ammar 42, 43, 49, 50, 68, 228,<br />
331, 349.<br />
Ouled-Amran 52, 53.<br />
Ouled-Ayad 43, 61, 68, 215, 230, 231,<br />
294, 328, 349.<br />
Ouled-Bel-Arbi 212.<br />
Ouled-Ben-Châa 42.<br />
Ouled-Bessam (ou Bessem) 42, 50,<br />
215, 228.<br />
Ouled-Boufrid 66, 321, 360.<br />
Ouled-Bou-Sliman 348.<br />
Ouled-Bouzid 50.<br />
Ouled-Chaïb 44.<br />
Ouled-Farès 125, 174, 175, 180, 182,<br />
183, 186, 261-263, 339, 348, 349, 362,<br />
370.<br />
Ouled-Henni 267.<br />
Ouled-Kosseïr 48, 63, 68, 158, 160,<br />
173-175, 176, 177, 179-181, 183-187,<br />
189-195, 197, 198, 200, 204, 209, 212,<br />
234, 235, 241, 245, 251, 253, 258, 261,<br />
292, 297, 307, 313, 339, 345, 357, 359,<br />
362, 363, 366.<br />
Ouled-Mbakhta 230.<br />
Ouled-Mira 230, 292.<br />
Oufed-Naïl 45, 355.<br />
Ouled-Oradj 228.<br />
Ouled-Saber 198.<br />
Ouled-Salah 41, 42, 50.<br />
Ouled-Sidi-Cheikh 132.<br />
Ouled-Sidi-Salah 66, 67, 310.<br />
Ouled-Sidi-Slimane 132.<br />
Ouled-Yahia 230, 263.<br />
Ouled-Younès 60, 97, 173, 338, 360.<br />
Ouled-Ziad 53, 164.<br />
Ouled-Ziane 42, 50.<br />
Ouled-Zid 41.<br />
Oum-el-Drou 186.<br />
Oureguela (Ouargla) 44.<br />
Ouzaghera 54, 198, 201, 202, 292, 315.<br />
Ozanaux 289.<br />
— 442-<br />
Paris 15, 41, 70, 136, 298, 378.<br />
Paul Robert 30.<br />
Pein 76, 90.<br />
Pellissier de Reynaud 12, 109, 112<br />
116, 152, 166, 243, 281.<br />
Peyerimhoff 29.<br />
Peyronnet 12, 18, 19, 73, 80, 81, 90<br />
91, 110, 111, 144.<br />
Pélissier 136, 158, 159, 162, 390.<br />
Philebert (général) 41, 129, 215.<br />
Philippeville 150, 302.<br />
Poliot 221, 367.<br />
Pont-du-Caïd 348.<br />
Pontéba 178, 184-187, 209, 295.<br />
Pontier 138.<br />
Pouyanne 159.<br />
Prétot 70.<br />
Provence 357.<br />
Rabelais 30, 318.<br />
Randon 14, 22, 75, 91, 95, 99, 101, 112,<br />
149, 152, 154-158, 169, 178, 182, 197,<br />
201, 203, 245, 246, 248, 251, 277, 330,<br />
390.<br />
Rassauta 149, 243.<br />
Réchaïga 37.<br />
Rectenwald 58, 284.<br />
ReibeM 37.<br />
Relizane 358.<br />
Ré (ile de) 182.<br />
Ribourt (colonel) 234, 315, 330, 331.<br />
Richard 17, 22, 53, 62, 65, 67, 70, 79,<br />
81, 83, 85, 89, 95, 98, 99, 102, 103.<br />
106, 109, 111, 113, 114, 118, 120, 122-<br />
124, 127, 136, 137, 139, 141-143, 162,<br />
165, 166, 180, 212, 214, 218-221, 224,<br />
241, 242, 244, 257, 258, 261, 280, 281,<br />
304, 320, 336, 337-339, 349-352, 355,<br />
369, 376, 384.<br />
Righa 227, 282, 311.<br />
Ringel 73, 74.<br />
Rinn 14, 19, 22, 86, 375.<br />
Rivet (général) 37, 74, 82, 217, 352.<br />
Rivière 373.<br />
Robat 200.
Rome 65.<br />
Romains 228.<br />
Rouïna (poste d'Oued) 346.<br />
Rovigo (général) 11.<br />
Rouher 15.<br />
Rumigny (général) 246.<br />
Sahara 37, 175.<br />
Sahari (bled) 200-202, 207.<br />
Sahariens 42, 43.<br />
Saïd Atba 44, 45.<br />
Saint-Arnaud 19, 75, 129, 133, 137,<br />
244.<br />
Saint-Cyprien 374.<br />
Saint-Cyr 133.<br />
Saint-Martin 132.<br />
Saint-Matthieu 143.<br />
Saint-Simon et Saint-Simoniens 70,<br />
136, 137, 243.<br />
Sainte-Monique 374.<br />
Salignac-Fénelon 17, 83, 98, 103, 106,<br />
12.7, 129, 206, 308.<br />
Sbahia 48, 206, 315, 381.<br />
Sbéah 63, 67, 68, 125, 180, 182, 198,<br />
259, 264, 277, 292, 235, 339, 349, 358,<br />
359, 362, 369.<br />
Sedan 132.<br />
Seine 35.<br />
Sendjès 66, 67, 182, 183, 185, 186, 259.<br />
265, 310, 317, 339, 341, 349, 362, 369.<br />
Sériziat 21, 91, 164, 176, 181, 182, 187,<br />
316, 366, 377, 381.<br />
Sersou 19, 22, 36-39, 45, 51, 61, 131,<br />
175, 212, 215, 291, 293, 326.<br />
Sétif 374.<br />
Si Ahmed ben Abdallah 174.<br />
Sibérie 32.<br />
Sidi Abd Allah (sra de) 32.<br />
Sidi Ahmed ben Youssef 186.<br />
Sidi Amar (kef) 32.<br />
Sidi-bel-Abbès 37, 136, 200, 217, 374.<br />
Sidi Driss 336.<br />
Sidi-el-Aroussi 186.<br />
Sidi-Medjahed 30.<br />
Sidi Sliman 27.<br />
— 443<br />
Sinfita 310.<br />
Siouf 43.<br />
Siquot 294.<br />
Si Sliman ben Siam 129.<br />
Sobah 164, 173.<br />
Sodome 143.<br />
Sofran 42, 50.<br />
Soxre 386.<br />
Soult 84.<br />
Soumata 61, 68.<br />
Staouéli (Trappistes) 312.<br />
Sud 9, 62, 130.<br />
Tademit 328.<br />
Tadjena 133.<br />
Tafna 12.<br />
Taine 38.<br />
Talassa 53, 66, 215.<br />
Taraguia (ou Terarenia) 228.<br />
Taza 331.<br />
Tebainet 340.<br />
Tébessa 21.<br />
Techta (ou Tacheta) 259, 345.<br />
Tell 9, 19, 23, 39, 41-45, 49, 50, 61, 62,<br />
70, 91, 116, 130, 131, 154, 217, 221,<br />
234, 247, 250, 266, 290, 331, 348, 353,<br />
355, 358, 376.<br />
Tell (journal) 21.<br />
TeHien 42, 43.<br />
Ténès 14, 20, 28-30, 45, 48, 51, 53-<br />
55, 57, 59, 64-67, 70 ,78, 80, 89, 98,<br />
107-110, 117, 121, 12.6, 133, 135, 138,<br />
145, 164-166, 168, 170, 215, 219, 228,<br />
233, 243, 258, 264-268, 272, 274, 275,<br />
284, 285, 288, 289, 291, 232, 297-302,<br />
304, 306-308, 310-315, 317-322, 324-<br />
326, 329-331, 337-340, 344-346, 348-<br />
357, 359-363, 366, 369-372, 374, 375,<br />
378, 380-383, 387, 388.<br />
Téniet-el-Had 14, 23, 32, 33, 41-48,<br />
51, 52, 54-57, 60, 62-64, 66, 67, 78,<br />
79, 90, 97, 100, 104, <strong>108</strong>, 110, 112,<br />
116, 117, 124, 126, 12,9, 130, 164, 166,<br />
167, 212, 215, 218-221, 223, 225, 227.<br />
228, 230, 231, 233, 250, 251, 277, 278,<br />
285, 289-292. 294, 298, 239-302, 306,<br />
307, 312, 314, 315, 317-323, 326-331,<br />
336, 337, 345-352, 354-359, 361, 363,<br />
371, 372, 375, 378, 379, 382, 388.
Testu 170.<br />
Thiers 274.<br />
Thomas 86.<br />
Thuillier 89, 118.<br />
Tiaret 36-38, 41, 43, 44, 212, 314, 341,<br />
346, 356, 359.<br />
Tigava municipium 228.<br />
Tinthoin 18, 54, 145, 156, 157, 222, 227.<br />
Tirman 291.<br />
Tisemsil 327, 328.<br />
Tite-Live 106.<br />
^Tittery 30, 175.<br />
Tityre 134.<br />
Tizi n'Franco 346.<br />
Tlemcen 23., 77, 200, 358, 363.<br />
T'nouri 174.<br />
Touggourt 374.<br />
Toukria. Voir Aïn Toukria.<br />
Toulon 129, 136.<br />
Trabut 59.<br />
Trézel (général) 11, 161.<br />
Trinquant 20, 21.<br />
Tripier (commandant) 244.<br />
Truet 59.<br />
-Turcs 10, 28, 50, 118, 122, 123, 175,<br />
180, 198, 199, 242, 243, 288, 366.<br />
U<br />
Urbain 124, 136, 163, 168, 182, 245,<br />
277.<br />
Vaillant 157, 371.<br />
Valée 12.<br />
— — 444<br />
Valenciennes 138.<br />
Vialar 37, 38, 327.<br />
Voirol (général) 243.<br />
Voisin (pseudonyme d'Urbain) 182.<br />
Wahl 2,76.<br />
w<br />
Walsin-Esterhazy 81, 85, 86, 97, 101,<br />
103, 106, 111, 118, 120, 123, 145, 162,<br />
220, 259, 280.<br />
Warnier 17, 37, 72, 73, 82, 90, 91, 112,<br />
116, 209, 326, 329.<br />
Wimpffen 250, 256.<br />
Wolff (ou Wolf) 21, 91, 152, 169, 170.<br />
Worms 150, 151.<br />
Yusuf (ou Yousouf) 37, 154, 186, 187,<br />
192, 203, 241, 245, 249.<br />
Yver 200, 201.<br />
Zaccar 27, 28, 29.<br />
Zatima 44, 54, 125, 277, 298, 313, 339.<br />
357.<br />
Zeboudj-el-Ouost 346.<br />
Zekaska 42, 50.<br />
Zmélas 104, 145, 155, 156, 157, 160,<br />
227, 234, 265.<br />
Zmoul 120, 121.<br />
Zouaoua 354, 358.<br />
Zougagha (ou Zouggara) 259, 310,<br />
317, 339, 343.<br />
Zurich 28, 29, 165.
AVERTISSEMENT<br />
TABLE des MATIÈRES<br />
INTRODUCTION : Objet et limites de cette étude.<br />
Origine des Bureaux arabes, 10 ; organisation des Bureaux<br />
arabes, 13; fonctions des Bureaux arabes, 15; limites du sujet, 18.<br />
A. —<br />
B. —<br />
A. —<br />
B. —<br />
C. —<br />
D. —<br />
CHAPITRE I<br />
LE PAYS ET LES GENRES DE VIE INDIGENES<br />
Le Pays.<br />
I. —<br />
IL —<br />
Les<br />
AU MOMENT DE LA CONQUETE.<br />
pays de montagnes : Dahra, 27; Ouarsenis, 30-<br />
Les pays de plaines : Chélif, 34; Sersou, 36.<br />
Les genres de vie indigènes.<br />
I. —<br />
II. —<br />
L'instabilité<br />
de la vie indigène : les déplacements, 41;<br />
la propriété, 49.<br />
L'exploitation primitive : les céréales, 53; les autres<br />
cultures, 59; l'élevage, 60; l'industrie, 63; les échan<br />
ges, 67.<br />
CHAPITRE II<br />
LES BUREAUX ARABES<br />
Le Rôle des Bureaux arabes.<br />
I. —<br />
II. —<br />
Les<br />
La<br />
Bureaux arabes, agents d'exécution : les textes,<br />
73; les opinions, 76.<br />
« puissante confrérie des Bureaux arabes » :<br />
l'esprit de corps, 80; l'autorité, 82.<br />
III. --» Les Bureaux arabes,<br />
La doctrine des Bureaux arabes.<br />
I. —<br />
IL —<br />
III. —<br />
La<br />
La<br />
Le<br />
expression de l'armée : 88.<br />
sécurité, problème fondamental : 96.<br />
sécurité par la transformation du genre de vie :<br />
la fixation au sol, 99; l'amélioration de l'exploita<br />
tion, 104.<br />
terme de l'évolution : la marche progressive, <strong>108</strong>;<br />
l'assimilation, 110.<br />
Les Méthodes «les Bureaux arabes.<br />
I. —<br />
IL —<br />
La<br />
L'action<br />
Le Personnel.<br />
L —<br />
IL —<br />
III. —<br />
démographie commande : 115.<br />
par le makhzen et par les chefs : le makh<br />
zen, 119; les chefs, 122.<br />
Le Lieutenant Margueritte : 128-<br />
Le<br />
Le<br />
Capitaine Lapasset : 132.<br />
Capitaine Richard : 136.<br />
25<br />
27<br />
41<br />
71<br />
73<br />
95<br />
115<br />
127
A. —<br />
B. —<br />
C. —<br />
A. —<br />
B. —<br />
446-<br />
CHAPITRE III<br />
LA FIXATION AU SOL : LE CANTONNEMENT<br />
Les Bureaux arabes et le cantonnement.<br />
I. —<br />
IL —<br />
Comment<br />
Les<br />
s'est posée et a évolué la question du can<br />
tonnement : Cantonnement de fait et théorie, 149 ;<br />
l'évolution, 155.<br />
Bureaux arabes pour et contre le cantonnement :<br />
pour le cantonnement, 161; contre le cantonnement,<br />
167.<br />
Le cantonnement des Ouled-Kosseïr.<br />
I. —<br />
IL —<br />
III. —<br />
IV. —<br />
Origine<br />
Le<br />
Le<br />
Les<br />
et histoire des Ouled-Kosseïr : 173.<br />
refoulement : les faits, 176; les résultats, 179.<br />
cantonnement proprement dit : les opérations,<br />
181; la situation nouvelle, 184.<br />
conséquences : 188.<br />
Le cantonnement des Abid-et-Feraïlia.<br />
I. —<br />
IL —<br />
III. —<br />
Avant le cantonnement : 198-<br />
Le<br />
cantonnement : 201.<br />
Lés conséquences : 205.<br />
CHAPITRE IV<br />
LA FIXATION AU SOL : HABITATION ET HABITAT<br />
Les Maisons.<br />
I. —<br />
IL —<br />
III. —<br />
Les<br />
maisons de commandement : 213.<br />
Les constructions d'utilité publique : 217.<br />
Les<br />
maisons ordinaires : construction, 222; descrip<br />
tion, 226. Résultats : 233.<br />
Hameaux et Villages.<br />
I. —<br />
IL —<br />
IH. —<br />
Les<br />
Les<br />
La<br />
Conclusion : 276.<br />
smalas : origine et organisation, 242; dans l'Ouest<br />
du Tell algérois, 250; l'échec, 255.<br />
villages de fellahs : villages de tentes et de gour<br />
bis, 257; villages de maisons, 261.<br />
smala de Ténès : les débuts, 266; le développe<br />
ment, 271.<br />
CHAPITRE V<br />
L'AMELIORATION DE L'ECONOMIE : CULTURES ET ELEVAGE<br />
A. —<br />
La Culture des céréales.<br />
L —<br />
IL —<br />
L'extension<br />
L'amélioration<br />
de la, culture: défrichements, 282; prêts<br />
et réserves, 286.<br />
de la culture : la question de l'eau,<br />
291; matériel et méthodes, 296;<br />
300-<br />
céréales nouvelles,<br />
147<br />
149<br />
173<br />
197<br />
211<br />
213<br />
241<br />
279<br />
281
B. —<br />
C. —<br />
A. —<br />
B. —<br />
Les autres cultures.<br />
I. —<br />
II. —<br />
L'élevage.<br />
I. —<br />
IL —<br />
—<br />
— 447<br />
Développement des cultures anciennes : les légumes<br />
304; les arbres, 305; la vigne, 312; le labac, 314.<br />
Les cultures nouvelles : le coton, 316; la pomme de<br />
terre, 320.<br />
Les<br />
Les<br />
améliorations générales : la nourriture, 323; les<br />
abris, 325.<br />
améliorations des diverses espèces : les moutons,<br />
326; les autres espèces, 329.<br />
CHAPITRE VI<br />
L'AMELIORATION DE L'ECONOMIE : INDUSTRIE<br />
L'industrie.<br />
L —<br />
II- —<br />
L'évolution<br />
ET ECHANGES.<br />
des industries indigènes : 335.<br />
Projets et tentatives de rénovation : 338.<br />
Les échanges.<br />
I. —<br />
IL —<br />
Les<br />
Les<br />
CONCLUSION. —<br />
I. —<br />
IL —<br />
Succëfe<br />
BIBLIOGRAPHIE.<br />
A. —<br />
B. —<br />
moyens d'échanges : les routes, 343 ; les mar<br />
chés, 348.<br />
courants commerciaux : dans la région, 353<br />
avec l'extérieur, 355; les conséquences, 362.<br />
L'Echec et ses causes.<br />
et échecs : les succès, 365; les échecs, 368.<br />
Les causes de l'échec : causes d'importance secon<br />
daire tenant aux Bureaux arabes, 373; causes d'im<br />
portance secondaire étrangères aux Bureaux arabes;<br />
376; l'insuffisance des moyens, 380; la complexité du<br />
problème, 383<br />
Documents d'archives.<br />
Ouvrages<br />
I. —<br />
IL —<br />
III- —<br />
IV. —<br />
V. —<br />
VI. —<br />
Archives<br />
Archives<br />
Archives<br />
Archives<br />
Archives<br />
Archives<br />
nationales : 393.<br />
du Ministère de la Guerre : 399.<br />
du Val de Grâce : 401.<br />
du Gouvernement Général de l'Algérie : 401.<br />
du Secrétariat du Sénatus-consulte : 404.<br />
départementales d'Alger : 406.<br />
consultés.<br />
I. —<br />
IL —<br />
III. —<br />
Œuvres<br />
Ouvrages<br />
Ouvrages<br />
des officiers des Bureaux arabes : 407.<br />
traitant des Bureaux arabes et de leurs<br />
chefs : 413.<br />
divers : 424.<br />
303<br />
3^3<br />
333<br />
335<br />
343<br />
365<br />
391<br />
393<br />
407
Lexique de mots indigènes.<br />
Index des noms propres.<br />
CARTES, PLANS ET FIGURES.<br />
Dans le texte :<br />
•448-<br />
Diagrammes thermo-pluvipmétriques.<br />
Le cantonnement des Abid-et-Feraïlia.<br />
Maison de Toukria.<br />
Maison de mekhazenis des Blaëls.<br />
Maison de mekhazenis de Dra-el-Kerrouch.<br />
Village du makhzen d'Orléansville.<br />
Village de Djedida.-<br />
Village des Ouled-Farès.<br />
Village des Heumis.<br />
Village des Sendjès.<br />
En- hors-texte ':<br />
Croquis d'ensemble de la région.<br />
Cantonnement'<br />
des Ouled-Kosseïr (carte d'ensemble).<br />
Cantonnement des Ouled-Kosseïr (extrait du plan parrr1<br />
.laire). ^F<br />
'<br />
Le territoire du village d'Aïn-Sadock. ^<br />
Lotissement de l'ancienne smala des spahis<br />
„<br />
-<br />
, o?.<br />
*3;r<br />
rT''»3ne ., ,.;<br />
Plan du village de la smala de Ténès. .»*»<br />
Plan d'une maison du village de la smala Qp énès.<br />
Carte des tribus et des douars.<br />
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1<br />
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