Chapitre 1 Introduction : Contexte et Motivations
Chapitre 1 Introduction : Contexte et Motivations
Chapitre 1 Introduction : Contexte et Motivations
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<strong>Chapitre</strong> 1<br />
<strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong><br />
<strong>Motivations</strong><br />
Les destabilisations des pentes naturelles, de même que les milieux granulaires idéaux,<br />
sont des obj<strong>et</strong>s complexes par la nature des interactions qui dominent leur comportement.<br />
Dans ce chapitre introductif, nous nous proposons de présenter leur spécificités tout en<br />
établissant les termes de notre problématique : utiliser les milieux granulaires modèles<br />
pour mieux comprendre le comportement des matériaux réels. Différents aspects de l’observation<br />
<strong>et</strong> de la modélisation des destabilisations de pente <strong>et</strong> des écoulements de débris<br />
subséquents sont rappelés. Nous introduisons ensuite quelques aspects du comportement<br />
des milieux granulaires modèles, en motivant l’emploi d’une modélisatipn granulaire dans<br />
l’étude des mécanismes de destabilisation de pente.<br />
1.1 <strong>Contexte</strong> géophysique<br />
1.1.1 Destabilisation de pentes <strong>et</strong> avalanches de débris<br />
Le terme d’avalanche de débris ne désigne pas un évènement précis, dont l’invariance<br />
des causes qui le produisent <strong>et</strong> la constance du comportement perm<strong>et</strong>traient de caractériser<br />
de façon univoque. À l’inverse, il s’agit d’une terminologie regroupant un vaste ensemble<br />
de phénomènes, pour lesquels il est difficile de produire des définitions à la fois simples<br />
<strong>et</strong> exhaustives. Les avalanches de débris résultent de la mise en mouvement brutale d’une<br />
masse de matériaux non-consolidés, c’est-à-dire ayant perdu leur cohésion, en réponse à<br />
l’attraction gravitationelle. Comme il apparait dans la définition proposée par Cruden<br />
(1991) [23] : « le mouvement d’une masse de roches, débris ou terre le long d’une pente »,<br />
ils impliquent des matériaux divers, allant du bloc rocheux aux particules d’argile. Ils
10 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
Fig. 1.1 – Pente du glissement de Hope, British Columbia, qui vit la<br />
mise en mouvement soudaine de 46 millions de mètres cube de débris<br />
rocheux en 1965 (photo : Ministry of Environment, Lands and Parks of<br />
B. C.).<br />
peuvent de plus incorporer une phase fluide, généralement sous la forme de boues plus ou<br />
moins visqueuses. Singulariser les processus physiques en œuvre dans les destabilisations<br />
<strong>et</strong> les écoulements, en particulier le rôle des interactions entre les éléments de la phase<br />
solide, est donc une tâche difficile. Elle constitue cependant un élément important de la<br />
compréhension de l’imprévisibilité des destabilisations de terrain <strong>et</strong> de la grande mobilité<br />
des écoulements, qui en font des évènements souvents catastrophiques.<br />
Dans un premier temps, il convient d’isoler les mécanismes qui régissent la perte de<br />
cohésion <strong>et</strong> la destabilisation des terrains à l’origine des écoulements [128]. Les conditions<br />
climatiques jouent souvent un rôle important. Ainsi, la succession de périodes de gel <strong>et</strong> de<br />
dégel peut amener à la fragmentation des roches <strong>et</strong> des terrains <strong>et</strong> induire une perte de<br />
cohésion progressive du sol (Figure 1.3). Fréquemment, la présence d’eau due à de fortes<br />
précipitations est responsable de la décohésion du matériau : en réponse à l’augmentation<br />
de la pression de pore, la résistance globale du sol diminue, <strong>et</strong> éventuellement subit une<br />
liquéfaction. Ainsi, les écoulements catastrophiques qui ont affecté la ville de Caracas, Venezuela,<br />
en 1999, coïncidaient avec une période d’importantes précipitations. Le contexte<br />
de déclenchement peut également impliquer des déformations tectoniques locales, ou encore<br />
des secousses sismiques (ainsi lors de la catastrophe de Hope, Figure 1.1). Dans un<br />
deuxième temps, l’étude de l’écoulement subséquent consiste en une description précise
1.1 <strong>Contexte</strong> géophysique 11<br />
Type Material Water Content Rate<br />
Fall<br />
Topple<br />
Slide<br />
Spread<br />
Flow<br />
Rock<br />
Soil<br />
Earth<br />
Debris<br />
Dry<br />
Moist<br />
W<strong>et</strong><br />
Very W<strong>et</strong><br />
Very Rapid<br />
Rapid<br />
Moderate<br />
Slow<br />
Very Slow<br />
Fig. 1.2 – Classification des mouvements de terrains, d’après Cruden <strong>et</strong> Varnes<br />
(1996) [24].<br />
des matériaux écoulés, des volumes mis en jeu, des distances parcourues.<br />
La classification des différentes formes de destabilisations de pentes <strong>et</strong> d’écoulements<br />
de débris procède d’une volonté de développer un champ lexical propre qui en facilite<br />
l’étude. C<strong>et</strong>te démarche a été menée notamment par Varnes <strong>et</strong> poursuivie par Cruden<br />
<strong>et</strong> Varnes [24] afin de constituer un glossaire qui perm<strong>et</strong>te la dénomination précise<br />
<strong>et</strong> univoque des phénomènes. Ces auteurs distinguent la nature du « premier mouvement<br />
» (déclenchement) <strong>et</strong> du « second mouvement » (écoulement), <strong>et</strong> proposent de les<br />
répertorier suivant leur rapidité, leur contenance en eau, la nature de la phase solide<br />
impliquée. Ces différents attributs sont reproduits dans le tableau 1.2. Cependant, c<strong>et</strong>te<br />
démarche taxinomique n’apporte pas nécessairement une interprétation claire en termes<br />
de mécanismes physiques impliqués.<br />
1.1.2 Observation <strong>et</strong> interprétation<br />
L’étude des avalanches de débris souffre de la grande difficulté à collecter des données<br />
sur leur déclenchement <strong>et</strong> sur leur développement. C<strong>et</strong>te difficulté provient à la fois de<br />
leur imprévisibilité <strong>et</strong> de leur extrême rapidité. Les techniques d’imagerie radar <strong>et</strong> d’autocorrélation<br />
d’images qui perm<strong>et</strong>tent de surveiller les déformations lentes (i.e. impliquant<br />
des vitesses de l’ordre du mètre par an) de massifs dangereux sont parfaitement inapplicables<br />
aux cas de déformations rapides. De plus, les avalanches de débris possèdent<br />
un pouvoir de destruction tel que l’instrumentation de pentes instables ou de couloirs<br />
d’avalanche identifiés est délicate. L’intérêt d’avoir des données en temps réel des pentes<br />
dangereuses est pourtant majeur, d’une part dans un but de surveillance, <strong>et</strong> d’autre part<br />
pour mieux connaître les processus physiques en œuvre. Dans c<strong>et</strong>te perspective, il est<br />
possible d’équiper les pentes de capteurs hydrométriques <strong>et</strong> de capteurs de pression qui
12 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
Fig. 1.3 – Pente rocheuse fragmentée par gélifraction, Bassin and<br />
Range, U.S.A. (photo F. Métivier)<br />
perm<strong>et</strong>tent de contrôler à tout instant la valeur de la pression de pore dans les terrains<br />
considérés [105]. Lorsque sa valeur devient trop importante en regard de la pression<br />
lithostatique, la destabilisation des terrains devient probable. L’utilisation de capteurs<br />
suppose néanmoins que la pente ait été identifiée au préalable comme dangereuse. Or,<br />
dans la majorité des cas, la perte de stabilité survient sur des pentes non préalablement<br />
identifiées. La collection de nouvelles données est envisageable par l’installation de réseaux<br />
sismiques haute fréquence (50 à 250 Hz), qui perm<strong>et</strong>traient de suivre le déclenchement <strong>et</strong><br />
le déroulement des destabilisations de terrains [63]. La présence d’un réseau suffisamment<br />
dense fournirait ainsi des données sur les phénomènes sans besoin de préjuger du lieu <strong>et</strong><br />
de l’instant de l’évènement. Cela perm<strong>et</strong>trait en outre de constituer un réseau d’alerte<br />
dans les régions sensibles. L’utilisation de ce type d’instruments est cependant encore<br />
marginale.<br />
En raison de c<strong>et</strong>te difficulté à instrumenter les destabilisations de pentes en temps<br />
réel, l’essentiel des données disponibles provient de l’étude in-situ des dépôts laissés par<br />
le passage des débris. Elles perm<strong>et</strong>tent en premier lieu une description de la région de<br />
rupture : taille de la zone de déplétion, volume initial mobilisé, taille de l’escarpement.<br />
Ensuite, l’extension géométrique des dépôts, les longueurs parcourues, l’existence ou non<br />
de levées, <strong>et</strong> l’analyse fine des matériaux mis en jeu <strong>et</strong> du grano-classement perm<strong>et</strong>tent de<br />
caractériser l’écoulement lui-même. L’interprétation de ces données en termes de mobilité<br />
des écoulements est cependant problématique. Il s’agit d’identifier les mécanismes qui
1.1 <strong>Contexte</strong> géophysique 13<br />
Fig. 1.4 – Exemple de dépôt laissé par une avalanche de débris (photo de Ansel<br />
Adams, U.S.A.).<br />
transforment l’énergie potentielle d’une masse en énergie cinétique <strong>et</strong> en énergie dissipée<br />
par les interactions entre les débris <strong>et</strong> éventuellement le fluide intersticiel. Une formulation<br />
à l’ordre 0 de ce problème est obtenue en équilibrant l’énergie potentielle du centre de<br />
masse de l’écoulement avec le travail des forces dissipatives sur la longueur parcourue :<br />
MgH = MgRL, (1.1)<br />
où M est la masse des matériaux écoulés, g est l’accélération de la gravité, H <strong>et</strong> L sont<br />
respectivement les extensions verticale <strong>et</strong> horizontale de l’écoulement. Le terme R est un<br />
coefficient qui rend compte de la dissipation à la base <strong>et</strong> dans le volume de l’écoulement ; il<br />
correpond à un coefficient de frottement de Coulomb effectif. Transformant l’équation 1.1,<br />
on peut écrire :<br />
1<br />
R = L H .<br />
Il est donc possible d’évaluer la mobilité ou efficacité des écoulements en collectant les<br />
valeurs de L <strong>et</strong> de H. Pratiquement, les valeurs de L/H varient de 2 à 25 [25]. Elles<br />
montrent que la mobilité des écoulements est accrue par la présence d’eau. L’importance<br />
des volumes mis en jeu est aussi un facteur de plus grande mobilité. Cependant, aucune
14 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
corrélation claire entre les valeurs de L/H = 1/R <strong>et</strong> les valeurs des volumes écoulés n’est<br />
confirmée [25, 16]. Une autre formulation possible tient compte de la surface <strong>et</strong> du volume<br />
occuppés par les dépôts <strong>et</strong> non seulement la longueur parcourue. De façon générale, ce type<br />
d’analyse souffre des incertitudes sur les valeurs mesurées des longueurs parcourues, surfaces<br />
ou volumes occupés, en particulier dans le cas d’écoulements anciens. Il est également<br />
difficile d’évaluer a posteriori la proportion de fluide dans les débris lors de l’écoulement.<br />
Les données géométriques sur la forme des dépôts peuvent donc être assez difficile à interpréter.<br />
Différents mécanismes de lubrification ont été proposés qui expliqueraient le<br />
comportement mobile des débris : influence de l’air piégé dans l’écoulement, présence de<br />
particules très fines, pression de pore générée par l’échauffement des matériaux [124]. Aucune<br />
de ces propositions, à ce jour, ne s’est confirmée comme processus fondamental de<br />
la dynamique des écoulements [116].<br />
1.2 Modélisation physique des écoulements gravitaires<br />
La nécessité de parvenir à une modélisation physique des écoulements de débris qui<br />
perm<strong>et</strong>te la prédiction des ruptures de pentes <strong>et</strong> qui puisse fournir une estimation acceptable<br />
des longueurs parcourues par les écoulements réside en particulier dans la protection<br />
des populations <strong>et</strong> des édifices civils exposés. La conception de modèles physiques pour<br />
décrire des systèmes aussi complexes va supposer l’adoption d’hypothèses sur le comportement<br />
des matériaux qui vont dépendre d’un compromis entre réalisme <strong>et</strong> simplicité. La<br />
phase de déclenchement ou de rupture de pente est classiquement appréhendée dans le<br />
cadre de la mécanique des sols, tandis que la phase dynamique d’écoulement est abordée<br />
avec les outils de l’hydrodynamique.<br />
1.2.1 L’analyse de stabilité<br />
Les problèmes de stabilité de pente sont classiquement abordés dans le cadre de la<br />
théorie de la plasticité. Lorsque le sol est soumis à des contraintes suffisamment faibles,<br />
la déformation résultante, p<strong>et</strong>ite, est élastique. Quand la contrainte dépasse un certain<br />
seuil, des déformations irréversibles apparaissent <strong>et</strong> le matériau entre dans un régime de<br />
déformation plastique (voir Figure 1.5). Ces déformations vont mener à la rupture, soit<br />
suivant un plan unique, soit par coalescence de ruptures plus p<strong>et</strong>ites. Les déformations<br />
du milieu sont représentées par un tenseur de déformation ɛ, les contraintes qui lui sont<br />
appliquées par un tenseur σ. La réponse en déformation à l’application de contrainte σ<br />
dépendent de la rhéologie du matériau. C<strong>et</strong>te rhéologie est contenue dans le tenseur élastoplastique<br />
constitutif C. Les déformations sont alors reliées aux contraintes appliquées par<br />
la relation :<br />
ɛ = Cσ.
1.2 Modélisation physique des écoulements gravitaires 15<br />
F<br />
F y<br />
k u<br />
F y<br />
u p u e u<br />
Fig. 1.5 – Modèle rhéologique « patin-ressort » de l’élasto-plasticité parfaite. On<br />
peut séparer le déplacement élastique u e du déplacement plastique u p . Ce dernier<br />
n’est possible que si la force appliquée au patin a atteint une valeur seuil F y .<br />
La stabilité du matériau est définie par la valeur de la déformation incrémentale dɛ<br />
résultant de l’application d’un incrément de contrainte dσ [31]. Le critère de stabilité de<br />
Lyapounov impose ainsi que pour un incrément de contrainte borné dσ < γ, le matériau<br />
est dans un état stable si la déformation résultante est elle-même bornée : dɛ < η(γ). À<br />
l’inverse, si la valeur de la déformation résultante diverge, le matériau a dépassé la limite<br />
de stabilité.<br />
Pour déterminer l’espace des contraintes correspondant à un état stable, le critère<br />
conventionnel est celui de Mohr-Coulomb, qui caractérise l’état de plastification du sol<br />
en un point donné. Ce critère est obtenu en traçant la courbe de la valeur maximum<br />
du déviateur des contraintes (qui quantifie l’importance des contraintes de cisaillement)<br />
atteinte avant la rupture en fonction de la contrainte moyenne appliquée. Elle peut être<br />
approximée par une droite dont les paramètres sont la cohésion c <strong>et</strong> l’angle de frottement<br />
interne ϕ du sol, <strong>et</strong> détermine la limite de plasticité au-delà de laquelle la rupture se<br />
produit : c’est une droite tangente au cercle de Mohr (Figure 1.6). Sur c<strong>et</strong>te frontière, les<br />
contraintes normale <strong>et</strong> tangentielle σ n <strong>et</strong> τ sont reliées par la relation :<br />
τ = c + σ n tan(ϕ),<br />
ou encore τ = c + σ n µ c , où µ c est le coefficient de frottement du matériau défini par<br />
µ c = tan(ϕ). Généralement, la contrainte considérée est une contrainte effective, qui<br />
prend en compte la présence d’un fluide intersticiel sous la forme d’une pression de pore<br />
p 0 . Il faut donc écrire :<br />
τ = c + (σ n − p 0 ) tan(ϕ).<br />
Lorsque la pression de pore augmente, la résistance du matériau diminue. Dans le cas<br />
extrême où p 0 = σ n , seule la cohésion c du matériau assure la résistance du sol.<br />
Dans le cas idéal d’un comportement plastique associé parfait, le tenseur élastoplastique<br />
possède les symétries C ijkl = C jikl = C jilk <strong>et</strong> C ijkl = C klij . Le mode de rup-
16 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
τ<br />
τ = µ . σn + c<br />
ϕ<br />
σ n<br />
Fig. 1.6 – Cercle de Mohr : le cercle représente l’ensemble des états de<br />
contrainte (τ, σ v ) stables, <strong>et</strong> la droite τ = µ σ n + c (ici c=0) représente<br />
la limite de plasticité. L’angle ϕ est l’angle de frottement interne du<br />
matériau.<br />
ture est homogène <strong>et</strong> aura lieu pour une valeur particulière de la pente : lorsque son<br />
inclinaison atteind l’angle de frottement interne ϕ du matériau. Dans la plupart des cas,<br />
le mode de déformation plastique ne reste pas homogène mais bifurque vers un mode<br />
de déformation localisée [106]. On peut alors supposer a priori une surface de rupture<br />
plane ou circulaire de la pente considérée. Le long de c<strong>et</strong>te interface, le critère de Mohr-<br />
Coulomb est également appliqué. Dans ces deux cas, la stabilité de la pente répond au<br />
critère de stabilité de Mohr-Coulomb, autrement dit, la perte de stabilité coïncide avec la<br />
limite de plasticité. Cependant, c<strong>et</strong>te analyse conventionelle est souvent mise en défaut,<br />
par exemple dans le cas de ruptures de pentes d’inclinaison très faibles [30]. La raison en<br />
est que la plupart des sols montrent un comportement plastique non associé, c’est-à-dire<br />
que le tenseur élasto-plastique ne possède pas la symétrie majeure C ijkl = C klij . Pour ces<br />
matériaux, des instabilités apparaissent avant la limite plastique supposée. Dès lors, l’analyse<br />
de Coulomb ne peut plus rendre compte de la chute de résistance du matériau. C<strong>et</strong>te<br />
chute de résistance peut résulter de phénomènes de liquéfaction, <strong>et</strong> la stabilité dépend<br />
alors fortement des conditions de drainage des sols. Une seconde cause à la chute de<br />
résistance réside dans la localisation des déformations de cisaillement. Ce comportement<br />
apparait par exemple dans le cas de la compression axisymétrique d’échantillons de sable<br />
(Figure 1.7). L’apparition des instabilités est liée au fait que les matériaux non-associés<br />
subissent d’importantes variations de leur volume, en dilation ou à l’inverse en compaction.<br />
Ainsi, l’apparition de bandes de cisaillement s’accompagnent d’une augmentation du<br />
volume du matériau cisaillé [62].<br />
Dans le cas des matériaux non-associés, pour lesquelles le critère de plasticité de Cou-
1.2 Modélisation physique des écoulements gravitaires 17<br />
8<br />
effective stress ratio<br />
6<br />
4<br />
2<br />
0<br />
0.00 0.05 0.10 0.15<br />
axial strain<br />
Fig. 1.7 – Réponse contrainte-déformation typique d’un sable dense soumis<br />
à une compression biaxiale.<br />
lomb ne s’applique pas, l’analyse de stabilité repose sur la définition de critères de stabilité<br />
adéquats. Le critère de stabilité de Hill constitue un exemple classique. Il repose sur le<br />
signe du travail du second ordre D 2 W , <strong>et</strong> commande pour un état stable de contrainte<br />
<strong>et</strong> de déformation la condition : D 2 W = dσ : dɛ > 0, où dσ <strong>et</strong> dɛ sont les incréments<br />
de contrainte <strong>et</strong> de déformation. Son application perm<strong>et</strong> de rendre compte d’états localements<br />
instables [31]. Mais la façon dont une instabilité locale perturbe la stabilité globale<br />
d’une pente n’est pas un problème simple. La compréhension des conditions d’apparition<br />
des bandes de cisaillement en réponse aux contraintes déviatoriques est également<br />
un aspect important de l’analyse de stabilité. L’étude des caractéristiques des bandes de<br />
cisaillement pour différents matériaux a montré l’influence de la forme des grains, par<br />
exemple leur taille <strong>et</strong> leur angularité, sur la localisation des déformations. L’objectif est<br />
de dégager à terme les variables « microscopiques » (relatives à la nature des sols) qui<br />
déterminent la localisation des déformations à plus grande échelle. Dans c<strong>et</strong>te perspective,<br />
l’utilisation de milieux granulaires simples est d’un grand intérêt [126].<br />
1.2.2 Les modèles hydrauliques<br />
L’approximation continue des écoulements m<strong>et</strong>tant en jeu des blocs rocheux, des<br />
sables ou graviers, repose essentiellement sur l’analogie qui existe entre les milieux granulaires<br />
<strong>et</strong> les gaz. En eff<strong>et</strong>, dans un régime d’écoulement rapide <strong>et</strong> dilué, la vitesse de chaque<br />
grain peut être décomposée en un terme moyen <strong>et</strong> un terme fluctuant. Ce dernier terme
18 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
est essentiellement déterminé par les collisions entre les particules s’écoulant. Il peut être<br />
comparé à l’agitation thermique des molécules dans un gaz, si bien que la moyenne quadratique<br />
de ce terme est communément appelée température granulaire [87]. Le formalisme<br />
de la théorie cinétique des gaz peut alors être adapté aux écoulements granulaires. Cependant,<br />
contrairement aux molécules d’un gaz, les particules dans un écoulement subissent<br />
des collisions inélastiques dont le résultat est de dissiper très vite l’énergie du système.<br />
La température granulaire est donc fortement couplée à la dynamique du milieu [16, 5].<br />
Dans le cas d’écoulements très agités <strong>et</strong> en régime collisionnel, la théorie cinétique perm<strong>et</strong><br />
de rendre compte du comportement des systèmes. Son application est cependant plus<br />
problématique dans le cadre des écoulements denses [17].<br />
Dans un écoulement dense, la restitution aux chocs est très faible <strong>et</strong> le temps de<br />
contact entre les grains est long en regard de leur libre parcours moyen. De ce fait,<br />
l’écoulement est essentiellement dominé par des interactions de frottement. De tels écoulements<br />
sont décrits par les modèles hydrauliques. L’écriture des équations de conservation<br />
de la masse <strong>et</strong> du moment perm<strong>et</strong> de résoudre les champs de vitesses <strong>et</strong> de densité sous<br />
réserve d’un certain nombre d’hypothèses. Ils constituent suivant Iverson [51] l’outil pratique<br />
le plus sophistiqué pour la prévision des extensions des écoulements de débris <strong>et</strong><br />
des limites d’inondation. Une littérature abondante perm<strong>et</strong>tra au lecteur d’approfondir le<br />
suj<strong>et</strong> [50, 51, 17] ; nous nous limitons ici à la présentation des modèles hydrauliques dits<br />
d’ondes longues.<br />
Les modèles hydrauliques ignorent l’aspect multiphasique des écoulements <strong>et</strong> postulent<br />
un milieu équivalent homogène. Ils intègrent donc de façon rudimentaire les phénomènes<br />
de couplage solide-solide ou solide-fluide. La rhéologie du matériau <strong>et</strong> le mode de<br />
dissipation de l’énergie sont décrites par des lois phénoménologiques dont l’élaboration<br />
<strong>et</strong> le choix ne sont pas triviaux [18]. Par ailleurs, le trait principal des modèles hydrauliques<br />
étant de moyenner les équations du mouvement sur la hauteur de l’écoulement, ils<br />
ignorent une partie de la dynamique des systèmes réels. Ces approximations correspondent<br />
à un cadre d’application désigné par le terme d’écoulement dense en couche mince. Ces<br />
méthodes ont été mises en œuvre initialement pour résoudre les problèmes dits d’ondes<br />
longues afin de reproduire la dynamique des vagues de longueur d’onde grande devant la<br />
profondeur du fluide où elles se propagent, soit typiquement les phénomènes de vagues solitaires<br />
<strong>et</strong> de houle côtière. Dans ce cas, la dynamique est résolue pour un fond horizontal,<br />
ou du moins pouvant être approximé comme tel. Dans la modélisation des écoulements de<br />
débris, la dynamique est résolue le long d’un plan incliné. Les équations de la dynamique<br />
obtenues pour ce cas de figure sont connues sous le nom d’équations de Saint-Venant, <strong>et</strong><br />
diffèrent du cas précédent notamment par l’expression des contraintes [108, 73, 83].<br />
En pratique, il s’agit de décrire la dynamique de systèmes dont l’épaisseur est négligeable<br />
en regard de l’extension latérale, fait avéré par l’observation des écoulements réels.<br />
Si on note respectivement h <strong>et</strong> l ces deux longueurs, le rapport d’aspect ɛ = h/l sera
1.2 Modélisation physique des écoulements gravitaires 19<br />
très p<strong>et</strong>it devant 1. Dès lors, il est possible de négliger une partie des termes dans les<br />
équations de continuité. L’hypothèse est également faite que la vitesse parallèle à la surface<br />
de l’écoulement u est très grande devant la vitesse normale à la surface d’écoulement<br />
w. En utilisant ces arguments, il est possible d’ignorer les gradients de contrainte dans le<br />
sens de l’écoulement. Cependant, dans ce cas, ce dernier est uniforme <strong>et</strong> la modélisation<br />
d’instabilités de surface (surge en anglais) devient impossible [108].<br />
Il est de plus nécessaire d’adopter un modèle constitutif qui décrive le comportement<br />
mécanique du matériau. En particulier, la dissipation d’énergie dans le volume <strong>et</strong> à la<br />
base de l’écoulement doit être prise en compte. Dans le cas d’équations intégrées sur la<br />
hauteur de l’écoulement, c<strong>et</strong>te dissipation apparaît sous la forme d’un frottement basal<br />
effectif de type coulombien, qui contrôle notamment la mise en mouvement <strong>et</strong> l’arrêt de<br />
la masse modélisée. Elle suppose que l’écoulement se fait par glissement sur une très fine<br />
couche où se localiserait tout le cisaillement <strong>et</strong> donc la dissipation. Un choix classique est<br />
la loi de frottement sec de Coulomb [108] :<br />
F = ±g cos(θ) tan(ϕ),<br />
où ϕ est appelé angle de frottement dynamique <strong>et</strong> dépend de la nature du matériau<br />
utilisé. En revanche, les caractéristiques de l’écoulement (vitesse, épaisseur) ne sont pas<br />
prises en compte. L’étude systématique d’écoulements granulaires stationnaires uniformes<br />
(Pouliquen [94]) a permis la formulation d’une loi de frottement plus complète :<br />
(<br />
µ = tan ϕ 1 + (tan ϕ 2 − tan ϕ 1 ) exp − h D<br />
√ ) gh<br />
.<br />
||u||<br />
C<strong>et</strong>te loi intègre à la fois les caractéristiques de l’écoulement (la hauteur h, la vitesse u)<br />
<strong>et</strong> celles du matériau granulaire (taille typique des grains D, les angles ϕ 1 <strong>et</strong> ϕ 2 liés au<br />
démarrage <strong>et</strong> à l’arrêt de l’écoulement).<br />
De façon générale, les modèles hydrauliques reproduisent avec succès le comportement<br />
des écoulements. Ils ont été adaptés à des topologies plus complexes que le plan incliné <strong>et</strong><br />
ont pu être avantageusement comparés à des résultats expérimentaux [50, 95]. Cependant,<br />
des incertitudes persistent quant aux lois de comportement du matériau (frottement <strong>et</strong><br />
rhéologie), qui constituent la distinction principale entre les différents modèles [18]. Or<br />
l’influence de ces paramètres est grande sur la prédiction des distances parcourues, de la<br />
forme des dépôts, <strong>et</strong> de la capacité des écoulements à dépasser des obstacles (barrages,<br />
digues...). L’amélioration des modèles repose donc en grande partie sur la progression de<br />
notre compréhension des phénomènes physiques à la base du comportement des mélanges<br />
de débris.
20 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
1.3 L’approche granulaire<br />
1.3.1 Motivation<br />
Qu’il s’agisse des pentes ou des écoulements, les modèles physiques que nous avons<br />
présentés ont en commun de postuler un milieu continu équivalent. Or, une caractéristique<br />
importante des sols ou débris, qu’ils soient à l’équilibre, menacés de rompre ou encore qu’ils<br />
s’écoulent le long d’une pente, est leur nature discrète, ou encore granulaire. Ici, l’adjectif<br />
granulaire désigne tout corps solide ou toute collection de corps solides dont le mouvement<br />
brownien est négligeable devant l’attraction de la gravité (soit typiquement les particules<br />
de diamètre supérieur à ≃ 1µm). La nature granulaire constitue un trait d’union important<br />
entre les différents phénomènes de rupture <strong>et</strong> d’avalanches de débris. Le choix<br />
de lois phénoménologiques qui rendent compte des processus induits par les interactions<br />
multiples au sein de la phase solide discrète n’est pas triviale. De plus, la définition de<br />
propriétés moyennes suppose le moyennage des propriétés microscopiques dans un volume<br />
élémentaire représentatif. L’existence d’un tel volume implique une séparation d’échelle<br />
claire entre les fluctuations microscopiques <strong>et</strong> le comportement macroscopique. Or, c<strong>et</strong>te<br />
séparation d’échelle dans une collection de grains est problématique. L’amélioration des<br />
connaissances sur les milieux granulaires, même simples, est donc fondamentale pour<br />
l’amélioration des modèles continus.<br />
Les matériaux granulaires constituent un paradigme très riche pour les destabilisations<br />
de pente <strong>et</strong> écoulements de débris. Considérons le cas très simple d’un tas de sable.<br />
Il peut rester à l’équilibre statique en formant un angle avec l’horizontale, il peut se<br />
déformer de façon très lente <strong>et</strong> enfin s’écouler très rapidement à la manière d’un fluide.<br />
Ce modèle, bien qu’extrêment simple (nous considérons ici un milieu sec, non cohésif <strong>et</strong><br />
quasi monodisperse), perm<strong>et</strong> surtout de capturer un ingrédient essentiel des phénomènes<br />
naturels : l’interaction entre les grains <strong>et</strong> la dissipation qui en résulte. Il s’agit donc de<br />
mieux comprendre les mécanismes qui dominent les interactions entre les grains <strong>et</strong> les<br />
échelles de longueur qu’elles m<strong>et</strong>tent en jeu, pour accéder à une meilleure compréhension<br />
<strong>et</strong> modélisation du comportement à plus grande échelle.<br />
Le comportement des milieux granulaires a mobilisé un important effort de recherche,<br />
notamment en Géomorphologie, Géotechniques, Physique, <strong>et</strong> Mécanique. Ce sont des<br />
milieux simples dans le sens qu’ils sont une collection de grains macroscopiques <strong>et</strong> dont<br />
le comportement individuel est entièrement contenu dans les équations de la mécanique<br />
classique. Leur comportement peut dépendre de leur taille <strong>et</strong> du milieu environnant :<br />
des grains très p<strong>et</strong>its seront sensibles aux force éléctrostatiques par exemple ; plongés<br />
dans un liquide, leur comportement sera celui d’une suspension colloïdale. Dans le cas<br />
idéalement simple du sable sec, les grains interagissent principalement par des interactions<br />
de frottement. L’existence de ces interactions en font des systèmes extrêmement complexes
1.3 L’approche granulaire 21<br />
à décrire, car ces interactions sont multiples <strong>et</strong> dissipatives. Un mélange de grains aussi<br />
agité qu’il puisse être, finira toujours sous la forme d’un empilement à l’équilibre si aucune<br />
énergie extérieure n’y est injectée. L’aptitude des granulaires à exister sous différents états<br />
(solide à l’équilibre statique, liquide en écoulement, gazeux lorsque suffisamment agités)<br />
<strong>et</strong> la difficulté à décrire la transition entre ces états, sont à l’origine de la diversité des<br />
modèles proposés. Donner une vue exhaustive des ces modèles n’est pas notre propos ; dans<br />
c<strong>et</strong>te perspective, la lecture d’ouvrages plus généraux [38] ou d’articles de revue [103, 54]<br />
sera profitable. Dans le cadre de c<strong>et</strong>te introduction, nous illustrons les problèmes de la<br />
stabilité <strong>et</strong> du comportement micro-mécanique des granulaires, que nous aborderons à<br />
plusieurs reprises dans les chapitres suivants.<br />
1.3.2 La stabilité des pentes<br />
Le matériau de Coulomb idéal<br />
Le comportement mécanique des matériaux granulaires vis-à-vis de la rupture peut<br />
être abordé par la théorie de Coulomb dans la mesure où ces matériaux sont assimilables à<br />
des matériaux idéaux de Coulomb, c’est-à-dire présentant une rhéologie de type plastique,<br />
<strong>et</strong> pour lesquels il est possible d’écrire à la rupture la relation<br />
τ = µ c σ n + c,<br />
où σ n <strong>et</strong> τ sont respectivement les contraintes normale <strong>et</strong> tangentielle le long du plan<br />
de rupture, µ c le coefficient de frottement <strong>et</strong> c la cohésion [85]. Dans la suite, nous nous<br />
intéressons à des matériaux non-cohésifs, <strong>et</strong> la cohésion c sera prise nulle. Dans le cas de<br />
la rupture de pente d’un matériau granulaire, c’est-à-dire de l’apparition d’un écoulement<br />
de surface, le modèle de Coulomb offre un cadre d’analyse clair <strong>et</strong> qui, bien que constituant<br />
une vision très simplifiée du comportement réel, perm<strong>et</strong> de rendre compte de « la<br />
phénoménologie du tas de sable ».<br />
Le mécanisme de rupture de pente, d’avalanche <strong>et</strong> de restabilisation profite d’une<br />
analogie avec le frottement solide de Coulomb. Supposons un plan π séparant deux blocs<br />
solides, <strong>et</strong> formant une angle θ avec l’horizontale. Le bloc sur-jacent subit les contraintes<br />
normale σ n <strong>et</strong> tangentielle τ le long du plan π. Tant que la limite plastique n’est pas<br />
atteinte, τ <strong>et</strong> σ n contre-balancent la contrainte due au poids du bloc sur-jacent, <strong>et</strong> celui-ci<br />
reste à l’équilibre. Nous avons alors<br />
τ<br />
σ n<br />
= tan(θ).<br />
En revanche, si la limite de plasticité est atteinte, les deux blocs ne peuvent plus se<br />
maintenir à l’équilibre, <strong>et</strong> un glissement a lieu le long du plan π. Nous avons alors<br />
τ = µ c σ n .
22 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
Il apparait donc que tout plan d’inclinaison θ telle que tan(θ) = µ c est un plan de rupture<br />
possible. Nous notons c<strong>et</strong>te valeur particulière θ c . Elle correspond à l’angle de frottement<br />
interne du matériau.<br />
Dans le cas d’un tas granulaire, la rupture se fait le long de la surface libre. L’angle<br />
θ c est donc la pente maximale que la surface libre peut atteindre avant qu’un écoulement<br />
de surface n’apparaisse. Une fois l’écoulement de surface mis en place, la pente de la<br />
surface libre diminue jusqu’à ce que l’écoulement se stabilise à un angle plus faible θ d .<br />
L’existence de c<strong>et</strong> angle peut s’expliquer par la transformation des propriétés de frottement<br />
du matériau en réponse à l’écoulement de surface. L’angle θ d peut être relié à un coefficient<br />
de frottement dynamique µ d suivant la relation µ d = tan(θ d ), <strong>et</strong> tel que µ d < µ c . Il<br />
reflète les propriétés de frottement du matériau à l’instant où l’avalanche cesse <strong>et</strong> le tas<br />
se restabilise, <strong>et</strong> m<strong>et</strong> en évidence le caractère hystérétique du comportement des pentes<br />
granulaires.<br />
Interprétation du frottement interne<br />
L’angle de frottement interne θ c constitue une caractérisation phénoménologique des<br />
propriétés de frottement du matériau. Il est déterminé expérimentalement grâce à des<br />
tests de compression, <strong>et</strong> varie de 15 à 45 degrés suivant la nature des matériaux. Pour un<br />
matériaux donné par ailleurs, θ c fluctue autour de sa valeur moyenne. C<strong>et</strong> angle dépend<br />
essentiellement du frottement microscopique impliqué dans les contacts entre les grains<br />
<strong>et</strong> de l’encombrement géométrique du à leur rigidité <strong>et</strong> à leur forme [15, 93, 44]. Ainsi, la<br />
non-sphéricité des grains va augmenter le frottement effectif <strong>et</strong> mener à des plus grandes<br />
valeurs de θ c . Cependant, la façon dont θ c dépend de ces deux ingrédients n’est pas<br />
entièrement comprise. De plus, des éléments supplémentaires interviennent dans la valeur<br />
de θ c : la densité de l’empilement granulaire <strong>et</strong> donc son mode de préparation, la façon<br />
dont il est sollicité, la nature des conditions aux limites (parois, fond rugueux)... L’angle<br />
d’arrêt de l’avalanche θ d , en plus, dépendra des conditions de l’écoulement.<br />
Angle de relaxation<br />
L’intervalle angulaire δθ = θ c − θ d définit une zone dans laquelle le milieu granulaire<br />
peut exister dans deux états : soit à l’équilibre statique, soit dynamique <strong>et</strong> s’écoulant le<br />
long de la surface libre. Dans c<strong>et</strong> intervalle, la seule donnée de la pente θ ne perm<strong>et</strong> donc<br />
pas de définir l’état du système granulaire puisque celui-ci est hystérétique. Une analyse<br />
de c<strong>et</strong>te zone δθ a été réalisée pour des lits granulaires sur plan incliné, pour lesquelles<br />
l’eff<strong>et</strong> d’une surcharge pondérale a été étudié en fonction de l’angle d’inclination (A.<br />
Daerr, [26]). Alors que pour un angle d’inclination inférieur à θ d le tas reste dans un<br />
état stable quelle que soit l’importance de la surcharge, un écoulement de surface peut<br />
être induit dans l’intervale [θ d , θ c ]. Plus l’angle d’inclination devient proche de θ c , plus
1.3 L’approche granulaire 23<br />
p<strong>et</strong>ite devient la surcharge nécessaire à l’initiation d’un écoulement. Ce comportement à<br />
permit de caractériser l’intervalle δθ = θ c −θ d comme une zone de transition sous-critique.<br />
En utilisant nos résultats, nous montrerons comment c<strong>et</strong>te zone de transition peut être<br />
interprétée microscopiquement, c’est-à-dire en termes d’interaction à l’échelle de quelques<br />
grains.<br />
1.3.3 <strong>Introduction</strong> à la texture<br />
Le comportement moyen d’une collection de particules (état des contraintes, déformation...)<br />
est le résultat de l’interaction des particules entre elles par l’intermédiaire des<br />
contacts. Quelle que soit la nature des contacts, le réseau géométrique qu’ils déterminent<br />
implique une structure particulière <strong>et</strong> constitue un élément majeur de la description<br />
des milieux granulaires. Le réseau de forces qui se développe sur la « topologie » des<br />
contacts est très hétérogène, <strong>et</strong> confère aux empilements de grains des propriétés curieuses.<br />
Quelques expériences réalisées avec des matériaux granulaires simples (sables,<br />
billes de verre) sont présentées ici afin d’illustrer ces propriétés.<br />
Le déficit de pression<br />
L’expérience est la suivante : il s’agit de mesurer la pression à la base d’un tas conique<br />
construit par une pluie de sable à partir d’un point source. Différents points de mesure de<br />
pression sont disposés à la base du tas, de la verticale du somm<strong>et</strong> jusqu’à la périphérie.<br />
On obtient donc le profil de pression sous le tas en fonction de la distance r au centre.<br />
Intuitivement, <strong>et</strong> suivant une vision « hydrostatique » du milieu, un maximum de pression<br />
est attendu à la verticale du somm<strong>et</strong>. C’est l’inverse qui se produit : on observe au centre<br />
un minimum local de la pression. En revanche, si le tas de sable a été constuit non<br />
pas à partir d’un point source mais par tamisage, le minimum de pression disparait. Ce<br />
phénomène a été mis en évidence expérimentalement <strong>et</strong> numériquement [123, 45].<br />
Le sablier...<br />
Une seconde expérience, très simple, consiste à faire s’écouler une quantité de sable<br />
contenue dans un récipient par une p<strong>et</strong>ite ouverture à la base, comme c’est le cas dans un<br />
sablier. Dans la majorité des cas, l’écoulement s’arrêtera spontanément <strong>et</strong> le sable restera<br />
piégé près de l’ouverture sans pouvoir la franchir. Une p<strong>et</strong>ite secousse suffit alors à rétablir<br />
l’écoulement, pour un certain temps du moins. Ce même phénomène, transposé dans le<br />
cas de matériaux stockés en silos, est une cause de problèmes pour bien des industries.
24 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
Fig. 1.8 – Empilement de cylindres de Schneebeli biréfringents laissant apparaître<br />
les chaînes de forces par une luminosité plus intense (Photo de Madani<br />
Ammi, Laboratoire GMCM, Université de Rennes)<br />
...Et la clepsydre<br />
Supposons cependant que nous disposions d’un sablier qui fonctionne <strong>et</strong> d’une clepsydre,<br />
<strong>et</strong> observons comment chacun mesure le temps. La clepsydre va commencer par se<br />
vider très vite, visiblement beaucoup plus vite que le sablier. Mais peu à peu, la tendance<br />
s’inverse <strong>et</strong> c’est le sablier qui semble se vider plus vite. C<strong>et</strong>te différence provient de ce<br />
que la débit de la clepsydre obéit à la pression hydrostatique exercée par le liquide dans<br />
le réservoir. En d’autre termes, plus de temps passe, plus le réservoir de la clepsydre se<br />
vide, <strong>et</strong> plus il se vide lentement. Le sablier lui se vide à débit constant.<br />
Interprétation<br />
Une partie de l’explication des expériences ci-dessus est contenue dans la photographie<br />
de la figure 1.8. Elle représente la section d’un empilement de cylindres de plexi-
1.3 L’approche granulaire 25<br />
glass soumis à une compression. Les propriétés de photo-élasticité des cylindres, dont<br />
les caractéristiques optiques dépendent du champ de contraintes auquel ils sont soumis,<br />
perm<strong>et</strong>tent de visualiser qualitativement la transmission des forces dans l’empilement.<br />
Ainsi, les forces intenses se remarquent par une luminosité importante. On constate alors<br />
qu’elles se transm<strong>et</strong>tent suivant des chemins privilégiés impliquant environ une dizaine de<br />
cylindres, formant des « chaînes de forces ». Ces chaînes enserrent des régions où les forces<br />
transmises sont plus faibles <strong>et</strong> subissent un écrantage. C<strong>et</strong>te hétérogénéité de la transmission<br />
des forces est une propriété fondamentale des milieux granulaires [29, 99, 19, 38, 48].<br />
L’existence des chaînes de forces perm<strong>et</strong> d’expliquer les expériences précédentes. Dans<br />
le premier exemple, la création du tas de sable à partir d’un point source entraîne une<br />
anisotropie de la direction des contacts de sorte que les chaînes de forces redirigent la<br />
contrainte de poids vers la périphérie, créant ainsi un déficit à la base. Dans le second<br />
exemple, une chaîne semblable à une arche se crée à l’orifice du sablier <strong>et</strong> empêche le<br />
passage des grains accumulés au-dessus. Une p<strong>et</strong>ite secousse <strong>et</strong> l’arche se brise, laissant le<br />
passage libre jusqu’à ce qu’une arche se forme de nouveau. Enfin, l’existence des chaînes<br />
de force est responsable de la redirection d’une partie des forces sur les parois du sablier :<br />
contrairement à l’eau, le poids d’une colonne de sable n’est pas entièrement restitué dans<br />
la direction verticale, <strong>et</strong> la pression sature à partir d’une certaine hauteur. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> est<br />
connu sous le nom d’eff<strong>et</strong> Janssen [55, 90].<br />
Cependant, lors de l’expérience du tas de sable, on a vu que le déficit de pression<br />
disparaissait dans des conditions de préparation particulières. L’organisation des chaînes<br />
de force, <strong>et</strong> plus généralement la texture des empilements granulaires, constitue donc une<br />
mémoire du milieu, <strong>et</strong> dépend de l’histoire des systèmes considérés [74, 28].<br />
1.3.4 Implications<br />
Le comportement moyen d’un milieu granulaire n’est donc pas facile à capturer. Entre<br />
l’échelle élémentaire donnée par la taille des grains <strong>et</strong> l’échelle macroscopique de l’assemblée<br />
des grains, il existe une échelle intermédiaire, mésoscopique, caractéristique de la<br />
longueur de transmission des efforts dans le milieu, <strong>et</strong> dont l’influence sur le comportement<br />
macroscopique est majeure. L’existence de l’échelle mésoscopique m<strong>et</strong> en question<br />
la notion de volume représentatif dans les milieux granulaires <strong>et</strong> partant la validité du<br />
moyennage. Ces problèmes sont abordés dans le cadre de la micro-mécanique [60, 46, 66].<br />
De façon générale, le comportement moyen des milieux granulaires résulte des interactions<br />
entre les grains le composant, de leur arrangement géométrique, de la manière dont ils<br />
transm<strong>et</strong>tent les forces. Il va donc dépendre de l’environnement moyen de chaque grain,<br />
ou encore de la « texture » de l’empilement. En particulier, les problèmes de stabilité des<br />
pentes <strong>et</strong> de départ d’avalanches peuvent être envisagés du point de vue de l’évolution de<br />
la texture.
26 <strong>Introduction</strong> : <strong>Contexte</strong> <strong>et</strong> <strong>Motivations</strong><br />
1.4 Conclusion : problématique <strong>et</strong> objectifs de l’étude<br />
Les destabilisations de terrains <strong>et</strong> les avalanches de débris qui en résultent m<strong>et</strong>tent<br />
en jeu une phase solide dicrète. La compréhension des mécanismes induits par les interactions<br />
entre les éléments de c<strong>et</strong>te phase solide est fondamentale pour l’amélioration des<br />
modèles continus. Dans c<strong>et</strong>te perspective, l’utilisation de matériaux granulaires idéaux<br />
perm<strong>et</strong> une modélisation minimale. Il ne s’agit certes pas de reproduire les phénomènes<br />
réels, mais plutôt d’isoler les mécanismes physiques qui contrôlent l’évolution d’un système<br />
multi-contact dissipatif. En particulier, l’évolution des contraintes <strong>et</strong> la mobilisation du<br />
frottement sont des aspects importants de l’étude de la stabilité. Au cours de ce travail,<br />
nous nous sommes intéressés à la destabilisation d’une pente granulaire, c’est-à-dire à<br />
son évolution vers la limite de stabilité <strong>et</strong> à la mise en mouvement des couches de grains<br />
superficielles. Nous nous sommes en particulier concentrés sur le comportement collectif<br />
des grains. Dans c<strong>et</strong>te perspective, la simulation numérique est un outil précieux car<br />
elle perm<strong>et</strong> d’observer des grandeurs inaccessibles expérimentalement. L’exposition des<br />
méthodes mises en œuvre pour la simulation <strong>et</strong> l’analyse du comportement des massifs<br />
granulaires, <strong>et</strong> de l’ensemble des résultats, est organisée comme suit.<br />
La simulation numérique des sytèmes granulaires requiert l’utilisation de méthodes<br />
qui perm<strong>et</strong>tent la description explicite de chacun des grains constituant l’ensemble. Ces<br />
méthodes sont introduites au chapitre 2, <strong>et</strong> plus spécifiqement la méthode de Dynamique<br />
des Contacts que nous avons mis en œuvre pour ce travail. Les systèmes que nous avons simulés<br />
consistent en des lits granulaires bi-dimensionnels comptant 4000 (ainsi que 16000)<br />
particules. Ces systèmes sont soumis à une rotation dans le champ de gravité de manière<br />
à les faire évoluer quasi-statiquement vers la limite de stabilité. La définition de variables<br />
micro-mécaniques (tenseur des contraintes, tenseur de fabrique) nous perm<strong>et</strong> de confronter<br />
l’état macroscopique des empilements d’une part au modèle idéal de Coulomb, <strong>et</strong><br />
d’autre part à leur état interne. Nous définissons la texture des empilements en l’illustrant<br />
par les propriétés mécaniques différentes des sous-réseaux de contacts. L’existence<br />
d’une échelle mésoscopique intrinsèque est vérifiée. C<strong>et</strong>te analyse constitue le chapitre 3.<br />
Nous nous interessons ensuite plus particulièrement aux contacts où les forces de frottement<br />
ont atteint la limite de Coulomb. Leur analyse statistique nous perm<strong>et</strong> d’établir<br />
l’existence de zones instables longtemps avant que la limite de stabilité globale ne soit atteinte.<br />
L’état des empilement vis-à-vis de la rupture apparait donc fortement hétérogène.<br />
Ces résultats nous perm<strong>et</strong>tent d’envisager la perte de stabilité comme résultant d’un<br />
mécanisme de type transition de phase. L’ensemble de c<strong>et</strong>te analyse constitue le chapitre<br />
4. Nous étudions enfin la destabilisation de la pente, c’est-à-dire le déclenchement <strong>et</strong> le<br />
déroulement d’une avalanche granulaire. Nous analysons en particulier les profils d’énergie<br />
cinétique, <strong>et</strong> l’épaisseur mobilisée par l’écoulement. De plus, les modifications de l’état<br />
interne des empilements en réponse à l’apparition d’une avalanche sont discutées. Ces<br />
résultats sont présentés au chapitre 5.