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La Mémoire Vive Niché dans la rue des Trois frères, en plein cœur ...

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L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

A <strong>la</strong> stupeur du capitaine, le chiffre d’affaire passa bi<strong>en</strong>tôt de mille francs,<br />

montant initial, à dix mille depuis que je l’avais pris <strong>en</strong> main.<br />

Cette petite bouffée d’oxygène était cep<strong>en</strong>dant chèrem<strong>en</strong>t payée. Les<br />

hommes buvai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> quantités astronomiques de bière à toute heure du jour<br />

et de <strong>la</strong> nuit. Entre les patrouilles, les gar<strong>des</strong> et le service, si j’avais un lit<br />

pour moi seul, je ne trouvais jamais un mom<strong>en</strong>t pour y dormir tranquille.<br />

Mes camara<strong>des</strong>, cont<strong>en</strong>ts de mes services, prir<strong>en</strong>t pitié et signèr<strong>en</strong>t une<br />

pétition qui me déchargea <strong>des</strong> gar<strong>des</strong> nocturnes.<br />

« … On a été con, hein ?… »<br />

Nous ne connûmes pas souv<strong>en</strong>t <strong>la</strong> mort <strong>des</strong> nôtres mais cinq d’<strong>en</strong>tre nous<br />

fur<strong>en</strong>t tués.<br />

Les corps étai<strong>en</strong>t empaquetés et réexpédiés <strong>en</strong> France sans autre cérémonie.<br />

Un jour qu’un fel<strong>la</strong>gha v<strong>en</strong>ait d’être fait prisonnier, on apprit <strong>la</strong> mort d’un<br />

de nos gars.<br />

Un groupe de troufions, qui r<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t d’une attaque assez corsée, était<br />

attablé au foyer quand <strong>la</strong> nouvelle tomba. Ivres de fatigue et d’alcool, ils se<br />

ruèr<strong>en</strong>t sur le prisonnier qui était ligoté <strong>dans</strong> <strong>la</strong> cour. Ils le passèr<strong>en</strong>t à tabac.<br />

Il mourut sous leurs coups.<br />

Quand, au petit matin, ils émergèr<strong>en</strong>t de leur nuit, le soleil brû<strong>la</strong>nt <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

cour raviva les souv<strong>en</strong>irs de <strong>la</strong> veille.<br />

Ils se regardèr<strong>en</strong>t, sil<strong>en</strong>cieux, mal à l’aise. L’un d’eux risqua : “ On a été<br />

con, hein ? ”<br />

Les autres acquiescèr<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> tête. Ils savai<strong>en</strong>t, c’était une connerie… Une<br />

belle connerie… Mais voilà, c’était fait … Pas par cruauté… Pour se vider,<br />

pour évacuer… Mais quand même… C’était fait… Cette connerie qui vole<br />

une vie !<br />

C’est que l’agressivité, on l’avait chevillée au corps. On alternait les<br />

mom<strong>en</strong>ts de désespoir avec <strong>des</strong> colères b<strong>la</strong>nches où le sadisme pointait. L’un<br />

de nous, un jour, partit tuer le chi<strong>en</strong> d’<strong>en</strong>fants du vil<strong>la</strong>ge, comme ça,<br />

gratuitem<strong>en</strong>t parce qu’il fal<strong>la</strong>it s’<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre à quelqu’un et qu’il ne vou<strong>la</strong>it<br />

pas tuer un homme.<br />

Cette viol<strong>en</strong>ce, on ne pouvait pas <strong>la</strong> contourner, elle était indissociable de<br />

l’air que nous respirions.<br />

Mais il n’y avait pas de haine <strong>en</strong>tre les habitants de Petit et nous.<br />

Nous avions le même combat. On luttait contre les autres. Ils étai<strong>en</strong>t <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>ce, nous étions <strong>la</strong> crasse de l’armée française, son dernier échelon.<br />

Souv<strong>en</strong>t, je me suis r<strong>en</strong>du chez <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s du vil<strong>la</strong>ge avec lesquels je pr<strong>en</strong>ais<br />

le thé.<br />

C’était ambigu, ils n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core certains que le F.L.N. puisse gagner<br />

<strong>la</strong> bataille, mais ils étai<strong>en</strong>t sûrs de haïr l’exploitation <strong>des</strong> Pieds-noirs. De cette<br />

confusion, de cette quête de repères, il ressortait un besoin viscéral<br />

d’affection. Eux, pas <strong>en</strong>core prêts à se défaire d’une culture dont ils étai<strong>en</strong>t<br />

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