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La Mémoire Vive Niché dans la rue des Trois frères, en plein cœur ...

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L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

hommes, <strong>en</strong> file indi<strong>en</strong>ne, devai<strong>en</strong>t évoluer au travers <strong>des</strong> “ oueds ”, plus <strong>en</strong><br />

vue que le plus imprud<strong>en</strong>t <strong>des</strong> gibiers !<br />

Pour ma part, j’occupais une p<strong>la</strong>ce grotesque <strong>en</strong>tre toutes, puisque j’étais<br />

chargé de transporter <strong>la</strong> radio — véritable dinosaure — qui, si elle recevait,<br />

était bi<strong>en</strong> incapable d’émettre le moindre appel. Son bruit, parfaitem<strong>en</strong>t<br />

reconnaissable, emplissait <strong>la</strong> campagne et le F.L.N. pouvait nous suivre<br />

tranquillem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> trace.<br />

J’évoquais un jour au capitaine l’absurdité de cette situation, lui suggérant<br />

qu’il serait plus judicieux de nous poster <strong>dans</strong> les fossés face aux p<strong>la</strong>ces<br />

stratégiques du F.L.N. mais le capitaine me répondit sans ambages :<br />

“ Ne vous <strong>en</strong> faites pas, nous avons droit à un pourc<strong>en</strong>tage de perte. ”.<br />

Je compris ce jour là que ma petite consci<strong>en</strong>ce d’humain avec son ego, ses<br />

principes, son idéal al<strong>la</strong>it devoir mourir ici même, à Constantine.<br />

Nous étions masse compacte, indissoluble, masse tremb<strong>la</strong>nte, geignante,<br />

masse ignorante du pourquoi du combat, masse transpirante de peur, masse<br />

simplem<strong>en</strong>t occupée à se sauver elle-même, ne définissant aucun <strong>en</strong>nemi si<br />

ce n’est celui qui att<strong>en</strong>te à sa vie.<br />

<strong>La</strong> mort était palpable à l’extrême, il nous fal<strong>la</strong>it vivre avec elle. Je me<br />

souvi<strong>en</strong>s avoir un jour réalisé qu’autant je me foutais presque de mourir <strong>la</strong><br />

nuit, autant je refusais <strong>la</strong> mort <strong>en</strong> <strong>plein</strong>e lumière.<br />

Le jour, tout est plus s<strong>en</strong>sible… le soleil sur l’épiderme, les odeurs,<br />

l’horizon, <strong>la</strong> vision de <strong>la</strong> vie… <strong>La</strong> nuit, l’hébétem<strong>en</strong>t <strong>dans</strong> lequel nous étions<br />

du fait du manque de sommeil nous r<strong>en</strong>dait à moitié fou. On était <strong>en</strong> proie à<br />

<strong>des</strong> délires. Bi<strong>en</strong>tôt, quand nous partions de nuit ce n’était plus ni pour vivre,<br />

ni pour mourir mais r<strong>en</strong>dus à un sort auquel nous trouvions un singulier<br />

caractère lyrique. Il y avait un pim<strong>en</strong>t, un goût pervers à frôler <strong>la</strong> fin, à flirter<br />

avec <strong>la</strong> blessure. L’adrénaline était dev<strong>en</strong>u notre drogue, elle nous t<strong>en</strong>ait sous<br />

sa dép<strong>en</strong>dance.<br />

Qui a s<strong>en</strong>ti les balles siffler autour de soi quand, pour seul rempart, c’est un<br />

frêle tronc d’arbre qui vous abrite, sait ce goût particulier.<br />

Quelquefois, pour mieux exalter ces s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, nous nous réfugions <strong>dans</strong><br />

l’église, et là, nous jouions du Jazz toute <strong>la</strong> nuit <strong>en</strong> refaisant un monde que<br />

nous ne connaissions plus.<br />

Sans doute, oui, sans doute à cette époque, j’ai paradoxalem<strong>en</strong>t goûté <strong>la</strong> vie<br />

plus qu’à un autre mom<strong>en</strong>t.<br />

Cette valse l<strong>en</strong>te avec <strong>la</strong> mort me <strong>la</strong> r<strong>en</strong>dait aimable <strong>en</strong> chaque détail et<br />

c’est pourquoi je ne vou<strong>la</strong>is pas mourir face au soleil.<br />

« … tout est bon pour servir leur haine,<br />

ils sont <strong>la</strong> gloire <strong>des</strong> armées !… »<br />

Non seulem<strong>en</strong>t nous n’étions pas, pour <strong>la</strong> plupart, politisés mais notre<br />

capitaine, lui-même, répugnait à diriger son camp. Il n’était pas rare qu’il<br />

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