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DIT DE L'UPV N° 90 - Université Paul Valéry

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4<br />

■ BON À SAVOIR<br />

Jahrhunderts (1899) de H. S. Chamberlain<br />

(1855-1927), livre qui prônait la renaissance<br />

de la race germanique. L’Essai sur<br />

l’inégalité des races humaines fut du reste<br />

fort peu diffusé et vendu en Allemagne et<br />

n’y eut guère de réception.<br />

J. Boissel rappela enfin que ce Gobineau,<br />

à qui l’on imputait la doctrine des races en<br />

France, avait fait l’éloge des juifs et en rien<br />

contribué à la formation des mythes<br />

fondateurs de l’antisémitisme.<br />

Les historiens du racialisme et du racisme,<br />

surtout P.-A. Taguieff, surent apprécier<br />

la qualité des travaux de J. Boissel, notamment<br />

sa très belle édition de l’Essai sur<br />

l’inégalité des races humaines en Pléiade.<br />

Mais les Gobiniens se sont raréfiés ou<br />

reconvertis. Jean Boissel eut des thésards,<br />

qui enseignent encore à l’<strong>Université</strong> : entre<br />

autres, S. André, en Nouvelle-Calédonie,<br />

T. Sadjedi, à Téhéran.<br />

Mais Gobineau croupit de nos jours dans<br />

son marais : ici, le rédacteur du site www.<br />

mondialisme.org s’en prend à Taguieff, pour<br />

avoir réhabilité Gobineau, et à Jean Boissel,<br />

dont il écrit qu’il était issu de la Nouvelle<br />

Droite et se réclamait de son gourou, A. de<br />

Benoist ; là, une critique, très bien informée<br />

d’ordinaire, affirme encore que le<br />

discours de Jules Verne sur la Chine était<br />

renforcé par « le discours scientifique sur<br />

l’inégalité des races développé alors par des<br />

penseurs tels le comte Gobineau et Gustave<br />

Le Bon » (M. Détrie, France-Chine, Paris,<br />

Gallimard, Découvertes Gallimard, n° 447,<br />

2004, p. 49).<br />

J. Boissel aimait à dire que les Français<br />

cherchaient toujours le lampiste. Et l’injustice<br />

est encore criante. Là où E. Jünger, dont<br />

M. Vanoosthuyse, notre collègue, vient de<br />

montrer qu’il a caché son passé fasciste et<br />

pro-nazi (Fascisme et littérature pure,<br />

Marseille, Agone, 2005), passe pour le grand<br />

écrivain allemand au-dessus de tout soupçon<br />

et connaît une belle réception,<br />

Gobineau continue de passer pour le promoteur<br />

de la pensée racialiste et même raciste.<br />

Des années d’études sur Gobineau n’auront<br />

pas abouti. J. Boissel en était fort<br />

conscient.<br />

4. Un orientaliste à l’ancienne<br />

Jean Boissel étudia aussi l’Iran et écrivit<br />

aussi sur la poésie iranienne dans les pages<br />

de la Revue de littérature comparée. En<br />

1975 parut son Que sais-je ? sur L’Iran<br />

moderne. L’intérêt de ce tableau de l’Iran<br />

moderne tient plus à sa présentation de la<br />

culture persane de la tradition, souvent dense,<br />

concise, sensible, qu’à sa partie économique<br />

et politique, sèche, partielle, partiale.<br />

S’il admet que l’Iran « est devenu, à<br />

l’extérieur, un partenaire avec qui on compte<br />

», Jean Boissel conclut en faisant l’impasse<br />

sur la situation politique réelle du<br />

pays. Ainsi, « la classe dirigeante iranienne<br />

hésite entre les mots et les voies ». Pas<br />

un mot de l’opposition religieuse, et l’Iran<br />

est même dit « excentrique au grand mouvement<br />

politico-religieux qui travaille la<br />

nation arabe ». La classe des technocratesmanagers<br />

est « secondée, souvent mal, par<br />

une masse croissante de diplômés, souvent<br />

inefficaces ». Et l’auteur de se demander,<br />

avec cette arrogance occidentale qu’Edward<br />

Saïd stigmatisera dans Orientalism (1978),<br />

si l’on pouvait « faire crédit aux capacités<br />

intellectuelles et créatrices de [l]a jeunesse<br />

» d’Iran, si elle acceptera, en rentrant au<br />

pays après des années d’études en Europe<br />

et en Amérique, « d’admettre que le rêve<br />

n’a jamais, de lui-même, transformé la<br />

nature d’un pays ou d’un peuple ». L’étude<br />

se clôt par la morale du Laboureur et ses<br />

enfants, à l’adresse de l’Iran moderne…<br />

Jean Boissel ne vécut jamais bien longtemps<br />

en Iran, rarement plus de trois mois.<br />

Il n’en maîtrisait pas la langue. Tel correspondant<br />

m’écrit : « Boissel ne savait pas<br />

beaucoup le persan et il mettait seulement<br />

les mots l’un à côté de l’autre et il en faisait<br />

ainsi de petites phrases. Par exemple<br />

pour dire comment allez-vous ou même<br />

comment ça va. Et il demandait des précisions,<br />

pour ses propres travaux, à Gilbert<br />

Lazard. » Jean Boissel est l’exemple même<br />

de ces lettrés bien français qui, pour s’intéresser<br />

à l’Orient, terme encore usité de<br />

son temps, n’en avaient jamais qu’une<br />

approche de surface. Aujourd’hui, à l’heure<br />

du débat sur l’intégration de la Turquie à<br />

l’Europe, quand on sait combien « les cultures<br />

européennes sont infiniment mieux<br />

connues par les élites turques que les<br />

cultures turques ne le sont par les élites<br />

européennes » (J.-F. Pérouse, « La Turquie<br />

est-elle intégrable ? », in G. Pécout, dir.,<br />

Penser les frontières de l’Europe du XIX e au<br />

XXI e siècle, Paris, PUF, 2004, p. 357), le cas<br />

Boissel peut servir de leçon. Reste que<br />

l’homme fascinait par ses récits d’Iran et<br />

d’Orient et donnait envie d’y aller voir de<br />

plus près – et vraiment, et longtemps, et<br />

dans la langue.<br />

5. Un contempteur de son époque<br />

Malgré une carrière que d’aucuns<br />

jugeraient bien remplie, Jean Boissel<br />

n’estimait pas avoir eu la reconnaissance<br />

qu’il s’estimait en droit d’espérer. Son<br />

édition de la Pléiade, qu’il dut partager avec<br />

Jean Gaulmier, principal maître-d’œuvre,<br />

ne lui avait pas valu la notoriété souhaitée.<br />

Cela le rendait parfois d’un pessimisme<br />

amer qui transpirait dans ses cours et s’alimentait<br />

de la lecture assidue du Canard<br />

enchaîné. Comme Gobineau, Jean Boissel<br />

n’aimait pas son époque. Tel jour, il pestait<br />

contre la grève de pompistes qui n’avaient<br />

pas fait d’études. Tel autre, il écrivait à<br />

Hubert Durt, membre de l’EFEO, qu’il<br />

aurait dû écrire de la pornographie, activité<br />

plus rentable que la recherche. À nous<br />

autres, ses étudiants d’alors, il parlait d’un<br />

livre inédit, Mes relations culturelles, où il<br />

relatait, d’une plume acide, ses impressions<br />

de la carrière diplomatique (sur le ressentiment<br />

en milieu universitaire, voir Pierre<br />

Bourdieu, Homo academicus, Paris,<br />

Éditions de Minuit, 1983).<br />

Il est trop tôt pour dresser le bilan d’une<br />

œuvre de grand savant. Mais les idées<br />

reçues ont la vie dure et l’histoire est<br />

capricieuse. Gobineau pâtit toujours d’une<br />

réputation forgée de toutes pièces par des<br />

idéologues et réactivée par des universitaires<br />

qui ne lisent pas. L’Iran, contre toute attente<br />

d’expert inattentif, a fait sa révolution<br />

islamique, ratée ou réussie, et assumé son<br />

histoire. Si Jean Boissel a peut-être choisi et<br />

le mauvais auteur et le mauvais pays pour<br />

s’attirer la gloire, il nous reste son œuvre<br />

qui se suffit à elle-même et qui lui a valu,<br />

lui vaut toujours l’estime de ses pairs.<br />

Ainsi, bon an mal an, la tradition des<br />

études orientales en littérature comparée<br />

ne s’est pas perdue à Montpellier III.<br />

Aujourd’hui, c’est notre collègue Guy<br />

Dugas, fort de ses vingt années de séjour<br />

en pays musulman, et spécialiste de<br />

littérature maghrébine francophone, qui la<br />

perpétue.<br />

■<br />

Gérard Siary<br />

Professeur de littérature générale<br />

et comparée à l’université <strong>Paul</strong>-<strong>Valéry</strong><br />

■■■ Bibliographie de Jean Boissel<br />

■ Victor Courtet, 1813-1867 : premier théoricien de la hiérarchie<br />

des races. Contribution à l’histoire de la philosophie politique du<br />

romantisme. Paris, PUF, 1972.<br />

■ Gobineau, l’Orient et l’Iran, Paris, Klincksieck, 1974.<br />

■ L’Iran moderne. Paris, PUF, « Que sais-je ? » n° 1617, 1975.<br />

■ Gobineau (1816-1882) : un Don Quichotte tragique. Paris,<br />

Hachette, 1981.<br />

■ Gobineau : biographie :mythes et réalité. Paris, Berg international,<br />

1993.<br />

Éditions de textes<br />

■ Gobineau (Arthur de), Gobineau polémiste. Les Races et la<br />

République. Introduction à une lecture de l’Essai sur l’inégalité des<br />

races humaines et choix de textes par Jean Boissel. Paris, J.J.<br />

Pauvert,1966.<br />

■ Tocqueville (Alexis de), De la démocratie en Amérique. Extraits<br />

avec notice et notes de Jean Boissel. Paris, Larousse, 1970 (rééd.<br />

1975).<br />

■ Maistre (Joseph de), Considérations sur la France. Avant-propos<br />

de Jean Boissel ; texte établi, présenté et annoté par Jean-Louis<br />

Darcel. Genève, Slatkine, 1980.<br />

■ Gobineau (Arthur de), Œuvres. 3 tomes. Sous la direction de<br />

Jean Gaulmier avec la collaboration de Jean Boissel pour les tomes<br />

I et III. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983 (I et<br />

II), 1987 (III).<br />

[Directeur de la publication: Jean-Marie Miossec, président de l’université <strong>Paul</strong>-<strong>Valéry</strong>.<br />

Comité de rédaction: Mustapha Bensaada, Jean-Bruno Renard. Conception-réalisation : M. Bensaada. ISSN : 1620-364X.<br />

Contact: Service de la communication. Tél.: 04 67 14 55 10 / Mél. : ledit@univ-montp3.fr]

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