20 L'ACTUALITE LITTERAIRE
L'ACTUALITE LITTERAIRE Anna, <strong>la</strong> seule chose qui vaille <strong>en</strong> ce monde, c’est <strong>la</strong> petite étincelle qui brille <strong>dans</strong> tes yeux et qui se nomme <strong>la</strong> vie. Le reste, c’est <strong>des</strong> mots. Je pourrais te dire… Mais tu n’appr<strong>en</strong>drais ri<strong>en</strong> que tu ne saches déjà. Deux peuples se sont battus ?… Non… Ni deux peuples, ni <strong>des</strong> militaires, ni <strong>des</strong> fel<strong>la</strong>ghas. Des hommes se sont battus pour le rêve d’autres hommes, pour le souffle de <strong>la</strong> liberté. D’autres se sont battus pour l’égoïsme d’autres hommes, pour leur bêtise, leur soif de pouvoir. Dans ces combats, combi<strong>en</strong> ont vraim<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>u leur rêve ? Combi<strong>en</strong> ?… Une poignée ? Même pas une poignée. Les autres batail<strong>la</strong>i<strong>en</strong>t pour leurs vies. Tu me par<strong>la</strong>is <strong>des</strong> voiles noirs que tu as associés aux voiles <strong>des</strong> carmélites et tu avais raison; ce sont les mêmes quoique différ<strong>en</strong>ts. Les musulmans que tu as vus à <strong>la</strong> télé, <strong>dans</strong> l’horreur qu’ils travers<strong>en</strong>t, ne sont pas différ<strong>en</strong>ts de nous, ni même <strong>des</strong> carmélites que tu vois au Sacrécœur. Parfois un rayon de lumière, un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t admirable vi<strong>en</strong>t zébrer le ciel de l’évolution du monde, comme un rayon de soleil après l’averse, mais souv<strong>en</strong>t, le plus souv<strong>en</strong>t, c’est un orage, <strong>la</strong> foudre, <strong>la</strong> pluie, <strong>la</strong> grêle qui s’abat sur <strong>la</strong> vie et c’est une poignée, cette même poignée d’hommes <strong>en</strong>gagés <strong>dans</strong> leur folie qui <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t le mouvem<strong>en</strong>t du monde. Il n’<strong>en</strong> demeure pas moins, Anna, que, comme <strong>dans</strong> <strong>la</strong> nature, qu’il pleuve ou que le soleil se répande sur <strong>la</strong> ville, <strong>la</strong> vie continue, <strong>la</strong> vie s’exprime. Les musulmans ne sont pas responsables de <strong>la</strong> folie <strong>des</strong> leurs aujourd’hui. Ils n’ont ri<strong>en</strong> demandé. Et quand <strong>en</strong> 1954, <strong>la</strong> bataille a été ouverte, c’est une poignée d’hommes, Anna, qui a cru <strong>en</strong> l’indép<strong>en</strong>dance, qui a su <strong>la</strong> bâtir, pas <strong>la</strong> totalité. <strong>La</strong> vie ne se tranche pas. Elle se goûte. Parce que nous sommes tout à <strong>la</strong> fois responsables de tout et… dégagés de tout, nous sommes égaux devant ces luttes et il n’y a pas de différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre le voile <strong>des</strong> carmélites et celui <strong>des</strong> musulmanes. C’est <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, parce que nous devons avoir l’humilité de reconnaître notre impuissance face à l’aberrant mouvem<strong>en</strong>t du monde, que <strong>la</strong> seule chose à <strong>la</strong>quelle tu dois t’acharner, c’est vivre ! Si tu veux vraim<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre le s<strong>en</strong>s de tout ce<strong>la</strong>, alors sortons, prom<strong>en</strong>ons-nous, nous parlerons si tu le veux de cette culture ori<strong>en</strong>tale et sans doute je t’<strong>en</strong> appr<strong>en</strong>drai plus que je le voudrais. ” Anna fronce les sourcils. “ J’ai pas tout compris, papa, mais une chose est sûre, j’avais raison, les fou<strong>la</strong>rds noirs, c’est bi<strong>en</strong> les mêmes ! ” Paris, le 12 mars 2000 Dépôt SACD, N°118353 21