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La Mémoire Vive Niché dans la rue des Trois frères, en plein cœur ...

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L'ACTUALITE LITTERAIRE<br />

Ce n’est pas tant qu’il y ait eu un p<strong>la</strong>isir particulier à servir <strong>des</strong> bières à<br />

longueur de journée mais, occupant ce poste, j’avais alors le privilège<br />

inestimable à mes yeux de dormir <strong>dans</strong> le foyer, mon lit derrière le bar, seul,<br />

<strong>en</strong>fin libre !<br />

En plus du débit de boissons, il y avait <strong>dans</strong> le foyer une petite vitrine où<br />

l’on v<strong>en</strong>dait <strong>des</strong> cigarettes, <strong>des</strong> cartes postales de Bône et du papier à lettres.<br />

Les troufions aimai<strong>en</strong>t acheter ces bricoles. Leur maigre solde y passait<br />

mais c’était leur p<strong>la</strong>isir. J’eus alors l’idée de développer ce commerce.<br />

Entre autres missions, je devais une fois par semaine me r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> ville<br />

pour y chercher le ravitaillem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> bière. Deux troufions devai<strong>en</strong>t<br />

m’accompagner et <strong>en</strong> remerciem<strong>en</strong>t, ils étai<strong>en</strong>t autorisés à se r<strong>en</strong>dre au<br />

bordel de l’armée française, le B.M.C.<br />

En fait de quoi, si les gars m’accompagnai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> à Bône, je les déposais<br />

au bordel et j’al<strong>la</strong>is seul chercher les bières.<br />

Le bordel était situé <strong>dans</strong> une bâtisse b<strong>la</strong>nche de style ori<strong>en</strong>tal.<br />

Des prostituées <strong>en</strong> déshabillés, pour <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> méridionales, étai<strong>en</strong>t<br />

assises les unes à côtés <strong>des</strong> autres <strong>dans</strong> une grande pièce aux murs b<strong>la</strong>nchis à<br />

<strong>la</strong> chaux.<br />

Le troufion choisissait sa dame et devait normalem<strong>en</strong>t gagner l’étage<br />

supérieur mais le plus souv<strong>en</strong>t les marches suffisai<strong>en</strong>t au jeune militaire qui,<br />

excédé de désir, craquait au beau milieu de l’escalier; son obsession<br />

redoublée par <strong>la</strong> vision du postérieur se ba<strong>la</strong>nçant <strong>dans</strong> sa progression.<br />

Ton père, Anna, n’échappa pas à <strong>la</strong> règle mais une éducation judéochréti<strong>en</strong>ne<br />

avait p<strong>la</strong>cé <strong>des</strong> scrupules <strong>dans</strong> une âme déjà bi<strong>en</strong> tourm<strong>en</strong>tée.<br />

Ce bordel me travail<strong>la</strong>it et je ne coupais pas plus que les autres à l’<strong>en</strong>vie<br />

irrépressible de me libérer de <strong>la</strong> frustration de ces mois d’abstin<strong>en</strong>ce. Un jour<br />

je décidai de passer à l’action.<br />

Sans doute mon attitude dut-elle être <strong>des</strong> plus insolites car <strong>la</strong> femme que<br />

j’avais choisie me stoppa doucem<strong>en</strong>t au bout de quelques minutes, me<br />

glissant tout <strong>en</strong> me caressant <strong>la</strong> nuque : “ Mieux vaut arrêter là, mon garçon,<br />

apparemm<strong>en</strong>t, c’est pas ton truc ”.<br />

Aussi déconfit que sou<strong>la</strong>gé de ne pas avoir à vivre une expéri<strong>en</strong>ce que je ne<br />

ress<strong>en</strong>tais pas profondém<strong>en</strong>t, je quittai le B.M.C et, dès lors, m’acquittais<br />

allègrem<strong>en</strong>t de mes courses au marché de Bône, <strong>la</strong>issant, sans remords, mes<br />

complices au p<strong>la</strong>isir d’un monde qui n’était pas le mi<strong>en</strong>.<br />

A Bône, on retrouvait tout le charme mauresque que <strong>la</strong> rase campagne de<br />

Petit ne pouvait pas offrir. Le souk était mon <strong>en</strong>droit préféré. C’est ici que je<br />

chinais, achetant <strong>en</strong> plus <strong>des</strong> bières, <strong>des</strong> appareils photo, <strong>des</strong> revues, <strong>des</strong> teeshirts,<br />

<strong>des</strong> transistors et autres articles que j’al<strong>la</strong>is v<strong>en</strong>dre au foyer.<br />

J’eus l’idée de faire du crédit. Je pus acheter <strong>des</strong> articles de plus <strong>en</strong> plus<br />

coûteux. Les gars du camp, trop heureux de développer un certain confort<br />

<strong>dans</strong> <strong>la</strong> vétusté de leur chambrée, payai<strong>en</strong>t comptant cinquante francs par<br />

mois et complétai<strong>en</strong>t les mois suivants.<br />

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