Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
ANALYSE<br />
René Bricault<br />
LA 2 e SYMPHONIE de SCHUMANN<br />
<strong>La</strong> 2 e Symphonie de Robert<br />
Schumann est «monotonale», dans<br />
la mesure où chaque mouvement,<br />
contrairement à la pratique habituelle,<br />
est en do. Connaissant la<br />
passion des romantiques pour l’exploration<br />
harmonique tous azimuts, cette constatation<br />
a de quoi laisser perplexe. Cela dit,<br />
Schumann a tout de même exploité cette<br />
contrainte à bon escient, en utilisant diverses<br />
techniques d’écriture pour affaiblir, polariser<br />
ou contourner cette omniprésente tonique.<br />
Nous offrirons ici un aperçu «local» desdites<br />
techniques en nous concentrant sur le troisième<br />
mouvement, le très bel Adagio espressivo.<br />
Regardons d’abord le thème principal<br />
(voir Figure 1). 1<br />
On notera d’abord que le mouvement<br />
débute à la tonique mineure et non majeure, ce<br />
qui varie déjà quelque peu l’ensemble. (Le<br />
mouvement s’achèvera sur la tonique majeure.)<br />
Ce Thème 1, de par sa construction même,<br />
s’avère assez ambigu, et ce, pour plusieurs raisons.<br />
D’abord d’un point de vue intervallique :<br />
on remarquera les nombreux sauts disjoints<br />
dont il est truffé (sixte mineure suivie d’une<br />
quarte diminuée aux mes. 1 et 2, octave à la<br />
mes. 3, alternance de sixtes majeures et septièmes<br />
[une majeure, l’autre mineure] aux mes.<br />
4 à 6, quintes à la mes. 7, arpèges aux mes. 3 et<br />
8). À l’autre extrême, le chromatisme entre do<br />
et sib aux mes. 2 (renversé) et 4 (continu)<br />
mérite mention. Ensuite d’un point de vue<br />
rythmique: Schumann semble vouloir nous<br />
décontenancer avec ses subtils accents de phrasé<br />
sur contre-temps (à presque toutes les<br />
mesures) et le fort sinueux rythme cadentiel de<br />
la mes. 7. De plus, il achève sa phrase sur l’accord<br />
de bVII—rien de bien conclusif.<br />
Après répétition du Thème 1 suivi d’un bref<br />
passage transitoire mettant les cors en vedette,<br />
Schumann présente un court second thème<br />
(Figure 2), assez contrastant vu le clair sousentendu<br />
harmonique de sa coupe.<br />
On remarquera encore une fois un bref<br />
passage chromatique. Même si les thèmes ne<br />
font que sporadiquement appel au chromatisme,<br />
la conduite des voix offrira l’occasion à la<br />
basse de s’y donner à cœur joie. Un regard<br />
rapide sur la forme du mouvement nous<br />
FIGURE 1<br />
22 Novembre 2009 November<br />
FIGURE 2<br />
semble une bonne façon d’illustrer ce point.<br />
Le Thème 1 est donc joué une fois aux violons<br />
1, puis répété (avec quelques légères modifications)<br />
aux hautbois et basson, avec ajout de<br />
quatre mesures pour conclure en mib (relative<br />
majeure de do min.). Déjà s’expose un timide<br />
chromatisme inversé à la basse, aux mesures 4-<br />
5 et 7-8. Suit le passage transitoire de six<br />
mesures nous amenant au sib du Thème 2,<br />
toujours avec chromatisme à la basse aux<br />
mesures 26-31 (sauf 29). <strong>La</strong> prochaine section<br />
propose deux types de «développement» (à<br />
défaut d’un meilleur terme, moins lourd de<br />
sens) du Thème 1. D’abord, une juxtaposition<br />
séquentielle des premières mesures du Thème<br />
1 (ici en sib, là en mib), avec chromatisme à la<br />
basse aux mesures 40-43. Ensuite, une version<br />
ornementée du Thème 1, avec chromatisme à<br />
la basse pour sa durée entière, avec conclusion<br />
sur trilles aux cordes aiguës (en chromatisme<br />
descendant) et florilège de triples croches aux<br />
bois (précédées de deux croches en séquence<br />
chromatique d’une mesure à l’autre). Notons<br />
au passage le caractère particulièrement wagnérien<br />
de cette pseudo-cadence, nullement surprenant<br />
vu l’omniprésence du chromatisme.<br />
Nous sommes maintenant à peu près au<br />
milieu du mouvement. À la mes. 62,<br />
Schumann se permet un petit intermède sous<br />
forme d’épisode contrapuntique aux cordes,<br />
accompagnées brièvement de bois en solo.<br />
Des deux motifs le constituant, le premier<br />
alterne arpèges et passages de gammes et le<br />
second est une descente sur contre-temps;<br />
tous deux incluent plusieurs modifications,<br />
parfois chromatiques. L’épisode s’efface progressivement<br />
sous le retour du Thème 1 aux<br />
bois, modulant en sol pour le retour du<br />
Thème 2 (mes. 82). Ensuite, reprise du<br />
«développement» en deux parties du Thème<br />
1, toujours avec forte présence de chromatisme<br />
à la basse, suivie d’une coda en do (mes.<br />
118) fusionnant le début des deux Thèmes<br />
en les réduisant à leur plus simple expression.<br />
Mentionnons au passage un dernier rappel<br />
de chromatisme à la basse, à la mes. 122.<br />
Outre le généreux chromatisme, Schumann<br />
utilise aussi, pour affaiblir la direction tonale,<br />
des cadences ambiguës et peu conclusives.<br />
Nous avons déjà souligné la fin «ouverte» de la<br />
première itération du Thème 1, mais on en<br />
compte quelques autres. <strong>La</strong> transition entre les<br />
deux parties du «développement» du Thème 1<br />
semble vouloir d’abord s’affirmer sur cadence<br />
en lab (et en fa pour sa seconde itération), mais<br />
un premier renversement d’accord de fa<br />
min7(b5) suivi d’un chromatisme ascendant à<br />
partir de sib à la basse (donc ré min7(b5) et<br />
basse sur sol pour sa seconde itération) vient<br />
démolir la stabilité chèrement acquise du lab.<br />
D’ailleurs, l’obstination de la basse à éviter la<br />
fondamentale de l’accord attendu se révèle<br />
pour Schumann un outil puissant pour rehausser<br />
la continuité dramatique (mes. 33, 48, 82,<br />
89 et 104, par exemple).<br />
<strong>La</strong> cadence finale se plie aussi à cette logique<br />
d’ambiguïté. Certes, les dernières mesures<br />
voient lutter les accords de tonique et de dominante,<br />
mais cette dernière a un lab à la basse<br />
(neuvième min. de V), tendue mais peu directionnelle.<br />
De plus, l’avant-dernier accord,<br />
dérangé dans ses rapports avec le dernier par<br />
des doubles croches et appogiatures à la basse,<br />
n’est autre qu’un deuxième renversement de I;<br />
n’étant pas suivi d’un V, il ne jouit d’aucune<br />
force réelle. Ainsi, Schumann contrôle les tensions<br />
de son matériau, du tout début à la toute<br />
fin du mouvement, avec une fluidité poétique<br />
qui n’est rien sinon romantique. ■<br />
<strong>La</strong> Deuxième symphonie de Robert Schumann sera jouée<br />
prochainement au Québec :<br />
» Orchestre Métropolitain du Grand Montréal (Yannick<br />
Nézet-Séguin, dir.), 9 novembre 2009, salle Wilfrid-<br />
Pelletier de la Place des Arts, 19 h 30<br />
» Orchestre symphonique de Québec (Yoav Talmi, dir.), 18<br />
novembre 2009, Grand Théâtre de Québec, 20 h.<br />
1 SCHUMANN, R. Robert Schumanns Werke. Serie I :<br />
Symphonien. Zweite Symphonie, Op. 61. Leipzig, Breitkopf<br />
& Härtel, 1881-1912.